Nomdu produit: MAGNUM COMPACT Piscine hors sol ronde en acier 550 : CatĂ©gorie: PISCINE : RĂ©fĂ©rence: 1149 : GĂ©nĂ©ral; Licences: 3 : Type de Produit: Piscine hors sol ronde : Description du produit: Piscine Magnum Compact ronde 550x132 - Filtre Ă  sable 3,6m3/h et skimmer - Échelle : ModĂšles: Magnum Compact : MatiĂšres : MĂ©tal et plastique : Finitions:

ƒUVRES COMPLÈTES DE PÉTRONE AVEC LA TRADUCTION FRANÇAISE DE LA COLLECTION PANCKOUCKE PAR M. HÉGUIN DE GUERLE Ancien inspecteur de l’AcadĂ©mie de Lyon ET PRÉCÉDÉES DES RECHERCHES SCEPTIQUES SUR LE SATYRICON ET SON AUTEUR PAR J. N. M. DE GUERLE Ancien censeur au collĂšge Louis-le-Grand NOUVELLE ÉDITION TRÈS-SOIGNEUSEMENT REVUE PARIS GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS 6, RUE DES SAINTS-PÈRES. ET PALAIS-ROYAL, 215 1861 AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR Les amis des lettres classiques connaissent la traduction en vers du poĂ«me de la Guerre civile de PĂ©trone, par M. de Guerle, mon beau-pĂšre, et ses imitations des autres morceaux de poĂ©sie que renferme le Satyricon. Ces jolies piĂšces perdaient beaucoup de leur prix Ă  ĂȘtre ainsi isolĂ©es du roman satirique oĂč PĂ©trone les a si heureusement semĂ©es, et oĂč elles rĂ©pandent tant de charme et de variĂ©tĂ©. Le dĂ©sir de les replacer dans leur cadre naturel est ce qui m’a engagĂ© Ă  faire cette traduction. Ce qui, surtout, m’encourageait dans cette entreprise, c’est la mĂ©diocritĂ© de toutes les traductions du Satyricon publiĂ©es jusqu’à ce jour. En effet, sans parler de celle que l’on doit Ă  la plume infatigable de l’abbĂ© de Marolles, la plus mauvaise, peut-ĂȘtre, de toutes celles qu’il a faites, et ce n’est pas peu dire, Nodot et Lavaur, tous les deux bons latinistes, en s’imposant une fidĂ©litĂ© trop scrupuleuse, ont bien rendu la lettre, mais non l’esprit de PĂ©trone ; ils semblent avoir oubliĂ© qu’ils avaient Ă  reproduire un des Ă©crivains les plus dĂ©licats et les plus ingĂ©nieux de l’antiquitĂ© toutes les grĂąces du modĂšle, toute la vivacitĂ© de son coloris, disparaissent sous leur pinceau lourd et blafard. D’autres, comme BoisprĂ©aux Desjardins et M. Durand, ont voulu donner Ă  leur version une allure leste et dĂ©gagĂ©e ; mais, par une erreur encore plus grande, en habillant PĂ©trone Ă  la française, ils lui ont ĂŽtĂ© sa physionomie originale, et l’ont rendu mĂ©connaissable. PlacĂ© entre ces deux Ă©cueils, j’ai tĂąchĂ©, tout en suivant d’assez prĂšs le texte, que ma fidĂ©litĂ© n’eĂ»t rien de servile. Si je n’ai pu rendre tout l’éclat des morceaux saillants, j’ai quelquefois palliĂ© les dĂ©fauts de l’original. Sans doute cette version n’est qu’une bien pĂąle copie d’un brillant tableau ; mais je prie le lecteur de considĂ©rer que, si j’ai souvent Ă©chouĂ© dans mes efforts, c’est que j’avais Ă  lutter contre des obstacles presque insurmontables. La premiĂšre difficultĂ© qui se prĂ©sentait, c’était le choix d’un texte l’ouvrage de PĂ©trone a tellement souffert de l’injure des temps et de l’ignorance des copistes, qu’il offre Ă  chaque instant des passages mutilĂ©s ou corrompus, dont il est impossible de fixer le vĂ©ritable sens, malgrĂ© les doctes et laborieuses Ă©lucubrations des Reinesius, des Douza, des Gonsalle de Salas, des Barthius, des Heinsius, des Pithou, des Bourdelot, des Bouhier, des Burmann, et d’une foule d’autres savants illustres. Le texte de Burmann Amsterdam, 1733, l’édition Bipontine de 1790, et celle que M. Renouard a publiĂ©e en 1797, sous le format in-18, ont servi de base Ă  mon travail. Lorsque je m’en suis Ă©cartĂ©, c’est que j’avais, pour le faire, d’imposantes autoritĂ©s. Tout en reconnaissant, avec Burmann et BreugiĂšre de Barante, pour apocryphes les prĂ©tendus fragments du Satyricon trouvĂ©s Ă  Belgrade en 1688, et publiĂ©s par Nodot en 1692, je n’ai pas laissĂ© de les admettre dans mon texte, en les plaçant toutefois entre deux crochets, pour les distinguer de ce qui est entiĂšrement conforme aux manuscrits. J’ai suivi en cela l’édition Bipontine et l’opinion de Basnage ce critique cĂ©lĂšbre pense que ces fragments, qui remplissent d’énormes lacunes, donnent de la liaison et de la suite Ă  un ouvrage qui n’en avait pas, et rendent la lecture du Satyricon plus facile et plus agrĂ©able. Quant aux notes, je ne me suis fait aucun scrupule d’emprunter, soit aux commentateurs, soit aux traducteurs mes devanciers, tout ce qui, dans leurs remarques, se trouvait Ă  ma convenance j’ai surtout mis Ă  profit celles de Lavaur, qui se distinguent par une solide Ă©rudition. J’avais d’abord eu l’intention de faire prĂ©cĂ©der cette traduction d’une notice historique et littĂ©raire sur PĂ©trone la prĂ©face de Bourdelot m’offrait d’excellents matĂ©riaux pour ce travail ; mais, au moment de les mettre en Ɠuvre, je me suis rappelĂ© que mon beau-pĂšre avait publiĂ©, Ă  la suite de sa traduction de la Guerre civile, des Remarques sceptiques sur le Satyricon et sur son auteur, qui atteignaient parfaitement le but que je me proposais. J’ai donc pensĂ© que c’était la meilleure introduction que je pusse placer en tĂȘte de cet ouvrage. J’espĂšre que le lecteur sera de mon avis, et qu’il me saura grĂ© de reproduire ici cette ingĂ©nieuse dissertation, oĂč l’érudition la plus variĂ©e s’unit Ă  une critique fine et spirituelle. Le seul reproche que l’on pourrait faire Ă  l’auteur de ces Remarques, c’est de laisser le lecteur dans le doute, et de ne rien conclure ; mais le titre de sceptiques, qu’il leur a donnĂ©, rĂ©pond d’avance Ă  cette objection. Si j’osais, aprĂšs tant de savants qui se sont Ă©puisĂ©s en conjectures sur cet ouvrage, Ă©mettre mon opinion personnelle, je dirais Non, le Satyricon n’est pas la diatribe contre NĂ©ron, que PĂ©trone composa Ă  l’article de la mort, tandis que sa vie s’écoulait avec son sang la longueur de cette Satyre ne permet pas de le croire ; mais il est trĂšs-probable que quelque compilateur du moyen Ăąge aura rĂ©uni sous ce titre gĂ©nĂ©ral de Satyricon ou plutĂŽt de SatyricĂŽn, comme le veulent Rollin, Baillet et Burmann, tous les fragments Ă©pars des diffĂ©rents Ă©crits de PĂ©trone, tels que l’Albutia, l’Eustion et la diatribe en question, pour en former un corps d’ouvrage dĂšs lors, le dĂ©faut de plan et de suite dans ce roman serait facile Ă  expliquer. Non, ce n’est pas l’empereur NĂ©ron que PĂ©trone a reprĂ©sentĂ© sous le personnage de Trimalchion, mais bien plutĂŽt Tigellin, l’infĂąme Tigellin, cet homme sorti de la lie du peuple, qui, par la corruption de ses mƓurs et ses lĂąches adulations, prit en peu de temps un grand ascendant sur l’esprit de l’empereur, et fut le principal auteur de la disgrĂące de PĂ©trone. Celui-ci s’en vengea sans doute en homme d’esprit, et peignit cet ignoble favori du prince sous les traits d’un amphitryon fastueux et ridicule ; peut-ĂȘtre aussi le festin de Trimalchion est-il la parodie de cette fameuse orgie que NĂ©ron donna sur l’étang d’Agrippa, par les soins et sous la direction de Tigellin[1]. Dans tous les cas, il n’est pas douteux, selon moi, que le Satyricon ne soit, du moins en grande partie, l’ouvrage de ce mĂȘme PĂ©trone dont parle Tacite[2], et qui fut, Ă  la cour de NĂ©ron, l’arbitre du goĂ»t, arbiter elegantiarum, ce qui lui fit donner le surnom d’Arbiter, non pas comme une simple Ă©pithĂšte, mais comme un de ces surnoms si communs chez les Romains, et qu’on employait indiffĂ©remment en place du nom propre. Il ne me reste plus qu’un mot Ă  dire sur les fragments qui viennent Ă  la suite du Satyricon. Parmi tous ceux que l’on attribue Ă  PĂ©trone, je n’ai traduit que ceux qui m’ont paru prĂ©senter quelque intĂ©rĂȘt, sans m’occuper de leur plus ou moins d’authenticitĂ©. La plupart sont extraits du recueil intitulĂ© Veterum poetarum catalecta, publiĂ© par Joseph Scaliger en 1573, et que l’on a joint depuis Ă  presque toutes les Ă©ditions de PĂ©trone. HÉGUIN DE GUERLE. RECHERCHES SCEPTIQUES SUR LE SATYRICON ET SON AUTEUR __________________ PREMIÈRE PARTIE Si l’on en croit plusieurs savants, onze auteurs cĂ©lĂšbres ont portĂ© le nom de PĂ©trone malheureusement, il ne nous reste de chacun d’eux que des fragments. Parmi ces diffĂ©rents PĂ©trones, le plus illustre est distinguĂ© par le surnom d’Arbiter c’est Ă  lui qu’on doit le Satyricon, monument de littĂ©rature autrefois prĂ©cieux sans doute par son Ă©lĂ©gance et sa lĂ©gĂšretĂ©, puisque ses ruines mĂȘme ont encore de quoi plaire ; mais dont la clef, depuis longtemps perdue, ne se retrouvera probablement jamais, quoi qu’en aient dit quelques modernes antiquaires. Nul Ă©crivain, si l’on en excepte Aristote, n’a trouvĂ© peut-ĂȘtre autant d’interprĂštes[3] ; cependant il n’en est ni mieux compris, ni plus connu. De graves auteurs, qui ne doutent jamais, nous ont donnĂ© la vie de PĂ©trone bien circonstanciĂ©e. Le temps oĂč il vĂ©cut, la citĂ© qui le vit naĂźtre, les charges dont il fut honorĂ©, les ouvrages qu’il composa, le caractĂšre qui lui fut propre, la maniĂšre dont il mourut, rien n’est oubliĂ© ils connaissent PĂ©trone comme s’ils eussent Ă©tĂ© ses contemporains, ses compatriotes, ses amis. Et tout cela se trouve, selon eux, dans une page de Tacite ! Il s’agit ici d’un passage des Annales[4], relatif Ă  la mort du consul PĂ©trone. C’était, dit Tacite, un courtisan voluptueux, passant avec aisance des plaisirs aux affaires, et des affaires aux plaisirs. HabituĂ© Ă  donner le jour au sommeil, il partageait la nuit entre ses devoirs, la table et ses maĂźtresses. Idole d’une cour corrompue, qu’il charmait par son esprit, ses grĂąces et ses dĂ©penses, il y fut longtemps l’arbitre du goĂ»t, le modĂšle du bon ton, le favori du prince. Mais enfin, supplantĂ© par Tigellin son rival, il prĂ©vint, par une mort volontaire, la cruautĂ© de NĂ©ron. FidĂšle Ă©picurien, mĂȘme Ă  son dernier soupir, il regardait en souriant la vie s’échapper avec son sang de ses veines entr’ouvertes. Quelquefois il les faisait fermer un instant, pour s’entretenir quelques minutes de plus avec ses amis, non de l’immortalitĂ© de l’ñme ou des opinions des philosophes, mais de poĂ©sies badines, de vers lĂ©gers et galants. Loin d’imiter ces lĂąches victimes du tyran, qui baisaient en mourant la main de leur bourreau, et lĂ©guaient leurs biens Ă  leur avare assassin, il s’amusa dans ses derniers moments Ă  tracer un rĂ©cit abrĂ©gĂ© des dĂ©bauches de NĂ©ron ; il le peignit outrageant Ă  la fois la pudeur et la nature dans les bras de ses mignons et de ses prostituĂ©es. AprĂšs avoir adressĂ© Ă  NĂ©ron lui-mĂȘme ce testament accusateur, scellĂ© de l’anneau consulaire, il se laissa tranquillement expirer, et sembla s’endormir d’une mort naturelle. » Rien de plus beau que ce morceau de Tacite pour en sentir tout le mĂ©rite, il faut le lire dans l’original. Mais peut-il s’appliquer Ă  l’auteur du Satyricon ? VoilĂ  le point Ă  rĂ©soudre. On peut dire en faveur de l’affirmative 1° S’il est vrai que tout Ă©crivain se peigne dans ses ouvrages, la ressemblance est parfaite entre le courtisan et l’auteur. L’un donne le jour au sommeil et la nuit aux plaisirs ; l’autre prĂȘte Ă  ses acteurs cette maxime d’Aristippe Vivamus, dum licet esse, bene. Le premier ne disserte point comme Socrate, Ă  son dernier soupir, sur l’immortalitĂ© de l’ñme ; mais il rĂ©cite nonchalamment Ă  ses amis quelques strophes d’AnacrĂ©on ou d’Horace, et, sur le bord mĂȘme de la tombe, il semble jouer avec la mort ; le second nous peint de jeunes dĂ©bauchĂ©s, calmes sur un navire battu par l’orage, raillant, au milieu d’une mer en courroux, la piĂ©tĂ© tardive des matelots, et s’écriant au sein d’une orgie La crainte a fait les dieux. . . . . .Le favori disgraciĂ© adresse Ă  NĂ©ron, pour dernier adieu, une diatribe sanglante oĂč sont livrĂ©s Ă  l’opprobre, et ce tyran sans pudeur, et ses infĂąmes complices ; or, dans les scĂšnes symboliques du Satyricon, qui ne reconnaĂźt les nuits du Sardanapale romain et le scandale de sa cour ? 2° Pline et Plutarque confirment ce qu’avance Tacite touchant le luxe dĂ©licat de PĂ©trone et la satire dont il flĂ©trit en mourant les vices de NĂ©ron. Ils nous apprennent aussi qu’un moment avant d’expirer, PĂ©trone, pour dĂ©rober une coupe prĂ©cieuse Ă  l’aviditĂ© du tyran, la fit briser en sa prĂ©sence. 3° Terentianus Maurus cite PĂ©trone comme faisant un usage familier du vers ĂŻambe, et la lecture de PĂ©trone justifie la remarque de Terentianus or, ce poĂ«te Ă©crivait, dit-on, sous Domitien. PĂ©trone est donc antĂ©rieur Ă  ce prince. 4° Enfin, entre les rĂšgnes de NĂ©ron et de Domitien, nul auteur connu n’a portĂ© le nom de PĂ©trone ; car on ne peut citer Petronius aristocrates de MagnĂ©sie, philosophe contemporain de Perse, mais duquel il ne nous reste aucun ouvrage. Donc Terentianus, Tacite, Pline et Plutarque ont, sous le nom de PĂ©trone, dĂ©signĂ© un seul et mĂȘme homme ; donc l’auteur du Satyricon vĂ©cut dans le premier siĂšcle de l’ùre vulgaire ; donc il fut un personnage cĂ©lĂšbre Ă  la cour des empereurs, oĂč il se vit dĂ©corer des honneurs du consulat ; donc sa mort coĂŻncide avec la douziĂšme annĂ©e du rĂšgne de NĂ©ron ; donc le Satyricon est la peinture des vices de ce prince. Ce qui pourrait donner quelque poids Ă  cette opinion, c’est qu’elle fut celle de P. Pithou, justement surnommĂ© le Varron français dans le XVIe siĂšcle. Mais, d’abord, on peut opposer Ă  ce savant des savants non moins respectables, un Juste Lipse, un Petit, les deux Valois, puis Voltaire et beaucoup d’autres. Viennent ensuite quelques objections assez fortes contre le sentiment commun. Les voici j’en attends la solution. 1° C’est en vain qu’on invoquerait dans les deux PĂ©trones la ressemblance des noms. Le seul PĂ©trone qui se vit honorer du consulat sous NĂ©ron fut CaĂŻus Petronius Turpillianus ; Tacite et les fastes consulaires sont d’accord sur ce point. Or, l’auteur du Satyricon est Titus Petronius Arbiter. Cette double diffĂ©rence et de prĂ©noms et de surnoms suffirait seule pour dĂ©truire l’identitĂ© des personnes. Mais, dira-t-on, Tacite n’appelle-t-il pas son PĂ©trone elegantiĂŠ arbiter ? Oui, mais ces deux mots doivent ĂȘtre traduits par ceux-ci Arbitre du goĂ»t ; » ils ne forment donc lĂ  qu’une Ă©pithĂšte. SĂ©parez l’attribut du sujet, il ne vous restera qu’une abstraction. S’agit-il, au contraire, du Satyricon ? le mot seul Arbiter prĂ©sente l’idĂ©e complĂšte de son auteur ; il fait l’office de nom propre ; Arbiter et PĂ©trone sont alors synonymes. Aussi voyons-nous ces deux mots employĂ©s indiffĂ©remment l’un pour l’autre par Planciades Fulgence, DiomĂšde, Servius Honoratus, Macrobe, Victorin, Sidoine Apollinaire, saint JĂ©rĂŽme, et Terentianus Maurus lui-mĂȘme. C’est pour n’avoir pas fait cette remarque, que plusieurs savants ont errĂ©. 2° Il n’existe pas plus de paritĂ© entre les ouvrages qu’entre les personnes. La diatribe dont parle Tacite fut composĂ©e un instant avant la mort de son auteur. Elle Ă©tait donc fort courte, et contenait au plus quelques pages. Au moment oĂč ses forces et son gĂ©nie s’écoulaient avec son sang, restait-il au consul assez de verve pour improviser sur la guerre civile un poĂ«me de trois cents vers, qui, selon quelques Ă©crivains, valent seuls toute la Pharsale ? L’impromptu, sans doute, eĂ»t Ă©tĂ© merveilleux ; mais il serait venu Ă  contre-temps Lucain en eĂ»t Ă©tĂ© plus piquĂ© que NĂ©ron, et ce n’était pas Lucain que PĂ©trone voulait punir. Quoi qu’il en soit, si l’on en croit Douza, nous avons Ă  peine aujourd’hui la dixiĂšme partie du Satyricon ; cependant ce faible dĂ©bris, Ă©chappĂ© aux injures du temps, forme encore un volume assez considĂ©rable. Or, Ă  qui persuadera-t-on qu’un ouvrage de si longue haleine ait Ă©tĂ© conçu et dictĂ© en un seul jour, et par un homme Ă  l’agonie ? 3° La diatribe du favori disgraciĂ© Ă©tait la chronique du jour ; chronique scandaleuse, mais vĂ©ridique et basĂ©e sur des faits trop certains. Elle dĂ©nonçait Ă  l’indignation publique les turpitudes confiĂ©es au secret de la nuit. Les agents du crime et ses complices, leurs noms, leur sexe, leur Ăąge, les lieux qui le virent commettre, tout s’y trouvait dĂ©crit en peu de mots comme sans emblĂšme. Ainsi l’exigeait la vengeance le voile de l’énigme en eĂ»t Ă©moussĂ© les traits, et le raccourci du tableau donnait un jeu plus fort aux figures. Mais que voit-on dans le Satyricon ? LĂ , chaque acteur, sous un nom supposĂ©, voyage dans le pays des fables, raconte quelque aventure galante, fait tour Ă  tour, Ă  l’aide de rĂ©cits imaginaires, la satire de quelque vice, et jette le ridicule Ă  pleines mains sur les objets qui lui dĂ©plaisent. TantĂŽt on y dĂ©plore la corruption du goĂ»t, l’avilissement des beaux-arts, la chute de l’éloquence on y donne parfois d’excellents prĂ©ceptes de morale et de poĂ©sie. TantĂŽt l’auteur nous promĂšne sur les mers, Ă  travers les Ă©cueils ou les querelles des passagers ; puis tout Ă  coup, interrompant son rĂ©cit, il repose agrĂ©ablement l’esprit du lecteur sur l’épisode de la matrone d’ÉphĂšse, et donne aux prudes une leçon utile. Plus loin, il embouche fiĂšrement la trompette de Mars, dĂ©crit en vers ĂŻambes l’embrasement de Troie, ou consacre Ă  peindre les fureurs de la guerre civile la majestĂ© de l’hexamĂštre. Enfin son vol s’abaisse, et sa derniĂšre scĂšne nous prĂ©sente un fripon dupe de sa propre fourberie. En vĂ©ritĂ©, voir, dans ces jeux d’un esprit qui s’amuse, les dĂ©bauches d’un tyran et la vengeance d’une de ses victimes, c’est avoir l’Ɠil bien pĂ©nĂ©trant ! 4° Sous quel personnage du Satyricon NĂ©ron serait-il donc cachĂ© ? Encolpe et son cher Ascylte n’ont ni feu ni lieu ; ils sont rĂ©duits Ă  voler pour vivre. NĂ©ron est maĂźtre de l’univers ; le monde met en tremblant ses richesses aux pieds de ce tyran. Eumolpe est un pauvre poĂ«te maltraitĂ© de la fortune ; il fait d’assez bons vers qu’on bafoue NĂ©ron, bel esprit couronnĂ©, voit partout ses mĂ©chants vers applaudis [5] . Pour Trimalchion, c’est un vieillard cassĂ©, chauve, difforme, cacochyme, du reste assez bon homme. NĂ©ron est dans la fleur de l’ñge ; mais, sous les grĂąces extĂ©rieures de la jeunesse [6] , il cache un cƓur fĂ©roce. Trimalchion fut autrefois esclave en Asie ; le commerce a fait sa fortune NĂ©ron, nĂ© d’un sang illustre, petit-fils de Germanicus, fils adoptif d’un empereur, doit Ă  sa naissance, et non point Ă  son industrie, le pouvoir suprĂȘme dont il abuse. De plus, si le Satyricon est la peinture des nuits de NĂ©ron, si Trimalchion est NĂ©ron lui-mĂȘme, comme quelques-uns le prĂ©tendent, pourquoi l’ouvrage entier ne nous offre-t-il qu’une seule orgie nocturne ? Pourquoi Trimalchion n’y prĂ©side-t-il pas en personne ? Pourquoi n’en est-il pas mĂȘme un des acteurs subalternes ? Serait-ce lĂ  une finesse de l’art ? Mais, dans ce cas, comment l’empereur se serait-il reconnu dans ces hiĂ©roglyphes perpĂ©tuels ? D’ailleurs, pour couvrir d’opprobre NĂ©ron, le consul avait-il besoin de ces dĂ©tours ? et puisqu’il ne devait pas survivre Ă  son ouvrage, pouvait-il craindre de faire briller aux yeux du tyran l’éclat terrible de la vĂ©ritĂ© nue ? 5° Favori de la fortune et du prince, le consul se vit combler de richesses et d’honneurs ; mais, parmi les anciens Ă©crivains, nul n’a fait de notre PĂ©trone un magistrat romain, un second Lucullus, un courtisan de NĂ©ron, une victime de ses fureurs. Ce qui est bien plus dĂ©cisif encore, c’est le silence absolu des auteurs jusqu’au troisiĂšme siĂšcle. Martial, SuĂ©tone, Pline, JuvĂ©nal, Quintilien mĂȘme, qui a parlĂ© de presque tous ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, ne disent pas un mot du Satyricon, ni de Petronius Arbiter. Les premiers qui en aient fait mention sont DiomĂšde, Priscien, Victorin, Macrobe et saint JĂ©rĂŽme. 6° L’autoritĂ© du poĂ«te Terentianus Maurus ne prouve rien en fait d’époque, puisqu’on ignore quand il vĂ©cut lui-mĂȘme. 7° Lactance-Placide [7] accuse T. PĂ©trone d’avoir dĂ©robĂ© au troisiĂšme livre de la ThĂ©baĂŻde cet hĂ©mistiche fameux que nous y lisons encore aujourd’hui Primus in orbe deos fecit ce fut sous Trajan que mourut Stace son prĂ©tendu plagiaire lui est nĂ©cessairement postĂ©rieur ; il n’est donc pas le PĂ©trone dont Tacite a parlĂ©. 8° Les regrets de notre PĂ©trone sur la triste situation de la peinture, disparue, dit-il, jusqu’à la derniĂšre trace, au temps oĂč il vivait, picturĂŠ ne vestigium quidem reliquum, ne dĂ©montrent-ils pas jusqu’à l’évidence combien il est plus rĂ©cent que NĂ©ron, puisque Rome possĂ©dait encore des chefs-d’Ɠuvre de peinture et de sculpture sous le rĂšgne mĂȘme de Commode ? 9° Henri Valois fait vivre l’auteur du Satyricon sous Marc-AurĂšle ; Adrien, son frĂšre, sous Gallien ; Statilius, Bourdelot et Jean Leclerc, sous Constantin ; Lylio Giraldi, sous Julien ; d’autres, par une mĂ©prise assez plaisante, en ont fait un Ă©vĂȘque de Bologne, mort dans le cinquiĂšme siĂšcle, et qu’il plut au pape de canoniser. Le chantre un peu profane du plaisir ne s’attendait guĂšre, apparemment, que les dĂ©votes lui crieraient un jour Saint PĂ©trone, priez pour nous ! » Quoi qu’il en soit, Henri Valois, qui lui donne le plus d’antiquitĂ©, le place, comme on voit, environ un siĂšcle aprĂšs NĂ©ron. Il est bon de remarquer combien est moderne l’opinion qui le recule vers le milieu du premier siĂšcle. Avant P. Pithou, personne ne s’était avisĂ© d’appliquer le passage de Tacite Ă  l’auteur du Satyricon. Du moins, ce savant modeste ne l’a fait qu’en hĂ©sitant ; il donne son sentiment pour une simple conjecture. Si je ne me trompe, dit-il, l’auteur du Satyricon est le PĂ©trone dont Tacite a parlĂ©. » Ainsi ses premiers mots expriment l’incertitude. Ceux qui depuis ont d’abord partagĂ© son doute, ont trouvĂ© bientĂŽt plus commode de trancher que d’examiner ; ils ont jurĂ©, par paresse, in verba magistri. Mais, quoique les adversaires de cette opinion ne s’accordent point entre eux sur l’époque oĂč vĂ©cut T. PĂ©trone, le consentement unanime de ces derniers Ă  le faire postĂ©rieur aux douze CĂ©sars sar, n’en est pas moins par lui-mĂȘme une rĂ©futation suffisante du systĂšme opposĂ© ; et tout ce qui rĂ©sulte, en saine logique, de tant de variations, c’est qu’on ignore Ă  quel siĂšcle T. PĂ©trone appartient. 10° Ceux qui font de l’auteur du Satyricon un seigneur romain, n’ont pas mĂȘme daignĂ© motiver leur assertion, tant la chose leur paraĂźt claire. Sidoine Apollinaire n’est pourtant pas de leur avis. Il semble indiquer Marseille pour la patrie de notre PĂ©trone, ou du moins pour le lieu de sa rĂ©sidence ordinaire. Cette opinion paraĂźtrait plus probable encore, si, comme l’atteste Servius Maurus, il faut compter parmi les ouvrages de T. PĂ©trone, qui ne sont pas venus jusqu’à nous, une histoire des Marseillais. Elle est d’ailleurs soutenue par plusieurs savants estimables, tels que Lylio Giraldi, et Conrad Gesner, le Pline de l’Allemagne. MalgrĂ© ces considĂ©rations, Bouche attribue l’honneur d’avoir vu naĂźtre notre PĂ©trone au village de PĂ©truis, assez voisin de Sisteron et des rives de la Durance. Il se fonde sur ce que le nom latin de ce village est Vicus Petronii ; ce qu’il prouve en citant une inscription trouvĂ©e en 1560, et qui, en parlant d’un prĂ©fet du prĂ©toire assassinĂ© Ă  PĂ©truis, s’exprime en ces termes A sicariis nefandum facinus in vico Petronii, ad ripam DruentiĂŠ. D’aprĂšs cet exposĂ© impartial, voici, je crois, tout ce qu’on peut raisonnablement conclure 1° Nous n’avons rien de certain sur la personne de T. PĂ©trone. 2° Peut-ĂȘtre son berceau doit-il ĂȘtre placĂ© dans l’ancienne Provence, et c’est le sentiment qu’ont adoptĂ© les savants compilateurs de notre Histoire littĂ©raire[8]. 3o Le silence absolu des auteurs des deux premiers siĂšcles semble prouver qu’il leur est postĂ©rieur. 4o Les diffĂ©rents passages de T. PĂ©trone, rapportĂ©s par quelques Ă©crivains du troisiĂšme siĂšcle, dĂ©fendent, Ă  mon avis, de le placer au-dessous de DioclĂ©tien. 5o On se tromperait probablement fort peu en le faisant contemporain du philosophe Longin, ministre de la cĂ©lĂšbre ZĂ©nobie, et mis Ă  mort, l’an 273, par l’ordre du superbe AurĂ©lien. 6o Dans aucun cas, le Satyricon, dont quelques parties seulement sont parvenues jusqu’à nous, sous le nom de T. Petronius Arbiter, ne peut ĂȘtre le testament de mort du consul CaĂŻus Petronius Turpillianus, ni l’histoire secrĂšte de NĂ©ron [9]. Si l’on me reprochait d’avoir dĂ©truit sans réédifier Quelle nĂ©cessitĂ©, rĂ©pondrais-je, de bĂątir des systĂšmes ? Ne peut-on montrer au doigt l’erreur, parce qu’on ne se flatte point de tenir la vĂ©ritĂ© ? ____________ DEUXIÈME PARTIE AprĂšs avoir principalement cherchĂ© l’homme dans PĂ©trone, occupons-nous plus spĂ©cialement de son ouvrage. Ici, la mĂȘme incertitude va prĂ©sider, malgrĂ© nous, Ă  ce nouvel examen. ConsidĂ©rons attentivement les fragments de PĂ©trone sous leurs trois principaux rapports l’objet, la forme et le style. Au milieu des opinions contradictoires qui dĂ©jĂ  nous assiĂ©gent, nous saurons nous borner aux fonctions modestes de rapporteur ; c’est aux lecteurs Ă©clairĂ©s par la discussion qu’il appartient d’ĂȘtre juges. I OBJET DU SATYRICON J’ai rĂ©futĂ©, dans la premiĂšre partie, ceux qui regardent l’ouvrage de PĂ©trone comme la satire de NĂ©ron ; n’en parlons plus. D’autres ont cru reconnaĂźtre le vieux Claude dans Trimalchion, Agrippine dans Fortunata, Lucain dans Eumolpe, SĂ©nĂšque dans Agamemnon Tiraboski, Burmann et Dotteville semblent pencher de ce cĂŽtĂ©. Selon les deux Valois, le Satyricon n’est que le tableau ordinaire de la vie humaine, une vĂ©ritable MĂ©nippĂ©e, mĂȘlĂ©e de prose et de vers, dans le goĂ»t de Varron, une satire gĂ©nĂ©rale des ridicules et des vices qui appartiennent Ă  tous les peuples, Ă  tous les temps. Quelques-uns ont presque fait de PĂ©trone un casuiste ; ils y voient Ă  chaque page des sermons trĂšs-Ă©difiants, et le Satyricon est, Ă  leur avis, un traitĂ© complet de morale, qui vaut bien celui de Nicole c’est, du moins, ce que semble insinuer Burmann, quand il appelle PĂ©trone virum sanctissimum. L’ingĂ©nieux Saint-Évremond a rĂ©futĂ© d’une maniĂšre agrĂ©able ce dernier sentiment. À l’appui de cet Ă©crivain, Leclerc, toujours caustique, ajoute avec un peu d’humeur Que dirait-on d’un peintre qui, pour inspirer l’horreur du vice, tracerait avec toute la dĂ©licatesse possible les postures de l’ArĂ©tin ? » Enfin, si l’on en croit Macrobe, le Satyricon est un pur roman, dont l’unique but est de plaire. Je ne vois pas trop ce qu’on pourrait opposer Ă  l’autoritĂ© de Macrobe. Il fut l’écrivain du quatriĂšme siĂšcle le plus versĂ© dans la connaissance de l’antiquitĂ© ; sa sagacitĂ© dans la critique Ă©galait sa vaste Ă©rudition. Il vivait dans un temps oĂč l’on ne pouvait encore avoir perdu le secret du Satyricon, s’il eĂ»t renfermĂ© quelque mystĂšre. Son opinion individuelle peut donc ici passer pour celle de ses contemporains ; et, dans le cas oĂč l’une eĂ»t diffĂ©rĂ© de l’autre, un auteur aussi judicieux aurait-il manquĂ© d’exposer au lecteur les motifs qui l’engageaient Ă  s’écarter du sentiment gĂ©nĂ©ral ? Parmi les modernes, Huet, Leclerc, Basnage se sont rangĂ©s Ă  l’avis de Macrobe. DĂ©fions-nous de ces esprits systĂ©matiques ou malins, qui se plaisent Ă  torturer un auteur pour lui faire penser ce qu’ils eussent dit leur pupitre est, en fait de critique, le lit de fer de Procuste. La BruyĂšre riait sous cape des prĂ©tendues clefs ajustĂ©es Ă  ses CaractĂšres par des devins en dĂ©faut. Peut-ĂȘtre, un jour, tirant ArtamĂšne ou ClĂ©lie de la poussiĂšre, quelques savants en us les publieront tour Ă  tour, grossis de nouveaux tomes ; et, pour prouver que Louis XIV est Cyrus ou Porsenna, ils joindront aux fadeurs de ScudĂ©ry, avec leurs propres visions, les variorum des commentateurs. II FORME DU SATYRICON. L’Espagnol Joseph-Antoine-Gonsalle de Salas a fait jadis une belle dissertation sur ce seul mot Satyricon. Son Ă©tymologie est-elle grecque ou latine ? grande question parmi les Ă©rudits. Voici ce qu’Heinsius, Scaliger, et plusieurs autres, allĂšguent en faveur de la premiĂšre opinion. Les Grecs appelaient satyriques certains drames, moitiĂ© sĂ©rieux, moitiĂ© bouffons, dans lesquels les acteurs, le visage barbouillĂ© de lie, imitaient les danses grotesques, ainsi que les propos un peu lestes des divinitĂ©s des bois, et tournaient en ridicule, dans la personne des magistrats et des riches, les vĂ©ritables dieux de la terre. Ces drames eurent cours longtemps encore aprĂšs Thespis il nous en reste un modĂšle dans le PolyphĂšme d’Euripide. D’aprĂšs cette hypothĂšse, notre mot satyre vient du grec áœ°Ï…ÏÎżÏ›, Faune ou Satyre ; il doit alors s’écrire par un y. Casaubon, Spanheim et Dacier ne manquent point d’arguments pour combattre Heinsius et Scaliger. Ils dĂ©rivent satire du latin satura plat rempli de diffĂ©rents mets. Si vous demandez quelle analogie peut exister entre un plat rempli de diffĂ©rents mets et les satires d’Horace, par exemple, on vous rĂ©pond que ce genre de poĂ©sie est farci, pour ainsi dire, de quantitĂ© de choses diverses, comme s’exprime Ă©lĂ©gamment Porphyrion Multis et variis rebus hoc carmen refertum est. Ce raisonnement est fort ! Au compte de ces messieurs, que d’auteurs qui ne s’en doutent guĂšre sont des JuvĂ©nals ! que de satires sont des pots-pourris ! Quoi qu’il en soit, selon cette doctrine, de satura l’on a fait satira, comme on a fait optimus d’optumus, et maximus de maxumus. Vous voyez bien que, dans ce cas, on doit Ă©crire satire ; et que l’y est chassĂ© par l’i [10]. Le vulgaire des Ă©crivains, assez dĂ©nuĂ© d’érudition, a simplement distinguĂ© la satire en deux espĂšces. L’une, a-t-on dit, tend directement Ă  rĂ©former les mƓurs, ou Ă  ridiculiser les travers de l’esprit humain ; ceux qui la craignent l’accusent de misanthropie ou de malignitĂ©. C’est sans doute pour adoucir l’austĂ©ritĂ© du prĂ©cepte ou l’acerbe du sarcasme qu’elle emprunte Ă  la poĂ©sie les grĂąces de son langage. SƓur cadette de la comĂ©die, elle n’en diffĂšre que dans la forme. Elle est plus courte, et n’est pas essentiellement dramatique. Horace, JuvĂ©nal et Perse ont portĂ© dans Rome cette espĂšce de satire Ă  sa perfection ; elle n’a point dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en France sous la plume des Regnier, des Boileau, des Gilbert. La seconde espĂšce de satire est celle qu’on nomme MĂ©nippĂ©e. Le plus savant des Romains, Varron, la mit en honneur chez ses concitoyens. Si son but est Ă©galement d’instruire, elle y vise par des dĂ©tours plus cachĂ©s plaire est son premier dĂ©sir ; l’instruction chez elle n’est que secondaire. Ses tableaux plus variĂ©s embrassent toutes les scĂšnes de la vie, comme toutes les branches de la littĂ©rature. Son caractĂšre distinctif est un mĂ©lange agrĂ©able de prose et de vers. La fiction est son arme favorite ; sa marche approche de celle du roman, dont elle usurpe impunĂ©ment l’étendue. Elle caresse plus souvent qu’elle n’égratigne ; et, pour faire aimer la vertu, elle l’affuble quelquefois des livrĂ©es de la Folie. L’Apokolokyntosis de SĂ©nĂšque, le Misopogon de l’empereur Julien, la Consolation de BoĂ«ce sont autant de MĂ©nippĂ©es. La France peut leur comparer sans honte le Pantagruel de Rabelais, le Catholicon d’Espagne, la Pompe funĂšbre de Voiture, par Sarrazin. Aux yeux de ceux pour qui les disputes de mots ne sont que de doctes Ăąneries, Rome paraĂźtra peut-ĂȘtre redevable Ă  la GrĂšce de ces deux espĂšces de satires. Varron, de son aveu mĂȘme [11] , avait imitĂ© MĂ©nippe le Cynique ; et les satires du second genre s’appellent encore aujourd’hui MĂ©nippĂ©es, du nom du philosophe grec. Pour la satire du premier genre, elle fut Ă©videmment chez les Romains, dans son origine, une copie informe de ces tragi-comĂ©dies grecques, que les acteurs de Thespis allaient reprĂ©sentant de ville en ville sur des tombereaux. Avant qu’Épicharme de MĂ©gare eĂ»t inventĂ© la bonne comĂ©die, la Sicile, qui servait de lien commun entre la GrĂšce et l’Italie, avait portĂ© dans la seconde les satyriques de la premiĂšre. Elles succĂ©dĂšrent sur le théùtre des Romains aux danses des Étrusques, que des histrions toscans avaient jusqu’alors exĂ©cutĂ©es au son de la flĂ»te, mais sans les accompagner d’aucune piĂšce rĂ©glĂ©e qui reprĂ©sentĂąt une action. La satyre grecque, ainsi naturalisĂ©e chez les Romains, y fut encore longtemps mĂȘlĂ©e, comme dans son pays natal, de chants bouffons, de danses burlesques, de postures lascives, de railleries grossiĂšres. BientĂŽt Ennius essaya de la faire descendre du théùtre, pour la rendre plus dĂ©cente. Il la restreignit Ă  de simples discours en vers, destinĂ©s Ă  ĂȘtre lus dans des cercles d’amis. Mais, sous sa plume, elle ne changea que de forme ; Ă  l’exception du chant et de la danse, elle retint son nom, son fiel et sa gaietĂ©. Pacuvius, neveu d’Ennius, imita son oncle par complaisance ou par goĂ»t. Enfin parut Lucilius en faveur du sel et de la politesse qu’il rĂ©pandit dans cette composition nouvelle, il mĂ©rita d’en ĂȘtre appelĂ© l’inventeur. Ce n’est que dans ce sens qu’il faut entendre le GrĂŠcis intactum carmen d’Horace, et ces paroles de Quintilien Satira quidem tota nostra est, in qua primus insignem laudem ademptus est Lucilius ; la satire appartient tout entiĂšre Ă  Rome ; Lucilius s’y distingua le premier. » Au reste, les Grecs avaient aussi cette espĂšce de satire dont parle Quintilien ; ils lui avaient donnĂ© le nom de Silles ; et les fragments des Silles de Timon le Phliasien, sceptique cĂ©lĂšbre par ses vers mordants contre les dogmatiques, prouvent assez que la GrĂšce avait ses Lucile et ses Horace. N’étaient-ce donc pas une satire, ces ĂŻambes lancĂ©s par le Grec Sotade contre PtolĂ©mĂ©e-Philadelphe, ces ĂŻambes que Suidas appelle ϰύΜαÎčÎŽÎżÎč cyniques, sans pudeur ces ĂŻambes cruels qui mirent en fureur leur royale victime, et firent enfin prĂ©cipiter dans le Nil leur malheureux auteur ? Personne n’ignore que Lucile, Pacuvius, Ennius mĂȘme, ne parurent qu’aprĂšs PtolĂ©mĂ©e-Philadelphe ; or, Timon et Sotade florissaient sous ce prince. Les Grecs connurent donc la satire proprement dite ; ils la connurent donc mĂȘme avant les Romains. Ainsi la satire fut d’abord Ă  Rome ce qu’elle avait Ă©tĂ© dans AthĂšnes la seule diffĂ©rence qui la distingua par la suite chez ces deux peuples, c’est qu’en changeant de forme, elle retint en Italie son nom primitif, tandis qu’elle prenait tour Ă  tour chez les Grecs celui de Silles ou de MĂ©nippĂ©e. Les mots ne tiennent pas toujours ce que leur Ă©tymologie promet ; l’usage, ce tyran des langues, est plus fort que les grammairiens, et souvent l’expression est la mĂȘme, quand la chose a changĂ©. CharmĂ©s de la marche libre et facile que donnait Ă  la MĂ©nippĂ©e le mĂ©lange des vers et de la prose, les Romains s’accoutumĂšrent insensiblement Ă  dĂ©signer par son nom les Ă©crits revĂȘtus de la mĂȘme forme, quoique Ă©loignĂ©s de son caractĂšre original. Histoire, romans, philosophie, morale, tout fut bientĂŽt de son ressort. On oublia qu’elle Ă©tait nĂ©e caustique, pour ne plus voir en elle qu’une ingĂ©nieuse babillarde. Pourvu que, dans un mĂȘme ouvrage, elle semĂąt avec esprit et les vers et la prose, on lui pardonna de ne plus mĂ©dire ; en dĂ©pit de son changement, elle resta MĂ©nippĂ©e. Cette satire n’est donc point essentiellement mordante. Celle mĂȘme de Varron, quoique plus proche de son origine, montre rarement le vice couvert de ridicule ou d’opprobre. Sa philosophie badine plus qu’elle ne dogmatise ; elle cache sous les fleurs les Ă©pines de l’érudition ; et ses leçons de morale, elle ne les donne qu’en se jouant. La satire, chez PĂ©trone, est encore plus indulgente. Ne cherchez pas en elle un pĂ©dagogue enfant gĂątĂ© d’Épicure, sa malignitĂ© s’endort auprĂšs du vice aimable ; craignez qu’elle ne s’éveille aux sermons de la sagesse. PrĂšs de PĂ©trone, l’ñne d’ApulĂ©e est un Caton. Il censura fort bien les travers de son siĂšcle ; cependant il n’a pas l’honneur de siĂ©ger parmi les satiriques. Cet Ăąne, content de parler mieux que certains hommes, nĂ©gligea d’employer le langage des dieux ; et, je l’ai dĂ©jĂ  dit, il n’est point de MĂ©nippĂ©es sans le mĂ©lange de la prose et des vers. PĂ©trone ne pouvait choisir pour son roman une forme de composition plus variĂ©e, plus agrĂ©able que celle de la MĂ©nippĂ©e ; aussi n’y manqua-t-il point, et voilĂ  sans doute tout le mystĂšre du Satyricon. Quant Ă  la dĂ©sinence du mot, les Latins, selon Gonsalle de Salas, ont fait satyricon de satyra, comme ils faisaient epigrammation d’epigramma, elegidarion d’elegia le diminutif ne changeait rien d’essentiel dans l’objet principal de l’expression ; il annonçait seulement dans le dĂ©rivĂ© moins de prĂ©tention et plus d’enjouement. Peut-ĂȘtre aimerez-vous mieux la leçon de Rollin, Baillet, Burmann et autres ils font longue la derniĂšre syllabe de satyricĂŽn, et la prononcent comme l’omĂ©ga des Grecs. Dans cette hypothĂšse, le SatyricĂŽn serait un recueil de satires. Mais l’omicron n’en fait qu’un innocent badinage ; je suis pour l’omicron. III STYLE DU SATYRICON. Le style de PĂ©trone a trouvĂ© des censeurs, mĂȘme parmi les meilleurs juges en cette matiĂšre. Quoique PĂ©trone, dit Huet, paraisse avoir Ă©tĂ© un grand critique, et d’un goĂ»t exquis, son style pourtant ne rĂ©pond pas tout Ă  fait Ă  la dĂ©licatesse de son jugement. On y remarque quelque affectation ; il est un peu trop peint et trop Ă©tudiĂ© ; il dĂ©gĂ©nĂšre de cette simplicitĂ© naturelle et majestueuse, de l’heureux siĂšcle d’Auguste. Peut-ĂȘtre doit-il une partie de sa rĂ©putation Ă  la libertĂ© de ses portraits ; il aurait Ă©tĂ© moins lu, s’il avait Ă©tĂ© plus modeste. » Rollin porte Ă  peu prĂšs le mĂȘme jugement[12] ; et Rapin assure[13] que PĂ©trone, s’il donne quelquefois d’excellents prĂ©ceptes d’éloquence, ne les suit pas toujours. Valois [14] croyait remarquer dans son style un air un peu Ă©tranger ; il se servait mĂȘme de cet argument, pour prouver que notre auteur Ă©tait Gaulois, et qu’il vĂ©cut aprĂšs SuĂ©tone. Saumaise ne trouve dans les fragments de PĂ©trone que des extraits faits sans goĂ»t par quelques libertins obscurs du Bas-Empire. PĂ©trone, dit Bayle [15] , est moins dangereux dans ses tableaux trop nus, que dans les dĂ©licatesses dont Bussy-Rabutin les a revĂȘtus ; et la galanterie se prĂ©sente, dans les Amours des Gaules, sous des formes bien plus aimables que dans le Satyricon. » Aux yeux de Voltaire [16] , cet ouvrage n’est pas plus un modĂšle de style qu’il n’est l’histoire secrĂšte de NĂ©ron ; les suppĂŽts de nos tavernes tiennent, Ă  l’entendre, des discours plus honnĂȘtes que les convives de Trimalchion ; Ă  l’exception de quelques vers heureux, de deux ou trois contes agrĂ©ables, tout le livre n’est qu’un amas confus d’images ampoulĂ©es ou lascives, d’érudition ou de dĂ©bauches. Selon Baillet et Tiraboski, on y rencontre des tours ingĂ©nieux et de jolies pensĂ©es ; mais ces beautĂ©s sont obscurcies par l’inĂ©galitĂ© du style, par des mots barbares, par des rĂ©cits oĂč l’on ne comprend rien. C’est peut-ĂȘtre, ajoutent-ils, la faute des copistes ; mais l’ouvrage, en somme, ne mĂ©ritait pas les peines qu’on s’est donnĂ©es pour en rechercher et recoudre les lambeaux. Leclerc maltraite encore plus PĂ©trone. Mais c’est trop longtemps parler de ses dĂ©tracteurs ; Ă©coutons enfin ses panĂ©gyristes. À la tĂȘte des nombreux admirateurs de PĂ©trone, marchent Vossius et Douza, TurnĂšbe et Pithou, Briet et Ronsin. Les censures mĂȘme, hasardĂ©es contre PĂ©trone, sont mĂȘlĂ©es, disent-ils, d’éloges arrachĂ©s par la force de la vĂ©ritĂ© ; et, dans la bouche d’un ennemi, la louange est d’un bien plus grand poids que les reproches. Cette barbarie mĂȘme et cette bassesse d’expressions, qui paraissent dĂ©figurer quelquefois le style de PĂ©trone, sont, aux yeux de MĂ©nage, le chef-d’Ɠuvre de l’art ; il ne les a placĂ©es que dans la bouche des valets et des dĂ©bauchĂ©s sans dĂ©licatesse. Voyez, au contraire, avec quelle Ă©lĂ©gance il fait parler les gens de la bonne compagnie. PĂ©trone donne Ă  chacun de ses acteurs le langage qui lui convient. Ce mĂ©rite est d’autant plus prĂ©cieux, qu’il est plus rare ; et les ombres qu’un peintre habile rĂ©pand dans ses tableaux, en rendent les beautĂ©s plus saillantes. Barthius trouve rĂ©unies dans PĂ©trone seul, quand il n’est pas dĂ©figurĂ© par l’ignorance des copistes, toutes les finesses de Plaute, toutes les grĂąces de CicĂ©ron ; et Juste Lipse l’appelle auctor purissimĂŠ impuritatis. Telle Ă©tait l’admiration du vainqueur de Rocroi pour PĂ©trone, qu’il pensionnait un lecteur, uniquement chargĂ© de lui rĂ©citer le Satyricon. En parlant du poĂ«me de la Guerre civile, dans lequel PĂ©trone, dit-on, prĂ©tendit lutter contre Lucain, l’abbĂ© Desfontaines s’écrie Quelle finesse dans la peinture des vices des Romains et des dĂ©fauts de leur gouvernement ! que d’esprit dans ses fictions ! Ces beautĂ©s sont relevĂ©es par un style mĂąle et nerveux, en faveur duquel on doit pardonner au poĂ«te quelques fautes contre l’élocution, et certains traits qui sentent le rhĂ©teur. » FrĂ©ron, dont le goĂ»t fut presque toujours d’accord avec la raison, quand il ne jugea que les anciens, parle de PĂ©trone dans le sens de Desfontaines Il est riant, dit-il, dans ses descriptions, coulant, net et facile dans sa narration, admirable dans ses vers ; et, ce qui le caractĂ©rise plus particuliĂšrement, il est toujours fin et dĂ©licat en fait de galanterie, quand il parle de celle que la nature avoue. » Je fais grĂące des Ă©loges prodiguĂ©s Ă  PĂ©trone par ses diffĂ©rents traducteurs ils pourraient paraĂźtre suspects ; mais on me permettra, du moins, d’opposer Ă  ses censeurs le suffrage de Saint-Évremond. De tous les panĂ©gyristes de PĂ©trone, aucun n’eut plus de ressemblances morales avec son hĂ©ros que cet ingĂ©nieux Ă©picurien ; et comme nul n’apprĂ©cia notre auteur avec plus de connaissance de cause, nul aussi ne l’a vantĂ© avec plus d’esprit. Qu’on me permette de citer ce passage, malgrĂ© son Ă©tendue PĂ©trone est admirable partout, dans la puretĂ© de son style, dans la dĂ©licatesse de ses sentiments. Ce qui me surprend davantage est cette grande facilitĂ© Ă  nous donner ingĂ©nieusement toutes sortes de caractĂšres. TĂ©rence est peut-ĂȘtre l’auteur de l’antiquitĂ© qui entre le mieux dans le naturel des personnes j’y trouve cela Ă  redire, qu’il a trop peu d’étendue ; et tout son talent est bornĂ© Ă  faire bien parler des valets et des vieillards, un pĂšre avare, un fils dĂ©bauchĂ© voilĂ  oĂč s’étend la capacitĂ© de TĂ©rence. N’attendez de lui ni galanterie, ni passion, ni les sentiments, ni les discours d’un honnĂȘte homme. PĂ©trone, d’un esprit universel, trouve le gĂ©nie de toutes les professions, et se forme, comme il lui plaĂźt, Ă  mille naturels diffĂ©rents. S’il introduit un dĂ©clamateur, il en prend si bien l’air et le style, qu’on dirait qu’il a dĂ©clamĂ© toute sa vie. Rien n’exprime plus naĂŻvement le dĂ©sordre d’une vie dĂ©bauchĂ©e, que les querelles d’Encolpe et d’Ascylte sur le sujet de Giton. Quartilla ne reprĂ©sente-t-elle pas admirablement ces femmes prostituĂ©es, quarum sic accensa libido, ut sĂŠpius peterent viros quam a viris peterentur ? Les noces du petit Giton et de l’innocente Pannychis ne nous donnent-elles pas l’image d’une impudicitĂ© accomplie ? Tout ce que peut faire un faux dĂ©licat, un impertinent, vous l’avez sans doute au festin de Trimalchion. Quoi de mieux touchĂ©, dans le portrait d’Eumolpe, que la vanitĂ© des poĂ«tes, et cette manie de rĂ©citer leurs vers Ă  tout venant ? Est-il rien de plus naturel que le personnage de Chrysis ? toutes nos confidentes n’en approchent pas. Sans parler de sa premiĂšre conversation avec PolyƓnos, ce qu’elle lui dit de sa maĂźtresse sur l’affront qu’elle a reçu est d’une naĂŻvetĂ© inimitable. Quiconque a lu JuvĂ©nal, connaĂźt assez impotentiam matronarum, et leur mĂ©chante humeur, si quando vir aut familiaris infelicius cum ipsis rem habuerit. Mais il n’y a que PĂ©trone qui ait pu nous dĂ©crire CircĂ© si belle, si voluptueuse et si galante. EnothĂ©a, la prĂȘtresse de Priape, me ravit avec les miracles qu’elle promet, avec ses enchantements, ses sacrifices, sa dĂ©solation sur la mort de l’oie sacrĂ©e, et la maniĂšre dont elle s’apaise, quand PolyƓnos lui fait un prĂ©sent dont elle peut acheter une oie et des dieux, si bon lui semble. PhilumĂšne, cette honnĂȘte dame, n’est pas moins bonne, qui, aprĂšs avoir escroquĂ© plusieurs hĂ©ritages, dans la fleur de sa jeunesse et de sa beautĂ©, devenue vieille, et par consĂ©quent inutile Ă  tout plaisir, tĂąchait de continuer ce bel art par le moyen de ses enfants, qu’avec mille beaux discours elle introduisait auprĂšs des vieillards qui n’en avaient point ; enfin, il n’y a profession dont PĂ©trone ne suive admirablement le gĂ©nie. Il est poĂ«te, il est orateur, il est philosophe, quand il lui plaĂźt. Pour ses vers, j’y trouve une force agrĂ©able, une beautĂ© naturelle naturali pulchritudine carmen exsurgit ; en sorte que Douza ne saurait plus souffrir la fougue et l’impĂ©tuositĂ© de Lucain, quand il a lu la prise de Troie Jam decuma mƓstos, etc., ou l’essai sur la guerre civile Orbem jam totum, etc. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que LucrĂšce n’a pas traitĂ© si agrĂ©ablement la matiĂšre des songes Somnia quĂŠ mentes, etc. Et que peut-on comparer Ă  cette nuit voluptueuse, dont l’image remplit l’ñme de telle sorte, qu’on a besoin d’un peu de vertu pour s’en tenir aux simples impressions qu’elle fait sur l’esprit Qualis nox fuit illa, dii ! etc. Quoique le style de dĂ©clamateur semble ridicule Ă  PĂ©trone, il ne laisse pas de montrer beaucoup d’éloquence en ses dĂ©clamations ; et, pour faire voir que les plus dĂ©bauchĂ©s ne sont pas incapables de mĂ©ditations et de retour, la morale n’a rien de plus sĂ©rieux ni de mieux touchĂ© que les rĂ©flexions d’Encolpe sur l’inconstance des choses humaines et sur l’incertitude de la mort. Quelque sujet qui se prĂ©sente, on ne peut ni penser plus dĂ©licatement, ni s’exprimer avec plus de nettetĂ©. Souvent, en ses narrations, il se laisse aller au simple naturel, et se contente des grĂąces de la naĂŻvetĂ© ; quelquefois, il met la derniĂšre main Ă  son ouvrage, et il n’y a rien de si poli. Catulle et Martial traitent les mĂȘmes choses grossiĂšrement ; et si quelqu’un pouvait trouver le secret d’envelopper les ordures avec un langage pareil au sien, je rĂ©ponds pour les dames qu’elles donneraient des louanges Ă  sa discrĂ©tion. Mais ce que PĂ©trone a de plus particulier, c’est qu’à la rĂ©serve d’Horace, en quelques odes, il est peut-ĂȘtre le seul de l’antiquitĂ© qui ait su parler de galanterie. Virgile est touchant dans les passions ; les amours de Didon, les amours d’OrphĂ©e et d’Eurydice, ont du charme et de la tendresse ; toutefois il n’a rien de galant ; et la pauvre Didon, tant elle a l’ñme pitoyable, devient amoureuse du pieux ÉnĂ©e, au rĂ©cit de ses malheurs. Ovide est spirituel et facile, Tibulle dĂ©licat ; cependant il fallait que leurs maĂźtresses fussent plus savantes que mademoiselle de ScudĂ©ry ; car ils allĂšguent sans cesse les dieux, les fables, et des exemples tirĂ©s de l’antiquitĂ© la plus Ă©loignĂ©e ; ils promettent toujours des sacrifices, et je pense que Chapelain a pris d’eux la maniĂšre de brĂ»ler les cƓurs en holocauste. Lucien, tout ingĂ©nieux qu’il est, devient grossier, sitĂŽt qu’il parle d’amour ; ses courtisanes ont plutĂŽt le langage des lieux publics que les discours des ruelles. Autant que les autres nations nous le cĂšdent en galanterie, autant PĂ©trone l’emporte sur nous dans ce genre de mĂ©rite. Nous n’avons point de roman qui nous fournisse une histoire si agrĂ©able que la matrone d’ÉphĂšse ; rien de si dĂ©licat que les poulets de CircĂ© Ă  PolyƓnos. Toute leur aventure, soit dans l’entretien, soit dans les descriptions, a un caractĂšre fort au-dessus de la politesse de notre siĂšcle. Jugez cependant s’il eĂ»t traitĂ© dĂ©licatement une belle passion, puisque c’était une affaire de deux personnes qui, Ă  la premiĂšre vue, devaient goĂ»ter les derniers plaisirs. » Ce n’est pourtant pas sans quelque injustice peut-ĂȘtre, ou du moins sans un peu de prĂ©vention, que Saint-Évremond, aprĂšs Douza, semble Ă©lever au-dessus de la Pharsale l’Essai de PĂ©trone sur la Guerre civile, et mĂȘme son Fragment de la guerre de Troie. Mais, si le premier de ces morceaux, Ă  peine composĂ© de trois cents vers, ne peut ĂȘtre mis en parallĂšle avec un poĂ«me en dix chants, il n’en Ă©tincelle pas moins de beautĂ©s sublimes. Quant au fragment de la prise de Troie, son seul dĂ©faut peut-ĂȘtre est de rappeler un des plus beaux Ă©pisodes de l’EnĂ©ide sans le Laocoon de Virgile, celui de PĂ©trone pourrait passer pour un chef-d’Ɠuvre. VoilĂ  sans doute de quoi contre-balancer les reproches qu’on a pu faire au style de PĂ©trone. Je n’ai parlĂ© que de ses vers ; sa prose est peut-ĂȘtre plus Ă©lĂ©gante encore. Qui ne sait que La Fontaine lui doit son joli conte de la Matrone d’EphĂšse ? et Bussy-Rabutin, en transportant dans les Amours des Gaules l’épisode piquant de PolyƓnos et de CircĂ©, n’a changĂ© que le nom des acteurs. RĂ©sumons-nous 1° PĂ©trone, sans doute, n’a voulu faire qu’un roman ; 2° Le Satyricon peut ĂȘtre classĂ© parmi les MĂ©nippĂ©es ; 3° Son style est mĂȘlĂ© de beautĂ©s et de dĂ©fauts ; mais risquerait-on beaucoup, en attribuant les beautĂ©s Ă  PĂ©trone, et les dĂ©fauts Ă  ses copistes ? TROISIÈME PARTIE Nous venons de traiter, en quelque sorte, l’histoire ancienne du roman de PĂ©trone ; traçons maintenant en peu de mots l’histoire moderne de ses fragments. I DES PRINCIPALES ÉDITIONS DE PÉTRONE. Parmi les livres qui n’ont pu soustraire qu’une partie d’eux-mĂȘmes aux outrages du temps, le Satyricon est un de ceux qui ont le plus souffert. Ce qui nous en reste n’est, comme nous l’avons dĂ©jĂ  dit, qu’un mince dĂ©bris de cet ingĂ©nieux ouvrage. Il contenait plusieurs livres, divisĂ©s en plusieurs chapitres on peut citer, pour preuve de cette assertion, l’autoritĂ© des anciens glossaires et le tĂ©moignage des savants Daniel, Douza, Gonsalle, Saumaise, Burmann, etc. Encore le peu que nous avons du Satyricon ne nous est-il parvenu que par lambeaux. La premiĂšre antiquitĂ© ne nous en avait transmis, jusqu’en 1476, que des fragments successifs. Était-ce, comme le croit Nodot, des collections qu’un homme studieux avait faites de quelques lieux choisis de cette satire ? Dans cette supposition, ne peut-on pas dire, avec Huet, que ce recueil eut le sort de tant d’autres, celui de faire nĂ©gliger d’abord, puis bientĂŽt perdre entiĂšrement l’original, comme il est arrivĂ©, par exemple, Ă  Justin, abrĂ©viateur de Trogue-PompĂ©e ? Faut-il, comme d’autres le veulent, accuser les moines, si longtemps possesseurs exclusifs des dĂ©bris littĂ©raires de Rome et d’AthĂšnes, d’avoir mutilĂ© PĂ©trone dans les endroits que leur pudeur n’osait regarder sans rougir ? Saumaise ne le pense pas. Enfin, de ce que Jean de SarisbĂ©ry, Ă©vĂȘque de Chartres au XIIe siĂšcle, rapporte quelques fragments de PĂ©trone qui ne se trouvent dans aucune Ă©dition du Satyricon, peut-on conjecturer avec l’évĂȘque d’Avranches, ou que l’ouvrage de PĂ©trone subsistait encore Ă  cette Ă©poque en son entier, ou qu’il en existait du moins alors une collection manuscrite plus ample que celle que nous en avons ? Quoi qu’il en soit, la premiĂšre Ă©dition connue, et l’une des plus estimĂ©es de PĂ©trone, est celle publiĂ©e Ă  Milan, en 1477. Les deux Pithou, Ă  qui l’on doit la dĂ©couverte des fables de PhĂšdre, publiĂšrent, en 1587, quelques additions trouvĂ©es dans un manuscrit, pris Ă  Budes par Mathias Corvin. Soixante-seize ans aprĂšs, c’est-Ă -dire en 1663, Pierre Petit dĂ©terra Ă  Trau, en Dalmatie, dans la bibliothĂšque de Nicolas Cippius un manuscrit in-folio, dans lequel, Ă  la suite des poĂ©sies de Catulle, Tibulle et Properce, se trouvait un fragment considĂ©rable de PĂ©trone, contenant la suite du festin de Trimalchion. Il commence par ces mots Venerat jam tertius dies, et finit par ceux-ci ex incendio fugimus. La date du manuscrit Ă©tait du 20 novembre 1423 en tĂȘte du fragment, on lisait Petronii Arbitri fragmenta ex libro quintodecimo et decimo sexto. Les premiers mots de chaque chapitre Ă©taient Ă©crits avec de l’encre rouge, et les caractĂšres en Ă©taient bien lisibles. À peine ces fragments eurent-ils paru, imprimĂ©s pour la premiĂšre fois Ă  Padoue, en 1664, et l’annĂ©e suivante Ă  Paris, que soudain Ă©clata, dans la rĂ©publique des lettres, une espĂšce de guerre civile. On vit les Schaefer, en SuĂšde, les Reinesius et les Wagenseil, en Allemagne, les deux Valois et les Petit, en France, inonder, coup sur coup, le public de dissertations. Selon les uns, le fragment n’était qu’un enfant supposĂ© on ne pouvait, selon les autres, lui contester son adoption. Mantel, Lucius et Gradi s’en dĂ©clarĂšrent les premiers champions. L’auteur de la dĂ©couverte, cachĂ© sous le nom de Statilius, en dĂ©fendit Ă©loquemment l’authenticitĂ© dans une apologie latine ; il fit plus, il envoya le manuscrit du Fragment Ă  Grimani, ambassadeur de Venise Ă  Rome, et le pria de le soumettre Ă  l’examen des connaisseurs. Le 28 aoĂ»t 1668, une assemblĂ©e nombreuse de savants se rĂ©unit, Ă  ce sujet, dans le palais de l’ambassadeur. L’avis unanime fut que le manuscrit comptait au moins deux cents ans d’anciennetĂ© ; la date de sa transcription devait ĂȘtre Ă  peu prĂšs celle du temps oĂč fleurit PĂ©trarque, et la nature des caractĂšres et du vĂ©lin parut ĂȘtre une preuve incontestable de son authenticitĂ©. Le manuscrit, revenu en France, y excita de nouvelles contestations. De nouvelles confĂ©rences, tenues chez le grand CondĂ©, produisirent le mĂȘme rĂ©sultat. L’ouvrage fut alors dĂ©posĂ© dans la bibliothĂšque du roi ; et, malgrĂ© les doutes affectĂ©s de certains critiques obstinĂ©s qui se rendent difficilement Ă  l’évidence, il passa, dĂšs cette Ă©poque, pour ĂȘtre de PĂ©trone. On l’a constamment imprimĂ© depuis, comme tel, dans toutes les Ă©ditions du Satyricon. Cependant, plus de vingt ans aprĂšs cette dĂ©cision solennelle, la conviction, s’il faut en croire un critique cĂ©lĂšbre [17], n’était pas gĂ©nĂ©rale. L’arrĂȘt de partage, Ă©crivait-il en 1692, subsiste encore aujourd’hui peut-ĂȘtre subsistera-t-il jusqu’à la fin du monde, car la rĂ©publique des lettres n’a point de tribunal souverain qui prononce sans appel. » En cette mĂȘme annĂ©e, 1692, Nodot, officier français, fit imprimer Ă  Rotterdam, chez Leers, une Ă©dition de PĂ©trone, augmentĂ©e de nouveaux fragments. Ils avaient Ă©tĂ©, disait-il, trouvĂ©s Ă  Belgrade en 1688 un heureux hasard lui en avait procurĂ©, en 1690, une copie trĂšs-exacte ; et l’Europe, ajoutait-il, pouvait se glorifier dĂ©sormais de possĂ©der PĂ©trone tout entier. On avait rĂ©clamĂ© contre l’original de Trau jugez si la copie de Belgrade trouva des incrĂ©dules ! MalgrĂ© les lettres flatteuses des acadĂ©mies d’Arles et de NĂźmes, ainsi que de Charpentier, alors directeur de l’AcadĂ©mie française, malgrĂ© les petits vers de quelques poĂ«tes enthousiastes dont Nodot n’avait pas manquĂ© d’enfler son Ă©dition, les nouveaux fragments ne passĂšrent point pour un rare trĂ©sor, comme Nodot se plaisait Ă  les qualifier ; et, quoi qu’en ait dit Charpentier dans une missive latine que peu de personnes s’empressĂšrent de lire, la France, dont les armes victorieuses faisaient alors trembler l’Allemagne, s’honora beaucoup plus par la brillante campagne de 1690, que par la prĂ©tendue dĂ©couverte dont Nodot revendiquait la gloire. L’adversaire le plus obstinĂ© des nouveaux fragments fut BreugiĂšre de Barante, cĂ©lĂšbre avocat de Riom. Dans des observations publiĂ©es en 1694, il prĂ©tendit prouver que ces fragments n’étaient que de maladroites interpolations, ouvrage d’un moderne sans goĂ»t, et facilement reconnaissables Ă  de frĂ©quents gallicismes. Pourquoi d’ailleurs, si le Satyricon de Belgrade Ă©tait entier, n’y retrouvait-on pas, par exemple, le non bene semper olet qui bene semper olet, citĂ© par saint JĂ©rĂŽme comme appartenant Ă  PĂ©trone ? Burmann ne fut pas plus sensible au prĂ©sent que Nodot croyait avoir fait Ă  l’Europe. Il gourmanda mĂȘme assez rudement, sans respect pour les acadĂ©mies, ceux de leurs membres qui s’étaient laissĂ©, disait-il, trop grossiĂšrement surprendre Ă  de trompeuses apparences. Nodot rĂ©pondit en savant courroucĂ© on remarqua dans sa Contre-critique plus de prĂ©somption que de politesse, plus de pĂ©dantisme que de savoir, plus d’injures que de raisons. C’est ainsi que madame Dacier, mais dans une cause meilleure sans doute, avait dĂ©fendu contre Lamotte l’honneur d’HomĂšre, attaquĂ© par les modernes. Il faut avouer pourtant que la derniĂšre objection de BreugiĂšre de Barante n’était pas trop solide. Le pentamĂštre citĂ© par saint JĂ©rĂŽme ne pouvait-il pas avoir fait partie, non du Satyricon, mais de l’Eustion ou de l’Albutia, deux des ouvrages de PĂ©trone mentionnĂ©s par Planciade Fulgence, mais qui ne sont pas venus jusqu’à nous ? C’est aussi la solution qu’en donna Nodot. Quant aux gallicismes, n’en avait-on pas aussi reprochĂ© au fragment de Dalmatie, et n’avait-il pas nĂ©anmoins Ă©tĂ© reconnu pour antique ? Au reste, c’est toujours un mĂ©rite aux yeux de plus d’un lecteur que d’avoir rempli des lacunes. C’est du moins le sentiment de Basnage GrĂące Ă  Nodot, dit-il, la lecture de PĂ©trone est devenue plus commode on ne s’y trouve plus de temps Ă  autre, comme auparavant, dans un pays perdu. La liaison et la suite qui rĂšgnent dĂ©sormais dans le Satyricon, si elles ne sont pas l’ouvrage de son auteur, rendent du moins intelligible ce qui ne l’était pas. » Peu de personnes seront ici de l’avis de Basnage. MalgrĂ© les recherches des savants, PĂ©trone est encore incomplet [18] . Parmi ceux dont l’érudition a consacrĂ© quelques veilles Ă  fixer le vĂ©ritable sens de notre auteur dans les endroits difficiles ou corrompus, on distingue TornĂ©sius, Sambucus, Richard, Muret, Scioppius, Brassican, Junius, Vouwer, Pontanus, Pulman, Barthius, Arnaud, Lundorpius, Binet, Passerat, Lotichius, Goldast, Gonsalle, Hermann, les deux Daniel, les deux Douza, les deux Pithou, Bourdelot, Burmann et Bouhier. PostĂ©rieurement Ă  la plupart de ces commentateurs, l’abbĂ© SĂ©vin a rĂ©tabli un passage de PĂ©trone visiblement altĂ©rĂ© par l’ignorance des copistes, et sur lequel les meilleurs critiques semblent avoir errĂ©. Voici ce qu’on lit Ă  ce sujet dans les MĂ©moires de l’AcadĂ©mie des inscriptions et belles-lettres PĂ©trone, aprĂšs avoir donnĂ© de grands Ă©loges Ă  ces hommes illustres qui avaient consacrĂ© leurs veilles au bien de la sociĂ©tĂ©, ajoute Itaque, Hercula, omnium herbarum succos Democritus expressit ; et ne lapidum virgultorumque vis lateret, Ɠtatem inter experimenta consumpsit. La difficultĂ© roule sur Hercula. On ne rapporte point ici les diffĂ©rentes conjectures que ce mot a fait naĂźtre ; la plupart ne paraissent appuyĂ©es que sur des fondements peu solides. Dans le dessein de rehausser le prix de tant de dĂ©couvertes dues aux soins de DĂ©mocrite, PĂ©trone insinue que les travaux de ce fameux philosophe, dans l’art de la mĂ©decine, pouvaient entrer en parallĂšle avec ceux qui avaient rendu le nom d’Hercule si cĂ©lĂšbre dans la GrĂšce ; et par une comparaison fort Ă  la mode parmi les anciens, PĂ©trone n’aura pas cru pouvoir mieux exprimer sa pensĂ©e qu’en disant, pour dĂ©signer DĂ©mocrite, Hercules alter. C’est lĂ  sans doute ce qu’il faut lire, au lieu d’Hercula, qui ne signifie rien. » L’abbĂ© SĂ©vin appuie son sentiment sur divers passages de Plutarque, de CicĂ©ron et de Pline ; ils prouvent qu’en effet DĂ©mocrite fut souvent assimilĂ© Ă  Hercule. Il est Ă©tonnant qu’une restitution si naturelle et si facile en apparence, n’ait pas Ă©tĂ© proposĂ©e plus tĂŽt. Mais combien de secrets merveilleux ressemblent Ă  l’Ɠuf de Christophe Colomb ! Outre le Satyricon, Scaliger, Daniel et dom Rivet attribuent Ă  notre PĂ©trone l’Eustion, l’Albutia, et les petits poĂ«mes connus sous le nom de PriapĂ©es Lusus in Priapum, ainsi que les Ă©pigrammes revendiquĂ©es par les diffĂ©rents PĂ©trone, et dont Lotichius a grossi son recueil. Cependant Tillemont fait auteur de la plupart d’entre elles le poĂ«te Optatien Porphyre, qu’il ne faut pas confondre avec Porphyre le philosophe. Selon RaphaĂ«l de Volterre, on doit aussi faire honneur Ă  PĂ©trone d’un grand nombre de Fragments poĂ©tiques sur la mĂ©decine ; mais, comme l’observe Conrad Gesner, il est Ă©vident que l’on confond ici PĂ©trone avec Petrichius, qui, au rapport de Pline, a Ă©crit en vers sur les matiĂšres mĂ©dicales. Enfin, La Monnoie donne, sans hĂ©siter, Ă  PĂ©trone, la jolie Ă©pigramme latine de la Boule de neige, qu’Antoine Govea s’est appropriĂ©e, page 11 de son Recueil, imprimĂ© Ă  Lyon en 1540, chez SĂ©bastien Gryphius. Les bibliomanes, qui dĂ©sireraient avoir sous les yeux une nomenclature plus Ă©tendue des diverses Ă©ditions de PĂ©trone, peuvent consulter l’Histoire de la littĂ©rature française, par Labastide et d’Ussieux. II DES PRINCIPALES TRADUCTIONS FRANÇAISES DE PÉTRONE. Il semble qu’un auteur aussi galant que PĂ©trone ne pouvait manquer de trouver en France beaucoup de traducteurs ou d’imitateurs. Cependant nous ne sommes pas trĂšs riches de ce cĂŽtĂ©. Le premier morceau du Satyricon que l’on ait fait passer en notre langue est la Matrone d’ÉphĂšse, et c’est un moine qui s’en avisa. On la trouve sous le titre de Fable du chevalier et de la femme veuve, dans celles d’Ésope, d’Avianus et du Poge, publiĂ©es en français, l’an 1475, par frĂšre Julien des Augustins de Lyon, docteur en thĂ©ologie. Comme il n’existe point d’édition de PĂ©trone qui date de si loin, frĂšre Julien avait probablement tirĂ© cette fable de quelque manuscrit du Satyricon, enseveli dans la bibliothĂšque de son couvent ; mais il n’en dit rien. C’est sur le mĂȘme Ă©pisode que Brinon de Baumartin bĂątit, en 1614, sa tragi-comĂ©die de l’ÉphĂ©sienne. On en trouve aussi une imitation dans le QuatriĂšme discours de BrantĂŽme sur les femmes galantes ; une autre dans la trente-quatriĂšme lettre du Recueil Ă©pistolaire de MĂ©rĂ©. Tout le monde sait que La Fontaine a fait de la Matrone d’ÉphĂšse l’un de ses plus jolis contes. Saint-Évremond s’est Ă©galement amusĂ© Ă  traduire ce passage cĂ©lĂšbre sa traduction, assez littĂ©rale, est en prose, et suit immĂ©diatement sa Dissertation sur PĂ©trone. Elle a trouvĂ© un nouveau traducteur dans Lavaleterie [19] . On doit encore Ă  ce dernier une imitation du dĂ©but de PĂ©trone contre les dĂ©clamateurs. FrĂ©ron, dans ses Opuscules, a traduit le mĂȘme fragment. PrĂ©pĂ©tit de Grammont a mis en vers français ceux que dĂ©clame Agamemnon sur la poĂ©sie latine. Ces diffĂ©rents essais sont agrĂ©ables Ă  lire ; mais ils sont loin de soutenir la comparaison avec l’original, dont ils ne sont qu’une faible copie ; j’en excepte le conte de La Fontaine. Dans son Histoire amoureuse des Gaules, Bussy-Rabutin introduit le comte de Guiche racontant sa dolente aventure avec la comtesse d’Olonne. Ses rendez-vous, ses dĂ©sirs, son impatience amoureuse cruellement trompĂ©e par ses sens en dĂ©faut, ses serments de rĂ©parer sa faute, sa rechute involontaire, l’emportement de sa maĂźtresse, tout, jusqu’aux lettres des deux amants, est une traduction littĂ©rale des Amours de PolyƓnos et de CircĂ©. Rabutin n’avait point indiquĂ© la source oĂč sa plume trop maligne avait puisĂ© les parties offensĂ©es ne prirent point la raillerie, comme Joconde, en vĂ©ritables gens de cour. L’indiscret plagiaire pouvait acheter sa grĂące, en dĂ©celant dans PĂ©trone le principal et le premier coupable ; mais l’amour-propre du bel-esprit l’emporta ; il ne dit rien, et son silence lui valut la Bastille et l’exil. Nul peut-ĂȘtre n’était plus capable de faire parler PĂ©trone en français que Bussy-Rabutin. On assure qu’il l’avait entrepris de concert avec le marĂ©chal de Vivonne et le cĂ©lĂšbre abbĂ© de la Trappe ; mais les scrupules tardifs du dernier firent Ă©chouer ce projet. Il n’est personne qui ne connaisse la traduction en vers du poĂ«me de la Guerre civile, donnĂ©e en 1737 par le prĂ©sident Bouhier. Le public applaudit alors Ă  son Ă©lĂ©gance ; on y voudrait aujourd’hui plus de chaleur ; mais la critique la plus sĂ©vĂšre ne contestera jamais aux notes qui l’accompagnent le mĂ©rite du goĂ»t le plus pur et de l’érudition sans faste. Parmi les mille et une traductions dont l’infatigable abbĂ© de Marolles fit gĂ©mir les presses de son siĂšcle, on compte une version en prose du festin de Trimalchion, publiĂ©e en 1677, et non moins plate qu’infidĂšle. Goujet attribue encore Ă  l’abbĂ© de Marolles le PĂ©trone en vers français, imprimĂ© chez Barbin en 1667, d’aprĂšs l’édition latine de GabbĂ©ma. Marolles, dont la modestie n’était pas la vertu favorite, et qui se vantait avec complaisance d’avoir enfantĂ© cent trente trois mille cent vingt-quatre vers, se dĂ©guisa pourtant, dans ce recueil, sous les lettres M. L. D. B. ; mais il aurait dĂ» condamner ses vers maussades Ă  l’oubli, comme alors il y condamna son nom. On prĂ©tend, ajoute Goujet, que François Galaup de Chasteuil, Provençal, homme de beaucoup d’esprit, mort en 1678, avait traduit tout ce qui nous reste de PĂ©trone ; et Gui-Patin parle, dans ses Lettres, d’un savant qui, aprĂšs avoir rempli les lacunes du Satyricon, ne put obtenir la permission d’en publier une Ă©dition latine et française. Les Ă©diteurs des poĂ©sies de Lainez attribuent Ă  cet aimable Ă©picurien une traduction complĂšte du Satyricon ; elle s’est perdue manuscrite, et l’on ne peut que regretter cette perte. Les Fragments d’histoire et de littĂ©rature, imprimĂ©s Ă  la Haye, en 1706, parlent d’une autre traduction anonyme de la premiĂšre partie du Festin de Trimalchion, publiĂ©e en 1687. Le traducteur, dit-on dans ces Fragments, a trouvĂ© le secret de changer un auteur trĂšs-impur en un poĂ«te trĂšs-chaste, qui peut ĂȘtre lu par les dĂ©votes mĂȘmes dans leurs moments de loisir. » Beau service rendu Ă  PĂ©trone ! Fabricius, dans sa BibliothĂšque latine, fait mention d’une traduction plus complĂšte par Venette, auteur du Tableau de l’amour conjugal. Elle parut Ă  Amsterdam en 1697 ; mais elle Ă©tait dĂ©jĂ  devenue si rare au bout de quelques annĂ©es, que les compilateurs de l’Histoire littĂ©raire de France, malgrĂ© toutes leurs recherches, ne purent, de leur aveu mĂȘme, s’en procurer un seul exemplaire. Ce savant mĂ©decin avait aussi composĂ© un dictionnaire raisonnĂ© du Satyricon, pour en faciliter l’intelligence il est restĂ© manuscrit. Il est plus aisĂ© de se procurer la traduction du Festin de Trimalchion [20] , donnĂ©e par Lavaur, en 1726, sous le titre d’Histoire secrĂšte de NĂ©ron. Les notes et la prĂ©face en sont la partie la plus estimable. Nodot, dĂ©jĂ  connu par ses Fragments de Belgrade, voulut avoir l’honneur d’enrichir le public de ce qu’il appelait une traduction entiĂšre du Satyricon. Sa premiĂšre Ă©dition parut, en 1694, Ă  Cologne ; la seconde, plus estimĂ©e, est de 1713, Ă  Paris. On ne peut nier qu’il n’ait assez fidĂšlement rendu les pensĂ©es de l’original ; mais sa prose dĂ©nuĂ©e de grĂące et ses vers prosaĂŻques n’ont fait de PĂ©trone qu’un squelette pour ceux qui ne peuvent l’admirer dans sa langue. Ses notes historiques et critiques supposent plus de connaissance des usages antiques que d’habitude Ă  sentir les beautĂ©s des anciens. Son Ă©dition a du moins cela de recommandable pour les esprits superficiels, qu’elle est la seule qui rĂ©unisse Ă  un texte sans lacune apparente une traduction assez exacte, quoique fort maussade. En 1742 parut Ă  Londres, chez Nourse, une traduction nouvelle de PĂ©trone, par Dujardin, cachĂ© sous le nom de BoisprĂ©aux. Il a suivi, comme Nodot, le texte de Belgrade ; mais il s’est dispensĂ© de le joindre Ă  sa traduction. Elle est plus Ă©lĂ©gante, plus vive, plus enjouĂ©e que celle de son prĂ©dĂ©cesseur ; mais BoisprĂ©aux, moins fidĂšle que lui, tronque souvent l’original, mĂȘme dans sa prose, ce qui ne peut s’excuser. Sa plume, qu’il croit l’épĂ©e d’Alexandre, coupe le nƓud gordien qu’il eĂ»t fallu dĂ©lier. Est-ce pour se dĂ©rober au dĂ©savantage de la comparaison que BoisprĂ©aux a privĂ© du texte les admirateurs de PĂ©trone [21] ? Ce qui me plairait le plus dans son ouvrage serait la prĂ©face, si elle ne pouvait passer pour un plagiat de Saint-Évremond, qu’il ne daigne pas nommer. La derniĂšre traduction de PĂ©trone que je connaisse est celle de Durand, publiĂ©e par GĂ©rard, Paris, 1803 ; elle n’est pas plus exacte que celle de BoisprĂ©aux comme lui, le nouveau traducteur allonge, tronque l’original Ă  sa fantaisie, au point de le rendre quelquefois mĂ©connaissable. J’allais augmenter cette dissertation d’un beau chapitre sur la morale de PĂ©trone ; mais, me suis-je dit, ce titre seul menacerait d’un sermon, et ce siĂšcle n’aime pas les sermons. J’ai donc dĂ©chirĂ© mon chapitre. T. PÉTRONE LE SATYRICON DE T. PÉTRONE CHEVALIER ROMAIN __________ CHAPITRE I. Il y a bien longtemps que je vous promets le rĂ©cit de mes aventures ; je veux tenir aujourd’hui ma parole. Puisque nous voici rĂ©unis, moins pour nous livrer Ă  des dissertations savantes, que pour ranimer par des contes plaisants la gaietĂ© de nos entretiens, profitons, mes amis, de l’heureuse occasion qui nous rassemble. Fabricius VĂ©jento vient de vous entretenir, en homme d’esprit, des impostures sacerdotales. Il vous a peint les prĂȘtres prĂ©parant Ă  loisir leurs fureurs prophĂ©tiques, ou commentant avec impudence des mystĂšres qu’ils ne comprennent point. Mais[1] est-elle moins plaisante, la manie des dĂ©clamateurs ? Entendez-les s’écrier — Ces blessures honorables, c’est pour la libertĂ© que je les ai reçues ! Cet Ɠil qui me manque, c’est pour vous que je l’ai perdu ! Qui me donnera un guide pour me conduire vers mes enfants ? mes genoux cicatrisĂ©s[2] flĂ©chissent sous le poids de mon corps ! — Tant d’emphase serait supportable, si elle ouvrait Ă  leurs Ă©lĂšves la route de l’éloquence ; mais cette enflure de style, ce jargon sentencieux, Ă  quoi servent-ils ? Les jeunes gens, lorsqu’ils dĂ©butent au barreau, se croient transportĂ©s dans un nouveau monde. Ce qui fait de nos Ă©coliers autant de maĂźtres sots, c’est que tout ce qu’ils voient et entendent dans les Ă©coles ne leur offre aucune image de la sociĂ©tĂ©. Sans cesse on y rebat leurs oreilles de pirates en embuscade sur le rivage et prĂ©parant des chaĂźnes Ă  leurs captifs ; de tyrans dont les barbares arrĂȘts condamnent des fils Ă  dĂ©capiter leurs propres pĂšres ; d’oracles dĂ©vouant Ă  la mort trois jeunes vierges, et quelquefois plus, pour le salut des villes dĂ©peuplĂ©es par la peste. C’est un dĂ©luge de pĂ©riodes mielleuses agrĂ©ablement arrondies actions et discours, tout est saupoudrĂ© de sĂ©same et de pavot. CHAPITRE II. Nourri de pareilles fadaises, comment leur goĂ»t pourrait-il se former ? un cuistre sent toujours sa cuisine[1]. Ne vous en dĂ©plaise, Ô rhĂ©teurs, c’est de vous que date la chute de l’éloquence. En rĂ©duisant le discours Ă  une harmonie puĂ©rile, Ă  de vains jeux de mots, vous en avez fait un corps sans Ăąme, un squelette. On n’exerçait pas encore la jeunesse Ă  ces dĂ©clamations, quand le gĂ©nie des Sophocle et des Euripide crĂ©a pour la scĂšne un nouveau langage. Un pĂ©dant, croupi dans la poussiĂšre des classes, n’étouffait point encore le talent dans son germe, quand la muse de Pindare et de ses neuf rivaux osa faire entendre des chants dignes d’HomĂšre[2]. Et, sans citer les poĂ«tes, je ne vois point que Platon ni DĂ©mosthĂšne se soient exercĂ©s dans ce genre de composition. Semblable Ă  une vierge pudique, la vĂ©ritable Ă©loquence ne connaĂźt point le fard. Simple et modeste, elle s’élĂšve naturellement, et n’est belle que de sa propre beautĂ©. C’est depuis peu que ce dĂ©bordement d’expressions boursouflĂ©es a refluĂ© de l’Asie dans AthĂšnes. Astre malin, son influence meurtriĂšre a comprimĂ© chez la jeunesse les Ă©lans du gĂ©nie, et dĂšs lors les sources de la vĂ©ritable Ă©loquence se sont taries. À dater de cette Ă©poque, quel historien approcha de la perfection de Thucydide, de la renommĂ©e d’HypĂ©ride ? Citez-moi un seul vers oĂč le bon goĂ»t Ă©tincelle tous ces avortons littĂ©raires ressemblent Ă  ces insectes qu’un seul jour voit naĂźtre et mourir. La peinture a eu le mĂȘme sort, depuis que la prĂ©somptueuse Égypte abrĂ©gea les procĂ©dĂ©s et les rĂšgles de cet art sublime. — Je tenais un jour Ă  peu prĂšs ce langage, quand Agamemnon s’approcha de nous, et, d’un Ɠil curieux, chercha Ă  savoir quel Ă©tait l’orateur que la foule Ă©coutait avec tant d’attention. CHAPITRE III. Impatient de m’entendre pĂ©rorer si longtemps sous le portique, tandis qu’il venait de s’enrouer sans succĂšs dans sa classe, Agamemnon m’adressa ainsi la parole — Jeune homme, vos expressions ne sont pas dans le goĂ»t du jour. Vous avez du bon sens, qualitĂ© rare Ă  votre Ăąge ; je veux vous dĂ©voiler les secrets de mon art. Le vice de nos leçons n’est point la faute des professeurs. Devant des tĂȘtes sans cervelle, il faut bien qu’on dĂ©raisonne. Comme l’a dit CicĂ©ron, si l’enseignement n’est point agrĂ©able Ă  l’élĂšve, le maĂźtre reste bientĂŽt sans auditeurs. » Ainsi l’adroit parasite, qui veut ĂȘtre admis Ă  la table du riche, prĂ©pare d’avance un choix de contes agrĂ©ables pour les convives il ne peut parvenir Ă  son but sans tendre un piĂšge aux oreilles de ses auditeurs. Autrement, il en est du maĂźtre d’éloquence comme du pĂȘcheur qui, faute d’attacher Ă  ses hameçons l’appĂąt le plus propre Ă  attirer le poisson, se morfond sur un rocher, sans espoir de butin. CHAPITRE IV. Ainsi donc le blĂąme doit retomber sur les parents seuls, eux qui redoutent pour leurs enfants une Ă©ducation mĂąle et sĂ©vĂšre. Ils commencent par sacrifier, comme le reste, leur espĂ©rance mĂȘme Ă  l’ambition ; ensuite, pour arriver plus promptement au but de leurs dĂ©sirs, ils lancent dans le barreau ces apprentis orateurs ; et l’éloquence dont l’homme mĂ»r peut Ă  peine, de leur propre aveu, atteindre la hauteur, ils la rapetissent Ă  la taille d’un marmot. Avec plus de patience, les Ă©tudes seraient mieux graduĂ©es ; on verrait une jeunesse studieuse Ă©purer insensiblement son goĂ»t par la mĂ©ditation des bons livres, plier peu Ă  peu son Ăąme au joug de la sagesse, corriger impitoyablement son style, et Ă©couter avec une attention soutenue les modĂšles qu’elle veut imiter ; enfin, on la verrait refuser son admiration Ă  tout ce qui sĂ©duit ordinairement l’enfance. C’est alors que l’éloquence reprendrait et sa noblesse et son imposante majestĂ©. Mais aujourd’hui ces mĂȘmes hommes qui, dans leur enfance, traitent l’étude comme un jeu, dans leur adolescence sont la fable du barreau, et, pour comble de folie, parvenus Ă  la vieillesse, ne veulent point convenir du vice de leur premiĂšre Ă©ducation. Ce n’est pas que j’improuve tout Ă  fait cet art facile d’improviser, dont Lucilius est le pĂšre[1] ; je vais moi-mĂȘme vous en donner un exemple de ma façon CHAPITRE V. Le gĂ©nie est enfant de la frugalitĂ©. Toi dont l’orgueil aspire Ă  l’immortalitĂ©, De la table des grands fuis le luxe perfide. Les vapeurs de Bacchus offusquent la raison, _______Et la vertu rigide Devant le vice heureux, craint de courber son front. On ne doit point te voir assis sur un théùtre, ____CouronnĂ© de honteuses fleurs, Aux applaudissements d’une foule idolĂątre ____MĂȘler d’indĂ©centes clameurs. L’honneur t’appelle Ă  Naple ou dans le sein d’AthĂšne LĂ , ton premier encens fume pour Apollon, Et tu bois Ă  longs traits l’onde castalienne. Vers Socrate bientĂŽt la sagesse t’entraĂźne ;____Et dĂ©jĂ  ta main plus certaine, Saisit avec succĂšs la plume de Platon,____Ou les foudres de DĂ©mosthĂšne. À ton goĂ»t Ă©purĂ© le Parnasse latin Peut offrir Ă  son tour les plus parfaits modĂšles, Soit que ta lyre chante ou les guerres cruelles, Ou des fils de PĂ©lops le tragique festin. Virgile des hĂ©ros Ă©ternisa la gloire ; LucrĂšce Ă  la nature arracha son bandeau ;____CicĂ©ron tonnait au barreau ; Tacite des tyrans a flĂ©tri la mĂ©moire
. Pour Ă©galer un jour ces Ă©crivains ; c’est la source fĂ©conde D’oĂč tes vers, Ă  plein bord, couleront comme l’onde____D’un fleuve impĂ©tueux. CHAPITRE VI. Tandis que j’écoutais avidement Agamemnon, Ascylte m’avait quittĂ© sans que je m’en aperçusse. Tout en rĂ©flĂ©chissant sur cette longue tirade, je vis le portique subitement inondĂ© d’une troupe de jeunes Ă©tudiants. Ils venaient sans doute d’assister Ă  je ne sais quelle harangue qu’avait improvisĂ©e certain rhĂ©teur, en rĂ©ponse Ă  celle d’Agamemnon. L’un en critiquait les pensĂ©es, l’autre en tournait le style en ridicule, un troisiĂšme n’y trouvait ni plan, ni mĂ©thode. Moi, profitant de l’occasion, je m’esquive parmi la foule ; et me voilĂ  Ă  la poursuite de mon fugitif. Grand Ă©tait mon embarras ; les chemins m’étaient peu connus, et j’ignorais oĂč Ă©tait situĂ©e notre auberge. AprĂšs bien des dĂ©tours, je revenais toujours au point d’oĂč j’étais parti. Enfin, extĂ©nuĂ© de fatigue, inondĂ© de sueur, j’aborde une petite vieille qui vendait de grossiers lĂ©gumes. CHAPITRE VII. — Bonne mĂšre, lui dis-je, ne sauriez-vous point oĂč je demeure ? — Cette naĂŻvetĂ© la fit sourire. — Pourquoi non ? rĂ©pond-elle gaiement. — AussitĂŽt elle se lĂšve et marche devant moi. Je la suis, tentĂ© de la croire inspirĂ©e. ArrivĂ©s ensemble vers une ruelle obscure, la vieille leva le rideau d’une porte ; puis — VoilĂ  sans doute votre logis. — Je m’en dĂ©fendis, comme on pense. Pendant notre altercation, j’aperçois entre deux rangs d’écriteaux, et, au milieu de femmes nues, des promeneurs mystĂ©rieux. Trop tard alors je reconnus le piĂšge j’étais dans une maison de prostitution. Furieux contre la maudite vieille, je me couvre la tĂȘte d’un pan de ma robe ; et me voilĂ  courant de toute ma force Ă  travers cette infĂąme demeure, jusqu’à l’issue opposĂ©e. Je touchais au seuil de la porte, quand tout Ă  coup je donne du nez contre Ascylte. Le malheureux Ă©tait non moins fatiguĂ©, non moins mourant que moi. On eĂ»t dit que la vieille sorciĂšre avait pris Ă  tĂąche de nous rassembler lĂ  tous les deux. Je ne pus m’empĂȘcher de l’aborder en riant. — Eh ! bonjour, m’écriai-je ; que fais-tu donc dans cette honnĂȘte maison ? CHAPITRE VIII. — HĂ©las ! rĂ©pondit-il, en essuyant la sueur de son visage, si tu savais ce qui m’est arrivĂ© ! — Bon ! rĂ©pliquai-je, qu’y a-t-il de nouveau ? — Ascylte, d’une voix presque Ă©teinte, reprit en ces termes j’errais de rue en rue sans pouvoir retrouver mon gĂźte. Un vieillard d’un extĂ©rieur vĂ©nĂ©rable m’aborde, et, voyant mon inquiĂ©tude, s’offre obligeamment Ă  me remettre sur la voie. J’accepte ; nous traversons plusieurs rues dĂ©tournĂ©es, et nous voilĂ  dans cette maison. À peine arrivĂ©s, cet homme tire sa bourse d’une main, et de l’autre
. L’infĂąme ! il ose marchander mon dĂ©shonneur au poids de l’or. DĂ©jĂ  la digne hĂŽtesse de ce lieu avait reçu le prix d’un cabinet ; dĂ©jĂ  notre satyre me pressait d’un bras impudique. Sans la vigueur de ma rĂ©sistance, mon cher Encolpe, vous m’entendez
. ! — Pendant ce rĂ©cit d’Ascylte, survient prĂ©cisĂ©ment le vieillard en question, accompagnĂ© d’une femme assez jolie. S’adressant Ă  Ascylte — Dans cette chambre, dit-il, le plaisir vous attend ; rassurez-vous sur le genre du combat, le choix du rĂŽle est Ă  votre disposition. — La jeune femme, de son cĂŽtĂ©, me pressait Ă©galement de consentir Ă  la suivre. Nous nous laissĂąmes tenter ; et, sur les pas de nos guides, nous traversĂąmes plusieurs salles, théùtres lubriques des jeux de la voluptĂ©. À la fureur des combattants, on les eĂ»t crus ivres de satyrion[1]. À notre aspect, ils redoublĂšrent de postures lascives, pour nous engager Ă  les imiter. Tout Ă  coup l’un d’eux retrousse sa robe jusqu’à la ceinture, et, se prĂ©cipitant sur Ascylte, le renverse sur un lit voisin, et veut lui faire violence. Je vole au secours du pauvre patient, et nos efforts rĂ©unis triomphent sans peine de ce brutal assaillant. Ascylte gagne aussitĂŽt la porte et s’enfuit, me laissant seul en butte aux attaques de leur dĂ©bauche effrĂ©nĂ©e ; mais, supĂ©rieur en force et en courage, je sortis sain et sauf de ce nouvel assaut. CHAPITRE IX. Je parcourus presque toute la ville avant de retrouver mon gĂźte. Enfin, comme Ă  travers un Ă©pais brouillard, j’aperçus au coin d’une rue Giton debout sur la porte d’une auberge c’était la nĂŽtre. J’entre, il me suit. — Mon ami, lui dis-je, qu’avons-nous pour dĂźner ? — Pour toute rĂ©ponse, Giton s’assied sur le lit ; et ses larmes, qu’il essuie vainement, coulent en abondance. Ému de sa douleur, j’en veux connaĂźtre le sujet il s’obstine au silence ; j’insiste ; aux priĂšres je mĂȘle les menaces ; il se rend enfin ; et montrant Ascylte — Cet ami si fidĂšle[1], dit-il, ce compagnon de vos plaisirs, Ascylte a devancĂ© ici votre venue. Me trouvant seul, il a voulu faire outrage par la force Ă  ma pudeur. J’ai criĂ© Ă  la violence ; mais lui, tirant son Ă©pĂ©e Si tu fais la LucrĂšce, m’a-t-il dit, tu as trouvĂ© ton Tarquin. » — À ces mots, peu s’en fallut que je n’arrachasse les yeux au perfide. — Que rĂ©pondras-tu, m’écriai-je, infĂąme dĂ©bauchĂ©, plus vil que les plus viles courtisanes ! toi dont la bouche mĂȘme ne craint point de se souiller de la façon la plus honteuse ! — Ascylte affecte alors une indignation qu’il ne sentait guĂšre ; et, agitant ses bras d’une maniĂšre menaçante, il le prend sur un ton beaucoup plus haut que le mien — Oses-tu parler, vil gladiateur ! s’écrie-t-il Ă  son tour ; toi, lĂąche assassin de ton hĂŽte ! qui n’es Ă©chappĂ© que par miracles aux charniers de l’amphithéùtre ! Oses-tu parler, toi, voleur de nuit, qui, mĂȘme lorsque tu n’étais pas encore rĂ©duit Ă  l’impuissance, n’as jamais Ă©tĂ© aux prises avec une femme honnĂȘte ! toi qui, dans certain bosquet, m’as fait servir un jour de GanymĂšde Ă  ta lubricitĂ©, comme cet enfant t’en sert aujourd’hui dans ce cabaret. — Mais, repris-je, pourquoi t’esquiver pendant mon entretien avec Agamemnon ? CHAPITRE X. — ImbĂ©cile ! que voulais-tu que je fisse lĂ  ? Je mourais de faim ; pouvais-je m’arrĂȘter Ă  Ă©couter les sornettes d’un pĂ©dant, les rĂȘves d’un visionnaire ? Le scrupule te sied bien, quand, pour escroquer un souper, tu t’es fait le prĂŽneur d’un mĂ©chant poĂ«te. — Peu Ă  peu cette ridicule dispute se tourna en plaisanterie. Nous commençùmes Ă  parler plus doucement d’autres choses. Au fond pourtant la perfidie d’Ascylte ne me laissait pas sans rancune. — Tiens, lui dis-je, toute rĂ©flexion faite, nos humeurs ne sympathisent point. Partant, faisons deux lots de notre petit bagage, et que chacun de nous aille tenter fortune de son cĂŽtĂ©. Nous pouvons nous flatter l’un et l’autre de quelque mĂ©rite littĂ©raire ; mais, pour ne pas aller sur tes brisĂ©es, je chercherai quelque autre profession ; autrement, ce serait entre nous chaque jour de nouveaux dĂ©bats, et nous serions bientĂŽt la fable de toute la ville. — Soit, rĂ©pond Ascylte. Mais nous sommes invitĂ©s ce soir Ă  un grand souper en notre qualitĂ© de savants ; ne perdons pas une soirĂ©e si agrĂ©able, et demain, puisque vous le voulez, je saurai me pourvoir d’un gĂźte et d’un mignon. — Pourquoi remettre Ă  demain, rĂ©pliquai-je, cet arrangement qui nous convient Ă  tous deux ? — C’est l’amour qui me faisait dĂ©sirer si ardemment cette sĂ©paration. Depuis longtemps j’aspirais Ă  me dĂ©barrasser d’un tĂ©moin importun pour me livrer sans contrainte Ă  ma passion pour Giton. — Ascylte, piquĂ© au vif, sortit brusquement sans dire mot. Son dĂ©part prĂ©cipitĂ© Ă©tait d’un sinistre augure. Connaissant l’emportement de ce jeune homme, et la fougue de ses passions, je le suivis pour observer ses dĂ©marches et dĂ©jouer ses projets ; mais il se dĂ©roba bientĂŽt Ă  ma vue, et toutes mes recherches furent inutiles. CHAPITRE XI. AprĂšs avoir furetĂ© dans tous les quartiers de la ville, je rentrai au logis, et je me consolai dans les bras de Giton. Je l’enlaçai des plus Ă©troits embrassements, et mon bonheur, Ă©gal Ă  mes dĂ©sirs, fut vĂ©ritablement digne d’envie. Nous prĂ©ludions Ă  de nouveaux plaisirs, quand, arrivant Ă  pas de loup, Ascylte enfonce la porte avec fracas, et nous surprend, Giton et moi, au milieu de nos plus vives caresses. AussitĂŽt, remplissant notre Ă©troite demeure de ses Ă©clats de rire et de ses applaudissements, le perfide lĂšve gravement le manteau qui nous couvrait — Ah ! ah ! dit-il, que faisiez-vous lĂ , homme de bien[1] ? Quoi ! logĂ©s Ă  deux sous la mĂȘme couverture ! — Non content de ces sarcasmes, le coquin dĂ©tache sa ceinture de cuir, et le voilĂ  qui m’étrille, non de main morte, en ajoutant insolemment — Cela t’apprendra une autre fois Ă  ne pas rompre avec Ascylte ! — Tant d’audace m’atterra. Il fallut bien digĂ©rer en silence les Ă©pigrammes et les coups. Je pris donc la chose en plaisanterie c’était le plus prudent ; sans cela il eĂ»t fallu en venir Ă  un combat sĂ©rieux avec mon rival. Ma fausse gaietĂ© l’apaisa. — Encolpe, me dit-il en souriant, tu t’endors dans la mollesse, et tu ne songes pas que l’argent nous manque ! Ce qui nous reste est peu de chose. La ville n’offre aucune ressource dans les beaux jours ; la campagne nous sera, j’espĂšre, plus propice ; allons voir nos amis. — Quelque dur qu’il me fĂ»t d’avaler ainsi la pilule, je fis de nĂ©cessitĂ© vertu. Giton se chargea de notre mince bagage ; nous sortĂźmes de la ville, et nous nous dirigeĂąmes vers le chĂąteau de Lycurgue, chevalier romain. Ascylte avait eu jadis des bontĂ©s pour lui ; il nous reçut d’une maniĂšre affable ; nous trouvĂąmes bonne compagnie, et nous y passĂąmes le temps trĂšs-agrĂ©ablement. Parmi les femmes rĂ©unies en ce lieu, TryphĂšne Ă©tait la plus jolie. Elle Ă©tait venue avec un patron de vaisseau nommĂ© Lycas, possesseur de quelques domaines sur le bord de la mer. Si la table de Lycurgue n’était pas splendide, sa maison de campagne, en rĂ©compense, nous offrit Ă  profusion tous les autres plaisirs. Vous saurez d’abord que l’amour prit soin de nous assortir par couples. TryphĂšne Ă©tait belle elle me plut, et ne se montra pas rebelle Ă  mes vƓux. Mais, Ă  peine goĂ»tions-nous ensemble les premiers plaisirs, quand Lycas, s’écriant que je lui volais sa maĂźtresse, s’avisa d’exiger que je la remplaçasse auprĂšs de lui. Leur intrigue commençait Ă  vieillir, et il me proposa gaiement de l’indemniser par cet Ă©change. BientĂŽt son caprice pour moi devint une vĂ©ritable persĂ©cution ; mais mon cƓur brĂ»lait pour TryphĂšne, et je fermais l’oreille aux propositions de Lycas. Le refus irritant ses dĂ©sirs, il me suivait partout. Une nuit, il pĂ©nĂštre dans ma chambre ; se voyant rebutĂ©, il passe des priĂšres Ă  la violence mes cris furent si aigus, qu’ils rĂ©veillĂšrent les valets ; et, grĂące au secours de Lycurgue, j’échappai sain et sauf aux attaques de ce brutal. Voyant que la maison de Lycurgue opposait trop d’obstacles Ă  ses desseins, Lycas voulut m’attirer chez lui. Sur mon refus, il m’en fit de nouveau prier par TryphĂšne. Cette complaisance coĂ»ta d’autant moins Ă  la belle, qu’elle se flattait de trouver chez Lycas plus de libertĂ©. Je suivis enfin l’impulsion de l’amour, et voici ce que nous dĂ©cidĂąmes Lycurgue gardait Ascylte son ancien goĂ»t pour lui s’était rĂ©veillĂ© ; Giton et moi nous devions suivre Lycas. Il fut en outre convenu, entre Ascylte et moi, que le butin que chacun de nous pourrait faire dans l’occasion appartiendrait de droit Ă  la masse commune. Ravi de cet arrangement, l’impatient Lycas hĂąta notre dĂ©part. Nous prĂźmes donc sur le champ congĂ© de nos amis, et nous arrivĂąmes le mĂȘme jour chez Lycas. Il avait si bien pris ses mesures qu’il Ă©tait placĂ© Ă  cĂŽtĂ© de moi dans la route, et TryphĂšne, prĂšs de Giton. Il connaissait l’inconstance de cette femme ; c’était un piĂ©ge qu’il lui tendait ; elle y fut prise. PrĂšs de cet aimable enfant, le cƓur de TryphĂšne fut bientĂŽt en feu. Je ne tardai point Ă  m’en apercevoir ; et Lycas, comme on peut le croire, ne cherchait point Ă  m’en dissuader. Cette circonstance introduisit dans notre commerce moins de froideur de ma part, ce qui le combla de joie. Il espĂ©rait que le dĂ©pit me ferait oublier l’infidĂšle, et qu’il gagnerait sur mon cƓur ce qu’elle y perdait de son empire. Telle Ă©tait notre situation rĂ©ciproque chez Lycas. Si TryphĂšne se consumait d’amour pour Giton, Giton le lui rendait de son mieux, et leur flamme mutuelle Ă©tait un double tourment pour moi. Cependant Lycas, pour me plaire, inventait chaque jour de nouveaux plaisirs. Sa jeune Ă©pouse, l’aimable Doris, les embellissait en les partageant ; et ses grĂąces chassĂšrent enfin TryphĂšne de mon cƓur. Mes yeux languissants firent bientĂŽt Ă  Doris l’aveu de mon amour ; et ses regards plus animĂ©s me promirent un doux retour. Cette Ă©loquence muette, plus rapide, plus expressive que la parole, fut seule pendant quelque temps l’interprĂšte discret de nos dĂ©sirs. La jalousie de Lycas ne m’avait point Ă©chappĂ©, et l’amoureuse Doris ne pouvait ĂȘtre la dupe des attentions de son mari pour moi ; c’est ce qui nous forçait au silence. DĂšs notre premiĂšre entrevue, elle me communiqua ses soupçons. En avouant de bonne foi ce qu’il en Ă©tait, je fis adroitement valoir auprĂšs d’elle la rĂ©sistance sĂ©vĂšre que j’avais toujours opposĂ©e Ă  son mari. Mais, admirez les ressources de l’esprit fĂ©minin ! — Usons de ruse, me dit-elle ; et, pour possĂ©der Doris, souffrez que Lycas vous possĂšde. — Je suivis ce conseil, et je m’en trouvai bien. Cependant Giton, Ă©puisĂ© par TryphĂšne, tĂąchait de rĂ©parer ses forces par un peu de repos. L’inconstante alors revint Ă  moi. Mes rebuts changĂšrent son amour en fureur. Sans cesse attachĂ©e Ă  mes pas, elle eut bientĂŽt dĂ©couvert ma double intrigue avec les deux Ă©poux. Le goĂ»t du mari pour moi ne la sevrait de rien ; elle s’en inquiĂ©ta peu, mais elle rĂ©solut de troubler mes amours furtifs avec Doris. Elle court chez Lycas, et lui dĂ©voile tout le mystĂšre. DĂ©jĂ  la jalousie de cet homme, plus forte que son amour, mĂ©ditait une vengeance Ă©clatante. Heureusement Doris fut prĂ©venue Ă  temps par l’une des femmes de sa rivale, et, pour conjurer l’orage, nous suspendĂźmes nos rendez-vous et nos plaisirs. IndignĂ© de la perfidie de TryphĂšne et de l’ingratitude de Lycas, je rĂ©solus de quitter la place. L’occasion Ă©tait d’autant plus favorable que, la veille, un vaisseau richement chargĂ© d’offrandes pour la fĂȘte d’Isis avait Ă©chouĂ© sur la cĂŽte voisine. Je tins lĂ -dessus conseil avec Giton. Mon dessein ne pouvait que lui plaire ; car son Ă©tat de faiblesse ne lui valait plus auprĂšs de TryphĂšne que des dĂ©dains. Le lendemain donc, dĂšs la pointe du jour, nous gagnĂąmes le rivage de la mer. Nous montĂąmes Ă  bord d’autant plus aisĂ©ment que nous Ă©tions dĂ©jĂ  connus des gens prĂ©posĂ©s par Lycas Ă  la garde du navire. Pour mieux nous en faire les honneurs, ils se crurent obligĂ©s de nous accompagner partout. Tant de politesse ne faisait pas notre compte ; elle nous liait les mains. Aussi, laissant Giton avec eux, je m’esquive adroitement. Dans une chambre voisine de la poupe Ă©tait la statue de la dĂ©esse ; je m’y glisse. Une robe prĂ©cieuse la couvrait, et sa main portait un sistre d’argent ; j’enlĂšve le sistre et la robe. De lĂ , passant dans la cabine du pilote, je fais un paquet des meilleures nippes, puis, Ă  l’aide d’un cĂąble officieux, je m’élance hors du vaisseau. Giton seul avait observĂ© mes dĂ©marches ; il se dĂ©barrasse adroitement de ses gardes, et me rejoint un moment aprĂšs. DĂšs que je l’aperçus, je lui montrai ma proie, et nous convĂźnmes d’aller trouver Ascylte au plus tĂŽt ; mais nous ne pĂ»mes arriver que le lendemain Ă  la maison de Lycurgue. En abordant Ascylte, je le mis en peu de mots au fait de notre heureux larcin et des revers que nous avions Ă©prouvĂ©s dans nos amours. D’aprĂšs son conseil, je courus prĂ©venir l’esprit de Lycurgue en notre faveur ; je l’assurai que les nouvelles importunitĂ©s de Lycas avaient seules motivĂ© le secret et la promptitude de notre dĂ©part. Lycurgue, persuadĂ© par mon discours, jura de nous dĂ©fendre envers et contre tous. Ce ne fut qu’au rĂ©veil de TryphĂšne et de Doris qu’on s’aperçut de notre disparition. Chaque matin, nous assistions galamment Ă  la toilette de ces dames, et notre absence inattendue devait sembler Ă©trange. AussitĂŽt Lycas met ses gens en campagne ; les recherches se dirigent surtout vers la cĂŽte on apprend notre tournĂ©e sur le tillac du navire ; mais du vol point de nouvelles, car la poupe tournait le dos au rivage, et le pilote Ă©tait encore Ă  terre. Trop assurĂ© de notre Ă©vasion, Lycas, furieux, s’en prit Ă  Doris, qu’il crut en ĂȘtre la cause. Injures, menaces, coups mĂȘme, sans doute le brutal ne mĂ©nagea rien ; mais j’ignore les dĂ©tails je dirai seulement que l’auteur de tout ce vacarme, TryphĂšne, persuada Ă  Lycas de chercher ses fugitifs chez Lycurgue, oĂč nous aurions probablement trouvĂ© un asile elle s’offrit mĂȘme de l’accompagner dans cette poursuite, pour nous accabler d’outrages et jouir de notre confusion bien mĂ©ritĂ©e. DĂšs le lendemain, ils se mettent en route et arrivent au chĂąteau de Lycurgue. Nous venions d’en sortir avec notre hĂŽte, qui nous avait conduits Ă  la fĂȘte d’Hercule, qu’on cĂ©lĂ©brait dans un bourg voisin. À cette nouvelle, ils prennent la mĂȘme route, et nous nous rencontrons sous le portique du temple. Leur abord nous dĂ©concerta. Lycas querellait dĂ©jĂ  Lycurgue au sujet de notre fuite, mais une rĂ©ponse fiĂšre et menaçante lui ferma bientĂŽt la bouche. Fort de l’appui de Lycurgue, j’élĂšve la voix Ă  mon tour ; je reproche hautement Ă  Lycas les assauts scandaleux livrĂ©s Ă  ma pudeur par sa lubricitĂ©, tantĂŽt chez lui, tantĂŽt chez Lycurgue. TryphĂšne veut dĂ©fendre Lycas ; elle en fut bien punie ! Le bruit de notre querelle avait arrĂȘtĂ© les passants je dĂ©voile en leur prĂ©sence la turpitude de cette femme ; puis, montrant successivement et Giton et moi-mĂȘme — Vous le voyez, m’écriai-je ; sa pĂąleur et la mienne ne dĂ©posent que trop contre cette Messaline ! — AtterrĂ©s de voir que les rieurs Ă©taient pour nous, nos ennemis se retirent confus, mais jurant tout bas de se venger. Ne pouvant plus douter de la prĂ©vention de Lycurgue en notre faveur, Lycas et TryphĂšne rĂ©solurent de l’attendre chez lui, pour le dĂ©tromper de son erreur. La fĂȘte dura jusqu’au soir il Ă©tait trop tard pour aller coucher au chĂąteau. Lycurgue nous mena donc dans une petite maison de campagne, situĂ©e Ă  moitiĂ© chemin. Le lendemain, obligĂ© de retourner chez lui pour ses affaires, il partit sans nous Ă©veiller. En arrivant au chĂąteau, il y trouva Lycas et TryphĂšne qui l’attendaient ; ils surent le circonvenir avec tant d’adresse, qu’ils lui arrachĂšrent une promesse de nous livrer entre leurs mains. Naturellement cruel et sans foi, Lycurgue ne songea plus qu’aux moyens d’exĂ©cuter son perfide projet. Il fut arrĂȘtĂ© que Lycas irait chercher main-forte, tandis que Lycurgue nous ferait garder Ă  vue dans sa maison de campagne. À peine arrivĂ©, il nous aborde avec autant de sĂ©vĂ©ritĂ© que Lycas lui-mĂȘme ; ensuite, croisant gravement les bras, il nous accuse d’avoir impudemment calomniĂ© son ami ; puis, sans vouloir mĂȘme entendre son cher Ascylte en notre faveur, il le pousse hors de la chambre oĂč nous Ă©tions couchĂ©s, nous y renferme Ă  double tour, reprend avec Ascylte la route du chĂąteau, et nous laisse lĂ  sous bonne garde jusqu’à son retour. Pendant la route, Ascylte essaya vainement de flĂ©chir l’ñme de Lycurgue priĂšres, larmes, caresses, rien ne peut l’émouvoir. Il rĂȘve alors aux moyens de briser nos fers. OutrĂ© de la duretĂ© de Lycurgue, il refuse dĂšs le soir mĂȘme de partager son lit, et parvient ainsi Ă  exĂ©cuter plus aisĂ©ment le projet qu’il avait mĂ©ditĂ©. Voyant les gens de Lycurgue ensevelis dans leur premier sommeil, Ascylte charge notre bagage sur ses Ă©paules, s’échappe par une brĂšche de mur qu’il avait remarquĂ©e, arrive avec l’aube du jour au pied-Ă -terre qui nous servait de prison, y pĂ©nĂštre sans obstacle, et le voilĂ  dans notre chambre. Les gardes avaient eu soin d’en fermer la porte ; mais la serrure n’était que de bois, et n’offrait que peu de rĂ©sistance un morceau de fer qu’il y introduisit suffit pour l’ouvrir. En dĂ©pit de notre mauvaise fortune, nous dormions sur l’une et l’autre oreilles, et il ne fallut pas moins que la chute des verrous pour nous rĂ©veiller. Heureusement ce bruit ne fut entendu que de nous fatiguĂ©s d’avoir veillĂ© toute la nuit, nos Argus continuĂšrent de ronfler comme auparavant. AprĂšs un court rĂ©cit de ce qu’il avait fait en notre faveur, Ascylte n’eut pas besoin de nous montrer la porte. Tout en nous habillant Ă  la hĂąte, il me vint en idĂ©e de tuer nos gardes et de piller la maison. Ascylte, Ă  qui j’en fis part, approuva le pillage — Mais point de sang, dit-il, si l’on peut sortir d’ici sans en rĂ©pandre. Je connais les ĂȘtres du logis, suivez-moi. — À ces mots, il nous conduit vers un riche garde-meuble dont il nous ouvre les portes, et nous dĂ©valisons Ă  l’envi les effets les plus prĂ©cieux. Le jour qui commençait Ă  poindre nous avertit de dĂ©camper ; nous prĂźmes un chemin dĂ©tournĂ© ; et quand nous fĂźmes halte, nous Ă©tions hors de toute atteinte. Reprenant enfin haleine, Ascylte nous fit part de la joie qu’il avait Ă©prouvĂ©e Ă  piller la maison de Lycurgue, le plus avare des mortels. Il n’avait pas tort de maudire ce ladre. Mauvais vin et maigre chĂšre, jamais le moindre cadeau, voilĂ  comme les complaisances d’Ascylte avaient Ă©tĂ© payĂ©es telle Ă©tait la lĂ©sine du personnage, qu’au milieu de ses richesses immenses, il se refusait mĂȘme le nĂ©cessaire Vers une eau dĂ©sirĂ©e, ou sur un fruit voisin, Toujours Tantale avance ou la bouche ou la main Toujours le fruit, rebelle Ă  la main qui le touche, Recule, et l’eau perfide a fui loin de sa est l’avare entourĂ© d’ des yeux seuls qu’il boit, qu’il mange
. Pauvre insensĂ© ! pour prix de ce repas Ă©trange,____Meurs de faim sur ton coffre-fort ! Ascylte voulait rentrer le mĂȘme jour Ă  Naples. Je lui fis sentir son imprudence la justice probablement y serait bientĂŽt sur nos traces ; mais quelques jours d’absence dĂ©payseraient nos espions, et nos fonds nous permettaient de courir la campagne. Il revint Ă  mon avis. Dans le voisinage, s’élevait un hameau peuplĂ© de jolies maisons de plaisance, oĂč plusieurs de nos amis Ă©taient venus passer la belle saison ; mais, Ă  moitiĂ© chemin, surpris tout Ă  coup par une grosse pluie, nous courĂ»mes nous rĂ©fugier dans une auberge de village qui se trouvait sur la route, et dans laquelle un grand nombre de passants Ă©taient venus chercher un abri contre l’orage. Confondus dans la foule, personne ne prenait garde Ă  nous. Tandis que nous guettions l’occasion de faire un coup de main, Ascylte aperçoit Ă  terre un petit sac qui le tente ; il le ramasse sans ĂȘtre vu de personne, et y trouve plusieurs piĂšces d’or. Joyeux d’un si bon augure, mais craignant les rĂ©clamations, nous gagnons une porte de derriĂšre. Un valet y sellait des chevaux ; ayant apparemment oubliĂ© quelque chose, il les quitta pour retourner Ă  l’écurie. Profitant de son absence, je dĂ©tache d’une des selles un superbe manteau ; puis, filant le long des masures jusqu’à la forĂȘt prochaine, nous disparaissons tout Ă  coup. RassurĂ©s enfin par l’épaisseur du bois, nous songeĂąmes Ă  cacher notre or, tant dans la crainte des voleurs, que de peur de passer pour tels. Nous nous dĂ©terminĂąmes Ă  le coudre dans la doublure d’une vieille robe, et je la mis sur mes Ă©paules. Ascylte se chargea du manteau que j’avais dĂ©robĂ©, et, par des routes dĂ©tournĂ©es, nous nous acheminĂąmes vers la ville. Mais, au sortir du bois, une voix sinistre frappe nos oreilles — Ils ne peuvent, disait-on, nous Ă©chapper ; ils sont entrĂ©s dans la forĂȘt ; partageons-nous, nous les prendrons plus aisĂ©ment. — Ces mots furent pour nous un coup de foudre. Soudain, Ascylte et Giton de fuir vers la ville Ă  travers les buissons, et moi de rebrousser chemin. La peur me donnait des ailes. Dans la chaleur de la course, ma chĂšre robe, dĂ©positaire de mon or, avait glissĂ© de dessus mes Ă©paules, sans que je m’en aperçusse. BientĂŽt, rendu, hors d’haleine, je m’étends au pied d’un arbre, pour respirer un peu. Alors seulement mes yeux s’ouvrent sur ma perte la douleur me rend mes forces ; je me lĂšve pour chercher mon trĂ©sor. Temps perdu ! peine inutile ! le corps brisĂ©, le dĂ©sespoir dans l’ñme, je m’enfonce au plus fort du bois. LĂ , quatre heures entiĂšres, je reste seul, absorbĂ© dans ma mĂ©lancolie. Cependant, pour m’arracher aux sombres pensĂ©es que m’inspirait cette affreuse solitude, je cherche une issue pour en sortir. À quelques pas de lĂ , un campagnard s’offre Ă  ma rencontre. J’eus besoin alors de tout mon courage, et, par bonheur, il ne fut point en dĂ©faut. J’aborde mon homme d’un air ferme — Depuis tantĂŽt, lui dis-je, Ă©garĂ© dans cette forĂȘt, je cherche vainement le chemin de la ville ; voulez-vous bien me l’enseigner ? — J’étais plus pĂąle que la mort, et crottĂ© jusqu’à l’échine. Mon Ă©tat lui fit pitiĂ©. AprĂšs m’avoir demandĂ© si je n’avais rencontrĂ© personne dans la forĂȘt, il se contenta de ma rĂ©ponse nĂ©gative, et me remit obligeamment sur la grande route. Nous allions nous quitter, quand deux de ses camarades vinrent lui faire ce rapport — Nous avons en vain battu le bois jusqu’en ses derniers recoins ; nous n’avons rien dĂ©couvert, si ce n’est cette mĂ©chante tunique que voici. — On se figure sans peine que je n’eus pas l’audace de la rĂ©clamer, quoique j’en connusse le prix mieux que personne. Qu’on juge cependant de mon dĂ©pit secret, Ă  l’aspect de ces rustres, possesseurs de mon trĂ©sor dont ils ignoraient la valeur ! Ma lassitude allait toujours croissant, et je repris lentement le chemin de la ville. Il Ă©tait tard, quand j’y arrivai. EntrĂ© dans la premiĂšre auberge, je trouve Ascylte, plus mort que vif, Ă©tendu sur un mauvais grabat ; je tombe moi-mĂȘme sur un autre lit, sans pouvoir profĂ©rer un seul mot. Ascylte cherche en vain sur mes Ă©paules le prĂ©cieux fardeau dont je m’étais chargĂ© ; il se trouble — Qu’as-tu fait de notre robe ? — s’écrie-t-il avec prĂ©cipitation. La voix me manqua, et un regard douloureux fut d’abord toute ma rĂ©ponse. BientĂŽt pourtant, un peu rĂ©confortĂ©, je lui fis, comme je pus, le rĂ©cit de mon triste accident. Il le prit pour un pur badinage. En vain je jure par tous les dieux, en vain un torrent de larmes vient appuyer mes serments ; il s’obstine Ă  n’en rien croire, s’imaginant que je voulais lui escroquer sa part du trĂ©sor. PrĂ©sent Ă  cette scĂšne, Giton pleurait, et sa tristesse augmentait la mienne. Pour surcroĂźt de malheur, je pensais Ă  la justice qui nous talonnait. Je parlai de mes craintes ; Ascylte s’en moqua, parce qu’il s’était heureusement tirĂ© d’affaire — D’ailleurs, disait-il, inconnus dans cette ville, qui viendrait nous y dĂ©terrer ? nous n’avons Ă©tĂ© vus de personne. — NĂ©anmoins, pour avoir un prĂ©texte de garder la chambre, nous jugeĂąmes prudent de feindre une maladie ; mais, les fonds venant Ă  manquer, il fallut dĂ©loger plus tĂŽt que nous ne l’avions rĂ©solu, et vendre quelques nippes pour subsister. CHAPITRE XII. Dans ce dessein, nous prĂźmes, vers le soir, le chemin du marchĂ©. Il Ă©tait abondamment fourni de marchandises pour la plupart d’assez mince valeur, mais dont l’obscuritĂ© couvrait la coupable origine de son voile officieux. Nous avions eu soin d’apporter le manteau que nous avions volĂ©. L’occasion ne pouvant ĂȘtre plus favorable, nous nous Ă©tablĂźmes dans un coin ; et lĂ , nous Ă©talĂąmes un pan de notre marchandise, espĂ©rant que son Ă©clat pourrait attirer les chalands. En effet, bientĂŽt s’approche un campagnard dont les traits ne m’étaient pas inconnus ; une jeune femme l’accompagnait. Tandis qu’ils Ă©taient occupĂ©s Ă  considĂ©rer attentivement notre manteau, Ascylte jette par hasard les yeux sur les Ă©paules de cet homme, et reste muet de surprise. De mon cĂŽtĂ©, je n’étais pas sans Ă©motion ; plus j’envisageais l’individu, plus il m’offrait de ressemblance avec celui qui avait trouvĂ© ma robe dans le bois. Je ne me trompais pas, c’était lui-mĂȘme. Ascylte ne savait s’il devait en croire ses yeux. Pour ne rien hasarder, il accoste le campagnard ; et, sous prĂ©texte de marchander cette robe, il la lui tire doucement de dessus les Ă©paules, et l’examine attentivement. CHAPITRE XIII. O fortunĂ© hasard ! le bonhomme ne s’était pas mĂȘme avisĂ© d’en visiter les coutures ; et ce n’était que par maniĂšre d’acquit qu’il se dĂ©terminait Ă  la mettre en vente, comme une guenille de mendiant. Voyant que notre trĂ©sor Ă©tait intact et que le marchand n’avait pas une mine bien redoutable, Ascylte me tire Ă  part — Bonne nouvelle ! me dit-il Ă  l’oreille ; le trĂ©sor est retrouvĂ© cette robe, si je ne me trompe, a fidĂšlement conservĂ© nos espĂšces. Que ferons-nous ? Ă  quel titre revendiquer notre bien ? — À ces mots, double fut ma joie si, d’un cĂŽtĂ©, nous ressaisissions notre proie, de l’autre, j’étais lavĂ© d’un honteux soupçon. — Point de mĂ©nagements ! rĂ©pondis-je ; que la justice en dĂ©cide ; et si cet homme refuse de restituer de bon grĂ© ce qui ne lui appartient pas, il faut le faire assigner. CHAPITRE XIV. Ascylte ne fut pas de cet avis. — La voie de la justice n’est pas trop sĂ»re, me dit-il. Qui nous connaĂźt ici ? qui voudrait ajouter foi Ă  notre dĂ©position ? Il est dur de racheter son bien qu’on reconnaĂźt entre les mains d’autrui ; mais quand nous pouvons, Ă  peu de frais, recouvrer notre trĂ©sor, faut-il nous embarquer dans un procĂšs douteux ? OĂč l’or est tout-puissant, Ă  quoi servent les lois ? Faute d’argent, hĂ©las ! le pauvre perd ses droits. À sa table frugale, en public, si sĂ©vĂšre, Le cynique, en secret, met sa voix Ă  l’enchĂšre[1] ; ThĂ©mis mĂȘme se vend, et sur son tribunal Fait pencher sa balance au grĂ© d’un vil mĂ©tal. — D’ailleurs Ă  l’exception de quelque menue monnaie, Ă  peine suffisante pour acheter des lupins et des pois chiches, notre bourse Ă©tait vide. Ainsi donc, de peur que notre proie ne vĂźnt Ă  nous Ă©chapper, nous consentĂźmes Ă  lĂącher la main sur le prix du manteau, sĂ»rs de gagner d’un cĂŽtĂ© beaucoup plus que nous ne perdions de l’autre. Nous voilĂ  donc Ă  dĂ©ployer notre marchandise. La jeune femme qui, couverte d’un voile, accompagnait le campagnard, aprĂšs avoir examinĂ© le manteau Ă  loisir, le saisit Ă  deux mains, puis s’écrie de toutes ses forces — Je tiens mes voleurs ! — Étourdis de cette apostrophe, nous, Ă  notre tour, de faire main basse sur le haillon sale et dĂ©chirĂ©, et de nous Ă©crier aussi — Cette robe que vous tenez lĂ  nous appartient. — Mais la partie n’était pas Ă©gale ; la foule, attirĂ©e par nos cris, riait de nos prĂ©tentions rĂ©ciproques ; car c’était un vĂȘtement superbe que notre partie adverse revendiquait, et nous ne rĂ©clamions qu’une misĂ©rable guenille qui ne mĂ©ritait pas mĂȘme d’ĂȘtre rapiĂ©cĂ©e. Mais Ascylte vint Ă  bout de faire cesser les rires, et obtint enfin du silence. CHAPITRE XV. — Évidemment, dit-il, l’expĂ©rience nous apprend que chacun tient Ă  ce qu’il a qu’ils nous rendent notre robe, et qu’ils reprennent leur manteau. — Le manant et sa compagne Ă©taient prĂšs d’agrĂ©er l’échange, quand deux officiers de justice, qui ressemblaient Ă  des voleurs de nuit, voulant s’approprier le manteau, demandent Ă  haute voix qu’on dĂ©pose provisoirement entre leurs mains les objets en litige. La justice, disaient-ils, prononcera demain sur ce diffĂ©rend. Il importait peu, selon ces messieurs, de connaĂźtre la partie lĂ©sĂ©e ; il fallait, avant tout, dĂ©terrer les vĂ©ritables voleurs. L’avis du sĂ©questre allait passer ; mais voici que, du milieu de la foule, sort un homme au front chauve et garni d’excroissances charnues, une espĂšce de solliciteur de procĂšs, qui, s’emparant du manteau, promet de le reprĂ©senter le lendemain. Le but de ces coquins Ă©tait Ă©videmment, une fois que le manteau serait entre leurs mains, de le faire disparaĂźtre et de nous empĂȘcher, par la crainte d’une accusation de vol, de comparaĂźtre Ă  l’assignation. C’était bien aussi ce que nous voulions Ă©viter le hasard servit les deux parties Ă  souhait. OutrĂ© de nous voir faire tant de bruit pour un mĂ©chant haillon, le campagnard jette la robe au nez d’Ascylte ; et, pour mettre fin aux dĂ©bats, il demande le dĂ©pĂŽt, en main tierce, du manteau, cause unique du procĂšs. Nous, certains d’avoir ressaisi notre petit trĂ©sor, nous gagnons l’auberge Ă  toutes jambes. LĂ , qu’on juge de notre joie ! nous pĂ»mes gloser Ă  notre aise, Ă  huis clos, sur la finesse et des gens de justice et de notre partie adverse ils avaient Ă©tĂ© si ingĂ©nieux Ă  nous rendre notre argent ! Nous dĂ©cousions la robe, pour en tirer notre or, quand nous entendĂźmes quelqu’un demander Ă  notre hĂŽte quels Ă©taient les gens qui venaient d’entrer chez lui. Cette question ne me plut guĂšre Ă  peine son auteur fut-il sorti, que je courus m’informer de l’objet de sa visite. — C’est, me rĂ©pondit notre hĂŽte, un huissier du prĂ©teur ; sa charge consiste Ă  inscrire sur les registres publics les noms des Ă©trangers il vient d’en voir entrer deux chez moi, dont il n’a point encore pris les noms ; c’est pourquoi il venait s’informer du lieu de leur naissance et de leur profession. — Cette explication que l’hĂŽte me donna sans avoir l’air d’y mettre aucune importance, me fit naĂźtre des inquiĂ©tudes sur le peu de sĂ»retĂ© de notre gĂźte. Pour prĂ©venir toute fĂącheuse aventure, nous rĂ©solĂ»mes de sortir aussitĂŽt de l’auberge, et de n’y rentrer qu’à la nuit. En notre absence, nous laissĂąmes Ă  Giton le soin de prĂ©parer notre souper. Nous voilĂ  donc en marche, Ă©vitant avec soin les rues frĂ©quentĂ©es, et cherchant les quartiers dĂ©serts. ArrivĂ©s vers le soir dans un endroit Ă©cartĂ©, nous rencontrĂąmes deux femmes voilĂ©es, d’assez bonne tournure ; les ayant suivies de loin, Ă  pas de loup, nous les vĂźmes entrer dans une espĂšce de petit temple d’oĂč partait un bruit confus de voix qui semblaient sortir du fond d’un antre. La curiositĂ© nous y fit entrer aprĂšs elles. LĂ , nous vĂźmes un troupeau de femmes qui, pareilles Ă  des Bacchantes, couraient, agitant dans leurs mains droites de petites figures de Priape. Nous ne pĂ»mes en voir davantage. À notre aspect inattendu, le bataillon femelle poussa un cri si Ă©pouvantable, que la voĂ»te du temple en trembla. Elles voulaient nous saisir ; mais, rapides comme l’éclair, nous prĂźmes la fuite vers notre auberge. CHAPITRE XVI. Nous soupions tranquillement, grĂące aux soins de Giton. Tout Ă  coup la porte retentit de coups redoublĂ©s. — Qui frappe ? demandĂąmes-nous en tremblant. — Ouvrez, rĂ©pondit-on, vous le saurez. — Pendant ce dialogue, la serrure tomba d’elle-mĂȘme, et la porte, en s’ouvrant, offrit Ă  nos regards une femme voilĂ©e. Elle entre c’était prĂ©cisĂ©ment la compagne de l’homme au manteau. — Vous pensiez donc vous jouer de moi ? nous dit-elle. Je suis la suivante de Quartilla vous avez profanĂ© le sanctuaire oĂč elle cĂ©lĂ©brait les mystĂšres de Priape ; elle vient en personne vous demander un moment d’entretien. Ne craignez rien, pourtant loin de vouloir vous accuser et vous punir d’une erreur involontaire, elle remercie les dieux d’avoir conduit dans cette contrĂ©e des jeunes gens aussi bien Ă©levĂ©s. CHAPITRE XVII. Nous gardions encore le silence, ne sachant que penser de l’aventure, quand nous vĂźmes entrer Quartilla elle-mĂȘme, accompagnĂ©e d’une jeune fille. Elle s’assied sur mon lit, et verse un torrent de pleurs. Nous, stupĂ©faits de ce dĂ©sespoir mĂ©thodique, nous attendions, sans mot dire, quel en serait le rĂ©sultat. Enfin s’arrĂȘte le dĂ©bordement de ses larmes. Elle lĂšve son voile, nous regarde d’un Ɠil sĂ©vĂšre, et, joignant les mains avec tant de force que ses doigts en craquĂšrent — Audacieux mortels ! s’écrie-t-elle, qui vous a donc si bien appris le mĂ©tier de fourbes et de fripons ? En vĂ©ritĂ©, j’ai pitiĂ© de vous ! on n’ose point impunĂ©ment porter un regard curieux sur nos mystĂšres impĂ©nĂ©trables ; il y a dans ce pays tant de divinitĂ©s protectrices, que les hommes y sont plus rares que les dieux. Ce n’est pas nĂ©anmoins la vengeance qui m’amĂšne j’oublie mon injure en faveur de votre Ăąge, et j’aime Ă  ne voir de votre part qu’une imprudence excusable dans un crime irrĂ©missible. TourmentĂ©e, cette nuit, d’un frisson mortel, et craignant un accĂšs de fiĂšvre tierce je cherchai dans le sommeil un remĂšde Ă  mon mal. Les dieux m’ont ordonnĂ© en songe de m’adresser Ă  vous ; vous possĂ©dez la recette qui convient Ă  ma guĂ©rison. Ma santĂ© n’est pas cependant ce qui m’inquiĂšte davantage un plus grand chagrin me dĂ©vore ; si vous ne le calmez, il faudra que j’en meure. Je tremble que l’indiscrĂ©tion naturelle Ă  votre age ne vous pousse Ă  rĂ©vĂ©ler ce que vos yeux ont vu dans le sanctuaire de Priape, et ne vous fasse initier un vulgaire profane dans les secrets des dieux. J’embrasse vos genoux ! Ă©coutez ma voix suppliante ! Que nos cĂ©rĂ©monies nocturnes ne deviennent point, par votre faute, la fable du public ! ne portez point le jour dans l’ombre de nos antiques mystĂšres[1], de ces mystĂšres inconnus mĂȘme Ă  plusieurs de nos initiĂ©s. CHAPITRE XVIII. AprĂšs cette fervente supplication, les larmes de Quartilla recommencent Ă  couler ; de longs soupirs s’échappent de sa poitrine ; elle se jette sur mon lit, qu’elle presse contre son sein et contre son visage. Moi, tour Ă  tour Ă©mu de compassion et de crainte — Rassurez-vous, lui dis-je ; vous n’avez rien Ă  redouter. Aucun de nous ne divulguera le secret de votre culte ; et notre courtoisie, d’accord avec les dieux, saura guĂ©rir, mĂȘme au pĂ©ril de notre vie, le mal qui vous tourmente. — À cette promesse, Quartilla reprit un peu de gaietĂ©. Elle me couvre de baisers, et, passant des larmes Ă  la joie la plus vive, elle promĂšne une main folĂątre dans les boucles de ma chevelure — MĂ©chants, dit-elle, je fais la paix avec vous ; entre nous, plus de procĂšs. Malheur Ă  vous, si vous eussiez refusĂ© d’ĂȘtre mes mĂ©decins ! mes vengeurs Ă©taient prĂȘts, et demain votre chĂątiment eĂ»t expiĂ© l’injure des dieux et la mienne. _____Il est beau de donner la loi, _____La recevoir est un outrage,_____Et j’aime Ă  n’obĂ©ir qu’à mĂ©pris est l’arme du sage À l’oubli d’une offense on connait un grand cƓur Le vainqueur qui pardonne est doublement vainqueur. — Tout Ă  coup, Ă  cet accĂšs poĂ©tique, succĂšdent des battements de mains et des Ă©clats de rire si immodĂ©rĂ©s, qu’ils nous effrayĂšrent. La servante, qui Ă©tait arrivĂ©e la premiĂšre, imita sa maĂźtresse ; la jeune fille, qui Ă©tait entrĂ©e avec Quartilla, en fit autant. CHAPITRE XIX. Tandis que tout retentissait des accĂšs de leur bruyante gaietĂ©, nous cherchions Ă  deviner la cause d’un si brusque changement. Nos regards incertains se portaient tantĂŽt sur ces trois femmes, et tantĂŽt sur nous-mĂȘmes. Quartilla reprend enfin la parole — Mes ordres sont donnĂ©s, dit-elle de tout le jour, personne n’entrera dans cette auberge, et vous pouvez, sans crainte des importuns, m’administrer le fĂ©brifuge que vous m’avez promis. — À ces mots, qu’on se peigne l’embarras d’Ascylte pour moi, je sentis circuler dans mes veines toutes les glaces du nord, et je ne pus prononcer une seule parole. Ce qui pourtant me rassurait un peu sur les tristes suites de cette aventure, c’était notre nombre quelque mal intentionnĂ©es qu’elles fussent, que pouvaient trois femmelettes contre trois hommes qui, sans ĂȘtre des Hercules, avaient du moins l’avantage du sexe. Certes, nous nous prĂ©sentions au combat avec des forces supĂ©rieures[1], et j’avais dĂ©jĂ  ainsi formĂ© mon ordre de bataille, en cas d’hostilitĂ©s j’opposais Ascylte Ă  la suivante, Giton Ă  la jeune fille, Ă  Quartilla moi-mĂȘme. Tandis que je faisais ces rĂ©flexions, Quartilla s’approche de moi, et rĂ©clame le remĂšde que je lui avais promis ; mais, trompĂ©e dans son attente, elle sort furieuse ; un instant aprĂšs elle rentre, et, par son ordre, des inconnus nous saisissent et nous transportent dans un palais magnifique. Pour le coup, muets d’étonnement, nous perdimes entiĂšrement courage, et, dans notre malheur, nous crĂ»mes notre mort rĂ©solue. CHAPITRE XX.— Au nom des dieux, madame ! m’écriai-je, si l’on en veut Ă  notre vie, qu’on nous l’arrache d’un seul coup ! Quelque coupables que nous puissions paraĂźtre, nous ne mĂ©ritons pas de pĂ©rir dans de pareilles tortures. — Pour toute rĂ©ponse, PsychĂ© c’était la suivante Ă©tend sur le parquet un Ă©lĂ©gant tapis, et, par ses caresses, tente de rĂ©chauffer mes sens mortellement engourdis. Pendant ce temps, Ascylte se tenait la tĂȘte cachĂ©e dans son manteau. Le malheureux n’avait que trop appris Ă  ses dĂ©pens ce qu’il en coĂ»te parfois aux curieux ! BientĂŽt, tirant de son sein deux rubans, PsychĂ© nous en attache tour Ă  tour et les pieds et les mains. — À quoi bon, lui dis-je, me garrotter ainsi ? Pour arriver Ă  ses fins, votre maitresse choisit mal ses moyens. — D’accord, rĂ©pondit-elle ; mais j’ai sous la main un spĂ©cifique plus prompt et plus sĂ»r. — À ces mots, elle apporte un vase plein de satyrion. Tout en folĂątrant et en dĂ©bitant mille contes plaisants, elle m’en fait avaler les trois quarts ; puis, se rappelant la froideur d’Ascylte Ă  toutes ses avances, elle lui jette le reste sur le dos, sans qu’il s’en aperçoive. Ascylte, voyant que la conversation languissait — Et moi ? dit-il ; me trouvez-vous donc indigne de boire Ă  cette coupe ? — Trahie par un sourire qui m’échappa, PsychĂ© rĂ©pond en battant des mains — Jeune homme ! le vase Ă©tait Ă  ta portĂ©e ; tu l’as vidĂ© seul jusqu’à la derniĂšre goutte ! — Bon ! reprit Quartilla ; Encolpe n’a-t-il pas bu toute la dose ? — Cette plaisanterie nous fit rire par son Ă -propos, et Giton lui-mĂȘme ne put tenir plus longtemps son sĂ©rieux. La petite fille, se jetant alors au cou de cet aimable enfant, l’accabla de baisers qu’il reçut de fort bonne grĂące. CHAPITRE XXI. Encore si, dans notre malheur, il nous eĂ»t Ă©tĂ© libre d’appeler du secours ! Mais, d’abord, personne n’était lĂ  pour nous dĂ©fendre ; et puis, dĂšs que je faisais mine de vouloir crier, PsychĂ©, saisissant l’aiguille qui soutenait sa coiffure, m’en piquait impitoyablement les joues, tandis qu’armĂ©e d’un pinceau imbibĂ© de satyrion, la petite fille en barbouillait le pauvre Ascylte. Pour nous achever, entre un de ces baladins qui se prostituent pour de l’argent. Sa robe, d’un vert foncĂ©, Ă©tait relevĂ©e jusqu’à la ceinture ; tantĂŽt ses reins, agitĂ©s de lascives contorsions, nous heurtaient violemment ; tantĂŽt sa bouche infecte nous souillait d’affreux baisers. Enfin Quartilla, qui prĂ©sidait Ă  notre supplice, une verge de baleine Ă  la main, et la robe retroussĂ©e, touchĂ©e de nos souffrances, fit signe qu’on nous donnĂąt quartier. Nous jurĂąmes, par tout ce qu’il y a de plus saint, de ne jamais rĂ©vĂ©ler cet horrible secret. Ensuite parurent plusieurs courtisanes qui nous frottĂšrent le corps d’une huile parfumĂ©e. Oubliant alors notre fatigue, nous endossons des robes de festin, et nous passons dans la salle voisine, oĂč trois lits Ă©taient dressĂ©s autour d’une table servie avec la plus grande magnificence. InvitĂ©s Ă  prendre place, nous dĂ©butons par d’excellentes entrĂ©es, que nous arrosons largement d’un falerne dĂ©licieux. Ensuite diffĂ©rents services se succĂšdent avec profusion ; et dĂ©jĂ  nos yeux, appesantis par le sommeil, commençaient Ă  se fermer — Qu’est-ce Ă  dire ? s’écrie Quartilla, croyez-vous ĂȘtre ici pour dormir ? cette nuit est due tout entiĂšre au culte de Priape. CHAPITRE XXII. Toujours piquĂ©e des rebuts d’Ascylte, et le voyant tout Ă  fait assoupi, accablĂ© qu’il Ă©tait de tant de fatigues, PsychĂ© s’amuse Ă  lui barbouiller les lĂšvres et les Ă©paules avec du charbon, et lui couvre la figure d’un masque de suie ; mais il n’en sentit rien. Moi-mĂȘme, harassĂ© des persĂ©cutions que j’avais souffertes, je commençais Ă  goĂ»ter les douceurs du sommeil. Toute la valetaille, tant dans l’intĂ©rieur qu’au dehors de la salle, en faisait autant. Vous eussiez vu l’un Ă©tendu sous les pieds des convives, l’autre adossĂ© contre un mur, un troisiĂšme couchĂ© sur le seuil de la porte, tous pĂȘle-mĂȘle, tĂȘte contre tĂȘte. Les lampes, Ă©puisĂ©es, ne donnaient plus qu’une lueur pĂąle et mourante, lorsque deux fripons de Syriens se glissĂšrent Ă  tĂątons dans la salle, pour escamoter une bouteille de vin tandis qu’ils se la disputent avec acharnement prĂšs d’une table couverte d’argenterie, elle Ă©clate dans leurs mains. Table, vaisselle, tout est renversĂ© ; et une coupe, en tombant d’assez haut, va briser la tĂȘte d’une servante qui dormait sur un lit voisin. La douleur du coup lui arrache un cri subit. Une partie de nos ivrognes se rĂ©veillent, et voilĂ  les deux larrons dĂ©couverts ! Se voyant pris sur le fait, les rusĂ©s Syriens se laissent adroitement tomber au pied d’un lit. À les entendre ronfler, on eĂ»t dit qu’ils dormaient lĂ  depuis deux heures. DĂ©jĂ , rĂ©veillĂ© par ce vacarme, le maĂźtre d’hĂŽtel avait ranimĂ© les lampes expirantes ; dĂ©jĂ  les valets, frottant leurs yeux encore appesantis par le sommeil, reprenaient leur service, lorsqu’une joueuse de cymbales achĂšve, avec sa bruyante musique, de rĂ©veiller les plus paresseux. CHAPITRE XXIII. On se remet donc Ă  table de plus belle Quartilla porte de nouvelles santĂ©s ; le son des cymbales excite la gaietĂ© des convives. Alors survint un baladin, le plus insipide de tous les hommes, et digne commensal d’un pareil logis. AprĂšs avoir battu des mains pour marquer la mesure, il entonne la chanson suivante Aimables impudiques, GanymĂšdes nouveaux, Audacieux cyniques, Complaisantes Saphos ! Le plaisir nous rassemble ; Aimons en libertĂ© Par tous les sens ensemble, Buvons la voluptĂ© ! En achevant ces vers, l’effrontĂ© m’applique un immonde baiser ; bientĂŽt mĂȘme, usurpant une moitiĂ© de mon lit, il Ă©carte, malgrĂ© moi, le vĂȘtement qui me couvrait, et s’efforce longtemps, mais en vain, de m’exciter au plaisir. De son front coulaient des ruisseaux de sueur mĂȘlĂ©e de fard ; et ses joues, dont le blanc remplissait les rides, semblaient un vieux mur dont le plĂątre fond Ă  la pluie. CHAPITRE XXIV. Je ne pus retenir plus longtemps mes larmes ; et, le cƓur navrĂ© de tristesse — Madame, dis-je Ă  Quartilla, est-ce bien lĂ  l’EmbasicĂšte que vous m’aviez promis ? — 0 l’habile homme ! rĂ©pondit-elle en frappant doucement des mains ; la question est spirituelle ! EmbasicĂšte ne veut-il pas dire incube. Cela vous Ă©tonne ? — Du moins, rĂ©pliquai-je, jaloux de voir mon camarade plus heureux que moi, souffrirez-vous qu’Ascylte, bien tranquille sur son lit, savoure seul en paix les douceurs du repos ? — À la bonne heure ! dit-elle, qu’Ascylte y passe Ă  son tour[1]. — AussitĂŽt fait que dit mon Ă©cuyer change de monture, et le voilĂ  qui, sous le poids de ses impures caresses, broie les membres de mon pauvre compagnon. TĂ©moin de cette scĂšne, Giton riait aux Ă©clats. Quartilla n’avait pas manquĂ© de le considĂ©rer avec attention — À qui appartient, dit-elle, ce jeune Adonis ? — C’est mon frĂšre, lui rĂ©pondis-je. — Pourquoi donc, reprit-elle, n’est-il pas encore venu m’embrasser ? — À ces mots, elle le fait approcher, le baise tendrement ; et, glissant sa main sous la robe de Giton, elle parcourt ses attraits novices, puis elle ajoute — Ce bijou servira demain Ă  me donner l’avant-goĂ»t du plaisir. Pour aujourd’hui, servie par un hercule, je ne me rabats point sur un pygmĂ©e. CHAPITRE XXV. À ces mots, PsychĂ©, s’étant approchĂ©e de sa maĂźtresse, lui dit en riant je ne sais quels mots Ă  l’oreille — Oui ! oui ! s’écrie tout Ă  coup Quartilla ; l’idĂ©e est heureuse. Pourquoi pas ? Quelle plus belle occasion peut s’offrir de dĂ©livrer Pannychis du fardeau de sa virginitĂ© ? — Sans plus attendre, on introduit une jeune fille assez jolie, qui ne paraissait pas avoir plus de sept ans la mĂȘme qui Ă©tait venue Ă  notre auberge avec Quartilla. AussitĂŽt tous les assistants d’applaudir et de presser l’accomplissement de ce mariage. Moi, frappĂ© de stupeur, j’allĂ©guai, d’une part, la timiditĂ© de Giton ; de l’autre, l’ñge trop tendre de Pannychis. — Lui, disais-je, n’osera tenter le combat ; elle, ne pourra le soutenir — Bon ! rĂ©pondit Quartilla, Ă©tais-je donc plus formĂ©e quand, pour la premiĂšre fois, je reçus les caresses d’un homme ? Je veux mourir, si je me souviens d’avoir jamais Ă©tĂ© vierge ! Enfant, je folĂątrais avec des marmots de ma taille ; un peu plus grande, j’eus des amants plus hommes ; c’est ainsi que je suis parvenue Ă  l’ñge oĂč vous me voyez. VoilĂ , sans doute, l’origine du proverbe Qui l’a bien portĂ© veau Peut le porter taureau[1]. — Craignant donc qu’en mon absence il n’arrivĂąt pis Ă  Giton, je me levai pour assister Ă  la cĂ©rĂ©monie. CHAPITRE XXVI. DĂ©jĂ , par les soins de PsychĂ©, s’avançait Pannychis, le front couvert du voile de l’hymen ; dĂ©jĂ  notre baladin ouvrait la marche, un flambeau Ă  la main, et une longue file de femmes ivres marchait derriĂšre lui en battant des mains ; dĂ©jĂ  la couche nuptiale, ornĂ©e par elles, n’attendait plus que les deux Ă©poux. ÉchauffĂ©e par l’image du plaisir, Quartilla se lĂšve brusquement, saisit Giton dans ses bras, et l’entraĂźne vers la chambre Ă  coucher. Le fripon s’y prĂȘtait de fort bonne grĂące ; la jeune fille n’était rien moins que triste elle avait entendu sans pĂąlir le mot d’hymen. Pour laisser le champ libre aux combattants, nous restĂąmes sur le seuil de la porte. La curieuse Quartilla l’avait laissĂ©e malicieusement entr’ouverte, et son Ɠil libertin contemplait avec aviditĂ© les Ă©bats du couple novice. BientĂŽt, pour me faire jouir du mĂȘme spectacle, elle m’attire doucement Ă  elle ; or, comme dans cette attitude nos joues se touchaient, cela lui donnait de frĂ©quentes distractions, et de temps en temps elle tournait la bouche de mon cĂŽtĂ© pour me dĂ©rober un baiser furtivement. Las des importunitĂ©s de cette femme, je songeais Ă  m’en dĂ©livrer par la fuite. Ascylte, informĂ© de mon dessein, l’approuva beaucoup ; c’était aussi sa seule ressource contre les persĂ©cutions de PsychĂ©. Rien n’était plus facile, si Giton n’eĂ»t Ă©tĂ© enfermĂ© avec Pannychis ; mais nous voulions l’emmener pour le soustraire Ă  la lubricitĂ© de ces Messalines. Pendant que nous cherchions quelque expĂ©dient, Pannychis tombe du lit ; entraĂźnĂ©e par son poids, Giton la suit dans sa chute. Heureusement, il en fut quitte pour la peur ; mais, blessĂ©e lĂ©gĂšrement Ă  la tĂȘte, Pannychis jette les hauts cris. Quartilla, effrayĂ©e, vole Ă  son secours ; nous de dĂ©taler aussitĂŽt vers notre auberge ; et bientĂŽt, Ă©tendus dans nos lits, nous passĂąmes Ă  bien dormir le reste de la nuit. Le lendemain, au sortir du logis, nous rencontrĂąmes deux de nos ravisseurs Ascylte en attaque un avec fureur, et l’étend Ă  terre griĂšvement blessĂ© ; puis il vient aussitĂŽt m’aider Ă  presser le second ; mais il se dĂ©fendait si bravement, qu’il nous blessa l’un et l’autre, lĂ©gĂšrement Ă  la vĂ©ritĂ©, et parvint Ă  s’échapper sans la moindre Ă©gratignure. Nous touchions au jour marquĂ© par Trimalchion, jour oĂč, dans un souper splendide, il devait affranchir un grand nombre d’esclaves. Mais, Ă©charpĂ©s comme nous l’étions, nous trouvĂąmes plus Ă  propos de fuir que de rester tranquilles en ce lieu. Rentrant donc au plus tĂŽt Ă  l’auberge, nous nous mĂźmes au lit, et nous pansĂąmes avec du vin et de l’huile nos blessures, heureusement peu profondes. Cependant, nous avions laissĂ© un de nos ravisseurs sur le carreau ; la crainte d’ĂȘtre reconnus nous donnait de mortelles inquiĂ©tudes. Tandis que, tout pensifs, nous rĂȘvions aux moyens de conjurer l’orage, un valet d’Agamemnon vint interrompre nos tristes rĂ©flexions — Eh bien ! nous dit-il, ignorez-vous chez qui l’on dĂźne aujourd’hui ? c’est chez Trimalchion[1], chez cet homme opulent dont la salle Ă  manger est ornĂ©e d’une horloge prĂšs de laquelle un esclave, la trompette Ă  la main, l’avertit de la fuite du temps et de la vie. — AussitĂŽt, oubliant tous nos maux passĂ©s, nous nous habillons Ă  la hĂąte ; et Giton, qui jusqu’alors avait bien voulu nous servir de valet, reçoit l’ordre de nous suivre au bain. CHAPITRE XXVII. DĂšs que nous fĂ»mes sortis, nous commençùmes Ă  rĂŽder de tous cĂŽtĂ©s, ou plutĂŽt Ă  folĂątrer. Des joueurs Ă©taient rĂ©unis en cercle nous nous en approchons, et le premier objet qui frappe notre vue est un vieillard au front chauve, vĂȘtu d’une tunique rousse, et jouant Ă  la paume avec de jeunes esclaves aux cheveux longs et flottants[1]. Nous ne savions qu’admirer le plus, ou la beautĂ© de ces enfants, ou la mollesse de ce vieux bouc, qui jouait en pantoufles avec des balles vertes. DĂšs qu’une de ces balles avait touchĂ© la terre, on la jetait au rebut un de ses gens, postĂ© prĂšs des joueurs avec une corbeille bien garnie, leur en fournissait sans cesse de nouvelles. Entre autres choses bizarres, nous vĂźmes, aux deux extrĂ©mitĂ©s du jeu, deux eunuques, dont l’un portait un pot de nuit d’argent, l’autre comptait les balles, non pas celles que les joueurs se renvoyaient les uns aux autres, mais celles qui tombaient Ă  terre. Tandis que nous admirions cette magnificence, MĂ©nĂ©las vint Ă  nous — VoilĂ , nous dit-il, en dĂ©signant Trimalchion, voilĂ  celui qui vous traite aujourd’hui ; ce que vous voyez n’est que le prĂ©lude du souper. — Il allait en dire davantage, quand Trimalchion fait craquer ses doigts[2]. À ce signal du maĂźtre, l’un des eunuques approche, le bassin Ă  la main. Trimalchion soulage sa vessie, fait signe qu’on lui serve de l’eau, en mouille lĂ©gĂšrement l’extrĂ©mitĂ© de ses doigts, et les essuie aux cheveux d’un esclave[3]. CHAPITRE XXVIII. On ne finirait pas de raconter toutes les singularitĂ©s qui nous frappĂšrent. Enfin, nous nous rendĂźmes aux Thermes, et lĂ , nous passĂąmes promptement du bain chaud au rafraĂźchissoir. On venait de parfumer Trimalchion, et les frottoirs dont on l’essuyait Ă©taient, non pas de lin, mais du molleton le plus doux. Trois garçons Ă©tuvistes sablaient le falerne en sa prĂ©sence ; et comme, en se disputant Ă  qui boirait le plus, ils en rĂ©pandaient beaucoup Ă  terre — Buvez, buvez Ă  ma santĂ©, leur dit Trimalchion, il est de mon cru[1] ! — BientĂŽt on l’enveloppa d’une peluche Ă©carlate, puis on le plaça dans une litiĂšre prĂ©cĂ©dĂ©e de quatre valets de pied Ă  livrĂ©es magnifiques, et d’une chaise Ă  porteurs[2] oĂč figuraient les dĂ©lices de Trimalchion c’était un petit vieillard prĂ©coce, chassieux, plus laid que Trimalchion lui-mĂȘme. Tandis qu’on l’emportait, un musicien s’approcha de lui avec une petite flĂ»te ; et, penchĂ© Ă  son oreille, comme s’il lui eĂ»t confiĂ© quelque secret, il ne cessa d’en jouer pendant toute la route. DĂ©jĂ  rassasiĂ©s d’admiration, nous suivĂźmes en silence, et nous arrivĂąmes avec Agamemnon Ă  la porte du palais, sur le fronton duquel Ă©tait placĂ© un Ă©criteau avec cette inscription TOUT ESCLAVE QUI SORTIRA SANS L’AUTORISATION DU MAÎTRE RECEVRA CENT COUPS DE FOUET. Sous le vestibule mĂȘme se tenait le portier, habillĂ© de vert, avec une ceinture couleur cerise il Ă©cossait des pois dans un plat d’argent. Au-dessus du seuil Ă©tait suspendue une cage d’or renfermant une pie au plumage bigarrĂ©, qui saluait de ses cris ceux qui entraient. CHAPITRE XXIX. Pour moi, bouche bĂ©ante, j’admirais tout cela, quand, Ă  la gauche de l’entrĂ©e, prĂšs de la loge du portier, j’aperçus un Ă©norme dogue enchaĂźnĂ©, au-dessus duquel Ă©tait Ă©crit, en lettres capitales gare, gare le chien[1] ! Ce n’était un dogue qu’en peinture ; mais sa vue me causa un tel effroi, que je faillis tomber Ă  la renverse et me casser les jambes ; et mes compagnons de rire. Cependant, je recouvrai mes esprits, et je continuai l’examen des sujets peints Ă  fresque sur la muraille. On y voyait un marchĂ© d’esclaves qui portaient leurs titres suspendus Ă  leur cou[2], et Trimalchion lui-mĂȘme qui, les cheveux flottants, et un caducĂ©e Ă  la main, entrait dans Rome, conduit par Minerve. Plus loin, il Ă©tait reprĂ©sentĂ© prenant des leçons de calcul, puis devenant trĂ©sorier le peintre avait eu soin d’aider, par des inscriptions trĂšs dĂ©taillĂ©es, l’intelligence des spectateurs. À l’extrĂ©mitĂ© de ce portique, Mercure enlevait notre hĂ©ros par le menton, et le plaçait sur le siĂšge le plus Ă©levĂ© d’un tribunal. PrĂšs de lui s’empressait la Fortune avec une Ă©norme corne d’abondance ; et les trois Parques filaient ses destins avec des fils d’or. Je remarquai aussi une troupe d’esclaves qui, sous la conduite d’un maĂźtre, s’exerçaient Ă  la course. Dans un angle du portique, je vis encore une vaste armoire qui renfermait un reliquaire oĂč Ă©taient placĂ©s des Lares d’argent, une statue de VĂ©nus en marbre, et une boĂźte d’or d’assez grande dimension[3], qui, disait-on, renfermait la premiĂšre barbe de Trimalchion. Alors, je me mis Ă  interroger le concierge. — Quelles sont, lui dis-je, ces peintures que je vois au centre du portique ? — L’Iliade et l’OdyssĂ©e, me rĂ©pondit-il ; sur la gauche, vous voyez un combat de gladiateurs. CHAPITRE XXX. Nous n’avions pas le temps d’examiner Ă  loisir toutes ces curiositĂ©s. DĂ©jĂ  nous Ă©tions arrivĂ©s Ă  la salle du festin, Ă  l’entrĂ©e de laquelle se tenait l’intendant de la maison, recevant des comptes ce qui m’étonna le plus, ce fut d’apercevoir, sur le chambranle de la porte, des faisceaux surmontĂ©s de haches, et dont l’extrĂ©mitĂ© infĂ©rieure se terminait par une espĂšce d’éperon de galĂšre en airain, sur lequel Ă©tait Ă©crit À GAÏUS POMPÉE TRIMALCHION SÉVIR AUGUSTAL CINNAME SON TRÉSORIER. Cette inscription Ă©tait Ă©clairĂ©e par une double lampe suspendue Ă  la voĂ»te. J’aperçus aussi deux tablettes attachĂ©es aux deux battants de la porte ; l’une, si j’ai bonne mĂ©moire, portait ces mots LE III, ET LA VEILLE DES CALENDES DE JANVIER, GAÏUS NOTRE MAÎTRE SOUPE EN VILLE. l’autre reprĂ©sentait le cours de la lune, les sept planĂštes, les jours fastes et nĂ©fastes, indiquĂ©s par des points de diffĂ©rentes couleurs. Au moment oĂč, enivrĂ©s de tant de merveilles, nous nous disposions Ă  entrer dans la salle du banquet, un esclave, spĂ©cialement chargĂ© de cet emploi, nous cria — Du pied droit ! — Il y eut parmi nous un moment de confusion, dans la crainte que quelqu’un des convives ne franchĂźt le seuil sans prendre le pas d’ordonnance. Enfin, nous partions tous ensemble du pied droit, quand tout Ă  coup un autre esclave, dĂ©pouillĂ© de ses vĂȘtements, tombe Ă  nos pieds, et nous supplie de le soustraire au chĂątiment dont il est menacĂ© sa faute, Ă  l’entendre, Ă©tait trĂšs lĂ©gĂšre tandis que le trĂ©sorier Ă©tait au bain, chargĂ© de la garde de ses habits, il les avait laissĂ© prendre ; mais ils valaient Ă  peine dix sesterces, nous dit-il. Faisant donc volte-face, et toujours partant du pied droit, nous allons vers le trĂ©sorier ; nous le trouvons Ă  son bureau, qui comptait de l’or, et nous le supplions instamment de faire grĂące Ă  ce pauvre esclave. — C’est moins la perte que j’ai faite, nous dit-il, en jetant sur nous un regard orgueilleux, que la nĂ©gligence de ce misĂ©rable qui m’irrite. Le vĂȘtement qu’il m’a laissĂ© prendre Ă©tait une robe de banquet[1] elle m’avait Ă©tĂ© donnĂ©e par un de mes clients, le jour anniversaire de ma naissance ; elle Ă©tait assurĂ©ment de pourpre Tyrienne ; mais elle avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© lavĂ©e une fois. Quoi qu’il en soit, je vous accorde la grĂące du coupable. CHAPITRE XXXI. Reconnaissants d’une si grande clĂ©mence, nous Ă©tions Ă  peine entrĂ©s dans la salle du festin, quand ce mĂȘme esclave, pour lequel nous venions d’intercĂ©der, se prĂ©cipite vers nous, et, pour nous remercier de cet acte d’humanitĂ©, nous applique tant et de si vigoureux baisers, que nous ne savions oĂč nous en Ă©tions. — Du reste, nous dit-il, vous allez bientĂŽt connaĂźtre que vous n’avez pas obligĂ© un ingrat c’est moi qui sers le vin du maĂźtre, et j’en dispose Ă  mon grĂ©. — Lorsque, aprĂšs tous ces retards, nous fĂ»mes enfin placĂ©s Ă  table, des esclaves Ă©gyptiens[1] nous versĂšrent sur les mains de l’eau de neige[2], et furent bientĂŽt remplacĂ©s par d’autres qui nous lavĂšrent les pieds et nous nettoyĂšrent les ongles avec une admirable dextĂ©ritĂ© ce que faisant, ils ne gardaient pas le silence, mais ils chantaient, tout en s’acquittant d’un si triste office. Curieux de savoir si les autres esclaves faisaient ainsi leur service en chantant, je demande Ă  boire aussitĂŽt un esclave empressĂ© m’apporte une coupe, en accompagnant cette action d’un chant aigre et discordant ainsi faisaient tous les gens de la maison lorsqu’on leur demandait quelque chose. Vous eussiez cru ĂȘtre au milieu d’un chƓur de pantomimes plutĂŽt qu’à la table d’un pĂšre de famille. Cependant, on apporte le premier service, qui Ă©tait on ne peut plus splendide ; car dĂ©jĂ  tout le monde Ă©tait Ă  table, Ă  l’exception de Trimalchion, Ă  qui, contre l’usage, on avait rĂ©servĂ© la place d’honneur. Sur un plateau destinĂ© aux hors-d’Ɠuvre Ă©tait un petit Ăąne en bronze de Corinthe, portant un bissac qui contenait d’un cĂŽtĂ© des olives blanches, de l’autre des noires. Sur le dos de l’animal Ă©taient deux plats d’argent sur le bord desquels Ă©taient gravĂ©s le nom de Trimalchion et le poids du mĂ©tal[3]. Des arceaux en forme de ponts soutenaient des loirs assaisonnĂ©s avec du miel et des pavots[4]. Plus loin, des saucisses brĂ»lantes sur un gril d’argent ; et, au-dessous du gril, des prunes de Syrie et des grains de grenade. CHAPITRE XXXII. Nous Ă©tions plongĂ©s dans cet ocĂ©an de dĂ©lices, lorsqu’aux accents d’une symphonie parut Trimalchion lui-mĂȘme, portĂ© par des esclaves qui le posĂšrent bien mollement sur un lit garni de petits coussins. À cet aspect imprĂ©vu, nous ne pĂ»mes nous empĂȘcher de rire Ă©tourdiment. Il fallait voir sa tĂȘte chauve s’échappant d’un voile de pourpre[1], et son cou affublĂ© d’une vaste serviette, en forme de laticlave, qui s’étendait sur tous les vĂȘtements dont il Ă©tait chargĂ©, et retombait en franges des deux cĂŽtĂ©s. Il portait aussi, au petit doigt de la main gauche, un grand anneau dorĂ©, et, Ă  l’extrĂ©mitĂ© du doigt suivant, un anneau de plus petite dimension, mais d’or pur, Ă  ce qu’il me parut, et parsemĂ© d’étoiles d’acier. Ce n’est pas tout pour nous Ă©blouir de l’éclat de ses richesses, il dĂ©couvrit son bras droit, ornĂ© d’un bracelet d’or, Ă©maillĂ© de lames de l’ivoire le plus brillant. CHAPITRE XXXIII. — Amis, nous dit-il, en se nettoyant la bouche avec un cure-dent d’argent[1], si je n’avais suivi que mon goĂ»t, je ne serais pas venu si tĂŽt vous rejoindre ; mais, pour ne pas retarder plus longtemps vos plaisirs par mon absence, je me suis arrachĂ© volontairement Ă  un jeu qui m’amusait beaucoup permettez-moi donc, je vous prie, de finir ma partie. — En effet, il Ă©tait suivi d’un esclave portant un damier de bois de tĂ©rĂ©binthe et des dĂ©s de cristal ; et, ce qui me parut le comble du raffinement, au lieu de dames blanches et noires, il se servait de piĂšces d’or et d’argent. Tandis qu’en jouant il enlevait tous les pions de son adversaire, on nous sert, sur un plateau, une corbeille dans laquelle Ă©tait une poule de bois sculptĂ©, qui, les ailes ouvertes et Ă©tendues en cercle, semblait rĂ©ellement couver des Ɠufs. AussitĂŽt deux esclaves s’en approchĂšrent, aux accords de l’éternelle symphonie ; et, fouillant dans la paille, en retirĂšrent des Ɠufs de paon qu’ils distribuĂšrent aux convives. Cette scĂšne attira les regards de Trimalchion — Amis, nous dit-il ; c’est par mon ordre qu’on a mis des Ɠufs de paon sous cette poule. Et, certes, j’ai lieu de craindre qu’ils ne soient dĂ©jĂ  couvis ; essayons toutefois s’ils sont encore mangeables. — On nous servit, Ă  cet effet, des cuillers qui ne pesaient pas moins d’une demi-livre, et nous brisĂąmes ces Ɠufs, recouverts d’une pĂąte lĂ©gĂšre, qui imitait parfaitement la coquille. J’étais sur le point de jeter celui qu’on m’avait servi, car je croyais y voir remuer un poulet, lorsqu’un vieux parasite m’arrĂȘta — Il y a lĂ  dedans, me dit-il, je ne sais quoi d’excellent. — Je cherche donc dans la coquille, et j’y trouve un becfigue bien gras, enseveli dans des jaunes d’Ɠufs poivrĂ©s. CHAPITRE XXXIV. Cependant Trimalchion, interrompant sa partie, se fit apporter successivement tous les mets qu’on nous avait servis. Il venait de nous annoncer Ă  haute voix que, si quelqu’un de nous dĂ©sirait retourner au vin miellĂ©[1], il n’avait qu’à parler ; lorsqu’à un nouveau signal donnĂ© par l’orchestre, un chƓur d’esclaves enleva en cadence les entrĂ©es. Au milieu du tumulte que causa le service, un plat d’argent vint Ă  tomber ; un esclave, croyant bien faire, le ramasse. Trimalchion, qui s’en aperçoit, fait appliquer Ă  l’officieux serviteur de vigoureux soufflets, pour punir sa gaucherie, et ordonne que l’on rejette Ă  terre ce mĂȘme plat d’argent[2], qu’un valet vient balayer avec les autres ordures. Alors entrĂšrent deux Éthiopiens Ă  longue chevelure, portant deux petites outres pareilles Ă  celles dont on se sert pour arroser l’amphithéùtre, et, au lieu d’eau, ils nous versĂšrent du vin sur les mains. Comme on s’extasiait sur cet excĂšs de luxe, notre hĂŽte s’écria — Mars aime l’égalitĂ©. — En consĂ©quence, il exige que chacun des convives ait sa table Ă  lui seul — Par ce moyen, ajouta-t-il, ces esclaves puants, n’étant plus entassĂ©s, nous suffoqueront moins. — AussitĂŽt on apporte des flacons de cristal soigneusement cachetĂ©s[3] ; au cou de chacun d’eux Ă©tait suspendue une Ă©tiquette ainsi conçue FALERNE OPIMIEN DE CENT ANS. Tandis que nous parcourions des yeux les Ă©tiquettes, Trimalchion battant des mains — HĂ©las ! s’écria-t-il, hĂ©las ! il est donc vrai, le vin vit plus longtemps que l’homme ! Buvons donc comme des Ă©ponges ; le vin, c’est la vie celui que je vous offre est du vĂ©ritable opimien hier, j’avais Ă  souper meilleure compagnie, et le vin qu’on servit Ă©tait moins bon. — Tandis que, tout en buvant, nous admirions en dĂ©tail la somptuositĂ© du festin, un esclave posa sur la table un squelette d’argent[4], si bien imitĂ©, que les vertĂšbres et les articulations se mouvaient avec facilitĂ© dans tous les sens. Lorsque l’esclave eut fait jouer deux ou trois fois les ressorts de cet automate, et lui eut fait prendre plusieurs attitudes, Trimalchion se mit Ă  dĂ©clamer Que l’homme est peu de chose, hĂ©las ! et de ses ans____Que la trame est courte et fragile ! La tombe est sous nos pas ; mais, dans leur vol agile, Sachons, par le plaisir, embellir nos instants. CHAPITRE XXXV. Cette espĂšce d’élĂ©gie fut interrompue par l’arrivĂ©e du second service, dont la magnificence ne rĂ©pondit pas Ă  notre attente. Cependant, un nouveau prodige attira bientĂŽt tous les regards c’était un surtout en forme de globe, autour duquel Ă©taient reprĂ©sentĂ©s les douze signes du zodiaque, rangĂ©s en cercle[1]. Au-dessus de chacun d’eux, le maĂźtre d’hĂŽtel avait placĂ© des mets qui, par leur forme ou leur nature, avaient quelque rapport avec ces constellations sur le BĂ©lier, des pois chiches ; sur le Taureau, une piĂšce de bƓuf ; sur les GĂ©meaux, des rognons et des testicules ; sur le Cancer, une simple couronne ; sur le Lion, des figues d’Afrique ; sur la Vierge, une matrice de truie ; au-dessus de la Balance, un peson qui, d’un cĂŽtĂ©, soutenait une tourte, de l’autre, un gĂąteau ; au-dessus du Scorpion, un petit poisson de mer ; au-dessus du Sagittaire, un liĂšvre ; une langouste sur le Capricorne ; sur le Verseau, une oie ; deux surmulets sur les Poissons. Au centre de ce beau globe, une touffe de gazon artistement ciselĂ©e supportait un rayon de miel. Un esclave Ă©gyptien nous prĂ©sentait Ă  la ronde du pain chaud dans un petit four d’argent ; et, chemin faisant, ce mĂȘme esclave tirait de son rauque gosier un hymne en l’honneur de je ne sais quelle infusion de laser et de vin. Nous nous disposions tristement Ă  attaquer des mets aussi grossiers, quand Trimalchion — Si vous voulez m’en croire, mangeons[2], nous dit-il ; vous avez devant vous le plus succulent du repas. CHAPITRE XXXVI. Il dit ; et, au son des instruments, quatre esclaves s’élancent vers la table, et enlĂšvent, en dansant, la partie supĂ©rieure de ce globe. Soudain se dĂ©couvre Ă  nos yeux un nouveau service des volailles engraissĂ©es[1], une tĂ©tine de truie, un liĂšvre avec des ailes sur le dos, qui figurait PĂ©gase. Nous remarquĂąmes aussi, dans les angles de ce surtout, quatre satyres qui portaient de petites outres d’oĂč s’écoulait une saumure poivrĂ©e[2], dont les flots allaient grossir l’euripe oĂč nageaient des poissons tout accommodĂ©s[3]. À cette vue, tous les valets d’applaudir, et nous de les imiter. Ce fut alors avec un rire de satisfaction que nous attaquĂąmes ces mets exquis. Trimalchion, enchantĂ© comme nous de cette surprise mĂ©nagĂ©e par le cuisinier — Coupez ! s’écria-t-il. — AussitĂŽt s’avance un Ă©cuyer tranchant qui se met Ă  dĂ©couper les viandes, en observant dans tous ses gestes la mesure de l’orchestre[4], avec une telle exactitude, que l’on eĂ»t dit un conducteur de chars parcourant l’arĂšne aux sons de l’orgue hydraulique. Cependant Trimalchion disait toujours avec les plus douces inflexions de voix — Coupez, coupez. — Soupçonnant quelque fine plaisanterie dans ce mot si souvent rĂ©pĂ©tĂ©, je n’hĂ©sitai pas Ă  demander Ă  mon plus proche voisin le sens de cette Ă©nigme. Il avait Ă©tĂ© souvent tĂ©moin de semblables scĂšnes — Vous voyez bien, me rĂ©pondit-il, cet esclave chargĂ© de dĂ©couper ? CoupĂ© est son nom. Ainsi toutes les fois que notre hĂŽte lui dit Coupez ! du mĂȘme mot il appelle et il commande. CHAPITRE XXXVII. Mon appĂ©tit Ă©tant complĂštement satisfait, je me tournai tout Ă  fait vers mon voisin, pour entendre plus aisĂ©ment ses rĂ©ponses ; et, aprĂšs une foule de questions qui n’avaient pour but que d’engager la conversation — Quelle est, lui dis-je, cette femme que je vois sans cesse aller et venir de tous cĂŽtĂ©s ? — C’est la femme de Trimalchion[1] on l’appelle Fortunata, et jamais nom ne fut mieux mĂ©ritĂ©, car elle mesure l’or au boisseau. — Qu’était-elle avant son mariage ? — Sauf votre respect[2], vous n’eussiez pas voulu recevoir de sa main un morceau de pain. Mais je ne sais ni pourquoi ni comment elle est parvenue Ă  cette Ă©lĂ©vation Trimalchion ne voit que par ses yeux, Ă  un tel point, que, si elle lui disait qu’il fait nuit Ă  midi, il le croirait. Ce CrĂ©sus est si riche, qu’il ne connaĂźt pas toute l’étendue de ses biens ; mais cette bonne mĂ©nagĂšre veille Ă  tous les dĂ©tails de sa fortune vous la trouvez toujours oĂč vous l’attendiez le moins. Elle est sobre, tempĂ©rante, de bon conseil ; mais c’est une langue de vipĂšre, une vĂ©ritable pie domestique[3]. Quand elle aime, elle aime bien ; mais aussi quand elle hait, c’est de toute son Ăąme[4]. Trimalchion possĂšde de si vastes domaines, qu’ils lasseraient les ailes d’un milan. Il entasse les intĂ©rĂȘts des intĂ©rĂȘts, et l’on voit plus d’argent dans la loge de son portier, que personne de nos jours n’en possĂšde pour tout patrimoine. Quant Ă  ses esclaves, oh ! oh ! par ma foi, je ne crois pas que la dixiĂšme partie d’entre eux connaisse son maĂźtre. Mais la crainte qu’il leur inspire est telle, qu’avec une simple houssine il les ferait tous entrer dans un trou de souris. CHAPITRE XXXVIII. Mais gardez-vous de croire qu’il ait besoin de rien acheter ; il trouve dans ses domaines tout ce qu’il lui faut la laine, la cire, le poivre ; vous demanderiez chez lui du lait de poule qu’on vous en servirait aussitĂŽt. Ses brebis ne lui donnaient qu’une laine de mĂ©diocre qualitĂ© ; il a fait acheter des bĂ©liers Ă  Tarente[1] pour renouveler ses troupeaux. Pour avoir dans ses ruches du miel attique ; il a fait venir du mont Hymette des essaims, et il espĂšre que les abeilles du pays deviendront meilleures par leur croisement avec celles de la GrĂšce. Ces jours derniers ne s’est-il pas avisĂ© d’écrire qu’on lui envoyĂąt des Indes de la graine de champignons[2] ! Bien plus, il n’y a pas, dans ses haras, une seule mule qui n’ait pour pĂšre un onagre[3]. Vous voyez bien tous ces lits ? il n’y en a pas un dont la laine ne soit teinte en pourpre ou en Ă©carlate. Est-il un mortel plus heureux ! Quant Ă  ces affranchis, ses anciens compagnons de servitude[4], n’allez pas les mĂ©priser ils nagent dans l’opulence. Remarquez celui qui occupe la derniĂšre place au bas cĂŽtĂ© de la table il possĂšde aujourd’hui huit cents grands sesterces ; naguĂšre c’était moins que rien ; il Ă©tait obligĂ© de porter du bois pour vivre. On assure pour moi j’ignore si le fait est vrai, mais je l’ai entendu dire qu’ayant eu derniĂšrement l’adresse de s’emparer du chapeau d’un incube, il a trouvĂ© un trĂ©sor. Si, en effet, quelque dieu lui a fait ce prĂ©sent, je ne lui porte pas envie. Il n’en est pas moins un affranchi de fraĂźche date ; mais il ne s’en trouve pas plus mal. Aussi, derniĂšrement, a-t-il fait mettre cette inscription sur sa porte C. POMPÉE DIOGÈNE, DEPUIS LES CALENDES DE JUILLET, A MIS EN LOCATION LA CHAMBRE QU’IL HABITAIT, PARCE QU’IL VIENT D’ACHETER UNE MAISON POUR LUI-MÊME. Quel est, continuai-je, celui qui occupe la place destinĂ©e aux affranchis ? comme il se soigne, le gaillard ! — Je ne lui en fais pas reproche ; il avait dĂ©cuplĂ© son patrimoine ; mais ses affaires ont mal tournĂ© il n’a pas sur la tĂȘte un cheveu qui lui appartienne ; et cependant ce n’est pas sa faute, car il n’y a pas sur la terre un plus honnĂȘte homme, mais bien celle de quelques fripons d’affranchis qui l’ont dĂ©pouillĂ© jusqu’au dernier sou. Car dĂšs que la marmite est renversĂ©e[5], et que la fortune dĂ©cline, les amis disparaissent aussitĂŽt. — Et par quel honnĂȘte mĂ©tier est-il parvenu au rang qu’il occupe maintenant ? — Le voici il Ă©tait entrepreneur de funĂ©railles. Sa table Ă©tait servie comme celle d’un roi on y voyait des sangliers entiers encore couverts de leurs soies[6], des piĂšces de pĂątisserie, des oiseaux rares, des cerfs, des poissons, des liĂšvres. On rĂ©pandait chez lui plus de vin sous la table que bien d’autres n’en ont dans leurs celliers. — Mais c’est un rĂȘve qu’une pareille extravagance. — Aussi, lorsqu’il vit son crĂ©dit chanceler, de peur que ses crĂ©anciers ne s’imaginassent qu’il en Ă©tait aux expĂ©dients, il fit afficher cet avis JULIUS PROCULUS VENDRA A L’ENCAN LE SUPERFLU DE SON MOBILIER. CHAPITRE XXXIX. Trimalchion interrompit cet agrĂ©able entretien[1]. On avait dĂ©jĂ  enlevĂ© le second service, et, le vin excitant la gaietĂ© des convives, la conversation Ă©tait devenue gĂ©nĂ©rale. Alors notre hĂŽte, les coudes appuyĂ©s sur la table[2] — Égayons notre vin, mes amis, et buvons assez pour mettre Ă  la nage les poissons que nous avons mangĂ©s. Pensez-vous, dites-moi, que je me contente des mets qu’on nous a servis dans les compartiments de ce surtout que vous avez vu ? Qu’est-ce Ă  dire ? Connaissez-vous si peu les ruses d’Ulysse[3] ? Mais sachons cependant entremĂȘler aux plaisirs de la table les dissertations savantes[4]. Que la cendre de mon bienfaiteur repose en paix ! c’est Ă  lui que je dois de jouer le rĂŽle d’un homme parmi mes semblables. Aussi l’on ne peut rien me servir qui m’étonne par sa nouveautĂ© par exemple, je puis, mes chers amis, vous expliquer l’allĂ©gorie de ce globe. Le ciel est le sĂ©jour de douze divinitĂ©s dont il prend tour Ă  tour les diffĂ©rentes figures[5]. TantĂŽt il est sous l’influence du BĂ©lier, et tous ceux qui reçoivent le jour sous cette constellation possĂšdent de nombreux troupeaux et de la laine en abondance. Ils sont, en outre, entĂȘtĂ©s, sans pudeur ; ils aiment Ă  heurter les gens[6]. Ce signe prĂ©side Ă  la naissance de la plupart des Ă©tudiants et des dĂ©clamateurs. — Nous applaudĂźmes Ă  la fine plaisanterie de notre astrologue[7] ; aussi s’empressa-t-il d’ajouter — Le Taureau vient ensuite rĂ©gner sur les cieux alors naissent les gens hargneux, les bouviers et ceux qui n’ont d’autre occupation que de paĂźtre comme des brutes. Ceux qui naissent sous le signe des GĂ©meaux aiment Ă  s’accoupler comme les deux chevaux d’un char, les deux taureaux d’une charrue et les deux organes de la gĂ©nĂ©ration ; ils brĂ»lent Ă©galement pour les deux sexes. Pour moi, j’ai reçu le jour sous le signe du Cancer ; comme cet animal amphibie, je marche sur plusieurs pieds, et mes possessions s’étendent sur l’un et l’autre Ă©lĂ©ment aussi, je n’ai placĂ© sur ce signe qu’une couronne, pour ne pas dĂ©figurer mon horoscope[8]. Sous le Lion naissent les grands mangeurs et ceux qui aiment Ă  dominer ; sous la Vierge, les hommes effĂ©minĂ©s, poltrons et destinĂ©s Ă  porter des fers ; sous la Balance, les bouchers, les parfumeurs, et tous ceux qui vendent leurs marchandises au poids ; sous le Scorpion, les empoisonneurs et les meurtriers ; sous le Sagittaire, ces gens Ă  l’Ɠil louche, qui semblent regarder les lĂ©gumes et dĂ©crochent le lard ; sous le Capricorne, les portefaix, dont la peau devient calleuse Ă  force de travail ; sous le Verseau, les cabaretiers et les gens Ă  tĂȘte de citrouille[9] ; sous les Poissons enfin, les cuisiniers et les rhĂ©teurs[10]. Ainsi tourne le monde, comme une meule, et ce mouvement de rotation nous apporte toujours quelque malheur, soit qu’il nous fasse naĂźtre ou mourir. Quant au gazon que vous voyez au milieu du globe, et au rayon de miel dont il est couvert, ce n’est pas sans raison ; car la terre, notre commune mĂšre, arrondie comme un Ɠuf, occupe le centre de l’univers et elle renferme dans son sein tous les biens dĂ©sirables, dont le miel est l’emblĂšme. CHAPITRE XL. Admirable ! s’écriĂšrent Ă  la fois tous les convives, en levant les mains au ciel chacun de nous jurait qu’Hipparque ni Aratus ne mĂ©ritaient d’ĂȘtre comparĂ©s Ă  Trimalchion. Ce concert d’éloges fut interrompu par l’entrĂ©e de valets qui Ă©tendirent sur nos lits des tapis oĂč Ă©taient reprĂ©sentĂ©s en broderie des filets, des piqueurs avec leurs Ă©pieux, enfin, tout l’attirail de la chasse. Nous ne savions encore ce que cela signifiait, lorsque tout Ă  coup un grand bruit se fait entendre au dehors, et des chiens de Laconie, s’élançant dans la salle, se mettent Ă  courir autour de la table. Ils Ă©taient suivis d’un plateau sur lequel on portait un sanglier de la plus haute taille. Sa hure Ă©tait coiffĂ©e d’un bonnet d’affranchi ; Ă  ses dĂ©fenses Ă©taient suspendues deux corbeilles tissues de petites branches de palmier, l’une remplie de dattes de Syrie, l’autre de dattes de la ThĂ©baĂŻde[1]. Des marcassins faits de pĂąte cuite au four entouraient l’animal, comme s’ils eussent voulu se suspendre Ă  ses mamelles, et nous indiquaient assez que c’était une laie les convives Ă  qui on les offrit eurent la permission de les emporter. Cette fois, ce ne fut pas ce mĂȘme CoupĂ©, que nous avions vu dĂ©pecer les autres piĂšces, qui se prĂ©senta pour faire la dissection du sanglier, mais un grand estafier, Ă  longue barbe, dont les jambes Ă©taient enveloppĂ©es de bandelettes, et qui portait un habit de chasseur. Tirant son couteau de chasse, il en donne un grand coup dans le ventre du sanglier soudain, de son flanc entr’ouvert, s’échappe une volĂ©e de grives. En vain les pauvres oiseaux cherchent Ă  s’échapper en voltigeant autour de la salle ; des oiseleurs, armĂ©s de roseaux enduits de glu, les rattrapent Ă  l’instant, et, par l’ordre de leur maĂźtre, en offrent un Ă  chacun des convives. Alors Trimalchion — Voyez un peu si ce glouton de sanglier n’a pas avalĂ© tout le gland de la forĂȘt. — AussitĂŽt les esclaves courent aux corbeilles suspendues Ă  ses dĂ©fenses, et nous distribuent, par portions Ă©gales, les dattes de Syrie et de ThĂ©baĂŻde. CHAPITRE XLI. Au milieu de tout ce mouvement, comme j’avais une place un peu sĂ©parĂ©e des autres, je me livrais Ă  une foule de rĂ©flexions sur ce sanglier que l’on avait servi coiffĂ© d’un bonnet d’affranchi. AprĂšs avoir Ă©puisĂ© toutes les conjectures les plus ridicules, je me hasardai Ă  interroger de nouveau ce mĂȘme voisin qui m’avait dĂ©jĂ  servi d’interprĂšte, et Ă  lui exposer la cause de mon embarras — Comment ! me dit-il ; mais votre esclave pourrait sans peine vous expliquer cela ; car ce n’est pas une Ă©nigme. Rien de plus simple, en effet. Ce sanglier fut servi hier sur la fin du repas ; les convives rassasiĂ©s le renvoyĂšrent sans y toucher ; c’était lui rendre sa libertĂ© aussi le voyez-vous reparaĂźtre aujourd’hui sur la table avec les attributs d’un affranchi. — Honteux de mon ignorance, je bornai lĂ  mes questions, dans la crainte de passer pour un homme qui n’avait jamais mangĂ© en bonne compagnie. Pendant cet entretien, un jeune esclave d’une grande beautĂ©, couronnĂ© de pampre et de lierre, faisait le tour de la table avec une corbeille de raisins qu’il prĂ©sentait aux convives. Se donnant tour Ă  tour les noms de Bromius, de LyĂŠus et d’Evius, il chantait d’une voie aiguĂ« des vers que son maĂźtre avait composĂ©s. À ces accents, Trimalchion se tournant vers lui — Bacchus, lui dit-il, sois libre[1]. — L’esclave aussitĂŽt dĂ©coiffe le sanglier de son bonnet, et le pose sur sa tĂȘte. — Alors Trimalchion ajouta — Vous avouerez que, chez moi, Bacchus est le pĂšre de la libertĂ©, puisque je viens de l’affranchir. — Nous applaudĂźmes Ă  ce bon mot du patron, et chacun Ă  la ronde couvrit de baisers le jeune esclave. PressĂ© de satisfaire un besoin secret, Trimalchion quitta la table. Son dĂ©part, en nous dĂ©livrant d’un tyran importun, ranima la conversation des convives. L’un d’entre eux, le premier, ayant demandĂ© des raisins Ă  Bacchus — Qu’est-ce qu’un jour ? s’écria-t-il, un espace insensible Ă  peine a-t-on le temps de se retourner, que dĂ©jĂ  la nuit vient. Ainsi donc rien de plus sage que de passer directement du lit Ă  la table. On n’a pas encore eu le temps de se refroidir, et l’on n’a pas besoin d’un bain pour se rĂ©chauffer toutefois, une boisson chaude est le meilleur des manteaux. J’ai bu comme un Thrace, aussi je ne sais plus ce que je dis, et le vin m’a brouillĂ© la cervelle. CHAPITRE XLII. Seleucus, l’interrompant, prit la parole en ces termes — Ni moi non plus, je ne me baigne pas tous les jours ; c’est lĂ  un mĂ©tier de foulon. L’eau a des dents invisibles qui rongent chaque jour notre corps et le minent insensiblement ; mais quand je me suis garni l’estomac d’une coupe de vin miellĂ©, je me moque du froid. D’ailleurs, je n’ai pas pu me baigner aujourd’hui, car j’ai assistĂ© Ă  des funĂ©railles, Ă  celles d’un homme aimable[1], de cet excellent Chrysanthe, qui vient de rendre l’ñme. Il m’appelait encore il n’y a qu’un instant ; il me semble qu’il est lĂ  et que je lui parle. HĂ©las ! hĂ©las ! l’homme n’est qu’une outre enflĂ©e de vent ! c’est moins qu’une mouche car cet insecte a du moins quelques propriĂ©tĂ©s ; mais nous, nous ne sommes que des bulles d’eau. Que dirait-on, si Chrysanthe n’eĂ»t pas observĂ© un rĂ©gime sĂ©vĂšre ? Pendant cinq jours, il n’est pas entrĂ© dans sa bouche une goutte d’eau, pas une miette de pain, et cependant il s’en est allĂ© ! Mais il a eu un trop grand nombre de mĂ©decins, ou, plutĂŽt, il a succombĂ© Ă  son mauvais destin car un mĂ©decin ne peut que soulager l’esprit[2]. Quoi qu’il en soit, il a Ă©tĂ© enterrĂ©, on peut le dire, avec les plus grands honneurs, sur son lit de festin, enveloppĂ© de belles couvertures il y avait un grand nombre de pleureuses Ă  son convoi. Il a affranchi quelques esclaves ; eh bien, son Ă©pouse a fait Ă  peine semblant de verser quelques larmes. Qu’aurait-elle fait, s’il ne l’avait pas si bien traitĂ©e ? Mais les femmes ! qu’est-ce que les femmes ? elles sont de la nature du milan leur faire le moindre bien, c’est comme si l’on le jetait dans un puits. Un vieil attachement devient pour elles une prison insupportable. CHAPITRE XLIII. Il y eut alors un certain PhilĂ©ros qui s’écria — Ne pensons qu’aux vivants ! Chrysanthe a eu le sort qu’il mĂ©ritait il a vĂ©cu honorablement, on l’a traitĂ© honorablement aprĂšs sa mort qu’a-t-il Ă  se plaindre ? Il n’avait pas un sou Ă  son dĂ©but, et il eĂ»t ramassĂ© avec ses dents une obole dans un tas de fumier aussi, s’est-il arrondi peu Ă  peu, et s’est accru comme un rayon de miel. Je crois, sur ma foi ! qu’il laisse cent mille sesterces, et le tout en argent comptant. Cependant je vous dirai toute la vĂ©ritĂ© sur son compte, car je suis la franchise mĂȘme[1]. Il avait la parole dure ; il Ă©tait grand bavard, et c’était la discorde en personne[2]. Son frĂšre Ă©tait un homme de cƓur, tout Ă  ses amis ; sa main Ă©tait libĂ©rale, et sa table ouverte Ă  tout le monde. À son dĂ©but, il n’était pas bien solide sur ses jambes ; mais il prit un maintien plus ferme Ă  la premiĂšre vendange il vendit son vin au prix qu’il voulut ; et, ce qui le fit surtout marcher la tĂȘte haute, c’est qu’il fit un hĂ©ritage dont il sut s’approprier une part plus considĂ©rable que celle qui lui avait Ă©tĂ© laissĂ©e. Alors Chrysanthe, furieux contre son frĂšre, n’a-t-il pas fait la sottise de lĂ©guer son patrimoine Ă  je ne sais quel intrigant, venu je ne sais d’oĂč ! Fuir ses parents, c’est s’expatrier soi-mĂȘme ; mais aussi il Ă©coutait ses affranchis comme des oracles ce sont eux qui l’ont engagĂ© dans cette mauvaise voie. On ne peut rien faire de raisonnable quand on se laisse trop facilement persuader, surtout un homme qui est dans le commerce toutefois, il est vrai de dire qu’il a fait de grands gains pendant sa vie, car il a reçu ce qui ne lui Ă©tait pas mĂȘme destinĂ©. Ce fut un vrai fils de la fortune. Dans ses mains le plomb se changeait en or ; mais rien n’est difficile aux personnes Ă  qui tout vient Ă  souhait. À quel Ăąge croyez-vous qu’il soit mort ? Ă  soixante-dix ans et plus. Mais il avait une santĂ© de fer, et portait son Ăąge Ă  merveille il avait le poil noir comme un corbeau. Je l’avais connu autrefois fort dĂ©bauchĂ© ; et vieux, c’était encore un fier gaillard ; il ne respectait ni l’ñge, ni le sexe ; tout lui Ă©tait bon, fĂ»t-ce un chien coiffĂ©. Qui pourrait l’en blĂąmer ? Le plaisir d’avoir joui, c’est tout ce qu’il emporte avec lui dans la tombe. CHAPITRE XLIV. Ainsi parla PhilĂ©ros ; GanymĂšde reprit en ces mots — Tous ces vains propos n’intĂ©ressent ni le ciel ni la terre ; et personne de vous ne songe Ă  la famine qui nous menace. Je vous jure que, de toute la journĂ©e, je n’ai pu trouver Ă  me procurer une bouchĂ©e de pain. Quelle en est la cause ? la sĂ©cheresse qui dure toujours il me semble que je suis Ă  jeun depuis un an. Malheur aux Ă©diles qui s’entendent avec les boulangers ! Aide-moi, je t’aiderai, voilĂ  ce qu’ils se disent entre eux aussi le menu peuple souffre, pendant que ces sangsues nagent dans l’abondance. Oh ! si nous avions encore parmi nous de ces hommes dĂ©terminĂ©s que je trouvai ici Ă  mon retour d’Asie ! C’est alors qu’il faisait bon vivre ! La Sicile intĂ©rieure avait Ă©prouvĂ© la mĂȘme disette la sĂ©cheresse avait brĂ»lĂ© les moissons de cette contrĂ©e, qu’on eĂ»t dite en butte au courroux de Jupiter. Mais Ă  cette Ă©poque vivait Safinius je m’en souviens, quoique je fusse bien jeune alors il demeurait auprĂšs du vieil aqueduc. Ce n’était point un homme, mais un vĂ©ritable tonnerre partout oĂč il passait, il mettait tout en combustion. D’ailleurs, cƓur droit, d’un commerce sĂ»r, ami dĂ©vouĂ© ; vous eussiez pu, sans crainte, jouer Ă  la mourre avec lui les yeux fermĂ©s[1]. C’est au forum qu’il fallait le voir ! il vous pilait ses adversaires comme dans un mortier. Il n’usait pas de dĂ©tours en parlant, mais il allait droit son chemin. Lorsqu’il plaidait au barreau, sa voix grossissait peu Ă  peu comme le son du clairon ; et jamais cependant on ne l’a vu ni suer ni cracher il avait le tempĂ©rament sec des Asiatiques[2]. Et comme il Ă©tait affable ! il rendait toujours un salut et appelait chacun par son nom on l’eĂ»t pris pour un simple citoyen comme nous. Aussi, pendant son Ă©dilitĂ©, les vivres Ă©taient pour rien. À cette Ă©poque, deux hommes affamĂ©s n’auraient pu manger un pain d’un sou ; aujourd’hui, ceux qu’on nous vend au mĂȘme prix ne sont pas gros comme l’Ɠil d’un bƓuf. HĂ©las ! hĂ©las ! tout va de mal en pire dans ce pays ; tout y croĂźt comme la queue d’un veau, en rĂ©trĂ©cissant. Peut-on s’en Ă©tonner ? Nous avons pour Ă©dile un homme de nĂ©ant qui donnerait notre vie pour une obole. Aussi fait-il bombance chez lui, et reçoit-il plus d’argent en un jour qu’un autre n’en possĂšde pour tout son patrimoine. Je pourrais citer telle affaire qui lui a valu mille deniers d’or. Oh ! si nous avions un peu de sang dans les veines, il ne nous mĂšnerait pas de la sorte ! Mais tel est le peuple aujourd’hui brave comme un lion au logis, timide, au dehors, comme un renard. Quant Ă  moi, j’ai dĂ©jĂ  mangĂ© le prix de mes habits ; et, si la disette continue, je serai forcĂ©, pour vivre, de vendre ma pauvre bicoque. Que devenir en effet, si ni les dieux ni les hommes ne prennent pitiĂ© de cette colonie ? Le ciel me soit en aide ! je crois que tout cela arrive par la volontĂ© des immortels ; car, de nos jours, personne ne pense qu’il y ait un dieu au ciel plus de jeĂ»nes ; on estime Jupiter moins que rien ; mais tous, les yeux tournĂ©s vers la terre, ne songent qu’à compter leur or. Autrefois, les femmes, pieds nus, les cheveux Ă©pars, le front voilĂ©, et surtout l’ñme pure, allaient, sur les coteaux, implorer Jupiter Pluvieux. AussitĂŽt la pluie tombait par torrents[3], et tout le monde se livrait Ă  la joie. Mais maintenant il n’en est pas ainsi oubliĂ©s dans leurs temples, les dieux ont toujours les pieds enveloppĂ©s de laine comme des souris ; aussi, pour prix de notre impiĂ©tĂ©, nos champs restent stĂ©riles. CHAPITRE XLV. Parle mieux, je te prie, dit Échion, homme de pauvre apparence[1] tout n’est qu’heur et malheur, comme disait ce paysan qui avait perdu un cochon bigarrĂ© ce qui n’arrive pas aujourd’hui arrivera demain ; ainsi va le monde. Certes, il n’y aurait pas de meilleur pays que le nĂŽtre, s’il Ă©tait habitĂ© par d’honnĂȘtes gens ; il souffre en ce moment, mais il n’est pas le seul. Il ne faut pas nous montrer si difficiles le soleil luit pour tout le monde. Si tu Ă©tais ailleurs, tu dirais qu’ici les cochons se promĂšnent tout rĂŽtis. N’allons-nous pas avoir, dans trois jours, un spectacle magnifique ? un combat, non pas de simples gladiateurs, mais oĂč l’on verra figurer un grand nombre d’affranchis[2] ! Titus, mon maĂźtre, est un homme magnanime ; il a la tĂȘte chaude, et vous verrez quelque chose d’extraordinaire d’une maniĂšre ou de l’autre je le connais mieux que personne, moi qui suis de sa maison. Ce ne sera pas un combat pour rire[3] ; mais il donnera aux combattants du fer bien trempĂ© ; ils n’auront pas la facultĂ© de fuir, et les spectateurs verront un vĂ©ritable carnage au milieu de l’arĂšne. Il a de quoi fournir Ă  de pareilles dĂ©penses son pĂšre, en mourant, lui a laissĂ© plus de trente millions de sesterces. Quand bien mĂȘme il en dĂ©penserait quatre cent mille mal Ă  propos, sa fortune n’en souffrira pas, et il se fera une rĂ©putation impĂ©rissable de gĂ©nĂ©rositĂ©. Il a dĂ©jĂ  quelques petits chevaux barbes et une conductrice de chars Ă  la gauloise[4] ; il a pris Ă  son service le trĂ©sorier de Glycon qui s’est laissĂ© surprendre dans les bras de sa maĂźtresse[5]. Vous rirez bien de voir le peuple prendre parti dans cette affaire, les uns pour le mari jaloux, les autres pour l’amant favorisĂ©. Quant Ă  Glycon, qui ne vaut pas un sesterce, il a fait jeter aux bĂȘtes son trĂ©sorier[6]. C’est se livrer au ridicule. En quoi cet esclave est-il coupable ? il a dĂ» obĂ©ir aux volontĂ©s de sa maĂźtresse. C’était plutĂŽt cette femme impudique qui mĂ©ritait d’ĂȘtre mise en piĂšces par les taureaux[7] ; mais quand on ne peut frapper l’ñne, on frappe le bĂąt. Comment, d’ailleurs, Glycon pouvait-il espĂ©rer que la fille d’HermogĂšne fĂźt jamais une bonne fin ? cela Ă©tait aussi impossible que de couper les ongles d’un milan au plus haut de son vol ; tel pĂšre, tel fils, dit le proverbe[8]. Glycon ! Glycon ! tu as tendu la joue ; aussi, tant que tu vivras, on y verra une tache que la mort seule peut effacer du reste, les fautes sont personnelles. Je flaire d’avance le festin que Mammea doit nous donner ; il y aura, j’espĂšre, deux deniers d’or pour moi et pour les miens. Si Mammea nous fait cette gĂ©nĂ©rositĂ©, puisse-t-il supplanter entiĂšrement Norbanus dans la faveur publique ! Vous le verrez, j’en suis certain, voler Ă  pleines voiles vers la fortune. Et, de bonne foi, quel bien nous a fait ce Norbanus ? Il nous a offert en spectacle de misĂ©rables gladiateurs louĂ©s Ă  vil prix, et dĂ©jĂ  si vieux, si dĂ©crĂ©pits, qu’un souffle les eĂ»t renversĂ©s. J’ai vu des athlĂštes plus redoutables pĂ©rir en combattant contre les bĂȘtes, Ă  la clartĂ© des flambeaux ici l’on semblait assister Ă  un combat de coqs. L’un Ă©tait si lourd, qu’il ne pouvait se traĂźner ; l’autre avait les pieds tortus ; un troisiĂšme[9], qui remplaça celui qui venait de pĂ©rir, Ă©tait lui-mĂȘme Ă  moitiĂ© mort, car il avait dĂ©jĂ  les nerfs coupĂ©s. Il n’y en eut qu’un seul, Thrace de nation, qui fit assez bonne contenance ; encore ce gladiateur novice semblait-il rĂ©pĂ©ter la leçon de son maĂźtre. À la fin, ils se firent tous quelque blessure[10] pour terminer le combat. Ce n’était, en effet, que des gladiateurs Ă  la douzaine, des poltrons, s’il en fut jamais. Cependant Norbanus me dit, en sortant Je vous ai donnĂ© un beau spectacle ! » — Et moi, je vous ai applaudi. Comptons maintenant, et vous verrez que je vous ai donnĂ© plus que je n’ai reçu. Une main lave l’autre. CHAPITRE XLVI. Il me semble, Agamemnon, vous entendre dire Que nous dĂ©bite lĂ  ce bavard importun ? » Mais pourquoi vous, qui parlez si bien, gardez-vous le silence ? Vous avez plus d’éducation que nous, et vous riez de nos discours, Ă  nous autres pauvres ignorants. Je n’ignore pas que vous ĂȘtes trĂšs fier de votre savoir. Mais quoi ? ne pourrai-je pas quelque jour vous persuader de venir Ă  la campagne visiter notre humble chaumiĂšre ? nous y trouverons, j’espĂšre, de quoi manger des poulets, des Ɠufs. Nous y passerons agrĂ©ablement le temps, quoique, cette annĂ©e, l’intempĂ©rie de la saison ait ruinĂ© toutes les rĂ©coltes. Il y aura toujours de quoi satisfaire notre appĂ©tit. À propos, je vous Ă©lĂšve un futur disciple dans mon petit Cicaro[1] il sait dĂ©jĂ  quatre parties de l’oraison ; s’il vit, il sera sans cesse Ă  vos cĂŽtĂ©s comme un petit esclave car, dĂšs qu’il a un moment de loisir, il ne lĂšve pas la tĂȘte de dessus son livre. Il est trĂšs intelligent et d’un bon caractĂšre je n’ai Ă  lui reprocher qu’un goĂ»t trop vif pour les oiseaux. Je lui ai dĂ©jĂ  tuĂ© trois chardonnerets, et je lui ai dit que la belette les avait mangĂ©s il en a cependant trouvĂ© d’autres. Il se plaĂźt aussi beaucoup Ă  faire des vers. Au reste, il a dĂ©jĂ  laissĂ© de cĂŽtĂ© le grec, et il commence Ă  se livrer avec beaucoup d’ardeur au latin, quoique son maĂźtre soit un pĂ©dant qui s’en fait trop accroire, et qui ne sait se fixer Ă  rien il ne manque pas assurĂ©ment de connaissances, mais il ne travaille pas assez. Mon fils a aussi un autre maĂźtre, qui n’est pas un grand docteur sans doute, mais qui enseigne avec beaucoup de soin ce qu’il ne sait pas. Il vient ordinairement chez moi les jours de fĂȘte, et se contente du moindre salaire. J’ai achetĂ© depuis peu pour ce cher enfant des livres de chicane[2], parce que je veux qu’il ait quelque teinture du droit, pour diriger les affaires de la maison. C’est lĂ  un vĂ©ritable gagne-pain ! Quant aux belles-lettres, il n’en a dĂ©jĂ  la tĂȘte que trop farcie. S’il regimbe, eh bien ! j’ai rĂ©solu de lui faire apprendre quelque profession utile, comme celle de barbier ou de crieur public, ou tout au moins d’avocat[3] ; un mĂ©tier enfin qu’il ne puisse perdre qu’avec la vie. Aussi je lui rĂ©pĂšte chaque jour Mon fils aĂźnĂ©, crois-moi, tout ce que tu apprends n’est que pour toi seul. Regarde l’avocat PhilĂ©ros s’il n’avait pas Ă©tudiĂ©, il mourrait de faim aujourd’hui. NaguĂšre encore, ce n’était qu’un pauvre portefaix ; maintenant, il lutte de richesses avec Norbanus lui-mĂȘme. La science est un vrai trĂ©sor, et un mĂ©tier nourrit toujours son maĂźtre. » CHAPITRE XLVII. Tels Ă©taient les contes en l’air qu’ils dĂ©bitaient tour Ă  tour, lorsque Trimalchion rentra. AprĂšs avoir essuyĂ© les parfums qui coulaient de son front, il se lava les mains, et, l’instant d’aprĂšs — Excusez-moi, dit-il, mes amis ; depuis plusieurs jours mon ventre ne fait pas bien ses fonctions, et les mĂ©decins n’y connaissent rien. Cependant j’ai reçu quelque soulagement d’une infusion d’écorce de grenade et de sapin dans du vinaigre. J’espĂšre toutefois que l’orage qui grondait dans mes entrailles va se calmer ; autrement mon estomac retentirait d’un bruit semblable aux mugissements d’un taureau. Au reste, si quelqu’un de vous Ă©prouve un pareil besoin, il aurait tort de se gĂȘner personne de nous n’est exempt de cette infirmitĂ©. Pour moi, je ne crois pas qu’il y ait un plus grand tourment que celui de se contraindre en pareil cas. Jupiter lui-mĂȘme nous ordonnerait en vain cet effort. Vous riez, Fortunata ! vous, dont les bruyantes dĂ©tonations m’empĂȘchent toutes les nuits de fermer l’Ɠil. Jamais je n’ai empĂȘchĂ© mes convives de prendre Ă  table toutes les libertĂ©s qui pouvaient les soulager. Les mĂ©decins dĂ©fendent aussi de se retenir ; et si l’un de vous se sentait pressĂ© par un besoin plus urgent, il trouvera dehors de l’eau, une chaise, enfin une garde-robe complĂšte. Croyez-m’en, lorsque les flatuositĂ©s de l’estomac remontent au cerveau, tout le corps s’en ressent. J’ai vu plusieurs personnes mourir ainsi, faute de parler, par une fausse modestie. — Nous remerciĂąmes notre amphitryon de sa gĂ©nĂ©rositĂ© et de son indulgence extrĂȘmes ; et, pour ne pas Ă©touffer de rire, nous eĂ»mes recours Ă  de frĂ©quentes rasades. Mais, hĂ©las ! nous ne savions pas que nous n’étions encore parvenus qu’à la moitiĂ© de ce splendide et interminable festin. En effet, lorsque l’on eut desservi les tables au son des instruments, nous vĂźmes entrer dans la salle trois cochons blancs, muselĂ©s et ornĂ©s de clochettes. L’esclave qui les conduisait nous apprit que l’un avait deux ans, l’autre trois, et que le dernier Ă©tait dĂ©jĂ  vieux. Pour moi, je pensais que ces animaux qu’on venait d’introduire Ă©taient de ces porcs acrobates[1] qu’on voit figurer dans les cirques, et qu’ils allaient nous faire voir quelques tours merveilleux. Mais Trimalchion, dissipant notre incertitude — Lequel des trois, nous dit-il, voulez-vous manger ? on va vous l’apprĂȘter sur-le-champ. Des cuisiniers de campagne font cuire un poulet, un faisan ou d’autres bagatelles ; mais les miens font bouillir Ă  la fois un veau tout entier[2]. Qu’on appelle le cuisinier ! — et, sans nous laisser l’embarras du choix, il lui ordonne de tuer le porc le plus vieux. Puis, Ă©levant la voix — De quelle dĂ©curie es-tu[3] ? lui dit-il. — De la quarantiĂšme. — Es-tu nĂ© chez moi ou achetĂ© ? — Ni l’un, ni l’autre. Je vous ai Ă©tĂ© lĂ©guĂ© par le testament de Pansa. — Fais donc en sorte de me servir promptement ce cochon ; sinon, je te fais relĂ©guer dans la dĂ©curie des valets de basse-cour. — Le cuisinier n’eut pas plutĂŽt entendu cette menace d’un maĂźtre dont il connaissait le pouvoir, qu’il partit, entraĂźnant le porc vers sa cuisine. CHAPITRE XLVIII. Trimalchion, jetant alors sur nous un regard paternel — Si ce vin n’est pas de votre goĂ»t, je vais le faire remplacer par d’autre. Ou bien, prouvez-moi que vous le trouvez bon, en y faisant honneur. GrĂące au ciel, je ne l’achĂšte pas ; car tout ce qui flatte ici votre goĂ»t, je le rĂ©colte dans une de mes mĂ©tairies que je n’ai pas encore visitĂ©e. On dit qu’elle est situĂ©e dans les environs de Terracine et de Tarente[1]. À propos, j’ai envie de joindre la Sicile Ă  quelques terres que j’ai de ce cĂŽtĂ©, afin que, lorsqu’il me prendra fantaisie de passer en Afrique, je puisse y aller sans sortir de mes domaines. Mais vous, Agamemnon, dites-moi quelle est la dĂ©clamation que vous avez prononcĂ©e aujourd’hui ? Tel que vous me voyez, si je ne plaide pas au barreau, j’ai cependant appris les belles-lettres par principes. Et n’allez pas croire que j’aie perdu le goĂ»t de l’étude au contraire, j’ai trois bibliothĂšques, une grecque, et deux latines. Faites-moi donc l’amitiĂ© de me donner l’analyse de votre dĂ©clamation. — Agamemnon avait Ă  peine prononcĂ© ces mots Un pauvre et un riche Ă©taient ennemis, » quand Trimalchion, l’interrompant — Qu’est-ce qu’un pauvre ? lui dit-il. — Excellente plaisanterie ! reprit Agamemnon ; — et il lui dĂ©bita je ne sais quelle discussion savante ; Ă  quoi Trimalchion rĂ©pliqua sur-le-champ — Si c’est un fait rĂ©el, ce n’est pas une matiĂšre Ă  discuter ; et si ce n’est pas un fait rĂ©el, ce n’est rien du tout. — Voyant que nous nous rĂ©pandions en Ă©loges sur ce raisonnement et d’autres de la mĂȘme force — Je vous prie, poursuivit-il, mon cher Agamemnon, vous souvenez-vous des douze travaux d’Hercule ? savez-vous la fable d’Ulysse ? comment le Cyclope lui abattit le pouce avec une baguette ? Que de fois j’ai lu tout cela dans HomĂšre, quand j’étais tout petit ! Croiriez-vous que, moi qui vous parle, j’ai vu de mes propres yeux la sibylle de Cumes suspendue dans une fiole ; et lorsque les enfants lui disaient Sibylle, que veux-tu ? » elle rĂ©pondait Je veux mourir. » CHAPITRE XLIX. Trimalchion n’avait pas encore dĂ©bitĂ© toutes ses extravagances, lorsqu’on servit un Ă©norme porc sur un plateau qui couvrit une grande partie de la table. La compagnie aussitĂŽt de se rĂ©crier sur la diligence du cuisinier ; chacun jurait qu’il aurait fallu plus de temps Ă  un autre pour cuire un poulet ; et ce qui augmentait encore notre surprise, c’est que ce cochon nous paraissait beaucoup plus gros que le sanglier qu’on nous avait servi un peu auparavant. Cependant, Trimalchion l’examinant avec une attention toujours croissante — Que vois-je ? dit-il ; ce porc n’est pas vidĂ© ! non, certes, il ne l’est pas. Courez, et faites-moi venir ici le cuisinier. — Le pauvre diable s’approche de la table, et, en tremblant, confesse qu’il l’a oubliĂ©. — Comment, oubliĂ© ! s’écrie Trimalchion en fureur. Ne dirait-on pas, Ă  l’entendre, qu’il a seulement nĂ©gligĂ© de l’assaisonner de poivre et de cumin ? Allons, drĂŽle, habit bas ! — AussitĂŽt le coupable est dĂ©pouillĂ© de ses vĂȘtements et placĂ© entre deux bourreaux. Sa mine triste et piteuse attendrit l’assemblĂ©e, et chacun s’empresse d’implorer sa grĂące — Ce n’est pas, disait-on, la premiĂšre fois que pareille chose arrive ; veuillez, nous vous en prions, lui pardonner pour aujourd’hui ; mais, si jamais il y retombe, personne de nous n’intercĂ©dera en sa faveur. — Je ne pus me dĂ©fendre de traiter avec une sĂ©vĂ©ritĂ© beaucoup plus grande un pareil oubli ; et me penchant vers Agamemnon, je lui dis Ă  l’oreille — Cet esclave doit ĂȘtre un grand drĂŽle. Oublier de vider un cochon ! par tous les dieux ! je ne lui pardonnerais pas mĂȘme d’oublier de vider un poisson. — Il n’en fut pas de mĂȘme de Trimalchion ; car, se dĂ©ridant tout Ă  coup — Eh bien ! lui dit-il en riant, puisque tu as si peu de mĂ©moire, vide Ă  l’instant ce porc devant nous. — Le cuisinier remet sa tunique, se saisit d’un couteau, et, d’une main tremblante, ouvre en plusieurs endroits le ventre de l’animal. Soudain, entraĂźnĂ©s par leur propre poids, des monceaux de boudins et de saucisses se font jour Ă  travers ces ouvertures qu’ils Ă©largissent en sortant. CHAPITRE L. À la vue de ce prodige inattendu, tous les esclaves d’applaudir et de s’écrier Vive Gaius ! Le cuisinier eut l’honneur de boire en notre prĂ©sence ; de plus, il reçut une couronne d’argent. Or, comme la coupe dans laquelle il buvait Ă©tait d’airain de Corinthe, et qu’Agamemnon en examinait de prĂšs le mĂ©tal, Trimalchion lui dit — Je suis le seul au monde qui possĂšde du vĂ©ritable Corinthe. — D’aprĂšs son impertinence ordinaire, je m’attendais qu’il allait affirmer qu’on lui apportait tout exprĂšs de Corinthe des vases pour son usage ; mais il s’en tira mieux que je ne pensais. — Vous allez peut-ĂȘtre, dit-il, me demander comment il se fait que je possĂšde seul de vĂ©ritables vases de Corinthe ? rien de plus simple c’est que l’ouvrier qui me les fabrique s’appelle Corinthe or, qui peut se vanter d’avoir des ouvrages de Corinthe, si ce n’est celui qui a Corinthe au nombre de ses esclaves ? Mais n’allez pas toutefois me prendre pour un ignorant. Je sais tout aussi bien que vous l’origine premiĂšre de ce mĂ©tal. AprĂšs la prise de Troie, Annibal[1], homme rusĂ© et fieffĂ© voleur, fit main basse sur toutes les statues d’airain, d’or et d’argent qu’il put trouver, les fit jeter pĂȘle-mĂȘle sur un vaste bĂ»cher, et y mit le feu de leur fonte naquit ce mĂ©tal mĂ©langĂ©. Ce fut une mine que les orfĂšvres exploitĂšrent pour faire des plats, des bassins et des figurines. Ainsi l’airain de Corinthe est nĂ© de l’alliage de ces trois mĂ©taux, et n’est pourtant ni or, ni argent, ni cuivre. Permettez-moi de vous dire que j’aimerais mieux pour mon usage des vases de verre ; je sais que ce n’est pas l’opinion gĂ©nĂ©rale. Si le verre Ă©tait mallĂ©able, je le prĂ©fĂ©rerais Ă  l’or mĂȘme tel qu’il est, on le mĂ©prise aujourd’hui. CHAPITRE LI. Il y eut cependant autrefois un ouvrier qui fabriqua un vase de verre[1] que l’on ne pouvait briser. Il fut admis Ă  l’honneur de l’offrir en don Ă  CĂ©sar. Ensuite, l’ayant repris des mains de l’empereur, il le jeta sur le pavĂ©. Le prince, Ă  cette vue, fut effrayĂ© au delĂ  de toute expression ; mais, lorsque l’ouvrier ramassa le vase, il n’était que lĂ©gĂšrement bossuĂ©, comme l’eĂ»t Ă©tĂ© un vase d’airain. Tirant alors un petit marteau de sa ceinture, notre homme, sans se presser, le rĂ©pare avec adresse et lui rend sa forme premiĂšre. Cela fait, il crut voir l’Olympe s’ouvrir devant lui, surtout lorsque l’empereur lui dit Quelque autre que toi sait-il l’art de fabriquer du verre semblable ? Prends bien garde Ă  ce que tu vas dire ! » L’ouvrier ayant rĂ©pondu que lui seul possĂ©dait ce secret, CĂ©sar lui fit trancher la tĂȘte sous prĂ©texte que, si cet art venait Ă  se rĂ©pandre, l’or perdrait toute sa valeur. CHAPITRE LII. Pour moi, je suis trĂšs curieux d’ouvrages d’argent ; j’ai de ce mĂ©tal des coupes qui contiennent environ une urne, plus ou moins le ciseau y a gravĂ© Cassandre Ă©gorgeant ses fils[1] ; les cadavres de ces enfants sont d’une si grande vĂ©ritĂ©, qu’on dirait la nature. Je possĂšde une aiguiĂšre que le cĂ©lĂšbre Mys a lĂ©guĂ©e Ă  mon patron on y voit DĂ©dale enfermant NiobĂ© dans le cheval de Troie. J’ai aussi des coupes reprĂ©sentant les combats d’HermĂ©ros et de PĂ©tracte, toutes du plus grand poids ; car, voyez-vous, ce que j’ai une fois achetĂ©, je ne le cĂšde Ă  aucun prix. — Tandis qu’il divaguait de la sorte, un valet laisse tomber une coupe ; Trimalchion se tournant vers lui — Allons, vite, punis-toi toi-mĂȘme de ton Ă©tourderie. — DĂ©jĂ  l’esclave ouvrait la bouche pour implorer sa clĂ©mence, quand Trimalchion — Quelle grĂące me demandes-tu ? ne dirait-on pas que je te veux du mal ? Je te conseille seulement de prendre garde Ă  ne plus ĂȘtre si Ă©tourdi. — Enfin, cĂ©dant Ă  nos priĂšres, il lui pardonna. L’esclave ne fut pas plutĂŽt parti, que Trimalchion se mit Ă  courir autour de la table en criant — Plus d’eau ! plus d’eau ! le vin seul doit entrer cĂ©ans ! — Nous accueillĂźmes par des applaudissements cette plaisante saillie de notre hĂŽte, surtout Agamemnon, qui savait comment il fallait s’y prendre pour ĂȘtre invitĂ© de nouveau Ă  sa table. EncouragĂ© par nos Ă©loges, Trimalchion se mit gaiement Ă  boire de plus belle ; et bientĂŽt, Ă  moitiĂ© ivre — Aucun de vous, dit-il, n’invite ma chĂšre Fortunata Ă  danser ; personne cependant ne figure la cordace avec plus de grĂące[2]. — Puis le voilĂ  lui-mĂȘme qui, levant les bras au-dessus de sa tĂȘte, contrefait les gestes du bouffon Syrus, et toute la valetaille de chanter en chƓur — Par Jupiter, c’est admirable ! par Jupiter, rien n’est plus beau ! » — Et notre homme allait se donner en spectacle Ă  toute la compagnie, si Fortunata, s’approchant de son oreille, ne lui eĂ»t reprĂ©sentĂ© sans doute que de pareilles niaiseries Ă©taient indignes d’un homme de son importance. Je n’ai jamais vu d’humeur plus inĂ©gale tantĂŽt il se contenait par respect pour Fortunata, tantĂŽt il revenait Ă  ses ignobles penchants. CHAPITRE LIII. Mais, au moment oĂč il allait se livrer Ă  sa passion pour la danse, il fut interrompu par l’entrĂ©e d’un greffier qui, du mĂȘme ton dont il aurait dĂ©bitĂ© les actes de Rome, lut ce qui suit — Le VII des calendes de juillet, il est nĂ© dans le domaine de Cumes, qui appartient Ă  Trimalchion, trente garçons et quarante filles. On a transportĂ© des granges dans les greniers cinq cent mille boisseaux de froment ; on a accouplĂ© cinq cents bƓufs. Le mĂȘme jour l’esclave Mithridate a Ă©tĂ© mis en croix pour avoir blasphĂ©mĂ© contre le gĂ©nie tutĂ©laire de GaĂŻus, notre maĂźtre. Le mĂȘme jour, on a reportĂ© dans la caisse dix millions de sesterces dont il n’a pas Ă©tĂ© possible de faire emploi. Le mĂȘme jour, il y a eu dans les jardins de PompĂ©e un incendie qui a pris naissance chez le fermier Nasta. — Qu’est-ce Ă  dire ? demanda Trimalchion ; depuis quand m’a-t-on achetĂ© les jardins de PompĂ©e ? — Depuis l’annĂ©e derniĂšre, rĂ©pondit le greffier, et c’est pour cela qu’on ne les a pas encore portĂ©s en compte. — Trimalchion, bouillant de colĂšre, s’écria — Quels que soient Ă  l’avenir les domaines que l’on m’achĂšte, si l’on ne m’en donne pas avis dans les six mois, je dĂ©fends qu’on me les porte en compte. — Alors, on lut les ordonnances des Ă©diles et les testaments des gardes des forĂȘts[1], qui dĂ©shĂ©ritaient Trimalchion, en s’excusant de le faire[2]. Ensuite venaient le rĂŽle de ses fermiers, et l’histoire d’une affranchie rĂ©pudiĂ©e par l’inspecteur des domaines qui l’avait surprise en flagrant dĂ©lit avec un garçon de bains — il Ă©tait dit pourquoi le majordome avait Ă©tĂ© exilĂ© Ă  BaĂŻes ; comment le trĂ©sorier avait Ă©tĂ© convaincu de malversation ; — suivait le jugement intervenu entre les valets de chambre. Au beau milieu de cette lecture, entrĂšrent des danseurs de corde. Un de ces insipides baladins dressa une Ă©chelle, et ordonna Ă  un jeune enfant d’en grimper tous les Ă©chelons, jusqu’au dernier, en dansant et en chantant ; de passer Ă  travers des cercles enflammĂ©s, et de soutenir une cruche avec ses dents. Trimalchion seul admirait ces tours de force, en regrettant qu’un si bel art fĂ»t si mal rĂ©compensĂ©. — Il n’y a, dans la vie, disait-il, que deux sortes de spectacles que j’aie plaisir Ă  voir les voltigeurs et les combats de cailles ; quant Ă  tous les autres animaux et bouffons, ce sont de vĂ©ritables attrape-nigauds. — J’ai fait une fois la folie d’acheter une troupe de comĂ©diens ; mais j’ai voulu qu’ils se bornassent Ă  reprĂ©senter des farces atellanes, et j’ai donnĂ© l’ordre Ă  mon chef d’orchestre de ne jouer que des airs latins. CHAPITRE LIV. Au moment oĂč Trimalchion dĂ©bitait ces niaiseries, l’enfant du baladin tomba sur lui. AussitĂŽt toute la valetaille de jeter de grands cris, et les convives de l’imiter, non qu’ils fussent touchĂ©s de la souffrance d’un ĂȘtre aussi dĂ©goĂ»tant, car chacun d’eux eĂ»t Ă©tĂ© ravi de lui voir rompre le cou ; mais ils craignaient que le festin ne finĂźt tristement, et qu’ils ne fussent obligĂ©s de pleurer aux funĂ©railles d’un Ă©tranger[1]. Cependant Trimalchion poussait de longs gĂ©missements, et se penchait sur son bras, comme s’il y eĂ»t reçu une blessure grave. Les mĂ©decins accoururent ; mais la plus empressĂ©e Ă©tait Fortunata, qui, les cheveux Ă©pars et une potion Ă  la main, s’écriait qu’elle Ă©tait la plus misĂ©rable, la plus infortunĂ©e des femmes. Quant Ă  l’enfant dont la chute avait causĂ© cet accident, il se traĂźnait Ă  nos genoux en implorant son pardon loin d’ĂȘtre Ă©mu de ses priĂšres, je craignais seulement que ce ne fĂ»t encore une comĂ©die dont le dĂ©nouement amĂšnerait quelque pĂ©ripĂ©tie ridicule ; car je n’avais pas encore oubliĂ© l’histoire du cuisinier qui avait oubliĂ© de vider le porc. Aussi je parcourais des yeux toute la salle pour voir si les murs n’allaient pas s’entr’ouvrir pour livrer passage Ă  quelque apparition inattendue. Ce qui me confirma dans cette opinion, ce fut de voir chĂątier un esclave parce que, pour bander le bras malade de son maĂźtre, il s’était servi de laine blanche, et non de laine Ă©carlate. Je ne me trompais guĂšre ; car, au lieu de punir cet enfant, Trimalchion rendit un arrĂȘt par lequel il lui rendait la libertĂ©, pour qu’il ne fĂ»t pas dit qu’un personnage de son importance eĂ»t Ă©tĂ© blessĂ© par un esclave. CHAPITRE LV. Nous applaudĂźmes Ă  cet acte de clĂ©mence, et nous fĂźmes des raisonnements Ă  perte de vue sur l’instabilitĂ© des choses humaines. — Cela est vrai, dit Trimalchion ; et un pareil accident ne se passera pas sans donner lieu Ă  quelque impromptu. — AussitĂŽt il demanda ses tablettes, et, sans trop se torturer l’esprit, il nous rĂ©cita les vers suivants — Les biens, les maux sont incertains. Comme le sort qui nous gouverne. Buvons ! dans les flots de falerne, Esclaves, noyez nos chagrins. — Cette Ă©pigramme amena la conversation sur les poĂ«tes, et depuis longtemps on s’accordait Ă  donner la palme Ă  Marsus de Thrace[1], lorsque Trimalchion s’adressant Ă  Agamemnon — Dites-moi, je vous prie, mon maĂźtre, quelle diffĂ©rence vous trouvez entre CicĂ©ron et Publius[2] ? Le premier, selon moi, est plus Ă©loquent ; mais l’autre est plus moral. Que peut-on, par exemple, dire de mieux que ces vers ? Le luxe a vaincu Rome, et, sous d’indignes lois, La mollesse asservit la maĂźtresse des rois. Jadis, sous l’humble chaume, en des vases d’argile, La faim assaisonnait un mets simple et facile. Sous des lambris dorĂ©s, et dans un seul repas, L’un dĂ©vore aujourd’hui les fruits de vingt climats. Pour lui Chio[3] mĂ»rit sa liqueur purpurine ; La poule numidique enrichit sa cuisine ; L’oiseau cher Ă  Junon, si fier de son Ă©clat, S’engraisse pour flatter son palais dĂ©licat ; Que dis-je ? la cigogne, aimable voyageuse, Vient orner Ă  son tour sa table somptueuse. L’autre voit sans courroux, chez vingt adorateurs, Sa femme promener ses lubriques ardeurs. Le digne Ă©poux ! aussi, voyez comme elle brille ! La perle orne son front, l’émeraude y scintille ; Un voile transparent, de ses secrets appas, Dessine les contours, et ne les cache pas. Mais ces tissus, PhrynĂ©, gĂȘnent encore la vue[4] Ose enfin au public te montrer toute nue ! CHAPITRE LVI. Quel est, selon vous, ajouta-t-il, le mĂ©tier le plus difficile de tous, aprĂšs celui des lettres ? Pour moi, je pense que c’est la mĂ©decine et la banque en effet, le mĂ©decin sait ce que l’homme a dans ses entrailles, et quand la fiĂšvre doit se dĂ©clarer ; ce qui ne m’empĂȘche pas de haĂŻr ces docteurs qui me prescrivent trop souvent le bouillon de canard le banquier, Ă  travers l’argent, sait dĂ©couvrir l’alliage du cuivre. Il y a deux espĂšces d’animaux muets trĂšs laborieux, le bƓuf et la brebis le bƓuf, Ă  qui nous sommes redevables du pain que nous mangeons ; la brebis, dont la laine nous donne ces habits dont nous sommes si fiers. Et cependant, ĂŽ comble de l’ingratitude ! l’homme n’hĂ©site pas Ă  manger la brebis, oubliant qu’il lui doit sa tunique. Je pense aussi qu’elles ont un instinct divin, ces abeilles qui Ă©laborent le miel, bien qu’on prĂ©tende qu’elles le reçoivent de Jupiter. Mais aussi font-elles de violentes piqĂ»res ce qui prouve que la plus grande douceur est toujours accompagnĂ©e de quelque amertume. — DĂ©jĂ  Trimalchion tranchait du philosophe, lorsque l’on fit circuler autour de la table un vase qui contenait des billets de loterie. Un esclave, chargĂ© de cet emploi, lisait Ă  haute voix les lots qui Ă©taient Ă©chus Ă  chacun des convives[1] Argent, cause de tous les crimes[2] ! on apporta un jambon sur lequel il y avait un huilier ; Cravate ! on apporta une corde de potence ; Absinthe et Affronts ! on apporta des fraises sauvages, un croc et une pomme[3]. Pour un billet ainsi conçu Poireaux et PĂšches, un convive reçut un fouet et un couteau ; pour un autre Passereaux et Chasse-mouche, des raisins secs et du miel attique ; pour un autre Robe de festin et Robe de ville, un gĂąteau, et des tablettes ; pour un autre Canal et mesure d’un pied, on apporta un liĂšvre et une pantoufle ; pour un autre enfin MurĂšne et Lettre, un rat d’eau liĂ© avec une grenouille, et un paquet de poirĂ©e. Nous rĂźmes longtemps de ces lots bizarres, et de mille autres semblables, dont j’ai perdu la mĂ©moire. CHAPITRE LVII. Cependant Ascylte, levant les mains au ciel, se moquait, sans contrainte, de toutes ces niaiseries, dont il riait Ă  gorge dĂ©ployĂ©e. Cette conduite irrita un des affranchis de Trimalchion, celui-lĂ  mĂȘme qui Ă©tait Ă  table au-dessus de moi — Qu’as-tu donc Ă  rire, pĂ©core ? s’écria-t-il. Est-ce que la magnificence de mon maĂźtre n’est point de ton goĂ»t ? Sans doute tu es plus riche que lui, et tu fais meilleure chĂšre ? Que les lares protecteurs de cette maison me soient en aide ! si j’étais auprĂšs de lui, je l’aurais dĂ©jĂ  empĂȘchĂ© de braire. Voyez un peu le bel avorton, pour se moquer des autres ! il m’a tout l’air d’un vagabond de nuit, qui ne vaut pas la corde qui servira Ă  le pendre ! Si je lĂąchais autour de lui le superflu de ma boisson, il ne saurait par oĂč s’enfuir. Certes, je ne me mets pas aisĂ©ment en colĂšre ; mais quand on se fait brebis, le loup vous mange. Il rit ! qu’a-t-il Ă  rire ? On ne se choisit pas un pĂšre. Je vois Ă  ta robe que tu es chevalier romain, et moi je suis le fils d’un roi. Pourquoi donc, diras-tu, as-tu Ă©tĂ© au service d’autrui ? Parce qu’il m’a plu de me mettre en servitude, et que j’ai mieux aimĂ© ĂȘtre citoyen romain que roi tributaire. Mais je compte maintenant vivre de telle sorte, que je ne serai plus le jouet de personne. Je suis un homme parmi les hommes, et je marche tĂȘte levĂ©e, je ne dois pas un sou Ă  qui que ce soit. Je n’ai jamais reçu d’assignation ; jamais un crĂ©ancier ne m’a dit au forum Rends-moi ce que tu me dois. J’ai achetĂ© des terres ; j’ai des lingots dans mon coffre-fort ; je nourris vingt bouches chaque jour sans compter mon chien. J’ai rachetĂ© ma femme, afin qu’un maĂźtre n’eĂ»t plus le droit de prendre sa gorge pour essuie main on m’a confĂ©rĂ© gratuitement la dignitĂ© de sĂ©vir, et j’espĂšre n’avoir pas Ă  rougir, aprĂšs ma mort, de ma conduite en ce monde. Mais toi, tu as de si mauvaises affaires, que tu n’oses pas regarder derriĂšre toi. Tu vois un pou sur ton voisin, et tu ne vois pas un scorpion sur toi. Il n’y a qu’un homme de ta trempe qui puisse nous trouver ridicules. Voici Agamemnon, ton maĂźtre, homme plus ĂągĂ© que toi, qui cependant se plaĂźt dans notre sociĂ©tĂ© va, tu n’es qu’un bambin ; et si l’on te pressait le bout du nez, il en sortirait encore du lait. Veux-tu te taire, cruche fĂȘlĂ©e, cuir mouillĂ©, qui, pour ĂȘtre plus souple, n’en es pas meilleur. Si tu es plus riche que les autres, dĂźne deux fois, soupe deux fois. Pour moi, j’estime plus ma conscience que tous les trĂ©sors du monde. M’a-t-on jamais rĂ©clamĂ© deux fois une chose due ? J’ai servi quarante ans ; mais qui pourrait dire si j’étais esclave ou libre ? Je n’étais encore qu’un enfant, et j’avais une longue chevelure, quand je vins dans cette colonie Ă  cette Ă©poque, la basilique n’était pas encore bĂątie. Je fis tous mes efforts pour contenter mon maĂźtre, homme puissant et Ă©levĂ© en dignitĂ©, qui valait mieux dans son petit doigt que toi dans toute ta personne je ne manquais pas d’ennemis dans sa maison qui cherchaient Ă  me supplanter ; mais, grĂące Ă  mon bon gĂ©nie, j’ai surnagĂ©, et j’ai recueilli le prix de mes efforts car il est plus facile de naĂźtre dans une condition libre, que d’y arriver par son mĂ©rite. Eh bien ! pourquoi restes-tu la bouche bĂ©ante comme un bouc devant une statue de Mercure ? CHAPITRE LVIII. Lorsqu’il eut fini de parler, Giton, placĂ© Ă  table au-dessous de lui, et qui depuis longtemps se mourait d’envie de rire, Ă©clata tout Ă  coup si bruyamment, que l’antagoniste d’Ascylte, l’ayant aperçu, tourna contre cet enfant toute sa colĂšre — Et toi aussi, lui-dit-il, tu ris, petite pie huppĂ©e ? Voici les Saturnales ! Sommes-nous donc, je te prie, au mois de dĂ©cembre ? Quand as-tu payĂ© l’impĂŽt du vingtiĂšme pour ĂȘtre libre ? Voyez un peu l’audace de ce gibier de potence, vraie pĂąture de corbeaux ! Puisse Jupiter faire tomber tout son courroux sur toi et sur ton maĂźtre qui ne sait pas te faire taire ! puissĂ©-je perdre le goĂ»t du pain, si je ne t’épargne par respect pour notre hĂŽte, mon ancien camarade ! sans sa prĂ©sence, je t’aurais chĂątiĂ© sur-le-champ. Nous nous trouvons bien traitĂ©s ici ; mais il n’en est pas de mĂȘme de ton dĂ©bauchĂ© de maĂźtre, qui ne sait pas te faire rentrer dans ton devoir. On a bien raison de dire tel maĂźtre, tel valet. J’ai peine Ă  me contenir ; car, de ma nature, j’ai la tĂȘte chaude, et quand je suis une fois lancĂ©, je ne connais personne, pas mĂȘme ma propre mĂšre. C’est bien ! je te rencontrerai ailleurs, reptile ! ver de terre ! PuissĂ©-je voir ma fortune renversĂ©e de fond en comble, si je ne force ton maĂźtre Ă  se cacher dans un trou de souris ! et je ne t’épargnerai pas non plus oui, certes, quand bien mĂȘme tu appellerais Ă  ton secours le grand Jupiter, je t’allongerai encore ta chevelure d’une aune toi et ton digne maĂźtre, vous tomberez tous deux sous ma griffe. Ou je ne me connais pas, ou tu perdras pour longtemps l’envie de me railler, quand tu aurais une barbe d’or, comme nos dieux. J’attirerai les malĂ©fices de la sorciĂšre Sagana sur toi et sur celui qui le premier a pris soin de ton Ă©ducation. Je n’ai pas appris, moi, la gĂ©omĂ©trie, la critique, et autres bagatelles semblables ; mais je connais le style lapidaire, et je sais faire la division en cent parties, selon le mĂ©tal, le poids, la monnaie. Enfin, si tu veux, nous ferons, toi et moi, une gageure. Voyons, je t’abandonne le choix du sujet. Je veux te convaincre que ton pĂšre a perdu son argent Ă  te faire Ă©tudier, quoique tu saches la rhĂ©torique. Dis-moi quel est celui de nous qui vient lentement et qui va loin. Paye-moi, et je te le dirai. Quel est celui qui court et qui ne bouge pas de place ? quel est celui qui croĂźt et devient plus petit ? Tu t’agites, tu restes la bouche bĂ©ante, tu te dĂ©mĂšnes comme une souris dans un pot de nuit. Tais-toi donc, ou ne moleste pas un homme qui vaut mieux que toi, et qui ne s’était pas aperçu que tu fusses au monde. Crois-tu donc m’en imposer avec tes bagues couleur de buis, que tu as sans doute volĂ©es Ă  ta maĂźtresse ? Que Mercure nous soit en aide ! allons tous deux sur la place, et empruntons de l’argent tu verras si cet anneau de fer que je porte a quelque crĂ©dit. Ah ! le joli garçon ! il est confus comme un renard mouillĂ© ! PuissĂ©-je gagner tant d’argent et mourir en si bonne rĂ©putation, que le peuple bĂ©nisse ma mĂ©moire, comme il est vrai que je te poursuivrai partout, jusqu’à ce que je t’aie fait condamner par les magistrats. C’est aussi un joli garçon, que celui qui t’a si bien appris Ă  vivre ! Mufrius, notre maĂźtre, nous disait car nous aussi, nous avons Ă©tudiĂ© ; Mufrius nous disait Votre devoir est-il fini ? allez tout droit Ă  la maison, sans regarder autour de vous, sans injurier ceux qui sont plus ĂągĂ©s que vous, sans compter les Ă©choppes autrement, on ne parvient Ă  rien. » Pour moi, je rends grĂąces aux dieux du savoir-faire qui m’a Ă©levĂ© au rang que j’occupe. CHAPITRE LIX. Ascylte commençait Ă  rĂ©pondre Ă  ces invectives, quand Trimalchion, charmĂ© de l’éloquence de son affranchi — Laissez lĂ , leur dit-il, les injures, et ne songez qu’à vous rĂ©jouir. Toi, HermĂ©ros, tu devrais Ă©pargner ce jeune homme le sang lui bout dans les veines ; montre-toi le plus raisonnable dans ces sortes de combats, tout l’avantage est pour celui qui cĂšde lorsque tu venais d’ĂȘtre chaponnĂ©, cocorico, tu n’étais pas plus raisonnable que lui. Nous ferons bien mieux de reprendre notre humeur facile et joyeuse, en attendant les HomĂ©ristes. — Au mĂȘme instant, une troupe de ces comĂ©diens entra, en faisant retentir les boucliers du choc des lances Trimalchion, pour les Ă©couter, s’assied sur un carreau ; mais Ă  peine les HomĂ©ristes eurent-ils commencĂ© Ă  dĂ©clamer des vers grecs, selon leur coutume, que, par un nouveau caprice, il se mit Ă  lire Ă  haute voix un livre latin. Puis bientĂŽt, faisant faire silence — Savez-vous, nous dit-il, quelle est la fable qu’ils reprĂ©sentent ? DiomĂšde et GanymĂšde Ă©taient deux frĂšres ; HĂ©lĂšne Ă©tait leur sƓur. Agamemnon l’enleva, et lui substitua une biche, pour ĂȘtre immolĂ©e Ă  Diane. Ainsi HomĂšre, dans ce poĂ«me, nous raconte les combats des Troyens et des Parentins. Agamemnon fut vainqueur, et donna sa fille IphigĂ©nie en mariage Ă  Achille. Cette union fut cause qu’Ajax perdit la raison, comme on va vous l’expliquer tout Ă  l’heure. — Trimalchion parlait encore, quand les HomĂ©ristes jetĂšrent un grand cri, et des valets accoururent, portant sur un plat immense un veau bouilli, qui avait un casque sur la tĂȘte. DerriĂšre venait Ajax, qui, l’épĂ©e nue, et imitant les gestes d’un furieux, le dĂ©coupa dans tous les sens ; puis, avec la pointe de son Ă©pĂ©e, en distribua successivement tous les morceaux aux convives Ă©merveillĂ©s. CHAPITRE LX. Nous eĂ»mes Ă  peine le temps d’admirer sa dextĂ©ritĂ© ; car tout Ă  coup le plancher supĂ©rieur vint Ă  craquer avec un si grand bruit[1], que toute la salle du festin en trembla. ÉpouvantĂ©, je me levai, dans la crainte que quelque danseur de corde ne tombĂąt sur moi du plafond les autres convives, non moins surpris, levĂšrent les yeux en l’air, pour voir quelle nouvelle apparition leur venait du ciel. Soudain, le lambris s’entr’ouvre, et un vaste cercle, se dĂ©tachant de la coupole, descend sur nos tĂȘtes, et nous offre, dans son contour, des couronnes d’or, et des vases d’albĂątre remplis de parfums[2]. InvitĂ©s Ă  accepter ces prĂ©sents, nous jetons les yeux sur la table, et nous la voyons couverte, comme par enchantement, d’un plateau garni de gĂąteaux une figure de Priape, en pĂątisserie[3], en occupait le centre ; selon l’usage, il portait une grande corbeille pleine de raisins et de fruits de toute espĂšce. DĂ©jĂ  nous Ă©tendions une main avide vers ce splendide dessert, quand un nouveau divertissement vint ranimer notre gaietĂ© languissante au plus lĂ©ger toucher, de tous ces gĂąteaux, de tous ces fruits jaillissaient des flots de safran[4] qui, nous sautant au visage, nous inondaient d’une liqueur incommode. PersuadĂ©s que ce Priape avait quelque chose de sacrĂ©, nous fĂźmes dĂ©votement les libations d’usage, et, nous levant sur notre sĂ©ant, nous criĂąmes Le ciel protĂšge l’empereur, pĂšre de la patrie ! AprĂšs cet acte de religion, voyant quelques-uns des convives faire main basse sur les fruits, nous suivĂźmes leur exemple, moi surtout qui pensais ne pouvoir jamais en donner assez Ă  mon cher Giton. Sur ces entrefaites, trois esclaves, vĂȘtus de tuniques blanches, entrĂšrent dans la salle deux d’entre eux posĂšrent sur la table des dieux Lares, qui avaient des bulles d’or suspendues Ă  leur cou ; le troisiĂšme, portant dans sa main une coupe pleine de vin, fit le tour de la table, et prononça Ă  haute voix ces mots Aux dieux propices ! Or ces dieux, disait-il, s’appelaient Cerdon, FĂ©licion et Lucron[5]. On fit ensuite circuler une image trĂšs-ressemblante de Trimalchion ; et voyant que chacun la baisait Ă  la ronde, nous n’osĂąmes nous dispenser d’en faire autant. CHAPITRE LXI. DĂšs que tous les convives se furent souhaitĂ© mutuellement la santĂ© du corps et celle de l’esprit, Trimalchion, se tournant vers NicĂ©ros, lui dit — Vous que j’ai toujours vu Ă  table un vĂ©ritable boute-en-train, je ne sais pourquoi vous vous taisez aujourd’hui, et ne parlez pas mĂȘme Ă  voix basse. Voyons, pour me faire plaisir, racontez-nous quelqu’une de vos aventures. — CharmĂ© de ce compliment amical, NicĂ©ros rĂ©pondit — Que jamais je n’obtienne un sourire de la Fortune, si depuis longtemps je ne tressaille de joie Ă  la vue du bonheur dont vous semblez jouir ! Livrons-nous donc sans contrainte Ă  la gaietĂ©. Je vais vous raconter une histoire, bien que je craigne d’ĂȘtre en butte aux sarcasmes de ces savants. À eux permis ; ils peuvent rire, cela ne m’îtera pas une obole mieux vaut laisser rire de soi que de rire des autres. Ayant ainsi parlĂ©. . . . . il commença son rĂ©cit en ces termes — J’étais encore en service, et nous habitions cette petite rue oĂč est maintenant la maison de Gaville. LĂ , par la volontĂ© des dieux, je tombai amoureux de la femme de TĂ©rence, le cabaretier. Vous avez tous connu MĂ©lisse de Tarente ; c’était bien le plus joli nid de baisers qui fĂ»t au monde. Toutefois, sur mon honneur, ce n’était point un amour charnel ou l’attrait du plaisir qui m’attachait Ă  elle ; c’étaient plutĂŽt ses bonnes qualitĂ©s. Jamais elle ne me refusait rien ; elle allait au-devant de tous mes vƓux. Je lui confiais mes petites Ă©conomies, et je n’eus jamais Ă  me repentir de ma confiance. Son mari mourut Ă  la campagne. Alors, je me mis l’esprit Ă  la torture pour inventer quelque moyen d’aller la rejoindre. C’est dans les circonstances critiques que l’on connaĂźt ses vĂ©ritables amis. CHAPITRE LXII. Par un heureux hasard, mon maĂźtre Ă©tait allĂ© Ă  Capoue vendre quelques nippes d’assez bon dĂ©bit. Profitant de cette occasion, je persuadai Ă  notre hĂŽte de m’accompagner jusqu’à cinq milles de lĂ . C’était un soldat, brave comme Pluton. Nous nous mettons en route au premier chant du coq la lune brillait, et on y voyait clair comme en plein midi. Chemin faisant, nous nous trouvĂąmes parmi des tombeaux. Soudain, voilĂ  mon homme qui se met Ă  conjurer les astres ; moi, je m’assieds, et je fredonne un air, en comptant les Ă©toiles. Puis, m’étant retournĂ© vers mon compagnon, je le vis se dĂ©pouiller de tous ses habits, qu’il dĂ©posa sur le bord de la route. Alors, la mort sur les lĂšvres, je restai immobile comme un cadavre. Mais jugez de mon effroi, quand je le vis pisser tout autour de ses habits, et, au mĂȘme instant, se transformer en loup. Ne croyez pas que je plaisante ; je ne mentirais pas pour tout l’or du monde. Mais oĂč donc en suis-je de mon rĂ©cit ? m’y voici. Lorsqu’il fut loup, il se mit Ă  hurler, et s’enfuit dans les bois. D’abord, je ne savais oĂč j’étais ; ensuite, je m’approchai de ses habits pour les emporter ils Ă©taient changĂ©s en pierres. Si jamais homme dut mourir de frayeur, c’était moi. Cependant, j’eus le courage de tirer mon Ă©pĂ©e, et j’en frappai l’air de toute ma force, pour Ă©carter les malins esprits tout le long du chemin, jusqu’à la maison de ma maĂźtresse. DĂšs que j’en eus franchi le seuil, je faillis rendre l’ñme une sueur froide me coulait de tous les membres ; mes yeux Ă©taient morts, et l’on eut toutes les peines du monde Ă  me faire revenir. Ma chĂšre MĂ©lisse me tĂ©moigna son Ă©tonnement de me voir arriver Ă  une heure si avancĂ©e Si vous Ă©tiez venu plus tĂŽt, me dit-elle, vous nous auriez Ă©tĂ© d’un grand secours ; un loup a pĂ©nĂ©trĂ© dans la bergerie, et a Ă©gorgĂ© tous nos moutons c’était une vĂ©ritable boucherie. Mais, bien qu’il se soit Ă©chappĂ©, il n’a pas eu Ă  s’applaudir de son expĂ©dition ; car un de nos valets lui a passĂ© sa lance Ă  travers le cou. » À ce rĂ©cit, je vous laisse Ă  penser si j’ouvris de grands yeux ; et, comme le jour venait de paraĂźtre, je courus Ă  toutes jambes vers notre maison, comme un marchand dĂ©troussĂ© par des voleurs. Lorsque j’arrivai Ă  l’endroit oĂč j’avais laissĂ© les vĂȘtements changĂ©s en pierres, je n’y trouvai que du sang. Mais, en entrant au logis, je trouvai mon soldat Ă©tendu sur un lit il saignait comme un bƓuf, et un mĂ©decin Ă©tait occupĂ© Ă  lui panser le cou. Je reconnus alors que c’était un loup-garou[1] ; et, Ă  dater de ce jour, on m’aurait assommĂ© plutĂŽt que de me faire manger un morceau de pain avec lui. Libre Ă  ceux qui ne veulent pas me croire d’en penser ce qu’ils voudront ; mais, si je mens, que les gĂ©nies qui veillent sur vous m’accablent de leur colĂšre ! CHAPITRE LXIII. Ce rĂ©cit nous laissa tous saisis d’étonnement — Je vous crois, dit Trimalchion, et votre histoire m’a tellement frappĂ©, que les cheveux m’en ont dressĂ© sur la tĂȘte. Je connais NicĂ©ros, mes amis ; il ne s’amuserait point Ă  nous dĂ©biter des sornettes ; ce n’est point un hĂąbleur, et il mĂ©rite toute votre confiance. Je vais moi-mĂȘme vous raconter quelque chose d’horrible et d’aussi extraordinaire que de voir un Ăąne marcher sur un toit[1]. Je portais encore une longue chevelure car, dĂšs mon enfance, j’ai toujours menĂ© une vie voluptueuse[2], quand Iphis, mes plus chĂšres dĂ©lices, vint Ă  mourir c’était, sur ma parole, un vrai bijou, un enfant charmant, ayant tout pour lui. Tandis que sa pauvre mĂšre s’abandonnait Ă  sa douleur, et que nous Ă©tions plusieurs auprĂšs d’elle occupĂ©s Ă  la consoler, tout Ă  coup des sorciĂšres[3] firent entendre au dehors un bruit semblable Ă  celui de chiens qui poursuivent un liĂšvre. Nous avions alors parmi nous un Cappadocien, homme de haute taille et d’un courage Ă  toute Ă©preuve il eĂ»t attaquĂ© Jupiter, armĂ© de sa foudre. Tirant donc son sabre d’un air rĂ©solu, et roulant avec soin son manteau autour de son bras gauche, il sort en courant de la maison, rencontre une de ces sorciĂšres, et lui passe son Ă©pĂ©e au travers du corps, comme qui dirait ici que les dieux prĂ©servent ce que je touche[4] !. Un gĂ©missement frappa nos oreilles ; mais, pour ne pas mentir, nous ne vĂźmes pas les sorciĂšres. En rentrant, notre brave se jeta sur un lit tout son corps Ă©tait couvert de taches livides, comme s’il eĂ»t Ă©tĂ© battu de verges ; c’est qu’il avait Ă©tĂ© touchĂ© par une mauvaise main. Nous fermons la porte, et nous reprenons auprĂšs du dĂ©funt nos tristes fonctions ; mais, au moment oĂč la mĂšre se jetait sur le corps de son fils pour l’embrasser, ĂŽ surprise ! elle ne voit, elle ne touche qu’une espĂšce de mannequin rempli de paille, qui n’avait ni cƓur ni entrailles, enfin rien d’humain. Sans doute les sorciĂšres avaient emportĂ© l’enfant, et lui avaient substituĂ© ce vain simulacre. Dites-moi, je vous prie, si l’on peut, d’aprĂšs cela, nier l’existence de ces femmes habiles dans les malĂ©fices, qui, pendant la nuit, mettent tout sens dessus dessous. Cependant notre grand Cappadocien ne recouvra jamais sa couleur naturelle ; et mĂȘme, Ă  quelques jours de lĂ , il mourut frĂ©nĂ©tique. CHAPITRE LXIV. Notre Ă©tonnement redouble avec notre crĂ©dulitĂ© ; et, baisant religieusement la table, nous conjurons les sorciĂšres de rester chez elles, et de ne pas nous troubler dans notre retour au logis. DĂ©jĂ , tant j’étais ivre, je voyais se multiplier Ă  l’infini le nombre des lumiĂšres, et toute la salle du festin changer d’aspect, lorsque Trimalchion dit Ă  Plocrime — En vĂ©ritĂ©, je ne te conçois pas, tu ne nous racontes rien ; tu ne dis rien pour nous amuser. Cependant, je t’ai connu un aimable convive ; tu chantais Ă  ravir, tu nous dĂ©clamais des dialogues en vers ! hĂ©las ! le charme de nos desserts s’en est allĂ©. — Il est vrai, rĂ©pondit Plocrime, que j’ai bien enrayĂ© depuis que je suis devenu goutteux. Autrefois, quand j’étais jeune, je chantais jusqu’à m’en rendre poitrinaire ! Et la danse ! et les scĂšnes de comĂ©die ! et les tours de force ! je n’avais pas mon pareil pour tout cela, si ce n’est ApellĂšte[1]. — À ces mots, mettant sa main sur sa bouche, il nous fit entendre un horrible sifflement, qu’il nous dit ensuite ĂȘtre une imitation des Grecs. Trimalchion, Ă  son tour, aprĂšs avoir essayĂ© de contrefaire les joueurs de flĂ»te, se tourna vers l’objet de ses amours, qu’il appelait CrĂ©sus. C’était un petit esclave chassieux, qui avait les dents toutes sales ; il s’amusait alors Ă  envelopper d’un ruban vert une petite chienne noire, et grasse Ă  faire peur. Ayant posĂ© sur son lit un pain d’une demi-livre, il le faisait avaler, bon grĂ© mal grĂ©, Ă  la pauvre bĂȘte. Cela fut cause que Trimalchion, se souvenant de Scylax, le gardien de sa maison et de sa famille, ordonna de l’amener. L’instant d’aprĂšs, nous vĂźmes entrer un chien d’une taille Ă©norme il Ă©tait enchaĂźnĂ© ; mais un coup de pied du portier l’avertit de se coucher, et il s’étendit devant la table. Trimalchion lui jeta du pain blanc en disant — Il n’y a personne dans ma maison qui m’aime plus que cet animal. — CrĂ©sus, piquĂ© des louanges prodiguĂ©es Ă  Scylax, pose sa chienne Ă  terre, et l’agace de toutes ses forces contre lui. Alors Scylax, selon l’instinct de sa race, remplit toute la salle du bruit de ses horribles aboiements, et faillit mettre en piĂšces la Perle c’était le nom de la chienne de CrĂ©sus ; mais le tumulte ne se borna pas Ă  cette querelle, car un des lustres tomba sur la table, et, brisant tous les vases qui s’y trouvaient, couvrit d’huile bouillante quelques-uns des convives. Trimalchion, pour ne pas paraĂźtre affectĂ© de cette perte, embrassa son mignon, et lui ordonna de grimper sur son dos. AussitĂŽt fait que dit CrĂ©sus enfourche sa monture, et lui frappe du plat de la main sur les Ă©paules ; puis, ouvrant les doigts de l’autre main, il s’écrie en riant — Cornes ! cornes ! combien sont-elles[2] ? — Trimalchion, aprĂšs avoir subi pendant quelque temps cette espĂšce de pĂ©nitence, donna l’ordre de remplir de vin un grand vase, et d’en verser Ă  tous les esclaves qui Ă©taient assis Ă  nos pieds, avec cette restriction — Si quelqu’un d’entre eux, dit-il, refusait de boire, qu’on lui jette le vin sur la tĂȘte je suis sĂ©vĂšre pendant le jour ; mais maintenant, vive la joie ! CHAPITRE LXV. AprĂšs cet acte de familiaritĂ©, on servit les mattĂ©es[1], dont le souvenir seul, vous pouvez m’en croire, me soulĂšve encore le cƓur car, au lieu de grives, on offrit Ă  chacun de nous une poularde grasse, des Ɠufs d’oie chaperonnĂ©s ; et Trimalchion nous pria avec beaucoup d’instances d’y goĂ»ter, assurant que les poulardes Ă©taient dĂ©sossĂ©es. Nous en Ă©tions lĂ  du festin, lorsqu’un licteur frappa Ă  la porte, et un nouveau convive, vĂȘtu d’une robe blanche, entra dans la salle, suivi d’un nombreux cortĂšge. Saisi d’une crainte respectueuse Ă  l’aspect de ce personnage, je crus que c’était le prĂ©teur. Dans cette pensĂ©e, j’allais me lever et descendre pieds nus sur le carreau[2]. Mais Agamemnon, riant de mon empressement — Fou que vous ĂȘtes, me dit-il, ne vous dĂ©rangez pas ; ce n’est rien ; c’est le sĂ©vir Habinnas, marbrier de son mĂ©tier, et qui passe pour un habile ouvrier en fait de tombeaux. — RassurĂ© par ces paroles, je me remis les coudes sur la table, non sans toutefois admirer l’entrĂ©e majestueuse du sĂ©vir. Il Ă©tait dĂ©jĂ  entre deux vins, et, pour se soutenir, s’appuyait sur l’épaule de sa femme ; de son front, ornĂ© de plusieurs couronnes, coulaient des ruisseaux de parfums qui lui tombaient sur les yeux. Il se mit sans façon Ă  la place d’honneur, et sur-le-champ demanda du vin et de l’eau chaude. CharmĂ© de son bachique enjouement, Trimalchion demanda aussi une plus grande coupe, et s’informa d’Habinnas comment on l’avait traitĂ© dans la maison d’oĂč il sortait. — Nous avons eu tout Ă  souhait, rĂ©pondit-il il ne nous manquait que vous ; car mon cƓur Ă©tait ici. Du reste, je vous jure, tout s’est trĂšs bien passĂ©. Scissa cĂ©lĂ©brait avec magnificence la neuvaine de Misellus[3], un de ses esclaves, qu’il n’avait affranchi qu’à l’article de la mort[4] outre l’impĂŽt du vingtiĂšme qu’il y gagne, il a trouvĂ©, je pense, une bonne succession ; car on n’estime pas Ă  moins de cinquante mille Ă©cus les biens du dĂ©funt. Toutefois, nous avons fait un repas trĂšs agrĂ©able, quoiqu’il nous ait fallu verser sur ses os la moitiĂ© de notre vin[5]. CHAPITRE LXVI. Mais enfin que vous a-t-on servi ? reprit Trimalchion. — Je vais vous le dire, si je puis ; car j’ai si bonne mĂ©moire qu’il m’arrive souvent d’oublier mon propre nom. Nous avons eu d’abord, au premier service, un porc couronnĂ© de boudins, et entourĂ© de saucisses, des gĂ©siers trĂšs-bien accommodĂ©s, des citrouilles, et du pain bis de mĂ©nage, que je prĂ©fĂšre au pain blanc, parce qu’il est fortifiant, laxatif, et me fait aller oĂč vous savez sans douleur. Le second service se composait d’une tarte froide[1], arrosĂ©e d’un miel d’Espagne chaud et dĂ©licieux aussi je n’ai pas touchĂ© Ă  la tarte ; quant au miel, je m’en suis lĂ©chĂ© les doigts. Alentour Ă©taient des pois chiches, des lupins, des noix Ă  foison, mais seulement une pomme pour chaque convive ; cependant j’en ai pris deux ; et, tenez, les voici roulĂ©es dans ma serviette car si je n’apportais quelque petit cadeau de ce genre Ă  mon esclave favori, il y aurait du bruit Ă  la maison. Mais ma femme me fait souvenir d’un mets que j’allais oublier. On servit devant nous un morceau d’ourson, et Scintilla en ayant goĂ»tĂ© sans savoir ce que c’était, faillit vomir jusqu’à ses entrailles pour moi, j’en ai mangĂ© plus d’une livre, car il avait un fumet de sanglier Ă  s’y mĂ©prendre. En effet, me disais-je, si les ours mangent les hommes, Ă  plus forte raison les hommes doivent manger les ours. Enfin, nous avons eu un fromage mou, du vin cuit, quelques escargots, des tripes hachĂ©es, des foies en caisses, des Ɠufs chaperonnĂ©s, des raves, de la moutarde, un petit plat de coquillages, des biscuits, une couple de jeunes thons ; on fit aussi circuler, dans une petite nacelle, des olives marinĂ©es, que quelques convives nous disputĂšrent grossiĂšrement Ă  coups de poing quant au jambon, nous le renvoyĂąmes sans y toucher. CHAPITRE LXVII. Mais dites-moi, GaĂŻus, je vous prie, pourquoi Fortunata n’est-elle pas des nĂŽtres ? — Pourquoi ? ne la connaissez-vous pas ? Elle ne boirait pas mĂȘme un verre d’eau avant d’avoir serrĂ© l’argenterie et distribuĂ© aux esclaves la desserte du repas. — Je le sais ; mais si elle ne se met pas Ă  table, je vais me retirer. — Et, en effet, il faisait dĂ©jĂ  le geste de se lever, lorsqu’à un signal donnĂ© par leur maĂźtre, tous les esclaves se mirent Ă  appeler Fortunata Ă  trois et quatre reprises. Elle arriva enfin. Sa robe, retroussĂ©e par une ceinture vert-pĂąle, laissait apercevoir en dessous sa tunique couleur cerise, ses jarretiĂšres en torsade d’or et ses mules ornĂ©es de broderies du mĂȘme mĂ©tal. AprĂšs avoir essuyĂ© ses mains au mouchoir qu’elle portait autour du cou, elle se plaça sur le mĂȘme lit qu’occupait l’épouse d’Habinnas, Scintilla, qui lui en tĂ©moigna sa satisfaction. Fortunata l’embrassa et lui dit — Quel bonheur de vous voir ! — Ensuite elles en vinrent Ă  un tel degrĂ© d’intimitĂ©, que Fortunata, dĂ©tachant de ses gros bras les bracelets dont ils Ă©taient ornĂ©s, les offrit Ă  l’admiration de Scintilla. Enfin elle ĂŽta jusqu’à ses jarretiĂšres ; elle ĂŽta mĂȘme le rĂ©seau de sa coiffure qu’elle assura ĂȘtre filĂ© de l’or le plus pur. Trimalchion, qui le remarqua, fit apporter tous les bijoux de sa femme. — Voyez, dit-il, quel est l’attirail d’une femme ! c’est ainsi que nous nous dĂ©pouillons pour elles, sots que nous sommes ! Ces bracelets doivent peser six livres et demie ; j’en ai moi-mĂȘme un de dix livres que j’ai fait faire avec les milliĂšmes vouĂ©s Ă  Mercure. — Et, pour nous montrer qu’il n’en imposait pas, il fit apporter une balance, et tous les convives furent forcĂ©s de vĂ©rifier le poids de chacun de ces bracelets. Scintilla, non moins vaine, dĂ©tache de son cou une cassolette d’or, Ă  laquelle elle donnait le nom de Felicion, et en tire deux pendants d’oreille, qu’elle fait Ă  son tour admirer Ă  Fortunata. — GrĂące Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© de mon mari, personne, dit-elle, n’en a de plus beaux. — Parbleu ! dit Habinnas, ne m’as-tu pas ruinĂ© de fond en comble pour t’acheter ces babioles de verre ? Certes, si j’avais une fille, je lui ferais couper les oreilles. S’il n’y avait pas de femmes au monde, nous mĂ©priserions tout cela comme de la boue ; mais toutes nos remontrances n’y font que de l’eau claire. — Cependant, les deux amies, dĂ©jĂ  Ă©tourdies par le vin, se mettent Ă  rire entre elles, et, dans leur ivresse, se jettent au cou l’une de l’autre. Scintilla vante les soins diligents que Fortunata donne Ă  son mĂ©nage ; Fortunata, le bonheur de Scintilla et les bons procĂ©dĂ©s de son mari. Mais, tandis qu’elles se tiennent ainsi Ă©troitement embrassĂ©es, Habinnas se lĂšve en tapinois ; et, saisissant Fortunata par les pieds, lui fait faire la culbute sur le lit. — Ah ! ah ! s’écria-t-elle, en voyant ses jupons retroussĂ©s par-dessus ses genoux. Soudain elle se rajuste ; et, se jetant dans les bras de Scintilla, cache sous son mouchoir un visage que la rougeur rendait encore plus laid. CHAPITRE LXVIII. Quelques instants aprĂšs, Trimalchion ordonna de servir le dessert. Les esclaves enlevĂšrent aussitĂŽt toutes les tables, et en apportĂšrent de nouvelles ; ensuite, ils rĂ©pandirent sur le plancher de la sciure de bois teinte avec du safran et du vermillon, et, ce que je n’avais encore vu nulle part, de la pierre spĂ©culaire rĂ©duite en poudre. Alors Trimalchion — J’aurais pu, nous dit-il, me contenter de ce service, car vous avez devant vous les secondes tables ; mais s’il y a quelques friandises, qu’on nous les apporte. — Sur ces entrefaites, un esclave Ă©gyptien qui servait de l’eau chaude se mit Ă  imiter le chant du rossignol ; mais bientĂŽt Trimalchion ayant criĂ© — Un autre ! — la scĂšne change. — Un esclave qui Ă©tait couchĂ© aux pieds d’Habinnas, sans doute par l’ordre de son maĂźtre, dĂ©clama d’une voix de Stentor les vers suivants La flotte des Troyens, sur la plaine liquide, Suit le chemin tracĂ© par le ciel qui la guide. Jamais sons plus aigres n’écorchĂšrent mes oreilles ; car, outre que le barbare haussait ou baissait de ton, toujours Ă  contretemps, il mĂȘlait Ă  son rĂ©cit des vers empruntĂ©s aux farces atellanes ; si bien que, grĂące Ă  lui, Virgile me dĂ©plut pour la premiĂšre fois. Enfin, n’en pouvant plus, il s’arrĂȘta. — Et cependant, nous dit Habinnas, croiriez-vous qu’il n’a jamais rien appris ? seulement je l’ai envoyĂ© quelquefois entendre les bateleurs ; c’est ainsi qu’il s’est formĂ©. Aussi n’a-t-il pas son pareil, quand il veut contrefaire les muletiers ou les charlatans. Mais c’est surtout dans les cas urgents que brille son gĂ©nie. Il est Ă  la fois cordonnier, cuisinier, pĂątissier ; enfin c’est un homme universel. Il n’a que deux petits dĂ©fauts, et c’est bien dommage, car sans cela ce serait un garçon accompli il est circoncis, et il ronfle comme un sabot ; il est vrai qu’il louche aussi un peu. Mais qu’importe ? c’est le regard de VĂ©nus ; c’est pour cela qu’il me plaĂźt. En considĂ©ration de ce prĂ©tendu dĂ©faut dans la vue, je ne l’ai payĂ© que trois cents deniers. CHAPITRE LXIX. Scintilla, interrompant son mari — Vous ne nous parlez pas de tous les mĂ©tiers que fait ce scĂ©lĂ©rat d’esclave il est aussi votre mignon ; mais je ferai en sorte qu’il porte la marque de son infamie. — Trimalchion se prit Ă  rire. — Je reconnais bien lĂ , dit-il, le Cappadocien il ne se refuse rien ; et, certes, ce n’est pas moi qui l’en blĂąmerai, car il n’a pas son pareil. Pour vous, Scintilla, ne vous montrez pas si jalouse. Croyez-en un vieux renard qui vous connaĂźt bien, vous autres femmes. Puissiez-vous me voir toujours sain et sauf, comme il est vrai que je m’escrimais souvent avec MammĂ©a, la femme de mon maĂźtre ; au point que celui-ci, qui en eut soupçon, me relĂ©gua dans une de ses mĂ©tairies. Mais chut ! j’en ai dĂ©jĂ  trop dit. — Prenant cela pour un Ă©loge, le maraud de valet tira de sa robe une espĂšce de cornet Ă  bouquin, et, pendant plus d’une demi-heure, il imita les joueurs de flĂ»te. Habinnas, la main posĂ©e sur sa lĂšvre infĂ©rieure, l’accompagnait en sifflant. Enfin cet esclave en vint Ă  ce point d’impertinence, que, s’avançant au milieu de la salle, tantĂŽt, avec des roseaux fendus, il parodiait les musiciens ; tantĂŽt, couvert d’une casaque et le fouet Ă  la main, Ă  ses discours, Ă  ses gestes, on eĂ»t dit un muletier. Cela dura jusqu’au moment oĂč Habinnas, l’appelant auprĂšs de lui, l’embrassa et lui offrit Ă  boire, en disant — De mieux en mieux, Massa ! je te fais prĂ©sent d’une paire de bottines. — Nous n’eussions pas vu le terme de toutes ces pauvretĂ©s, si l’on n’eĂ»t enfin apportĂ© le dernier service, composĂ© d’un pĂątĂ© de grives, de raisins secs et de noix confites. Ensuite vinrent des coings lardĂ©s de clous de girofle qui ressemblaient Ă  des hĂ©rissons. Tout cela Ă©tait encore supportable ; mais voilĂ  qu’on nous sert un nouveau plat si monstrueux, que nous eussions mieux aimĂ© mourir de faim que d’y goĂ»ter. Chacun de nous eĂ»t jurĂ© que c’était une oie grasse entourĂ©e de poissons et d’oiseaux de toute espĂšce. Trimalchion nous dĂ©trompa en disant — Tout ce que vous voyez dans ce plat est fait de la chair d’un seul animal. — Pour moi, en homme expĂ©rimentĂ©, je crus deviner sur-le-champ ce que c’était ; et me tournant vers Agamemnon — Je suis bien trompĂ©, si tout cela n’est pas artificiel, ou fait de terre cuite j’ai vu Ă  Rome, pendant les Saturnales, des festins entiers reprĂ©sentĂ©s de la mĂȘme maniĂšre. CHAPITRE LXX. Je n’avais pas fini de parler, quand Trimalchion ajouta — PuissĂ©-je voir s’augmenter, non pas mon embonpoint, mais mon patrimoine, comme il est vrai que mon cuisinier a fait tout cela avec de la chair de porc ! Je ne crois pas qu’il existe au monde un homme plus prĂ©cieux. Voulez-vous qu’il vous fasse du ventre d’une truie un poisson, une colombe avec le lard, une tourterelle avec le jambon, une poule avec les intestins ? vous n’avez qu’à parler. Aussi, j’ai imaginĂ© pour lui un nom superbe je l’ai appelĂ© DĂ©dale. Et pour rĂ©compenser son mĂ©rite, je lui ai fait venir de Rome des couteaux d’acier de Norique. — Et sur-le-champ il se fit apporter ces couteaux, les contempla avec admiration, et nous donna la permission d’en essayer le tranchant sur nos joues. Dans le mĂȘme instant, entrĂšrent deux esclaves qui faisaient semblant de s’ĂȘtre pris de querelle Ă  la fontaine ; en effet, ils portaient encore des cruches suspendues Ă  leur cou. Ce fut en vain que Trimalchion voulut prononcer sur leur diffĂ©rend, ils refusĂšrent de se soumettre Ă  sa sentence ; mais chacun d’eux frappa de son bĂąton la cruche de son adversaire. StupĂ©faits de l’insolence de ces ivrognes, nous regardions attentivement leur combat, lorsque nous vĂźmes tomber de leurs cruches brisĂ©es des huĂźtres et des pĂ©toncles qu’un esclave recueillit sur un plat et nous offrit Ă  la ronde. L’habile cuisinier, pour Ă©galer cette ingĂ©nieuse magnificence, nous apporta des escargots sur un gril d’argent, en accompagnant cette action des sons affreux de sa voix chevrotante. J’ai honte de rapporter les dĂ©tails suivants. Par un raffinement inouĂŻ jusqu’alors, des esclaves Ă  longue chevelure apportĂšrent des parfums dans un bassin d’argent, en frottĂšrent les pieds des convives, aprĂšs leur avoir d’abord entrelacĂ© les jambes de guirlandes depuis la cuisse jusqu’au talon. Ensuite ils versĂšrent le surplus de ces parfums liquides dans les amphores Ă  vin et dans les lampes. DĂ©jĂ  Fortunata avait commencĂ© Ă  figurer quelques danses, et Scintilla, trop ivre pour parler, l’applaudissait du geste, lorsque Trimalchion s’écria — Philargyre, et toi, Carrion, qui es un des plus fameux champions de la faction verte, je vous permets de vous mettre Ă  table. Minophile, dis Ă  ta femme qu’elle s’y mette aussi. — Il dit ; et soudain toute la valetaille de la maison envahit la salle du festin ; peu s’en fallut qu’ils ne nous renversassent de nos lits pour s’en emparer. Ce mĂȘme cuisinier, qui d’un porc avait fait une oie, s’était placĂ© au-dessus de moi ; je le reconnus aussitĂŽt Ă  l’odeur fĂ©tide de saumure et de sauce qu’il exhalait. Non content d’ĂȘtre Ă  table, il se mit aussitĂŽt Ă  parodier le tragĂ©dien ÉphĂ©sus, et voulut ensuite gager contre son maĂźtre que, s’il Ă©tait de la faction verte, il remporterait le premier prix Ă  la prochaine course du cirque. CHAPITRE LXXI. CharmĂ© de ce dĂ©fi, Trimalchion nous dit — Mes amis, les esclaves sont des hommes comme nous ; ils ont sucĂ© le mĂȘme lait, quoique la Fortune les ait traitĂ©s en marĂątre. Cependant, je veux que, bientĂŽt et de mon vivant, ils goĂ»tent l’eau des hommes libres. Enfin, je les affranchis tous par mon testament. Je lĂšgue en outre Ă  Philargyre un fonds de terre et sa femme ; Ă  Carrion, un pĂątĂ© de maisons avec le produit du vingtiĂšme et un lit garni. Quant Ă  ma chĂšre Fortunata, je l’institue ma lĂ©gataire universelle, et je la recommande Ă  tous mes amis. Et, si je publie Ă  l’avance mes derniĂšres volontĂ©s, c’est afin que toutes les personnes de ma maison me chĂ©rissent dĂšs Ă  prĂ©sent comme si j’étais mort. — Tous les esclaves aussitĂŽt de rendre grĂące Ă  la gĂ©nĂ©reuse bontĂ© de leur maĂźtre ; mais lui, prenant la chose au sĂ©rieux, fit apporter son testament, et le lut d’un bout Ă  l’autre, au milieu des gĂ©missements de tous ses domestiques. Ensuite, se tournant vers Habinnas — Qu’en dites-vous, mon cher ami ? HĂ© bien, bĂątissez-vous mon tombeau d’aprĂšs le plan que je vous ai donnĂ© ? je vous recommande surtout de mettre l’image de ma petite chienne aux pieds de ma statue, puis des couronnes, des vases de parfums, et tous les combats que j’ai livrĂ©s, afin que je doive Ă  votre habile ciseau la gloire de vivre aprĂšs ma mort. Je veux en outre que le terrain oĂč je serai inhumĂ© ait cent pieds de long sur la voie publique, et deux cents sur la campagne car je prĂ©tends que l’on plante autour de ma sĂ©pulture toutes sortes d’arbres Ă  fruits, et surtout beaucoup de vignes. En effet, rien n’est plus absurde que d’avoir de notre vivant des maisons trĂšs-soignĂ©es, et de nĂ©gliger celles oĂč nous devons demeurer bien plus longtemps. Mais, avant toute chose, je veux que l’on y grave cette inscription MON HÉRITIER N’A AUCUN DROIT SUR CE MONUMENT. Au reste, je mettrai bon ordre, par mon testament, Ă  ce qu’il ne soit fait aucune injure Ă  mes restes. Un de mes affranchis sera prĂ©posĂ© Ă  la garde de mon tombeau, pour empĂȘcher les passants de venir y faire leurs ordures. Je vous prie, Habinnas, qu’on y voie figurer des vaisseaux voguant Ă  pleines voiles, et moi-mĂȘme, assis sur un tribunal et vĂȘtu de la robe prĂ©texte, avec cinq anneaux d’or aux doigts, et distribuant au peuple un sac d’argent ; car vous savez que j’ai donnĂ© un repas public et deux deniers d’or Ă  chaque convive. ReprĂ©sentez-y, si bon vous semble, des salles Ă  manger, et le peuple en foule se livrant au plaisir. À ma droite, vous placerez la statue de Fortunata, tenant une colombe, et conduisant en laisse une petite chienne ; puis mon cher Cicaron ; puis de larges amphores hermĂ©tiquement bouchĂ©es, de peur que le vin ne se rĂ©pande. Vous pouvez aussi y sculpter une urne brisĂ©e, sur laquelle un enfant versera des pleurs. Au centre du monument, vous tracerez un cadran solaire, disposĂ© de telle sorte que tous ceux qui regarderont l’heure soient forcĂ©s, bon grĂ©, mal grĂ©, de lire mon nom. Quant Ă  l’épitaphe, examinez soigneusement si celle-ci vous semble convenable ICI REPOSE C. POMPEIUS TRIMALCHION, DIGNE ÉMULE DE MÉCÈNE ; EN SON ABSENCE, IL FUT NOMMÉ SÉVIR ; BIEN QU’IL PUT OCCUPER UN RANG DANS TOUTES LES DÉCURIES, IL REFUSA CET HONNEUR ; PIEUX, VAILLANT, FIDÈLE, NÉ PAUVRE, IL S’ÉLEVA À UNE GRANDE FORTUNE ; IL A LAISSÉ TRENTE MILLIONS DE SESTERCES, ET N’A JAMAIS ASSISTÉ AUX LEÇONS DES PHILOSOPHES. PASSANT, JE TE SOUHAITE LE MÊME SORT. CHAPITRE LXX. En achevant cette lecture, Trimalchion se mit Ă  verser un torrent de larmes ; Fortunata pleurait aussi, Habinnas de mĂȘme ; enfin tous les esclaves, comme s’ils eussent assistĂ© au convoi de leur maĂźtre, remplissaient la salle de leurs lamentations. Je commençais moi-mĂȘme Ă  m’attendrir, lorsque Trimalchion reprit tout Ă  coup — Eh bien donc, mes amis, convaincus que nous devons tous mourir, que ne jouissons-nous de la vie ? Maintenant, pour mettre le comble Ă  nos plaisirs, allons nous jeter dans le bain. J’en ai fait l’essai, et vous n’aurez pas Ă  vous en repentir, car il est chaud comme un four. — Bravo ! bravo ! rĂ©pondit Habinnas, d’un jour en faire deux, voila ce que j’aime. — Et, se levant pieds nus, il suivit Trimalchion enchantĂ©. Pour moi, regardant Ascylte — Que ferons-nous ? lui dis-je ; la vue seule du bain est capable de me faire mourir sur le coup. — Dites comme eux, rĂ©pondit Ascylte ; et, tandis qu’ils se rendent au bain, Ă©chappons-nous dans la foule. — J’approuve son idĂ©e, et, conduits par Giton, nous traversons le vestibule, et nous gagnons la porte. Nous allions sortir, lorsqu’un Ă©norme chien, quoique enchaĂźnĂ©, nous causa une telle frayeur par ses aboiements, qu’Ascylte, en s’enfuyant, tomba dans un vivier ; et moi, qui, mĂȘme Ă  jeun, avais eu peur d’un dogue en peinture, non moins ivre que mon compagnon, en voulant le secourir, je tombai dans l’eau avec lui. Heureusement, le concierge vint nous dĂ©livrer de ce pĂ©ril ; sa prĂ©sence suffit pour faire taire le chien, et il nous tira tout tremblants du vivier. Giton, plus avisĂ© que nous, avait trouvĂ© un admirable expĂ©dient pour se garantir des attaques du chien il lui avait jetĂ© tous les bons morceaux que nous lui avions donnĂ©s pendant le repas ; aussi l’animal, occupĂ© Ă  dĂ©vorer la pĂąture qu’il lui offrait, s’était-il calmĂ© sur-le-champ. Cependant, transis de froid, nous demandĂąmes Ă  notre libĂ©rateur de nous ouvrir la porte. — Vous vous trompez beaucoup, nous dit-il, si vous croyez sortir par oĂč vous ĂȘtes entrĂ©s. Jamais les convives ne repassent deux fois par la mĂȘme porte on entre par un cĂŽtĂ©, on sort par l’autre. CHAPITRE LXXIII. Que faire ? comment trouver l’issue de ce labyrinthe oĂč, pour notre malheur, nous Ă©tions enfermĂ©s ? Nous venions dĂ©jĂ  de nous baigner malgrĂ© nous prenant donc notre parti, nous prions le concierge de nous conduire au bain nous quittons nos habits, que Giton fait sĂ©cher Ă  l’entrĂ©e, et l’on nous introduit dans une Ă©tuve fort Ă©troite, espĂšce de citerne Ă  rafraĂźchir, oĂč Trimalchion se tenait debout, tout nu, et, dans cette posture, dĂ©bitait, avec sa forfanterie ordinaire, d’insipides discours que nous fĂ»mes forcĂ©s d’écouter. Il disait que rien n’était plus agrĂ©able que de se baigner loin d’une foule importune ; que cette Ă©tuve avait Ă©tĂ© jadis une boulangerie. Enfin, las de rester sur ses jambes, il s’assit ; mais, par malheur, cette salle avait un Ă©cho qui lui donna l’idĂ©e de chanter le voilĂ  donc qui fait trembler la voĂ»te de ses hurlements entrecoupĂ©s des hoquets de l’ivresse, et Ă  Ă©corcher des airs qui, au dire de ceux qui y comprenaient quelque chose, Ă©taient des chansons de MĂ©nĂ©crate. Quelques-uns des convives couraient autour de sa baignoire en se tenant par la main ; d’autres se chatouillaient mutuellement, et poussaient des cris Ă  fendre le crĂąne. Ceux-ci, les mains liĂ©es, tĂąchaient de ramasser Ă  terre des anneaux ; ceux-lĂ , un genou en terre, se renversaient la tĂȘte en arriĂšre, et s’efforçaient de toucher l’extrĂ©mitĂ© de leurs orteils. Laissant donc tous ces ivrognes se divertir Ă  leur maniĂšre, nous descendĂźmes dans la cuve que l’on prĂ©parait pour Trimalchion. Lorsque les fumĂ©es du vin furent dissipĂ©es, on nous conduisit dans une autre salle, oĂč Fortunata avait fait disposer tous les apprĂȘts d’un splendide repas. Les lustres qui ornaient le plafond Ă©taient soutenus par de petites figures de pĂȘcheurs en bronze ; les tables Ă©taient d’argent massif, les coupes d’argile dorĂ©e ; et devant nous Ă©tait une outre d’oĂč le vin coulait en abondance. — Amis, nous dit Trimalchion, c’est aujourd’hui que l’on coupe la premiĂšre barbe de mon esclave favori ; c’est un garçon de bonne conduite et que j’aime beaucoup, soit dit sans offenser personne. Buvons donc comme des Ă©ponges, et que le jour nous trouve encore Ă  table. CHAPITRE LXXIV. Comme il disait ces mots, un coq vint Ă  chanter. Tout dĂ©concertĂ©, Trimalchion ordonna aussitĂŽt aux esclaves de rĂ©pandre du vin sous la table, et d’en arroser aussi les lampes ; il passa mĂȘme son anneau de la main gauche Ă  la droite — Ce n’est pas sans raison, dit-il, que ce hĂ©raut du jour nous donne l’alarme ; il y a, j’en suis certain, quelque incendie prĂȘt Ă  Ă©clater dans les environs, ou quelqu’un qui va rendre l’ñme. Loin de nous ce prĂ©sage ! Je promets une rĂ©compense au premier qui m’apportera ce prophĂšte de malheur. — À peine il achevait, qu’on lui apporta un coq du voisinage. Trimalchion le condamne Ă  ĂȘtre fricassĂ©. DĂ©dale, cet habile cuisinier qui naguĂšre d’un porc avait fait des oiseaux et des poissons, le coupe en morceaux, le jette dans un chaudron ; et, tandis qu’il l’arrose d’eau bouillante, Fortunata broie du poivre dans un mortier de buis. Ce service Ă©tant terminĂ©, Trimalchion se tourna vers les esclaves — Eh quoi ! leur dit-il, vous n’avez pas encore soupĂ© ? allez, et que d’autres viennent vous remplacer. — Une nouvelle troupe d’esclaves se prĂ©sente aussitĂŽt ; les uns, en se retirant, criaient — Adieu, GaĂŻus ! — Les autres, en entrant — Bonjour, GaĂŻus ! — DĂšs ce moment, adieu tous nos plaisirs ! Parmi les nouveaux venus se trouvait un esclave d’une figure assez agrĂ©able Trimalchion s’en empare et le couvre de mille baisers. Fortunata, rĂ©clamant alors ses droits d’épouse, accable d’injures son mari, et crie Ă  haute voix qu’il est bien ordurier, bien infĂąme, de se livrer ainsi sans contrainte Ă  ses honteux penchants. Enfin, Ă  tous ces noms elle ajoute celui de — Chien ! — Trimalchion, confus, exaspĂ©rĂ© de cet outrage, lance une coupe Ă  la tĂȘte de Fortunata. Celle-ci se met Ă  crier, comme s’il lui eĂ»t crevĂ© un Ɠil, et se cache le visage dans ses mains tremblantes. Scintilla, consternĂ©e de cet accident, la reçoit dans ses bras, et la couvre de son corps. Un esclave obligeant s’empresse d’approcher de sa joue malade un vase d’eau glacĂ©e ; Fortunata, la tĂȘte penchĂ©e sur ce vase, gĂ©mit et verse un torrent de larmes. Mais Trimalchion, loin d’en ĂȘtre Ă©mu — Eh quoi ! dit-il, cette coureuse ne se souvient-elle plus que je l’ai tirĂ©e de la huche Ă  pĂ©trir ? que je lui ai donnĂ© un rang dans le monde ? La voilĂ  qui s’enfle comme une grenouille ! elle crache en l’air, et cela lui retombe sur le nez. C’est une bĂ»che, et non pas une femme. On sent toujours la fange oĂč l’on est nĂ©. Le ciel me soit en aide ! je rabattrai le caquet de cette Cassandre qui veut porter les chausses. Elle oublie sans doute que lorsque je n’avais pas encore un sou vaillant, j’ai pu trouver des partis de dix millions de sesterces. Vous savez, Habinnas, que c’est la vĂ©ritĂ©. Hier encore, Agathon, le parfumeur, me tirant Ă  l’écart, me dit Je vous conseille de ne pas laisser pĂ©rir votre race. » Et moi, par une dĂ©licatesse outrĂ©e, pour ne pas paraĂźtre volage, je me coupe ainsi bras et jambes. C’est bien je ferai en sorte qu’aprĂšs ma mort tu gratteras la terre avec tes ongles pour me ravoir ; et pour que, dĂšs aujourd’hui, tu saches tout le tort que tu t’es fait Ă  toi-mĂȘme, je vous dĂ©fends, Habinnas, de placer sa statue sur mon tombeau, car je veux reposer en paix dans mon dernier asile. Bien plus, pour lui prouver que j’ai le pouvoir de punir qui m’offense, je ne veux pas qu’elle m’embrasse aprĂšs ma mort. CHAPITRE LXXV. Lorsqu’il eut ainsi fulminĂ© contre sa femme, Habinnas le conjura de se calmer. — Personne de nous, lui dit-il, n’est exempt de commettre des fautes ; nous ne sommes pas des dieux, mais des hommes. — Scintilla lui adressait en pleurant la mĂȘme priĂšre — Au nom de votre gĂ©nie tutĂ©laire, mon cher GaĂŻus, lui disait-elle tendrement, laissez-vous flĂ©chir ! — Trimalchion ne pouvant plus retenir ses larmes — Habinnas, dit-il, par tous les vƓux que je forme pour votre fortune, crachez-moi au visage, je vous en supplie, si j’ai tort dans cette affaire ! J’ai embrassĂ©, il est vrai, cet excellent jeune homme, mais ce n’est pas pour sa beautĂ©, c’est pour ses bonnes qualitĂ©s. Il sait les dix parties de l’oraison ; il lit Ă  livre ouvert. Avec ce qu’il Ă©pargne chaque jour sur sa nourriture, il a amassĂ© de quoi payer sa libertĂ©, et de ses Ă©conomies il s’est achetĂ© une armoire et deux coupes n’est-il pas digne de mon affection ? Mais madame s’y oppose. C’est lĂ  ton dernier mot, pendarde ! Crois-moi, ronge en paix l’os que je te jette, oiseau de proie ; et ne me fais pas trop enrager, ma mignonne, ou je pourrais bien faire quelque coup de ma tĂȘte ! Tu me connais, quand j’ai une fois rĂ©solu quelque chose, cela tient comme un clou dans une poutre. Mais pensons plutĂŽt Ă  jouir de la vie. Allons, mes amis, vive la joie ! Je n’étais Ă  mon dĂ©but qu’un simple affranchi comme vous ; mon mĂ©rite seul m’a conduit oĂč vous voyez. C’est le cƓur qui fait l’homme ; je ne donnerais pas un fĂ©tu de tout le reste. J’achĂšte loyalement, je vends de mĂȘme. Je laisse Ă  d’autres le soin de faire mon Ă©loge. Lorsque je suis au comble du bonheur, pourquoi viens-tu encore m’étourdir de tes pleurnicheries, ivrognesse ? je te ferai pleurer pour quelque chose. Mais, comme je vous le disais, c’est ma bonne conduite qui m’a fait parvenir Ă  la fortune. Quand j’arrivai d’Asie, je n’étais pas plus haut que ce chandelier auquel je me mesurais chaque jour ; et, pour faire pousser plus promptement ma barbe, je me frottais les lĂšvres avec l’huile d’une lampe. Cependant j’ai fait pendant quatorze ans les dĂ©lices de mon maĂźtre, et je n’en rougis pas, car mon devoir Ă©tait de lui obĂ©ir. J’étais en mĂȘme temps le favori de ma maĂźtresse. Vous comprenez ce que cela veut dire. Je me tais, car je n’aime pas Ă  me faire valoir. CHAPITRE LXXVI. Enfin, par la volontĂ© des dieux, je devins maĂźtre dans la maison ; alors, je commençai Ă  vivre Ă  ma fantaisie. Que vous dirai-je ? mon maĂźtre me fit son hĂ©ritier conjointement avec CĂ©sar, et je recueillis un patrimoine de sĂ©nateur. Mais l’homme ne sait jamais borner son ambition. Je me mis alors en tĂȘte de faire du commerce. Pour abrĂ©ger, vous saurez que je fis construire cinq vaisseaux que je chargeai de vin ; c’était, Ă  cette Ă©poque, de l’or en barre. Je les expĂ©diai pour Rome ; mais, comme si c’eĂ»t Ă©tĂ© un fait exprĂšs, ils firent tous naufrage. Ce n’est point un conte, mais la pure vĂ©ritĂ© ; la mer, en un seul jour, m’engloutit pour trente millions de sesterces. Vous croyez peut-ĂȘtre que je perdis courage ; non, ma foi ! cette perte me mit en goĂ»t de tenter encore la fortune ; et malgrĂ© cet Ă©chec rĂ©cent, j’équipai de nouveaux vaisseaux, plus grands, plus solides que les premiers, et qui partirent sous de meilleurs auspices ; si bien que chacun vanta mon intrĂ©piditĂ©. Vous savez que les plus gros vaisseaux sont ceux qui luttent avec le plus d’avantage contre les flots. Je chargeai donc ma nouvelle flotte de vin, de lard, de fĂšves, de parfums de Capoue et d’esclaves. Dans cette circonstance, Fortunata me donna une grande preuve de dĂ©vouement elle vendit tous ses bijoux, toutes ses robes, et de leur produit me mit dans la main cent piĂšces d’or qui furent la source de ma nouvelle fortune. On va vite en affaires, lorsque le ciel vous aide en une seule course, je gagnai, de compte rond, dix millions de sesterces. Je commençai par racheter toutes les terres qui avaient appartenu Ă  mon maĂźtre, je bĂątis ensuite un palais, et j’achetai des bĂȘtes de somme pour les revendre. Tout ce que j’entrepris me rĂ©ussit Ă  souhait. DĂšs que je me vis plus riche Ă  moi seul que tout le pays ensemble, laissant lĂ  mes registres, je quittai le commerce, et je me contentai de prĂȘter de l’argent Ă  intĂ©rĂȘt aux nouveaux affranchis. J’étais mĂȘme sur le point de renoncer entiĂšrement aux affaires, lorsque j’en fus dĂ©tournĂ© par un astrologue qui vint par hasard dans cette colonie. Il Ă©tait Grec de naissance, et se nommait SĂ©rapa il semblait inspirĂ© par les dieux. Il me rappela mĂȘme plusieurs circonstances de ma vie que j’avais oubliĂ©es, et qu’il me raconta de fil en aiguille. J’aurais cru qu’il lisait dans mes entrailles, s’il avait pu me dire ce que j’avais mangĂ© la veille Ă  souper. En un mot, on eĂ»t jurĂ© qu’il ne m’avait pas quittĂ© de sa vie. CHAPITRE LXXVII. Mais, Habinnas, vous Ă©tiez prĂ©sent, je pense, lorsqu’il me dit De moins que rien vous ĂȘtes devenu un riche propriĂ©taire vous n’ĂȘtes pas heureux en amis ; vous n’obligez que des ingrats ; vous possĂ©dez de vastes domaines ; vous nourrissez une vipĂšre dans votre sein. » Que vous dirai-je enfin ? Il assura que j’avais encore Ă  vivre trente ans, quatre mois et deux jours il ajouta que je recueillerais bientĂŽt un hĂ©ritage. VoilĂ  ce que j’ai appris de ma destinĂ©e ; et, si j’ai le bonheur de joindre l’Apulie Ă  mes domaines, je croirai avoir bien employĂ© ma vie. En attendant, par la protection de Mercure, j’ai fait bĂątir ce palais. Jadis, vous le savez, ce n’était qu’une baraque, maintenant c’est un temple. Il renferme quatre salles Ă  manger, vingt chambres Ă  coucher, deux portiques de marbre ; et, dans l’étage supĂ©rieur, un autre appartement ; la chambre oĂč je couche ; celle de cette mĂ©gĂšre on y trouve en outre une trĂšs-belle loge de concierge, et cent chambres d’amis. Enfin, lorsque Scaurus vient dans ce pays, il aime mieux descendre chez moi que partout ailleurs ; et pourtant il a sur le bord de la mer un logement chez son pĂšre. Il y a encore dans ma maison plusieurs autres piĂšces que je vais vous faire voir tout Ă  l’heure. Croyez-moi, mes amis, on ne vaut que ce que l’on a ; soyez riches, on vous estimera. C’est ainsi que moi, votre ami, qui n’étais naguĂšre qu’une grenouille je suis maintenant aussi puissant qu’un roi. Cependant, Stichus, apporte ici les vĂȘtements funĂ©raires dans lesquels je veux ĂȘtre enseveli ; apporte aussi les parfums, et un Ă©chantillon de cette amphore de vin dont je veux qu’on arrose mes os. CHAPITRE LXXVIII. Stichus ne se fit pas attendre, et rentra bientĂŽt dans la salle avec une couverture blanche et une robe prĂ©texte. Trimalchion nous les fit manier pour voir si elles Ă©taient tissues de bonne laine ; puis il ajouta en souriant — Prends bien garde, Stichus, que les rats ou les vers ne s’y mettent ; car je te ferais brĂ»ler vif. Je veux ĂȘtre inhumĂ© avec pompe, afin que le peuple bĂ©nisse ma mĂ©moire. — Ayant ainsi parlĂ©, il dĂ©boucha une fiole de nard, et nous en fit tous frictionner. — J’espĂšre, nous dit-il, que ce parfum me fera autant de plaisir aprĂšs ma mort que j’en Ă©prouve maintenant Ă  le sentir. — Ensuite, il fit verser du vin dans un grand vase, et nous dit — Figurez-vous que vous ĂȘtes invitĂ©s au repas de mes funĂ©railles. — Ces dĂ©goĂ»tantes libations nous soulevaient le cƓur, quand Trimalchion, qui Ă©tait ivre mort, s’avisa, pour nous procurer un nouveau plaisir, de faire entrer dans la salle des joueurs de cor ; puis, se plaçant sur un lit de parade, la tĂȘte appuyĂ©e sur une pile de coussins — Supposez, dit-il, que je suis mort, et faites-moi une belle oraison funĂšbre. — Soudain les cors sonnĂšrent un air lugubre. Un entre autres, le valet de cet entrepreneur de convois, qui Ă©tait le plus honnĂȘte homme de la bande, fit entendre des sons si aigus, qu’il mit en rumeur tout le voisinage ; de sorte que les gardes du quartier, croyant que le feu Ă©tait Ă  la maison de Trimalchion, en brisĂšrent tout Ă  coup les portes, et, pleins de zĂšle, se prĂ©cipitĂšrent en tumulte dans l’intĂ©rieur avec de l’eau et des haches. Pour nous, profitant de cette occasion favorable, et, sous un prĂ©texte frivole, prenant congĂ© d’Agamemnon, nous nous sauvĂąmes Ă  toutes jambes, comme d’un vĂ©ritable incendie. CHAPITRE LXXIX. N’ayant pas de flambeaux pour nous guider, nous errions Ă  l’aventure. Il Ă©tait minuit, et le silence qui rĂ©gnait partout ne nous laissait aucun espoir de rencontrer quelqu’un qui nous procurĂąt de la lumiĂšre. Pour surcroĂźt de malheur, nous Ă©tions ivres, et nous ignorions les chemins qui, en cet endroit, sont difficiles Ă  trouver, mĂȘme en plein jour. Aussi ne fut-ce qu’aprĂšs avoir marchĂ© pendant prĂšs d’une heure, Ă  travers les gravois et les cailloux qui nous mirent les pieds en sang, que l’adresse de Giton nous tira enfin de ce mauvais pas. En effet, la veille, en plein midi, craignant de s’égarer, il avait eu la sage prĂ©caution de marquer, chemin faisant, tous les piliers et toutes les colonnes avec de la craie dont la blancheur, victorieuse des plus Ă©paisses tĂ©nĂšbres, nous indiqua la route que nous cherchions. ArrivĂ©s au logis, nouvel embarras. Notre vieille hĂŽtesse, qui avait passĂ© la nuit Ă  boire avec des voyageurs, dormait si profondĂ©ment, qu’on aurait pu la brĂ»ler vive sans la rĂ©veiller. Nous courions donc grand risque de coucher Ă  la porte, si le hasard n’eĂ»t conduit en ce lieu un des messagers de Trimalchion. Cet homme, riche pour son Ă©tat il possĂ©dait dix chariots, se lassa bientĂŽt d’appeler en vain, et, brisant la porte de l’auberge, il nous fit entrer avec lui par la brĂšche. Je ne fus pas plutĂŽt dans ma chambre, que je me mis au lit avec mon cher Giton. Le repas succulent que je venais de faire avait allumĂ© dans mes veines un feu dĂ©vorant que je ne pus Ă©teindre qu’en me plongeant dans un ocĂ©an de voluptĂ©s Dieu d’amour, quelle nuit ! quels transports ravissants ! Rien ne pouvait calmer la fiĂšvre de nos sens ; Nos lĂšvres s’unissaient dans des baisers de flamme, __Et, pour jouir, nous ne formions qu’une Ăąme. Ah ! que ne puis-je encore, au grĂ© de mon dĂ©sir, ______Dans les bras de ce que j’aime, ______GoĂ»ter ce bonheur suprĂȘme, ______Et mourir Ă  l’instant mĂȘme, ______Mais y mourir de plaisir ! J’avais tort, cependant, de me fĂ©liciter de mon sort ; car, profitant du sommeil lĂ©thargique oĂč le vin m’avait plongĂ©, Ascylte, toujours fertile en inventions pour me nuire, enleva Giton d’entre mes bras engourdis par l’ivresse, et le porta dans son lit. LĂ , foulant aux pieds tous les droits humains, il usurpa sans scrupule des plaisirs qui n’étaient dus qu’à moi, et s’endormit sur le sein de Giton, qui ne sentit pas, ou peut-ĂȘtre feignit de ne pas sentir l’injure qu’Ascylte me faisait. À mon rĂ©veil, je cherchai vainement dans ma couche solitaire l’objet de mon amour pour me venger des deux parjures, je fus tentĂ© de leur passer mon Ă©pĂ©e au travers du corps, et de les envoyer du sommeil Ă  la mort ; mais enfin, prenant le plus sage parti, je rĂ©veillai Giton Ă  coups de houssine ; puis, jetant sur Ascylte un regard farouche — ScĂ©lĂ©rat, lui dis-je, puisque, par un lĂąche attentat, tu as violĂ© les lois de l’amitiĂ©, prends ce qui t’appartient, pars, et cesse de souiller ces lieux de ta prĂ©sence. — Ascylte parut y consentir ; mais dĂšs que nous eĂ»mes partagĂ© nos nippes de bonne foi — Maintenant, dit-il, partageons aussi cet enfant. CHAPITRE LXXX. Je crus d’abord que c’était une plaisanterie, et qu’il allait partir ; mais lui, tirant son Ă©pĂ©e d’une main fratricide — Tu ne jouiras pas seul, s’écria-t-il, de ce trĂ©sor que tu prĂ©tends t’approprier. Il faut que j’en aie aussi ma part, et ce glaive va sur-le-champ me la donner. — Je saute aussi sur mon Ă©pĂ©e, et, roulant mon manteau autour de mon bras[1], je me mets en garde. Pendant ces transports furieux, le malheureux enfant embrassait nos genoux, et, baignĂ© de larmes, nous suppliait de ne pas faire de cette mĂ©chante auberge le théùtre d’une nouvelle ThĂ©baĂŻde, de ne pas souiller du sang d’un frĂšre nos mains qu’unissait naguĂšre la plus tendre intimitĂ©. — Oui, s’écria-t-il, si la mort d’un de nous est nĂ©cessaire, voici ma gorge, frappez, plongez-y vos Ă©pĂ©es ; c’est Ă  moi de mourir, Ă  moi qui ai brisĂ© les liens de votre amitiĂ© mutuelle. — DĂ©sarmĂ©s par ces priĂšres, nous remĂźmes nos Ă©pĂ©es dans le fourreau. Ascylte, prenant alors l’initiative — J’ai trouvĂ©, dit-il, un expĂ©dient pour nous mettre d’accord. Que Giton soit Ă  celui qu’il prĂ©fĂ©rera ; laissons-le, du moins, choisir librement celui de nous deux qu’il veut pour son frĂšre. — Plein de confiance dans l’anciennetĂ© de mes liaisons avec cet enfant, qui semblaient m’unir Ă  lui par une sorte de parentĂ©, j’acceptai avec empressement le parti qu’Ascylte me proposait, et je m’en rapportai au jugement de Giton ; mais lui, sans balancer, sans paraĂźtre hĂ©siter un seul instant, choisit Ascylte pour son frĂšre. FoudroyĂ© par cet arrĂȘt, je n’eus pas mĂȘme l’idĂ©e de disputer Giton par la voie des armes, et, tombant sur mon lit, je me serais donnĂ© la mort, si je n’eusse craint d’augmenter le triomphe de mon rival. Fier du succĂšs, Ascylte sort avec le trophĂ©e de sa victoire, laissant un ancien camarade, le compagnon de sa bonne comme de sa mauvaise fortune, qu’hier encore il appelait son ami, seul et sans secours dans un pays Ă©tranger. L’amitiĂ© n’a d’attraits qu’autant qu’elle est utile. Comme au jeu l’échec quitte ou suit l’échec mobile, Tel, l’ami qu’à son grĂ© la fortune conduit, Nous sourit avec elle, avec elle nous fuit. Telle encor, sur la scĂšne affichant la sagesse[2], La plus vile PhrynĂ© parle, agit en LucrĂšce Mais baissez le rideau, le rĂŽle est terminĂ© LucrĂšce disparaĂźt, et fait place Ă  PhrynĂ©. CHAPITRE LXXXI. Cependant je sĂ©chai bientĂŽt mes larmes ; et craignant que, pour comble de malheur, MĂ©nĂ©las, notre rĂ©pĂ©titeur[1], ne me trouvĂąt seul dans cette auberge, je fis un paquet de mes hardes, et j’allai tristement me loger dans un quartier peu frĂ©quentĂ©, sur le bord de la mer. LĂ , je restai trois jours sans sortir le souvenir de mon abandon et des mĂ©pris de Giton me revenait sans cesse Ă  l’esprit ; je me frappais la poitrine en poussant des sanglots dĂ©chirants ; et, dans mon violent dĂ©sespoir, je m’écriais souvent Pourquoi la terre ne s’est-elle pas ouverte pour m’engloutir ? pourquoi la mer, si funeste mĂȘme aux innocents, m’a-t-elle Ă©pargnĂ© ? J’ai tuĂ© mon hĂŽte, et cependant j’ai Ă©chappĂ© au chĂątiment ; je me suis sauvĂ© de l’arĂšne oĂč l’on me croyait mort, et, pour prix de tant d’audace, me voilĂ  seul, abandonnĂ© comme un mendiant, comme un exilĂ©, dans cette mĂ©chante auberge d’une ville grecque ! Et quel est celui qui me plonge dans cette horrible solitude ? un jeune homme souillĂ© de toute espĂšce de dĂ©bauches, qui, de son propre aveu, a mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre banni de son pays ; qui n’a dĂ» sa libertĂ© et son affranchissement qu’aux plus honteuses complaisances ; dont les faveurs furent vendues Ă  l’encan, et que l’on acheta, le sachant homme, pour s’en servir comme d’une fille. Et que dirai-je, grands dieux ! de cet autre, de ce Giton, qui prit la robe de femme Ă  l’époque oĂč l’on prend la toge virile ; qui, dĂšs sa plus tendre enfance, renonça aux attributs de son sexe ; qui, dans une prison, s’abandonna aux caresses des plus vils esclaves ; qui, aprĂšs avoir passĂ© de mes bras dans ceux d’un rival, abandonne tout Ă  coup un ancien ami, et, comme une vile prostituĂ©e, ĂŽ honte ! dans l’espace d’une seule nuit, sacrifie tout Ă  sa nouvelle passion ? Maintenant, couple heureux, ils passent les nuits entiĂšres dans les plus douces Ă©treintes. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu’en ce moment, Ă©puisĂ©s par l’excĂšs du plaisir, ils se raillent de mon triste abandon. Les lĂąches ! ils ne jouiront pas impunĂ©ment de leur trahison. Ou je ne suis pas un homme, et un homme libre, ou je laverai mon outrage dans leur sang infĂąme. CHAPITRE LXXXII. A ces mots, je ceins mon Ă©pĂ©e, et, de peur que mes forces ne trahissent mon ardeur belliqueuse, pour augmenter ma vigueur je fais un repas plus copieux que de coutume ; puis, prenant mon essor, je m’élance hors du logis, et, comme un furieux, je parcours Ă  grands pas tous les portiques. Je marchais d’un air effarĂ©, avec des gestes menaçants ; je ne respirais que sang, que carnage ; Ă  chaque instant je portais la main Ă  la garde de mon Ă©pĂ©e, de cette Ă©pĂ©e vouĂ©e aux furies vengeresses. Un soldat me remarqua ; j’ignore si c’était un vagabond ou un voleur de nuit — Qui es-tu, camarade ? me dit-il ; quelle est ta lĂ©gion, ta centurie ? — Moi, sans me troubler, je me forgeai sur-le-champ une lĂ©gion et un centurion. — Allons donc, rĂ©pondit-il, est-ce que dans votre troupe les soldats portent des souliers de baladin ?[1] — La rougeur de mon visage et le tremblement de tous mes membres trahirent bientĂŽt mon imposture. — Bas les armes ! et prends garde Ă  toi, me cria le soldat. — Me voyant ainsi dĂ©sarmĂ© et privĂ© de tout moyen de vengeance, je rebroussai chemin vers mon auberge ; ma colĂšre se calma peu Ă  peu, et je ne tardai pas Ă  savoir bon grĂ© Ă  ce coupe-jarret de son audace. CHAPITRE LXXXIII. Ce ne fut toutefois qu’avec peine que je triomphai du dĂ©sir de me venger, et je passai une partie de la nuit dans une grande agitation. Vers le point du jour, pour chasser ma tristesse et le souvenir de mon injure, je sortis et je parcourus de nouveau tous les portiques. J’entrai dans une galerie ornĂ©e de divers tableaux trĂšs-remarquables. J’en vis, de la main de Zeuxis, qui rĂ©sistaient encore Ă  l’injure du temps, et je remarquai des Ă©bauches de ProtogĂšne, qui disputaient de vĂ©ritĂ© avec la nature elle-mĂȘme, et que je n’osai toucher qu’avec un frissonnement religieux. Je me prosternai devant des grisailles d’Apelles espĂšce de peinture que les Grecs appellent monochrome. Les contours des figures Ă©taient dessinĂ©s avec tant d’art et de naturel, que l’on eĂ»t cru que le peintre avait trouvĂ© le secret de les animer[1]. Ici, sur les ailes d’un aigle, on voyait un dieu s’élever au plus haut des airs. LĂ , l’innocent Hylas repoussait les caresses d’une lascive NaĂŻade. Plus loin, Apollon dĂ©plorait le meurtre commis par sa main, et dĂ©corait sa lyre dĂ©tendue d’une fleur d’hyacinthe nouvellement Ă©close. Au milieu de toutes ces peintures de l’amour, oubliant que j’étais dans un lieu public, je m’écriai Ainsi donc l’amour n’épargne pas mĂȘme les dieux ! Jupiter, ne trouvant dans les cieux aucune beautĂ© digne de son choix, descend sur la terre pour satisfaire ses caprices ; mais du moins il n’enlĂšve Ă  personne un objet aimĂ©. La Nymphe qui ravit Hylas eĂ»t sans doute imposĂ© silence Ă  sa passion, si elle eĂ»t pensĂ© qu’Hercule viendrait le rĂ©clamer. Apollon fit revivre dans une fleur l’enfant qu’il adorait ; enfin toutes les fables sont pleines d’amoureuses liaisons qui ne sont point traversĂ©es par des rivaux ; mais moi, j’ai admis dans mon intimitĂ© un hĂŽte plus cruel encore que Lycurgue. Tandis que je prodiguais aux vents mes plaintes inutiles, je vis entrer dans la galerie un vieillard Ă  cheveux blancs, dont le visage annonçait la rĂ©flexion et semblait promettre quelque chose de grand, mais dont la mise n’était pas trĂšs-soignĂ©e tout dans son extĂ©rieur trahissait au premier abord un de ces hommes de lettres qui, pour l’ordinaire, sont en butte Ă  la haine des gens riches. Il s’arrĂȘta prĂšs de moi — Je suis poĂ«te, me dit-il, et, je me flatte, poĂ«te de quelque mĂ©rite, s’il faut en croire ceux qui m’ont dĂ©cernĂ© des couronnes publiques[2] il est vrai qu’on les accorde souvent par faveur Ă  des ignorants. Pourquoi donc, me direz-vous, ĂȘtes-vous si mal vĂȘtu[3] ? Par cela mĂȘme que je suis poĂ«te ; l’amour des lettres n’a jamais enrichi personne Le marchand qui brava les fureurs de Neptune, AprĂšs mille dangers, arrive Ă  la fortune ; Mars de l’or des vaincus enrichit le vainqueur ; Aux frais d’un vil CrĂ©sus s’engraisse un vil flatteur ; Tandis que tour Ă  tour, trafiquant du scandale, Un fat Ă  vingt beautĂ©s vend sa flamme banale[4]. Seul, hĂ©las ! le savant, dans ce siĂšcle pervers, Ébloui par l’appĂąt d’une gloire stĂ©rile, Mal nourri, mal vĂȘtu, sans patron, sans asile, Invoque les beaux-arts dans leurs temples dĂ©serts. CHAPITRE LXXXIV. Cela n’est que trop vrai qu’un philosophe, ennemi du vice, marche droit son chemin dans le sentier de la vie, le contraste de ses mƓurs avec celles du siĂšcle lui attire aussitĂŽt la haine gĂ©nĂ©rale qui pourrait, en effet, approuver dans autrui les vertus qu’il n’a pas ?. Ensuite, ceux qui sont uniquement occupĂ©s du soin d’amasser des richesses veulent persuader Ă  tous les hommes que cet or qu’ils possĂšdent est le souverain bien. Qu’on prĂŽne donc, disent-ils, tant qu’on voudra, les hommes de lettres, pourvu que, dans l’opinion publique, ils cĂšdent le pas aux hommes d’argent. — Je ne sais comment il se fait que la pauvretĂ© soit sƓur du gĂ©nie, dis-je Ă  Eumolpe en soupirant. — Vous avez raison, reprit le vieillard, de dĂ©plorer le sort des gens de lettres. — Ce n’est pas cela, rĂ©pliquai-je, qui me fait soupirer ; j’ai bien d’autres sujets d’affliction ! — Et, par ce penchant naturel qui nous porte Ă  dĂ©poser nos chagrins dans le sein d’autrui, je lui fis sur-le-champ le rĂ©cit de ma triste aventure, et je lui peignis sous les plus odieuses couleurs la perfidie d’Ascylte. — PlĂ»t au ciel ! ajoutai-je en gĂ©missant, que l’ennemi cruel qui me force Ă  la continence fĂ»t assez honnĂȘte homme pour se laisser attendrir ; mais c’est un scĂ©lĂ©rat endurci qui en remontrerait aux dĂ©bauchĂ©s de profession ! — Ma franchise ingĂ©nue me gagna le cƓur de ce vieillard il se mit Ă  me consoler ; et, pour faire diversion Ă  mon chagrin, il me raconta en ces termes une aventure galante de sa jeunesse. CHAPITRE LXXXV. Dans un voyage que je fis en Asie Ă  la suite d’un questeur[1], je logeai chez un habitant de Pergame. Je me plaisais beaucoup chez mon hĂŽte, moins Ă  cause de l’élĂ©gance des appartements que de la beautĂ© merveilleuse de son fils. J’eus recours Ă  cet expĂ©dient, pour que le bon pĂšre ne soupçonnĂąt pas la vive passion que m’inspirait cet enfant. Toutes les fois qu’il Ă©tait question Ă  table de l’amour des jolis garçons, je me rĂ©pandais en invectives si violentes contre cet infĂąme usage, je dĂ©fendais d’un ton si sĂ©vĂšre que l’on tĂźnt devant moi ces discours obscĂšnes qui blessaient, disais-je, mes chastes oreilles, que tous, et surtout la mĂšre de mon Ă©lĂšve, me regardaient comme un des sept sages. Je fus donc bientĂŽt chargĂ© de le conduire au gymnase je rĂ©glais ses Ă©tudes, je lui donnais des leçons ; et je recommandais par-dessus toutes choses Ă  ses parents de n’admettre chez eux aucun sĂ©ducteur de la jeunesse. Un jour de fĂȘte, aprĂšs avoir terminĂ© nos travaux plus tĂŽt qu’à l’ordinaire, nous Ă©tions couchĂ©s dans la salle Ă  manger car la nonchalance, suite ordinaire d’un long et joyeux festin, nous avait empĂȘchĂ©s de remonter dans notre chambre ; lorsque, vers le milieu de la nuit, je m’aperçus que mon Ă©lĂšve ne dormait pas. Je fis alors Ă  voix basse cette priĂšre Ă  VĂ©nus O dĂ©esse ! si je puis embrasser cet aimable enfant, sans qu’il le sente, je fais vƓu de lui donner demain une paire de colombes ! L’espiĂšgle n’eut pas plutĂŽt entendu quel Ă©tait le prix de cette faveur, qu’il se mit Ă  ronfler. Pendant qu’il feignait de dormir, je m’approchai de lui, et je lui dĂ©robai plusieurs baisers. Content de cet essai, je me levai de bonne heure le lendemain, et, pour combler son attente, je lui apportai une belle paire de colombes. C’est ainsi que je m’acquittai de ma promesse. CHAPITRE LXXXVI. La nuit suivante, encouragĂ©s par sa facilitĂ©, mes vƓux changĂšrent de nature Si je puis, disais-je, promener sur son corps une main lascive, sans qu’il le sente, pour rĂ©compense de sa docilitĂ©, je lui donnerai deux coqs gaulois des plus acharnĂ©s au combat. À cette promesse, le bel enfant s’approcha de lui-mĂȘme il semblait, je crois, apprĂ©hender que je ne m’endormisse. Pour dissiper son inquiĂ©tude, je parcourus tout son corps avec un plaisir au delĂ  de toute expression. Puis, dĂšs que le jour parut, je le comblai de joie en lui apportant ce que je lui avais promis. DĂšs que la troisiĂšme nuit vint ouvrir une nouvelle carriĂšre Ă  mon audace, je m’approchai de l’oreille du prĂ©tendu dormeur Dieux immortels ! m’écriai-je, faites que je puisse, au grĂ© de mes vƓux, goĂ»ter dans ses bras une jouissance complĂšte, sans, toutefois, qu’il en sente rien ; et, pour prix de tant de bonheur, je lui donnerai demain un beau bidet de MacĂ©doine. Jamais mon Ă©lĂšve ne dormit d’un sommeil plus profond. D’abord je promenai mes mains avides sur son sein d’albĂątre, puis je le couvris d’ardents baisers ; enfin je concentrai tous mes vƓux dans le siĂ©ge mĂȘme du plaisir. Le lendemain, assis dans sa chambre, il attendait avec impatience mon offrande ordinaire. Il n’est pas aussi facile, vous le savez, d’acheter un bidet que des colombes et des coqs gaulois outre la dĂ©pense, je craignais qu’un cadeau de cette importance ne rendit ma gĂ©nĂ©rositĂ© suspecte Ă  ses parents. Donc, aprĂšs m’ĂȘtre promenĂ© quelques heures, je rentrai chez mon hĂŽte les mains vides, et, pour tout prĂ©sent, je donnai un baiser Ă  mon jeune ami ; mais lui me saute au cou pour m’embrasser, et, jetant de tous cĂŽtĂ©s des regards inquiets — Mon cher maĂźtre, dit-il, oĂč donc est le bidet ? — La difficultĂ© d’en trouver un beau m’a forcĂ©, lui rĂ©pondis-je, Ă  diffĂ©rer cette emplette ; mais, d’ici Ă  peu de jours, je tiendrai ma parole. — L’enfant comprit fort bien ce que cela voulait dire, et l’expression de son visage trahit son secret mĂ©contentement. CHAPITRE LXXXVII. Bien que mon manque de foi m’eĂ»t fermĂ© ce cƓur oĂč j’avais su m’ouvrir un accĂšs, je ne tardai pas cependant Ă  reprendre les mĂȘmes libertĂ©s. En effet, quelques jours aprĂšs, un heureux hasard m’ayant de nouveau procurĂ© l’occasion que j’épiais, dĂšs que je vis son pĂšre profondĂ©ment endormi, je priai ce cher enfant de faire sa paix avec moi, en me laissant lui procurer plaisir pour plaisir ; enfin j’employai tous les arguments qu’inspire une ardente passion ; mais, pour toute rĂ©ponse, il me dit du ton le plus courroucĂ© — Dormez, ou je vais appeler mon pĂšre. — Il n’est point d’obstacle dont ne triomphe une audace persĂ©vĂ©rante. Tandis qu’il me menace d’éveiller son pĂšre, je me glisse dans son lit ; il ne m’oppose qu’une faible rĂ©sistance, et je lui arrache les plaisirs qu’il me refusait. Il parut prendre goĂ»t Ă  cette violence, et se plaignant, pour la forme, de ce que, par mon ingratitude, je l’avais exposĂ© aux railleries de ses camarades, auxquels il avait vantĂ© ma gĂ©nĂ©rositĂ© — Pour vous prouver, ajouta-t-il, que je ne vous ressemble pas, vous pouvez recommencer, si cela vous plaĂźt. — La paix Ă©tant faite et mon pardon obtenu, j’usai de la permission qu’il m’accordait, et je m’endormis dans ses bras. Mais l’adolescent, dĂ©jĂ  mĂ»r pour l’amour, et que l’ardeur de l’ñge excitait au plaisir, ne se tint pas pour content de cette double Ă©preuve. Il m’éveilla donc — Eh quoi ! me dit-il, vous ne demandez plus rien ? — Je me sentais encore un reste de vigueur ; je m’évertuai donc du mieux que je pus, et, couvert de sueur, hors d’haleine, je parvins enfin Ă  satisfaire son envie ; mais alors, Ă©puisĂ© par cette triple jouissance, je me rendormis. Une heure n’était pas Ă©coulĂ©e, qu’en me pinçant, il me dit — Est-ce que nous en restons lĂ  ? — FatiguĂ© d’ĂȘtre si souvent rĂ©veillĂ©, j’entrai dans un violent accĂšs de colĂšre, et, lui rendant la monnaie de sa piĂšce — Dormez, lui dis-je Ă  mon tour, ou j’éveille votre pĂšre. CHAPITRE LXXXVIII. RanimĂ© par ce rĂ©cit plaisant, je me mis Ă  interroger le vieillard, plus instruit que moi, sur l’ñge de chacun de ces tableaux et sur le sujet de quelques-uns dont je ne pouvais me rendre compte. Je lui demandai ensuite Ă  quelles causes il attribuait la dĂ©cadence des beaux-arts dans notre siĂšcle, et surtout de la peinture qui a disparu jusqu’à la derniĂšre trace. — L’amour des richesses, me rĂ©pondit-il, a produit ce triste changement. Chez nos ancĂȘtres, lorsque le mĂ©rite seul Ă©tait en honneur, on voyait fleurir les beaux-arts, et les hommes se disputaient Ă  l’envi la gloire de transmettre aux siĂšcles suivants toutes les dĂ©couvertes utiles. Alors on vit DĂ©mocrite, l’Hercule de la science, distiller le suc de toutes les plantes connues, et passer sa vie entiĂšre Ă  faire des expĂ©riences pour connaĂźtre Ă  fond les propriĂ©tĂ©s diverses des minĂ©raux et des vĂ©gĂ©taux. Eudoxe vieillit sur le sommet d’une haute montagne pour observer de plus prĂšs les mouvements du ciel et des astres ; et Chrysippe prit trois fois de l’ellĂ©bore[1] pour purifier son esprit et le rendre plus apte Ă  de nouvelles dĂ©couvertes. Mais, pour en revenir Ă  l’art plastique, Lysippe[2] mourut de faim, en se bornant Ă  perfectionner les contours d’une seule statue ; et Myron, qui fit, pour ainsi dire, passer dans le bronze l’ñme humaine et l’instinct des animaux, ne trouva personne qui voulĂ»t accepter son hĂ©ritage. Pour nous, plongĂ©s dans la dĂ©bauche et l’ivrognerie, nous n’osons pas mĂȘme nous Ă©lever Ă  la connaissance des arts inventĂ©s avant nous ; superbes dĂ©tracteurs de l’antiquitĂ©, nous ne professons que la science du vice dont nous offrons Ă  la fois l’exemple et le prĂ©cepte. Qu’est devenue la dialectique ? l’astronomie ? la morale, cette route certaine de la sagesse ? Qui voit-on aujourd’hui entrer dans un temple, et invoquer les dieux pour atteindre Ă  la perfection de l’éloquence, ou pour dĂ©couvrir les sources cachĂ©es de la philosophie ? On ne leur demande pas mĂȘme la santĂ©. Suivez cette foule qui monte au Capitole avant mĂȘme d’atteindre le seuil du temple, l’un promet une offrande, s’il a le bonheur d’enterrer un riche parent ; l’autre, s’il dĂ©couvre un trĂ©sor ; un troisiĂšme, s’il parvient, avant de mourir, Ă  entasser trente millions de sesterces. Que dis-je ? n’a-t-on pas vu souvent le sĂ©nat lui-mĂȘme, le sĂ©nat, l’arbitre de l’honneur et de la justice, vouer mille marcs d’or Ă  Jupiter ? et ne semble-t-il pas encourager la cupiditĂ©, lorsqu’il tĂąche ainsi, Ă  prix d’argent, de se rendre le ciel favorable ? Cessez donc de vous Ă©tonner de la dĂ©cadence de la peinture, puisque les dieux et les hommes trouvent plus de charmes dans la vue d’un lingot d’or que dans tous les chefs-d’Ɠuvre d’Apelles, de Phidias et de tous ces radoteurs de Grecs, comme ils les appellent. Mais je vois que ce tableau qui reprĂ©sente la prise de Troie absorbe toute votre attention je vais donc tĂącher de vous en donner l’explication dans le langage des Muses. CHAPITRE LXXXIX. Pergame, aprĂšs dix ans de siĂ©ge, de carnage, Bravait encor des Grecs le superbe courage. Ces Grecs si fiers, armĂ©s sur la foi de Calchas, Comptaient en frĂ©missant leurs stĂ©riles combats, Mais l’oracle a parlĂ© sous la hache abattues, L’Ida voit ses forĂȘts Ă  ses pieds descendues. De leurs dĂ©bris formĂ©, terrible, menaçant, Un cheval monstrueux s’élĂšve ; et dans son flanc Mille guerriers cachĂ©s contre dix ans d’offense MĂ©ditent sans honneur une lĂąche vengeance. D’Atride cependant la flotte a disparu. Ilion ! Ă  la paix tu crus ton sol rendu. Fatal aveuglement ! ces voiles fugitives, Un perfide Ă  dessein rejetĂ© sur tes rives, Ce coursier que des Grecs le repentir pieux, Pour les calmer, dit-il, offre enfin Ă  tes dieux Tout flattait ta pensĂ©e ; et l’heureuse Phrygie Ressaisit en espoir le sceptre de l’Asie. DĂ©jĂ  de ses remparts le peuple, Ă  flots pressĂ©s, S’élance ; humide encor des pleurs qu’il a versĂ©s, Son Ɠil sur chaque objet librement se promĂšne Il sourit, mais son cƓur se rassure avec peine ; Et dans ce camp dĂ©sert, si longtemps redoutĂ©, Un reste de frayeur se mĂȘle Ă  sa gaietĂ©. Laocoon paraĂźt. Pontife de Neptune, Vers ce cheval hideux dont l’aspect l’importune, Il marche, tourmentĂ© d’un noir pressentiment. Ses cheveux sur son sein descendent tristement, Et la cendre a souillĂ© sa barbe vĂ©nĂ©rable. Fuyez, fuyez ! dit-il d’une voix lamentable, Ce prĂ©sent vient des Grecs, c’est le don de la mort ! » À ces mots, de sa main, qu’anime un noble effort, Un trait part
 Mais quel dieu rend ce trait inutile ? Il tombe, et meurt au pied du colosse immobile Un vain peuple applaudit Ă  cet arrĂȘt des cieux. La hache cependant porte un coup plus heureux Le monstre est Ă©branlĂ© ; ses entrailles mugissent ; Sous leur abri douteux les Grecs tremblants pĂąlissent Le cri qu’en cet instant leur arrache la peur Redouble des Troyens la pieuse ferveur, Et, dans ses murs livrĂ©s, tout un peuple avec joie Introduit ces captifs qui vont conquĂ©rir Troie. La ruse a triomphĂ© ! mais un prodige affreux Vient alors de la foule Ă©pouvanter les yeux. Des bords oĂč TĂ©nĂ©dos s’élĂšve au sein de l’onde, Un bruit sourd est parti
 la mer s’émeut et gronde Le flot poursuit le flot qui murmure et s’enfuit Tel Neptune se plaint dans l’ombre de la nuit, Quand la rame, docile Ă  la main qui la guide, De ses coups redoublĂ©s fend la plaine liquide. Tout Ă  coup, dĂ©ployant leurs immenses anneaux, Deux serpents monstrueux s’avancent sur les eaux Sous leurs bonds convulsifs, en temps Ă©gaux pressĂ©e, L’onde Ă©cume, et jaillit jusqu’aux cieux Ă©lancĂ©e Leurs yeux, rouges de sang, lancent d’affreux Ă©clairs, Qui semblent de leurs feux incendier les mers, Leurs sifflements aigus font trembler le rivage. Tout tremble. Cependant, sur cette mĂȘme plage, Deux frĂšres, fruits jumeaux d’un hymen plein d’appas, Du pontife, leur pĂšre, avaient suivi les pas RevĂȘtus comme lui de la robe sacrĂ©e, Du bandeau phrygien leur tĂȘte Ă©tait parĂ©e. Mais les monstres dĂ©jĂ , sur leur proie Ă©lancĂ©s, D’inextricables nƓuds les tiennent enlacĂ©s. Les enfants vainement, de leurs mains impuissantes, Repoussent des serpents les tĂȘtes menaçantes ; Et tous deux, s’oubliant en ce combat cruel, Se prĂȘtent l’un Ă  l’autre un secours mutuel Ils succombent tous deux. Et toi, malheureux pĂšre ! Toi qui vois dĂ©chirer, par la dent meurtriĂšre, Le corps de ces enfants qui te doivent le jour, Pour les sauver, hĂ©las ! tu n’as que ton amour. Mais que peut ton courage et l’ardeur qui t’anime ? Le pontife, Ă  son tour, remplaçant la victime, Tombe, et, roulant aux pieds des autels profanĂ©s, Vers les murs d’Ilion, des dieux abandonnĂ©s, Il tourne en gĂ©missant sa mourante paupiĂšre. PhĂ©bĂ© venait d’atteindre au haut de sa carriĂšre, Et son char, dans les cieux, s’avançait escortĂ© Des astres moins brillants qu’éclipsait sa clartĂ©. Dans le sommeil profond que procure l’ivresse, Les Troyens oubliaient leurs dangers et la GrĂšce. InsensĂ©s ! ils rĂȘvaient un heureux lendemain. Mais du cheval fĂ©cond le flanc s’ouvre, et soudain, Libre de sa prison, une nombreuse Ă©lite Dans les murs de Priam court et se prĂ©cipite Tel, affranchi du mors, vole un coursier fougueux, L’Ɠil fier, et de ses crins battant ses flancs poudreux. DĂ©jĂ  le sang ruisselle, et le glaive homicide Moissonne les Troyens comme un troupeau timide Engourdis par le vin, ils passent sans effort De la mort du sommeil au sommeil de la mort ; Et, sur l’autel de Troie, une torche allumĂ©e Fournit les feux vengeurs dont Troie est consumĂ©e. CHAPITRE XC. A peine Eumolpe achevait son rĂ©cit, que ceux qui se promenaient sous les portiques firent pleuvoir sur lui une grĂȘle de pierres[1]. AccoutumĂ© Ă  de pareils suffrages, il se couvrit la tĂȘte, et s’enfuit hors du temple. Craignant qu’on ne me prĂźt aussi pour un poĂ«te, je le suivis de loin jusqu’au bord de la mer lĂ , dĂšs que je me vis hors de la portĂ©e des coups, je m’arrĂȘtai, et, apostrophant Eumolpe — D’oĂč vous vient, lui dis-je, cette manie ? il y a Ă  peine deux heures que nous sommes ensemble, et, au lieu de parler comme tout le monde, vous ne m’avez dĂ©bitĂ© que des vers. Je ne m’étonne plus si le peuple vous poursuit Ă  coups de pierres. Je vais faire aussi ma provision de cailloux, et, toutes les fois que cet accĂšs vous prendra, je vous tirerai du sang de la tĂȘte. — Il secoua les oreilles et rĂ©pondit — Jeune homme, ce n’est pas d’aujourd’hui seulement que l’on me traite de la sorte je ne parais jamais sur le théùtre, pour rĂ©citer quelques vers, sans recevoir un pareil accueil des spectateurs. Quoi qu’il en soit, pour n’avoir pas aussi maille Ă  partir avec vous, je consens Ă  me sevrer de ce plaisir tout le reste du jour. — Et moi, rĂ©pliquai-je, si vous tenez en bride votre PĂ©gase, je vous promets un bon souper[2]. — Puis je confiai Ă  la gardienne de mon chĂ©tif logis le soin de mon chĂ©tif repas, et je me rendis au bain avec Eumolpe. CHAPITRE XCI. En y entrant, j’aperçus Giton appuyĂ© contre la muraille et tenant dans ses mains des frottoirs et des racloirs d’étuviste[1]. À son air triste et abattu, on devinait sans peine que c’était contre son grĂ© qu’il servait Ascylte. Tandis que je le regardais attentivement pour m’assurer que c’était bien lui, il m’aperçut, et, tournant vers moi son visage oĂč brillait la joie la plus vive — GrĂące, mon frĂšre ! s’écria-t-il ; ayez pitiĂ© de moi ! Ici, je ne vois plus briller les armes, et je puis vous faire connaĂźtre mes vrais sentiments. DĂ©livrez-moi de la tyrannie d’un brigand sanguinaire, et, pour me punir de l’arrĂȘt que j’ai prononcĂ© contre vous, infligez-moi le plus sĂ©vĂšre chĂątiment ; mais n’est-ce pas dĂ©jĂ , pour le malheureux Giton, un supplice assez cruel que d’avoir perdu votre affection ? — Je lui ordonne de cesser ses plaintes, de peur d’attirer l’attention des curieux ; puis, laissant Eumolpe dans le bain oĂč il dĂ©clamait dĂ©jĂ  un de ses poĂ«mes, j’entraĂźne Giton hors de ces lieux par une obscure et fĂ©tide issue ; et nous fuyons Ă  toutes jambes vers mon auberge. LĂ , fermant la porte sur nous, je me prĂ©cipite dans ses bras, et, par d’ardents baisers, je sĂšche les pleurs dont ses joues sont inondĂ©es. Nous restĂąmes longtemps sans pouvoir profĂ©rer une seule parole car cet aimable enfant se brisait la poitrine Ă  force de sanglots. — Quelle honte pour moi, lui disais-je, de t’aimer encore aprĂšs ton lĂąche abandon ! je cherche en vain dans mon cƓur la profonde blessure que tu y as faite, et je n’en trouve plus mĂȘme la cicatrice. Comment te justifier de m’avoir ainsi quittĂ© pour voler Ă  de nouvelles amours ? avais-je mĂ©ritĂ© un tel affront ? — Giton, voyant que je l’aimais encore, prit une contenance plus hardie. — Cependant, poursuivis-je, je n’ai point cherchĂ© d’autre arbitre que toi pour juger qui, d’Ascylte ou de moi, mĂ©ritait le mieux ton amour ; mais je supprime de justes plaintes, j’oublie tout, pourvu que ton repentir soit sincĂšre. — En prononçant ces mots, je gĂ©missais et je versais un torrent de larmes. Giton, m’essuyant le visage avec son manteau, me dit — Soyez juste, mon cher Encolpe ; j’en appelle Ă  votre mĂ©moire. Est-ce moi qui vous ai abandonnĂ© ? et ne vous ĂȘtes-vous pas trahi vous-mĂȘme ? je l’avouerai franchement et sans dĂ©tour, quand je vous vis tous deux les armes Ă  la main, je me rangeai du cĂŽtĂ© du plus fort. — À ces mots, je me jetai Ă  son cou, et je baisai la bouche d’oĂč Ă©tait sortie une rĂ©ponse si sensĂ©e ; puis, pour mieux le convaincre que je lui pardonnais le passĂ©, et que mon amour pour lui Ă©tait aussi vif et aussi sincĂšre que jamais, je lui prodiguai les plus tendres caresses. CHAPITRE XCII. Il Ă©tait nuit close, et la femme avait ponctuellement exĂ©cutĂ© mes ordres pour le souper, lorsque Eumolpe vint frapper Ă  ma porte. — Combien ĂȘtes-vous ? lui demandai-je. — Et, avant d’ouvrir, je regardai par le trou de la serrure si Ascylte n’était pas avec lui. Quand je vis qu’il Ă©tait seul, je lui ouvris sur-le-champ. DĂšs qu’il fut entrĂ©, il se jeta sur un lit de repos, et, apercevant Giton qui dressait la table, il me fit un signe de tĂȘte, et me dit — Je vous fais mon compliment de votre GanymĂšde il faut nous divertir ce soir. — Un dĂ©but si gaillard ne me plut nullement, et je craignis d’avoir reçu chez moi un second Ascylte. Eumolpe n’en resta pas lĂ  ; car Giton lui ayant prĂ©sentĂ© Ă  boire — Je t’aime plus, lui dit-il, que tous les mignons que j’ai vus au bain. — Puis, vidant la coupe d’un seul trait — Je n’ai jamais Ă©tĂ© si altĂ©rĂ©, poursuivit-il ; car, en me baignant, j’ai failli ĂȘtre assommĂ©, parce que, pour distraire ceux qui Ă©taient assis autour du bassin, j’ai essayĂ© de leur dĂ©clamer un de mes poĂ«mes. ChassĂ© du bain, comme je l’ai si souvent Ă©tĂ© du théùtre, je vous cherchais dans tous les coins, et je criais Ă  tue-tĂȘte Encolpe ! Encolpe ! quand du cĂŽtĂ© opposĂ©, un jeune homme tout nu et qui avait perdu ses habits se mit Ă  crier aussi fort que moi, et d’une voix qu’animait la colĂšre Giton ! Giton ! Il y avait cependant cette diffĂ©rence entre nous, que les valets du bain se moquaient de moi comme d’un fou, et me contrefaisaient insolemment, tandis que la foule nombreuse qui l’entourait lui prodiguait les applaudissements et les tĂ©moignages d’une respectueuse admiration. Il faut vous dire que la nature l’a si richement dotĂ© des attributs de la virilitĂ©, qu’à la grandeur de ses proportions on le prendrait pour Priape lui-mĂȘme[1]. O le vigoureux champion ! je crois qu’il pourrait soutenir une lutte amoureuse deux jours entiers sans discontinuer. Aussi ne fut-il pas longtemps dans l’embarras ; car je ne sais quel chevalier romain, connu, m’a-t-on dit, pour un infĂąme dĂ©bauchĂ©, le voyant courir ainsi tout nu, le couvrit de son manteau et l’emmena chez lui, sans doute pour s’assurer le monopole de cette bonne fortune. Mais moi, je n’aurais pas mĂȘme pu retirer mes habits du vestiaire[2], si je n’eusse produit un tĂ©moin qui affirma qu’ils m’appartenaient. Tant il est vrai qu’on fait plus de cas des dons du corps que de ceux de l’esprit[3] ! — A chaque mot que disait Eumolpe, je changeais de couleur car si l’accident arrivĂ© Ă  mon ennemi m’avait rĂ©joui d’abord, j’étais dĂ©solĂ© de le voir ainsi tourner Ă  son avantage. Toutefois, comme si j’eusse Ă©tĂ© complĂštement Ă©tranger Ă  cette aventure, je gardai le silence sur mes relations avec Ascylte, et je dĂ©taillai Ă  Eumolpe le menu de notre souper, A peine avais-je cessĂ© de parler, qu’on nous servit. Ce n’était que des mets assez communs, mais substantiels et nutritifs notre poĂ«te famĂ©lique les dĂ©vora avec une effrayante aviditĂ©. Lorsqu’il fut enfin rassasiĂ©, il se prit Ă  moraliser, et se rĂ©pandit en invectives contre ces hommes qui dĂ©daignent tout ce qui est d’un usage commun et vulgaire, et n’estiment que ce qui est rare. CHAPITRE XCIII. Par une dĂ©pravation vraiment dĂ©plorable, dit-il, on mĂ©prise les jouissances faciles, et on se passionne avec entĂȘtement pour celles qui nous semblent interdites Je ne veux point d’une facile gloire L’obstacle ajoute un lustre Ă  la victoire. Aux bords du Phase habite le faisan VoilĂ  son prix. La poule numidique A vu le jour dans les sables d’Afrique Pour un gourmet, c’est un morceau friand. Pauvre canard, ta chair est fine et molle ; FidĂšle oison, des fureurs du Gaulois Ton cri jadis sauva le Capitole ; Mais humblement vous croissez sous nos toits Vous n’ĂȘtes bons qu’à nourrir des bourgeois. Du bout du monde, oĂč le sort l’a fait naĂźtre[1], La sargue accourt ; on l’achĂšte Ă  grands frais ; Et le barbeau, de la table du maĂźtre, Ne fait qu’un saut Ă  celle des valets. La raretĂ© fait le prix de la chose Le cinnamome, enfant d’un sol lointain, Fait oublier les parfums d’une rose[3] ; Et pour l’amour on nĂ©glige l’hymen[2]. — Est-ce ainsi, dis-je Ă  Eumolpe, que vous tenez votre promesse de faire, pour aujourd’hui, trĂȘve Ă  la poĂ©sie ? De grĂące, Ă©pargnez nos oreilles, Ă  nous qui ne vous avons jamais lapidĂ©. Car, si quelqu’un de ceux qui boivent prĂšs de nous, dans cette auberge venait Ă  flairer un poĂ«te, il mettrait tout le voisinage en rumeur ; et, nous prenant pour vos complices en Apollon, on nous assommerait tous trois en mĂȘme temps. Cessez, par pitiĂ©, et rappelez-vous ce qui vient de vous arriver aux bains et sous le portique. — Giton, dont le caractĂšre Ă©tait naturellement doux et compatissant, me gronda de parler de la sorte. — Ce n’est pas bien, me dit-il, d’injurier un homme plus ĂągĂ© que vous. Outrager ainsi celui que vous avez invitĂ© Ă  votre table, c’est manquer aux lois de l’hospitalitĂ©, c’est perdre tout le fruit de votre politesse. À cette remontrance il ajouta des discours pleins de modĂ©ration et de dĂ©cence, qui avaient une grĂące toute particuliĂšre dans la bouche de ce bel enfant. CHAPITRE XCIV. Trois fois heureuse, dit Eumolpe, la mĂšre qui t’a mis au monde ! Courage, mon garçon ! persĂ©vĂšre dans ces bons sentiments ; offre toujours le rare assemblage de la sagesse et de la beautĂ©[1]. Ce n’est pas en vain que tu as pris ma dĂ©fense tu as gagnĂ© mon cƓur ; je t’aime ; et je veux dĂ©sormais consacrer ma muse Ă  chanter tes louanges. Je veux ĂȘtre ton prĂ©cepteur, ton gardien ; je te suivrai partout, bon grĂ©, mal grĂ© Encolpe n’en peut prendre ombrage, car je sais qu’il aime ailleurs. — Fort heureusement pour notre poĂ«te, je n’avais plus l’épĂ©e que le soldat m’avait enlevĂ©e bien lui en prit ; car tout le courroux qu’Ascylte avait allumĂ© dans mon Ăąme, je l’aurais Ă©teint dans le sang d’Eumolpe. Giton s’en aperçut, et, sous le prĂ©texte d’aller chercher de l’eau, il quitta la chambre. Son dĂ©part opportun apaisa mon ressentiment ; et, devenu plus calme — J’aime encore mieux, dis-je Ă  Eumolpe, vos vers que votre prose, quand vous exprimez de semblables dĂ©sirs. Vous ĂȘtes libertin ; moi, je suis violent ; certes, nos caractĂšres ne pourront jamais sympathiser. Je vous parais, sans doute, un insensĂ©, un furieux ; eh bien, soit ; Ă©vitez les accĂšs de ma folie, ou, pour parler clairement, dĂ©campez au plus vite. — Étourdi de cette apostrophe, Eumolpe, sans m’en demander l’explication, sort sur-le-champ, tire la porte sur lui, la ferme Ă  double tour, met la clef dans sa poche, et court Ă  la recherche de Giton. J’étais loin de m’attendre Ă  une pareille ruse, et, me voyant ainsi renfermĂ©, dans mon dĂ©sespoir je rĂ©solus de me pendre. En consĂ©quence, je dressai le bois du lit contre la muraille, et j’y attachai ma ceinture[2]. DĂ©jĂ  je passais mon cou dans le nƓud fatal ; c’en Ă©tait fait de moi
 lorsque Eumolpe, accompagnĂ© de Giton, ouvre brusquement la porte et me rend Ă  la vie. Giton, surtout, passant, Ă  cette vue, de la douleur Ă  la rage, pousse un grand cri, me prend dans ses deux bras, et, me jetant Ă  la renverse sur le lit — Vous vous trompez, Encolpe, me dit-il, si vous pensez qu’il vous soit possible de mourir avant moi. Je vous avais prĂ©venu dans ce dessein quand j’étais chez Ascylte, j’ai vainement cherchĂ© une Ă©pĂ©e ; mais j’avais rĂ©solu, si je ne parvenais pas Ă  vous rejoindre, de trouver la mort au fond d’un prĂ©cipice et, pour vous prouver que la mort ne se fait jamais attendre au malheureux qui la cherche, jouissez, Ă  votre tour, du spectacle que vous me destiniez tout Ă  l’heure. — A ces mots, il arrache un rasoir des mains du valet d’Eumolpe[3], en passe deux fois le tranchant sur sa gorge, et tombe Ă  nos pieds. Saisi d’épouvante, je jette de grands cris, et je me prĂ©cipite sur le corps de Giton armĂ© du mĂȘme rasoir, je veux moi-mĂȘme mourir avec lui. Mais l’espiĂšgle ne s’était pas fait la moindre Ă©gratignure, et, comme lui, je ne sentais aucune douleur. C’était, en effet, un de ces rasoirs Ă©moussĂ©s que l’on donne aux apprentis barbiers pour corriger leur maladresse, et pour leur faire la main. Aussi le valet, en voyant Giton le prendre dans sa trousse, n’avait pas tĂ©moignĂ© le plus lĂ©ger effroi, et Eumolpe avait considĂ©rĂ© de sang-froid cette tragĂ©die pour rire. CHAPITRE XCV. Au dĂ©noĂ»ment de cette farce, oĂč Giton et moi nous jouions les rĂŽles d’amoureux, survint le maĂźtre de l’auberge qui nous apportait le second service ; nous voyant ainsi Ă©tendus par terre dans le plus grand dĂ©sordre — Qui ĂȘtes-vous ? s’écria-t-il ; des ivrognes ou des vagabonds ?
 peut-ĂȘtre l’un et l’autre ? Qui de vous a dressĂ© ce lit contre le mur ? quel secret dessein avez-vous machinĂ© ? Je crois, ma foi, que vous vouliez dĂ©loger cette nuit sans payer le loyer de votre chambre ; il n’en sera rien. Je vous ferai voir que cette maison isolĂ©e n’appartient pas Ă  quelque pauvre veuve sans appui[1], mais Ă  Marcus Manicius. — Tu oses nous menacer ! s’écrie Eumolpe. — Et en mĂȘme temps il dĂ©tache Ă  l’aubergiste un vigoureux soufflet ; mais celui-ci, Ă©chauffĂ© par les nombreuses libations qu’il avait faites avec ses hĂŽtes, lance Ă  la tĂȘte d’Eumolpe une cruche de terre qui lui meurtrit le front[3], puis s’enfuit Ă  toutes jambes. Notre poĂ«te, furieux d’un tel outrage, se saisit d’un grand chandelier de bois, poursuit le fuyard, et, l’en frappant Ă  tour de bras, lui rend avec usure le coup qu’il a reçu au front. Les valets de l’auberge et un grand nombre d’ivrognes accourent Ă  ce bruit. Quant Ă  moi, profitant de cette occasion pour me venger d’Eumolpe et rendre la pareille Ă  ce brutal, je ferme la porte sur lui, bien rĂ©solu Ă  jouir sans concurrent de ma chambre et des plaisirs que la nuit me promet. Cependant les marmitons et tous les habitants[2] de l’auberge tombent sur le pauvre diable dont j’ai coupĂ© la retraite l’un, armĂ© d’une broche chargĂ©e de rĂŽtis frĂ©missants au feu, menace de lui crever les yeux ; un autre, saisissant un croc Ă  suspendre les viandes, se place dans une attitude belliqueuse. Je remarquai surtout une servante vieille et chassieuse, qui, ceinte d’un torchon horriblement sale, et chaussĂ©e de sabots dĂ©pareillĂ©s[4], traĂźnait par la chaĂźne un Ă©norme dogue, et l’agaçait contre Eumolpe ; mais notre hĂ©ros parait adroitement avec son chandelier tous les coups qu’on lui portait. CHAPITRE XCVI. Nous regardions toute cette bagarre Ă  travers une fente qu’Eumolpe, un instant auparavant, avait faite Ă  la porte, dont il avait brisĂ© le marteau. J’applaudissais aux coups qu’il recevait ; mais Giton, toujours compatissant, Ă©tait d’avis qu’il fallait lui ouvrir et le secourir dans ce pressant danger. Mon ressentiment n’était pas encore apaisĂ©, et, pour punir Giton de sa pitiĂ© hors de saison, je ne pus m’empĂȘcher de lui donner sur la tĂȘte une chiquenaude bien appliquĂ©e[1]. Le pauvre enfant, fondant en larmes, alla se jeter sur le lit. Pour moi, je mettais, tantĂŽt un Ɠil, tantĂŽt l’autre, au trou de la porte, et je jouissais de voir Eumolpe ainsi maltraitĂ© ; c’était un aliment dont se repaissait ma colĂšre ; quand tout Ă  coup survint Bargate[2], le procurateur du quartier. Il avait quittĂ© son souper pour venir mettre le holĂ , et se faisait porter dans sa litiĂšre sur le champ de bataille, parce qu’il Ă©tait perclus de ses deux jambes. Il dĂ©clama longtemps d’une voix terrible et courroucĂ©e contre les ivrognes et les vagabonds ; puis, reconnaissant Eumolpe — Quoi ! c’est vous, lui dit-il, vous, la fleur de nos poĂ«tes ! et ces pendards de valets ne s’enfuient pas au plus vite ! et ils osent lever la main sur vous ! — Puis, s’approchant d’Eumolpe, il lui dit tout bas Ă  l’oreille — Ma femme prend avec moi des airs dĂ©daigneux ; veuillez, pour l’amour de moi, faire une satire contre elle, afin qu’elle rougisse de sa conduite. CHAPITRE XCVII. Pendant que Bargate Ă©tait en conversation secrĂšte avec Eumolpe, entra dans l’auberge un crieur public, suivi d’un valet de ville et d’une grande foule de curieux secouant un flambeau qui rĂ©pandait plus de fumĂ©e que de lumiĂšre, il lut Ă  haute voix cette proclamation Un jeune homme d’environ seize ans, nommĂ© Giton, aux cheveux frisĂ©s[1], d’une complexion dĂ©licate et d’un extĂ©rieur agrĂ©able, vient de s’égarer au bain public mille Ă©cus de rĂ©compense Ă  quiconque le ramĂšnera ou pourra indiquer le lieu de sa retraite. PrĂšs du crieur se tenait Ascylte, vĂȘtu d’une robe bigarrĂ©e de diverses couleurs[2], et portant dans un plat d’argent la rĂ©compense promise. Sans perdre un instant, j’ordonnai Ă  Giton de se fourrer sous le lit, et, comme autrefois Ulysse s’était cachĂ© sous le ventre d’un bĂ©lier, d’entrelacer ses pieds et ses mains dans les sangles qui soutenaient le matelas[3], pour Ă©chapper aux perquisitions de ceux qui le cherchaient. Giton s’empressa de m’obĂ©ir, et se suspendit si bien aux sangles du lit, qu’Ulysse se serait avouĂ© vaincu par notre ruse. De mon cĂŽtĂ©, pour Ă©loigner tout soupçon, j’étendis mes vĂȘtements sur le lit, et, m’y couchant, j’y imprimai la forme d’un homme de ma taille. Cependant Ascylte, aprĂšs avoir visitĂ© toutes les chambres avec le valet du crieur, s’arrĂȘta devant la mienne voyant que la porte Ă©tait soigneusement fermĂ©e, il en conçut d’autant plus d’espoir. Mais le valet, introduisant sa hache entre la porte et son chambranle, en fit sauter les ferrures. Alors, me jetant aux pieds d’Ascylte, je le conjurai, au nom de notre ancienne amitiĂ© et des mauvais jours que nous avions supportĂ©s ensemble, de me laisser voir pour la derniĂšre fois le frĂšre que je regrettais. Et, pour donner plus de vraisemblance Ă  mes priĂšres hypocrites — Je sais, lui dis-je, Ascylte, que vous ĂȘtes venu dans l’intention de m’îter la vie ne le vois-je pas Ă  ces haches qui vous accompagnent ? Assouvissez donc vĂŽtre haine voilĂ  ma tĂȘte ; versez mon sang dont vous ĂȘtes altĂ©rĂ©, car vos recherches ne sont qu’un vain prĂ©texte. — Ascylte, indignĂ© d’un pareil soupçon, jura qu’il n’avait d’autre but que de rattraper son fugitif ; qu’il ne demandait la mort de personne, encore moins celle d’un suppliant dans lequel il ne pouvait, mĂȘme aprĂšs un fĂącheux dĂ©mĂȘlĂ©, mĂ©connaĂźtre le plus cher de ses amis. CHAPITRE XCVIII. Cependant le valet de ville se montrait plus actif armĂ© d’une canne qu’il avait arrachĂ©e au cabaretier, il sondait le dessous du lit, et fouillait tous les coins et recoins de la chambre. Mais Giton Ă©vitait adroitement tous les coups, et retenait sa respiration, malgrĂ© les punaises qui lui couraient sur le visage. DĂšs qu’ils furent partis, Eumolpe, profitant de ce que la fracture de la porte ouvrait un libre accĂšs Ă  tout le monde, se prĂ©cipita dans la chambre ; et, transportĂ© de joie, s’écria — J’ai gagnĂ© mille Ă©cus ! Je vais courir aprĂšs le crieur qui s’en va, et, pour vous punir du tour que vous m’avez jouĂ©, je lui dĂ©clarerai que Giton est entre vos mains. — Voyant qu’il persistait dans sa rĂ©solution, j’embrasse ses genoux, et je le conjure de ne pas donner le dernier coup Ă  des malheureux dĂ©jĂ  plus qu’à demi morts. — Vous auriez raison de vous venger, ajoutai-je, s’il Ă©tait en votre pouvoir de trouver celui que vous voulez livrer ; mais le pauvre enfant vient de s’échapper dans la foule, et je ne sais oĂč il est allĂ©. Au nom des dieux ! Eumolpe, tĂąchez de le retrouver, dussiez-vous mĂȘme le rendre Ă  Ascylte. — Il commençait Ă  ajouter foi Ă  cette histoire, lorsque Giton, ne pouvant plus longtemps retenir son haleine, Ă©ternua trois fois de suite avec tant de force, que le lit en trembla. — Les dieux vous bĂ©nissent[1] ! — dit Eumolpe, se tournant du cĂŽtĂ© d’oĂč venait ce bruit ; et, soulevant le matelas, il aperçut notre Ulysse, qu’un Cyclope mĂȘme Ă  jeun eĂ»t Ă©pargnĂ©. À cette vue, il m’apostropha de la sorte — ScĂ©lĂ©rat ! pris sur le fait, tu as encore l’effronterie de nier la vĂ©ritĂ© ! Que dis-je ? si la divinitĂ©, qui ne souffre pas que le crime reste impuni, n’eĂ»t forcĂ© cet enfant Ă  me dĂ©couvrir sa retraite, dupe de tes artifices, je serais maintenant Ă  courir tous les cabarets pour l’y chercher. — Mais Giton, qui s’entendait bien mieux que moi Ă  cajoler son monde, commença par panser avec des toiles d’araignĂ©e trempĂ©es dans de l’huile la blessure qu’Eumolpe avait reçue au front ; ensuite, Ă  la robe dĂ©chirĂ©e du poĂ«te il substitua son petit manteau ; puis, voyant qu’il commençait Ă  se calmer, pour dernier lĂ©nitif il le prit dans ses bras et le couvrit de baisers — O mon pĂšre ! mon tendre pĂšre ! s’écria-t-il, notre sort est entre vos mains. Si vous aimez un peu votre petit Giton, commencez par le sauver. PlĂ»t au ciel, hĂ©las ! que je fusse dĂ©vorĂ© par les flammes ; plĂ»t au ciel que la mer orageuse m’engloutĂźt ! moi qui suis l’unique sujet, la seule cause de ces criminels dĂ©bats ; du moins, ma mort rapprocherait deux amis que j’ai brouillĂ©s. — Eumolpe, touchĂ© de mes maux et de ceux de Giton, attendri surtout par les caresses que lui avait prodiguĂ©es cet aimable enfant — Fous que vous ĂȘtes, nous dit-il, avec le mĂ©rite que vous avez, vous pourriez vivre heureux, et cependant vous passez votre misĂ©rable existence dans des inquiĂ©tudes continuelles chaque jour vous vous crĂ©ez Ă  vous-mĂȘmes de nouveaux chagrins. CHAPITRE XCIX. Pour moi, toujours et partout, j’ai vĂ©cu comme si chaque jour dont je jouissais Ă©tait le dernier de mes jours et ne devait jamais revenir, c’est-Ă -dire sans m’inquiĂ©ter du lendemain[1]. Suivez donc mon exemple, et narguez les soucis. Ascylte vous poursuit ici ; fuyez au plus tĂŽt. Je suis sur le point de faire un voyage dans un pays lointain ; venez avec moi le vaisseau sur lequel je dois m’embarquer mettra peut-ĂȘtre Ă  la voile cette nuit je suis connu des gens de l’équipage, et nous serons bien reçus. Ce conseil me parut sage et utile ; il me dĂ©livrait des persĂ©cutions d’Ascylte, et me promettait une existence plus heureuse. Vaincu par la gĂ©nĂ©rositĂ© d’Eumolpe, je me repentais amĂšrement des mauvais procĂ©dĂ©s que je venais d’avoir Ă  son Ă©gard, et je me reprochais la jalousie qui en avait Ă©tĂ© la cause. Je le conjurai donc, les larmes aux yeux, de me pardonner — Il n’est pas, lui dis-je, au pouvoir d’un homme qui aime de rĂ©primer ses transports jaloux ; mais je ferai en sorte de ne rien dire et de ne rien faire Ă  l’avenir qui puisse vous dĂ©plaire. Vous devez donc, en vĂ©ritable philosophe, bannir de votre esprit le souvenir des diffĂ©rends qui se sont Ă©levĂ©s entre nous, de maniĂšre qu’il n’en reste aucune trace. Les neiges sĂ©journent longtemps sur un sol inculte et raboteux ; mais, sur une terre unie et dompĂ©e par la charrue, elles se fondent aussitĂŽt, comme une gelĂ©e blanche. Il en est de mĂȘme de la colĂšre elle prend racine dans un esprit grossier, mais elle effleure Ă  peine une Ăąme Ă©clairĂ©e. — Pour confirmer, rĂ©pondit Eumolpe, la vĂ©ritĂ© de ce que vous dites, tenez, je vous donne le baiser de paix. Maintenant, pour que tout aille Ă  bien, faites au plus vite vos paquets, et suivez-moi ; ou, si vous le prĂ©fĂ©rez, soyez mes guides. — Il parlait encore, quand on heurta rudement Ă  la porte, qui, en s’ouvrant, offrit Ă  nos regards un marin Ă  la barbe touffue. — Qui vous arrĂȘte ? dit-il Ă  Eumolpe ; ne savez-vous pas qu’il faut se hĂąter[2] ? — Nous nous levons aussitĂŽt, et Eumolpe, rĂ©veillant son valet qui dormait depuis longtemps, lui ordonne de partir avec notre bagage. Moi et Giton, nous faisons un paquet de tout ce qui nous reste de vivres ; et, aprĂšs une fervente priĂšre aux astres[3] protecteurs de la navigation, nous montons Ă  bord[4]. CHAPITRE C. Nous nous plaçùmes dans un endroit Ă©cartĂ©[1], prĂšs de la poupe ; et, comme il ne faisait pas encore jour, Eumolpe s’endormit. Quant Ă  Giton et Ă  moi, il nous fut impossible de fermer l’Ɠil. Je rĂ©flĂ©chissais tristement Ă  l’imprudence que j’avais faite en recevant dans ma sociĂ©tĂ© Eumolpe, rival plus dangereux encore qu’Ascylte sa prĂ©sence m’inspirait les plus vives inquiĂ©tudes. Enfin, pour triompher de mon chagrin, j’appelai la raison Ă  mon secours. — Il est fĂącheux, disais-je en moi-mĂȘme, que cet enfant plaise Ă  Eumolpe. Mais, aprĂšs tout, la nature n’a-t-elle pas mis en commun, pour l’usage de tous, ses plus belles crĂ©ations ? Le soleil luit pour tout le monde. La lune, accompagnĂ©e d’un cortĂšge innombrable d’étoiles, ne refuse pas mĂȘme sa lumiĂšre aux bĂȘtes sauvages qui cherchent leur pĂąture pendant la nuit. Qu’y a-t-il de plus beau que les eaux ? cependant elles coulent pour tous les habitants de la terre. Pourquoi donc l’amour seul serait-il le prix d’un larcin, plutĂŽt que la rĂ©compense du mĂ©rite ? et, toutefois, nous n’estimons que les biens dont les autres nous envient la possession. Mais, aprĂšs tout, je n’ai plus qu’un rival, et encore si vieux, que, s’il voulait prendre quelques libertĂ©s avec Giton, il perdrait sa peine et ses soins, faute d’haleine — RassurĂ©e par le peu de vraisemblance d’une pareille tentative, mon humeur jalouse se calma, et, me couvrant la tĂȘte de mon manteau, je feignis de dormir. Mais, au mĂȘme instant, comme si la Fortune eĂ»t pris Ă  tĂąche d’abattre ma constance, j’entendis, sur le tillac, ces paroles articulĂ©es d’un ton gĂ©missant — C’est donc ainsi qu’il s’est jouĂ© de ma crĂ©dulitĂ© ? — Les sons mĂąles de cette voix, qui ne m’était pas tout Ă  fait inconnue, me frappĂšrent d’épouvante. Mais que devins-je, lorsqu’une femme, qui paraissait Ă©galement irritĂ©e, s’écria d’un ton encore plus animĂ© — Si quelque divinitĂ© faisait tomber Giton entre mes mains, comme je recevrais ce fugitif ! — Cette rencontre imprĂ©vue nous glaça Ă  tous deux le sang dans les veines. Moi, surtout, comme Ă©touffĂ© par un horrible cauchemar, je fus longtemps sans pouvoir profĂ©rer une seule parole. Enfin, d’une main tremblante, tirant Eumolpe, dĂ©jĂ  endormi, par le pan de sa robe — Mon pĂšre, lui dis-je, au nom du ciel ! Ă  qui appartient ce navire ? ne pourriez-vous m’apprendre quels passagers y sont embarquĂ©s ? — TroublĂ© dans son sommeil, il me rĂ©pondit avec humeur — Était-ce donc pour nous empĂȘcher de dormir qu’il vous a plu de choisir l’endroit le plus Ă©cartĂ© du tillac ? En serez-vous plus avancĂ© quand je vous aurai dit que ce vaisseau appartient Ă  Lycas de Tarente[2], qui ramĂšne dans cette ville une voyageuse nommĂ©e TryphĂšne ? CHAPITRE CI. Ces paroles furent pour moi un coup de foudre. Je frissonnai de tous mes membres, et, prĂ©sentant ma gorge Ă  dĂ©couvert — Fortune, m’écriai-je, tu l’emportes ! je suis perdu sans ressource. — Giton, renversĂ© sur mon sein, y resta longtemps sans connaissance. Enfin, lorsqu’une abondante sueur nous eut rendu l’usage de nos sens, embrassant les genoux d’Eumolpe — Ayez pitiĂ©, lui dis-je, de deux mourants. Au nom de cet enfant, nos communes amours, dĂ©livrez-nous de la vie[1] la mort est devant nous, et, si vous n’y mettez obstacle, nous la recevrons comme un bienfait du ciel. — Étourdi de cette violente apostrophe, Eumolpe jure ses grands dieux qu’il ignore de quel Ă©vĂ©nement nous sommes menacĂ©s, qu’il n’a eu aucun mauvais dessein, qu’il ne nous a tendu aucun piĂšge, mais que c’est de bonne foi et le plus innocemment du monde qu’il nous a conduits sur ce navire, oĂč son passage Ă©tait arrĂȘtĂ© depuis longtemps. — Quelles sont donc, dit-il, les embĂ»ches que vous redoutez ici ? quel nouvel Annibal se trouve Ă  bord parmi nous ? Lycas de Tarente, Ă  la fois le pilote et le propriĂ©taire de ce vaisseau, est un fort honnĂȘte homme qui possĂšde, en outre, plusieurs domaines il a embarquĂ© une troupe d’esclaves qu’il transporte Ă  Tarente pour y ĂȘtre vendus[2]. VoilĂ  le cyclope, le pirate auquel nous devons notre passage. Il y a aussi sur ce vaisseau TryphĂšne, la plus belle des femmes, qui aime Ă  voyager de cĂŽtĂ© et d’autre pour son plaisir[3]. — Ce sont justement, reprit Giton, les ennemis que nous fuyons ! — Et, sur-le-champ, il raconta succinctement Ă  Eumolpe, muet de surprise, les motifs de haine que ces gens avaient contre nous, et les pĂ©rils dont nous Ă©tions menacĂ©s. Interdit, et ne sachant quel parti prendre — Que chacun, dit le poĂ«te, expose son avis. Figurez-vous que nous sommes dans l’antre de PolyphĂšme ; il nous faut chercher quelque moyen d’en sortir, Ă  moins que nous ne prĂ©fĂ©rions nous jeter Ă  la mer, ce qui nous dĂ©livrerait Ă  l’instant de tout danger. — Il vaudrait mieux, reprit Giton, tĂącher d’obtenir du pilote, moyennant salaire, bien entendu, qu’il nous dĂ©barquĂąt au port le plus voisin. Vous affirmerez que votre frĂšre, tourmentĂ© du mal de mer, est Ă  toute extrĂ©mitĂ©. Pour donner a ce mensonge un air de vĂ©ritĂ©, vous vous prĂ©senterez au pilote les larmes aux yeux et le visage renversĂ©, afin qu’ému de compassion il se rende Ă  votre priĂšre. — Cela n’est pas possible, rĂ©pondit Eumolpe ; un grand vaisseau comme le nĂŽtre n’entre que bien difficilement dans un port ; et, d’ailleurs, il ne serait pas vraisemblable que votre frĂšre eĂ»t pu perdre la santĂ© en si peu de temps. Ajoutez Ă  cela que Lycas, par humanitĂ©, voudra peut-ĂȘtre visiter le moribond. Voyez maintenant s’il est de votre intĂ©rĂȘt d’attirer auprĂšs de vous ce mĂȘme capitaine que vous fuyez. Mais supposons qu’il soit facile de dĂ©tourner le vaisseau de sa destination lointaine ; supposons mĂȘme que Lycas ne fera pas la visite et l’inspection de ses malades comment parviendrons-nous Ă  descendre du vaisseau sans ĂȘtre vus de tout le monde ? Sortirons-nous la tĂȘte couverte, ou nue[4] ? Si nous nous couvrons la tĂȘte, tout le monde voudra prĂ©senter la main Ă  de pauvres malades ; si nous allons tĂȘte nue, ce sera nous jeter dans la gueule du loup. CHAPITRE CII. TrĂȘve, m’écriai-je, Ă  ces timides conseils ! n’ayons recours qu’à l’audace ; laissons-nous couler dans la chaloupe le long du cĂąble ; coupons-le, et abandonnons le reste au hasard. Cependant, cher Eumolpe, mon intention n’est pas de vous associer Ă  nos pĂ©rils il n’est pas juste que l’innocent s’expose pour le coupable. Tous mes vƓux seront comblĂ©s, si la Fortune seconde notre fuite. — Excellent avis ! dit Eumolpe, s’il Ă©tait praticable. EspĂ©rez-vous donc que personne ne s’apercevra de votre dĂ©part ? Échapperez-vous aux regards du pilote, qui, toujours Ă©veillĂ©, passe la nuit Ă  observer le cours des astres ? Et quand bien mĂȘme il viendrait Ă  s’endormir, vous ne pourriez vous flatter de tromper sa vigilance qu’en vous Ă©chappant par le cĂŽtĂ© du vaisseau opposĂ© Ă  celui oĂč il se tient ; mais c’est Ă  la poupe, auprĂšs du gouvernail, qu’est attachĂ© le cĂąble qui retient la chaloupe, et c’est par lĂ  qu’il vous faut descendre. Je m’étonne d’ailleurs, Encolpe, que vous n’ayez pas songĂ© au matelot qui est de garde jour et nuit dans cette chaloupe, et que vous n’en pourrez chasser qu’en le tuant ou en le jetant Ă  la mer de vive force. Vous sentez-vous capable d’un coup si hardi ? Consultez votre courage. Quant Ă  moi, je suis prĂȘt Ă  vous suivre, et aucun danger ne m’arrĂȘtera, pourvu qu’il y ait quelque chance de salut ; car je ne vous crois pas assez fou pour exposer votre vie de gaietĂ© de cƓur et sans aucun espoir de succĂšs. Voyez si vous prĂ©fĂ©rez l’expĂ©dient que voici je vous mettrai avec mes habits dans deux valises, qui seront censĂ©es faire partie de mon bagage, et j’en fermerai les courroies, en y laissant seulement une petite ouverture, par laquelle vous puissiez respirer et recevoir des aliments ; puis, demain matin, je publierai que mes deux esclaves, craignant un chĂątiment encore plus rigoureux, se sont jetĂ©s Ă  la mer pendant la nuit ; et lorsque le vent nous aura conduits au port, je vous ferai dĂ©barquer avec mes valises, sans exciter aucun soupçon. — A merveille ! m’écriai-je ; nous prenez-vous pour des corps solides que l’on peut enfermer Ă  volontĂ© ? Croyez-vous donc que nous soyons exempts des nĂ©cessitĂ©s ordinaires Ă  tous les hommes ; que nous soyons habituĂ©s Ă  rester immobiles, sans Ă©ternuer, sans ronfler ? Est-ce parce que ce stratagĂšme m’a rĂ©ussi une fois ? Mais je vous accorde que nous puissions rester tout un jour empaquetĂ©s de la sorte qu’en rĂ©sultera-t-il ? Si le calme ou les vents contraires nous retiennent en mer, que deviendrons-nous ? nous moisirons comme des habits renfermĂ©s trop longtemps, ou nous serons comme des livres qu’une forte pression rend illisibles. Jeunes comme nous le sommes, et peu faits Ă  ce genre de fatigue, nous resterions emballĂ©s, emmaillottĂ©s comme des statues ! Cherchons donc, je vous prie, quelque autre moyen de salut. Que vous semble, par exemple, de cette invention ? Eumolpe, en sa qualitĂ© d’homme de lettres, doit avoir avec lui sa provision d’encre[1] servons-nous-en pour nous teindre en noir de la tĂȘte aux pieds ; ainsi dĂ©guisĂ©s, nous passerons pour des esclaves Ă©thiopiens, nous vous servirons comme tels, trop heureux d’éviter ainsi le chĂątiment dont nous sommes menacĂ©s ; et notre changement de couleur nous rendra mĂ©connaissables aux yeux mĂȘmes de nos ennemis. — Oui-da ? reprit Giton ; que ne nous proposez-vous aussi de nous circoncire, afin qu’on nous prenne pour des Juifs[2] ; de nous percer les oreilles, pour ressembler Ă  des Arabes ; ou de nous frotter le visage avec de la craie, pour paraĂźtre de vrais Gaulois ? comme si, en changeant notre couleur, nous pouvions aussi changer nos traits. Cela ne suffit pas ; il faut encore que tout concoure, que tout soit d’accord pour soutenir un pareil rĂŽle. Supposons que la drogue dont on nous barbouillera soit longtemps sans s’effacer ; que l’eau qui tombera par hasard sur notre corps n’y fasse aucune tache ; que l’encre ne se collera pas Ă  nos habits, ce qui arrive souvent, mĂȘme lorsqu’on n’y met point de gomme dites-moi, pourrons-nous aussi nous faire des lĂšvres d’une grosseur dĂ©mesurĂ©e comme les Éthiopiens[3] ; friser nos cheveux comme les leurs, nous tatouer comme eux le visage, nous courber les jambes en cerceaux, marcher sur les talons[4], et imiter la laine qui leur couvre le menton ? croyez-moi, cette couleur artificielle nous salira le corps sans le changer. Écoutez l’avis que m’inspire le dĂ©sespoir enveloppons-nous la tĂȘte de nos robes, et jetons-nous Ă  la mer. CHAPITRE CIII. Que les dieux et les hommes, s’écrie Eumolpe, vous prĂ©servent d’une mort si misĂ©rable ! faites plutĂŽt ce que je vais vous dire. Mon valet est barbier, comme vous l’avez pu voir dĂ©jĂ  eh bien ! il va vous raser sur-le-champ, Ă  tous deux, non-seulement la tĂȘte, mais mĂȘme les sourcils[1] ; ensuite je tracerai adroitement sur vos fronts une inscription qui indiquera que vous avez Ă©tĂ© marquĂ©s pour dĂ©sertion ces stigmates d’un honteux supplice dĂ©guiseront votre visage, et mettront en dĂ©faut la sagacitĂ© de ceux qui vous cherchent. — Cet avis prĂ©valut, et l’on se mit sur-le-champ Ă  l’Ɠuvre. Nous nous approchons Ă  pas de loup du bord du vaisseau, et nous livrons notre tĂȘte au barbier, qui fait tomber sous son rasoir nos cheveux et nos sourcils ; alors Eumolpe, d’une main exercĂ©e, nous couvre Ă  grands traits le visage entier des lettres dont on marque ordinairement les esclaves fugitifs[2]. Par malheur, un des passagers qui, penchĂ© sur le flanc du navire, soulageait son estomac travaillĂ© du mal de mer, aperçut, au clair de la lune, notre barbier en fonction Ă  cette heure indue maudissant cette action comme un funeste prĂ©sage car ce n’est qu’au moment du naufrage que les nautoniers font le sacrifice de leur chevelure, il se rejeta dans son lit. Pour nous, faisant semblant de ne pas entendre ses imprĂ©cations, nous reprĂźmes notre air triste ; et, gardant le plus profond silence, nous passĂąmes le reste de la nuit dans un sommeil agitĂ©. Le lendemain matin, dĂšs qu’Eumolpe apprit que Tryphene Ă©tait levĂ©e, il entra dans la chambre de Lycas. On s’entretint d’abord du beau temps et de l’heureuse navigation qu’il nous promettait ; puis Lycas, s’adressant Ă  Tryphene, lui parla en ces termes CHAPITRE CIV. Cette nuit, Priape m’est apparu en songe Apprends, m’a-t-il dit, que j’ai conduit Ă  bord de ton vaisseau cet Encolpe que tu cherches. — TryphĂšne tressaillit et s’écria — On dirait que nous avons dormi sur le mĂȘme oreiller ; car cette statue de Neptune, que j’avais remarquĂ©e sous le pĂ©ristyle du temple de BaĂŻes, m’est aussi apparue, et m’a dit — Tu trouveras Giton dans le navire de Lycas. — Cela vous prouve, reprit Eumolpe, combien le divin Épicure a eu raison de blĂąmer, d’une maniĂšre si plaisante, ceux qui ajoutent foi Ă  ces vaines illusions Ces songes, lĂ©gers fils de l’ombre et du sommeil, Que la nuit a formĂ©s, que dĂ©truit le rĂ©veil, N’annoncent point du ciel les avis fatidiques L’homme Ă  ses souvenirs doit leurs jeux fantastiques. DĂšs que ce dieu pesant qui donne le repos Sur nos sens engourdis a versĂ© ses pavots, Des entraves du corps l’ñme dĂ©barrassĂ©e Des scĂšnes de la veille amuse la pensĂ©e, Et, de l’illusion empruntant le pinceau, D’un objet qui n’est plus trace un vivant tableau. Voyez ce conquĂ©rant fĂ©cond en funĂ©railles, Son bras de vingt citĂ©s sape encor les murailles, Met les rois au tombeau, force leurs bataillons, Et de ruisseaux de sang inonde les sillons. L’avocat, au barreau, dĂ©sarme la justice, Et sauve son client des rigueurs du supplice. L’avare, ouvrant le sol pour enfouir son or, Dans son champ, tout Ă  coup, trouve un nouveau trĂ©sor ; Et dans ses billets doux une Ă©pouse coquette RĂ©clame d’un galant les faveurs qu’elle achĂšte. Le pilote englouti s’agite, et presse en vain La planche de salut qui se brise en sa main. Tandis que le chasseur, sur la plume immobile, DerriĂšre ses rideaux poursuit un cerf agile ; Par un rĂȘve emportĂ©, le chien, du liĂšvre absent, Dans un bois idĂ©al suit la piste en jappant. De l’homme riche ainsi doublant les jouissances, La nuit du malheureux prolonge les souffrances. Cependant Lycas, aprĂšs avoir fait les ablutions nĂ©cessaires pour expier le songe de TryphĂšne[1] — Qui nous empĂȘche, dit-il, de faire la visite de ce navire, pour n’avoir point Ă  nous reprocher de mĂ©priser ces avertissements du ciel ? — Le passager qui, pour notre malheur, avait Ă©tĂ© tĂ©moin de notre dĂ©guisement nocturne, HĂ©sus Ă©tait son nom, entre tout Ă  coup chez Lycas, et s’écrie — Quels sont donc les misĂ©rables qui se sont fait raser la tĂȘte cette nuit au clair de la lune ? Par Hercule ! ce sacrilĂšge est d’un trĂšs dangereux exemple ; car j’ai ouĂŻ dire qu’il n’est permis Ă  personne de se couper les ongles ou les cheveux sur un vaisseau, Ă  moins que le vent ne soit irritĂ© contre la mer. CHAPITRE CV. TroublĂ© par ces paroles, Lycas devint furieux. — Est-il possible, dit-il, que quelqu’un des passagers ait eu l’audace de se couper les cheveux sur mon navire, et cela par une si belle nuit ? Qu’on amĂšne ici les coupables, afin que je sache quels sont ceux dont le sang doit purifier ce navire. — C’est par mon ordre, dit Eumolpe, que cela s’est fait. Comme je devais faire route avec eux sur le mĂȘme bĂątiment[1], j’ai voulu par lĂ  me rendre les auspices favorables. En punition de leurs crimes, ils portaient leur chevelure longue et en dĂ©sordre pour ne pas faire un bagne de ce navire, j’ai ordonnĂ© Ă  mon barbier de les nettoyer de leurs souillures ; j’ai voulu, en outre, que les stigmates d’infamie gravĂ©s sur leur front n’étant plus cachĂ©s sous l’ampleur de leurs cheveux, tout le monde pĂ»t y lire leur faute et leur chĂątiment. Parmi leurs divers mĂ©faits, ils mangeaient chez une prostituĂ©e, qu’ils avaient en commun, l’argent qu’ils me volaient c’est lĂ  que je les ai surpris la nuit derniĂšre, parfumĂ©s d’essences et ivres-morts. Enfin, je crois que ces marauds flairent encore le reste de mon patrimoine. — NĂ©anmoins, Lycas, pour purifier son vaisseau, nous condamna l’un et l’autre Ă  recevoir quarante coups de corde[3]. L’exĂ©cution suivit de prĂšs l’arrĂȘt. Les matelots, armĂ©s de cĂąbles, se jettent sur nous comme des furieux, et se disposent Ă  apaiser leur divinitĂ© tutĂ©laire[2] par l’effusion d’un sang abject. Pour moi, je digĂ©rai les trois premiers coups avec la fermetĂ© d’un Spartiate[4] ; mais Giton, dĂšs la premiĂšre dĂ©charge, jeta un cri si perçant, que TryphĂšne s’émut aux accents de cette voix connue ; ses femmes en furent frappĂ©es comme elle, et s’élancĂšrent aussitĂŽt vers le pauvre patient. Mais dĂ©jĂ  l’extrĂȘme beautĂ© de Giton avait dĂ©sarmĂ© les matelots eux-mĂȘmes[5], et ses regards seuls, plus puissants que sa voix, plaidaient pour son pardon, lorsque les suivantes de TryphĂšne criĂšrent toutes Ă  la fois — C’est Giton ! c’est Giton ! Barbares ! suspendez ce cruel chĂątiment ! C’est Giton, madame ; venez Ă  son secours ! — Ce nom n’eut pas plutĂŽt frappĂ© les oreilles de TryphĂšne on croit sans peine ce que l’on dĂ©sire, qu’elle vole vers l’aimable enfant. Quant Ă  Lycas, qui ne me connaissait que trop, il n’eut pas besoin d’entendre ma voix ; certain de ma prĂ©sence, il accourt ; et, sans s’arrĂȘter Ă  examiner mes mains ou mon visage, il fixe ses regards plus bas que ma ceinture, et, par un simple attouchement, s’assure que c’est bien moi. — Bonjour, Encolpe, me dit-il aussitĂŽt. — Qu’on s’étonne maintenant que la nourrice du roi d’Ithaque l’ait reconnu, aprĂšs vingt ans d’absence, Ă  une cicatrice qu’elle avait remarquĂ©e en lui, puisque cet habile homme[6], malgrĂ© la confusion des traits de mon visage et le dĂ©guisement de toute ma personne, reconnut sur-le-champ son fugitif Ă  un si lĂ©ger indice ! TryphĂšne, trompĂ©e par l’apparence, prenait pour rĂ©els les stigmates gravĂ©s sur nos fronts, et nous demandait tout bas, en versant un torrent de larmes, quelle Ă©tait la prison oĂč l’on nous avait jetĂ©s comme vagabonds[7], quel Ă©tait le bourreau qui avait eu le courage de nous infliger ce cruel supplice. — Votre fuite, disait-elle, mĂ©ritait sans doute un chĂątiment, ingrats qui avez dĂ©daignĂ© les bienfaits dont vous comblait mon amour ! CHAPITRE CVI. — Pauvre femme ! reprit Lycas transportĂ© de fureur, vous ĂȘtes assez simple pour croire que ces lettres ont Ă©tĂ© imprimĂ©es sur leur front avec un fer chaud ! PlĂ»t aux dieux que ces marques d’infamie fussent vĂ©ritables ! nous serions enfin vengĂ©s ! Mais en ce moment mĂȘme on cherche Ă  nous abuser par cette comĂ©die, et cette inscription postiche est un nouveau tour qu’on veut nous jouer. — TryphĂšne, heureuse de n’avoir pas entiĂšrement perdu son amant, penchait vers l’indulgence ; mais Lycas, qui conservait un vif ressentiment[1] de mes liaisons avec Doris, son Ă©pouse, et de l’affront qu’il avait reçu sous le portique d’Hercule, s’anima de plus en plus, et, le visage enflammĂ©, s’écria — Ne voyez-vous pas, ĂŽ TryphĂšne ! dans cet Ă©vĂ©nement une preuve convaincante de la sollicitude des dieux pour les choses d’ici-bas ? C’est conduits par eux que ces coupables sont venus, sans s’en douter, sur notre vaisseau ; ce sont eux qui, pour nous en avertir, nous ont envoyĂ© Ă  tous deux le mĂȘme songe. Voyez maintenant s’il nous est permis de faire grĂące Ă  des scĂ©lĂ©rats que les dieux mĂȘmes ont livrĂ©s Ă  notre justice. Pour moi, je ne suis pas un barbare ; mais je craindrais, en leur pardonnant, d’attirer sur moi la vengeance cĂ©leste. — Ces paroles superstitieuses changĂšrent tellement les dispositions de TryphĂšne, que, bien loin de s’opposer Ă  notre supplice, elle dĂ©clara qu’elle consentait de grand cƓur Ă  ce juste chĂątiment ; ajoutant qu’elle avait essuyĂ© les mĂȘmes outrages que Lycas, et que nous l’avions aussi exposĂ©e Ă  la risĂ©e publique par d’infĂąmes propos contre son honneur. Lycas, voyant que TryphĂšne le secondait dans ses projets de vengeance, donna de nouveaux ordres pour rendre notre torture encore plus cruelle ce qu’Eumolpe ayant entendu, il s’efforça de le flĂ©chir par ces paroles CHAPITRE CVII. Ces infortunĂ©s, dont vous avez rĂ©solu la perte pour vous venger, implorent, ĂŽ Lycas ! votre pitiĂ©. Sachant que je ne vous Ă©tais pas inconnu, ils m’ont choisi pour leur avocat auprĂšs de vous[1], et m’ont priĂ© de les rĂ©concilier avec d’anciens amis qui leur sont toujours chers. Vous croyez peut-ĂȘtre que c’est le hasard qui a conduit ces jeunes gens sur votre bord ; mais il n’est pas un seul passager qui ne s’informe avant toutes choses du nom de celui Ă  qui il va confier son existence. Cette dĂ©marche spontanĂ©e doit vous satisfaire et flĂ©chir votre courroux laissez donc des hommes libres naviguer en paix vers leur destination. Le maĂźtre le plus cruel, le plus implacable, oublie son ressentiment, dĂšs que le repentir amĂšne Ă  ses pieds son esclave fugitif. Comment ne pas pardonner Ă  un ennemi qui se livre Ă  notre merci ? que voulez-vous, que prĂ©tendez-vous de plus ? Vous voyez, suppliants devant vous, des jeunes gens aimables, bien nĂ©s, et, ce qui doit surtout vous toucher, des jeunes gens avec lesquels vous avez vĂ©cu naguĂšre dans la plus Ă©troite intimitĂ©. Certes, s’ils vous eussent volĂ© votre argent, s’ils eussent rĂ©pondu Ă  votre confiance par la plus lĂąche trahison, vous seriez assez vengĂ© par le chĂątiment que vous lisez sur leur front. NĂ©s libres, ils se sont volontairement infligĂ©, pour expier leur offense, ces marques de la servitude qui les isolent Ă  jamais de la sociĂ©tĂ©. — Lycas, interrompant la dĂ©fense d’Eumolpe — N’embrouillez pas la question, dit-il, et rĂ©duisons chaque chose Ă  sa juste valeur. Et d’abord, s’ils sont venus ici de leur plein grĂ©, pourquoi se sont-ils fait raser la tĂȘte ? Quiconque se dĂ©guise a dessein de tromper, et non d’offrir une satisfaction. En second lieu, s’ils avaient l’intention d’obtenir leur grĂące par votre entremise, pourquoi tant d’efforts pour cacher vos clients Ă  tous les yeux ? Il est donc clair que le hasard seul les a conduits dans nos filets, et qu’ensuite vous avez cherchĂ© par vos artifices Ă  les soustraire aux transports de notre ressentiment. Quant Ă  ce que vous affectez de dire, pour nous intimider, que ce sont des hommes libres et de bonne famille, prenez garde de gĂąter votre cause par cet argument qui vous inspire tant de confiance. Que doit faire un homme offensĂ©, lorsque le coupable court de lui-mĂȘme au-devant du chĂątiment ? Mais, dites-vous, ils ont Ă©tĂ© nos amis. C’est par cela mĂȘme qu’ils mĂ©ritent un traitement plus rigoureux. Offenser un inconnu, ce n’est qu’un crime ordinaire ; mais outrager un ami, c’est presque un parricide. — Eumolpe rĂ©torqua ainsi cette fausse argumentation — Je vois, dit-il, que ce qui fait le plus de tort Ă  ces malheureux jeunes gens, c’est de s’ĂȘtre fait raser les cheveux pendant la nuit vous concluez de lĂ  que le hasard, et non leur volontĂ©, les a conduits sur ce vaisseau. Je vais tĂącher d’expliquer ce grief aussi simplement et avec autant de bonne foi qu’il a Ă©tĂ© commis. Mes amis, avant de s’embarquer, voulaient dĂ©charger leur tĂȘte d’un fardeau incommode et inutile ; mais les vents, en prĂ©cipitant leur dĂ©part, les ont forcĂ©s Ă  remettre Ă  un autre temps l’exĂ©cution de ce projet. Ils ont cru qu’ils pouvaient le rĂ©aliser ici aussi bien qu’ailleurs, sans que cela tirĂąt Ă  consĂ©quence ; car ils ignoraient le prĂ©sage funeste qu’on en pouvait tirer, et les lois de la navigation. — Qu’avaient-ils besoin, dit Lycas, de se raser la tĂȘte, pour s’offrir Ă  nous en suppliants ? depuis quand un front chauve est-il plus digne de compassion ? Mais Ă  quoi bon m’arrĂȘter Ă  chercher la vĂ©ritĂ© dans les paroles d’un interprĂšte ? Qu’as-tu Ă  dire, infĂąme voleur ? quelle salamandre[2] a fait tomber tes sourcils ? Ă  quelle divinitĂ© as-tu fait le sacrifice de ta chevelure ? RĂ©ponds, misĂ©rable, rĂ©ponds. CHAPITRE CVIII. La crainte du supplice avait glacĂ© ma langue, et, convaincu par l’évidence, je ne trouvais pas une seule parole pour me justifier. TroublĂ©, confus de ma laideur, il me semblait qu’avec une tĂȘte nue comme un genou, et des sourcils rasĂ©s au niveau du front, je ne pouvais rien dire ni rien faire qui ne me rendĂźt encore plus ridicule. Mais dĂšs que l’on eut passĂ© l’éponge sur mon visage baignĂ© de pleurs, lorsque l’encre, en se dĂ©layant, confondit tous les caractĂšres qui Ă©taient tracĂ©s, et me couvrit la figure d’un masque noir comme de la suie, alors la colĂšre qui m’animait se changea en fureur. Cependant, Eumolpe proteste qu’il ne souffrira pas qu’au mĂ©pris des lois et du droit des gens on maltraite ainsi des hommes libres il repousse les menaces de nos bourreaux, non-seulement de la voix, mais du geste. Il est secondĂ© dans ses efforts par son valet Ă  gages, et par un ou deux passagers, mais si faibles, qu’ils peuvent tout au plus nous offrir des consolations, sans augmenter la force de notre parti. Trop irritĂ© pour implorer la clĂ©mence de mes ennemis, je menace de mes ongles les yeux de TryphĂšne, criant Ă  haute et intelligible voix que, si l’on fait le moindre mal Ă  Giton pour cette prostituĂ©e, qui seule mĂ©rite d’ĂȘtre fustigĂ©e aux yeux de tout l’équipage, je ferai contre elle usage de toutes mes forces. Mon audace redouble la rage de Lycas, qui s’indigne que j’oublie ma propre dĂ©fense pour embrasser celle d’autrui. TryphĂšne, non moins exaspĂ©rĂ©e de mes outrages, se livre aux mĂȘmes transports. Enfin, tout l’équipage se partage en deux camps. D’un cĂŽtĂ©, le barbier d’Eumolpe s’avance, armĂ© d’un rasoir, aprĂšs nous avoir distribuĂ© le reste de sa trousse. Du cĂŽtĂ© opposĂ©, les esclaves de TryphĂšne, retroussant leurs manches, se disposent Ă  jouer des mains. Les servantes elles-mĂȘmes, Ă  dĂ©faut d’autres armes, excitent par leurs cris l’ardeur des combattants. Seul, tranquille Ă  son poste, en vain le pilote dĂ©clare qu’il va quitter le gouvernail, si l’on ne fait cesser ce vacarme excitĂ© par quelques dĂ©bauchĂ©s. La lutte se prolonge avec le mĂȘme acharnement Lycas et les siens combattent pour se venger ; nous, pour dĂ©fendre notre vie. DĂ©jĂ , de part et d’autre, plusieurs champions sont tombĂ©s demi-morts de frayeur[1] ; un plus grand nombre, couverts de sang et de blessures, se retirent de la mĂȘlĂ©e ; cependant la fureur des deux partis ne se ralentit point. Alors Giton, approchant bravement son rasoir des organes de sa virilitĂ©, menace de couper dans sa racine la cause de tant de dĂ©sordres ; mais TryphĂšne, en lui faisant espĂ©rer sa grĂące, s’oppose Ă  la consommation d’un si grand sacrifice. Pour moi, j’avais dĂ©jĂ  plusieurs fois appuyĂ© sur ma gorge le fer du barbier, sans avoir plus d’envie de me tuer que Giton de se faire eunuque ; nĂ©anmoins, il jouait son rĂŽle plus hardiment que moi, car il savait que le rasoir qu’il tenait Ă©tait le mĂȘme dont il avait feint dĂ©jĂ  de vouloir se couper la gorge. Les deux armĂ©es Ă©taient toujours en prĂ©sence, et le combat Ă©tait sur le point de recommencer plus sĂ©rieux que jamais, quand le pilote obtint Ă  grand’peine que TryphĂšne ferait l’office de hĂ©raut, et proposerait une trĂȘve. AprĂšs avoir, selon la coutume, reçu le serment des deux partis, TryphĂšne, tenant Ă  la main un rameau d’olivier dont elle a dĂ©pouillĂ© la divinitĂ© tutĂ©laire du vaisseau, s’avance hardiment au milieu des combattants, et leur adresse cette allocution Quelle fureur impie alluma cette guerre, Et du sein de la paix vous appelle aux combats ? A-t-on vu parmi nous une HĂ©lĂšne adultĂšre Oser flĂ©trir l’honneur d’un nouveau MĂ©nĂ©las ? Ou MĂ©dĂ©e, en fuyant, pour arrĂȘter son pĂšre, Lui jeter de son fils les membres palpitants ? Non ; l’amour mĂ©prisĂ© veut venger son outrage. Eh bien ! d’un seul trĂ©pas, cruels, soyez contents[2] Puisse ma mort, du moins, assouvir votre rage ! N’allez pas, surpassant Neptune en ses fureurs, Des flots de votre sang grossir ses flots vengeurs. CHAPITRE CIX. Ce discours, prononcĂ© d’un son de voix qui trahissait l’émotion de TryphĂšne, parut calmer un peu l’ardeur des deux armĂ©es, qui, ramenĂ©es Ă  des sentiments plus pacifiques, s’arrĂȘtĂšrent et suspendirent les hostilitĂ©s. Eumolpe, comme chef de son parti, voyant que l’heure du repentir avait sonnĂ©, profita de l’occasion ; et, aprĂšs avoir fait Ă  Lycas une verte rĂ©primande, dressa les articles d’un traitĂ© d’alliance dont voici la teneur Vous, TryphĂšne, consentez, de votre plein grĂ©, Ă  oublier tous les sujets de plainte que vous avez contre Giton, Ă  ne jamais lui reprocher les torts qu’il peut avoir eus envers vous jusqu’à ce jour, Ă  ne pas en tirer vengeance et Ă  n’exercer envers lui aucune espĂšce de poursuite pour ce motif, comme aussi Ă  ne rien exiger de lui par force, ni caresses, ni baisers, ni faveurs plus tendres le tout, sous peine de lui payer cent deniers comptants pour chaque contravention. De votre cĂŽtĂ©, Lycas, vous vous engagez volontairement Ă  n’adresser Ă  Encolpe aucune parole injurieuse, Ă  ne pas lui faire mauvaise mine, Ă  ne pas chercher Ă  le surprendre dans son lit pendant la nuit ; ou, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  lui payer pour chaque violence deux cents deniers comptants. Le traitĂ© Ă©tant ainsi conclu, nous mĂźmes bas les armes ; et, pour qu’aucun levain de haine ne fermentĂąt dans les Ăąmes aprĂšs ce serment, pour ratifier l’oubli complet du passĂ©, on se donna de part et d’autre le baiser de paix. Alors les haines se calment, et, Ă  la demande gĂ©nĂ©rale, le champ de bataille se transforme en un banquet oĂč la gaietĂ© achĂšve de concilier les esprits. Tout le vaisseau retentit de chants joyeux ; et comme un calme subit Ă©tait venu suspendre notre navigation, les uns, armĂ©s de crocs, harponnent les poissons qui bondissent sur l’eau ; les autres, couvrant leurs hameçons d’un appĂąt perfide, enlĂšvent leur proie, qui se dĂ©bat en vain. Des oiseaux de mer Ă©taient venus se percher sur nos antennes un matelot les touche d’une claie de roseaux artistement prĂ©parĂ©e[1] les malheureux volatiles, retenus par la glu, se laissent prendre Ă  la main l’air emporte leur lĂ©ger duvet ; leurs plumes, plus pesantes, tombent dans la mer et roulent avec l’écume des flots. DĂ©jĂ  s’opĂ©rait un raccommodement entre Lycas et moi ; dĂ©jĂ  TryphĂšne, folĂątrant avec Giton, lui aspergeait le visage des gouttes de vin qui restaient dans sa coupe[2] ; lorsque Eumolpe, Ă©chauffĂ© par l’ivresse, se mit Ă  plaisanter sur les chauves et les teigneux. AprĂšs s’ĂȘtre Ă©puisĂ© en fades railleries sur ce sujet, son accĂšs poĂ©tique le reprit, et il nous dĂ©bita cette espĂšce d’élĂ©gie sur la perte des cheveux OĂč sont ces beaux cheveux dont ton front s’ombrageait ? A travers leurs flots d’or le zĂ©phyr voltigeait. Les grĂąces avec eux ont quittĂ© ton visage Tel l’arbuste, en hiver, privĂ© de son feuillage, Languit seul Ă  l’écart, et dans ses rameaux nus Appelle, mais en vain, le printemps qui n’est plus. Sort cruel ! en naissant vouĂ©s Ă  la vieillesse, Nous mourons chaque jour la fleur de la jeunesse Compte peu de matins, comme la fleur des champs, Et les premiers Ă  fuir sont nos premiers beaux ans ! Rival du blond PhĂ©bus, et conquĂ©rant des belles, Hier, tu dĂ©fiais l’orgueil des plus cruelles ; Leur vengeance aujourd’hui montre au doigt ta laideur. Tu crains, pauvre tondu, leur sourire moqueur. Cache de ses attraits la tĂȘte dĂ©pouillĂ©e ! La rose, par l’orage une fois effeuillĂ©e, N’a qu’un moment Ă  vivre ; et la pĂąle Atropos, Sur le fil de tes jours a levĂ© ses ciseaux. CHAPITRE CX. Ce n’était lĂ  que le prĂ©lude, et il allait nous dĂ©biter de plus grandes inepties, quand une servante de TryphĂšne emmena Giton dans l’entre-pont du vaisseau, et orna la tĂȘte du pauvre enfant d’une perruque appartenant Ă  sa maĂźtresse[1]. Elle tira aussi d’une boĂźte des sourcils postiches[2], et les ajusta avec tant d’adresse sur les endroits qui avaient Ă©tĂ© rasĂ©s, qu’elle lui rendit tous ses charmes. Retrouvant alors en lui le vĂ©ritable Giton, TryphĂšne en fut Ă©mue jusqu’aux larmes, et cette fois l’embrassa de tout son cƓur. Je n’étais pas moins enchantĂ© qu’elle de revoir Giton dans tout l’éclat de sa beautĂ© ; et cependant je me cachais le visage le plus que je pouvais ; car je comprenais sans peine tout ce que ma laideur avait de repoussant, puisque Lycas lui-mĂȘme dĂ©daignait de m’adresser la parole. Mais cette mĂȘme servante vint Ă  mon secours et dissipa mon chagrin me prenant Ă  part, elle me couvrit la tĂȘte d’une chevelure d’emprunt, non moins belle que celle de Giton. Mon visage en devint mĂȘme plus agrĂ©able, parce que cette perruque Ă©tait blonde. Cependant Eumolpe, notre dĂ©fenseur au moment du danger, et l’auteur de notre rĂ©conciliation, voulant entretenir notre gaietĂ© par des propos plaisants, se mit Ă  dĂ©biter mille folies sur la lĂ©gĂšretĂ© des femmes, sur leur facilitĂ© Ă  s’enflammer, sur leur promptitude Ă  oublier leurs amants. — Il n’y a pas, disait-il, de femme, quelque prude qu’elle soit, qu’une passion nouvelle ne puisse porter aux plus grands excĂšs. Je n’ai pas besoin, pour prouver ce que j’avance, de recourir aux tragĂ©dies anciennes, et de citer des noms fameux dans les siĂšcles passĂ©s ; je vais, si vous daignez m’écouter, vous raconter un fait arrivĂ© de nos jours. — Tout le monde se tourna aussitĂŽt vers lui, et, voyant qu’on lui prĂȘtait une oreille attentive, il commença en ces termes CHAPITRE CXI. Il y avait Ă  ÉphĂšse une dame en si grande rĂ©putation de chastetĂ©[1], que les femmes mĂȘmes des pays voisins venaient la voir par curiositĂ©, comme une merveille. Cette dame, ayant perdu son mari, ne se contenta pas des signes ordinaires de la douleur ; de marcher, les cheveux Ă©pars, Ă  la suite du char funĂšbre ; de se meurtrir le sein devant tous les assistants elle voulut encore accompagner le dĂ©funt jusqu’à sa derniĂšre demeure, le garder dans le caveau oĂč on l’avait dĂ©posĂ©, selon la coutume des Grecs, et pleurer nuit et jour auprĂšs de lui. Son affliction Ă©tait telle, que ni parents, ni amis ne purent la dĂ©tourner du dessein qu’elle avait formĂ© de se laisser mourir de faim. Les magistrats eux-mĂȘmes, ayant voulu faire une derniĂšre tentative, se retirĂšrent sans avoir pu rien obtenir. Tout le monde pleurait comme morte une femme qui offrait un si rare modĂšle de fidĂ©litĂ©, et qui avait dĂ©jĂ  passĂ© cinq jours sans prendre aucune nourriture. Une servante fidĂšle l’avait accompagnĂ©e dans sa triste retraite, mĂȘlant ses larmes Ă  celles de sa maĂźtresse, et ranimant la lampe placĂ©e sur le cercueil, toutes les fois qu’elle Ă©tait prĂȘte Ă  s’éteindre. Il n’était bruit, dans la ville, que de ce sublime dĂ©vouement, et les hommes de toute classe le citaient comme un exemple vraiment unique de chastetĂ© et d’amour conjugal. Dans ce mĂȘme temps, il advint que le gouverneur de la province fit mettre en croix quelques voleurs, tout proche de ce mĂȘme caveau oĂč notre matrone pleurait la perte rĂ©cente de son Ă©poux. La nuit suivante, le soldat qui gardait ces croix, de peur que quelqu’un ne vĂźnt enlever les corps de ces voleurs, pour leur donner la sĂ©pulture[2], aperçut une lumiĂšre qui brillait au milieu des tombeaux, et entendit les gĂ©missements de notre veuve. CĂ©dant Ă  la curiositĂ© innĂ©e chez tous les hommes, il voulut savoir qui c’était, et ce qu’on faisait en cet endroit. Il descend donc dans le caveau ; et, d’abord, Ă  l’aspect de cette femme d’une beautĂ© plus qu’humaine, il s’arrĂȘte, immobile d’effroi, comme s’il avait devant les yeux un fantĂŽme ou une apparition surnaturelle. Mais bientĂŽt ce cadavre Ă©tendu sur la pierre, ce visage baignĂ© de larmes, ces marques sanglantes que les ongles y ont creusĂ©es[3], tout ce qu’il voit dissipe son illusion ; et il comprend enfin, comme cela Ă©tait vrai, que c’était une veuve qui ne pouvait se consoler de la mort de son Ă©poux. Il commença donc par apporter dans le caveau son pauvre souper de soldat, puis il exhorta la belle affligĂ©e Ă  ne pas s’abandonner plus longtemps Ă  une douleur inutile, Ă  des gĂ©missements superflus. — La mort, lui dit-il, est le terme commun de tout ce qui existe ; le tombeau est pour tous le dernier asile. — Enfin il Ă©puisa tous les lieux communs qu’on emploie pour guĂ©rir une Ăąme profondĂ©ment ulcĂ©rĂ©e. Mais ces consolations qu’un inconnu ose lui offrir irritent encore plus la douleur de la dame elle se dĂ©chire le sein de plus belle, s’arrache les cheveux, et les jette sur le cadavre. Le soldat ne se rebute point pour cela ; il lui rĂ©itĂšre, avec de nouvelles instances, l’offre de partager son souper. Enfin, la suivante, sĂ©duite sans doute par l’odeur du vin, ne put rĂ©sister Ă  une invitation si obligeante, et tendit la main vers les aliments qu’il lui prĂ©sentait ; puis, dĂšs qu’un lĂ©ger repas eut restaurĂ© ses forces, elle se mit Ă  battre en brĂšche l’opiniĂątretĂ© de sa maĂźtresse. — Et que vous servira, lui dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vivante, de rendre au destin une Ăąme qu’il ne rĂ©clame pas encore ? Non, madame, des morts les insensibles restes N’exigent point de nous des transports si funestes. Croyez-moi, revenez Ă  l’existence ; dĂ©faites-vous d’une erreur trop commune chez notre sexe ; et, tandis que vous le pouvez, jouissez de la lumiĂšre des cieux. Ce cadavre, ici prĂ©sent, vous dit assez quel est le prix de la vie. Comment fermer l’oreille aux discours d’un ami qui vous engage Ă  prendre des aliments, et Ă  ne pas vous laisser mourir ? La pauvre veuve, extĂ©nuĂ©e par une si longue abstinence, laissa vaincre son obstination elle but et mangea avec la mĂȘme aviditĂ© que la suivante, qui s’était rendue la premiĂšre. CHAPITRE CXII. Vous savez qu’un appĂ©tit satisfait Ă©veille bientĂŽt de nouveaux dĂ©sirs. Notre soldat, encouragĂ© par le succĂšs, employa, pour triompher de la vertu de la dame, les mĂȘmes arguments dont il s’était servi pour lui persuader de vivre. Or, le jeune homme n’était ni sans esprit, ni d’un extĂ©rieur dĂ©sagrĂ©able, et notre chaste veuve s’en Ă©tait aperçue ; la servante, pour lui gagner les bonnes grĂąces de sa maĂźtresse, rĂ©pĂ©tait souvent Pouvez-vous rĂ©sister Ă  de si doux penchants, Et, dans ces tristes lieux, consumer vos beaux ans[1] ? Enfin, pour abrĂ©ger, vous saurez que la bonne dame, aprĂšs avoir cĂ©dĂ© aux besoins de son estomac, ne dĂ©fendit pas mieux son cƓur[2], et que notre heureux soldat obtint une double victoire. Ils dormirent donc ensemble, non-seulement cette nuit qui fut tĂ©moin de leurs noces impromptu, mais le lendemain et le jour suivant. Toutefois, ils eurent soin de fermer les portes du caveau, si bien que quiconque, parent ou ami, fĂ»t venu en cet endroit, eĂ»t pensĂ© que la fidĂšle veuve Ă©tait morte de douleur sur le corps de son mari. Le soldat, charmĂ© de la beautĂ© de sa maĂźtresse et du mystĂšre de leurs amours, achetait tout ce qu’il pouvait se procurer de meilleur, selon ses moyens, et, dĂšs que le soir Ă©tait venu, le portait au tombeau. Cependant les parents d’un des voleurs, voyant qu’il n’était plus gardĂ©, enlevĂšrent son corps pendant la nuit, et lui rendirent les derniers devoirs. Mais que devint le pauvre soldat, qui, renfermĂ© dans le caveau, ne songeait qu’à son plaisir, lorsque, le lendemain matin, il vit une des croix sans cadavre ? EffrayĂ© du supplice qui l’attend, il va trouver la veuve, et lui fait part de cet Ă©vĂ©nement — Non, lui dit-il, je n’attendrai point ma condamnation, et ce glaive, prĂ©venant la sentence du juge, va me punir de ma nĂ©gligence. Daignez seulement, quand je ne serai plus, m’accorder un asile dans ce tombeau ; placez-y votre amant auprĂšs de votre Ă©poux. — Me prĂ©servent les dieux, rĂ©pondit la dame, non moins compatissante que chaste, d’avoir Ă  pleurer en mĂȘme temps la perte de deux personnes si chĂšres ! J’aime mieux pendre le mort que de laisser pĂ©rir le vivant. — AprĂšs ce beau discours, elle exige que l’on tire du cercueil le corps de son mari, et qu’on l’attache Ă  la croix vacante. Notre soldat s’empresse de suivre le conseil ingĂ©nieux de cette femme prudente ; et le lendemain le peuple criait miracle, ne pouvant concevoir comment un mort Ă©tait allĂ© de lui-mĂȘme au gibet. CHAPITRE CXIII. Cette histoire fit beaucoup rire les matelots ; et TryphĂšne, pour cacher la rougeur qui couvrait son visage[1], se penchait amoureusement sur le cou de Giton. Mais Lycas ne goĂ»ta point la plaisanterie ; et secouant la tĂȘte d’un air mĂ©content — Si le gouverneur d’ÉphĂšse eĂ»t fait justice, il eĂ»t fait replacer dans sa tombe le corps du dĂ©funt et pendre la veuve Ă  sa place. — Sans doute l’injure que j’avais faite Ă  sa couche, notre fuite et le pillage du vaisseau d’Isis lui revenaient en ce moment Ă  l’esprit[2]. Mais les clauses du traitĂ© s’opposaient Ă  toute rĂ©crimination de sa part, et la gaietĂ© qui s’était emparĂ©e de tous les esprits l’empĂȘchait de donner un libre cours Ă  sa colĂšre. Cependant TryphĂšne, toujours couchĂ©e sur Giton, couvrait son sein de baisers et rajustait, sur ce front chauve les boucles de la chevelure postiche. Pour moi, leur raccommodement me causait tant d’impatience et de chagrin, que je ne pouvais ni boire ni manger. Je leur lançais Ă  tous deux de farouches regards ; les baisers, les caresses de cette femme impudique Ă©taient pour moi autant de coups de poignard je ne savais contre lequel des deux devait se tourner ma fureur, ou contre Giton, qui m’enlevait ma maĂźtresse, ou contre TryphĂšne, qui me dĂ©bauchait ce bel enfant. Tous deux m’offraient un spectacle odieux et plus triste encore que ma captivitĂ© passĂ©e. Pour surcroĂźt de chagrin, TryphĂšne Ă©vitait ma conversation et semblait mĂ©connaĂźtre en moi un ami, un amant qui, naguĂšre, lui Ă©tait si cher. Giton, de son cĂŽtĂ©, ne me trouvait pas digne qu’il bĂ»t, comme d’usage, Ă  ma santĂ©, ou que, du moins, il m’adressĂąt la parole comme Ă  tout le monde il craignait, je pense, dans ces premiers moments de rĂ©conciliation, de rouvrir la plaie encore saignante dans le cƓur de TryphĂšne. NavrĂ© de douleur, j’inondais ma poitrine de larmes, et mes sanglots, que je cherchais Ă  Ă©touffer, pensĂšrent me suffoquer. Cependant, malgrĂ© ma tristesse, la chevelure blonde dont on m’avait parĂ© prĂȘtait sans doute de nouveaux charmes Ă  mon visage ; car Lycas, dont l’amour pour moi s’était rallumĂ©, me lançait des regards passionnĂ©s, et tĂąchait de partager avec moi les plaisirs que TryphĂšne goĂ»tait avec Giton il ne prenait pas le ton d’un maĂźtre qui ordonne, mais celui d’un amant qui implore une faveur. Il me pressa longtemps sans succĂšs enfin, se voyant rebutĂ©, son amour se changea en fureur, et il voulait m’arracher de force ce que je refusais Ă  ses priĂšres ; quand TryphĂšne, entrant tout Ă  coup au moment oĂč il s’y attendait le moins, fut tĂ©moin de sa brutalitĂ©. A son aspect, il se trouble, se rajuste Ă  la hĂąte et s’enfuit. Cet incident ranime les dĂ©sirs de TryphĂšne — Quel Ă©tait, me dit-elle, le but des pĂ©tulantes attaques de Lycas ? — et elle me force Ă  lui tout conter. Ce rĂ©cit allume encore plus sa passion, et, se rappelant nos anciennes liaisons, elle veut m’exciter Ă  prendre avec elle les mĂȘmes libertĂ©s que par le passĂ©. Mais, fatiguĂ© de ces plaisirs qu’on m’offrait contre mon grĂ©, je repoussai dĂ©daigneusement ses avances. Alors sa passion devient une frĂ©nĂ©sie elle m’enlace dans ses bras, et me serre si fortement contre son sein, que la douleur m’arrache un cri. Une suivante accourt Ă  ce bruit, et s’imaginant, avec vraisemblance, que je voulais ravir Ă  sa maĂźtresse les faveurs que je lui refusais en rĂ©alitĂ©, elle s’élance sur nous et nous sĂ©pare. TryphĂšne, furieuse de mes refus et de n’avoir pu satisfaire sa lubricitĂ©, me charge d’injures, et sort en me menaçant d’aller trouver Lycas, pour l’exciter encore plus contre moi, et m’accabler sous le poids de leur commune vengeance. Or, vous saurez que la suivante avait pris un goĂ»t trĂšs-vif pour moi dans le temps de mes liaisons avec TryphĂšne affligĂ©e de m’avoir surpris avec sa maĂźtresse, elle poussait de gros soupirs ; je la pressai vivement de m’en apprendre la cause ; et, aprĂšs quelque rĂ©sistance, sa douleur s’exhala en ces termes — S’il existe encore dans votre Ăąme quelques sentiments honnĂȘtes, vous ne devez pas faire plus de cas de TryphĂšne que d’une coureuse ; si vous ĂȘtes un homme, vous ne devez pas rechercher les caresses d’une prostituĂ©e. Tout cela me causait de vives inquiĂ©tudes ; mais ce que je redoutais le plus, c’était qu’Eumolpe n’en fĂ»t instruit, et que ce railleur impitoyable ne voulĂ»t me venger, par une satire, de l’affront qu’il prĂ©tendrait que j’avais reçu ; car son zĂšle aveugle m’eĂ»t couvert par lĂ  d’un ridicule dont l’idĂ©e seule me faisait trembler. Je rĂ©flĂ©chissais, Ă  part moi, aux moyens de lui tout cacher, quand je le vis entrer. Il Ă©tait dĂ©jĂ  au fait de cette histoire, dont TryphĂšne avait fait confidence Ă  Giton, aux dĂ©pens duquel elle avait voulu s’indemniser de mes refus ce qui excitait d’autant plus la colĂšre d’Eumolpe, que ces coupables violences Ă©taient des contraventions manifestes au traitĂ© de paix que nous venions de conclure. L’officieux vieillard, s’apercevant de ma tristesse, parut compatir Ă  mon sort, et m’ordonna de lui raconter comment la chose s’était passĂ©e. Voyant qu’il Ă©tait instruit de tout, je lui avouai franchement les brutales attaques de Lycas et les lascifs emportements de TryphĂšne. À ce rĂ©cit, il jura formellement de nous venger, ajoutant que les dieux Ă©taient trop justes pour laisser tant de crimes impunis. CHAPITRE CXIV. Tandis qu’il profĂ©rait ces imprĂ©cations, la mer s’enfle[1], les nuages s’épaississent, et les tĂ©nĂšbres nous dĂ©robent la clartĂ© du jour. Les matelots tremblants courent Ă  la manƓuvre, et dĂ©robent les voiles aux coups de la tempĂȘte. Mais le vent, qui changeait Ă  chaque minute, agitait les flots dans tous les sens, et le pilote ne savait quelle route tenir. TantĂŽt nous Ă©tions poussĂ©s vers la Sicile ; tantĂŽt l’Aquilon, qui rĂšgne en maĂźtre sur les cĂŽtes de l’Italie[2], chassait çà et lĂ  notre navire, en butte Ă  sa fureur ; et, pour comble de danger, l’obscuritĂ© Ă©tait si grande, que le pilote pouvait Ă  peine entrevoir la proue du vaisseau. Mais lorsque la tempĂȘte fut Ă  son comble, Lycas, Ă©pouvantĂ© et tendant vers moi ses mains suppliantes — Encolpe, s’écria-t-il, secourez-nous dans cette extrĂ©mitĂ© ; rendez le voile sacrĂ© et le sistre Ă  la patronne de ce navire ! Au nom des dieux, daignez compatir Ă  notre sort votre cƓur ne fut jamais sourd Ă  la pitiĂ© ! — Il criait de toutes ses forces, quand un coup de vent le jeta dans la mer. Nous le vĂźmes reparaĂźtre un instant, tournoyer sur la vague, puis le gouffre bĂ©ant l’engloutit sans retour[3]. DĂ©jĂ  des esclaves fidĂšles s’étaient hĂątĂ©s d’enlever TryphĂšne ; et, la plaçant sur la chaloupe, avec la meilleure partie de son bagage, ils la sauvĂšrent d’une mort inĂ©vitable. Pour moi, penchĂ© sur Giton, je m’écriais en pleurant — HĂ©las ! notre amour avait mĂ©ritĂ© des dieux qu’un mĂȘme trĂ©pas nous unĂźt ; mais le sort jaloux nous refuse cette consolation. Vois ces flots prĂȘts Ă  engloutir notre vaisseau ; vois ces ondes irritĂ©es qui bientĂŽt vont briser nos douces Ă©treintes. Giton, si tu as jamais eu quelque affection pour Encolpe, couvre-moi de baisers il en est temps encore, et dĂ©robons au moins ce dernier plaisir Ă  la mort qui s’approche. A peine eus-je achevĂ©, que Giton se dĂ©pouilla de sa robe, et, s’enveloppant dans la mienne, approcha de mes lĂšvres sa tĂȘte charmante ; puis, pour nous attacher si Ă©troitement que la fureur des flots ne pĂ»t nous sĂ©parer, il nous lia tous les deux de la mĂȘme ceinture — Si nul autre espoir ne nous reste, nous sommes certains maintenant que la mer nous portera longtemps unis de la sorte ; peut-ĂȘtre mĂȘme que, touchĂ©e de notre sort, elle nous jettera ensemble sur le mĂȘme rivage ; peut-ĂȘtre qu’un passant, par un sentiment vulgaire d’humanitĂ©, couvrira nos restes de quelques pierres[4], ou que du moins les flots, dans leur aveugle fureur, nous enseveliront sous un monceau de sable. Je laissai Giton serrer ces derniers nƓuds il me semblait que j’étais dĂ©jĂ  Ă©tendu sur le lit funĂšbre, et j’attendais la mort sans la craindre. Cependant la tempĂȘte achevait d’exĂ©cuter les ordres du destin, et dispersait les dĂ©bris du vaisseau. Il ne restait plus de mĂąts, plus de gouvernail, plus de cĂąbles, plus de rames ; tout avait disparu ; et dĂ©sormais, semblable Ă  une informe et grossiĂšre charpente, le navire roulait ballottĂ© par les flots. Des pĂȘcheurs, montĂ©s sur de petites barques, accoururent, animĂ©s de l’espoir du butin ; mais lorsqu’ils virent sur le pont quelques passagers prĂȘts Ă  dĂ©fendre leurs biens, ils changĂšrent leurs projets de pillage en offres de service. CHAPITRE CXV. Tout Ă  coup un bruit extraordinaire se fait entendre sous la chambre du pilote on eĂ»t dit les hurlements d’une bĂȘte fĂ©roce qui cherche Ă  sortir de sa cage. Nous courons vers l’endroit d’oĂč les cris semblent partir qu’y trouvons-nous ? Eumolpe assis devant un immense parchemin qu’il couvrait de ses vers. Chacun s’étonne de voir un homme, que la mort menace de si prĂšs, s’occuper tranquillement d’un poĂ«me[1] ; et, malgrĂ© ses cris, nous le tirons de lĂ , et nous l’engageons Ă  songer Ă  son salut. Mais, furieux d’ĂȘtre interrompu dans son Ɠuvre — Laissez-moi, nous criait-il, achever ce passage ; mon poĂ«me est presque fini. — Je me saisis de ce frĂ©nĂ©tique, j’appelle Giton Ă  mon aide, et nous traĂźnons jusqu’au rivage le poĂ«te mugissant de colĂšre. AprĂšs cette pĂ©nible expĂ©dition, nous entrĂąmes, le cƓur navrĂ©, dans la cabane d’un pĂȘcheur ; nous y prĂźmes, tant bien que mal, un repas dont quelques vivres avariĂ©s firent tous les frais, et nous y passĂąmes la plus triste des nuits. Le lendemain, tandis que nous tenions conseil pour savoir vers quelle contrĂ©e nous tournerions nos pas, je vis tout Ă  coup flotter sur l’eau un corps humain que les vagues portaient vers le rivage. À cet aspect, profondĂ©ment Ă©mu et les yeux humides, je m’arrĂȘtai et je rĂ©flĂ©chis aux dangers de confier Ă  l’OcĂ©an son existence. HĂ©las ! m’écriai-je, peut-ĂȘtre en ce moment une Ă©pouse, tranquille sur le sort de ce malheureux, l’attend dans quelque contrĂ©e lointaine ! peut-ĂȘtre a-t-il laissĂ© un fils qui ignore son naufrage, ou un pĂšre qui, Ă  son dĂ©part, reçut ses derniers baisers ! VoilĂ  donc oĂč aboutissent les projets des mortels ! voilĂ  le rĂ©sultat de leurs dĂ©sirs ambitieux ! l’infortunĂ© ! il semble encore nager comme s’il Ă©tait vivant ! — Jusqu’alors je croyais m’attendrir sur le sort d’un inconnu, quand les flots, dĂ©posant le cadavre sur le rivage, me montrĂšrent ses traits qui n’étaient point dĂ©figurĂ©s par la mort. O surprise ! c’était ce Lycas, naguĂšre encore si terrible, si implacable, que je voyais Ă©tendu Ă  mes pieds ! Je ne pus retenir mes larmes, et, me frappant la poitrine Ă  coups redoublĂ©s — Que sont devenus, disais-je, ce courroux, ces transports que rien ne pouvait calmer ? Te voilĂ  exposĂ© en proie aux poissons et aux bĂȘtes fĂ©roces, toi qui, il n’y a qu’un instant, te montrais si fier de ton pouvoir ! de tout ce grand vaisseau que tu possĂ©dais, il ne t’est pas mĂȘme restĂ© une planche pour te sauver du naufrage ! Allez maintenant, mortels insensĂ©s, le cƓur gonflĂ© de projets ambitieux ! fiez-vous Ă  l’avenir, et prĂ©parez-vous Ă  jouir pendant des milliers d’annĂ©es de vos richesses acquises par la fraude ! Lui aussi, il supputait encore hier le produit de ses domaines que dis-je ? il fixait en idĂ©e le jour oĂč il reverrait sa patrie ! O ciel ! qu’il est loin du but qu’il se proposait ! Mais ce n’est pas seulement la mer qui se rit de l’aveugle confiance des hommes. L’un, en combattant, se croit protĂ©gĂ© par ses armes qui le trahissent ; l’autre adresse des vƓux Ă  ses dieux pĂ©nates, et pĂ©rit Ă©crasĂ© sous les ruines de sa maison ; celui-ci tombe haletant de son char et rend l’ñme ; celui-lĂ , trop glouton, s’étrangle en mangeant ; cet autre, trop frugal, meurt victime de son abstinence. Calculez bien toutes les chances de la vie vous trouverez partout un naufrage. Mais, dira-t-on, celui qui est englouti par les flots est privĂ© des honneurs de la sĂ©pulture. Et qu’importe, aprĂšs tout, qu’un corps, nĂ© pour pĂ©rir, soit consumĂ© par le feu, par les flots ou par le temps ? quoi qu’il arrive, le rĂ©sultat est toujours le mĂȘme. Cependant ce cadavre va ĂȘtre dĂ©chirĂ© par les bĂȘtes fĂ©roces. Croyez-vous donc qu’il lui soit plus avantageux d’ĂȘtre dĂ©vorĂ© par les flammes ? le feu n’est-il pas regardĂ© comme le supplice le plus rigoureux dont un maĂźtre irritĂ© puisse punir ses esclaves ? Quelle est donc notre folie de nous donner tant de soins pour qu’aucune partie de nous-mĂȘmes ne reste sans sĂ©pulture ? les destins, malgrĂ© nous, n’en disposent-ils pas Ă  leur grĂ© ? — AprĂšs ces rĂ©flexions, nous rendĂźmes les derniers devoirs Ă  la dĂ©pouille mortelle de Lycas, qui fut brĂ»lĂ©e sur un bĂ»cher dressĂ© par les mains de ses ennemis[3], tandis qu’Eumolpe s’occupait Ă  faire l’épitaphe du dĂ©funt, et, les yeux fixĂ©s vers le ciel, semblait appeler l’inspiration. CHAPITRE CXVI. Quittes envers Lycas de ce pieux tribut, nous poursuivĂźmes notre route ; et, bientĂŽt aprĂšs, nous gravĂźmes, tout en sueur, une montagne d’oĂč nous aperçûmes, Ă  peu de distance, une ville situĂ©e sur le sommet d’une hauteur. Marchant Ă  l’aventure, nous ignorions quel en Ă©tait le nom, quand un paysan que nous rencontrĂąmes nous apprit que c’était Crotone, ville trĂšs-ancienne, et jadis la premiĂšre de l’Italie. Alors nous le questionnĂąmes en dĂ©tail sur les habitants de cette citĂ© cĂ©lĂšbre et sur le genre d’industrie auquel ils s’adonnaient de prĂ©fĂ©rence, depuis les guerres frĂ©quentes qui avaient ruinĂ© leur puissance. — Mes braves Ă©trangers, nous dit-il, si vous ĂȘtes nĂ©gociants, cherchez fortune ailleurs, ou trouvez quelque autre moyen de gagner votre vie. Mais si vous ĂȘtes des personnes d’une classe plus distinguĂ©e, et que l’obligation de mentir du matin au soir ne vous effraye pas, vous ĂȘtes ici sur le chemin de la richesse. Car, dans cette ville, ou ne fait aucun cas des belles-lettres ; l’éloquence en est bannie, la tempĂ©rance et les bonnes mƓurs n’y obtiennent ni estime ni rĂ©compense. Tous ceux que vous rencontrerez dans Crotone se partagent en deux classes les testateurs et les coureurs de successions[1]. Personne ici ne prend soin d’élever des enfants[2], parce que tout homme qui a des hĂ©ritiers lĂ©gitimes n’est admis ni aux festins ni aux spectacles, et, privĂ© de tous les agrĂ©ments de la vie, se voit relĂ©guĂ© parmi la canaille. Mais ceux qui n’ont jamais Ă©tĂ© mariĂ©s, et qui n’ont point de proches parents, parviennent aux premiers honneurs. Au jugement des Crotoniates, eux seuls ont des talents militaires, eux seuls sont vertueux. Cette ville, en un mot, vous offrira l’image d’une campagne ravagĂ©e par la peste[3] ; on n’y voit que des cadavres Ă  demi dĂ©vorĂ©s, et des corbeaux qui les dĂ©vorent. CHAPITRE CXVII. Eumolpe, qui avait de l’expĂ©rience, se mit Ă  rĂ©flĂ©chir sur cette spĂ©culation d’un nouveau genre, et nous avoua que cette maniĂšre de s’enrichir n’avait rien qui lui dĂ©plĂ»t. Je crus d’abord que c’était une plaisanterie, et que le vieillard parlait ainsi par licence poĂ©tique ; mais il ajouta — PlĂ»t au ciel que je pusse me produire sur un plus grand théùtre, c’est-Ă -dire avoir des habits plus dĂ©cents pour donner crĂ©dit Ă  la ruse que je mĂ©dite ! Certes, je ne porterais pas longtemps cette besace, et je vous ferais bientĂŽt faire une brillante fortune ! — Je lui promis, pourvu qu’il consentĂźt Ă  me mettre de moitiĂ© dans son gain, de lui fournir tout ce qu’il voudrait, la robe d’Isis et tout ce que nous avions enlevĂ© de la maison de campagne de Lycurgue la mĂšre des dieux, ajoutai-je, ne manquera pas de nous procurer tout l’argent dont nous aurons besoin pour le moment. — Que tardons-nous, reprit Eumolpe, Ă  faire le plan de notre comĂ©die ? Si l’affaire vous convient, je remplirai le rĂŽle du maĂźtre. — Aucun de nous n’osa blĂąmer une entreprise oĂč nous n’avions rien Ă  perdre. Aussi, pour que cette fourberie restĂąt entre nous un secret inviolable, nous prĂȘtĂąmes entre les mains d’Eumolpe le serment, dont il nous dicta la formule, de souffrir le feu, l’esclavage, la bastonnade, la mort mĂȘme, en un mot tout ce qu’il ordonnerait ; enfin nous jurĂąmes par tout ce qu’il y a de plus sacrĂ© d’Être Ă  lui, corps et Ăąme, comme des gladiateurs lĂ©galement engagĂ©s. — Cette formalitĂ© remplie, nous nous dĂ©guisons en esclaves, et nous saluons notre nouveau maĂźtre. Il fut aussi convenu entre nous qu’Eumolpe venait de perdre un fils, jeune homme trĂšs-Ă©loquent et d’une grande espĂ©rance ; que, depuis sa mort, le malheureux pĂšre s’était exilĂ© de sa ville natale, pour ne pas avoir sans cesse devant ses yeux le tombeau, les clients et les amis de son fils, qui renouvelaient chaque jour la source de ses larmes ; que, pour surcroĂźt d’affliction, il venait d’essuyer un naufrage dans lequel il avait perdu deux millions de sesterces ; mais que cette perte le touchait moins que celle de ses serviteurs, qui l’empĂȘchait de paraĂźtre avec l’éclat convenable Ă  son rang ; qu’il possĂ©dait encore en Afrique trente millions de sesterces en biens-fonds et en argent placĂ©, et qu’il avait une si grande quantitĂ© d’esclaves rĂ©pandus dans ses domaines de Numidie, qu’on en formerait une armĂ©e assez nombreuse pour prendre Carthage. Notre plan ainsi arrĂȘtĂ©, nous conseillĂąmes Ă  Eumolpe de tousser beaucoup, comme un homme attaquĂ© de la poitrine, d’affecter en public un grand dĂ©goĂ»t pour tous les aliments, de ne parler que d’or et d’argent ; de se plaindre sans cesse de la stĂ©rilitĂ© continuelle des terres et de l’incertitude de leur revenu. Il devait encore s’enfermer tous les jours pour calculer, et changer Ă  chaque instant quelques-unes des clauses de son testament. Enfin, pour que la comĂ©die fĂ»t complĂšte, il devait, lorsqu’il appellerait quelqu’un de nous, feindre de prendre un nom pour un autre, afin que l’on s’imaginĂąt qu’il croyait avoir encore auprĂšs de lui ceux de ses esclaves qui Ă©taient absents. Lorsque tout fut rĂ©glĂ© de la sorte, nous priĂąmes les dieux de nous accorder un prompt et heureux succĂšs, et nous nous remĂźmes en route. Mais Giton succombait sous un fardeau au-dessus de ses forces ; et Corax, le valet de louage, pestant contre sa condition, posait frĂ©quemment Ă  terre le bagage, et se rĂ©pandait en imprĂ©cations contre nous, qui marchions trop vite, jurant qu’il allait tout jeter Ă  terre ou s’enfuir avec sa charge. — Quoi donc ! disait-il, me prenez-vous pour une bĂȘte de somme, ou pour un vaisseau de transport ? Je me suis louĂ© pour faire le service d’un homme et non d’un mulet. Je suis nĂ© libre comme vous, quoique mon pĂšre m’ait laissĂ© sans fortune. — Non content de ces plaintes, il levait de temps en temps la jambe, et, chemin faisant, se permettait des incongruitĂ©s qui blessaient Ă©galement notre oreille et notre odorat. Giton riait de tout son cƓur de l’audace de ce valet, et, Ă  chaque dĂ©tonation, rĂ©pondait, avec sa bouche, par un bruit semblable. CHAPITRE CXVIII. Mais Eumolpe, retombant alors dans sa manie ordinaire — Combien de gens, ĂŽ mes jeunes amis ! nous dit-il, se sont laissĂ© sĂ©duire par les attraits de la poĂ©sie ! A peine est-on parvenu Ă  mettre un vers sur ses pieds, et Ă  noyer quelques sentiments tendres dans un vain dĂ©luge de paroles, qu’on se croit au sommet de l’HĂ©licon. C’est ainsi que, souvent, rebutĂ©, des fatigues du barreau, maint avocat cherche un asile dans le temple des Muses, comme dans un port plus tranquille et plus assurĂ© insensĂ© ! il se figure qu’il est plus facile de bĂątir un poĂ«me que d’écrire un plaidoyer enluminĂ© de petites sentences scintillantes ! Mais un esprit gĂ©nĂ©reux ne se flatte pas ainsi il sait que le gĂ©nie ne peut ni concevoir ni enfanter une grande production, s’il n’a Ă©tĂ© d’abord fĂ©condĂ© par de longues Ă©tudes. Il faut surtout Ă©viter toute expression basse et triviale, et n’employer que les termes les plus Ă©loignĂ©s du langage de la populace c’est le _______Loin de moi, profane vulgaire ! d’Horace. En outre, il faut que les pensĂ©es saillantes ne soient point des hors-d’Ɠuvre, mais qu’enchĂąssĂ©es dans le corps de l’ouvrage, elles y brillent comme formĂ©es d’un mĂȘme tissu. HomĂšre et les lyriques grecs ; Virgile, l’honneur de la poĂ©sie romaine, et Horace, si heureux dans le choix de ses expressions, en sont la preuve. Les autres n’ont point vu la route qui conduit au Parnasse, ou, s’ils l’ont vue, ils ont craint de s’y engager. Quiconque, par exemple, entreprendra de traiter un sujet aussi important que celui de la guerre civile[1], succombera infailliblement sous le faix, s’il ne s’y est prĂ©parĂ© par un grand fonds d’études. Il ne s’agit pas, en effet, de renfermer dans ses vers le rĂ©cit exact des Ă©vĂ©nements c’est le, propre de l’histoire, qui y rĂ©ussit beaucoup mieux ; mais il faut y arriver par de longs dĂ©tours, par l’intervention des dieux ; il faut que le gĂ©nie, toujours libre dans son essor, se prĂ©cipite Ă  travers le torrent des fictions de la fable ; en un mot, que son inspiration ressemble plutĂŽt aux oracles de la Pythie s’agitant, dans son dĂ©lire prophĂ©tique, sur son trĂ©pied, qu’à un rĂ©cit fidĂšle, appuyĂ© sur des tĂ©moignages incontestables. Voyez, par exemple, si cette Ă©bauche, Ă  laquelle je n’ai pas encore mis la derniĂšre main, est de votre goĂ»t CHAPITRE CXIX. LA GUERRE CIVILE, POÈME. Rome au monde tremblant avait donnĂ© des fers[1] ; Mais les trĂ©sors des rois, mais les tributs des mers N’ont point assouvi Rome, et, de nouveau, les oncles Ont gĂ©mi sous le poids de ses nefs vagabondes[2]. Tout sol oĂč germe l’or Ă©veille sa fureur Le butin, non la gloire, est le prix du vainqueur. Plus d’attraits pour l’orgueil dans un Ă©clat vulgaire[3] ; Le soldat resplendit d’une pourpre Ă©trangĂšre ; Sa tente est un palais oĂč luit, au sein des camps, PrĂšs du glaive Ă©tonnĂ© le feu des diamants ; OĂč dort, sur le duvet, la valeur assoupie ; OĂč, pour embaumer l’air, s’épuise l’Arabie[4]. La paix, comme la guerre, accuse nos excĂšs. Dans les forĂȘts du Maure, achetĂ©s Ă  grands frais, Ses tigres, en grondant, accourent Ă  nos fĂȘtes, Et dans des cages d’or, affrontant les tempĂȘtes, Vont boire, aux cris d’un peuple atroce en ses plaisirs, Le sang humain coulant pour charmer nos loisirs[5]. O crime, avant-coureur de la chute de Rome[6] ! Dans l’homme en son printemps le fer dĂ©truisant l’homme Veut fixer, mais en vain, de fugitifs appas La nature s’y cherche, et ne s’y trouve pas. Brillant effĂ©minĂ© ! compose ton sourire ; Livre tes longs cheveux aux baisers du zĂ©phyre Adonis et VĂ©nus, d’un impudique amour, A tes autels douteux vont brĂ»ler tour Ă  tour. HĂŽte odorant des bois dont l’Atlas se couronne, Le citronnier, pour nous, en tables se façonne ; Et, sur ses veines d’or appelant l’Ɠil surpris, Du mĂ©tal qu’il imite, il usurpe le prix[7]. Cornus, en ses festins, ne connaĂźt plus d’entraves[8] ; Le front parĂ© de fleurs[9], environnĂ© d’esclaves, Il parle ; et, moissonnĂ©e en cent climats divers, La pompe d’un seul jour appauvrit l’univers[10]. Le scare aux larges flancs du fond des mers arrive[11] ; L’huĂźtre, enfant du Lucrin, abandonne sa rive[12] Tes bords muets, ĂŽ Phase ! ont perdu leurs oiseaux, Et le vent seul murmure Ă  travers tes roseaux. Entrons au Champ-de-Mars l’or prĂ©side aux comices ; L’or prĂȘte aux candidats des vertus ou des vices ; D’un suffrage vĂ©nal l’or dispose en tyran ; Le peuple et le sĂ©nat se vendent Ă  l’encan. Aux lieux mĂȘme oĂč du monde on voit siĂ©ger la reine, Rampe aux pieds de Plutus la majestĂ© romaine. LĂ , Caton outragĂ© brigue en vain les faisceaux[13] ; Les faisceaux et l’opprobre attendent ses rivaux. Qu’ils subissent en paix l’affront de la victoire. Caton, vaincu, s’éloigne escortĂ© de sa gloire ; Et chassĂ©s devant lui, la libertĂ©, l’honneur, Laissent les lois sans force, et l’État sans vengeur. Plus loin, riche d’emprunts, l’opulence factice, Dans l’antre de l’usure implore l’avarice ; Trop heureux si, bientĂŽt, l’insolvable CrĂ©sus N’est vendu pour sa dette, et ne meurt comme Irus ! Tel qu’un venin perfide errant de veine en veine, Le luxe, dans ton sein, couve ta mort prochaine, O Rome ! Enfin, la guerre est ton unique espoir[14] Quand on a tout perdu, la guerre est un devoir. Sors du lĂąche sommeil oĂč ta fiertĂ© s’oublie ; Mars accourt dans ton sang retremper ton gĂ©nie. CHAPITRE CXX. Mais dĂ©jĂ  ne sont plus tes bouillants triumvirs. L’Euphrate de Crassus voit les derniers soupirs. PompĂ©e au Nil en deuil a lĂ©guĂ© sa poussiĂšre ; CĂ©sar en plein sĂ©nat expire... Ainsi la terre, N’osant les rapprocher, disperse leurs tombeaux[1] Digne prix dont la gloire Honore ses hĂ©ros ! Aux champs de ParthĂ©nope il est un vaste gouffre, Impur amas de feux, de bitume et de soufre ; Le Cocyte y bouillonne, et d’un fatal poison La vapeur qu’il exhale infecte l’horizon. Tout est morne Ă  l’entour. Jamais Flore ou Pomone N’y sourit au printemps, n’y fait mĂ»rir l’automne ; Jamais le doux zĂ©phyr, agitant ses rameaux, N’y mĂȘla ses soupirs aux doux chants des oiseaux Le noir chaos y rĂšgne ; et les cyprĂšs funĂšbres Du sombre soupirail bordent seuls les tĂ©nĂšbres... Les cheveux de fumĂ©e et de cendre couverts[2], Par lĂ  Pluton, un jour, s’élance des enfers. — Des mortels et des dieux souveraine volage, O Fortune ! dit-il, qu’un long bonheur outrage, Toi pour qui l’inconstance a de constants attraits[3], Rome triomphe donc ! Tremblante sous le faix,[4] N’oses-tu de sa gloire Ă©branler l’édifice[5] ? Oui, Rome doit Ă  Rome un sanglant sacrifice. Sous ses trĂ©sors, dĂ©jĂ , sa mollesse a flĂ©chi. Des dĂ©pouilles des rois vois son faste enrichi Élever jusqu’aux cieux l’orgueil de ses portiques[6] ; LĂ , repousser les mers de leurs rives antiques ; Ici, creuser des lacs oĂč dominaient des monts, Dompter les Ă©lĂ©ments et vaincre les saisons. Que dis-je ? jusqu’à moi perçant de longs abĂźmes Pour exhumer cet or, pĂšre de tous les crimes, Des coups de ses marteaux il fait gĂ©mir ma cour[7], Et menace les morts de la clartĂ© du jour. Qu’attends-tu ? trop longtemps a dormi ta colĂšre, DĂ©esse ! vengeons-nous ; souffle aux Romains la guerre Mon cƓur est altĂ©rĂ© de leur sang odieux ; Et Tisiphone, oisive, atteste en vain les dieux, Depuis que Rome, en deuil de tant de funĂ©railles, Vit, par deux fiers proscrits, dĂ©chirer ses entrailles. CHAPITRE CXXI. Il dit, Ă©tend son sceptre, et, d’un front redoutĂ© TempĂšre, en s’inclinant, la noire majestĂ©. La Fortune rĂ©pond — MaĂźtre du sombre empire, O Pluton ! dans les temps s’il m’est permis de lire, Tes vƓux seront comblĂ©s. Va, d’une mĂȘme ardeur, Le courroux qui t’anime a pĂ©nĂ©trĂ© mon cƓur. De mes nombreux bienfaits Rome est trop orgueilleuse ; J’ai regret Ă  mes dons Rome m’est odieuse. Mais je puis renverser l’ouvrage de mes mains. Oui, je prĂ©tends armer Romains contre Romains[1], Me baigner dans leur sang[2]. Je vois, en Æmathie, Dans un double combat s’acharner leur furie ; Je vois l’Espagne en deuil[3], la Thessalie en feux. D’oĂč viennent dans les airs ces accents belliqueux ? La Libye et le Nil sont en proie aux alarmes[4] Du vainqueur d’Actium ils redoutent les armes. Ouvre, dieu des enfers, tes avides manoirs ! Pour passer tant de morts sur tes rivages noirs, Caron, cherche une flotte, au lieu de ta nacelle[5] [6]. Et toi, pĂąle Érinnys, repais ta faim cruelle ; Ma main, pour t’assouvir, arme tous les flĂ©aux, Et livre Ă  tes serpents l’univers en lambeaux. CHAPITRE CXXII. À ces mots, l’éclair luit, le ciel gronde, la foudre Vole, et d’un roc voisin rĂ©duit la cime en poudre. Aux coups de Jupiter, Pluton, saisi d’effroi, S’enfuit
 L’enfer tressaille en revoyant son roi. BientĂŽt des dieux vengeurs les sinistres augures[1] Annoncent aux mortels nos discordes futures ; L’astre du jour, dans l’ombre Ă©clipsant sa clartĂ©, Voile son front brillant d’un crĂȘpe ensanglantĂ© ; La lune Ă©teint ses feux. Des montagnes tremblantes Se fendent, Ă  grand bruit, les cimes mugissantes
 De ces fleuves taris oĂč sont les flots fougueux ? Le clairon des combats retentit dans les cieux OĂč semblent se heurter d’invisibles armĂ©es. L’Etna s’ouvre, et vomit des laves enflammĂ©es. On vit pleuvoir du sang ; on vit sur leurs tombeaux Des spectres se dresser, poussant de longs sanglots ; Et la comĂšte en feu, promenant l’épouvante, Secoua dans les cieux sa chevelure ardente. C’en est fait ; et dĂ©jĂ  l’impatient CĂ©sar, De la guerre civile arborant l’étendard, Loin du Gaulois vaincu, vers les Alpes s’avance. Le premier, sur ces monts tĂ©moins de sa puissance, Hercule osa frayer une route aux mortels, Et leur encens toujours y fume Ă  ses autels. Leur front, blanchi de neige, est cachĂ© dans la nue ; Le ciel semble s’asseoir sur leur tĂȘte chenue. LĂ , jamais n’a fleuri la rose du printemps ; LĂ , PhĂ©bus est armĂ© de rayons impuissants ; Et ces rocs, des frimas antiques tributaires, Opposent aux Ă©tĂ©s leurs glaces sĂ©culaires. CĂ©sar aime Ă  fouler ces sommets sourcilleux. Rome, de ces hauteurs, n’est qu’un point Ă  ses yeux. MalgrĂ© lui, cependant, il soupire, il s’écrie — Dieux immortels ! et vous, ĂŽ champs de l’HespĂ©rie, Pleins encor de mon nom, fameux par mes combats[2], Je vous atteste ! Rome a seule armĂ© mon bras. A regret ma fiertĂ© court venger son injure[3]. Et pourquoi m’a-t-on vu dompter le Rhin parjure, A l’orgueil d’Albion dicter de justes lois, Et, loin du Capitole, enchaĂźner les Gaulois ? C’est pour toi, peuple ingrat, que fatigue ma gloire Pour toi, qui me proscris !
 HĂ©las ! Ă  la victoire Cinquante fois CĂ©sar a conduit tes guerriers ; Deux fois j’ai vu mon sang arroser mes lauriers. Les voilĂ , mes forfaits ! Quels sont donc ces pygmĂ©es Qui prĂ©parent des fers Ă  mes mains dĂ©sarmĂ©es ? Étrangers sans vertus, vil ramas de brigands, Citoyens nĂ©s d’hier, vendus aux plus offrants. Et, de ces fils nouveaux follement idolĂątre, Rome les traite en mĂšre, et me traite en marĂątre ! Non, de ma gloire ainsi je ne descendrai pas ; Non. L’honneur ou la mort ! Et vous, braves soldats, Compagnons de CĂ©sar, notre cause est commune, De nos communs succĂšs on punit ma fortune ; Je n’ai pas vaincu seul
 Puisqu’un choix sans pudeur Couronne la bassesse et flĂ©trit la valeur, Le sort en est jetĂ© que le glaive en dĂ©cide ; Marchons ! fort de vos bras, CĂ©sar est un Alcide. — A peine il a parlĂ© ; trois fois, prĂ©sage heureux ! Sur son front se balance un aigle audacieux ; Des bois muets trois fois l’ombre antique murmure, Trois fois un feu lĂ©ger sillonne leur verdure. Tu vis croĂźtre, ĂŽ Soleil[4] ! ton disque Ă©tincelant, Et dans les cieux ton char rayonna plus brillant. CHAPITRE CXXIII. Tout s’ébranle, tout part ; bien mieux que les prĂ©sages. L’exemple du hĂ©ros enflamme les courages. Le roc, d’abord docile, aux bataillons pressĂ©s Laisse gravir ses lianes de frimas hĂ©rissĂ©s ; Mais sous le poids bientĂŽt, fumantes et fendues, Et la neige et la glace, eu torrents Ă©pandues, Tombent du haut des monts armes, coursiers, soldats, L’un sur l’autre entassĂ©s, roulent avec fracas ; Puis tout Ă  coup, fixant sa course interrompue, L’onde, en blocs de cristal, s’arrĂȘte suspendue, Et, rebelle Ă  l’effort de l’acier qui la fend, SĂšme encor de pĂ©rils un passage glissant. Éole dans les airs a dĂ©ployĂ© sa rage Il mugit ; et soudain, dĂ©chirant le nuage, Fondent sur les Romains, qu’en vain cache le fer, Et la grĂȘle et la pluie, et la foudre, et l’éclair Ses feux sillonnent seuls la nuit de la tempĂȘte. Le roc fuit sous leurs pieds, ou menace leur tĂȘte, Et ce conflit des cieux, de la terre et des eaux, Fait craindre Ă  l’univers le retour du chaos. Jule est calme. Debout, appuyĂ© sur sa lance, A travers les Ă©cueils, d’un pas ferme il s’élance. Tel jadis du Caucase Hercule descendit ; Tel, tremblant sous tes pas, l’Olympe s’aplanit, Roi des dieux, quand sa cime, aux Ă©clats du tonnerre, Vit les GĂ©ants vaincus mordre enfin la poussiĂšre. Cependant, du hĂ©ros devançant les exploits, Dans son rapide vol, la dĂ©esse aux cent voix Jusqu’aux remparts de Mars a semĂ© l’épouvante. Sous la rame elle a vu l’onde au loin blanchissante. DĂ©jĂ  paraĂźt CĂ©sar. Teint du sang des Germains[1], Terrible, il marche, il touche aux portes des Romains. » Elle dit ; Rome en pleurs, dans ses murs au pillage, Croit voir courir la flamme et fumer le carnage. Quel parti prendre ? oĂč fuir en ces moments affreux ? L’un poursuit sur les flots un asile douteux ; L’autre implore l’abri d’une terre lointaine. L’avare, chargĂ© d’or, chancelant, hors d’haleine, Porte, sans le savoir, ses trĂ©sors au vainqueur. Le pĂ©ril du guerrier ranime la valeur Il veut tenter encor la fortune des armes. Relie de son dĂ©sordre autant que de ses charmes, L’épouse de la veille embrasse son Ă©poux. Contemplez cet enfant le regard triste et doux, Il caresse le sein de sa mĂšre Ă©plorĂ©e La douleur par l’amour est du moins tempĂ©rĂ©e. Plus loin, cet autre ÉnĂ©e, au toit de ses aĂŻeux, Arrache en soupirant et son pĂšre et ses dieux ; Et du ciel, dans ses vƓux, vaine et faible, dĂ©fense ! Contre CĂ©sar absent invoque la vengeance. Ainsi quand l’ouragan, dĂ©chaĂźnĂ© sur les flots, Bat les flancs d’un navire, en vain les matelots Ont recours Ă  leur art. Au plus prochain rivage L’un cherche un port tranquille, Ă  l’abri de l’orage ; L’autre assure ses mĂąts ; l’autre, bravant la mort, Livre la voile au vent, et s’abandonne au sort. Et toi, PompĂ©e ! et toi, l’effroi de Mithridate, La terreur de l’Hydaspe et recueil du pirate ; Toi devant qui l’Euxin humilia ses flots, Dont le Bosphore Ă©mu craint encor les vaisseaux, Dont Rome a vu trois fois la pompe triomphale ; 0 honte ! Ă  fuir ainsi ta fiertĂ© se ravale ! Et, flĂ©trissant l’honneur d’un triple consulat, Tu livres au vainqueur le peuple et le sĂ©nat. CHAPITRE CXXIV. Le grand PompĂ©e a fui[1]... Tremblants Ă  son exemple, Les dieux amis du calme ont dĂ©sertĂ© leur temple ; Et, dĂ©testant de Mars les tragiques horreurs, Ils abandonnent Rome Ă  ses propres fureurs. Le front ceint d’un cyprĂšs, errante, mĂ©prisĂ©e[2], La douce Paix s’envole au tranquille ÉlysĂ©e ; La Justice et la Foi la suivent l’Ɠil en pleurs, Et la Concorde en deuil accompagne ses sƓurs. Soudain l’ÉrĂšbe s’ouvre, et sa bouche bĂ©ante Vomit tous les flĂ©aux la Guerre menaçante, Érinnys, Alecton, le Meurtre sans remord, La noire Trahison, la Mort, la pĂąle Mort, Et la Terreur, que suit l’impitoyable Rage ; Son front cicatrisĂ© respire le carnage D’un vaste bouclier, chargĂ© de mille traits, Sa gauche, sans flĂ©chir, soutient l’énorme faix ; Et le brandon fumant dont sa droite est armĂ©e Apporte l’incendie Ă  la terre alarmĂ©e. Deux mortels dans l’Olympe ont divisĂ© les dieux En faveur de CĂ©sar, VĂ©nus quitte les cieux ; Mars a saisi son glaive et Pallas son Ă©gide. Contre Jule Apollon tend son arc homicide ; PhƓbĂ©, Mercure, Hercule, entraĂźnĂ©s tour Ă  tour, S’unissent, pour PompĂ©e, au brillant roi du jour. La trompette a sonnĂ© soudain, impatiente, Les cheveux hĂ©rissĂ©s et la bouche Ă©cumante, La Discorde rugit. Á son souffle empestĂ© PĂąlit l’éclat des cieux ; l’air en est infectĂ©. Son Ɠil louche et meurtri cherche et fuit la lumiĂšre Sur sa tĂȘte se dresse une horrible vipĂšre ; Un tartre impur et noir ronge ses dents d’airain ; De sa langue distille un fĂ©tide venin ; Sa robe est en lambeaux ; et sa main menaçante Agite dans les airs une torche sanglante. Sur le froid Apennin le monstre s’est assis. DĂ©jĂ  dans sa pensĂ©e, entourĂ© de dĂ©bris, Il compte les États qui vont ĂȘtre sa proie Il les compte et sourit. Dans sa barbare joie — Aux armes ! a-t-il dit ; aux armes ! levez-vous, Peuples, enfants, vieillards, femmes, accourez tous ! Qui se cache est vaincu. Que le fer, que la flamme DĂ©vorent les citĂ©s que ma fureur rĂ©clame ! Vole, fier Marcellus, dĂ©fends la libertĂ©[3] ! SoulĂšve, ĂŽ Curion, le peuple rĂ©voltĂ©[4] ! Lentulus, aux combats anime tes cohortes ! Que tardes-tu, CĂ©sar ? ose enfoncer ces portes ! Pour s’écrouler, ces murs attendent tes regards L’or de Rome t’appelle[5]. Et toi, rival de Mars, Invincible PompĂ©e ! oĂč donc est ton courage ? Viens ! Bellone Ă  Pharsale apprĂȘte le carnage LĂ , du sang des humains doit s’abreuver un dieu. — La Discorde a parlĂ© l’univers est en feu. Eumolpe, dans ces vers, avait ainsi Ă©panchĂ© sa bile Ă  grands flots, lorsque nous entrĂąmes enfin dans Crotone, oĂč nous nous arrĂȘtĂąmes, pour nous restaurer, dans une assez mĂ©chante auberge. Le lendemain, Ă©tant sortis pour chercher un meilleur gĂźte, nous rencontrĂąmes une bande de ces coureurs de successions, qui nous demandĂšrent qui nous Ă©tions et d’oĂč nous venions. ConformĂ©ment au plan que nous avions arrĂȘtĂ© en commun, nous rĂ©pondĂźmes Ă  cette double question avec tant d’assurance et une telle volubilitĂ© de paroles, qu’ils donnĂšrent tĂȘte baissĂ©e dans le panneau. Ils s’empressĂšrent donc Ă  l’envi d’offrir leurs richesses Ă  Eumolpe ; et tous, Ă  qui mieux mieux, cherchĂšrent Ă  obtenir ses bonnes grĂąces en le comblant de prĂ©sents. CHAPITRE CXXV. Il y avait dĂ©jĂ  longtemps que nous vivions ainsi Ă  Crotone, et Eumolpe, enivrĂ© de son bonheur, oubliait tellement sa premiĂšre condition, qu’il se vantait Ă  ceux qui l’entouraient, que rien dans Crotone n’était impossible Ă  son crĂ©dit ; et que, si l’un d’entre eux commettait quelque dĂ©lit dans la ville, il pourrait le soustraire au chĂątiment par la protection de ses amis. Pour moi, bien que j’engraissasse Ă  vue d’Ɠil au sein de l’abondance dont nous jouissions, et que j’eusse lieu de croire que la fortune se lassait de me poursuivre, je ne laissais pas de rĂ©flĂ©chir souvent tant Ă  ma position prĂ©sente qu’à la cause qui l’avait produite. Que deviendrions-nous, me disais-je, si un de ces rusĂ©s intrigants s’avisait d’envoyer prendre des informations en Afrique, et dĂ©couvrait notre fourberie ? si le valet d’Eumolpe, las de son bonheur prĂ©sent, allait donner l’éveil Ă  nos amis, et, par jalousie, leur rĂ©vĂ©lait tout le mystĂšre ? Il nous faudrait donc de nouveau, errants et fugitifs, aprĂšs avoir triomphĂ© de la pauvretĂ©, mendier pour soutenir notre existence ! Grands dieux ! Ă  combien de dangers sont exposĂ©s ceux qui vivent en dehors des lois[1] ? Ils craignent sans cesse les chĂątiments qu’ils ont mĂ©ritĂ©s. Tout en faisant ces tristes rĂ©flexions, je sortis de la maison pour prendre l’air et pour me distraire l’esprit. Mais Ă  peine avais-je fait quelques pas sur la promenade publique, qu’une jeune fille d’un extĂ©rieur agrĂ©able vint Ă  ma rencontre, et, me saluant du nom supposĂ© de Polyaenos, que j’avais pris depuis ma mĂ©tamorphose, m’annonça que sa maĂźtresse me priait de lui accorder un moment d’entretien. — Vous vous trompez, lui rĂ©pondis-je tout troublĂ©, je ne suis qu’un esclave Ă©tranger, tout Ă  fait indigne d’une telle faveur. CHAPITRE CXXVI. Non, reprit-elle, c’est bien vous que l’on m’a dĂ©signĂ©. Mais, fier de votre beautĂ© dont vous savez le prix, vous vendez vos caresses et ne les prĂȘtez pas[1]. Pourquoi vos cheveux sont-ils si artistement bouclĂ©s ? pourquoi votre visage emprunte-t-il au fard son Ă©clat[2] ? Ă  quoi bon ces Ɠillades tendres et lascives[3], cette dĂ©marche compassĂ©e et ces pas qui ne s’écartent jamais de la mĂȘme mesure[4], si ce n’est pour mettre votre beautĂ© Ă  l’enchĂšre et en faire commerce ? Regardez-moi bien je n’entends rien aux augures ni aux calculs astronomiques ; mais je lis sur le visage d’un homme ses habitudes, et, en vous voyant marcher ainsi, j’ai devinĂ© ce que vous aviez dans l’ñme. Si donc vous vendez la denrĂ©e que nous cherchons, l’acheteur est tout prĂȘt ; si vous la prĂȘtez, ce qui est plus honnĂȘte, consentez Ă  ce que nous vous soyons redevables de nos plaisirs. Quant Ă  votre humble condition d’esclave que vous m’objectez, elle ne peut qu’aiguillonner encore plus la vivacitĂ© de nos dĂ©sirs. Il est des femmes qu’enflamme l’odeur des haillons ; rien n’excite leur passion comme la vue d’un esclave ou d’un valet de pied Ă  la robe retroussĂ©e ; d’autres, dont un gladiateur, un muletier couvert de poussiĂšre, ou un histrion prostituĂ© aux plaisirs du public, allument l’appĂ©tit. Ma maĂźtresse est de ce goĂ»t elle franchirait quatorze gradins au delĂ  de l’orchestre, pour aller chercher l’objet de ses dĂ©sirs dans les derniers rangs de la populace. — CharmĂ© du gracieux babil de l’aimable messagĂšre — Et ne seriez-vous pas, lui dis-je, celle Ă  qui j’ai le bonheur de plaire ? — Cette mauvaise plaisanterie la fit rire aux Ă©clats — Pas tant de prĂ©somption, je vous prie ; apprenez que je ne me suis jamais livrĂ©e Ă  un esclave me prĂ©servent les dieux de voir l’objet de mes affections exposĂ© Ă  ĂȘtre mis en croix ! C’est bon pour les femmes de condition qui baisent les cicatrices que le fouet a creusĂ©es sur les Ă©paules de leurs amants. Je ne suis qu’une servante ; mais je ne fraye qu’avec des chevaliers[5]. — Je ne pouvais me lasser d’admirer le contraste qui existait entre ces deux femmes n’est-ce pas le monde renversĂ©, me disais-je, que de trouver dans une servante la fiertĂ© d’une dame de premier rang, et dans une dame de qualitĂ© les goĂ»ts abjects d’une servante ? Cet entretien plaisant se prolongea longtemps ; enfin je priai cette fille d’amener sa maĂźtresse sous les platanes voisins. Elle approuva cet avis, et, relevant sa robe, elle disparut dans un bosquet de lauriers qui joignait la promenade. Elle ne me fit pas longtemps attendre, et sortit bientĂŽt de ce mystĂ©rieux asile avec sa maĂźtresse, qui vint s’asseoir Ă  cĂŽtĂ© de moi. Jamais la sculpture ne produisit rien de plus parfait les paroles me manquent pour faire la description de tant de charmes, et tout ce que j’en pourrais dire serait trop peu. Ses cheveux, naturellement frisĂ©s et relevĂ©s sur un front Ă©troit[6], retombaient en boucles innombrables sur ses Ă©paules ; ses sourcils fuyaient en arc jusqu’à ses tempes, et se croisaient presque ; le tout avec une grĂące infinie. Ses yeux Ă©taient plus brillants que les Ă©toiles dans une nuit obscure ; son nez Ă©tait lĂ©gĂšrement recourbĂ©, et sa bouche mignonne ressemblait Ă  celle que PraxitĂšle donnait Ă  sa VĂ©nus. Puis son gracieux menton, son cou, ses mains, ses pieds, emprisonnĂ©s dans un mince rĂ©seau d’or, tout cela eĂ»t effacĂ© par sa blancheur le marbre de Paros. Oh ! dĂšs lors, Doris, mes anciennes amours, ne fut plus rien pour moi Qu’as-tu fait de ta foudre, ĂŽ souverain des cieux ?___PrĂšs de Junon, lĂ -haut tu te reposes ___Ton sot amour est la fable des dieux. As-tu donc oubliĂ© tant de mĂ©tamorphoses ?___C’est maintenant qu’il faut, galant taureau,___Armer ton front de cornes menaçantes ; Ou bien, cygne amoureux, d’un plumage nouveau Couvrir de tes cheveux les boucles belle fut ta DanaĂ©. Touche de ce beau corps les formes bondissantes, Et soudain, de dĂ©sirs et d’amour consumĂ©, Le tien Ă©prouvera le sort de SĂ©mĂ©lĂ©. CHAPITRE CXXVII. Cette apostrophe me valut un sourire si aimable, que je crus voir Diane montrant son disque argentĂ© Ă  travers un nuage[1]. BientĂŽt accompagnant sa voix d’un geste gracieux[2] — Jeune homme, me dit-elle, si vous ne dĂ©daignez pas une femme de quelque distinction, et qui, il y a un an, Ă©tait encore vierge[3], acceptez-moi pour votre sƓur. Vous avez un frĂšre, je le sais, et je ne rougis point des informations que j’ai prises Ă  cet Ă©gard ; mais qui vous empĂȘche d’avoir aussi une sƓur ? c’est Ă  ce titre que je me prĂ©sente, et vous pourrez, quand il vous plaira, sceller par un baiser les liens de notre parentĂ©. — C’est plutĂŽt moi, lui rĂ©pondis-je, qui vous conjure par vos divins attraits de vouloir bien admettre un pauvre Ă©tranger au nombre de vos adorateurs. Permettez-moi de vous aimer, et je voue Ă  vos appas un culte religieux ; mais gardez-vous de croire que je me prĂ©sente sans offrande Ă  votre autel je vous abandonne ce frĂšre dont vous me parlez. — Qui, moi, rĂ©pliqua-t-elle, exiger de vous le sacrifice de celui sans qui vous ne pouvez vivre, dont les caresses font tout votre bonheur, et pour qui vous avez tout l’amour que je voudrais vous inspirer ? — Elle prononça ces paroles avec tant de charme, sa voix Ă©tait si douce, que je crus entendre le concert des SirĂšnes[4]. J’étais en extase, et, croyant voir rayonner autour d’elle une clartĂ© plus brillante que celle des cieux, je la pris pour une dĂ©esse, et lui demandai quel Ă©tait son nom dans l’Olympe. — Eh quoi ! me dit-elle, ma suivante ne vous a-t-elle pas dit que je m’appelais CircĂ© ? Toutefois, je ne suis pas la fille du Soleil, et jamais ma mĂšre n’eut le pouvoir d’arrĂȘter Ă  sa volontĂ© l’astre du jour ; cependant je me croirais Ă©gale aux dieux, si les destins nous unissaient l’un Ă  l’autre. Oui, je ne puis mĂ©connaĂźtre dans tout ceci l’influence secrĂšte d’une divinitĂ© favorable ; et ce n’est pas sans motif qu’une nouvelle CircĂ© aime un autre PolyƓnos toujours une tendre sympathie unit ces deux noms. Venez sur mon sein, si vous m’aimez, et ne redoutez pas les regards indiscrets votre frĂšre est loin d’ici. — Elle dit, et, m’enlaçant dans ses bras plus doux que le duvet, elle m’entraĂźna sur un gazon Ă©maillĂ© de mille fleurs Tel qu’autrefois l’Ida de fleurs couvrit sa cime, Quand Jupiter, brĂ»lant d’un amour lĂ©gitime, Dans les bras de Junon oubliait l’univers ; Les roses du printemps, les myrtes toujours verts, Les lis encor baignĂ©s des larmes de l’aurore, Autour des deux Ă©poux s’empressĂšrent d’éclore Telle, et non moins propice Ă  nos bridants dĂ©sirs, La terre se couvrit d’une herbe plus Ă©paisse, Le jour brilla plus pur, et, par son allĂ©gresse, La nature sembla sourire Ă  nos plaisirs. Étendus sur le gazon, nous prĂ©ludions par mille baisers Ă  des jouissances plus solides ; mais, trahi par une faiblesse subite, je trompai l’attente de CircĂ©. CHAPITRE CXXVIII. Eh quoi ! s’écria-t-elle, indignĂ©e de cet affront, mes caresses sont-elles pour vous un objet de dĂ©goĂ»t ? mon haleine, aigrie par le jeĂ»ne, est-elle fĂ©tide[1], ou quelque nĂ©gligence de toilette offense-t-elle en moi votre odorat[2] ? ou plutĂŽt ne dois-je pas attribuer votre Ă©tat Ă  la crainte que Giton vous inspire ? — La rougeur me couvrait le visage, et la honte acheva de m’îter le peu de forces qui me restait j’étais comme un homme perclus de tous ses membres. — O ma reine, m’écriai-je, je vous en supplie, n’accablez pas un malheureux en butte Ă  quelque malĂ©fice ! — Une excuse si frivole ne pouvait calmer la colĂšre de CircĂ© elle jeta sur moi un coup d’Ɠil de mĂ©pris, et, se tournant vers sa suivante — Chrysis, lui dit-elle, parle-moi franchement ; suis-je donc repoussante ? suis-je mal mise ? ou quelque difformitĂ© naturelle obscurcit-elle l’éclat de ma beautĂ© ? Ne dĂ©guise rien Ă  ta maĂźtresse ; car j’ignore quel dĂ©faut l’on peut me reprocher. — Voyant que Chrysis se taisait, elle lui arrache un miroir qu’elle tenait[3] ; elle le promĂšne sur toutes les parties de son visage, et, secouant sa robe un peu fripĂ©e, mais non pas chiffonnĂ©e, comme de coutume, par une lutte amoureuse, elle gagna brusquement un temple voisin, consacrĂ© Ă  VĂ©nus. Pour moi, semblable Ă  un condamnĂ©, et comme Ă©pouvantĂ© d’une horrible apparition, je me demandais si les plaisirs dont je venais d’ĂȘtre privĂ© pouvaient avoir quelque chose de rĂ©el. La nuit, jouet d’un doux mensonge, Dans un jardin qu’il bĂȘche en songe, L’indigent dĂ©couvre un trĂ©sor. Muet de surprise et de joie, Il tourne et retourne sa proie, L’emporte, fuit et court encor. Mais dans sa fuite un rien l’ombrage Si le volĂ©, sur son passage, Allait dĂ©trousser le voleur ! Le pauvre diable, Ă  cette image, Se trouble ; une froide sueur Sillonne Ă  longs flots son visage. Il se rĂ©veille au mĂȘme instant DĂ©trompĂ© d’une erreur trop chĂšre, Notre CrĂ©sus imaginaire, LĂ©ger de soucis et d’argent, MalgrĂ© lui regarde en arriĂšre, Et caresse encor la chimĂšre Qui fit sa joie et son tourment. Tout concourait Ă  me faire croire que ma triste aventure n’était qu’un songe, une vĂ©ritable hallucination ; cependant ma faiblesse Ă©tait si grande, qu’il me fut longtemps impossible de me lever. Mais, Ă  mesure que l’accablement de mon esprit se dissipa, la force me revint peu Ă  peu, et je pus enfin retourner au logis. DĂšs que j’y fus, prĂ©textant une indisposition, je me jetai sur mon lit. BientĂŽt aprĂšs, Giton, qui avait appris que j’étais malade, entra fort triste dans ma chambre. Pour calmer ses inquiĂ©tudes, je lui assurai que je ne m’étais mis au lit que pour prendre un peu de repos dont j’avais besoin. Je lui fis Ă  ce sujet mille contes en l’air ; mais de ma mĂ©saventure, pas un mot, car je craignais fort sa jalousie. Bien plus, pour dissiper tout soupçon Ă  cet Ă©gard, je le fis coucher auprĂšs de moi, et j’essayai de lui donner des preuves de mon amour. Mais, voyant que toutes mes tentatives, tous mes efforts Ă©taient inutiles, il se leva furieux et me reprocha cette infirmitĂ©, qui, selon lui, provenait du refroidissement de ma tendresse. Il ajouta que, depuis longtemps, il avait acquis la certitude que je portais ailleurs mes feux et mes hommages. — Que dis-tu, frĂšre ? m’écriais-je ; mon amour pour toi est toujours le mĂȘme ; mais la raison, croissant avec l’ñge, modĂšre ma passion et mes transports. — En ce cas, rĂ©pliqua-t-il d’un ton railleur, j’ai de grands remercĂźments Ă  vous faire ! vous m’aimez Ă  la maniĂšre de Socrate jamais Alcibiade ne sortit plus pur du lit de son maĂźtre[4]. CHAPITRE CXXIX. Ce fut en vain que j’ajoutai — Crois-moi, frĂšre, je ne me reconnais plus ; je n’ai plus d’un homme que le nom elle est morte cette partie de moi-mĂȘme qui naguĂšre faisait de moi un Achille. — Convaincu de mon impuissance, et craignant que, s’il Ă©tait surpris en tĂȘte Ă  tĂȘte avec moi, cela ne donnĂąt, sans motif, carriĂšre Ă  la mĂ©disance, Giton s’arracha de mes bras et s’enfuit dans l’intĂ©rieur de la maison. Á peine Ă©tait-il sorti de ma chambre, que Chrysis y entra, et me remit, de la part de sa maĂźtresse, une lettre ainsi conçue CIRCÉ À POLYAENOS, SALUT. Si j’étais une dĂ©vergondĂ©e, je me plaindrais d’avoir Ă©tĂ© déçue ; mais, au contraire, je rends grĂące Ă  votre impuissance elle a prolongĂ© pour moi l’illusion du plaisir. Mais qu’ĂȘtes-vous devenu, je vous prie ? vos jambes ont-elles pu vous porter jusque chez vous ? car les mĂ©decins assurent qu’il faut des nerfs pour marcher. Jeune homme, prenez-y garde ! vous ĂȘtes menacĂ© de paralysie ; et jamais malade ne me parut eu plus grand danger. Certes, vous ĂȘtes Ă  moitiĂ© mort. Si le mĂȘme froid vient Ă  gagner vos genoux et vos mains, faites au plus tĂŽt les apprĂȘts de vos funĂ©railles[1]. Mais qu’importe ? quoique vous m’ayez fait un sanglant affront, j’ai pitiĂ© de votre misĂšre, et je consens Ă  vous indiquer un remĂšde Ă  votre mal. Si vous voulez recouvrer la santĂ©, sevrez-vous de Giton ; trois nuits passĂ©es sans lui vous rendront toutes vos forces. Quant Ă  moi, je ne crains pas de manquer d’amants ; mon miroir et ma rĂ©putation me rassurent Ă  cet Ă©gard. Adieu, tĂąchez de vous rĂ©tablir, si c’est possible. DĂšs que Chrysis vit que j’avais lu en entier cette mordante satire — Votre aventure, me dit-elle, n’a rien d’extraordinaire, surtout dans cette ville oĂč il y a des sorciĂšres capables de faire descendre la lune du haut des cieux. Votre mal n’est donc pas sans remĂšde. TĂąchez seulement de faire une rĂ©ponse Ă  ma maĂźtresse ; et regagnez ses bonnes grĂąces par un aveu sincĂšre de vos torts. Car, depuis qu’elle a reçu cet affront, elle ne se possĂšde plus. — Je suivis de grand cƓur ce conseil, et je fis sur les mĂȘmes tablettes une rĂ©ponse en ces termes CHAPITRE CXXX. POLYÆNOS À CIRCÉ, SALUT. Je l’avouerai, madame, j’ai fait bien des fautes en ma vie ; car je suis homme, et jeune encore cependant, jusqu’à ce jour, je n’avais commis aucun forfait digne de la peine capitale. Je vous livre un coupable qui confesse volontairement son crime ; et, quel que soit le chĂątiment auquel vous me condamniez, je l’ai mĂ©ritĂ©. Je suis un traĂźtre, un parricide, un sacrilĂšge inventez des supplices nouveaux pour de si grands attentats. Voulez-vous ma mort ? je cours vous offrir mon Ă©pĂ©e ou, si votre indulgence se borne Ă  me condamner au fouet, j’irai nu m’offrir Ă  vos coups. Souvenez-vous seulement que ma volontĂ© n’eut aucune part Ă  cette offense, et que la nature seule fut coupable. Soldat plein d’ardeur, je n’ai pu retrouver mes armes au moment du combat. Qui me les a dĂ©robĂ©es ? je l’ignore. Peut-ĂȘtre mon imagination trop active a devancĂ© l’action de mes organes ; peut-ĂȘtre, trop empressĂ© de jouir de tant d’appas, j’ai tari dans mes veines les sources de la voluptĂ©. Je cherche en vain quelle est la cause de mon impuissance. Cependant, je dois, dites-vous, craindre la paralysie ; ah ! peut-il en ĂȘtre une plus complĂšte que celle qui m’a privĂ© du bonheur de vous possĂ©der ? Au reste, voici ma meilleure et derniĂšre excuse permettez-moi de rĂ©parer ma faute, et j’ose me flatter que vous serez satisfaite. Adieu. — DĂšs que j’eus congĂ©diĂ© Chrysis avec ces belles promesses, je songeai sĂ©rieusement aux remĂšdes qui pouvaient rendre la vigueur Ă  la partie malade. Je remis le bain Ă  un autre jour, et je me bornai cette fois Ă  quelques frictions lĂ©gĂšres. Je pris une nourriture plus stimulante, telle que les Ă©chalotes et les huĂźtres crues[1] ; je bus aussi du vin, mais en petite quantitĂ©[2]. Puis, prĂ©parĂ© au sommeil par une courte promenade, je me mis au lit sans Giton. J’avais un si grand dĂ©sir de faire ma paix avec CircĂ©, que je craignais jusqu’au moindre contact de mon ami. CHAPITRE CXXXI. Le lendemain, m’étant levĂ© parfaitement sain de corps et d’esprit, je me rendis au mĂȘme bois de platanes je n’y entrai qu’en tremblant il m’avait Ă©tĂ© si funeste ! et j’attendis sous les arbres que Chrysis vĂźnt me conduire auprĂšs de sa maĂźtresse. AprĂšs m’ĂȘtre promenĂ© quelque temps, je venais de m’asseoir au mĂȘme endroit que la veille, lorsque je la vis venir, accompagnĂ©e d’une petite vieille. — Eh bien, me dit-elle en me saluant, dĂ©goĂ»tĂ© personnage, commencez-vous Ă  ĂȘtre plus vaillant ? — À ces mots, la vieille tire de son sein un rĂ©seau formĂ© de fils de diffĂ©rentes couleurs, l’attache autour de mon cou. Ensuite, pĂ©trissant de la poussiĂšre avec sa salive, elle prend ce mĂ©lange avec le doigt du milieu[1], et m’en signe le front malgrĂ© ma rĂ©pugnance Si l’on te compte encore au nombre des vivants,_____Mortel, conserve l’espĂ©rance Et toi, dieu des jardins et des exploits galants, O Priape ! aide-nous de toute ta puissance. AprĂšs cette invocation, la magicienne m’ordonna de cracher trois fois[2], et de jeter par trois fois dans ma robe de petits cailloux constellĂ©s qu’elle avait enveloppĂ©s dans des bandes de pourpre. Alors elle porta la main sur la partie malade, pour s’assurer du retour de mes forces. Jamais charme n’opĂ©ra plus promptement le coupable redressa la tĂȘte et repoussa la main de la vieille, stupĂ©faite de l’énormitĂ© du prodige. TransportĂ©e de joie Ă  cet aspect — Voyez, Chrysis, s’écria-t-elle, quel liĂšvre je viens de lever pour d’autres que pour moi[3] ! — La cure Ă©tait complĂšte, et l’opĂ©ratrice me remit Ă  Chrysis, qui parut ravie de rendre Ă  sa maĂźtresse le trĂ©sor qu’elle avait perdu elle me conduisit donc en toute hĂąte auprĂšs d’elle, et m’introduisit dans une retraite dĂ©licieuse, oĂč la nature semblait avoir dĂ©ployĂ© tous ses trĂ©sors pour charmer la vue. LĂ , du plane touffu la cime se balance[4] ; LĂ , du pin dans les airs le front lĂ©ger s’élance ; LĂ , le cyprĂšs tremblant, dĂ©fiant les hivers, Au laurier balsamique unit ses rameaux verts ; LĂ , sur un sable d’or, sous des bosquets errante, Gazouille, en se jouant, une onde blanchissante. PhilomĂšle et PrognĂ© chĂ©rissent ce sĂ©jour, OĂč le parfum des fleurs se mĂȘle aux chants d’amour. Je trouvai CircĂ© couchĂ©e sur un lit d’or, oĂč s’appuyait son cou d’albĂątre ; sa main agitait un rameau de myrte fleuri. En me voyant, elle rougit un peu, sans doute au souvenir de l’affront de la veille ; mais, lorsqu’elle eut fait retirer toutes ses femmes, et, qu’obĂ©issant Ă  son invitation, je me fus assis auprĂšs d’elle, elle me mit devant les yeux la branche qu’elle tenait Ă  la main ; et, comme rassurĂ©e par ce rempart qui nous sĂ©parait — Eh bien, paralytique, me dit-elle, venez-vous aujourd’hui tout entier ? — Pourquoi cette question, lui rĂ©pondis-je, quand la preuve est sous votre main ? — À ces mots, je me prĂ©cipite dans ses bras, et, ne trouvant aucune rĂ©sistance, je me rassasie Ă  mon aise des baisers les plus enivrants. CHAPITRE CXXXII. La vue de tant de charmes m’excitait Ă  de plus doux plaisirs. DĂ©jĂ  du choc de nos lĂšvres s’échappaient mille baisers sonores ; dĂ©jĂ  nos mains entrelacĂ©es avaient interrogĂ© tous les organes du plaisir ; dĂ©jĂ  nos corps, unis par les plus douces Ă©treintes, allaient rĂ©aliser la fusion complĂšte de nos Ăąmes, quand tout Ă  coup, au milieu de ces dĂ©licieux prĂ©ludes de la jouissance, les forces m’abandonnent de nouveau ; et je ne puis atteindre au ternie du plaisir. ExaspĂ©rĂ©e d’un affront dĂ©sormais sans excuse, CircĂ© ne songe plus qu’à se venger elle appelle ses valets de chambre, et leur ordonne de me fustiger[1]. Mais bientĂŽt ce chĂątiment lui paraĂźt trop doux ; elle rassemble toutes ses servantes, et jusqu’à la valetaille chargĂ©e des plus vils emplois, et me livre aux insultes de cette canaille. Je me bornais, pour toute dĂ©fense, Ă  mettre mes mains devant mes yeux ; et, sans recourir aux priĂšres, car je sentais que j’avais mĂ©ritĂ© un pareil traitement, je me laissai jeter Ă  la porte rouĂ© de coups et couvert de crachats. La vieille ProsĂ©lĂ©nos fut aussi chassĂ©e de la maison, et Chrysis fut battue. Tous les domestiques affligĂ©s se demandaient Ă  l’oreille quelle Ă©tait la cause de la mauvaise humeur de leur maĂźtresse. Je rentrai chez moi le corps couvert de contusions et la peau plus bigarrĂ©e que celle d’une panthĂšre. Je me hĂątai de dĂ©guiser adroitement les marques des coups que j’avais reçus, de peur d’exciter, par ma triste aventure, les railleries d’Eumolpe, et de causer des chagrins Ă  Giton. J’eus donc recours au seul expĂ©dient qui pĂ»t sauver ma rĂ©putation je feignis d’ĂȘtre malade. EnfoncĂ© dans mon lit, je tournai toute ma fureur contre l’unique cause de tous mes maux[2]. Trois fois ma main saisit un fer Ă  deux tranchants ; Trois fois le fer Ă©chappe Ă  ma main dĂ©faillante Tel qu’un roseau, pliant sur sa tige mouvante, S’incline Vers la terre au grĂ© des moindres vents ; Tel, et plus humble encor, l’auteur de ma disgrĂące. Le front baissĂ©, plus froid que la plus froide glace, Se dĂ©robant aux coups de l’homicide acier, Va jusque dans mon sein se cacher tout entier. Ne pouvant le saisir dans ce dernier asile, J’exhale en vains discours ma colĂšre stĂ©rile. AppuyĂ© sur le coude, j’apostrophai en ces mots l’invisible contumax Eh bien ! que diras-tu, opprobre de la nature ! car ce serait folie de te nommer parmi les choses sĂ©rieuses. Parle, que t’ai-je fait pour me prĂ©cipiter au fond des enfers, quand je touchais Ă  l’Olympe ? que t’ai-je fait pour flĂ©trir les fleurs brillantes de mon printemps sous les glaces de la vieillesse la plus dĂ©crĂ©pite ? Qu’attends-tu donc pour me donner mon congĂ©[3] ? Ainsi s’exhalait mon courroux Mais insensible, hĂ©las ! Ă  ma douleur amĂšre, Le malheureux s’obstine Ă  regarder la terre. Ainsi penche, accablĂ© du poids de la chaleur, Le pavot languissant ou le saule pleureur. DĂšs que je pus rĂ©flĂ©chir sur l’indĂ©cence de cette invective, je me repentis de l’avoir faite, et j’éprouvai une secrĂšte confusion d’avoir oubliĂ© les lois de la pudeur, au point de m’entretenir avec cette partie de mon corps Ă  laquelle les hommes qui se respectent n’osent pas mĂȘme penser. Je me frottai longtemps le front avec dĂ©pit — AprĂšs tout, m’écriai-je, quel mal ai-je fait en soulageant ma douleur par des reproches si naturels ? Ne fait-on pas tous les jours des imprĂ©cations contre toutes les autres parties du corps humain, contre son ventre, sa bouche, sa tĂȘte, lorsqu’ils vous causent de frĂ©quentes douleurs ? Le sage Ulysse lui-mĂȘme n’a-t-il pas un dĂ©mĂȘlĂ© avec son cƓur ? Et les hĂ©ros de tragĂ©dies ne gourmandent-ils pas leurs yeux, comme s’ils pouvaient entendre leurs reproches ? Le goutteux peste contre ses pieds ou ses mains, le chassieux contre ses yeux ; et, lorsque nous nous blessons aux doigts de la main, nous nous en prenons Ă  nos pieds, en les frappant contre terre. Froids Catons ! dĂ©ridez votre front magistral ; Le plaisir, dans mon livre, il la raison s’allie D’un discours sĂ©rieux la tristesse m’ennuie. J’ai peint les mƓurs du peuple ; et mon original_____Dut respirer dans ma copie. Qui ne connaĂźt l’amour et ses transports charmants ? Qui, dans un lit bien chaud, ne chĂ©rit la paresse ? Croyons-en Épicure et sa haute sagesse, Quand il nous peint les dieux livrĂ©s il nos penchants,_____Et, comme nous, bercĂ©s par la mollesse. Rien n’est plus absurde que de sots prĂ©jugĂ©s, rien n’est plus ridicule qu’une sĂ©vĂ©ritĂ© hypocrite. CHAPITRE CXXXIII. AprĂšs ces rĂ©flexions, j’appelai Giton, et je lui dis — Raconte-moi, mon ami, mais bien franchement, quelle fut Ă  ton Ă©gard la conduite d’Ascylte, dans cette nuit oĂč il te ravit Ă  mon amour. N’a-t-il point poussĂ© l’outrage jusqu’aux derniers excĂšs, ou s’est-il bornĂ© Ă  passer chastement la nuit dans une continence absolue ? — L’aimable enfant, portant la main Ă  ses yeux, jura en termes formels qu’Ascylte ne lui avait fait aucune violence. J’étais si accablĂ© des Ă©vĂ©nements de la journĂ©e, que je n’avais pas la tĂȘte Ă  moi, et que je ne savais ce que je disais. Á quel propos, par exemple, allais-je chercher dans le passĂ© de nouveaux sujets d’affliction ? Enfin, devenu plus raisonnable, je ne nĂ©gligeai rien pour rĂ©tablir mes forces. Je voulus mĂȘme me vouer aux dieux je sortis, en effet, pour aller invoquer Priape ; et, Ă  tout Ă©vĂ©nement, feignant sur mon visage un espoir que je n’avais guĂšre, je m’agenouillai sur le seuil de son temple, et lui adressai cette priĂšre Fils de Bacchus et de VĂ©nus la belle, FolĂątre dieu des jardins et des bois, Si MitylĂšne Ă  ton culte est fidĂšle, Et si le Tmole, oĂč l’aurore Ă©tincelle, T’élĂšve un temple et reconnaĂźt tes lois, Priape ! entends ma dĂ©vote priĂšre ! Je ne viens point, souillĂ© du sang d’un pĂšre, Ou des autels sacrilĂšge agresseur, T’offrir l’aspect d’un front profanateur. PrĂšs d’immoler mon heureuse victime, Tout mon courage Ă  l’instant s’est glacĂ©, Et dans mes mains le poignard Ă©moussĂ© Ne consomma que la moitiĂ© du crime. Je fus coupable, hĂ©las ! bien malgrĂ© moi ! Si j’ai pĂ©chĂ©, c’était par impuissance. Accorde-moi, pour rĂ©parer l’offense, Ces dons heureux qu’on voit briller en toi. Ah ! du plaisir si l’heure m’est rendue, Je veux qu’un bouc, l’orgueil de mon troupeau, En ton honneur tombe sous le couteau. La coupe en main, aux pieds de ta statue, Je veux trois fois rĂ©pandre un vin nouveau ; Et cependant une aimable jeunesse, Ivre de joie, et de vin, et d’amour, Dans les transports d’une vive allĂ©gresse, De tes autels fera trois fois le tour. Tandis que je faisais cette invocation, sans quitter de l’Ɠil la partie dĂ©funte, entra la vieille ProsĂ©lĂ©nos, les cheveux en dĂ©sordre, et vĂȘtue d’une robe noire qui la rendait hideuse. Elle me prit par le bras et m’entraĂźna, tout tremblant, hors du portique. CHAPITRE CXXXIV. Quels vampires, me dit-elle, ont rongĂ© tes nerfs ? aurais-tu, en passant lĂ  nuit dans un carrefour, mis le pied sur quelque ordure[1] ou sur un cadavre[2] ? Je sais que tu n’as pas pu en venir Ă  ton honneur, mĂȘme avec Giton ; et que mou, languissant, haletant comme un vieux cheval sur le penchant d’un coteau, tu t’es Ă©puisĂ© en efforts inutiles. Que dis-je ? non content de te rendre coupable, tu as attirĂ© sur moi la colĂšre des dieux ; et tu crois que je n’en tirerai pas vengeance ! — LĂ -dessus elle m’entraĂźne dans la cellule de la prĂȘtresse, sans que j’oppose aucune rĂ©sistance, me pousse sur le lit, prend un bĂąton derriĂšre la porte, et m’en frappe Ă  tour de bras. Je n’osais pas profĂ©rer une seule parole, et, si le bĂąton, en se rompant au premier coup, n’eĂ»t ralenti l’élan de sa fureur, elle m’aurait, je crois, brisĂ© les bras et la tĂȘte. Je ne pus cependant retenir mes gĂ©missements, lorsque sa main dĂ©charnĂ©e voulut rĂ©veiller en moi la nature engourdie ; versant alors un torrent de larmes, je me renversai sur l’oreiller, et je cachai ma tĂȘte sous mon bras droit. La vieille, de son cĂŽtĂ©, s’assit sur le pied du lit, et se mit Ă  pleurer Ă  chaudes larmes, accusant d’une voix tremblante le destin de prolonger son inutile existence. AttirĂ©e par nos cris, survint la prĂȘtresse — Que venez-vous faire ici ? nous dit-elle ; croyez-vous ĂȘtre ici devant un bĂ»cher ? et cela dans un jour de fĂȘte, oĂč les plus affligĂ©s doivent s’égayer ! — O ƒnothĂ©e ! lui rĂ©pondit la vieille, ce jeune homme que vous voyez est nĂ© sous un mauvaise Ă©toile ni filles ni garçons ne peuvent tirer parti de sa marchandise. Jamais vieillard plus impotent ne s’offrit Ă  vos yeux. Ce n’est pas un homme, c’est un morceau de cuir dĂ©trempĂ© dans l’eau[3]. En un mot, que pensez-vous d’un galant qui sort du lit de CircĂ© sans avoir pu goĂ»ter aucun plaisir ? — À ces mots, ƒnothĂ©e vint s’asseoir entre nous deux, et, branlant la tĂȘte d’un air capable — Il n’y a que moi, dit-elle qui sache guĂ©rir ces sortes d’infirmitĂ©s. Et ne croyez pas que je me vante mal Ă  propos que ce jeune homme couche seulement une nuit avec moi, et je vous le rends plus dur qu’une corne. L’univers m’obĂ©it. Je parle, et la nature Se couvre d’un long deuil, ou revĂȘt sa parure ; Neptune me soumet ses flots humiliĂ©s ; Le tigre s’adoucit ; des flancs d’un roc aride_____Jaillit une source limpide ; L’Aquilon vole et gronde, ou s’endort Ă  mes pieds. Dans l’ombre de la nuit, par mes charmes vaincue, De son trĂŽne sanglant la Lune est descendue[4] ; La terre, en gouffre ouverte, a frĂ©mi de terreur, Et le char du Soleil a reculĂ© d’horreur. Qu’à la voix de MĂ©dĂ©e un dragon s’assoupisse, Et retienne les feux que soufflaient ses naseaux ; Qu’en vil troupeau CircĂ© change les Grecs d’Ulysse ; Que ProtĂ©e, Ă  son aide appelant l’artifice, Se transforme Ă  nos yeux en cent monstres nouveaux, Moi, j’étends sur les monts l’eau des mers dessĂ©chĂ©es,_____Et, du sol natal arrachĂ©es, Les forĂȘts verdiront oĂč voguaient les vaisseaux. CHAPITRE CXXXV. Je frĂ©missais d’horreur au rĂ©cit de tant de merveilles, et je regardais de tous mes yeux la vieille prĂȘtresse, lorsqu’elle s’écria — PrĂ©parez-vous Ă  m’obĂ©ir ! — Elle dit ; et, se lavant les mains avec le plus grand soin, elle se penche sur le lit et m’applique deux gros baisers. Ensuite, elle pose une vieille table au milieu de l’autel, et la couvre de charbons ardents. Une Ă©cuelle de bois, toute fendue par le temps, pendait Ă  la muraille elle l’en dĂ©tache ; mais le clou qui la supportait lui reste dans la main elle raccommode l’écuelle avec de la poix tiĂ©die, et renfonce le clou dans la muraille enfumĂ©e. Puis, ceignant ses reins d’une espĂšce de tablier carrĂ©, elle place sur le feu un grand coquemar, et dĂ©croche avec une fourche un sac suspendu dans son garde-manger, et qui, outre des fĂšves pour son usage personnel, contenait un vieux reste de bajoue de porc percĂ© de tous cĂŽtĂ©s. Elle dĂ©lie ce sac, et rĂ©pand sur la table une partie des fĂšves, qu’elle m’ordonne d’éplucher prompte-ment. J’obĂ©is, et je mets soigneusement Ă  part toutes celles dont la cosse est moisie. Mais ƒnothĂ©e, impatiente de ma len-teur, s’empare des fĂšves que j’avais mises au rebut, et, avec ses dents, les dĂ©pouille adroitement de leurs enveloppes qu’elle crache sur le plancher, drues comme mouches. La pauvretĂ© est la mĂšre de l’industrie, et l’invention de plusieurs arts doit son origine Ă  la faim. La prĂȘtresse Ă©tait un admirable modĂšle de tempĂ©rance, et tout chez elle respirait la plus stricte Ă©conomie sa demeure, en un mot, Ă©tait le vĂ©ritable sanctuaire de l’indigence. LĂ , L’ivoire incrustĂ© d’or n’éblouit point la vue ; Le pied ne foule point le marbre de Paros L’hĂŽtesse de ces lieux a pour lit de repos____Un amas de paille battue, Que sa main Ă©tendit sur un grabat d’ paniers, des pots de quelques vieux tessons de verre Encor tachĂ©s de vin, forment son torchis de chaume et d’argile Recouvre les parois de ce champĂȘtre asile, Dont le comble est tressĂ© de joncs et de roseaux. Dans le taudis fumeux on voit, aux soliveaux,____Pendre en festons le thym, la sarriette,____Les raisins secs, les cormes dĂ©jĂ  mĂ»rs. Telle fut, HĂ©calĂšs, ta paisible retraite,____Qui jadis, dans ses humbles murs, Reçut le grand ThĂ©sĂ©e ; HĂ©calĂšs, dont l’histoire____CĂ©lĂ©bra l’hospitalitĂ©,____Et dont le nom, couvert de gloire, Fut transmis par la muse Ă  la postĂ©ritĂ©[1]. CHAPITRE CXXXVI. ƒnothĂ©e, ayant achevĂ© d’éplucher les fĂšves, se met Ă  ronger un peu de la chair du crĂąne de porc ; puis, voulant replacer avec sa fourche, dans le garde-manger, cette tĂȘte aussi vieille et aussi dĂ©charnĂ©e que la sienne, elle monte, pour y atteindre, sur une chaise vermoulue qui se brise la vieille, entraĂźnĂ©e par son poids, tombe sur le foyer, casse le haut du coquemar, et Ă©teint le feu qui commençait Ă  se rallumer. Elle se brĂ»la mĂȘme le coude Ă  un tison ardent, et se couvrit le visage d’un nuage de cendre chaude. EffrayĂ©, je me lĂšve, et je la remets sur ses jambes, non, toutefois, sans rire de sa chute. Mais, craignant que le sacrifice ne fĂ»t retardĂ© par cet accident, elle courut aussitĂŽt chercher du feu chez une voisine. Elle venait de sortir, quand trois oies sacrĂ©es, qui, sans doute, recevaient au milieu du jour leur nourriture des mains de la vieille, s’élancent sur moi, et m’entourent en poussant des cris affreux, des cris de rage qui me font trembler l’une dĂ©chire ma robe ; l’autre dĂ©noue les cordons de mes sandales ; une troisiĂšme, qui semblait ĂȘtre leur chef et leur donnait l’exemple de la voracitĂ©, pousse l’audace jusqu’à me mordre la jambe de son bec aussi dur que des tenailles. Sans m’amuser Ă  la bagatelle, j’arrache un des pieds de la table, et, armĂ© de cette massue, je m’escrime de mon mieux contre la belliqueuse volatile je n’y allais pas de main morte, et, d’un coup bien assĂ©nĂ©, j’étendis mort Ă  mes pieds mon fĂ©roce agresseur. Tel le Stymphale a vu, d’un vol rapide[1],____Ses oiseaux regagner les du vaillant Alcide____Le stratagĂšme ingĂ©nieux ; Des sƓurs de CĂ©lĂ©no telle la troupe avide,____Du venin de son souffle infect,____Souillait le banquet de PhinĂ©e, Quand CalaĂŻs parut. . . . À son aspect, Les trois monstres ont fui la table empoisonnĂ©e L’air retentit au loin de leurs longs hurlements, Et l’Olympe en trembla jusqu’en ses fondements. Les deux oies, qui avaient survĂ©cu au combat, avalĂšrent toutes les fĂšves rĂ©pandues sur le plancher ; et la mort de leur chef fut sans doute le motif qui les dĂ©cida Ă  se retirer dans le temple. Pour moi, ravi tout Ă  la fois de ma victoire et du butin qu’elle me procurait, je jette l’oie morte derriĂšre le lit, et j’étuve avec du vinaigre la blessure lĂ©gĂšre qu’elle m’a faite Ă  la jambe. Puis, craignant les reproches de la vieille, je forme le projet de me sauver. En consĂ©quence, je ramasse mes hardes, et je me dirige vers l’a porte. Á peine j’en touchais le seuil, quand j’aperçois ƒnothĂ©e qui revenait au logis portant du feu sur un vieux tesson. Je battis donc en retraite, et, quittant mon manteau, je me mis sur la porte dans l’attitude d’un homme qui attend avec impatience. La prĂȘtresse pose son feu sur un tas de roseaux secs, y ajoute plusieurs morceaux de bois, et, tout en rallumant son foyer, s’excuse d’avoir tardĂ© si longtemps son amie, disait-elle, n’avait pas voulu la laisser partir avant d’avoir bu, comme de coutume, une triple rasade[2] — Et vous, ajouta-t-elle, qu’avez-vous fait pendant mon absence ? oĂč sont les fĂšves ? — Moi, qui croyais avoir fait la plus belle chose du monde, je lui racontai tous les dĂ©tails du combat ; et, pour la consoler de la perte de son oie, je lui offris de lui en acheter une autre. Á la vue de la victime, la vieille poussa des cris si Ă©pouvantables, qu’on eĂ»t cru que les trois oies rentraient dans la chambre. Étourdi de ce vacarme, et ne comprenant rien Ă  ce crime d’un nouveau genre, je demandai Ă  la vieille quelle Ă©tait la cause de son emportement, et pourquoi elle tĂ©moignait plus de chagrin de la perte de son oie que de ma blessure. CHAPITRE CXXXVII. Mais, faisant craquer ses mains — ScĂ©lĂ©rat, s’écria-t-elle, tu oses encore parler ! Ignores-tu donc l’énormitĂ© du crime que tu viens de commettre ? tu viens de tuer le favori de Priape, une oie dont toutes nos dames raffolaient[1] ! Et ne crois pas que ta faute soit une bagatelle si les magistrats en Ă©taient instruits, ils t’enverraient au gibet. Par l’effusion de ce sang, tu as profanĂ© ma demeure, pure, jusqu’à ce jour, de toute souillure. Sais-tu Ă  quoi tu m’exposes par ce sacrilĂšge ? qu’un ennemi me dĂ©nonce, et me voila chassĂ©e du sacerdoce. — Elle dit ____Et de son front, blanchi par l’ñge, Furieuse, elle arrache un reste de cheveux, De ses ongles crochus se meurtrit le visage ; Et deux ruisseaux de pleurs s’échappent de ses yeux. Tel, quand le tiĂšde Auster, au sommet des montagnes, Dissout la froide neige, un torrent orageux Roule son onde impure Ă  travers les campagnes ____Ainsi les larmes Ă  grands flots____Inondaient sa face ridĂ©e ;____Et sa poitrine soulevĂ©e____Exhalait de bruyants sanglots. ModĂ©rez vos cris, lui dis-je alors, et, pour une oie, je vous rendrai une autruche. — Tandis que je restais immobile de stupeur, la vieille, assise sur son lit, continuait Ă  gĂ©mir sur la mort de son oie. ProsĂ©lĂ©nos survint, apportant l’argent nĂ©cessaire pour les frais du sacrifice. Elle s’informa d’abord de la cause de notre tristesse ; mais, dĂšs qu’elle aperçut l’oie que j’avais tuĂ©e, elle se mit Ă  pleurer plus fort que la prĂȘtresse, et Ă  s’apitoyer sur mon sort, comme si j’eusse tuĂ© mon pĂšre, et non une oie nourrie aux dĂ©pens du public. ExcĂ©dĂ© de ces ennuyeuses lamentations — De grĂące, leur dis-je, quand bien mĂȘme je vous aurais battues, quand bien mĂȘme j’aurais commis un homicide, ne pourrais-je pas expier mon crime Ă  prix d’argent ? Eh bien, voici deux piĂšces d’or avec lesquelles vous pourrez acheter et des oies et des dieux. — A la vue de ce mĂ©tal — Pardonnez-moi, mon enfant, me dit ƒnothĂ©e ; je n’étais inquiĂšte que pour vous ; ne voyez dans tout ceci qu’une preuve de l’intĂ©rĂȘt que je vous porte, et non l’intention de vous nuire. Je vais donc faire en sorte que cette affaire ne s’ébruite pas. Pour vous, priez seulement les dieux qu’ils vous pardonnent. — Le riche ne craint point les fureurs de Neptune ; Il dirige Ă  son grĂ© l’inconstante fortune. Si DanaĂ©, captive, est l’objet de ses feux, Qu’il fasse briller l’or soudain verrous et grille Tomberont devant lui ; complaisant de sa fille, Acrisius, alors, saura fermer les yeux. Il est tout ce qu’il veut, dĂ©clamateur, poĂ«te, Philosophe, avocat ; enfin, Caton nouveau, Il dĂ©cide de tout, au sĂ©nat, au barreau[2]. C’est beaucoup ! dira-t-on. Non, chez nous tout s’achĂšte. Quiconque a des Ă©cus, tout sourit Ă  ses vƓux ; Et le sceptre puissant du souverain des dieux, C’est, croyez-m’en, la clef d’une cassette. ƒnothĂ©e cependant dispose Ă  la hĂąte les apprĂȘts du sacrifice elle place sous mes mains une gamelle pleine de vin, y trempe des poireaux et du persil, me fait Ă©tendre les doigts, et les arrose de cette liqueur en guise d’eau lustrale. Ensuite, elle plonge dans le vin des avelines, en prononçant des paroles magiques ; et, selon qu’elles restent au fond du vase ou remontent Ă  sa surface, elle en tire des pronostics. Mais je n’étais pas dupe de sa ruse je savais bien que celles qui Ă©taient vides et sans amandes surnageaient, tandis que celles qui Ă©taient pleines et dont le fruit Ă©tait intact retombaient au fond par leur propre poids. Alors, s’approchant de l’oie, elle l’ouvrit, et en tira le foie qui Ă©tait parfaitement sain[3] elle s’en servit pour me prĂ©dire mes destinĂ©es futures. Enfin, pour dĂ©truire jusqu’au moindre vestige de mon crime, elle coupa l’oie en morceaux, et les mit Ă  la broche pour en faire, disait-elle, un splendide rĂ©gal Ă  celui que, l’instant d’avant, elle vouait Ă  la mort. Cependant, mes deux vieilles buvaient Ă  qui mieux mieux, et, joyeuses, dĂ©voraient Ă  belles dents cette oie, naguĂšre la cause de tant de chagrins. Lorsqu’il n’en resta plus rien, ƒnothĂ©e, Ă  moitiĂ© ivre, se tourna vers moi, et me dit — Il faut maintenant achever les mystĂšres qui doivent rendre Ă  vos nerfs toute leur vigueur. CHAPITRE CXXXVIII. À ces mots, elle apporte un phallus de cuir, le saupoudre de poivre et de graine d’ortie pilĂ©e, dĂ©trempĂ©s d’huile, et me l’introduit par degrĂ©s dans l’anus. Puis, l’impitoyable vieille me bassine les cuisses de cette liqueur stimulante. MĂȘlant ensuite du cresson avec de l’aurone, elle m’en couvre la partie malade, et, saisissant une poignĂ©e d’orties vertes, m’en fouette Ă  petits coups le bas-ventre. Cette opĂ©ration me causait de cuisantes douleurs pour m’y soustraire, je prends la fuite. Furieuses, les vieilles courent Ă  ma poursuite, et, bien qu’étourdies par le vin et la dĂ©bauche, elles prennent la mĂȘme route que moi, et me suivent quelque temps dans les rues en criant — Au voleur ! arrĂȘtez le voleur ! — Je parvins cependant Ă  leur Ă©chapper ; mais une course si rapide m’avait mis les pieds tout en sang. DĂšs que je pus regagner mon logis, Ă©puisĂ© de fatigue, je me jetai sur mon lit, mais je n’y pus trouver le sommeil. Tous les maux qui m’avaient accablĂ© me revenaient Ă  l’esprit ; et, me figurant que jamais existence n’avait Ă©tĂ© plus traversĂ©e que la mienne par les revers La Fortune, disais-je, ma constante ennemie, avait-elle besoin de s’unir Ă  l’Amour pour augmenter mes tourments ? Malheureux que je suis ! ces deux divinitĂ©s, liguĂ©es contre moi, ont conjurĂ© ma perte. L’Amour surtout, l’impitoyable Amour, ne m’a jamais Ă©pargnĂ© amant ou aimĂ©, je suis Ă©galement en butte Ă  ses rigueurs. Et maintenant ne voilĂ -t-il pas que Chrysis m’aime Ă  la fureur, et me poursuit en tous lieux ! cette Chrysis, qui naguĂšre fut auprĂšs de moi l’entremetteuse de sa maĂźtresse, et qui alors me dĂ©daignait comme un esclave, parce que j’en portais l’habit ; oui, cette mĂȘme Chrysis qui avait tant d’éloignement pour ma condition servile, veut maintenant me suivre au pĂ©ril de sa vie ; elle vient de me jurer, en me dĂ©voilant la violence de sa passion, qu’elle s’attachait Ă  moi comme mon ombre. Mais, elle a beau faire, je suis tout entier Ă  CircĂ©, et je mĂ©prise toutes les autres femmes. Et n’est-elle pas, en effet, le chef-d’Ɠuvre de la nature ? Ariadne ou LĂ©da eurent-elles jamais rien de comparable Ă  tant de charmes ? HĂ©lĂšne et VĂ©nus elle-mĂȘme peuvent-elles lui ĂȘtre comparĂ©es ? Paris, juge du diffĂ©rend des trois dĂ©esses[1], s’il l’eĂ»t vue paraĂźtre auprĂšs d’elles avec des yeux si resplendissants, lui eĂ»t sacrifiĂ© et son HĂ©lĂšne et les trois dĂ©esses. Oh ! que ne m’est-il permis du moins de lui ravir un baiser, de serrer dans mes bras ces formes cĂ©lestes et ravissantes ! Peut-ĂȘtre alors je retrouverais toute ma vigueur, et mes organes, assoupis sans doute par quelque malĂ©fice, se relĂšveraient brillants de force et de santĂ©. Ses outrages ne peuvent me rebuter ; je ne me souviens plus des coups que j’ai reçus[2] elle m’a chassĂ© ; ce n’est qu’un jeu. Que je puisse seulement mĂ©riter ma grĂące ! CHAPITRE CXXXIX. Ces rĂ©flexions, jointes aux appas de CircĂ© dont je jouissais en idĂ©e, avaient tellement Ă©chauffĂ© mon imagination, que je foulais mon lit avec fureur, comme si j’eusse tenu dans mes bras l’objet de mes dĂ©sirs ; mais tous ces mouvements furent encore sans effet. Cet acharnement du sort mit enfin ma patience Ă  bout, et je me livrai aux plus violents reproches contre le malin gĂ©nie qui sans doute m’avait ensorcelĂ©. Enfin, mon esprit se calma ; et, cherchant alors des motifs de consolation parmi les hĂ©ros de l’antiquitĂ©, qui, comme moi, avaient Ă©tĂ© en butte au courroux des dieux, je m’écriai Je ne suis pas le seul qu’un destin implacable De ses coups redoublĂ©s sans cesse opprime, accable. Avant moi, de Junon l’ordre capricieux Força le grand Alcide Ă  supporter les cieux ; Victime, comme lui, de la dĂ©esse altiĂšre, PĂ©lias Ă©prouva le poids de sa colĂšre ; Le vieux LaomĂ©don, vaincu dans les combats, Pour prix de son parjure, y trouve le trĂ©pas ; Et TĂ©lĂšphe, innocent du crime qu’il expie[1], De deux divinitĂ©s assouvit la furie. PrĂšs d’atteindre le bord qui sans cesse le fuit, Ulysse, sur les mers, cherche en vain son Ithaque ; Moi, jouet de VĂ©nus et du dieu de Lampsaque, Partout leur bras vengeur sur moi s’appesantit. TorturĂ© d’inquiĂ©tudes, je passai toute la nuit dans cette agitation. Au point du jour, Giton, informĂ© que j’avais couchĂ© au logis, entra dans ma chambre, et se plaignit amĂšrement de mon libertinage. Á l’entendre, il n’était bruit dans toute la maison que du scandale de ma conduite. On ne me voyait, disait-il, que trĂšs-rarement Ă  l’heure du service, et ce commerce clandestin finirait probablement par me porter malheur. Ces reproches me prouvĂšrent qu’il Ă©tait instruit de mes affaires, et que quelqu’un sans doute Ă©tait venu s’enquĂ©rir de moi pendant mon absence. Pour m’en assurer, je m’informai de Giton si personne ne m’avait demandĂ© — Non, pas aujourd’hui, rĂ©pondit-il ; mais hier, une femme d’assez bonne mine est entrĂ©e chez nous aprĂšs s’ĂȘtre entretenue longtemps avec moi et m’avoir fatiguĂ© de ses questions, elle finit par me dire que vous aviez mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre puni, et que vous subiriez le chĂątiment des esclaves, si la partie lĂ©sĂ©e persĂ©vĂ©rait dans sa plainte. — Cette nouvelle me mit au dĂ©sespoir, et je me rĂ©pandis de nouveau en imprĂ©cations contre la Fortune. Je n’étais pas au bout de mes invectives, lorsque Chrysis entra, et, me serrant dans ses bras avec la plus tendre effusion — Enfin je te tiens[2], me dit-elle ; je te trouve dans l’état oĂč je te voulais ! PolyĂŠnos, mon Ăąme ! mon bonheur ! tu ne pourras Ă©teindre le feu qui me dĂ©vore qu’avec le plus pur de ton sang. — L’emportement de Chrysis me mettait dans le plus grand embarras ; et j’eus recours, pour l’éloigner, aux plus douces protestations car je craignais que le bruit que faisait cette folle ne vĂźnt aux oreilles d’Eumolpe, qui, depuis sa prospĂ©ritĂ©, nous traitait avec l’orgueil d’un maĂźtre. Je mis donc tous mes soins Ă  calmer les transports de Chrysis je feignis de rĂ©pondre Ă  son amour ; je lui tins les plus tendres propos ; enfin, je dissimulai si bien, qu’elle me crut sĂ©rieusement Ă©pris de ses charmes. Alors je lui reprĂ©sentai les dangers auxquels nous serions exposĂ©s tous deux, si on la surprenait dans ma chambre ; je lui peignis Eumolpe comme un maĂźtre qui punissait avec rigueur la moindre peccadille. Á ces mots, elle s’empressa de partir, et d’autant plus vite, qu’elle vit revenir Giton, qui Ă©tait sorti de ma chambre un moment avant son arrivĂ©e. Elle venait de me quitter, lorsqu’un des nouveaux valets d’Eumolpe accourut, et m’apprit que son maĂźtre Ă©tait furieux de ce que je n’avais pas fait mon service depuis deux jours, ajoutant que je ferais sagement de prĂ©parer quelque excuse plausible pour me justifier car, disait-il, il est fort douteux que sa colĂšre se calme avant de vous avoir fait donner la bastonnade. Giton me trouva si triste, si consternĂ© de cette menace, qu’il ne me dit pas un mot de Chrysis, et ne me parla que d’Eumolpe il me conseilla de ne pas prendre avec lui l’affaire au sĂ©rieux, mais de la tourner en plaisanterie. Je profitai de son avis, et j’abordai le patron avec un visage si riant, que son accueil, loin d’ĂȘtre sĂ©vĂšre, fut on ne peut plus gai. Il me plaisanta sur mes bonnes fortunes, me fit des compliments sur ma bonne mine et sur ma tournure, dont toutes les dames raffolaient — Je n’ignore pas, ajouta-t-il, qu’une de nos beautĂ©s se meurt d’amour pour toi, mon cher Encolpe cela peut un jour nous ĂȘtre utile en temps et lieu. Courage ! joue bien ton rĂŽle d’amoureux ; de mon cĂŽtĂ©, je soutiendrai le mien jusqu’au bout. CHAPITRE CXL. Il parlait encore, quand nous vĂźmes entrer une dame des plus respectables PhilumĂšne Ă©tait son nom. Dans sa jeunesse, elle avait spĂ©culĂ© sur ses charmes pour extorquer plusieurs successions[1] ; mais alors, vieille et fanĂ©e, elle introduisait son fils et sa fille auprĂšs des vieillards sans hĂ©ritiers, et, se succĂ©dant ainsi Ă  elle-mĂȘme, elle continuait Ă  exercer son honnĂȘte commerce. Elle vint donc trouver Eumolpe, et recommanda Ă  sa prud’homie et Ă  sa bontĂ© ces enfants, son unique espĂ©rance. Á l’entendre, Eumolpe Ă©tait l’homme du monde le plus capable de donner sans cesse de sages instructions Ă  la jeunesse. Elle finit en disant qu’elle laissait ses enfants dans la maison d’Eumolpe, pour qu’ils Ă©coutassent ses leçons, ajoutant que c’était le plus bel hĂ©ritage qu’elle pĂ»t leur lĂ©guer. Ce qui fut dit fut fait elle laissa dans la chambre une fort belle fille et un jeune adolescent, son frĂšre, et sortit sous prĂ©texte d’aller au temple faire des vƓux pour son bienfaiteur. Eumolpe, si peu dĂ©licat sur cet article, que, malgrĂ© mon Ăąge, il eĂ»t fait de moi son mignon, ne perdit pas de temps, et invita la jeune fille Ă  un combat amoureux. Mais, comme il s’était donnĂ© Ă  tout le monde pour un homme atteint de la goutte et d’une paralysie lombaire, il courait risque, s’il ne soutenait pas son imposture, de renverser notre plan de fond en comble. Pour ne pas se dĂ©mentir, il pria la jeune fille d’avoir la complaisance de jouer le rĂŽle de l’homme, en se plaçant sur lui ; ensuite il ordonna Ă  Corax de se glisser sous le lit oĂč il Ă©tait couchĂ©, de s’appuyer les deux mains contre terre, et de remuer son maĂźtre avec ses reins. Corax obĂ©it, et, par des secousses lentes et rĂ©guliĂšres, rĂ©pondit aux mouvements de la jeune fille. Mais, lorsque le moment de la jouissance approcha, Eumolpe cria de toutes ses forces Ă  Corax de redoubler de vitesse. Á voir le vieillard ainsi balancĂ© entre son valet et sa maĂźtresse, on eĂ»t dit qu’il jouait Ă  l’escarpolette. Nous Ă©clations de rire, et Eumolpe partageait notre gaĂźtĂ©, ce qui ne l’empĂȘcha pas de courir deux fois la mĂȘme carriĂšre. Quant Ă  moi, ne voulant pas laisser mes facultĂ©s se rouiller, en restant tĂ©moin inactif d’un si doux jeu, j’avisai le frĂšre de cette jeune fille qui regardait avidement, Ă  travers la cloison, l’exercice gymnastique de sa sƓur, et je m’approchai de lui pour voir s’il Ă©tait disposĂ© Ă  se laisser faire. En garçon bien appris, il se prĂȘta de bonne grĂące Ă  toutes mes caresses ; mais un dieu jaloux s’opposait encore Ă  mon bonheur. Cependant ce nouvel Ă©chec m’affligea moins que les prĂ©cĂ©dents ; car, un instant aprĂšs, je sentis renaĂźtre ma vigueur. Fier de cette dĂ©couverte — Les dieux, m’écriai-je, m’ont restituĂ© toutes les puissances de mon ĂȘtre. Sans doute Mercure, qui conduit les Ăąmes au Tartare et les en ramĂšne, m’a, dans sa bontĂ©, rendu ce qu’une main hostile m’avait ravi, pour vous convaincre que je suis plus heureusement partagĂ© que ProtĂ©silas ou tout autre hĂ©ros de l’antiquitĂ©[2]. — À ces mots, je relĂšve ma robe, et je me montre Ă  Eumolpe dans toute ma gloire. Il en fut d’abord Ă©pouvantĂ© ; puis, pour s’assurer davantage de la rĂ©alitĂ©, il caressa de l’une et l’autre main ce prĂ©sent des dieux. Cette merveilleuse rĂ©surrection nous mit en belle humeur, et nous rĂźmes beaucoup du sage discernement[3] de PhilumĂšne, qui, dans l’espoir d’un riche hĂ©ritage, nous avait livrĂ© ses enfants, dont l’expĂ©rience prĂ©coce dans cet honnĂȘte mĂ©tier ne devait cette fois lui ĂȘtre d’aucun profit. Cet infĂąme manĂšge pour sĂ©duire les vieillards me conduisit Ă  rĂ©flĂ©chir sur notre situation prĂ©sente, et, trouvant l’occasion propice pour en raisonner avec Eumolpe, je lui reprĂ©sentai que les trompeurs se prennent souvent dans leurs propres piĂšges — Toutes nos dĂ©marches, lui dis-je, doivent ĂȘtre rĂ©glĂ©es par la prudence. Socrate, le plus sage des mortels, au jugement des dieux et des hommes, se glorifiait souvent de n’avoir jamais jetĂ© les yeux dans une taverne, et de ne s’ĂȘtre jamais hasardĂ© dans une assemblĂ©e trop nombreuse tant il est vrai que rien n’est plus utile que de consulter la sagesse en toute chose ! Cela est d’une vĂ©ritĂ© incontestable ; et ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’il n’y a personne qui coure plus promptement Ă  sa perte que celui qui spĂ©cule sur le bien d’autrui. En effet, quels seraient les moyens d’existence des vagabonds et des filous, s’ils ne jetaient en guise d’hameçons, Ă  la foule qu’ils veulent duper, des bourses et des sacs d’argent bien sonnants ? Les animaux se laissent amorcer par l’appĂąt de la nourriture, et les hommes par celui de l’espĂ©rance ; mais il faut pour cela qu’ils trouvent quelque chose Ă  mordre. Ainsi les Crotoniates nous ont hĂ©bergĂ©s jusqu’à ce jour de la maniĂšre la plus splendide. Mais on ne voit point arriver d’Afrique ce vaisseau chargĂ© d’argent et d’esclaves que vous leur aviez annoncĂ©. Les ressources de nos hĂ©ritiers s’épuisent, leur libĂ©ralitĂ© se refroidit. Je me trompe fort, ou la Fortune commence Ă  se lasser des faveurs dont elle nous a comblĂ©s. CHAPITRE CXLI. J’ai inventĂ©, dit Eumolpe, un expĂ©dient qui mettra dans un grand embarras ces coureurs d’hĂ©ritages. — En mĂȘme temps il tira de sa valise les tablettes oĂč Ă©taient consignĂ©es ses derniĂšres volontĂ©s, qu’il nous lut en ces termes — Tous ceux qui sont couchĂ©s sur mon testament, Ă  l’exception de mes affranchis, ne pourront toucher leurs legs que sous la condition expresse de couper mon corps en morceaux, et de le manger en prĂ©sence du peuple assemblĂ©. Cette clause n’a rien qui doive tant les effrayer ; car il est Ă  notre connaissance qu’une loi, encore en vigueur chez certains peuples, oblige les parents d’un dĂ©funt Ă  manger son corps ; et cela est si vrai, que, dans ces pays, on reproche souvent aux moribonds de gĂąter leur chair par la longueur de leur maladie. Cet exemple doit engager mes amis Ă  ne point se refuser Ă  l’exĂ©cution de ce que j’ordonne, mais Ă  dĂ©vorer mon corps avec un zĂšle Ă©gal Ă  celui qu’ils mettront Ă  maudire mon Ăąme. — Tandis qu’il lisait les premiers articles, quelques-uns de nos hĂ©ritiers, les plus assidus auprĂšs d’Eumolpe, entrĂšrent dans la chambre, et, lui voyant son testament Ă  la main, le priĂšrent instamment de leur permettre d’en entendre la lecture il y consentit aussitĂŽt, et le lut d’un bout Ă  l’autre. Mais ils firent triste mine, lorsqu’ils entendirent la clause formelle qui les obligeait Ă  manger son cadavre. Cependant la grande rĂ©putation de richesse dont jouissait Eumolpe aveuglait tellement ces misĂ©rables, et les tenait si rampants devant lui, qu’ils n’osĂšrent se rĂ©crier, contre cette condition inouĂŻe jusqu’alors. L’un d’eux, nommĂ© Gorgias, dĂ©clara mĂȘme qu’il Ă©tait prĂȘt Ă  s’y soumettre, pourvu que le legs ne se fĂźt pas attendre longtemps. — Je ne doute pas, reprit Eumolpe, de la complaisance de votre estomac une heure de dĂ©goĂ»t, largement compensĂ©e par l’espoir d’une longue suite de bons repas, me rĂ©pond de sa docilitĂ© ; vous n’avez qu’à bien fermer les yeux, et Ă  vous figurer qu’au lieu des entrailles d’un homme vous mangez un million de sesterces. Ajoutez Ă  cela que nous trouverons quelque assaisonnement pour corriger le goĂ»t d’un pareil mets car il n’y a pas de viandes qui, par elles-mĂȘmes ; excitent notre appĂ©tit ; mais la maniĂšre de les prĂ©parer les dĂ©guise si bien, que notre estomac s’en arrange. Pour prouver la vĂ©ritĂ© de cette assertion, je puis vous citer l’exemple des Sagontins, qui, assiĂ©gĂ©s par Annibal, se nourrirent de chair humaine ; et cependant ils n’avaient pas de succession Ă  espĂ©rer. Les PĂ©rusiens, rĂ©duits Ă  une extrĂȘme disette[1], en firent autant, sans autre but, en mangeant leurs compatriotes, que de s’empĂȘcher de mourir de faim. Lorsque Scipion prit Numance, on trouva dans cette ville des enfants Ă  moitiĂ© dĂ©vorĂ©s sur le sein de leurs mĂšres. Enfin, comme le dĂ©goĂ»t qu’inspire la chair humaine provient uniquement de l’imagination, vous ferez tous vos efforts pour triompher de cette rĂ©pugnance, afin de recueillir les legs immenses dont je dispose en votre faveur. — Eumolpe dĂ©bitait ces rĂ©voltantes nouveautĂ©s avec si peu d’ordre et de suite, que nos hĂ©ritiers en herbe commencĂšrent Ă  douter de la rĂ©alitĂ© de ses promesses. DĂšs ce moment, ils Ă©piĂšrent de plus prĂšs nos paroles et nos actions ; cet examen accrut leurs soupçons, et bientĂŽt ils furent convaincus que nous Ă©tions des vagabonds et des escrocs. Alors ceux qui s’étaient mis le plus en dĂ©pense pour nous faire accueil rĂ©solurent de se saisir de nous et de nous punir selon nos mĂ©rites. Heureusement Chrysis, qui Ă©tait de toutes ces intrigues, m’avertit des intentions des Crotoniates Ă  notre Ă©gard. Cette nouvelle m’effraya tellement, que je m’enfuis sur-le-champ avec Giton, abandonnant Eumolpe Ă  son mauvais destin. Á quelques jours de lĂ , j’appris que les Crotoniates, indignĂ©s que ce vieux fourbe eĂ»t vĂ©cu si longtemps en prince Ă  leurs dĂ©pens, le traitĂšrent Ă  la mode de Marseille[2]. Pour comprendre ceci, vous saurez que toutes les fois que cette ville Ă©tait dĂ©solĂ©e par la peste, un de ses plus pauvres habitants se dĂ©vouait pour le salut de tous, Ă  la condition d’ĂȘtre nourri pendant une annĂ©e entiĂšre des mets les plus dĂ©licats aux frais du public. Ce terme expirĂ©, on lui faisait faire le tour de la ville, couronnĂ© de verveine et vĂȘtu de la robe sacrĂ©e ; on le chargeait de malĂ©dictions, pour faire retomber sur sa tĂȘte tous les maux de la ville, et, du haut d’un rocher, on le prĂ©cipitait dans la mer. ______ FRAGMENTS ATTRIBUÉS À T. PÉTRONE I. À SA MAÎTRESSE. Tes yeux Ă©tincellent de tout l’éclat des astres ; l’incarnat des roses anime ton teint ; l’or est moins brillant que tes cheveux[1] ; tes lĂšvres, plus suaves que le miel, ont les vives couleurs de la pourpre, et l’azur des veines qui sillonnent ton sein en relĂšve la blancheur ; enfin, tous les attraits composent ton apanage ta taille est celle des dĂ©esses, et tes formes cĂ©lestes l’emportent sur celles de VĂ©nus. Lorsque ta blanche main et tes doigts dĂ©licats tressent la soie, ils semblent jouer avec son prĂ©cieux tissu. Ton pied mignon n’est point fait pour fouler les plus petits cailloux, et la terre se ferait un crime de le blesser ; si tu voulais marcher sur des lis[2], leur tige ne flĂ©chirait pas sous un poids si lĂ©ger. Que d’autres ornent leur cou de riches colliers, ou chargent leur tĂȘte de pierreries ; tu sais plaire par toi-mĂȘme, et sans le secours d’aucune parure. Nulle autre beautĂ© n’est parfaite dans son ensemble celui qui pourrait jouir de la vue de tous tes charmes serait forcĂ© de tout admirer en toi. Sans doute, les SirĂšnes suspendirent leurs concerts, et Thalie dĂ©posa sa lyre mĂ©lodieuse aux accents de ta voix, de ta voix dont la douceur contagieuse lance dans l’ñme des malheureux qui t’écoutent tous les traits de l’Amour. Mon cƓur, frappĂ© par toi, saigne d’une blessure profonde que l’acier mĂȘme ne peut guĂ©rir mais que tes lĂšvres calment par un baiser mes cruelles souffrances ; ce bienfaisant dictame est seul capable de dissiper les maux que j’endure. Cesse de dĂ©chirer avec tant de violence mes fibres Ă©branlĂ©es ; et je payerai de ma mort le crime de t’avoir aimĂ©e. Mais si cette faveur te paraĂźt trop grande, accorde au moins Ă  ma priĂšre une derniĂšre grĂące lorsque j’aurai cessĂ© d’ĂȘtre, entoure-moi de tes bras d’albĂątre, et tu me rendras la vie. II. L’ENVIE, VAUTOUR DE L’ÂME. Le vautour qui dĂ©vore le foie, dĂ©chire les fibres et pĂ©nĂštre jusqu’au fond des entrailles, ce n’est pas, comme le disent les poĂ«tes, le vautour de Tityus, mais l’envie et le chagrin, ces maladies de l’ñme. III. L’ART DE PLAIRE. — À UNE BELLE. Ce n’est pas assez d’ĂȘtre belle celle qui veut qu’on la trouve aimable ne doit pas se contenter de ce qui suffit au vulgaire des femmes. Les bons mots, les fines plaisanteries, l’enjouement, la grĂące du langage, la gaietĂ© l’emportent sur les plus heureux dons de la nature. Les ressources de l’art relĂšvent encore la beautĂ© ; mais, sans le dĂ©sir de plaire, la beautĂ© perd tout son prix. IV. SUR LA CORRUPTION DES MƒURS. N’est-ce donc pas assez qu’une jeunesse furieuse nous perde et nous entraĂźne avec elle dans l’opprobre oĂč sa gloire est ensevelie[1] ? faut-il aussi que des valets, encore tachĂ©s de la lie oĂč ils sont nĂ©s, se gorgent de richesses enfouies dans l’argile ? Un vil esclave possĂšde tous les biens de l’empire ; et la loge d’un captif insulte par son luxe au temple de Jupiter et Ă  l’antique demeure de Romulus. Aussi la vertu est plongĂ©e dans la fange, et le vice dĂ©ploie aux vents ses voiles triomphantes. V. LA CRAINTE, ORIGINE DES DIEUX. La crainte fut, dans l’univers, l’origine des dieux. Les mortels avaient vu la foudre, tombant du haut des cieux, renverser les murailles sous ses carreaux enflammĂ©s, et mettre en feu les sommets de l’Athos ; PhĂ©bus, aprĂšs avoir parcouru toute la terre, revenir vers son berceau ; la lune vieillir et dĂ©croĂźtre, puis reparaĂźtre dans toute sa splendeur dĂšs lors les images des dieux se rĂ©pandirent par toute la terre. Le changement des saisons qui divisent l’annĂ©e accrut encore la superstition le laboureur, dupe d’une erreur grossiĂšre, offrit Ă  CĂ©rĂšs les prĂ©mices de sa moisson, et couronna Bacchus de grappes vermeilles PalĂšs fut dĂ©corĂ©e par la main des pasteurs ; Neptune eut pour empire toute l’étendue des mers, et Diane rĂ©clama les forĂȘts. Maintenant, celui qui est liĂ© par un vƓu, et celui mĂȘme qui a vendu l’univers, se forgent Ă  l’envi des dieux propices Ă  leurs dĂ©sirs. VI. LA VARIÉTÉ PRÉVIENT L’ENNUI. Je ne voudrais pas toujours parfumer ma tĂȘte des mĂȘmes essences, ni toujours humecter mon palais du mĂȘme vin. Le taureau aime Ă  changer de gazons et de pĂąturages les bĂȘtes fĂ©roces cherchent des aliments nouveaux pour aiguiser leur appĂ©tit ; et si la chaleur du soleil nous est agrĂ©able, c’est que le soleil reparaĂźt chaque matin avec de nouveaux coursiers. VII. MA FEMME ET MON BIEN. On doit aimer son Ă©pouse comme un revenu lĂ©gitime ; et je ne voudrais pas ĂȘtre condamnĂ© Ă  n’aimer que mon revenu. VIII. CHACUN SON GOÛT. Comment contenter tous les goĂ»ts[1] ? Le mĂȘme objet ne plaĂźt pas Ă  tout le monde oĂč l’un cueille des roses, l’autre ne trouve que des Ă©pines. IX. RIEN N’EST À DÉDAIGNER. Il n’y a rien qui ne puisse ĂȘtre utile aux mortels. Dans l’adversitĂ©, ce qu’on mĂ©prisait devient prĂ©cieux. Ainsi, lorsqu’un vaisseau est submergĂ©, l’or, entraĂźnĂ© par son poids, tombe au fond des eaux, et les rames lĂ©gĂšres servent de soutien aux naufragĂ©s. Lorsque le clairon sonne, le fer menace la gorge du riche ; mais le pauvre, sous ses haillons, nargue la fureur des combats. X. EXHORTATION À ULYSSE. Abandonne tes États et vogue vers des bords Ă©trangers, jeune hĂ©ros. Une plus noble carriĂšre s’ouvre devant toi. Brave tous les dangers. Visite tour Ă  tour et les rives de l’Ister, aux limites du monde, et les contrĂ©es glacĂ©es de BorĂ©e, et le paisible royaume de Canope, et les climats qui voient renaĂźtre PhĂ©bus, et ceux oĂč il termine sa carriĂšre. Roi d’Ithaque, tu dois descendre plus grand sur ces plages lointaines. XI. LES OREILLES DE MIDAS. Les mortels tiendraient dans la bouche des charbons allumĂ©s, plutĂŽt que de garder un secret. Toutes les paroles qui vous Ă©chappent Ă  la cour se rĂ©pandent aussitĂŽt, et le bruit en Ă©meut toute la ville. Mais c’est peu de trahir votre confiance la perfidie dĂ©guise, exagĂšre vos paroles, et se plaĂźt Ă  en grossir le scandale. C’est ainsi que ce barbier, qui craignait et qui brĂ»lait en mĂȘme temps de dĂ©couvrir ce qu’on lui avait confiĂ©[1], fit un trou dans la terre, et y dĂ©posa le secret du monarque aux longues oreilles. La terre conserva fidĂšlement ses paroles, et les roseaux trouvĂšrent une voix pour chanter ce que le barbier dĂ©lateur avait racontĂ© de Midas. XII. L’ILLUSION DES SENS. Nos yeux nous trompent souvent[1], et nos sens incertains nous abusent en imposant silence Ă  notre raison. Cette tour, de prĂšs, se montre carrĂ©e ; vue de loin, ses angles disparaissent elle nous semble ronde. L’homme rassasiĂ© dĂ©daigne le miel de l’Hybla, et notre odorat repousse souvent les parfums du romarin. Comment un objet pourrait-il nous plaire plus ou moins qu’un autre, si la nature n’avait, Ă  dessein, Ă©tabli cette lutte parmi nos sens ? XIII. L’AUTOMNE. DĂ©jĂ  l’automne avait rafraĂźchi l’ombre des bois ; dĂ©jĂ  PhĂ©bus dirigeait ses coursiers brĂ»lants vers sa station d’hiver ; dĂ©jĂ  le platane s’enorgueillissait de son feuillage ; dĂ©jĂ  la vigne, Ă©mondĂ©e du superflu de ses rameaux, se couvrait de grappes enfin, l’Ɠil ravi voyait se rĂ©aliser toutes les promesses de l’annĂ©e. XIV. GÉNÉRATION DIVERSE DES ANIMAUX. C’est au moment oĂč la nature dĂ©ploie ses plus riches dons, lorsque les fruits sont mĂ»rs, que le corbeau recommence sa couvĂ©e ; sitĂŽt que l’ourse a mis bas ses petits, elle les façonne avec sa langue[1] ; les poissons frayent sans goĂ»ter les plaisirs de l’amour[2] ; la tortue, Ă  peine sortie des entrailles de sa mĂšre, rĂ©chauffe de son haleine les organes de Lucine ; les abeilles, engendrĂ©es sans aucun accouplement, sortent Ă  grand bruit de leurs alvĂ©oles, et remplissent les ruches de leurs belliqueuses phalanges. Ainsi la nature, loin de se borner Ă  une marche uniforme, se plaĂźt Ă  varier les moyens de reproduction. XV. L’AFFLICTION RAPPROCHE LES MALHEUREUX. Le naufragĂ© qui s’est Ă©chappĂ© nu de son vaisseau submergĂ©[1] en cherche un autre, frappĂ© du mĂȘme coup, auquel il puisse raconter son infortune. Celui dont la grĂȘle a dĂ©truit la moisson, fruit de toute une annĂ©e de labeur[2], dĂ©pose ses chagrins dans le sein d’un ami, victime du mĂȘme flĂ©au. L’affliction rapproche les malheureux ; les parents, privĂ©s de leurs enfants, unissent leurs gĂ©missements penchĂ©s sur la mĂȘme tombe, ils sont Ă©gaux. Et nous aussi, que les accents de notre douleur s’élĂšvent confondus vers les astres ; car on dit que, rĂ©unies, les priĂšres arrivent plus puissantes Ă  l’oreille des dieux. XVI. LA NATURE NOUS DONNE LE NÉCESSAIRE. Une divinitĂ© propice a mis Ă  la portĂ©e des mortels tout ce qui peut soulager leurs maux et faire cesser leurs plaintes. Les vĂ©gĂ©taux les plus communs et les mĂ»res suspendues aux buissons Ă©pineux suffisent pour apaiser la faim d’un estomac Ă  jeun. Il n’y a qu’un sot qui puisse mourir de soif, quand un fleuve coule prĂšs de lui, ou trembler de froid, lorsqu’il peut s’approcher du foyer oĂč pĂ©tille un bois enflammĂ©. La loi, armĂ©e de son glaive, dĂ©fend le seuil redoutable de la femme mariĂ©e, et la jeune Ă©pouse goĂ»te sans crainte les douceurs d’un hymen lĂ©gitime. Ainsi la nature prodigue nous donne tout ce qui peut satisfaire nos besoins ; mais rien ne peut mettre un terme Ă  l’amour effrĂ©nĂ© de la gloire. XVII. SUR LA CIRCONCISION DES JUIFS. Quoiqu’il adore la divinitĂ© sous la forme d’un porc, et qu’il invoque dans ses priĂšres l’animal aux longues oreilles[1], un juif, s’il n’est pas circoncis, s’il ne s’est pas, d’une main habile, dĂ©gagĂ© le gland de son enveloppe, se verra retranchĂ© du peuple hĂ©breu, et forcĂ© de chercher un refuge dans quelque ville grecque, oĂč il sera dispensĂ© d’observer le jeĂ»ne du sabbat. Ainsi, chez ce peuple, la seule noblesse, la seule preuve d’une condition libre, c’est d’avoir eu le courage de se circoncire. XVIII. LE VRAI PLAISIR. Le plaisir de l’accouplement est sale et de courte durĂ©e le dĂ©goĂ»t le suit aussitĂŽt. N’allons donc pas tout d’abord nous y prĂ©cipiter en aveugles, comme des brutes lascives ; car, par lui, la flamme de l’amour languit et s’éteint. Ah ! plutĂŽt, prolongeons, prolongeons sans fin ses doux prĂ©ludes ! Restons longtemps couchĂ©s dans les bras l’un de l’autre ! Plus de fatigue alors, plus de honte. Cette jouissance nous a plu, nous plaĂźt et nous plaira longtemps ; jamais elle ne finit, et se renouvelle sans cesse. XIX. L’ILE DE DÉLOS. Cette DĂ©los[1], maintenant unie Ă  la terre par des liens indissolubles, jadis nageait dans la mer azurĂ©e, et, poussĂ©e çà et lĂ  par de lĂ©gers zĂ©phyrs, voguait ballottĂ©e sur la cime des flots[2]. BientĂŽt un dieu l’attacha par une double chaĂźne, d’un cĂŽtĂ© Ă  la haute Gyare, de l’autre Ă  l’immobile Mycone. XX. APOLLON ET BACCHUS. Apollon et Bacchus rĂ©pandent tous deux la lumiĂšre ; tous deux, créés par les flammes, tous deux furent produits par une essence ignĂ©e. Tous deux lancent de leur chevelure, l’un par ses rayons, l’autre par les pampres dont il se couronne, une chaleur qui nous embrase l’un dissipe les tĂ©nĂšbres de la nuit, l’autre celles de l’ñme. XXI. SUR UN CHIFFRE GRAVÉ SUR L’ÉCORCE D’UN ARBRE. Quand je plantai, jeunes encore[1], ces pommiers et ces poiriers, je gravai sur leur tendre Ă©corce le nom de l’objet de mes feux. Depuis ce jour, plus de fin, plus de repos pour mon amour. L’arbre croĂźt, ma flamme augmente ; et de nouvelles branches ont rempli la trace des lettres. XXII. LES MƒURS D’OUTRE-MER. MĂ©prise les mƓurs d’outre-mer elles sont pleines de fourberie. Personne dans l’univers ne vit plus honnĂȘtement qu’un vrai citoyen romain. J’aimerais mieux un seul Caton que trois cents Socrates. XXIII. PRÉCEPTE DE SAGESSE. Il est aussi nuisible d’avoir beaucoup d’or que de n’en pas avoir du tout ; il est aussi nuisible d’oser toujours que d’avoir toujours peur ; il est aussi nuisible de trop se taire que de trop parler ; il est aussi nuisible d’avoir en ville une maĂźtresse que d’avoir au logis une Ă©pouse. Tout le monde avoue ces vĂ©ritĂ©s, et personne n’agit en consĂ©quence. XXIV. UN ROI ET UN POËTE, OISEAUX RARES. On fait tous les ans des consuls et des proconsuls nouveaux ; mais on ne voit pas tous les jours naĂźtre un roi ou un poĂ«te. XXV. ÉPITHALAME. Courage, jeunes gens, redoublez d’ardeur ; unissez tous vos efforts ! Que les colombes ne soupirent pas plus amoureusement que vous ; que vos bras s’entrelacent par des chaĂźnes plus Ă©troites que celles du lierre ; que les coquilles soient moins unies entre elles que vos lĂšvres. Courage ! amusez-vous ; mais n’éteignez pas ces lampes vigilantes. TĂ©moins muets des mystĂšres de la nuit, elles n’en rĂ©vĂšlent rien au jour. XXVI. ALLOCUTION À UNE NOUVELLE MARIÉE. DĂ©liez, jeune Ă©pouse, ces voiles de lin qui tiennent vos appas captifs, et confiez-vous sans crainte Ă  votre maĂźtre. N’allez pas dĂ©chirer de vos ongles ce visage d’albĂątre ; ne repoussez pas les caresses. Cette nuit qui vous effraye n’offre pourtant aucun danger. Pourquoi vous dĂ©fendre ? lorsqu’il aura vaincu, votre triomphe est certain. XXVII. LA FABLE DE PASIPHAÉ, SUR TOUS LES MÈTRES EMPLOYÉS PAR HORACE. La fille du Soleil brĂ»le d’un feu nouveau, et poursuit, Ă©garĂ©e par sa passion, un jeune taureau Ă  travers les prairies. Les saints nƓuds de l’hymen ne la retiennent plus l’honneur du rang suprĂȘme, la grandeur de son Ă©poux, elle a tout oubliĂ©. Elle voudrait ĂȘtre mĂ©tamorphosĂ©e en gĂ©nisse ; elle porte envie au bonheur des PrĂ©tides, et fait l’éloge d’Io ; non pas parce qu’on l’adore au ciel sous le nom d’Isis, mais Ă  cause des cornes qui s’élĂšvent sur son front. Si rien ne s’oppose plus Ă  sa malheureuse passion, elle serre dans ses bras le cou du farouche taureau, pare ses cornes des fleurs du printemps, et s’efforce de coller sa bouche Ă  la sienne. Que l’Amour inspire d’audace Ă  ceux qu’il frappe de ses traits ! Elle ne craint pas de renfermer son corps dans des planches de chĂȘne qui ont reçu la forme d’une gĂ©nisse elle se livre Ă  tous les Ă©garements que lui inspire un amour infĂąme, et donne la vie
 ĂŽ crime ! Ă  un monstre ambiforme, immolĂ© par le bras de ce jeune descendant de CĂ©crops, qu’un fil protecteur guidait Ă  travers les dĂ©tours du labyrinthe de CrĂšte. XXVIII. LE DÉDOMMAGEMENT. IMITATION DE MÉNANDRE. Si je ne puis jouir, qu’il me soit du moins permis d’aimer. Que d’autres jouissent, j’y consens ; je ne leur porte point envie. C’est faire son propre supplice, que d’ĂȘtre jaloux du bonheur d’autrui. VĂ©nus couronne les vƓux de ceux qu’elle favorise. Cupidon m’a donnĂ© les dĂ©sirs, mais il me refuse la possession. Heureux mortels ! savourez des baisers de flamme ; froissez, par de douces morsures, des lĂšvres de rose ; collez une bouche amoureuse sur des joues qu’anime le fard de la nature, sur des prunelles qui brillent comme des diamants ! Faites plus lorsque Ă©tendus prĂšs de votre belle, sur une couche moelleuse, vos membres, vos poitrines s’unissent, s’attachent par la glu du plaisir ; lorsque l’instinct du dĂ©sir excite votre maĂźtresse Ă  seconder vos efforts amoureux ; lorsqu’elle gĂ©mit d’une voix Ă©teinte par le plaisir, pressez sa gorge d’albĂątre, serrez-la plus Ă©troitement dans vos bras, tracez de nouveaux sillons dans le champ de VĂ©nus ; redoublez d’ardeur ; et, parvenus au terme de la carriĂšre, les yeux Ă©garĂ©s, prĂȘts Ă  rendre l’ñme, Ă©puisĂ©s de plaisir, faites pleuvoir dans son sein une tiĂšde rosĂ©e. VoilĂ  votre lot, Ă  vous que VĂ©nus favorise. Mais laissez-moi, du moins, cette vaine consolation si je ne puis jouir, qu’il me soit permis d’aimer. XXIX. L’INUTILITÉ DE LA PARURE. Cesse, je t’en supplie, aimable fille, de te montrer Ă  moi si parĂ©e ; Ă©pargne un cƓur qui t’appartient tout entier ; ne l’accable pas par ta beautĂ© ! Cesse de surcharger tes attraits d’ornements superflus l’art ne peut rien ajouter Ă  tant d’appas. À quoi bon arranger avec tant de soin ta tĂȘte et tes cheveux ? ta tĂȘte est si belle par elle-mĂȘme, tes cheveux en dĂ©sordre me plaisent tant ! Pourquoi ce ruban de soie qui tient captive ta blonde chevelure ? prĂšs de ses tresses dorĂ©es, pĂąlit la soie la plus brillante. Pourquoi multiplier les boucles qui couronnent ta tĂȘte ? abandonnĂ©s Ă  la nature, tes cheveux ont tant de charmes Je ne puis concevoir pourquoi tu portes un voile d’or ton front nu a plus d’éclat que l’or. Ton oreille est chargĂ©e d’or et de pierreries ; et cependant, nue, ton oreille est prĂ©fĂ©rable Ă  la rose nouvelle. Tu empruntes au pastel un coloris Ă©blouissant, et cependant ton teint est, par lui-mĂȘme, plus brillant que le pastel. Un collier, en forme de croissant, Ă©tincelle sur ton cou de neige, et, sans cette parure, ton cou est ravissant. Tu couvres d’un voile jaloux ta gorge d’albĂątre, et ta gorge repousse le voile qui la couvre. Pour empĂȘcher ta robe de flotter, tu emprisonnes ta taille dans les nƓuds d’une ceinture ta taille est l’objet de ma vĂ©nĂ©ration, mĂȘme lorsque ta robe est flottante. Dis-moi pourquoi cet anneau et cette pierre prĂ©cieuse qui entourent tes doigts dĂ©licats, quand la pierre reçoit tout son prix du doigt qui la porte ? Il n’est point de parure qui puisse ajouter Ă  tes charmes naturels, et tu n’es dĂ©jĂ  que trop belle, pour mon malheur ! Cesse, par des agrĂ©ments d’emprunt, de vouloir paraĂźtre trop belle ne l’es-tu pas dĂ©jĂ  par tes propres attraits ? Ce n’est pas pour moi que tu dois avoir recours Ă  tant de soins comme si, pour t’aimer, j’avais besoin d’y ĂȘtre contraint par la violence ! Mon penchant me porte Ă  t’aimer, et je ne combats pas cette douce inclination. Je ne t’aimerais pas davantage, quand tu serais la dĂ©esse des fleurs. Tes yeux le disputent d’éclat aux rayons qui entourent Jupiter, et les traits de sa foudre pĂąliraient aux feux que lancent tes prunelles. Rien dans l’univers de plus brillant que le soleil ; et cependant, prĂšs de toi, le soleil est pĂąle et sans clartĂ©. Ton cou est plus blanc que la neige nouvellement tombĂ©e, que la neige dont le soleil n’a point encore altĂ©rĂ© la blancheur. Ton front, ta poitrine, ressemblent Ă  du lait, au lait d’une chĂšvre qu’on vient de traire, Ă  son retour du pĂąturage. Les parfums balsamiques que rĂ©pand une forĂȘt au printemps sont moins doux que ton haleine, et le plus frais jardin n’a rien qui te soit prĂ©fĂ©rable. Les suaves couleurs d’une prairie, mĂȘme lorsqu’elle est Ă©maillĂ©e de fleurs, n’approchent pas de ta beautĂ©. Le blanc troĂšne ne peut t’égaler ; le lis qui s’élĂšve sur un vert gazon s’avouerait vaincu par ton Ă©clat. La rose, avant mĂȘme d’ĂȘtre dĂ©tachĂ©e de son buisson Ă©pineux, n’égale point l’incarnat de tes joues. La violette Ă©panouie et dans toute sa gloire, quand on ose la comparer Ă  toi, n’a plus rien que de vulgaire. HĂ©lĂšne, et LĂ©da sa mĂšre, ne pourraient supporter le parallĂšle, quoique l’une ait sĂ©duit PĂąris, et l’autre Jupiter et pourtant LĂ©da força Jupiter Ă  se dĂ©guiser sous le plumage d’un cygne ; HĂ©lĂšne fit prendre les armes Ă  tous les rois de l’Asie ! LĂ©da, les cheveux flottants sur son cou d’albĂątre, tressait des guirlandes de fleurs pour la dĂ©esse d’Argos ; Jupiter parcourait alors la voĂ»te cĂ©leste il l’aperçut du haut d’un nuage, et, pour elle, se mĂ©tamorphosa en oiseau. Quand tu joues au milieu de la foule de tes compagnes, dont tu sembles la reine, Ă©toile resplendissante au milieu de tes jeunes satellites, si, du haut des cieux, le puissant Jupiter t’apercevait, il ne rougirait pas de dĂ©poser Ă  tes pieds sa divinitĂ©. La beautĂ© d’HĂ©lĂšne et ses puissants attraits furent la proie du Troyen PĂąris, qui l’emporta au delĂ  des mers. La GrĂšce conjurĂ©e arma mille vaisseaux pour la reprendre ; mille voiles volĂšrent Ă  sa poursuite. Si le ravisseur phrygien t’eĂ»t vue si belle, il t’eĂ»t enlevĂ©e, soit sur son navire, soit sur son coursier. La guerre de Troie dura dix ans entiers ; mais cette guerre, si on l’eĂ»t faite pour toi, un seul mois eĂ»t suffi pour la terminer. À mon avis, la fille de LĂ©da mĂ©ritait moins que toi qu’Ilion, pour la garder, devĂźnt la proie des flammes, et, pour toi, Priam eĂ»t eu plus de raison de ne pas regretter la perte de son empire. Si, la robe retroussĂ©e, les cheveux flottants, l’arc en main, les bras nus, comme Diane la chasseresse, et accompagnĂ©e d’un chƓur de dryades, tu poursuivais de tes traits les sangliers fougueux, et qu’un dieu te rencontrĂąt errante au milieu des forĂȘts, il te prendrait pour une vĂ©ritable divinitĂ©. Lorsque trois dĂ©esses se disputĂšrent le prix de la beautĂ©, et prirent PĂąris pour leur juge, son choix prĂ©fĂ©ra VĂ©nus aux deux autres ; et, sur trois, deux se retirĂšrent vaincues. Ah ! si, te joignant alors Ă  ces trois rivales, tu te fusses offerte la quatriĂšme Ă  cette Ă©preuve, PĂąris eĂ»t adjugĂ© le prix Ă  la quatriĂšme ; et si la pomme devait ĂȘtre la rĂ©compense de la plus belle, elle aurait Ă©tĂ© la tienne. Celui-lĂ  porte un cƓur de fer, qui peut voir sans Ă©motion tes cĂ©lestes appas et l’incarnat brillant de tes joues. S’il est un mortel insensible Ă  tant de charmes, je le convaincrai sans peine d’ĂȘtre nĂ© d’un chĂȘne ou d’un rocher. XXX. LA VIE HEUREUSE. Non, tu te trompes le bonheur de la vie n’est pas ce que, vous autres hommes, vous vous figurez. Ce n’est pas d’avoir les mains couvertes de pierreries, de reposer sur un lit incrustĂ© d’écaille, d’ensevelir ses flancs dans une plume moelleuse, de boire dans des vases d’or, ou de s’asseoir sur la pourpre, de couvrir sa table de mets dignes d’un roi, ou de serrer dans ses vastes greniers toutes les moissons de l’Afrique. Mais prĂ©senter un front calme Ă  l’adversitĂ©, dĂ©daigner la vaine faveur du peuple, contempler, sans s’émouvoir, les Ă©pĂ©es nues quiconque est capable d’un tel effort peut se vanter de maĂźtriser la fortune. XXXI. LA GRENADE. Lesbie, la lumiĂšre de mon Ăąme, m’a envoyĂ© une grenade maintenant je n’ai plus que du dĂ©goĂ»t pour tous les autres fruits. Je dĂ©daigne le coing que blanchit un lĂ©ger duvet ; je dĂ©daigne la chĂątaigne hĂ©rissĂ©e de dards ; je ne veux ni des noix, ni des prunes dorĂ©es qu’aimait Amaryllis[1] ; je laisse le grossier Corydon mettre un grand prix Ă  de tels prĂ©sents ! j’ai en horreur les mĂ»res, que rougit la couleur du sang elles rappellent, hĂ©las ! un crime affreux, commis par l’Amour. Lesbie m’a aussi envoyĂ© des gĂąteaux oĂč elle a lĂ©gĂšrement imprimĂ© ses dents ; le miel de ses lĂšvres en a augmentĂ© la douceur. Son haleine, plus embaumĂ©e que le thym du mont Hymette, rĂ©pand sur tout ce qui l’approche je ne sais quel parfum plus doux que celui du miel. XXXII. LA MÉTEMPSYCHOSE. IMITATION DE PLATON. Tandis que je cueillais un baiser suave sur les lĂšvres de mon jeune ami, et que j’aspirais sur sa bouche entr’ouverte le doux parfum de son haleine, mon Ăąme, souffrante et blessĂ©e, se prĂ©cipitait sur mes lĂšvres, et, cherchant Ă  se frayer un passage entre celles de cet aimable enfant, s’efforçait de m’échapper. Si ce tendre rapprochement de nos lĂšvres eĂ»t durĂ© un seul instant de plus, brĂ»lĂ©e des feux de l’amour, mon Ăąme passait dans la sienne et m’abandonnait. O prodigieuse mĂ©tamorphose ! mort par moi-mĂȘme, j’aurais continuĂ© de vivre dans le sein de mon ami ! XXXIII. L’HERMAPHRODITE. Lorsque ma mĂšre me portait encore dans son sein[1], elle consulta, dit-on, les dieux — Que dois-je mettre au jour ? — Apollon rĂ©pondit un fils ; — Mars une fille ; — Junon ni l’un ni l’autre. — Quand je fus nĂ©, j’étais hermaphrodite. — Quelle sera la cause de sa mort ? — Les armes, dit la dĂ©esse ; — Le gibet, dit Mars ; — L’eau, dit Apollon. — Ces trois prĂ©dictions s’accomplirent. Un arbre ombrageait l’onde voisine ; j’y grimpe je portais une Ă©pĂ©e ; elle tombe ; et moi, par malheur, je tombe dessus ; mon pied s’arrĂȘte dans les branches, ma tĂȘte plonge dans l’eau. Ainsi donc, homme, femme, sans sexe, je meurs noyĂ©, percĂ©, pendu. XXXIV. LA BOULE DE NEIGE. Je ne pouvais croire que la neige renfermĂąt du feu[1] ; mais, l’autre jour, Julie me jeta une boule de neige cette neige Ă©tait de feu. Quoi de plus froid que la neige ? et pourtant, Julie, une boule de neige lancĂ©e par ta main a eu le pouvoir d’enflammer mon cƓur. OĂč trouverai-je maintenant un refuge assurĂ© contre les piĂšges de l’Amour, si mĂȘme une onde glacĂ©e recĂšle sa flamme ? Tu peux cependant, ĂŽ Julie, Ă©teindre l’ardeur qui me consume, non pas avec la neige, non pas avec la glace, mais en brĂ»lant d’un feu pareil au mien. XXXV. ÉPITAPHE DE CLAUDIA HOMONÉA, ÉPOUSE D’ATIMETUS. Voyageur qui poursuis tranquillement ta route, arrĂȘte un instant, je te prie, et lis ce peu de mots HOMONÉA. Moi, cette mĂȘme HomonĂ©a qui se vit prĂ©fĂ©rĂ©e aux jeunes filles les plus illustres ; moi qui reçus de VĂ©nus la beautĂ©, et des GrĂąces le talent de plaire ; moi qui fus instruite dans tous les arts par la docte Pallas ; je suis maintenant renfermĂ©e dans l’étroit espace de ce tombeau. Et, cependant, Ă  peine quatre lustres composaient mon Ăąge, lorsque le destin jaloux Ă©tendit sur moi sa fatale main. J’en gĂ©mis, non pas pour moi, mais pour Atimetus, mon Ă©poux, dont la douleur est pour moi plus triste que la mort mĂȘme. ATIMETUS. Si le sort cruel consentait Ă  faire l’échange de nos Ăąmes, et que ton existence pĂ»t ĂȘtre rachetĂ©e par la mienne, quel que soit le peu de jours qu’il me reste Ă  vivre, j’en eusse volontiers fait le sacrifice pour toi, ĂŽ ma chĂšre HomonĂ©a ! HĂ©las ! tout ce que je puis faire, c’est d’abandonner la lumiĂšre cĂ©leste, et, par une prompte mort, de te rejoindre bientĂŽt sur les rives du Styx. HOMONÉA. Cesse, ĂŽ mon Ă©poux ! de flĂ©trir ta jeunesse par la douleur, et de provoquer la mort par tes regrets ! Les larmes sont inutiles ; elles ne peuvent Ă©mouvoir le destin. J’ai vĂ©cu c’est le sort commun de tous les mortels. Cesse tes plaintes. Puisses-tu ne jamais Ă©prouver encore une semblable douleur ! puisse le ciel couronner tous tes vƓux ! puisse-t-il ajouter Ă  ton existence tout ce qu’une mort prĂ©maturĂ©e a retranchĂ© de jours Ă  ma jeunesse ! ATIMETUS. Que la terre te soit lĂ©gĂšre, ĂŽ femme si digne de vivre, et de jouir longtemps des biens dont la nature t’avait comblĂ©e ! XXXVI. ÉPITAPHE D’UNE CHIENNE DE CHASSE. La Gaule me vit naĂźtre ; la Conque me donna le nom de sa source fĂ©conde, nom dont j’étais digne par ma beautĂ©. Je savais courir, sans rien craindre, Ă  travers les plus Ă©paisses forĂȘts, et poursuivre sur les collines le sanglier hĂ©rissĂ©. Jamais de pesants liens ne captivĂšrent ma libertĂ© ; jamais mon corps, blanc comme la neige, ne porta l’empreinte des coups. Je reposais, mollement Ă©tendue sur le sein de mon maĂźtre ou de ma maĂźtresse ; un lit dressĂ© pour moi dĂ©lassait mes membres fatiguĂ©s. Quoique privĂ©e du langage, je savais me faire comprendre mieux qu’aucun de mes semblables ; cependant, jamais personne ne redouta mes aboiements. MĂšre infortunĂ©e ! je trouvai la mort en donnant le jour Ă  mes petits ; et maintenant un marbre Ă©troit couvre la terre oĂč je repose. ______ NOTES CHAPITRE I. 1 Num alio furiarum genere declamatores inquietantur ? — C’est ici que commence, Ă  proprement parler, le Satyricon ; tout ce qui prĂ©cĂšde est regardĂ© comme une interpolation par les meilleurs Ă©diteurs et commentateurs de PĂ©trone. 2 Succisi poplites membra non sustinent. — Allusion aux soldats vaincus, auxquels on coupait les nerfs des jarrets pour les empĂȘcher de fuir. CHAPITRE II. 1 Non magis sapere possunt quam bene olere qui in culina habitant. — On nous pardonnera d’avoir traduit ces mois par le proverbe trivial Un cuistre sent toujours sa cuisine. » C’est qu’il rend parfaitement le sens du latin, et qu’en outre le mot de cuistre s’applique trĂšs-bien Ă  ces pĂ©dants ridicules, Ă  ces dĂ©clamateurs dont parle PĂ©trone, lesquels, au lieu de former l’esprit et le goĂ»t de leurs Ă©lĂšves, ne leur enseignent qu’à couvrir des lieux communs d’un dĂ©luge de pĂ©riodes mielleuses et d’expressions boursouflĂ©es, et rĂ©duisent l’éloquence Ă  une harmonie puĂ©rile, Ă  de vaines antithĂšses. 2 Homericis versibus canere non timuerunt. — Toutes les Ă©ditions de PĂ©trone que nous avons sous les yeux portent simplement canere timuerunt ; mais nous pensons, avec Heinsius, qu’il faut lire non timuerunt ; sans cette nĂ©gation, le passage n’a plus de sens. PĂ©trone vient de dire Nondum umbraticus doctor ingenia deleverat quum Pindarus et novem Lyrici
. canere timuerunt. Quel serait donc ce talent dans toute sa force, qui ne servirait qu’à craindre d’imiter la sublimitĂ© d’HomĂšre ? CHAPITRE IV. 1 Improbasse schedium LucilianĂŠ improbitatis. — PĂ©trone parle ici du talent de l’improvisation. Schedium est un canevas, une matiĂšre traitĂ©e sur-le-champ et sans prĂ©paration. Improbitas Luciliana est pris dans le mĂȘme sens que ce passage de Martial Improbos PhĂŠdri jocos, c’est-Ă -dire les plaisanteries audacieuses de PhĂšdre. CHAPITRE VIII. 1 Omnes mihi videbantur satyrion bibisse. — Le satyrion, dit Pline, est un fort stimulant pour l’appĂ©tit charnel. Les Grecs prĂ©tendent que cette racine, en la tenant seulement dans la main, excite des dĂ©sirs amoureux, et beaucoup plus fortement encore si on en boit une infusion dans du vin ; et que c’est pour cette raison qu’on en fait boire aux bĂ©liers et aux boucs trop lents Ă  saillir. On Ă©teint, ajoute-t-il, les ardeurs produites par le satyrion en buvant de l’eau de miel et une infusion de laitue. Les Grecs donnent en gĂ©nĂ©ral le nom de satyrion Ă  toute espĂšce de boisson propre Ă  exciter ou ranimer les dĂ©sirs. » C’est la mĂȘme plante qu’ApulĂ©e, le mĂ©decin, nomme priapiscon ou testiculum leporis. CHAPITRE IX. 1 Tuus inquit iste frater. — Le nom de frater, que l’on trouvera plusieurs fois rĂ©pĂ©tĂ© dans cet ouvrage, Ă©tait parfois un nom de dĂ©bauche chez les Romains il signifiait un mignon ; mais il est plus exactement rendu par le mot de giton, empruntĂ© Ă  un des personnages de cette satire, et pris substantivement pour dĂ©signer celui qui se livre au vice honteux de la pĂ©dĂ©rastie. Nous verrons plus loin soror signifier une maĂźtresse. CHAPITRE XI. 1 Sic dividere cum fratre nolito, etc. — À partir de ces mots, tout ce qui suit, jusqu’au chapitre XII, veniebamus in forum, etc., est une interpolation Ă©vidente, adoptĂ©e par Nodot, mais que Burmann a rejetĂ©e, avec raison, de son Ă©dition. Nous ne l’avons traduite que pour ne pas interrompre le fil de la narration ; mais nous ne donnerons aucune note sur ce passage, d’une latinitĂ© bien infĂ©rieure Ă  celle de PĂ©trone, et qui, d’ailleurs, ne prĂ©sente aucune difficultĂ© sĂ©rieuse. On y reconnaĂźt aisĂ©ment la main d’un Ă©crivain moderne, qui a cherchĂ© vainement Ă  imiter les grĂąces et quelquefois mĂȘme jusqu’aux incorrections de l’auteur qu’il a voulu complĂ©ter. CHAPITRE XIV. 1 Ipsi qui cynica traducunt tempora cƓna. — La frugalitĂ© des philosophes cyniques qui, au rapport de Lucien, ne mangeaient que des lĂ©gumes, couvrait, sous l’apparence de la sĂ©vĂ©ritĂ©, la turpitude de leurs mƓurs. CHAPITRE XVII. 1 Neve traducere velitis tot annorum secreta. — Ces prĂ©tendus mystĂšres n’étaient plus mĂȘme un secret du temps de JuvĂ©nal. Voici la description qu’il nous en a laissĂ©e dans sa satire VI, Contre les femmes, v. 315. Nous empruntons cette citation Ă  l’excellente traduction de Dusaulx, voir la nouvelle Ă©dition publiĂ©e par MM. Garnier frĂšres. On sait Ă  prĂ©sent ce qui se passe aux mystĂšres de la Bonne-DĂ©esse, quand la trompette agite ces autres mĂ©nades, et que, la musique et le vin excitant leurs transports, elles font voler en tourbillons leurs cheveux Ă©pars, et invoquent Priape Ă  grands cris. Quelle ardeur, quels Ă©lans ! quels torrents de vin ruissellent sur leurs jambes ! Laufella, pour obtenir la couronne offerte Ă  la lubricitĂ©, provoque de viles courtisanes, et remporte le prix. A son tour, elle rend hommage aux fureurs de MĂ©dulline. Celle qui triomphe dans ce conflit est regardĂ©e comme la plus noble. LĂ , rien n’est feint ; les attitudes sont d’une telle vĂ©ritĂ©, qu’elles enflammeraient le vieux Priam et l’infirme Nestor. DĂ©jĂ  les dĂ©sirs exaltĂ©s veulent ĂȘtre assouvis ; dĂ©jĂ  chaque femme reconnaĂźt qu’elle ne tient dans ses bras qu’une femme impuissante, et l’antre retentit de ces cris unanimes Introduisez les hommes ; la dĂ©esse le permet. Mon amant dormirait-il ? qu’on l’éveille. Point d’amant ? je me livre aux esclaves. Point d’esclaves ? qu’on appelle un manƓuvre. A son dĂ©faut, si les hommes manquent, l’approche d’un Ăąne ne l’effrayerait pas. » CHAPITRE XIX. 1 Et prƓcincti certe altius eramus. — Allusion Ă  la coutume qu’avaient les soldats romains de relever leur robe avec leur ceinture, quand ils se disposaient Ă  combattre. C’est pourquoi Virgile a dit Discinctos Afros, c’est-Ă -direinhabiles militiƓ, parce que les soldats courageuxcincti erant. De lĂ  vient aussicingulam militiƓ dare, qui, selon Rufin, signifie Dare jus militandi. CHAPITRE XXIV. 1 Ascylto embasicƓtas detur ; et, plus haut, non intellexeras cinƓdum embasicƓtam vocari ? Il y a ici un jeu de mots, intraduisible en français, qui roule sur ce mot, embasicƓtes, composĂ© de embainein, monter, et koitĂš, lit. On donnait ce nom Ă  des dĂ©bauchĂ©s qui parcouraient les lits pour faire souffrir aux autres l’espĂšce de dĂ©bauche dont parle ici PĂ©trone. C’est ce qui fait dire Ă  Catulle, dans sa trentiĂšme Ă©pigramme Perambulavit omnium cubilia. Nous avons traduit ce mot par celuid’incube, qui, en français, s’en rapproche le plus, et qui en donne une idĂ©e assez exacte. Il paraĂźt d’ailleurs que ce dĂ©bauchĂ© s’appelait EmbasicƓtas, nom qui convenait parfaitement Ă  ses fonctions, comme celui de CoupĂ© Ă  l’écuyer tranchant dont il sera question plus loin. CHAPITRE XXV. 1 QuƓ tulerit vitulum, illa potest et tollere taurum. Ce proverbe, auquel Quartilla donne ici un sens obscĂšne, a cependant une autre origine que celle dont elle le fait dĂ©river. Il fait allusion Ă  Milon de Crotone, qui, s’étant habituĂ© Ă  porter un veau nouvellement nĂ© Ă  une distance de plusieurs stades, finit, en continuant chaque jour cet exercice, par le porter de mĂȘme lorsqu’il fut parvenu Ă  la dimension d’un taureau. Quintilien rappelle ce trait, liv. Ier, chap. 9, de son Institution oratoire Milo, quem vitulum assueverat ferre, taurum ferebat. » Du reste, ce proverbe peut s’appliquer trĂšs-bien Ă  cette femme, qui, par une habitude quotidienne du libertinage, finit par se livrer sans danger aux plus grands excĂšs. CHAPITRE XXVI. 1 Venerat jam dies
 liberae cƓnƓ apud Trimalchionem. — Nous avons traduit, d’aprĂšs Nodot, Nous touchions au jour oĂč Trimalchion, dans un festin, devait affranchir un grand nombre d’esclaves. » Mais ce sens ne nous satisfait point. Selon Lavaur, libera cƓna Ă©tait un festin oĂč l’on n’élisait point de roi, au lieu qu’ordinairement on choisissait un roi des festins, qui les rĂ©glait Ă  sa volontĂ©, et qui Ă©tait reconnu comme maĂźtre par tous les convives, ce qu’attestent assez les Ă©crits des anciens. Le festin libre, dont il est ici question, sera donc sans rĂšgle, sans ordre ; tout s’y passera dans la licence et le dĂ©rĂšglement. On peut aussi interprĂ©ter libera coena par un festin auquel tout le monde Ă©tait indistinctement admis, mĂȘme les esclaves de Trimalchion, comme nous le verrons plus loin. On peut encore prendre ici le mot libera cƓna dans le mĂȘme sens, que le libera vina d’Horace Art poĂ©tique, vers 85. CHAPITRE XXVII. 1 Inter pueros capillatos. — Il sera souvent question, dans le cours de cet ouvrage, de ces pueri capillati. Ce n’était qu’aux esclaves destinĂ©s aux plaisirs qu’on laissait et entretenait une longue chevelure tous les autres portaient les cheveux courts. 2 Digitos concrepuit. — C’était la coutume des grands d’appeler leurs esclaves en faisant craquer leurs doigts. Martial, sur l’inscription de Matella, dit, liv. xIv, Ă©pigr. 119 Dum poscor crepita digitorum. L’affranchi Pallas, Ă©tant accusĂ© d’une conspiration contre NĂ©ron, quand on lui nomma quelques-uns de ses affranchis comme ses complices, rĂ©pondit avec arrogance qu’il ne leur avait jamais parlĂ© que par des gestes de la tĂȘte ou de la main, pour ne pas se familiariser avec eux Tac, Ann., xiii. 3 Digitos
 in capite pueri tersit. — C’était encore un raffinement qui annonçait l’opulence et la mollesse chez les anciens, que d’essuyer ses mains aux cheveux d’un de ces esclaves Ă  longue chevelure. CHAPITRE XXVIII. 1 Hoc suum propinasse dicebat. — Ce passage n’est intelligible qu’en sous-entendant le mot genium. Trimalchion voulait dire que ces Ă©tuvistes venaient de faire des libations Ă  son bon gĂ©nie, ou plutĂŽt de boire Ă  sa santĂ© ; car c’est lĂ  le vĂ©ritable sens de propinare. 2 Chiramaxio, in quo deliciƓ ejus vehebantur. — EspĂšce de chaise Ă  porteur ; des deux mots grecs, keir, main, et amaxa, char. CHAPITRE XXIX. 1 Cave, cave canem ! — SĂ©nĂšque rapporte que, de son temps, il y avait aux portes des palais de gros chiens d’attache ; et ArtĂ©midore, que quelques-uns se contentaient d’en faire peindre l’image sur la muraille, auprĂšs de la loge du portier, avec cette inscription Cave canem !ce qui fait dire Ă  Vairon Cave canem inscribi jubeo c’était aussi une inscription assez ordinaire sur les grandes portes, pour avertir les Ă©trangers de ne pas entrer tĂ©mĂ©rairement. 2 Erat venalitium titulis pictum. — Chaque esclave, mis en vente dans un marchĂ© public, portait suspendu au cou un Ă©criteau qui indiquait son pays, son savoir-faire, ses dĂ©fauts cela Ă©tait ordonnĂ© par les Ă©diles. Voyez Aulu-Gelle, liv. IV, chap. 2 ; et ce distique de Properce, liv. IV, Ă©lĂ©gie 5 Aut quorum titulus per barbara colla pependit, CƓlati niedio quum saliere foro. 3 Et pixis aurea non pusilla, in qua barbam ejus conditam esse dicebant. — Les Romains gardaient leur premiĂšre barbe avec un soin superstitieux ; ils adoptĂšrent assez tard l’usage de se raser. Varron nous apprend que les premiers barbiers vinrent de Sicile en Italie, l’an 454 de la fondation de Rome, amenĂ©s par Publius Ticinus Mena ; avant cette Ă©poque, on ne s’y rasait pas. CHAPITRE XXX. 1 Vestimenta mea cubitoria perdidit. — Les Romains avaient pour la table des habits particuliers qu’ils y portaient toujours, et qu’ils ne pouvaient porter ailleurs ; et, quand ils mangeaient hors de chez eux, ils envoyaient ces habits chez leur hĂŽte, Ă  moins que celui-ci ne leur en fournĂźt. La couleur de ces habits n’était point fixĂ©e, tandis que l’habit de ville devait toujours ĂȘtre blanc. Ils appelaient cette robe de festin vestis cƓnatoria ou cubitoria ; celle des gens de qualitĂ© s’appelait synthesis. NĂ©ron portait quelquefois en public cette robe de festin, ce que SuĂ©tone, au chapitre II de la vie de cet empereur, lui reproche comme un manque de biensĂ©ance. CHAPITRE XXXI. 1 Pueris alexandrinis aquam in manus nivatam infundentibus. — Les esclaves d’Alexandrie Ă©taient les plus recherchĂ©s, non-seulement parce qu’ils venaient de loin, mais parce qu’ils Ă©taient particuliĂšrement propres aux plaisirs les plus effrĂ©nĂ©s, et que rien d’infĂąme ni de vil ne les rebutait. Martial, Ă©pigr. 42 du liv. IV, dĂ©crivant les qualitĂ©s qu’il veut trouver dans un esclave, exige d’abord qu’il soit Égyptien Niliacis primum puer is nascatur in oris, Nequitias tellus scit dare nulla magis. 2 Aquam nivatam. — Cette eau se faisait avec de la neige fondue, puis filtrĂ©e, et plongĂ©e de nouveau dans la neige pour la frapper de glace. NĂ©ron l’aimait Ă  un tel point, qu’il en faisait mettre dans ses bains. Cette invention est d’ailleurs fort ancienne. Pline liv. xxxi, chap. 3 dit que NĂ©ron s’avisa le premier de faire bouillir de l’eau, et de la mettre ensuite dans la neige, afin qu’elle prĂźt mieux le froid et fĂ»t moins dangereuse. 3 In quarum marginibus nomen Trimalchionis inscriptum erat et argenti pondus. — Avant l’invention des armes ou du blason, on gravait le nom des grands seigneurs sur leur vaisselle, ou des emblĂšmes qui leur convenaient ; et les piĂšces d’argenterie qui Ă©taient ainsi marquĂ©es se nommaient pocula litterata. Plaute dit, en parlant d’une urne HƓc litterata est ab se cantat cuja sit. PĂ©trone, pour tourner en ridicule l’ostentation de Trimalchion, ajoute et argenti pondus. Ce n’était point l’usage, chez les gens habituĂ©s Ă  l’opulence, d’indiquer ainsi le poids de l’argent. 4 Glires, melle et papavere sparsos. Les anciens se servaient du miel comme nous faisons du sucre. Quant Ă  papaver, il s’agit ici du pavot blanc on faisait des sauces avec le jus de sa graine broyĂ©e, aprĂšs l’avoir fait rissoler Pline, liv. xxIx, chap. 8. On l’employait aussi quelquefois avec du lait, comme le prouve ce passage d’Ovide, Fastes,liv. Iv, vers 149 Nec pigeat tritum niveo cum lacte papaver Sumere, et expressis mella liquata favis. Glires, les loirs Ă©taient fort estimĂ©s, chez les anciens, de ceux qui aimaient la bonne chĂšre. Martial, liv. XIII, dit, en faisant parler le loir Tota mihi dormitur hiems, et pinguior illo Tempore sum quo me nil nisi somnus alit. CHAPITRE XXXII. 1 Pallio enim coccineo adrasum excluserat caput. — C’était une grande marque de luxe et de mollesse de porter la tĂȘte enveloppĂ©e dans son manteau. SĂ©nĂšque, lettre cxv, dĂ©crivant la mollesse de MĂ©cĂšne, lui reproche particuliĂšrement de s’ĂȘtre montrĂ© en public ainsi vĂȘtu. CHAPITRE XXXIII. 1 Ut deinde spina argentea dentes perfodit. — Un cure-dents d’argent Ă©tait, chez les Romains, une marque de luxe, parce qu’ils ne se servaient ordinairement que de petits morceaux de bois ou de plume. CHAPITRE XXXIV. 1 Jam Trimalchio fecerat potestatem si quis nostrum iterum vellet mulsum sumere. — Ce que les Romains appelaient mulsum Ă©tait une espĂšce d’hypocras ou vin miellĂ© dont quatre parties Ă©taient de vin, et la cinquiĂšme de miel il en est souvent question dans les auteurs anciens ; et c’est par lĂ  qu’on commençait le repas. Auguste, demandant Ă  Pollion, alors ĂągĂ© de plus de cent ans, et encore vigoureux, par quels moyens il avait conservĂ© une si belle santĂ©, Pollion lui rĂ©pondit Intus mulso, foris oleo. 2 Argentumque inter reliqua purgamenta scopis cƓpit verrere. — SĂ©nĂšque, lettre lxvii du livre VI, raconte que pendant que les maĂźtres Ă©taient Ă  table, un esclave Ă©tait obligĂ© de laver les crachats sur le parquet ; un autre recevait les vomissements de ceux qui Ă©taient ivres ; un autre balayait tout ce qui tombait de la table Alius sputa detegit, alius reli-quias temulentorum subditus colligit, etc. PĂ©trone, pour nous donner une idĂ©e de la magnificence extravagante de Trimalchion, dit que, par son ordre, un plat d’argent tombĂ© Ă  terre est balayĂ© avec les ordures par un esclave. 3 Statim allatoe sunt amphoroe vitreoe diligenter gypsatƓ. — Ces bouteilles Ă©taient bouchĂ©es avec une espĂšce de mastic fait de plĂątre fin mĂȘlĂ© avec de la rĂ©sine on s’en sert encore aujourd’hui en Italie pour le mĂȘme usage, et c’est l’équivalent de notre goudron. Les anciens plaçaient sur le cou ou goulot des bouteilles, cervicibus, des Ă©tiquettes, pittacia, qui indiquaient le nom du vin, son terroir, son Ăąge ; ce qui nous est confirmĂ© par JuvĂ©nal, en parlant d’un vin . . . . Cujus patriam titulumque senectus Delevit. 4 Larvam argenteam attulit servus. — C’était, dit Plutarque, un usage que les Grecs avaient empruntĂ© des Égyptiens, et qu’ils avaient transmis aux Romains, de faire figurer dans les repas des tĂȘtes de mort, des squelettes. Le but de cette coutume, selon Scaliger, Ă©tait de porter les convives Ă  goĂ»ter les douceurs de la vie pendant qu’ils jouissaient d’une bonne santĂ©, et Ă  s’abandonner aux plaisirs que la mort devait bientĂŽt leur ravir. HĂ©rodote en parle liv. II, chap. 78. Les vers que PĂ©trone met dans la bouche de Trimalchion dĂ©veloppent cette pensĂ©e on les croirait inspirĂ©s par ce passage du livre de la Sagesse, oĂč Salomon fait dire Ă  l’impie Umbrae transitus est tempus nostrum, et non est reversio finis nostri. Venite ergo, et fruamur bonis quae sunt, et utamur creatura, tanquam in juventute celeriter. Vino pretioso et unguentis nos impleamus, et non prƓtereat nos flos temporis. Coronemus nos rosis antequam mar-cescant nullum pratum sit quod non pertranseat luxuria nostra. Nemo vestrum exsors sit luxuriƓ nostrae, ubique relinquamus signa lƓtitiƓ, quoniam haec est pars nostra, et hƓc est sors nostra. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© reproduite sous toutes les formes par les poĂ«tes anacrĂ©ontiques ; elle fait le sujet de cette chanson si connue Nous n’avons qu’un temps Ă  vivre ; Amis, passons-le gaiement, etc. CHAPITRE XXXV. 1 Repositorium enim rotundum duodecim habebat signa in orbe disposita. — Cette machine, qui avait la forme d’un globe, et qui contenait les douze signes du zodiaque, Ă©tait sans doute une chose singuliĂšre, mais non pas nouvelle. Alexis, de Thurium, poĂ«te comique, plus ancien que MĂ©nandre, dĂ©crit ainsi, au rapport de Suidas, une machine ou un surtout de table Ă  peu prĂšs semblable AprĂšs qu’on nous eut donnĂ© Ă  laver, on dressa une table sur laquelle on servit, non du fromage, des olives, des ragoĂ»ts et d’autres mets ordinaires, mais un bassin magnifique qui reprĂ©sentait la moitiĂ© du ciel, et dans les divers compartiments duquel on avait enchĂąssĂ© tout ce que le firmament offre de plus beau des poissons, des chevreaux, des Ă©crevisses et tous les signes du zodiaque. Enfin nous portĂąmes les mains sur ces astres, et nous ne quittĂąmes le ciel qu’aprĂšs l’avoir percĂ© comme un crible. » AthĂ©nĂ©e, liv. II, chap. 18. — D’aprĂšs ce passage du poĂ«te grec, on voit que l’invention de ce globe n’était point due Ă  l’imaginative du maĂźtre d’hĂŽtel de Trimalchion, mais que c’était une nouveautĂ© renouvelĂ©e des Grecs. 2 Suadeo, inquit Trimalchio, cƓnemus ; hoc est jus cƓnƓ. — Je soupçonne fort Trimalchion de vouloir faire ici un calembour, et de jouer sur le mot jus, qui, comme chacun sait, a deux sens fort opposĂ©s jus, droit, et jus, sauce. Ainsi hoc est jus cƓnƓ signifierait Ă©galement c’est le droit du festin, c’est pour cela qu’on est Ă  table ; ou c’est l’assaisonnement, la quintessence, le plus succulent du repas. Nous voyons de mĂȘme ces mots, in jus vocare, tour Ă  tour traduits par appeler en justice, et par fricasser, mettre Ă  l’étuvĂ©e, au court-bouillon. On connaĂźt d’ailleurs le fameux calembour de CicĂ©ron Jure te adjuvabo. CHAPITRE XXXVI. 1 Altilia, et sumina ; — Altilia, toutes sortes de volailles engraissĂ©es ; sumina, sorte de ragoĂ»t fait des mamelles de la tĂ©tine d’une truie qui vient de mettre bas. Martial dit, livre XIII, Ă©pigramme 41 Esse potes nudum sumen, sic ubere largo Effluit, et vivo lacte papilla tumet. Le mot sumense prend aussi pour la poitrine d’une laie, que l’on appelle le bourbelieren termes de vĂ©nerie. 2 Garum piperatum. — Le garum Ă©tait la liqueur ou sauce que l’on lirait d’un poisson nommĂ© garon par les Grecs ; on a ensuite Ă©tendu ce nom a toutes sortes de sauces faites avec des poissons ou avec leur saumure, ce qui fait dire avec tant de raison Ă  Manilius, liv. v, vers 671, en parlant de cette sauce Hinc sanies pretiosa fluit, floremque cruoris Evomit, et mixto gustum sale temperat oris. SĂ©nĂšque dit, lettre xcvi Garum, pretiosam malorum piscium saniem ; et Martial, liv. XIII, sur le mot Ostrea Ebria baiano veni modo concha Lucrino Nobile nunc silio luxuriosa garum. On faisait le garum avec des entrailles de poisson confites dans le vin et le vinaigre, ou bien dans l’eau et le sel, et souvent dans l’huile ; on y mettait aussi du poivre, garum piperatum, comme le dit ici PĂ©trone, et quelquefois des fines herbes. Pline liv. XXXI, chap. 3 dit que le garum fait avec le maquereau seul Ă©tait le plus estimĂ© ; mais CĂ©lius Aurelianus donne le prix au garum fait avec un poisson du Nil appelĂ© silurus. C’était en mĂȘme temps la meilleure sauce Ă  servir avec les poissons. De nos jours on fait aussi diffĂ©rentes sauces avec des poissons, entre autres la sauce d’anchois dont les Anglais font un trĂšs-grand usage. 3 Pisces, qui in Euripo natabant. — L’Euripe, comme on sait, est ce bras de mer qui sĂ©pare l’üle d’EubĂ©e ou de NĂ©grepont de la GrĂšce, et qui est si resserrĂ© devant Chalcis, qu’une galĂšre pouvait Ă  peine y passer. Ce canal Ă©tait et est encore remarquable par l’irrĂ©gularitĂ© de ses marĂ©es. Les Romains avaient donnĂ©, par extension, le nom d’Euri-pes aux canaux par lesquels ils conduisaient et distribuaient les eaux pour l’embellissement de leurs maisons de campagne. Ductus aquarum quos Euripos vocant, dit CicĂ©ron de Legibus, lib. II. Ils appelaient aussi Euripes les fossĂ©s dont ils environnaient leurs cirques et leurs théùtres Civitas exstruxit theatrum, scena erat talis, et statuae super Euripum, etc. Voir Tertullien contre HermogĂšne. Sidonius Apollinaris, poĂ«me XXII, v. 208 Fusilis Euripus propter cadit unda superne Ante fores pendente lacu, venamque secuti Undosa inveniunt nantes cƓnacula pisces. PĂ©trone, par une hyperbole plaisante, donne ici le nom d’Euripe Ă  ces flots de saumure ou de court-bouillon qui, coulant des outres portĂ©es par quatre satyres, placĂ©s aux angles du surtout, allaient se rĂ©unir au fond de cette machine, et y formaient une espĂšce de lac oĂč nageaient des poissons tout accommodĂ©s. 4 Scissor, et ad symphoniam ita gesticulatus laceravit obsonium. — Ce passage, et cent autres de ce festin, prouvent que les anciens Ă©taient Lien plus raffinĂ©s que nous dans les plaisirs de la table. Nous n’avons point, comme eux, de ces Ă©cuyers tranchants qui dĂ©coupaient les viandes en mesure, aux sons de l’orchestre. CHAPITRE XXXVII. 1 Uxor, inquit, Trimalchionis, etc. — Ce n’est plus PĂ©trone qui parle ici, c’est un des affranchis de Trimalchion, ou plutĂŽt un de ses anciens compagnons d’esclavage. Nous allons, dans la suite de ce festin, voir plusieurs de ces affranchis prendre la parole un Seleucus, un PhilĂ©ros, un GanymĂšde, un Échion, etc. ; leurs locutions seront barbares et Ă©trangĂšres, fourmilleront de solĂ©cismes et de barbarismes, de mots bĂątards, formĂ©s du grec et du latin, de proverbes et de quolibets bas et grossiers, ce qui nous donnera une juste idĂ©e de l’éducation de ces parasites, et de la sociĂ©tĂ© que rassemble autour de lui ce Trimalchion, esclave parvenu, dont les goĂ»ts dĂ©pravĂ©s ne tarderont pas Ă  se faire connaĂźtre. L’hĂŽte et les convives sont dignes les uns des autres, et peuvent aller de pair ; c’est Ă  quoi il faut bien prendre garde il n’y a dans leurs discours ni justesse, ni suite, ni liaison, ni sens ce sont des maniĂšres de parler triviales, telles que Plaute, TĂ©rence et MoliĂšre en mettent dans la bouche des esclaves et des valets. Cet avertissement est nĂ©cessaire pour faire sentir et apprĂ©cier le mĂ©rite de cet ouvrage, oĂč les interlocuteurs s’expriment avec une vĂ©ritĂ© et un naturel qui prouvent dans notre auteur une observation profonde des mƓurs et du langage des diffĂ©rentes classes de la sociĂ©tĂ©. 2 Ignoscet mihi genius tuus. —Comme nous dirions en français sauf votre sait d’ailleurs que les anciens croyaient que chacun avait son gĂ©nie particulier, ainsi que nous avons notre ange gardien, nos bons et nos mauvais anges. L’auteur dit, dans un autre endroit genios vestros iratos habeam. 3 Pica pulvinaris. — Mot Ă  mot, une pie d’oreiller ; parce que c’est lorsqu’elles sont au lit avec leurs maris que les commĂšres de l’espĂšce de Fortunata donnent carriĂšre Ă  leur mĂ©disance, et cherchent Ă  nuire Ă  ceux qu’elles n’aiment pas ; d’oĂč Martial . . . . . Sit non ditissima conjux, Sit nox cum somno, sit sine lite dies. 4 Quem amat, amat ; quem non amat, non amat. — C’est un proverbe vulgaire Aut amat, aut odit mulier, nihil est tertium, dit Publius Syrus, en parlant des femmes. CHAPITRE XXXVIII. 1 Arietes a Tarento emendos. — Le territoire de Tarente Ă©tait cĂ©lĂšbre pour ses bons vins et ses bonnes laines. Martial dit, livre XIII Nobilis et lanis, et felix vitibus, Aulon Det pretiosa tibi vellera, vina mihi. Aulon est une colline fertile en vins et en troupeaux, aux environs de Tarente. On trouve aussi dans Horace, ode 6 du livre II, l’éloge des laines de Tarente Unde si Parcae prohibent iniquae, Dulce pellitis ovibus Galesi Flumen, et regnata petam Laconi ____Rura Phalantho. Varron de Re rustica, lib. II dit que les brebis de Tarente avaient de si bonne laine, qu’on les couvrait de peaux, afin que leur toison ne se gĂątĂąt pas ; c’est pour cela qu’on les appelait oves pellitƓ. 2 Semen boletorum. — De la graine de champignons ou de morilles. Ainsi Trimalchion voulait faire venir de l’Inde de la graine de champignons, quoique ces cryptogames n’en produisent point. Cela peint admirablement bien la dĂ©mence d’un de ces riches ignorants qui se figurent qu’avec de l’or on peut tout se procurer, comme le financierde La Fontaine, qui se plaignait __Que les soins de la Providence N’eussent point au marchĂ© fait vendre le dormir, __Comme le manger et le boire. 3 Ex onagro. — L’onagre est une espĂšce d’ñne sauvage. On le trouvait principalement en Phrygie et en Lycaonie. Pline liv. VIII, chap. 44 en parle ainsi Mula autem, ex equa et onagra mansuefacta, velox in cursu, duritia eximia pedum, verum strigoso corpore, indomito animo. Sed generator, onagro et asina genitus, omnes antecellit. Les riches faisaient de cet animal un objet de luxe, comme nous le prouve la lettre de CicĂ©ron Ă  Atticus, livre VI Nec deerant onagri, dit-il en parlant du voyage fastueux de VĂ©dius Pollion. 4 Collibertos ejus. — Nous voyons par lĂ  qu’à l’exception d’un trĂšs-petit nombre de personnes, telles qu’Ascylte, Encolpe, Agamemnon, tous les autres convives de Trimalchion n’étaient que des affranchis. 5 Quum olla male fervet
 amici de medio. — Quand la marmite est renversĂ©e, adieu les amis ! Horace exprime la mĂȘme idĂ©e, ode 5 du livre Ier . . . . . . Diffugiunt cadis Cum fƓce siccatis amici. 6 Apros gausapatos. — LittĂ©ralement, des sangliers en capote velue, c’est-Ă -dire encore couverts de leur peau, pour montrer qu’on les servait tout entiers ; ce qu’on ne voyait que sur les tables somptueuses. JuvĂ©nal, satire I, s’élĂšve avec su verve ordinaire contre ce luxe monstrueux . . . . Quanta est gula, quƓ sibi totos Ponit apros ! P. Servilius Rufus fut le premier, au tĂ©moignage de Pline liv. VIII, chap. 51, qui fit servir sur sa table un sanglier tout entier. CHAPITRE XXXIX. 1 Sermonibus publicatis signifie ici une conversation gĂ©nĂ©rale, par opposition aux entretiens particuliers et Ă  voix basse. C’est l’effet ordinaire du vin, que les convives commencent, dĂšs qu’ils sont ivres, Ă  parler Ă  haute voix, et souvent tous Ă  la fois. 2 Is ergo reclinatus in cubitum. — C’était un air dĂ©gagĂ©, et sans façon, fort opposĂ© Ă  la biensĂ©ance et Ă  la politesse, comme on dit parmi nous mettre les coudes sur la table. Un homme qui savait vivre se tenait droit de la ceinture en haut, sans ĂȘtre trop penchĂ© en avant sur la table, ni couchĂ© en arriĂšre ou sur le cĂŽtĂ©. 3 Sic notus Ulyxes ? — Trimalchion vient de faire un mauvais quolibet, en disant Ă  ses convives de boire assez pour mettre Ă  la nage les poissons qu’ils ont mangĂ©s, pisces nature oportet. Le voici maintenant qui fait de l’érudition Sic notus Ulyxes ? par allusion Ă  ces vers du IIe livre de l’EnĂ©ide . . . . . . Aut ulla putatis Dona carere lotis Danaum ? sic notus Ulyxes ? 4 Oportet etiam inter cƓnandum philologiam nosse. — De plus fort en plus fort ! voici notre amphitryon qui s’élĂšve Ă  la philologie, et Dieu sait quelle philologie ! Nous allons bientĂŽt le voir tomber de balourdise en balourdise. 5 In totidem se figuras convertit. — Nous ne nous arrĂȘterons pas sur l’explication astronomique, ou plutĂŽt astrologique, de ce globe cĂ©leste inventĂ© par le cuisinier de Trimalchion. Il serait en effet impossible d’expliquer toutes les absurditĂ©s que PĂ©trone met Ă  dessein dans la bouche de cet ignorant prĂ©somptueux. 6 Cornu acutum. — C’est-Ă -dire des gens Ă  se bien dĂ©fendre, et qu’il ne fait pas bon attaquer, comme l’on dit, tollere cornua, cornu ferire. Ainsi Horace, ode 21 du livre III, pour dire que le vin donne des forces et du courage Viresque, et addis cornua pauperi. 7 Laudamus urbanitatem mathematici. — Le sens de mathematicus est ici astrologue, parce qu’en effet la plupart des mathĂ©maticiens se livraient Ă  l’étude de l’astrologie. 8 Ne genesim meam premerem. — Trimalchion avait fait mettre une simple couronne sur le signe du Cancer, comme nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, pour ne pas dĂ©figurer son horoscope par quelque mets ignoble, mais au contraire pour en relever la noblesse. 9 CucurbitƓ. — Des tĂȘtes de citrouille. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a donnĂ© ce nom aux tĂȘtes vides et sans cervelle. JuvĂ©nal dit, satire XIV Quum facias pejora senex, vacuumque cerebro ampridem caput hoc ventosa cucurbita quƓrat. 10 Obsonatores, et rhetores. — PĂ©trone revient ici avec complaisance sur cette comparaison des rhĂ©teurs et des cuisiniers, que nous avons dĂ©jĂ  vue au commencement de cette satire. CHAPITRE XL. 1 Altera caryotis, altera thebaicis repleta. — Ces dattes croissent en Syrie et en JudĂ©e, et surtout dans le territoire de JĂ©richo elles sont jaunes et noires, grosses, rondes comme des pommes, et trĂšs-douces. Quant aux autres, appelĂ©es thebaĂŻcƓ, elles se trouvent dans les dĂ©serts de la ThĂ©baĂŻde, voisins du Grand-Caire en Égypte, qu’habitaient anciennement ces fameux anachorĂštes qui ne vivaient que de ce fruit. Ces derniĂšres sont blanches et petites, mais fort nourrissantes. Pline compte quarante-neuf espĂšces de dattes ; et comme ce fruit croit dans les forĂȘts, on en avait suspendu des corbeilles aux dĂ©fenses du sanglier, en guise des glands dont il se nourrit, pour les distribuer aux convives, comme nous le verrons bientĂŽt. CHAPITRE XLI. 1 Dionyse
 liber esto ! — C’est un jeu de mots qu’il est impossible de rendre clairement en français. Trimalchion y revient encore quelques lignes plus loin, lorsqu’il dit aux convives Non negabitis me habere Liberum patrem. Les anciens donnaient le nom de Pater Ă  presque tous les dieux, et celui de Mater aux dĂ©esses, comme le prouve le nom de Jupiter, composĂ© de Zeus et de Pater, ou, selon d’autres Ă©tymologistes, de Juvans Pater ; on trouve partout, dans les poĂ«tes, le nom de MaterdonnĂ© Ă  Junon, Ă  CĂ©rĂšs, etc. Nous rappellerons, Ă  propos de ces divers noms donnĂ©s Ă  Bacchus, qu’Antoine eut la fantaisie, en traversant la GrĂšce, de se faire appeler Liber ou Bacchus ; il prit le costume de ce dieu, et, comme lui, montĂ© sur un char traĂźnĂ© par des tigres, il se fit accompagner d’hommes et de femmes vĂȘtus en satyres et en bacchantes. Les AthĂ©niens allĂšrent Ă  sa rencontre en l’invoquant comme Bacchus ; et, pour se moquer de lui, lui offrirent en mariage la dĂ©esse Minerve, protectrice de leur ville. Antoine prit fort bien la plaisanterie ; mais, pour les payer de la mĂȘme monnaie, il accepta la fiancĂ©e qu’ils lui offraient, et leur fit payer mille talents pour sa dot. CHAPITRE XLII. 1 Homo bellus. — Cette Ă©pithĂšte bellus est parfaitement placĂ©e dans la bouche de celui qui parle, et nous apprend l’usage que l’on doit faire de ce mot, qu’on applique souvent mal Ă  propos, et qui ne peut convenir Ă  un personnage de quelque importance. Il se prenait tantĂŽt en bonne, tantĂŽt en mauvaise part. Martial raille plusieurs personnes qui, de son temps, abusaient de ce mot, dont il dĂ©termine le vĂ©ritable sens dans les Ă©pigrammes 7 du livre II et 63 du livre III, oĂč il dit Un joli homme sait et fait joliment une foule de jolies petites bagatelles inutiles ; et tout son mĂ©rite se borne lĂ  ; bien diffĂ©rent en cela d’un honnĂȘte homme, etc. » Aussi, dans le passage qui nous occupe, Seleucus, aprĂšs avoir dit que Chrysante Ă©tait un homme aimable, un joli homme, ajoute et tam bonus, comme pour corriger la faiblesse du premier Ă©loge. 2 Medicus enim nihil aliud est quam animi consolatio. — Cet axiome de PĂ©trone, quoique placĂ© dans la bouche d’un fou, est admirable. En effet, le mĂ©decin doit commencer sa cure par consoler son patient, par guĂ©rir son esprit toujours affectĂ© par la maladie. C’est ce que nĂ©gligent trop de docteurs dont l’aspect triste, la figure sĂ©vĂšre, le ton brusque et tranchant, sont plus propres Ă  intimider le malade qu’à lui donner le courage dont il a besoin. CHAPITRE XLIII. 1 Qui linguam caninam comedi. — Scheffer s’imagine Ă  tort qu’il est question ici de cette herbe qu’on appelle cynoglosse, ou langue de chien, plante borraginĂ©e, narcotique et anodine, qui n’a nullement la vertu de rendre les gens hardis Ă  parler. Linguam caninam est plutĂŽt, selon moi, une allusion Ă  l’effronterie si connue des cyniques. C’est ainsi que Quintilien dit canina eloquentia, style mordant. Dans HomĂšre, Achille irritĂ© appelle Agamemnon Ɠil de chien, et la Fable rapporte qu’HĂ©cube, captive, fut changĂ©e en chienne, et le lieu de sa sĂ©pulture, prĂšs d’Abydos, fut appelĂ© le Tombeau de la chienne, parce que, comme cet animal, HĂ©cube aboyait continuellement contre les Grecs. Cependant lingua canina ne doit pas se prendre ici en mauvaise part, car PhilĂ©ros ne dirait pas du mal de lui-mĂȘme, mais dans le mĂȘme sens que, chez nous, un saint Jean bouche d’or, un homme franc, qui ne dĂ©guise en rien sa pensĂ©e. 2 Discordia, non homo. — La discorde incarnĂ©e, la discorde en personne. Nous verrons plus loin piper, non homo. CHAPITRE XLIV. 1 Cum quo audacter posses in tenebris micare. — Expression proverbiale chez les anciens pour dĂ©signer un homme de bien. Vous auriez pu sans crainte jouer Ă  la mourre avec lui dans les tĂ©nĂšbres. » La mourre est un jeu qui consiste Ă  lever autant de doigts que l’indique celui qui commande il exige une grande vivacitĂ© dans l’exĂ©cution, et en mĂȘme temps celui qui commande a besoin de ses yeux pour voir si on lui prĂ©sente le nombre de doigts indiquĂ©. Mais GanymĂšde dit ici que Safinius Ă©tait de si bonne foi, qu’on pouvait jouer Ă  ce jeu avec lui au milieu des tĂ©nĂšbres, sans crainte qu’il accusĂąt faux. Ce jeu est trĂšs-ancien ; CicĂ©ron en parle presque dans les mĂȘmes termes que PĂ©trone Dignus est quieum in tenebris mices ; et livre III, chapitre 3 des Offices Nullum erit certamen, sed quasi forte, aut micando victus, alleri cedat aller. Calpurnius en fait mention dans sa 2e Ă©glogue Et nunc alternos magis ut distinguere cantus Possitis, ter quisque manus jactate micantes. Nec mora, discernunt digitis prior incipit Idas. Saint Augustin rapporte aussi ce proverbe, livre VIII, chapitre 5 de Trin. Nam ubi id volumus, facile habemus, ut alia omittam, vel micando digitis tribus. Porro cum quo micas in tenebris, ei liberum est, si velit, fallere. Ce jeu est encore fort en usage aujourd’hui en Italie et en Hollande parmi le menu peuple, qui joue Ă  la mourre dans les rues avec des Ă©clats de voix surprenants. 2 Nescio quid asiatici habuisse. — Ce GanymĂšde qui parle ici Ă©tait probablement originaire d’Asie, et il profite de cette occasion pour vanter l’inĂ©puisable faconde des orateurs de son pays. Les Asiatiques passaient Ă  Rome pour de grands diseurs de riens sonores, comme le prouve ce passage du chapitre 2 de notre auteur Nuper ventosa isthaec et enormis loquacitas Athenas ex Asia commigravit. Or, en Asie on exerçait les chanteurs, les comĂ©diens et toutes sortes d’acteurs, Ă  ne point suer ni cracher, pendant qu’ils Ă©taient en scĂšne. C’est Ă  cette coutume que GanymĂšde fait allusion ; et ce qu’il trouve surtout d’admirable dans Safinius, c’est qu’on ne le voyait jamais ni suer ni cracher, lorsqu’il parlait au barreau. 3 Urceatim pluebat. — Comme nous disons en français, il pleut Ă  seaux. CHAPITRE XLV. 1 Echion centonarius. — La plupart des Ă©ditions portent centenarius on appelait ainsi les affranchis qui avaient cent mille petits sesterces de rente ; mais j’ai prĂ©fĂ©rĂ© m’en tenir au manuscrit de Trau, qui porte centonarius, qui signifie ravaudeur, chiffonnier, marchand de haillons. Les discours que va tenir Échion, par exemple son allusion au paysan qui avait perdu un porc bigarrĂ©, me semblent convenir parfaitement Ă  un homme de cette profession. Cependant on donnait aussi le nom de centonarii Ă  ceux qui fournissaient dans les villes et dans les camps les objets propres Ă  Ă©teindre les incendies ; dans ce dernier sens, Échion serait une espĂšce de pompier. Ceux qui adoptent centenarius allĂšguent pour motif, que notre homme paraĂźt trĂšs-content de son sort, comme le prouvent ces mots Non, me Hercules ! patria melior dici posset ; 
 non debemus delicati esse ubique melius caelus est... Tu, si aliubi fueris, dices, hic porcos coctos ambulare, etc. ; mais l’expĂ©rience prouve que les hommes les plus pauvres ne sont pas toujours ceux qui se plaignent le plus de leur condition. 2 Familia non lanistitia, sed plurimi liberti. — Les maĂźtres qui instruisaient les gladiateurs portaient le nom de lanistae ; ils achetaient des esclaves ou prenaient des enfants trouvĂ©s qu’ils Ă©levaient pour cette profession. On appelait une troupe de ces gladiateurs familia lanistitia, c’est-Ă -dire cui lanista prƓerat. Auguste les chassa de Rome, au rapport de SuĂ©tone, dans la vie de cet empereur, chapitre 42 ; SĂ©nĂšque en parle aussi, de Beneficiis. Les Romains en vinrent Ă  un tel excĂšs de cruautĂ© au sujet des combats de gladiateurs, qu’outre les esclaves sans nombre qu’ils faisaient Ă©gorger dans ces affreux spectacles, ils y engageaient encore des affranchis et des citoyens qui jouissaient d’une pleine libertĂ©. SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, dit que ce prince poussa encore plus loin la barbarie, et qu’il fit paraĂźtre dans un amphithéùtre qu’il fit bĂątir exprĂšs, non pas des gladiateurs ordinaires ni mĂȘme des affranchis, mais des chevaliers et des sĂ©nateurs romains, au nombre de mille ; et que, non content de cela, il en contraignit quelques-uns des plus considĂ©rables Ă  combattre contre les bĂȘtes fĂ©roces il y fit mĂȘme combattre des femmes. Caligula Ă©gala et surpassa mĂȘme la cruautĂ© de NĂ©ron. Claude, l’imbĂ©cile Ă©poux de Messaline, ayant vu avec un extrĂȘme plaisir deux gladiateurs se tuer l’un l’autre en mĂȘme temps, se fit apporter leurs Ă©pĂ©es pour en faire deux couteaux de table ! Voyezle mĂȘme SuĂ©tone, Vies de Caligula et de Claude. 3 Non est mixcix. — J’ignore quel est le sens et l’étymologie de ce mot ; peut-ĂȘtre faudrait-il Ă©crire mittix de mittere, c’est-Ă -dire missio-tiem dare gladiatoribus ; non est mittix, il n’est point homme Ă  mĂ©nager ses esclaves, il veut qu’on se batte sans quartier, sine fuga, ut amphitheatrum videat carnarium in medio, pour que les spectateurs jouissent d’un vĂ©ritable carnage au milieu du Cirque ; ferrum optimum daturus est, il donnera aux gladiateurs du fer bien trempĂ©, et non pas de ces Ă©pĂ©es au tranchant Ă©moussĂ© comme celles dont on se sert au théùtre. Peut-ĂȘtre faut-il lire simplement mitis au lieu de mixcix ou mittix. 4 Mulierem essedarium. — Juste-Lipse, dans ses Saturnales, traite amplement de ces espĂšces d’amazones qui montaient des chars armĂ©s en guerre. Essedaria de esseda, chariot dont se servaient les Gaulois et les Bretons, et qui avait Ă©tĂ© inventĂ© chez les Belges. 5 Qui deprehensus est, quum dominam suam delectaretur. — Deprehensus est le terme propre pour dire surpris en adultĂšre. Horace, satire 2 du livre I Deprendi miserum est. . . . . . . Par la loi Julia de l’empereur Auguste, la peine de ce crime n’était que l’exil. Cependant, sous ce mĂȘme prince et sous ses successeurs, les adultĂšres furent souvent condamnĂ©s Ă  mort par plusieurs dĂ©crets particuliers, jusqu’à ce que, par les constitutions gĂ©nĂ©rales de l’empereur ThĂ©odose et ensuite de Justinien, les peines contre tous les adultĂšres fussent rendues capitales. Outre cela, il avait Ă©tĂ© permis de tout temps au mari qui surprenait un coupable en flagrant dĂ©lit de le tuer, si c’était un esclave, comme celui dont parle PĂ©trone. 6 Glyco autem, sestertiarius homo, dispensatorem ad bestias dedit. — Sestertiarius homo, un homme de quatre sous, un homme de rien. Pour comprendre ce passage, il faut bien faire attention Ă  ces mots ad bestias dedit. Cela ne veut pas dire que Glycon a fait jeter aux bĂȘtes son trĂ©sorier, mais simplement qu’il l’a condamnĂ© aux bĂȘtes. Ce Glycon, cet homme de rien, n’ayant probablement ni bĂȘtes fĂ©roces, ni amphithéùtre pour faire exĂ©cuter sa condamnation, a donnĂ©, peut-ĂȘtrc mĂȘme vendu cet esclave Ă  Titus, pour que celui-ci le fit dĂ©chirer par les bĂȘtes dans le spectacle de gladiateurs qu’il est sur le point d’offrir au public. Ce qui prouve que la sentence n’est pas encore exĂ©cutĂ©e, c’est qu’Échion ajoute Ridebis populi rixam inter zelotypos, et amasiunculos. Vous rirez de voir les spectateurs prendre parti les uns pour le mari jaloux, les autres pour le galant favorisĂ©. » Ce motridebisindique clairement que le supplice n’a pas encore eu lieu. C’est ainsi que nous voyons dans le Martyre de sainte PerpĂ©tue Quia sciebam me ad bestius datam esse, mirabar quod non mitterentur mihi bestiƓ. Dans ce passage, datam esse ad bestias ne signifie pas jetĂ©e aux bĂȘtes, mais condamnĂ©e aux bĂȘtes, et a le mĂȘme sens que pronunciare ad bestias que nous trouvons dans Tertullien, de Resurre-ctione carnis ; de mĂȘme, dare ad remum, dans SuĂ©tone, condamner aux galĂšres. 7 Magis illa matella digna fuit, quam taurus jactaret. — Matella, un pot de nuit, c’est-Ă -dire une femme impudique ; quam taurus jactaret, qu’un taureau la fĂźt sauter en l’air. C’était le supplice des adultĂšres. Nodot prĂ©tend qu’on les exposait ainsi Ă  la fureur des cornes d’un taureau pour en avoir fait pousser sur le front de leurs maris. » Ce qu’il y a de certain, c’est que, pour entretenir les taureaux dans cet exercice, on plaçait, dans les amphithéùtres, de gros rouleaux de bois qu’ils ramassaient avec leurs cornes, et qu’ils lançaient, en l’air avec une grande vigueur. Martial, Ă©pigramme 21, sur les Spectacles de Domitien Namque gravem gemino cornu sic excutit ursum, Jactat ut inipositas taurus in astra pilas. Nous trouvons encore dans le Martyre de sainte PerpĂ©tue Puellis ferocissimam vaccam prƓparavit prior Perpetua jactata est ; et Rufin dit, dans son Histoire ecclĂ©siastique Quum a tauro ferociter instigata fuisset, innumeris ictibus lacessita, et toto arenae ambitu jactata, nihil lƓditur. 8 Colubra restem non parit. — Une couleuvre n’engendre pas une corde. C’est un proverbe qui a le mĂȘme sens que cet autre qu’on trouve dans un ancien poĂ«te E vipera rursum vipera nascitur. C’est l’équivalent, de celui-ci Bon chien chasse de race. 9 Tertiarius mortuus pro mortuo. — Les anciens, Ă  un gladiateur vaincu, en substituaient, jusqu’à trois l’un aprĂšs l’autre, pour combattre contre le vainqueur ; on les appelai subdititii ou snpposititii ou tertiarii, en grec ephedroi. Ici PĂ©trone dit que le gladiateur qu’on substitua Ă  un autre, qui venait de mourir, Ă©tait lui-mĂȘme un mort, un cadavre, mortuus pro mortuo, car il avait les nerfs coupĂ©s, nervia prĂŠcisa. Caracalla, au rapport de Dion dans la Vie de cet empereur, prenait un si grand plaisir Ă  voir rĂ©pandre le sang des gladiateurs, qu’il en obligea un, nommĂ© Baton, Ă  combattre dans un mĂȘme jour contre trois autres successivement, jusqu’à ce qu’il l’eĂ»t fait tuer ; aprĂšs quoi il lui fit faire des obsĂšques magnifiques. 10 Ad summam, omnes postea secti sunt. — La loi des gladiateurs les contraignant Ă  combattre jusqu’à la mort, ceux qui n’avaient pas de cƓur, aprĂšs un combat d’un moment, se blessaient eux-mĂȘmes, et se coupaient quelquefois un bras pour Ă©mouvoir la compassion des spectateurs et obtenir qu’on leur sauvĂąt la vie. C’est lĂ  le sens de secti sunt Ils se firent quelques blessures pour terminer le combat. » JuvĂ©nal, dans sa deuxiĂšme satire, dit en parlant d’un de ces poltrons . . . . . Sergiolus jam radere guttur CĂŠperat, et secto requiem sperare lacerto. CHAPITRE XLVI. 1 Cicaro meus. — C’est un terme de tendresse, comme nous disons en français mon poupon, mon poulet. Horace, satire 3 du livre II, en parlant d’un enfant, l’appelle catellus. Ce qui prouve que Cicaro n’est pas ici un nom propre, mais un surnom d’amitiĂ©, c’est que Trimalchion s’en sert dans la suite de cette satire, chapitre 7-1, pour dĂ©signer son fils, ou du moins un enfant qu’il affectionnait beaucoup Ad dexteram pones statuam FortunatĂŠ meĂŠ, et catellam cingulo alligatam, et Cicaronem meum. Selon Heinsius et Burmann, Cicaro serait mis ici, par corruption, pour Cicero, nom que les anciens donnaient Ă  tous les enfants qui annonçaient de grandes dispositions, comme nous dirions d’un enfant bornĂ© Ce n’est pas un Voltaire. Quintilien, livre X, dit en parlant de CicĂ©ron Apud posteros id consequutus est, ut Cicero non jam hominis nomen, sed eloquentiĂŠ habeatur. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ  l’origine du nom de cicerone que l’on donne, en Italie, Ă  ceux qui se louent aux Ă©trangers pour leur montrer et leur expliquer les antiquitĂ©s de cette contrĂ©e. 2 Libra rubricata. — Pour libros rubricutos ; barbarisme grossier, qui indique assez l’ignorance de celui qui parle. C’est ainsi que l’on appelait les livres de droit, parce que les titres en Ă©taient Ă©crits en lettres rouges, ce qui leur fit donner le titre de rubriques. Perse, satire cinquiĂšme, dit, en parlant d’un livre renfermant les rĂ©ponses d’un cĂ©lĂšbre jurisconsulte Excepto, si quid Mazuri rubrica vetavit. Ce mot est passĂ© de la jurisprudence dans le langage ordinaire, pour signifier des ruses, des finesses, des dĂ©tours. 3 Destinavi illum artificium aut tonsorium doceri, aut prƓconem, aut certe causidicum. — Admirez la progression dans laquelle cet affranchi place les diverses professions auxquelles son fils peut prĂ©tendre, s’il apprend bien le droit J’ai rĂ©solu, dit-il, de lui faire apprendre quelque profession utile, comme celle de barbier, de crieur public, ou tout au moins d’avocat. Et ce n’est pas sans raison qu’il place en premiĂšre ligne le mĂ©tier de barbier ; car, sous NĂ©ron et ses successeurs, on vit souvent les premiĂšres charges de la cour occupĂ©es par des gens qui avaient Ă©tĂ© barbiers ou baigneurs. Ce qui motive encore son estime particuliĂšre pour les barbiers, c’est qu’on en vit plusieurs qui l’emportaient en crĂ©dit et eu richesses sur tous les patriciens ; comme celui dont parle JuvĂ©nal dans sa premiĂšre satire Patricios omnes opibus quum provocet unus Quo tondente gravis juveni mihi barba sonabat. Il juge, en outre, que faire de son fils un barbier ou un crieur public, c’est plus que d’en faire un avocat. Il avait vu sans doute plus de gens de cette sorte, que d’avocats, faire fortune Ă  la cour. Ainsi, le mĂȘme JuvĂ©nal dit, satire VII, que si l’empereur ne relevait pas la fortune et l’espĂ©rance des poĂ«tes, les plus cĂ©lĂšbres allaient se faire ou baigneurs, ou boulangers, ou crieurs publics . . . . . Quum jam celebres notique poetae Balneolum Gabiis, Romae conducere furnos Tentarent ; nec fƓdum alii, nec turpe putarent PrƓcones fieri. Martial, livre V, Ă©pigramme 50, donnant des conseils Ă  un de ses amis sur l’éducation de son fils, lui recommande de l’’éloigner de l’étude de l’éloquence, de la poĂ©sie, du droit et de toutes les sciences ; et il ajoute Veut-il apprendre quelque chose d’utile, qu’il se fasse musicien ou joueur d’instruments Fac, discat citharƓdus, aut choraules ; ou, s’il n’a pas assez d’esprit pour ces arts, faites-le crieur public ou architecte, » Et livre VI, Ă©pigramme 8, il raconte qu’un vieillard avait refusĂ© sa fille Ă  deux prĂ©teurs, quatre tribuns, sept avocats et dix poĂ«tes, PrƓtores duos, quatuor tribuni, Septem causidici, decem poetƓ, pour la donner Ă  un crieur public. CHAPITRE XLVII. 1 Petauristarios. — Il paraĂźt, d’aprĂšs ce passage, que les anciens Ă©taient parvenus Ă  dresser des porcs Ă  diffĂ©rents exercices de voltige et Ă  certains tours d’adresse, ce qui est prodigieux, vu la lourdeur et le peu d’intelligence de ces animaux. 2 Vitulos, aeno coctos. — On servait sur la table, des veaux, des porcs, des sangliers tout entiers. Érasme rapporte le proverbe Solidos e clibano boves ; et le poĂ«te comique Antiphane, au rapport d’AthĂ©nĂ©e, livre IV, dit, dans sa piĂšce intitulĂ©e PĂ©lops Nos pĂšres faisaient rĂŽtir un bƓuf entier, un mouton, un cerf. On dit mĂȘme, ajoute-t-il, qu’un cuisinier ce qui est monstrueux fit rĂŽtir et servit au grand roi le roi des Perses un chameau tout entier ! 3 Ex quota decuria es ? — Chaque corps de mĂ©tier avait, chez les anciens, ses chefs, qu’on appelait dĂ©curions, et chacun d’eux avait plusieurs ouvriers et artisans dans sa dĂ©curie, c’est-Ă -dire sous sa direction. Ces dĂ©curies Ă©taient plus ou moins honorables, selon la profession ou l’emploi de ceux dont elles Ă©taient composĂ©es ; ce qui faisait que l’on tirait quelquefois un homme d’une dĂ©curie pour le placer dans une autre plus distinguĂ©e, pour rĂ©compenser son mĂ©rite ; et quelquefois aussi qu’on le faisait descendre dans une dĂ©curie infĂ©rieure pour le punir. Ex quota decuria es ? Ces paroles sont pleines de vanitĂ© et d’ostentation par lĂ  Trimalchion indique qu’il avait tant d’esclaves, qu’il Ă©tait obligĂ© de les distinguer par dĂ©curies. Or, les Romains avaient trois sortes de valets les principaux se nommaient atrienses, et ils servaient dans le palais ; viatores Ă©taient les valets de pied, qu’on envoyait de cĂŽtĂ© et d’autre, et qu’on appelait aussi cursores ; les moins estimĂ©s Ă©taient les villici,' 'ou valets de basse-cour. CHAPITRE XLVIII. 1 Dicitur confine esse Tarracinensibus et Tarentinis. — La premiĂšre de ces villes est dans la campagne de Rome, et la seconde aux extrĂ©mitĂ©s du royaume de Naples. Ce passage suffirait seul pour prouver que ce n’est pas NĂ©ron que PĂ©trone a eu en vue sous le nom de Trimalchion cet empereur n’était pas sans doute un Ă©rudit, mais il n’était pas non plus d’une ignorance assez grossiĂšre pour commettre d’aussi lourdes bĂ©vues. Il est donc beaucoup plus probable que notre auteur a voulu peindre ici Tigellin, cet homme sorti de la lie du peuple, qui, Ă  force de bassesses et d’intrigues, parvint Ă  supplanter PĂ©trone dans la faveur de NĂ©ron, et bientĂŽt aprĂšs Ă  le perdre. CHAPITRE L. 1 Quum Ilium cuptum est, Annibal, homo vafer, etc. — Cette histoire, ou plutĂŽt ce conte de Trimalchion sur l’origine de l’airain de Corinthe, est parfaitement conforme Ă  son Ă©ducation, et offre un trait d’excellent comique. Personne n’ignore combien Annibal fut postĂ©rieur Ă  la guerre de Troie. Ce fut l’an de Rome 608, cinquante-sept ans aprĂšs qu’Annibal eut quittĂ© l’Italie, que les Romains prirent Corinthe et la livrĂšrent aux flammes. On prĂ©tend que, du mĂ©lange des mĂ©taux qui se fondirent dans l’embrasement de cette ville, se forma le bronze de Corinthe. CHAPITRE LI. 1 Fuit tamen faber, qui fecit phialam vitream, quĂŠ non frangebatur. — Parmi les dĂ©couvertes que nous devons aux anciens, il en est peu de plus utiles pour les commoditĂ©s et les agrĂ©ments de la vie que l’invention du verre. Cette dĂ©couverte est due au hasard, et remonte Ă  mille ans environ avant l’ùre chrĂ©tienne. Pline dit que des marchands de nitre, qui traversaient la PhĂ©nicie, s’étant arrĂȘtĂ©s sur les bords du fleuve BĂ©los pour y faire cuire leur nourriture, mirent, Ă  dĂ©faut de pierres, des morceaux de nitre pour soutenir leurs vases, et que ce nitre, mĂȘlĂ© avec le sable, se fondit Ă  la chaleur du feu, et forma une liqueur claire et transparente qui, s’étant figĂ©e, donna la premiĂšre idĂ©e de la façon du verre. Il est d’autant plus Ă©tonnant que les anciens n’aient pas connu plus tĂŽt l’art de rendre le verre propre Ă  transmettre la lumiĂšre dans leurs maisons, et Ă  conserver la reprĂ©sentation des objets, en appliquant l’étain derriĂšre les glaces, que les progrĂšs de la dĂ©couverte du verre furent chez eux portĂ©s fort loin. En effet, quels beaux ouvrages n’ont-ils pas faits avec cette matiĂšre ! Quoi de plus superbe, par exemple, que ces colonnes de verre, d’une hauteur et d’une grosseur prodigieuses qui dĂ©coraient le temple de L’üle d’Aradus ? Mais le plus fameux ouvrage en verre est le théùtre que Seaurus fit construire, pendant qu’il Ă©tait Ă©dile ce théùtre avait trois Ă©tages ornĂ©s de trois cent soixante colonnes. Le premier Ă©tage Ă©tait tout de marbre ; le deuxiĂšme, tout incrustĂ© de verre en mosaĂŻque, ornement jusqu’alors inconnu, et qui n’a jamais Ă©tĂ© imitĂ© depuis ; le troisiĂšme Ă©tait de bois dorĂ©. Les colonnes du premier Ă©tage avaient 13 mĂštres environ de hauteur ; trois mille statues de bronze, placĂ©es entre les piliers, rendaient ce théùtre le plus noble et le plus somptueux que l’on ait jamais vu. Quant Ă  l’histoire racontĂ©e par Trimalchion au sujet du verre mallĂ©able, elle ne mĂ©rite aucune croyance. C’était un conte dĂ©jĂ  usĂ© chez les anciens, et dont les hommes instruits se moquaient. Cependant, il paraĂźt qu’on y croyait encore du temps de Pline l’Ancien, qui place cette invention sous le rĂšgne de TibĂšre. Voyez livre xxxvi, chapitre 26, oĂč il assure qu’on se contenta de ruiner la boutique et les instruments de l’ouvrier. D’autres auteurs, comme Dion, livre LVII, et Isidore, livre XVI, chapitre 15. prĂ©tendent qu’on fit mourir l’inventeur. CHAPITRE LII. 1 Quemadmodum Cassandra occidit filios suos. — Cette histoire de Cassandre qui tue ses enfants, et de NiobĂ© enfermĂ©e dans le cheval de Troie, est une nouvelle preuve de l’ignorance de Trimalchion, qui, voulant expliquer Ă  ses convives les sujets ciselĂ©s sur ses amphores d’argent, brouille, confond les faits et les Ă©poques. Qu’est-ce encore que ces combats d’HermĂ©ros et de PĂ©tracte ? Je pense que notre Midas veut parler du combat d’Hector et de Patrocle. On voit tous les jours des gens sans Ă©ducation commettre de pareilles bĂ©vues, lorsqu’ils veulent faire preuve d’érudition. Ce serait donc peine perdue que de chercher Ă  expliquer sĂ©rieusement les discours de cet ivrogne. 2 Credite mihi, cordacem nemo melius ducit. — La cordace, danse lascive des Grecs. AthĂ©nĂ©e, livres IX et XIV, dit qu’il n’y avait que des personnes sans pudeur qui osassent la danser elle Ă©tait probablement du genre des boleros espagnols et de la chahut de nos guinguettes. Meursius, dans son Orchestrum, prodigue l’érudition sur cette danse, et cite une multitude de passages empruntĂ©s d’auteurs grecs et latins qui en ont parlĂ© ; mais nous n’avons pu faire aucun usage des lambeaux qu’il entasse sans choix et sans ordre, malgrĂ© l’extrĂȘme envie que nous avions d’offrir Ă  nos lecteurs une description dĂ©taillĂ©e de cette danse. Quoi qu’il en soit, elle devait ĂȘtre d’une indĂ©cence rare ; puisque Trimalchion veut en amuser l’ivresse de ses convives et la sienne ; et nous croyons pouvoir, sans nous tromper, la ranger dans la classe des danses obscĂšnes. Les Grecs en firent leurs dĂ©lices, et les Romains l’adoptĂšrent avec une espĂšce de fureur, lorsqu’ils eurent pris les mƓurs, les arts et les vices de la GrĂšce. C’est probablement la cordace qui donna aux Romains l’idĂ©e de la danse nuptiale qui offrait la peinture la plus dissolue de toutes les actions secrĂštes du mariage. La licence de cet exercice fut poussĂ©e si loin sous le rĂšgne de TibĂšre, que le sĂ©nat fut forcĂ© de chasser de Rome, par un dĂ©cret solennel, tous les danseurs et tous les maĂźtres de danse ; mais le mal Ă©tait trop grand, lorsqu’on y appliqua ce remĂšde extrĂȘme, et la dĂ©fense ne servit qu’à rendre ce plaisir plus piquant. Qui le croirait ? la jeunesse romaine prit la place des danseurs Ă  gages qu’on avait chassĂ©s. Le peuple imita la noblesse ; et les sĂ©nateurs eux-mĂȘmes n’eurent pas honte de se livrer Ă  cet indigne exercice. Il n’y eut plus de distinction sur ce point entre les plus grands noms et la plus vile canaille de Rome. Enfin l’empereur Domitien, qui n’était rien moins que dĂ©licat sur les mƓurs, se vit obligĂ© d’exclure du sĂ©nat des pĂšres conscrits qui s’étaient avilis au point, d’exĂ©cuter en public ces sortes de danses. Cette frĂ©nĂ©sie de danser Ă©tait bien Ă©loignĂ©e de la modestie des mƓurs romaines du temps de CicĂ©ron, qui, dans l’oraison pro Murena, dit que l’on ne pouvait faire Ă  un homme une injure plus grave que de l’appeler danseur Un homme, ajoute-t-il, ne peut danser, s’il n’est ivre ou fou. CHAPITRE LIII. 1 Saltuariorum testumenta. — Saltuarii, ceux qui Ă©taient chargĂ©s de la garde des forĂȘts et des fruits. 2 Trimalchio cum elogio exheredabatur. — Tel Ă©tait le malheur de ces temps-lĂ , que les empereurs cassaient souvent, les testaments des particuliers pour s’emparer de leurs biens. DĂšs lors, ceux qui voulaient en conserver une partie Ă  leur famille Ă©taient obligĂ©s de faire un legs considĂ©rable Ă  l’empereur, pour l’intĂ©resser Ă  maintenir leurs dispositions testamentaires. Quelques-uns s’en excusaient dans leurs testaments, et y expliquaient les raisons qu’ils avaient de ne rien laisser Ă  l’empereur. C’est le sens du mot elogium, qui, dans le droit, se prend ordinairement en mauvaise part, et s’applique aux motifs qu’on allĂ©guait pour exhĂ©rĂ©der quelqu’un. Ainsi saint Augustin in Sermone de vita et moribus clericorum dit Ambos exheredavit, illum cum laude, istum cum elogio. CHAPITRE LIV. 1 Alienum mortuum plorare. — Allusion au mĂ©tier de ces femmes qu’on louait pour pleurer aux funĂ©railles. Lucilius, satire XXII, dit Ă  ce sujet CouductƓ flent alieno in funere ; Stace, livre V des Silves, vers 245 Non sua funera plorant ; et SĂ©nĂšque, de Clementia, livre X, chapitre 6 Qui a sapiente exigit ut lamentationem exigat et in alienis funeribus gemitus. CHAPITRE LV. 1 Summa carminis penes Nursum Thracem commorata est. — Quelques critiques veulent que ce Marsus soit le poĂ«te de ce nom auquel Martial liv. IV, Ă©pigr. 29 attribue un poĂ«me sur les Amazones, et dont les ouvrages n’existent plus, Ă  l’exception du quatrain suivant sur la mort de Tibulle, dont il Ă©tait contemporain, et qui mourut apparemment peu de jours aprĂšs Virgile Te quoque Virgilio comitem non Ɠqua, Tibulle, Mors juvenem campos misit in Elysios, Ne foret, aut Elegis molles qui fleret amores, Aut caneret forti regia bella manu. D’autres critiques ont substituĂ© Mopsus, poĂ«te tragique, Ă  Marsus. Mais, dit Burmann, on ne voit nulle part que ni l’un ni l’autre soient nĂ©s dans la Thrace. D’ailleurs, il est vraisemblable que les convives de Trimalchion, beaux esprits, qui affectaient la grĂ©comanie, qui faisaient Ă  l’envi parade de leur Ă©rudition, ont imaginĂ© de citer plutĂŽt quelque poĂ«te ancien de la GrĂšce, qu’un poĂ«te latin moderne ; et comme l’intention de PĂ©trone Ă©tait de les tourner en ridicule, et de mettre dans tout son jour la bĂȘtise de ces fanfarons de science, il n’est pas Ă©tonnant qu’ils aient nommĂ© prĂ©cisĂ©ment le plus mauvais. J’aime donc mieux croire, ajoute Burmann, que les copistes, pour abrĂ©ger le mot, ont Ă©crit Morsum pour Morsimum. Morsimus Ă©tait effectivement un poĂ«te tragique, que Suidas reprĂ©sente comme le plus mĂ©prisable des Pradons de la GrĂšce, et dont Aristophane se moque dans sa comĂ©die des Grenouilles. 2 Quid putes inter Ciceronem et Publium interesse. — Publius Syrus, ainsi nommĂ© parce qu’il Ă©tait nĂ© en Syrie, fut conduit comme esclave Ă  Rome, y acquit dans la suite beaucoup de cĂ©lĂ©britĂ© par ses comĂ©dies, qui lui valurent l’estime et la protection de Jules CĂ©sar. Decius Laberius, qui excellait dans ce genre, appelĂ© mimique par les anciens, venait de mourir. Publius, qui avait Ă©tĂ© quelque temps son rival, lui succĂ©da, et obtint des succĂšs plus Ă©clatants encore que son prĂ©dĂ©cesseur. Quelques anciens ont mis les piĂšces de ce mimographe au-dessus de tout ce que les poĂ«tes tragiques et comiques avaient produit de meilleur. Jules CĂ©sar en faisait un cas infini ; et, aprĂšs lui, Cassius Severus et SĂ©nĂšque le Philosophe en jugĂšrent trĂšs-favorablement. NĂ©anmoins ses piĂšces n’eurent pas le mĂȘme succĂšs dans tous les temps l’empereur Claude en raffolait ; mais, Ă  cette Ă©poque, le peuple jadis roi ne partageait pas l’engouement du prince, et frondait au théùtre l’admiration de l’auguste protecteur. Claude prit le parti d’user de rigueur ; et, tandis que Messaline remplissait Rome et l’univers du scandale de ses dĂ©bauches, plus soigneux de la gloire de Publius que de l’honneur du lit impĂ©rial, il ordonnait au censeur de prendre les prĂ©cautions nĂ©cessaires pour forcer les Romains Ă  rire aux comĂ©dies de son poĂ«te favori. Quoi qu’il en soit, CicĂ©ron, trĂšs-bon juge en littĂ©rature, ou n’aimait pas le genre de Publius, ou mĂ©prisait ses talens ; car il Ă©crit Ă  l’un de ses amis qu’il a su se faire assez de violence pour assister sans ennui, pendant les jeux cĂ©lĂ©brĂ©s par CĂ©sar, aux piĂšces de Publius et de Laberius. Mais, pensĂąt-on diffĂ©remment sur le compte de ce poĂ«te, le parallĂšle que fait Trimalchion n’en paraĂźtra sĂ»rement pas moins absurde au lecteur sensĂ© car l’auteur des Offices, des Tusculanes, et de tant d’autres ouvrages sĂ©rieux et sublimes, ne peut avoir aucun Irait de ressemblance avec un poĂ«te comique, quelles que soient les saillies aimables et spirituelles que celui-ci ait semĂ©es dans ses piĂšces. 3 Ciconia etiam grata, peregrina, hospita. — Avant le rĂšgne d’Auguste, on ne s’était pas encore avisĂ© de manger des cigognes ; d’oĂč Horace dit, satire 2 du livre II Tutus erat rhombus, tutoque ciconia nido, Donec vos auctor docuit praetorius. Ce fut un certain Acinius Rufus qui, le premier, fit servir des cigognes sur sa table, et les mit Ă  la mode ; et comme ensuite il brigua la prĂ©ture qui lui fut refusĂ©e, on fit Ă  ce propos une chanson dont voici le sens Si ce galant Rufus, qui apprĂȘte si bien les cigognes, n’a pas eu les suffrages en sa faveur, c’est que le peuple a voulu venger la mort de ces oiseaux. Les cigognes, d’ailleurs, n’étaient pas bonnes Ă  manger leur raretĂ© en faisait tout le prix. 4 Æquum est, induere nuptam ventum textilem. — SĂ©nĂšque, de Beneficiis, lib. VII, dit Je vois des vĂȘtements de soie, si l’on peut appeler vĂȘtements ces Ă©toffes qui ne mettent Ă  couvert ni le corps ni la pudeur, et avec lesquelles une femme ne peut dire, sans mentir, qu’elle n’est pas nue. C’est ce qu’on va chercher Ă  grands frais chez des nations inconnues, afin que nos femmes fassent voir au public tout ce qu’elles peuvent faire voir en particulier Ă  leurs galants. » Il n’est pas nĂ©cessaire de faire sentir le rapport qui existe entre le passage de SĂ©nĂšque et les vers de PĂ©trone Æquum est, induere nuptam ventum textilem, Palam prostare nudam in nebula linea. Varron appelle ces habits vitreas togas, des robes de verre. Saint JĂ©rĂŽme, Ă©crivant Ă  LĂ©ta sur l’éducation de sa fille, veut qu’elle porte des habits qui la garantissent du froid, et qui ne la laissent pas nue en la couvrant Non quibus vestita corpora nudentur. Horace, satire 2 du livre I . . . . . Cois tibi paene videre est, Ut nudam. . . . Coae vestes Ă©taient des habits d’une gaze trĂšs-fine qu’on faisait dans l’üle de Cos, oĂč il y avait une grande quantitĂ© de vers Ă  soie Pline, liv. II, chap. 23. CHAPITRE LVI. 1 Puerque, super hoc positus officium, apophoreta recitavit. — Les Romains, pendant les Saturnales, et lorsqu’ils donnaient des festins, faisaient des espĂšces de loteries oĂč l’on tirait des billets qui contenaient toutes sortes de choses dont le maĂźtre de la maison faisait prĂ©sent aux convives. Pour rendre ces loteries plus divertissantes, au lieu de billets blancs, comme dans les nĂŽtres, on y mettait des sentences extravagantes ou des choses de nulle valeur, pour se moquer de ceux Ă  qui ces billets tombaient en partage. SuĂ©tone, dans la Vie d’Auguste, chapitre 75, en donne des exemples Aux Saturnales, dit-il, et mĂȘme en d’autres occasions oĂč il voulait se divertir, cet empereur faisait des loteries oĂč il mettait des habits magnifiques, de l’or, de l’argent, quelquefois des mĂ©dailles ; puis des Ă©ponges, des pelles Ă  feu, des pincettes, des tuniques de poil de chĂšvre, et des lots encore plus bizarres. » Le mĂȘme historien dit que NĂ©ron faisait en particulier de semblables loteries, et que dans les fĂȘtes qu’il cĂ©lĂ©bra pro Ɠternitate imperii, pour l’éternelle durĂ©e de l’empire, il en ouvrit de publiques, oĂč il fut, selon sa coutume dans ces sortes d’occasions, gĂ©nĂ©reux et prodigue Ă  l’excĂšs. Il faisait jeter au peuple mille billets par jour, dont quelques-uns renfermaient des lots assez considĂ©rables pour faire tout d’un coup la fortune de ceux entre les mains desquels ils tombaient. Louis XIV donna quelquefois le mĂȘme divertissement Ă  sa cour ; mais la dignitĂ© naturelle du prince n’y admettait que des accessoires convenables Ă  la majestĂ© du trĂŽne. 2 Argentum sceleratum ! — L’argent est appelĂ© ici sceleratum, c’est-Ă -dire causa omnium scelerum. . . . . . Quid non mortalia pectora cogis Auri sacra fames ? a dit Virgile. On donnait Ă  Rome le nom de sceleratus, non-seulement aux personnes qui commettaient des crimes, mais aux choses inanimĂ©es. C’est ainsi qu’on appelait porte ScĂ©lĂ©rate la porte Carmentale, par oĂč Ă©taient sortis les trois cent six Fabiens qui furent tous tuĂ©s par les Étruriens ; et rueScĂ©lĂ©rate,celle dans laquelle la femme de Tarquin fit passer son char sur le corps de son pĂšre. 3 Seriphia et contumelia ! — Il y a dans ce passage une foule de jeux de mots et de mauvaises plaisanteries dont le sens est souvent inintelligible. Cependant nous avons quelquefois rĂ©ussi Ă  les comprendre tel est, par exemple, le rapport de son, intraduisible en français, qui existe entre contumelia, des outrages, et contus cum malo, un croc et une pomme ; le rapport de forme entre porri, des poireaux, et flagellum, un fouet ; entre canalem et pedalem un canal et une mesure d’un pied, et lepus et solea, un liĂšvre et une pantoufle. Mais entre les mots murƓnam et litteram, et murem cum rana alligatum et fascem betƓ, le jeu de mots est encore plus facile Ă  saisir murƓna, en effet, renferme, Ă  une lettre prĂšs, mus et rana. Pour comprendre l’analogie qui existe entre litteram et betƓ, il faut se rappeler que beta, B, est la seconde lettre de l’alphabet grec. Ces niaiseries sont bien dignes de Trimalchion et de ses convives. CHAPITRE LX. 1 Repente lacunaria sonare caeperunt. — Les Romains Ă©taient si somptueux dans leurs festins, que les lambris de leurs salles Ă  manger se changeaient quelquefois Ă  chaque service, soit en tournant sur eux-mĂȘmes, soit en s’entr’ouvrant. SĂ©nĂšque, Ă©pĂźtre 91 Qui versatilia coenationum laquearia ita coaginentat, ut subinde alia facies atque alia succedat, et toties tecta quoties fercula mutentur, etc. SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, chapitre 31, dĂ©crit de semblables lambris pratiquĂ©s dans le palais de cet empereur, et d’oĂč l’on rĂ©pandait sur les convives des fleurs et des parfums. 2 CoronƓ aureƓ, cum alabastris unguenti, pendebant. — AthĂ©nĂ©e, livre xv, nous apprend qu’on apportait pour chacun des convives des couronnes et des parfums, avant de servir le fruit les Grecs les faisaient descendre du plafond Ă  l’aide d’une machine. Le poĂ«te Alexis raconte que l’on vit paraĂźtre dans les banquets des colombes frottĂ©es d’essences qu’elles rĂ©pandaient, en volant, sur la table et sur les convives. Horace, odes 4 et 38 du livre I, demande des couronnes de myrte Ă  l’esclave qui lui verse Ă  boire il est aussi question, au chapitre 28 d’IsaĂŻe, de ces couronnes dont les buveurs se paraient Ă  la fin des repas, et lorsque le vin les faisait chanceler. Presque toutes ces habitudes de luxe avaient passĂ© des Assyriens aux Grecs, soit par les Égyptiens, soit par les PhĂ©niciens, et s’étaient transmises des Grecs aux Romains. Les couronnes ordinaires des festins Ă©taient de fleurs ou de myrte ; mais celles que Trimalchion fait donner Ă  ses convives sont d’or, ou tout au moins dorĂ©es, pour montrer la richesse et la magnificence du maĂźtre de la maison. 3 Priapus, a pistore factus. — Comme Priape Ă©tait le dieu des jardins, il Ă©tait tout naturel qu’il prĂ©sidĂąt au dessert. Les pĂątissiers faisaient pour ce service des figures de Priape qui, dans le devant de leur robe, car tel est le vĂ©ritable sens de ces mots sinu satis amplo, offraient aux convives toutes sortes de fruits et de raisins omnis generis poma et uvas sustinebat. Ces Priapes Ă©taient de pĂąte cuite, et on pouvait les manger, comme le dit Martial dans l’épigramme 69 du livre XIV Si vis esse satur, nostrum potes esse Priapum. 4 CƓperunt effundere crocum. — SĂ©nĂšque, dans l’épĂźtre 91, rapporte que l’on faisait jaillir du safran dans les salles de festin par des tuyaux cachĂ©s. On s’en servait surtout dans les fĂȘtes sacrĂ©es, et on en parfumait les coussins sur lesquels on posait les statues des dieux. 5 Unum Cerdonem, alterum Felicionem, tertium Lucronem. — Ce sont des noms de divinitĂ©s, comme celles que saint Augustin tourne en ridicule au commencement de son ouvrage intitulĂ© la CitĂ© de Dieu. Les anciens avaient fini par Ă©tablir une divinitĂ© spĂ©ciale pour chaque action et pour chaque objet. — Cerdonem, kerdos, signifie gain, lucre, profit, d’oĂč l’on tire l’étymologie du vieux mot français guerdon, qui veut dire la rĂ©compense ou le profit de quelque travail ou service. PolĂ©mon, ancien et cĂ©lĂšbre historien, Ă©crit, au rapport d’AthĂ©nĂ©e, livre V, que les habitants de Sparte adoraient un dieu qu’ils appelaient Kerdon. JuvĂ©nal appelle cerdones des artisans, des gagne-petit, satire IV, avant-dernier vers. — Felicionem de felix, le dieu du bonheur. — Lucronem de lucrum, le dieu du gain ; le mĂȘme probablement que Cerdon ce n’était pas trop de deux divinitĂ©s de cette nature pour un homme qui avait fait sa fortune par des gains qui n’étaient probablement pas trĂšs-lĂ©gitimes. Arnobe, livre IV, Contre les gentils, leur reproche des dieux qu’ils adoraient sous le mĂȘme nom, Lucrios deos, qui prĂ©sidaient aux gains mĂȘme les plus dĂ©shonnĂȘtes et les plus injustes CHAPITRE LXII. 1 Intellexi illum versipellem esse. — Les Latins nommaient varios et versipelles ceux qui, comme ProtĂ©e, changeaient de forme quand il leur plaisait. Plaute, dans Amphitryon, dit en parlant de Jupiter, tantĂŽt taureau, tantĂŽt cygne, tantĂŽt corbeau Ita versipellem se facit quando lubet. Ce mot rĂ©pond Ă  peu prĂšs Ă  notre loup-garou et, au lycanthrope. des Grecs. Pline dit Ă  ce sujet, livre VIII, chapitre 22 Homines in lupos verti, rursumque restitui sibi, falsum esse, confidenter existimare de-bemus. Unde tamen ista vulgo infixa sit fama in tantum, ut in maledictis versipelles habeat, indicabitur. CHAPITRE LXIII. 1 Asinus in tegulis. — C’est une expression, proverbiale, pour dire une chose surprenante et incroyable. 2 Nam a puero vitam chiam gessi. — Car, dĂšs mon enfance, j’ai toujours menĂ© une vie voluptueuse. » Vitam chiam, ainsi appelĂ©e de Chio, une des Ăźles de la mer EgĂ©e, renommĂ©e pour la mollesse de ses habitants. AthĂ©nĂ©e, livre I, nous apprend que la vie voluptueuse de ce peuple Ă©tait, passĂ©e en proverbe, comme celle des PhĂ©aciens, leurs voisins. HomĂšre, dans l’OdyssĂ©e, Horace, Ă©pĂźtre 15 du livre I, et Junius, dans ses proverbes, font mention de cette Ăźle, oĂč les concerts d’instruments, les danses et les festins Ă©taient continuels. 3 Subito strigƓ cƓperunt. — StrigƓ ou striges Ă©taient des oiseaux de nuit qui, disait-on, enlevaient les enfants au berceau et leur suçaient le sang c’est cette espĂšce de grande chauve-souris que nous appelons vampire. Ovide explique ainsi l’origine de leur nom au livre VI des Fastes Nocte volant, puerosque petunt nutricis egentes, ............ Est illis strigibus nomen, sed nominis hujus Causa, quod horrenda stridere nocte solent. On a ensuite donnĂ© ce nom aux sorciĂšres, parce qu’elles choisissent la nuit pour faire leurs malĂ©fices. Robert Southey, dans une de ses ballades, fait parler ainsi la SorciĂšre de Berkeley I have suck’d the breath of sleeping babes, The fiends have been my slaves ; I have ’nointed myself with infants’ fat, And feasted on rifled graves. J’ai sucĂ© le souffle des nouveau-nĂ©s pendant leur sommeil ; les dĂ©mons ont Ă©tĂ© mes esclaves ; je me suis parfumĂ©e de la graisse des enfants, et je me suis rĂ©galĂ©e de la chair des cadavres sur les tombeaux profanĂ©s. » ApulĂ©e, dans l’Ane d’or, livre I, parle amplement de ces sorciĂšres, et dit qu’elles sont surtout friandes de chair humaine. Les lois saliques ordonnent que si-une sorciĂšre a mangĂ© un homme, et qu’elle en soit convaincue, elle payera 200 Ă©cus, » ce qui Ă©tait une grande somme pour ce temps-lĂ . C’est pour cette raison qu’on gardait anciennement les corps morts avec tant de soin. 4 Salvum sit, quod tango. — C’est une formule de priĂšre pour Ă©carter un fĂącheux Ă©vĂ©nement. Le narrateur vient de dire que le Cappadocien perça de son Ă©pĂ©e une sorciĂšre dans l’endroit qu’il indique sur son propre corps ou sur celui d’un de ses voisins de table, comme le marquent ces mots, hoc loco ; et, pour effacer la fĂącheuse impression de son rĂ©cit, ou la crainte superstitieuse que le geste qu’il vient de faire a pu faire naĂźtre soit dans son esprit, soit dans celui du convive qu’il a touchĂ©, il ajoute Salvum sit quod tango Que les dieux prĂ©servent d’un pareil accident l’endroit que je touche ! » CHAPITRE Unum Apelletem. — ApellĂšte Ă©tait un tragĂ©dien qui avait une trĂšs-belle voix ; Caligula le fit dĂ©chirer Ă  coups de verges, pour avoir balancĂ© Ă  rĂ©pondre lequel il trouvait le plus grand, de Jupiter ou de lui ; et, tandis qu’Il expirait sous les coups, ce prince, en l’entendant gĂ©mir, eut la fĂ©rocitĂ© de dire qu’il lui trouvait la voix charmante en cet instant.. VoyezSuĂ©tone, dans laViede cet empereur, chapitre 33. 2 Buccae ! buccƓ ! quot sunt hic ? — C’est une espĂšce de jeu puĂ©ril que Lavaur dĂ©crit ainsi L’un monte Ă  califourchon sur le dos de l’autre ; il le frappe d’une main et lĂšve quelques-uns des doigts de l’autre main, comme ceux qui jouent Ă  la mourre ; puis il demande Ă  celui qui est sous lui combien il a levĂ© de doigts, et continue Ă  le frapper jusqu’à ce qu’il ait devinĂ©. » Chaque pays a un mot particulier pour dĂ©signer le patient. Peut-ĂȘtre, au lieu de buccƓ, serait-il prĂ©fĂ©rable de lire bucco, sot, imbĂ©cile, reproche qui semblerait s’adresser Ă  la lenteur d’esprit de celui qui ne peut pas deviner combien de doigts on lui prĂ©sente. CHAPITRE LXV. 1 InsecutƓ sunt matteƓ. — Les mattĂ©es Ă©taient un service composĂ© de mets dĂ©licats, hachĂ©s et assaisonnĂ©s d’épiceries, enfin tel que notre auteur va les dĂ©crire ; ce mot est tirĂ© du grec mattun qui vient de mattĂŽ, ou massĂŽ, pĂ©trir ; hacher. AthĂ©nĂ©e, vers la fin de son livre XIV, enseigne la maniĂšre de faire les mattĂ©es ; sa prescription est digne de figurer dans le Cuisinier royal ou le Cordon-Bleu Hachez et mĂȘlez ensemble, dit-il, une perdrix, des pigeons gras, des petits poulets gras, et arrosez le tout de vinaigre ou de verjus ; » et, livre iv, il y ajoute des oisons, des tourterelles, des grives, des merles, des liĂšvres, des agneaux, des chevreaux. C’est une espĂšce de salmis, ou plutĂŽt d’olla podrida, qu’on mettait ordinairement sur table avant le dernier service. SĂ©nĂšque, Ă©pĂźtre 95 ; dit Ă  ce sujet Piget esse singula, coguntur in unum sapores, in cƓna fit quod fieri debet saturo in ventre ; exspecto jam ut manducata ponantur On ne se contente plus de manger les mets sĂ©parĂ©s, on rassemble tous les goĂ»ts en un seul ; on fait Ă  table ce qui doit se faire dans l’estomac rassasiĂ© ; on en viendra bientĂŽt, j’espĂšre, Ă  servir des viandes toutes mĂąchĂ©es. » 2 Nudos pedes in terram deferre.— On devait cet hommage aux premiers magistrats du pays, et surtout au prĂ©teur qui rendait et faisait rendre la justice, de se lever sur ses pieds, lorsqu’il entrait dans le lieu oĂč l’on Ă©tait ; et c’est ce qu’Encolpe se disposait Ă  faire, prenant Habinnas pour le prĂ©teur, lorsqu’Agamemnon l’avertit de son erreur. Ce passage prouve d’ailleurs Ă©videmment que les anciens se mettaient Ă  table les pieds nus, comme nous l’avons dit prĂ©cĂ©demment. Quand ils passaient dans la salle du festin, ils prenaient des mules de chambre, qu’ils quittaient au bas des lits, et qu’ils reprenaient en se levant. Ainsi Horace, satire 2 du livre II, dit que le maĂźtre de la maison, voulant se lever pour donner quelques ordres, demande ses pantoufles soleas poposcit. 3 Scissa lautam novemdialem servo suo Misello faciebat. — On nommait sacrum novemdiale le sacrifice que l’on faisait pour un mort, neuf jours aprĂšs son dĂ©cĂšs, et qui Ă©tait suivi d’un festin, auquel on invitait tous les amis du dĂ©funt. Cette solennitĂ© est indiquĂ©e dans la novelle 115 de Justinien, chapitre v, et dans saint Augustin, Questions sur la GenĂšse, oĂč il se plaint que les chrĂ©tiens imitent cette coutume des paĂŻens, quod apud Latinos novemdiale appellatur. Les jeux de l’anniversaire de la mort d’Anchise se font au jour de la neuvaine, EnĂ©ide, livre V Exspectata dies aderat, nonamque serena Auroram Phaethontis equi jam luce vehebant. Dans l’Iliade chant XXIV, Priam demande Ă  Achille neuf jours pour pleurer Hector. Ordinairement on gardait pendant sept jours le corps du dĂ©funt ; on le brĂ»lait le huitiĂšme jour, et le neuviĂšme on l’ensevelissait. 4 Quem mortuum manumiserat. — C’était un caprice, dont il est difficile de concevoir la raison, d’affranchir un esclave Ă  l’article de sa mort, Ă  moins que ce ne fĂ»t pour ne pas perdre le prix de sa libertĂ© ; c’est ce que les anciens appelaient moribundum manumittere, et non pas mortuum, comme le dit ici PĂ©trone pour outrer la plaisanterie. Les jurisconsultes ont Ă©tĂ© plusieurs fois consultĂ©s pour savoir si cet affranchissement Ă©tait valable, et la loi derniĂšre Digest. de manum. testam. dit positivement Quosdam scribere solitos, stichus quum morietur, liber esto. 5 Coacti sumus dimidias potiones super ossicula ejus effundere. — C’était l’usage chez les anciens de verser du vin sur les bĂ»chers et sur les tombeaux des morts ; ainsi aux funĂ©railles de MisĂšne, livre VI de l’ÉnĂ©ide Postquam coliapsi cineres, et flamma quievit, Relliquias vino et bibulam lavere favillam. Selon Festus, on appelait ces libations vinum respersum. Le religieux Numa avait cependant dĂ©fendu de rĂ©pandre du vin sur les bĂ»chers, par la loi Postumia, qui rĂ©glait les funĂ©railles Vino rogum ne adspergito Pline, liv. XIV, chap. 2. . CHAPITRE LXVI. 1 Scriblita frigida. — Habinnas se moque ici de Scissa, quand il parle de la tarte froide qu’il a fait servir Ă  ses convives les tartes, chez les anciens, ne se servaient que chaudes, comme le prouve ce passage de Martial, livre III, Ă©pigramme 17 Circumlata diu mensis scriblita secundis, Urebat nimio sƓva calore manus. CHAPITRE LXXX. 1 Intorto circa brachium pallio.— Ferrarius de Re vestiaria, liv. I, ch. 5 nous apprend que c’était la coutume des Romains, lorsqu’ils se prĂ©paraient Ă  un combat imprĂ©vu, ou lorsqu’ils n’avaient pas eu le temps de prendre leurs armes dĂ©fensives, de s’entourer le bras gauche de leur manteau, en guise de bouclier. On en voit un exemple dans CĂ©sar, Guerre civile, livre I Reliqui coeunt inter se, et, repentino periculo exterriti, sinistras sagis involvunt, gladios distringunt, atque ita se a cetratis equitibusque defendunt, castrorum propinquitate confisi ; et dans Valerius Flaccus ; livre III, vers 118 Linquit et undantes mensas infectaque pernox Sacra Medon, chlamys imbelli circumvenit ostro Torta manum, strictoque vias praefulgurat ense. 2 Grex agit in scena mimum. — Que diraient les artistes dramatiques de notre siĂšcle remarquez bien que je ne me sers pas du mot de comĂ©diens, s’ils venaient, ce qui n’est pas probable, Ă  jeter les yeux sur ce passage oĂč PĂ©trone, en parlant des acteurs de son temps, se sert de l’expression grossiĂšre grex, troupe, troupeau il y aurait de quoi faire jeter les hauts cris, mĂȘme aux artistes funambules. Il est bien vrai que, sous Louis XIV, on disait la troupe de MoliĂšre, et que l’auteur du Tartufe, qui Ă©tait comĂ©dien lui-mĂȘme, ne s’en offensait pas. Mais nous avons changĂ© tout cela ; et maintenant on dit une compagnie, une sociĂ©tĂ© d’artistes dramatiques ce qui ne veut pas dire que ces messieurs et ces dames aient plus de mĂ©rite que les comĂ©diens du temps de MoliĂšre. Non, sans doute, mais ils ont gagnĂ© en considĂ©ration ce qu’ils ont perdu en talent c’est encore un perfectionnement. A propos de ce passage Grex agit in scena mimum, nous croyons devoir relever l’erreur oĂč sont tombĂ©s plusieurs interprĂštes d’Horace, qui prĂ©tendent que les mimes de l’antiquitĂ© Ă©taient une espĂšce de comĂ©die jouĂ©e par un seul acteur. Si ces mots de PĂ©trone Grex agit mimum, ne suffisaient pas pour prouver le contraire, nous pourrions citer plusieurs autres autoritĂ©s non moins imposantes, et entre autres ce vers d’Horace lui-mĂȘme, livre I, Ă©pĂźtre 18 . . . . . Vel partes mimum tractare secundas. CHAPITRE LXXXI. 1 Menelaus etiam antescholanus. — Les savants sont divisĂ©s sur la vĂ©ritable signification de ce mot antescholanus les uns en font une espĂšce de sous-maĂźtre, de rĂ©pĂ©titeur ; d’autres, et Gonsallo de Salas est de ce nombre, n’y voient qu’un inspecteur, un gardien du proscholium, vestibule des Ă©coles publiques, qui n’était sĂ©parĂ© que par un rideau du lieu oĂč se tenait l’auditoire. Les Ă©lĂšves, avant de se prĂ©senter devant le professeur, devaient s’y arrĂȘter pour composer leur visage et leur maintien, ce dont ils Ă©taient avertis par leproscholuschargĂ© de ce soin. CHAPITRE LXXXII. 1 In exercitu vestro phƓcasiati milites ambulant ? — Le phƓcasion Ă©tait un soulier blanc, dont la mode Ă©tait venue des Grecs, et que portaient les prĂȘtres, les courtisans et les baladins. Du reste, cette scĂšne, entre Encolpe et ce soldat matamore, est d’un naturel exquis. Il est impossible de peindre d’une maniĂšre plus vraie les transes d’un poltron qui veut faire le brave. CHAPITRE LXXXIII. 1 Etiam animorum esse picturam. — Le plus grand mĂ©rite de la peinture et de la sculpture a toujours Ă©tĂ©, non pas simplement de rendre exactement la forme des objets, mais d’animer les personnages que l’on reprĂ©sente de façon Ă  faire croire Ă  leur existence rĂ©elle. C’est ce qui a fait dire Ă  Virgile, en parlant des statues de bronze, spirantia Ɠra. Pline rapporte un exemple remarquable d’un peintre qui excellait Ă  donner l’expression de la nature Ă  ses figures Æqualis ejus fuit Aristides Thebanus. Is omnium primus animum pinxit, et sensus omnes expressit, quos vocant GrĂŠci ebĂš ; item perturbationes, durior paulo in coloribus. Hujus pictura est, oppido capto ad matris mo-rientis e vulnere mammam adrepens infans intelligitur sentire mater et timere ne, emortuo lacte, sanguinem infans lambat, etc. 2 Si modo coronis aliquid credendum est. — On n’a jamais donnĂ© de couronnes publiques aux poĂ«tes, pour prix de leurs ouvrages, avec plus de magnificence que du temps de Domitien et de NĂ©ron. Ce dernier prince les briguait avec beaucoup d’aviditĂ©, au rapport de Tacite et de SuĂ©tone. On comptait jusqu’à sept sortes de ces couronnes. La premiĂšre se nommait querna, de chĂȘne ; elle se donnait in Capitolino certamine, parce que le chĂȘne Ă©tait consacrĂ© Ă  Jupiter Capitolin. Martial, livre IV, Ă©pigramme 45, s’écrie O cui tarpeias licuit contingere quercus, Et meritas prima cingere fronde comas ! La deuxiĂšme, oleacea, qui fut instituĂ©e en l’honneur de Minerve, Ă  qui l’olivier Ă©tait dĂ©diĂ© on la recevait in Albano certamine. Voyez SuĂ©tone, dans la Vie de Domitien. La troisiĂšme, palmea, Ă©tait composĂ©e de branches de palmier, nouĂ©es avec des rubans de diverses couleurs ; ce qui lui faisait donner l’épithĂšte de lemniscata. Ausone dit Ă  ce sujet Et quĂŠ jam dudum tibi palma poetica pollet Lemnisco ornata est, quo mea palma caret, La quatriĂšme, laurea on en couronnait aussi les empereurs ; ce qui a inspirĂ© Ă  Stace cette pensĂ©e ingĂ©nieuse pour flatter Domitien At tu, quem longe primum stupet itala virtus Graiaque, cui geminae florent vatumque ducumque Certatim laurus, olim dolet altera vinci. ___________Achilleidoslib. 1, v. 14. La cinquiĂšme, ex edera. Pline en parle, livre XVI, chapitre 62 Alicui et semen nigrum, alii crocatum cujus coronis poetƓ utuntur, foliis minus nigris. D’oĂč Ovide Art d’aimer,liv. III, v. 411, se plaignant que les Muses sont dĂ©laissĂ©es et sans honneur Nunc ederae sine honore jacent. . . . . . La sixiĂšme, myrtea. C’était avec raison qu’on couronnait les poĂ«tes Ă©lĂ©giaques et lyriques du myrte consacrĂ© Ă  VĂ©nus ; ce qui a fait dire Ă  Stace, livre I, silve 2 . . . . . .Mitisque incedere vates Maluit, et nostra laurum subtexere myrto. Enfin la septiĂšme, ex apio, d’ache, espĂšce de grand persil. Dans son commentaire sur ces vers de 15 sixiĂšme Ă©glogue de Virgile Ut linus haec illi divino carmine pastor, Floribus atque apio crines ornatus amaro, Dixerit. . . . Servius nous apprend qu’on dĂ©cernait cette couronne dans les jeux NĂ©mĂ©ens, qui furent instituĂ©s en l’honneur du poĂ«te Archemorus. Ju-vĂ©nal sat. VIII, v. 224 adresse Ă  NĂ©ron le reproche d’avoir briguĂ© la couronne d’ache Quid Nero tam saeva crudaque tyrannide fecit ? Haec opera atque hae sunt generosi principis artes, Gaudentis faedo peregrina ad pulpita saltu Prostitui, graiaeque apium meruisse coronae. Dans les jeux publics, le mĂȘme poĂ«te pouvait remporter plusieurs cou-ronnes ; Stace en obtint trois aux jeux Albins. Une ancienne inscription, recueillie par Gruter, nous apprend qu’un enfant de treize ans obtint la couronne dĂ©cernĂ©e aux poĂ«tes dans les jeux Capitolins. Voici cette inscription L. VALERIO. PUDENT. HIC. QUUM. ESSET. ANNORUM. XIII. ROMAE. CERTAMINE. JOVIS. CAPITOLINI. LUSTRO. SEXTO. CLARITATE. INGENII. CORONATUS. EST INTER. POETAS. LATINOS. OMNIBUS. SENTENTIIS. JUDICUM. 3 Quare ergo, inquis, tam male vestitus es ? — On trouve un passage semblable dans Martial, livre VI, Ă©pigramme 82 Subrisi modice, levique nutu ; Me, quem dixerat esse, non negavi. Cur ergo, inquit, habes malas lacernas ? Respondi Quia sum malus poeta. Ces plaisanteries sur la misĂšre des gens de lettres sont maintenant usĂ©es et rebattues, et ne trouvent plus guĂšre d’applications dans notre siĂšcle, oĂč tout homme douĂ© d’un talent, mĂȘme mĂ©diocre, tire presque toujours un parti avantageux de son travail. On a d’ailleurs justement blĂąmĂ© dans Boileau ce sarcasme cruel sur la pauvretĂ© d’un mauvais poĂ«te Tandis que Colletet, crottĂ© jusqu’à l’échine, S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine. 4 Et qui sollicitat nuptas, ad praemia peccat. —Comme l’adultĂšre Ă©tait puni de mort chez les Romains, les femmes mariĂ©es payaient souvent leurs amants pour les engager au secret. Cette loi est encore en usage chez plusieurs peuples modernes. Du reste, il n’y avait que l’adultĂšre et le viol qui fussent si sĂ©vĂšrement punis ; tout autre genre de prostitution Ă©tait tolĂ©rĂ©, on pourrait presque dire encouragĂ©, comme le montre ce passage de saint JĂ©rĂŽme Apud illos viris impudicitiƓ frena laxan-tur, et solo stupro atque adulterio condemnato, passim per lupanaria, et ancillulas libido permittitur, quasi culpam faciat dignitas, non s’élĂšve encore plus loin contre cet infĂąme commerce des hommes qui faisaient payer leurs caresses Scribit amatori meretrix ; dat adultera nummos. CHAPITRE LXXXV. 1 In Asiam quum a quƓstore essem stipendio edu-ctus. — On ne peut nier que cette aventure du poĂ«te Eumolpe ne soit racontĂ©e avec beaucoup d’esprit et d’agrĂ©ment ; mais quelles mƓurs, grands dieux ! quelle profonde dĂ©pravation dans cet homme qui, ayant reçu l’hospitalitĂ© dans une maison, cherche, par tous les moyens possibles, Ă  corrompre le fils de son hĂŽte, et abuse d’une maniĂšre infĂąme de la confiance de ses parents, qui, dupes de son air sĂ©vĂšre et de ses chastes discours, l’ont chargĂ© de voilier sur l’éducation de leur enfant ! Qu’Encolpe raconte ses honteuses amours avec Giton, on le conçoit l’auteur, dĂšs les premiĂšres lignes de cet ouvrage, nous a reprĂ©sentĂ© son hĂ©ros comme un aventurier souillĂ© de toute espĂšce d’infamies, et de la part duquel on doit s’attendre Ă  tout ; mais qu’Eumolpe, un poĂ«te de quelque mĂ©rite, dans la bouche duquel PĂ©trone place ses plus beaux vers, le poĂ«me de la Guerre civile ; qu’un vieillard se vante, en plaisantant, d’avoir violĂ© les plus saintes lois de l’hospitalitĂ©, c’est ce que je ne pourrais pardonner Ă  PĂ©trone, si je ne savais que ce qui, dans nos mƓurs, serait monstrueux, semblait aux Romains tout simple, tout naturel. Preuve nouvelle des immenses services rendus Ă  l’humanitĂ© par le christianisme. Du reste, je partage entiĂšrement l’avis de Saint-Évremond, qui a rĂ©futĂ©, d’une maniĂšre trĂšs-ingĂ©nieuse, les auteurs qui ont fait l’éloge de la morale du Satyricon. Saint-Évremond s’était montrĂ© l’admirateur passionnĂ© du style et de l’esprit de PĂ©trone ; mais son enthousiasme, comme on va le voir, ne lui fermait pas les yeux sur l’immoralitĂ© de ses personnages. Le passage dont il s’agit est Ă©crit avec tant de grĂące, qu’on me saura grĂ© de le mettre ici sous les yeux du lecteur, malgrĂ© son Ă©tendue Je ne suis pas de l’opinion de ceux qui croient que PĂ©trone a voulu reprendre les vices de son temps ; je me trompe, ou les bonnes mƓurs ne lui ont pas tant d’obligation. S’il avait voulu nous laisser une morale ingĂ©nieuse dans la description des voluptĂ©s, il aurait tĂąchĂ© de nous en donner quelque dĂ©goĂ»t ; mais c’est lĂ  que paraĂźt le vice avec toutes les grĂąces de l’auteur ; c’est lĂ  qu’il fait voir, avec le plus grand soin, l’agrĂ©ment et la politesse de son esprit. S’il avait eu dessein de nous instruire par une voie plus fine et plus cachĂ©e que celle des prĂ©ceptes, pour le moins verrions-nous quelque exemple de la justice divine et humaine sur ses dĂ©bauchĂ©s. Tant s’en faut le seul homme de bien qu’il introduit, le pauvre Lycas, marchand de bonne foi, craignant bien les dieux, pĂ©rit misĂ©rablement dans la tempĂȘte au milieu de ces corrompus qui sont conservĂ©s. Encolpe et Giton s’attachent l’un avec l’autre pour mourir plus Ă©troitement unis, et la mort n’ose toucher Ă  leurs plaisirs. La voluptueuse TryphĂšne se sauve avec toutes ses hardes dans un esquif. Eumolpe fut si peu Ă©mu du danger, qu’il avait le loisir de faire quelques Ă©pigrammes. Lycas, le pieux Lycas appelle inutilement les dieux Ă  son secours ; Ă  la honte de leur providence, il paye ici pour tous les coupables. Si l’on voit quelquefois Encolpe dans les douleurs, elles ne lui viennent point de son repentir ; il a tuĂ© son hĂŽte, il est fugitif ; il n’y a sorte de crimes qu’il n’ait commis grĂące Ă  la bontĂ© de sa conscience, il vit sans remords. Ses larmes, ses regrets ont une cause bien diffĂ©rente il se plaint de l’infidĂ©litĂ© de Giton qui l’abandonne ; son dĂ©sespoir est de se l’imaginer dans les bras d’un autre qui se moque de la solitude oĂč il est rĂ©duit. Tous les crimes lui ont succĂ©dĂ© heureusement, Ă  la rĂ©serve d’un seul qui lui a vĂ©ritablement attirĂ© une punition ; mais c’est un pĂ©chĂ© pour qui les lois divines et humaines n’ont point ordonnĂ© de chĂątiment. Il avait mal rĂ©pondu aux caresses de CircĂ© ; et, Ă  la vĂ©ritĂ©, son impuissance est la seule faute qui lui ait fait de la peine. Il avoue qu’il a failli plusieurs fois, mais qu’il n’a jamais mĂ©ritĂ© la mort qu’en cette occasion. BientĂŽt il retombe dans le mĂȘme crime, et reçoit le supplice mĂ©ritĂ© avec une parfaite rĂ©signation. Alors il rentre en lui-mĂȘme et reconnaĂźt la colĂšre des dieux ; il se lamente du pitoyable Ă©tat oĂč il se trouve ; et, pour recouvrer sa vigueur, il se met entre les mains d’une prĂȘtresse de Priape, avec de trĂšs-bons sentiments de religion, mais, en effet, les seuls qu’il paraisse avoir dans toutes ses aventures. Je pourrais dire encore que le bon Eumolpe est couru des petits enfants quand il rĂ©cite ses vers ; mais quand il corrompt son disciple, la mĂšre le regarde comme un philosophe ; et, couchĂ© dans une mĂȘme chambre, le pĂšre ne s’éveille pas. Tant le ridicule est sĂ©vĂšrement puni chez PĂ©trone, et le vice heureusement protĂ©gĂ© ! Jugez par lĂ  si la vertu n’a pas besoin d’un autre orateur pour ĂȘtre persuadĂ©e. Je pense qu’il Ă©tait du sentiment de Beautru qu’honnĂȘte homme et bonnes mƓurs ne s’accordent pas ensemble. » Dissertation sur PĂ©trone. CHAPITRE LXXXVIII. 1 Et Chrysippus
 ter helleboro animum detersit. — Chrysippe, fils d’Apollonius de Tarse, fut un philosophe stoĂŻcien qui excella surtout dans la dialectique. DiogĂšne LaĂ«rce rapporte qu’il composa soixante-quinze volumes, et PĂ©trone dit qu’il prit trois fois de l’ellĂ©bore. Les anciens philosophes croyaient que cette herbe Ă©tait salutaire Ă  l’esprit, comme le tabac des modernes. ValĂšre Maxime liv. II, chap. 8 rapporte que CarnĂ©ade en usait beaucoup. Le meilleur croissait dans l’üle d’Anticyre. De lĂ  vient qu’anciennement on disait, par raillerie, d’un homme qui faisait quelque extravagance, naviget Anticyram. L’ellĂ©bore dont les anciens se servaient Ă©tait l’ellĂ©bore blanc, ou veratrum ; en français, viraire ; c’est un purgatif trĂšs-violent. 2 Lysippum, statuƓ unius lineamentis inhƓrentem.— Lysippe fut, au rapport des anciens historiens, le plus cĂ©lĂšbre sculpteur qui ait jamais existĂ©. Quintilien rapporte qu’on a vu de lui jusqu’à cent dix ouvrages ; ce qui semblerait contredire ce que PĂ©trone dit ici StatuƓ unius lineis inhƓrentem inopia extinxit. Alexandre le Grand faisait tant de cas de cet excellent artiste, qu’il fit une ordonnance par laquelle il dĂ©fendait Ă  tout autre sculpteur que Lysippe de faire sa statue, et Ă  tout autre qu’Apelles de le peindre ; ce qu’Horace rappelle trĂšs-spirituellement Ă  Auguste, dans son Ă©pĂźtre 1re du livre II Edicto vetuit ne quis se, praeter Apellem, Pingeret, aut alius Lysippo duceret ĂŠra, Fortis Alexandri vultum simulantia CHAPITRE XC. 1 Lapides in Eumolpum recitantem miserunt. — Gonsalle de Salas compare ici trĂšs-plaisamment le poĂ«te Eumolpe, Ă  la tĂȘte duquel les pierres volent sitĂŽt qu’il commence Ă  rĂ©citer ses vers, Ă  cet Amphion qui faisait mouvoir les pierres aux accents de sa voix, comme le dit Horace dans son Art poĂ©tiquev. 393 Dictus et Amphion, thebanae conditor arcis, Saxa movere sono testudinis, et prece blanda Ducere quo vellet. . . . . . C’était une coutume barbare, sans doute, mais assez frĂ©quente chez les anciens, lorsqu’ils Ă©taient rĂ©unis au théùtre, de lancer des pierres Ă  la tĂȘte des mauvais poĂ«tes, comme ils jetaient des couronnes de fleurs Ă  ceux dont les ouvrages obtenaient leur approbation. 2 Immo, inquam ego, si ejuras hodiernum bilem, una cƓnabimus. —PĂ©trone a reprĂ©sentĂ© trĂšs-plaisamment, sous le personnage d’Eumolpe, ces poĂ«tes qui ont la manie de rĂ©citer leurs vers Ă  tout venant et partout, au bain, Ă  la promenade, Ă  table. CHAPITRE XCI. 1 Video Gitona, cum linteis et strigilibus. — Le strigile ou racloir, en usage dans les bains des anciens pour masser, Ă©tait une petite ratissoire en forme de serpette, mais sans tranchant, dont on se servait pour faire tomber la sueur, et en mĂȘme temps la crasse qui Ă©tait sur le corps. CHAPITRE XCII. 1 Ipsum hominem laciniam fascini crederes.— Mot Ă  mot Vous eussiez dit que cet homme n’était que le bord d’un phallus ; c’est-Ă -dire que l’homme semblait attachĂ© Ă  la verge, plutĂŽt que la verge Ă  l’homme. C’est dans ce sens que Catulle a dit Non homo, sed vere mentula magna, minax. 2 Ne mea quidem vestimenta ab officioso recepissem. — Dans les premiers temps de la puissance romaine, on avait Ă©tabli dans les bains publics des officiers nommĂ©s capsarii, pour garder les habits de ceux qui venaient se baigner. Ensuite la rĂ©publique ayant perdu sa libertĂ© avec son respect pour les mƓurs, on confia ce soin Ă  de jeunes garçons d’un extĂ©rieur agrĂ©able, qu’au rapport de SĂ©nĂšque le RhĂ©teur on nomma officiosi, en raison de leur complaisance Ă  se prĂȘter aux goĂ»ts lascifs des baigneurs. 3 Tanto magis expedit, inguina, quam ingenia fricare. — Il y a ici un jeu de mots intraduisible en français, qui consiste dans le rapprochement de ces mots inguina, ingenia. CHAPITRE XCIII. 1 Ultimis ab oris Attractus scarus. — Le latin dit que la sargue Ă©tait attirĂ©e Ă  Rome des extrĂ©mitĂ©s du monde, parce que ce poisson Ă©tait trĂšs-rare. On le faisait venir de la mer Carpathienne, avant qu’un certain Optatus, affranchi de TibĂšre, qui avait le commandement de l’armĂ©e navale sur la cĂŽte d’Ostie, en fĂźt apporter un trĂšs-grand nombre qu’on jeta dans la mer de Toscane. L’empereur ayant ordonnĂ© qu’on rejetĂąt tous ceux que l’on pĂȘcherait, il s’en trouva quelque temps aprĂšs une fort grande quantitĂ©, particuliĂšrement vers la Sicile, oĂč ils avaient Ă©tĂ© inconnus jusqu’alors. Pline le Naturaliste dit que ce poisson vit d’herbes, et rumine comme le bƓuf. 2 Amica vincit Uxorem. — Ovide donne la raison de cette prĂ©fĂ©rence dans son Art d’Aimer, livre III, vers 585 Hoc est, uxores quod non patiatur amari Conveniunt illas, quum voluere, viri ; et un peu plus loin, vers 603 Quae vehit ex tuto minus est accepta voluptas. 3 Rusa cinnamum veretur. — La cinnamome est un arbuste odorifĂ©rant, de la famille du cannelier ; les anciens liraient de son suc un parfum trĂšs-rare et trĂšs-estimĂ©, dont Martial liv. IV, Ă©pigr. 13 parle en ces termes Tam bene rara suo miscentur cinnama nardo. Quant aux roses, elles Ă©taient si communes en Italie, qu’au rapport de Servius, dans son commentaire sur le livre IV des GĂ©orgiques, il y avait une ville en Calabre oĂč l’on faisait deux fois l’an la rĂ©colte des roses ; c’est probablement la ville de PƓstum, que Virgile, pour cette raison, appelle biferum. A moins qu’il ne soit ici question de cette espĂšce de roses qu’on appelle remontantes, et qui fleurissent plusieurs fois l’an. CHAPITRE XCIV. 1 Raram facit mixturam cum sapientia forma. — Virgile exprime ainsi la mĂȘme pensĂ©e Gratior est pulchro veniens in corpore virtus. Et JuvĂ©nal . . . . . Rara est concordia formae Atque pudicitiae ? . . . 2 Et jam semicinctio stanti ad parietem spondae me junxeram. — Le semicinctium Ă©tait une espĂšce de demi-ceinture. Saint Isidore liv. XIX, chap. 33 des Origines dit, en parlant des diffĂ©rentes espĂšces de ceintures en usage chez les anciens Cinctus est lata zona, et ex utrisque minima cingulum. Quant Ă  sponda, c’est le bois du lit qu’Encolpe avait dressĂ© debout, le long de la muraille, et auquel il avait attachĂ© sa ceinture pour se pendre. 3 Mercenario Eumolpi novaculam rapit. —Il ne faut pas confondre, dans les auteurs latins, mercenarius avec servus mercenarius, a mercede, Ă©tait un homme libre qui se louait comme valet Ă  un autre homme, moyennant une rĂ©compense convenue. Celui-ci, dont le nom Ă©tait Corax ; comme on le verra plus loin, a bien soin de rappeler Ă  son maĂźtre qu’il est nĂ© libre Quid vos, inquit, me jumentum putatis esse, aut lapidariam navem ? hominis operas locavi, non caballi ; nec minus liber sum quam vos, etsi pauperem pater me reliquit. CHAPITRE XCV. 1 Sciatis, non viduĂŠ hanc insulam esse. — C’est ici le lieu de bien prĂ©ciser le sens de ces mots insula, insularii, qui se reprĂ©senteront plusieurs fois dans la suite. Insula ne signifie pas une Ăźle, dans le sens ordinaire, mais une maison isolĂ©e, dont les murs ne tiennent Ă  aucune maison voisine, et qui, par cette raison, forme une espĂšce d’üle ou d’oasis dans une ville ou un village. C’est l’explication que Festus donne de ce mot InsulĂŠ dictae proprie, quĂŠ non junguntur, parietibus cum vicinis, circuituque publico, vel privato cinguntur. Tacite MƓurs des Germains,chap. 16 Suam quisque domum spatio circumdat, nullis cohaerentibus ĂŠdificiis, more insularum ; et Donat dans son commentaire sur ce passage des Adelphes de TĂ©rence, acte IV, se. 2 Id quidem angiportum, dit Domos, vel portus, vel insulus, veteres dixerunt. Ces maisons isolĂ©es Ă©taient beaucoup plus communes Ă  Rome que les maisons mitoyennes avec d’autres. Les PĂšres de l’Église donnent Ă©galement le nom d’insulĂŠ aux Ă©glises, parce qu’elles Ă©taient nĂ©cessairement sĂ©parĂ©es de toutes les demeures voisines. Insula signifie aussi un quartier isolĂ© des autres par les rues environnantes. 2 Insularii, dont il est question un peu plus loin, signifie par cette raison, non pas simplement les habitants d’une maison de cette nature, mais ceux qui en occupaient une partie Ă  titre de location. D’insula on a fait insulare, d’oĂč vient notre verbe françaisisoler. 3 Ille, tot hospitum potionibus ebrius, urceolum fictilem in Eumolpi ca-put juculatus est. — Burmann lit Ille tot hospitum potionibus dives ; ce qui n’offre aucun sens, car la richesse de cet aubergiste n’a aucun rapport avec la rixe qui s’élĂšve entre lui et le poĂ«te Eumolpe. Nodot, Tornaesius, Patisson et Puteanus, auxquels il faut joindre Erhard, Richard de Bourges et plusieurs autres commentateurs, lisent Ille tot hospitum potationibus liberum fictilem urceolum, et ils expliquent les mots liberum fictilem urceolum, par une cruche de terre vide, ou vidĂ©e par les nombreuses libations des hĂŽtes de Manicius. Ce sens est plus raisonnable ; mais tous les manuscrits portent liber, et non pas liberum, ce qui est bien diffĂ©rent. Ne pourrait-on pas, dans ce cas, entendre par liber potationibus hospitum, un homme Ă©chauffĂ©, rendu libre dans ses propos et dans ses actions par les nombreuses rasades qu’il avait bues avec ses hĂŽtes ? Je conviens que le mot liber est trĂšs-rarement employĂ© dans ce sens. Par ces motifs, j’ai pensĂ© que quelque copiste, voyant sur un ancien manuscrit le mot ebrius a demi effacĂ©, aura lu liber. Dans tous les cas, ebrius a plus de rapport avec liber que le dives de Burmann. 4 Anus... soleis ligneis imparibus imposita. — Sans doute cette vieille servante Ă©tait boiteuse ; c’est du moins ce que l’on peut infĂ©rer de ces mots soleis imparibus imposita. CHAPITRE XCVI. 1 Caput miserantis stricto acutoque articulo percussi. — C’est ce que les Latins appelaient talitrum, et nous chiquenaude. C’était un chĂątiment qu’on infligeait aux enfants et aux esclaves. Cependant Gonsalle de Salas et Burmann, dans leurs notes, le traduisent en grec par le mot kondulos, qui signifie un coup de poing. Je pencherais assez pour ce sens ; car il ne me paraĂźt pas naturel que Giton, ĂągĂ© de seize ans, comme nous le verrons bientĂŽt, pleurĂąt pour une chiquenaude. 2 Procurator insulĂŠ, Bargates. — Procurator signifie ici le quartenier, le commissaire du quartier, et non pas l’intendant, l’administrateur d’une maison, d’un bien, comme l’entend Bourdelot. CHAPITRE XCVII. 1 Crispus, mollis, formosus. — Crispus, frisĂ©, ce qui Ă©tait regardĂ© comme une grande beautĂ© chez les anciens. Voyez Martial, livre V, Ă©pigramme 62 Crispulus iste quis est, uxori semper adhaeret Qui, Mariane, tuƓ ? crispulus iste quis est ? Moschus, dans sa charmante idylle de l’Amour fugitif, reprĂ©sente Cupidon frisĂ©. 2 Ascyltos stabat, amictus discoloria veste. — Le code ThĂ©odosien du VĂȘtement dont il convient de se servir dans Rome ordonne que ceux qui feront quelque acte public seront revĂȘtus d’une robe de plusieurs couleurs. 3 Annecteretque pedes et manus institis, quibus sponda culcitam ferebat. — Ces cordes Ă©taient passĂ©es les unes dans les autres, et tenaient aux traverses du lit comme sont aujourd’hui nos fonds sanglĂ©s. C’est ce que prouve un autre passage de notre auteur, chapitre 140 Coraci autem imperavit ut lectum, in quo ipse jacebat, subiret, positisque in pavimento manibus, dominum lumbis suis commoveret. Ce qu’il n’eĂ»t pu faire, si le fond du lit eĂ»t Ă©tĂ© fait de planches, et non de sangles ou de cordes. CHAPITRE XCVIII. 1 Eumolpus conversus salvere Gitona jubet. — L’usage de saluer, quand on Ă©ternue, est le seul peut-ĂȘtre qui ait rĂ©sistĂ© aux diverses rĂ©volutions qui ont changĂ© la face du monde. L’universalitĂ©, comme l’antiquitĂ© de cette coutume, est vraiment Ă©tonnante. 1° Aristote remonte, pour expliquer cet usage, aux sources de la religion naturelle il observe que la tĂȘte est l’origine des nerfs, des esprits, des sensations, le siĂšge de l’ñme, l’image de la divinitĂ© ; qu’à tous ces titres, la substance du cerveau a toujours Ă©tĂ© honorĂ©e ; que les premiers hommes juraient par leur tĂȘte ; qu’ils n’osaient toucher, encore moins manger la cervelle d’aucun animal remplis de ces idĂ©es, il n’est pas Ă©tonnant qu’ils aient Ă©tendu leur respect religieux jusqu’à l’éternuement. Telle est, suivant Aristote, l’opinion des anciens et des plus savants philosophes. 2° D’autres crurent trouver Ă  cet usage une source plus lumineuse, en la cherchant dans la philosophie de la Fable et de l’ñge d’or. Quand PromĂ©thĂ©e, disent-ils, eut mis la derniĂšre main Ă  sa figure d’argile, il eut besoin du secours du ciel pour lui donner le mouvement et la vie. Il y fit un voyage sous la conduite de Minerve. AprĂšs avoir parcouru lĂ©gĂšrement les tourbillons de plusieurs planĂštes, oĂč il se contenta de recueillir, en passant, certaines influences qu’il jugea nĂ©cessaires pour la tempĂ©rature des humeurs, il s’approcha du soleil sous le manteau de la dĂ©esse, remplit subtilement une fiole de cristal, faite exprĂšs, d’une portion choisie de ses rayons, et, l’ayant bouchĂ©e hermĂ©tiquement, il revint aussitĂŽt Ă  son ouvrage favori. Alors, ouvrant le flacon sous le nez de la statue, le divin phlogistique pĂ©nĂ©tra dans la tĂȘte, s’insinua dans les libres du cerveau ; et le premier signe de vie que donna la crĂ©ature nouvelle fut d’éternuer. PromĂ©thĂ©e, ravi de l’heureux succĂšs de son invention, se mit en priĂšre, et fit des vƓux pour la conservation de son ouvrage qui les entendit, s’en souvint, et les rĂ©pĂ©ta toujours, dans la mĂȘme occasion, Ă  ses enfants, et ceux-ci les ont perpĂ©tuĂ©s jusqu’à ce jour, de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, dans toutes leurs colonies. Cette ingĂ©nieuse fiction, qui nous laisse entrevoir, dans la plus haute antiquitĂ©, la connaissance des procĂ©dĂ©s de l’électricitĂ© ; qui montrait Ă  l’homme le premier anneau de la chaĂźne qui le lie au systĂšme gĂ©nĂ©ral de la crĂ©ation ; qui lui rĂ©vĂ©lait enfin le plus haut principe de la physique et de la religion naturelle, quoiqu’elle manque de soliditĂ© sous le point de vue historique, nous a paru peindre d’une maniĂšre trop intĂ©ressante la nature et l’homme Ă  sa naissance, pour nous refuser au plaisir de la transmettre Ă  nos lecteurs. 3° Enfin, l’hypothĂšse suivante n’est peut-ĂȘtre pas la moins spĂ©cieuse. Parmi les enfants qui viennent de naĂźtre, dit-on, les uns ne respirent que quelques instants aprĂšs qu’ils sont au monde, et d’autres restent tellement plongĂ©s dans un Ă©tat de mort apparente, qu’il faut, avec des liqueurs irritantes, leur souffler la chaleur et la vie. Alors le premier effet de l’air, le premier signe d’existence qu’ils donnent, est l’éternument. Cette espĂšce de convulsion gĂ©nĂ©rale semble les rĂ©veiller en sursaut, et la commence le jeu de la respiration, l’harmonie parfaite, et le libre exercice de chaque organe. Au comble de ses vƓux, ou dans l’excĂšs mĂȘme de ses craintes, un pĂšre n’a qu’un souhait qu’il rĂ©pĂ©tera, un souhait qui retentira dans son cƓur Ă  chaque secousse qui fait tressaillir son enfant c’est que son fils vive, que le dieu des cieux le conserve ! Quoi qu’il en soit de ces diverses hypothĂšses, ce respect religieux pour les Ă©ternuments fut pour les Romains une source inĂ©puisable d’erreurs et de prĂ©jugĂ©s ridicules. La superstition distingua les bons Ă©ternuments d’avec les mauvais. Quand la lune Ă©tait dans certains signes du zodiaque, l’éternument Ă©tait un bon augure, et dans les autres il Ă©tait mauvais. Le matin, depuis minuit jusqu’à midi, c’était un fĂącheux pronostic ; favorable, au contraire, depuis midi jusqu’à minuit. On le jugeait pernicieux en sortant du lit ou de table ; il fallait s’y remettre et tĂącher ou de dormir, ou de boire, ou de manger quelque chose pour changer ou rompre les lois du mauvais quart d’heure. Ils tiraient aussi de semblables inductions des Ă©ternuments simples ou redoublĂ©s, de ceux qui se faisaient en tournant la tĂȘte Ă  droite ou Ă  gauche, au commencement ou au milieu de l’ouvrage, et de plusieurs autres circonstances dont le dĂ©tail serait aussi long qu’inutile. CHAPITRE XCIX. 1 Ego sic semper et ubique vixi, ut ultimam quamque tucem, tanquam non redituram, consumerem. — Cette maxime vraiment Ă©picurienne se trouve souvent reproduite dans Horace livre I, Ă©pitre 4 Omnem crede diem tibi diluxisse supremum. Ode 16 du livre II Quid brevi fortes jaculamur Ɠvo. Multa ? . . . . . IƓtus in praesens animus quod ultra est Oderit curare, et amara lento Temperet risu ; nihil est ab omni _____Parte beatum. Ode 8 du livre III Dona prƓsentis cape lƓtus horae, et _____Linque severa. 2 Moraris, inquit Eumolpe, tanquam properandum ignores ? — Burmann lit propudium au lieu de properandum. J’avoue qu’avec ce mot la phrase est pour moi inintelligible. Propudium, en effet, signifie honte, infamie, obscĂ©nitĂ©, et je ne vois pas quelle honte il pouvait y avoir Ă  faire attendre le patron du navire. Nodot imprime prope diem ignores ; ce qui a du moins plus de sens. J’ai adoptĂ© properandum, d’aprĂšs l’autoritĂ© de TornĂ©sius. 3 In altum compono. — Pour ad alendum. On trouve souvent dans les auteurs altum componere ; faire provision de vivres. 4 Et, adoratis sideribus, intro navigium. — Sidera indique ici Castor et Pollux, que les marins et tous ceux qui s’embarquaient avaient coutume d’invoquer avant de monter sur mer. VĂ©nus Ă©tait aussi une des divinitĂ©s propices aux navigateurs, comme on le voit dans Horace, ode 3 du livre I Sic te Diva potens Cypri, Sic fratres Helenae, lucida sidera. CHAPITRE C. 1 In puppis constrato locum semotum elegimus. — Puppis construtum, la chambre de poupe. Ce n’était autre chose qu’un retranchement pratiquĂ© dans le tillac avec des planches, Ă  travers lesquelles il Ă©tait trĂšs-facile d’entendre ce qui se disait dans cette chambre. Naves constratƓ, vaisseaux pontĂ©s ; c’est ce que CĂ©sar appelle naves tectƓ. 2 Qui tryphƓnam exulem Tarentum ferat ? — D’autres lisent uxorem au lieu d’exulem ; mais ayant admis les prĂ©tendus fragments de PĂ©trone retrouvĂ©s Ă  Bellegrade, oĂč l’auteur donne pour femme Ă  Lycas une certaine Doris, je n’ai point cru devoir adopter la leçon d’uxorem, quoiqu’il toute force un mari aussi peu dĂ©licat sur l’article des mƓurs que Lycas, eĂ»t bien pu changer de femme, surtout depuis qu’il avait eu connaissance des liaisons qui existaient entre Doris et Encolpe, et dont il est fait mention au chapitre XI. CHAPITRE CI. 1 Pro consortio studiorum, commoda manum. — Pro consortio studiorum signifie en raison de la communautĂ© de nos goĂ»ts, c’est-Ă -dire de notre amour commun pour Giton. — Commoda manum, prĂȘtez-nous la main. On trouve dans SĂ©nĂšque commodare manum morituro, aider quelqu’un Ă  mourir. 2 Et familiƓ negotiantis onus deferendum ad mercatum conduxit. — Les commentateurs ne nous offrent aucun secours pour l’intelligence de ce passage assez obscur. Il est souvent fait mention dans les auteurs anciens du mot familia ; Ulpien en donne l’explication suivante FamiliƓ adpellatione omnes qui in servitio erant continentur. Martianus le jurisconsule liv. lxv parle en ces termes de ceux qu’il appelle servos negotiatores — Legutis servis, exceptis negotiatoribus, Labeo scripsit, eos legato exceptos videri, qui prƓpositi essent, negotii exercendi causa, veluti qui ad emendum, locandum, conducendum prƓpositi sunt. Mais cela ne jette pas une grande lumiĂšre sur le passage en question. Mon opinion personnelle est que PĂ©trone veut parler ici d’une troupe d’esclaves que Lycas avait embarquĂ©e sur son vaisseau, moyennant un prix convenu, pour la transporter Ă  Tarente, oĂč elle devait ĂȘtre vendue, mais non pas pour son compte car il y a dans le latin conduxit ; ce qui ne signifie pas qu’il avait louĂ© ces esclaves on ne loue pas des esclaves pour les vendre, mais qu’il avait pris Ă  tĂąche, qu’il avait entrepris de les transporter. Conducere est pris dans le sens de suscipere c’est ainsi que l’on dit conducere aliquem docendum, entreprendre l’éducation de quelqu’un, » et non pas louer quelqu’un pour l’instruire. » On trouve un autre exemple, encore plus frappant, de conducere pris en ce sens, dans la fable oĂč PhĂšdre dit, en parlant de Simonide Victoris laudern cuidam pyctƓ ut scriberet, Certo conduxit pretio... 3 TryphƓna... quƓ voluptatis causa huc atque illac vectatur. — Ces mots me confirment encore plus dans l’opinion que j’ai Ă©mise plus haut, que TryphĂšne n’était pas la femme de Lycas, mais que c’était une voyageuse sentimentale qui aimait Ă  aller de cĂŽtĂ© et d’autre pour son seul plaisir, c’est-Ă -dire pour donner carriĂšre Ă  ses goĂ»ts Ă©rotiques. D’ailleurs, on ne peut nier qu’il existĂąt des relations intimes entre cette femme et Lycas ; car, lorsqu’elle le surprend cherchant Ă  faire violence Ă  Encolpe, il s’enfuit tout honteux Ă  sa vue. Il est vrai qu’elle ne se gĂȘne pas pour faire des caresses et des avances Ă  Giton Ă  la barbe de Lycas ; mais c’était du moins un amour lĂ©gitime pour de pareilles gens, tandis que la tentative de Lycas Ă©tait, pour le sexe de TryphĂšne, une insulte que les femmes ne pardonnent jamais, Ă  moins qu’elles n’y trouvent leur compte, comme cette Doris qui engageait ce mĂȘme Encolpe Ă  Ă©couter les propositions de son mari, pour lui fermer les yeux sur leurs amours secrets. 4 Quomodo possumus egredi nave... opertis capitibus, an nudis ? Opertis, et quis non dare manum languentibus volet ? — On voit, par ce passage de PĂ©trone, que les anciens avaient coutume de se couvrir la tĂȘte, lorsqu’ils Ă©taient malades, non-seulement pour se dĂ©fendre des injures de l’air, mais pour indiquer aux autres l’état de leur santĂ©. Ce qui fait dire Ă  Eumolpe, que, s’ils se couvrent la tĂȘte, tout le monde s’empressera de leur offrir la main, comme Ă  des malades, languentibus, pour descendre du vaisseau. Dans tout autre cas, c’était un signe de la mollesse la plus effĂ©minĂ©e, que de sortir la tĂȘte couverte. Aussi notre auteur, parmi les bizarreries et les inconvenances qu’il remarque dans Trimalchion, a-t-il soin de dire, au chapitre XXXII Palliolo enim coccineo adrasum excluserat caput, Sa tĂȘte chauve sortait Ă  demi d’un petit manteau de pourpre. » CHAPITRE CII 1 Eumolpus, tanquam litterarum studiosus, utique atra-mentum habet.— Les anciens se servaient, comme nous, d’encre pour Ă©crire sur le charta, ou papier, qu’ils roulaient, volvebant, lorsqu’il Ă©tait rempli, et qu’on appelait pour cette raison volumen, volume. Cette encre Ă©tait de diffĂ©rentes natures, et portait diffĂ©rents noms, selon l’usage auquel on l’employait. Vitruve appelle atramentum librarium, et Cornelius Celsus scriptorium, celle qui servait Ă  Ă©crire ; mais ils en avaient d’autres qu’ils appelaient tectoria ou pictoria, qui servaient au dessin, Ă  la peinture, et sutoria, celle qui servait Ă  noircir les chaussures. L’encre Ă  Ă©crire Ă©tait ordinairement faite de noir de fumĂ©e que l’on recueillait sur les murs des chambres qui n’avaient pas de cheminĂ©e ni d’ouverture par oĂč la fumĂ©e pĂ»t s’échapper. Pour empĂȘcher cette encre de s’emboire ou de s’étaler sur le papier, on y ajoutait une espĂšce de gomme que PĂ©trone appelle ferrumen. De quelle espĂšce Ă©tait cette gomme ? c’est ce qu’il nous est impossible de dĂ©terminer d’une maniĂšre prĂ©cise ; mais il paraĂźt que cette encre avait le dĂ©faut d’ĂȘtre gluante et de dĂ©teindre sur les habits, comme Giton le dit un peu plus loin ; Nec vestem atramento adhƓsurum, quod frequenter, etiam non arcessito fer-rumine, infigitur. 2 Et circumcide nos, ut judƓi videamur, etc. — Isidore {Origines,liv. xrx, chap. 23 parle des Juifs, des Arabes et des Gaulois dans les mĂȘmes termes que PĂ©trone NonnullƓ etiam gentes, non solum in vestibus, sed et in corporibus aliqua sibi propria vindicant. Circumcidunt JudƓi prƓ-patia, pertundunt aures Arabes, etc. Mauros liabet tetra nox corporum, Gallos Candida cutis ; PĂ©trone parle avec plus de dĂ©tails de la circoncision des Juifs, dont il se moque, dans une Ă©pigramme que l’on trouvera dans les fragments attribuĂ©s Ă  cet auteur. Les Arabes n’étaient pas les seuls qui se perçaient les oreilles, cette coutume Ă©tait aussi pratiquĂ©e chez les Carthaginois ; ce qui fait dire Ă  Plaute PƓnutus,acte v, scĂšne 3 Mil. Atque ut opinor digitos in manubiis non habent. Ag. Qui jam ? — Mil. Quia incedunt cum anulatis auribus. La blancheur des Gaulois Ă©tait proverbiale chez les anciens, et l’on pensait qu’ils avaient d’abord portĂ© le nom de Galates, en raison de ce que leur teint avait la blancheur du lait, en grec gala. Galli a candore corporis primum GalatƓ appellati ; ce qu’un poĂ«te a exprimĂ© ainsi Ignea mens Gallis, et lactea corpora, nomen A candore datum 3 Numquid et labra possumus tumore teterrimo implere ? — L’auteur du Moretum a rendu d’une maniĂšre pittoresque les caractĂšres distinctifs de la race Ă©thiopienne Afra genus, tota patriam testante figura, Torta comam, labroque tumens, et fusca colorem ; Pectore lata, jacens mammis, compressior alvo, Cruribus exilis, spatiosa prodiga planta. 4 Numquid et talos ad terram deducere ? — Peut-ĂȘtre serait-il mieux de lire producere, et de traduire pourrons-nous allonger nos talons comme les Éthiopiens, c’est-Ă -dire les rendre saillants ; ce qui est une difformitĂ© remarquable chez presque tous les individus de la race nĂšgre. CHAPITRE CIII. 1 Continuo radat utriusque non solum capita, sed etiam supercilia. — On rasait les cheveux aux esclaves ; mais on ne rasait les sourcils qu’aux scĂ©lĂ©rats, aux sĂ©ditieux et aux dĂ©serteurs. CicĂ©ron fait une ingĂ©nieuse allusion Ă  cet usage, dans son oraison pour Roscius, lorsqu’il dit, en parlant d’un certain Fannius ChĂ©rĂ©a Nonne ipsum caput, et supercilia illa penitus abrasa, olere malitiam et clami-tare calliditatem videntur ? Nonne ab imis unguibus usque ad verticem summum si quam conjecturam adfert hominis tacita corporis figura ex fraude, fallaciis, mendaciis, constare totus videtur ? qui idcirco capite et superciliis semper est rasis, ne ullum viri boni pilum habere dicatur. 2 Et nolum fugitivorum epigramma per totam faciem.... duxit. — Les caractĂšres qu’on imprimait sur le visage des esclaves, et qui marquaient le crime qu’ils avaient commis, Ă©taient deux lettres, l’une grecque, l’autre latine Ί et F ; c’est pour cette raison qu’on appelait ces criminels inscripti, litterati, notati. Cette coutume dura jusqu’au temps de Constantin, qui, au rapport d’Ulpien, dĂ©fendit par la loi Tamdiu, paragraphe de Fugitivis, qu’on exerçùt Ă  l’avenir cette cruautĂ©, parce qu’elle dĂ©shonorait l’espĂšce humaine, que le CrĂ©ateur avait faite Ă  sa ressemblance ce qui fit que, depuis cette Ă©poque, on se servit, pour le mĂȘme objet, de colliers qu’on rivait au cou des esclaves qui avaient dĂ©sertĂ©, et sur lesquels on gravait des inscriptions qui publiaient leur crime. Pignorius, dans son livre de Servis, affirme, qu’il avait vu Ă  Rome un collier de cette nature, avec l’inscription que voici TENE ME, QUIA FUGI, ET REVOCA ME DOMINO MEO BONIFACIO LINARIO. On voit dans le premier chapitre du roman d’IvanhoĂ«,par Walter Scott, que les Anglo-Saxons avaient adoptĂ© cette coutume des Romains Wamba, et Gurth, le gardien des pourceaux, portent Ă©galement Ă  leur cou un collier rivĂ©, sur lequel est gravĂ© le nom de CĂ©dric, leur maĂźtre. CHAPITRE CIV 1 Lycas, ut TrijphƓnse, somnium expiavit. — Il y a deux choses Ă  considĂ©rer ici l’expiation du songe de TryphĂšne, et celle du crime qu’Encolpe et Giton avaient commis dans le vaisseau, en s’y faisant couper les cheveux pendant une nuit fort calme. Nous verrons plus loin Ă  quel supplice Lycas les condamna pour expier cette impiĂ©tĂ©, bien qu’ils prĂ©tendissent, pour se disculper, qu’ils ignoraient qu’on ne fait le sacrifice de ses cheveux sur un vaisseau qu’à la derniĂšre extrĂ©mitĂ©, etc. Du reste, le sacrifice des cheveux passait, chez les anciens, pour un des plus agrĂ©ables qu’ils pussent offrir aux dieux. Les esclaves prĂȘts Ă  ĂȘtre affranchis, se rasaient la tĂȘte, et en consacraient la dĂ©pouille Ă  quelque dieu, comme en Ă©change du bienfait de la libertĂ© qu’ils supposaient lui devoir. Les matelots en faisaient autant, non-seulement dans la circonstance dont parle PĂ©trone, mais encore lorsque, Ă©chappĂ©s du naufrage, ils Ă©taient de retour dans leur patrie alors ils faisaient ce sacrifice Ă  la mer, et, de plus, suspendaient leurs vĂȘtements humides dans le temple de Neptune. Pour en revenir au songe de TryphĂšne, et aux expiations auxquelles il donna lieu, l’auteur ne nous dit pas quelles en furent les cĂ©rĂ©monies, parce que c’était une chose fort commune. C’était un acte de religion gĂ©nĂ©ralement Ă©tabli chez les paĂŻens, pour purifier les coupables et les lieux que l’on croyait souillĂ©s, ou pour apaiser la colĂšre des dieux que l’on supposait irritĂ©s. La cĂ©rĂ©monie de l’expiation ne s’employa pas seulement pour les crimes ; elle fut pratiquĂ©e dans mille autres occasions diffĂ©rentes. Ainsi ces mots si frĂ©quents chez les anciens, expiare, lustrare, purgare, februare, signifiaient faire des actes de religion pour effacer quelque faute, ou dĂ©tourner de sinistres prĂ©sages. L’usage des expiations, innocent par lui-mĂȘme, devint, entre les mains de la superstition, une source intarissable de pratiques ridicules, dont l’avarice et l’hypocrisie des prĂȘtres multipliĂšrent tellement les abus, qu’elles allumĂšrent la bile de JuvĂ©nal, qui s’exprime ainsi Ă  ce sujet dans sa VIe satire Vois-tu fondre, chez ta pieuse Ă©pouse, la foule des prĂȘtres de CybĂšle et de Bellone ? Vois-tu ce personnage gigantesque, et vĂ©nĂ©rable aux yeux de ses vils subalternes ; cet homme qui, s’étant autrefois privĂ© des sources de la vie, n’est plus homme qu’à demi, mais Ă  qui la cohorte enrouĂ©e et les tambours plĂ©bĂ©iens cĂ©dent unanimement l’honneur du pas et la tiare phrygienne ? L’entends-tu parler avec emphase ? Redoutez, lui dit-il, les approches de septembre et les vents du midi, si vous n’expiez pas vos fautes par une offrande de cent Ɠufs ; si vous ne me donnez vos robes couleur de feuille-morte, afin de dĂ©tourner sur elles les malignes influences qui vous menacent dans le cours de l’annĂ©e. Au plus fort de l’hiver, elle ira, dĂšs la pointe du jour, briser la glace du Tibre ; elle y plongera par trois fois sa tĂȘte intimidĂ©e de lĂ , tremblante et toute nue, elle se traĂźnera sur ses genoux ensanglantĂ©s autour du champ de Tarquin le Superbe. S’il lui dit Parlez ; la blanche Io l’ordonne ! elle ira jusqu’aux confins de l’Égypte ; elle en rapportera des eaux chaudes puisĂ©es dans l’üle de MeroĂ©, pour les rĂ©pandre dans le temple d’Isis, voisin de l’antique demeure du pĂątre Romulus. Elle croit, n’en doutez pas, avoir entendu la voix de la dĂ©esse. Et voilĂ  les ĂȘtres privilĂ©giĂ©s Ă  qui les dieux parlent dans la nuit ! Tels sont les prestiges qui consacrent ce pontife escortĂ© d’un troupeau de prĂȘtres tondus et revĂȘtus de lin, ce vagabond, ce nouvel Anubis, qui se rit de la superstition des folles qu’il aveugle et sĂ©duit. Il prie encore pour celles qui cĂ©dĂšrent aux dĂ©sirs de leurs Ă©poux pendant les jours de continence et de fĂȘtes solennelles. Vous avez encouru, leur dit-il, un chĂątiment rigoureux ; car j’ai vu le serpent d’argent remuer sa tĂȘte. Ses larmes feintes et ses formules prĂ©parĂ©es apaisent enfin Osiris bien entendu qu’on l’avait dĂ©jĂ  gagnĂ© par l’offrande d’une oie grasse et d’un gĂąteau. Mais est-il vrai qu’il daigne communiquer avec ces insensĂ©s ? dans ce cas, l’Olympe est bien oisif, et vous autres dieux, bien dĂ©sƓuvrĂ©s lĂ -haut ! » CHAPITRE CV. 1 Nec non eodem futurus navigio. — Nodot, qui, non content d’avoir attribuĂ© Ă  PĂ©trone des fragments de sa façon, se permet frĂ©quemment d’altĂ©rer le texte authentique de notre auteur, dĂ©nature ainsi ce passage Non omen jacturus navigio, hospitio, mihi ; et il traduit Je ne l’ai pas fait pour attirer aucun malheur sur le vaisseau, puisque j’étais dedans. » J’avoue franchement que je ne comprends pas cet endroit ainsi dĂ©figurĂ© par Nodot, mĂȘme aprĂšs avoir lu sa traduction, et il me semble que le texte gĂ©nĂ©ralement adoptĂ© est beaucoup plus clair ; en voici l’explication J’ai ordonnĂ© que l’on dĂ©livrĂąt mes esclaves de leur longue chevelure, parce que, devant faire route avec eux sur le mĂȘme vaisseau, je ne voulais pas me trouver Ă  bord avec des malheureux couverts de ces signes de deuil et de chĂątiment ; j’ai voulu me rendre les auspices favorables en leur faisant raser la tĂȘte. » Il est notoire que les anciens regardaient comme un fĂącheux prĂ©sage de se trouver sur le mĂȘme vaisseau avec des malheureux et des coupables, et mĂȘme d’habiter auprĂšs d’eux sous le mĂȘme toit. Ils croyaient qu’en pareil cas le crime d’un seul homme retombait sur ceux qui l’entouraient. C’est ce qu’Horace exprime dans son ode 2 du livre III . . . . . Vetabo, qui Cereris sacrum Vulgarit arcanƓ, sub iisdem Sit trabibus, fragilemque mecum Solvat phaselum. SƓpe Diespiter Neglectus incerto addidit integrum. ThĂ©ophraste se moque de ceux qui, Ă  la moindre agitation des vagues, demandent si tous les passagers sont initiĂ©s. D’ailleurs les cheveux longs et en dĂ©sordre Ă©taient regardĂ©s par les anciens comme la marque distinctive des coupables. 2 Ut tutela navis expiaretur. — Tutela navis, la divinitĂ© dont l’image dĂ©corait la proue du vaisseau, et qui lui donnait son nom. C’est ce que Lutacius explique en ces termes Tutelam navis intelligimus cum guber-natore navigare. Habent enim pictos prƓsules, quorum nominibus nuncu-pantur et reste, cet usage existe encore de nos jours, et nos bĂątiments portent le nom de la figure reprĂ©sentĂ©e sur leur proue. 3 Placuit quadragenas utrisque plagas imponi. — Quand on condamnait au fouet ou Ă  quelque autre chĂątiment semblable, on marquait dans la sentence le nombre de coups que le coupable devait recevoir. Les Romains avaient pris cette coutume des Égyptiens, qui eux-mĂȘmes la tenaient des Juifs, comme le prouve la loi de MoĂŻse DeutĂ©ronome, XXV, versets 2 et 3 Si eum, qui peccavit, dignum viderint plagis, prosternent et coram se facient verberari. Pro mensura pecculi erit et plagarum mo-dus, ita duntaxat, ut quadrigenarium numerum non excedant, ne faede laceratus ante oculos tuos abeat frater tuus. Or, les Juifs Ă©taient si religieux observateurs de cette loi, qu’ils ne donnaient jamais que trente-neuf coups aux criminels, de peur de se tromper et d’outre-passer le nombre fixĂ©. Nous en avons la preuve dans la seconde Ă©pĂźtre de saint Paul aux Corinthiens chap. XI, verset 24, oĂč il dit qu’il a Ă©tĂ© maltraitĂ© cinq fois par les Juifs, et qu’à chaque fois il a reçu quarante coups moins un. On remarquera en passant que le nombre de quarante coups, prescrit par la loi de MoĂŻse, est celui que Lycas fit donner Ă  Encolpe et Ă  Giton. Les coups de corde ou de garcette sont encore aujourd’hui le chĂątiment qu’on inflige sur les vaisseaux. 4 Tres plagas spartana nobilitate concoxi. — Les Spartiates faisaient fouetter leurs enfants jusqu’au sang devant les autels, afin de les accoutumer de bonne heure Ă  la souffrance ; et il ne leur Ă©tait pas mĂȘme permis de jeter un seul cri. Ce qui a fait dire Ă  CicĂ©ron Tusculanes, liv. II Spartae vero pueri ad aram sic verberibus accipiuntur, ut multus e visceribus sanguis exeat nonnunquam etiam, ut, quum ibi essem, au-diebam, ad necem quorum non modo nemo exclamavit unquam, sed ne ingemuit quidem. Il ajoute plus loin liv. VI Pueri spartiatƓ non ingemiscunt verberum dolore laniati. 5 Jam Giton mirabili forma exarmaverat nautas. Ovide dit de mĂȘme liv. II desAmours,Ă©lĂ©gie 5 Ut faciem vidi, fortes cecidere lacerti Defensa est armis nostra puella suis. 6 Quem homo prudentissimus. — PĂ©trone appelle ici Lycas homo prudentissimus, par ironie. 7 Quod ergastutum intercepisset non errantes ? — Tout le monde sait qu’ergastulum Ă©tait une prison oĂč l’on renfermait les esclaves, et oĂč on les obligeait Ă  travailler, tout enchaĂźnĂ©s qu’ils Ă©taient ; mais de nombreux passages des auteurs latins prouvent qu’on y renfermait aussi d’autres coupables, quelles que fussent d’ailleurs leur naissance et leur condition. Voyez SuĂ©tone Vie d’Auguste, ch. XXXII Rapti per agros viatores sine discrimine, liberi servique, ergastulis possessorum supprimebantur. Dans ce passage, viatores doit Ă©videmment s’entendre dans le mĂȘme sens qu’errantes dans PĂ©trone, des vagabonds. SuĂ©tone dit encore Vie de TibĂšre,ch. VIII Curam administravit... repurgandorum tota Italia ergastulorum, quorum domini in invidiam venerant, quasi exceptos supprimerent, non solum viatores, sed et quos sacramenti metus ad hujusmodi latebras compulisset. Dans ces deux phrases, supprimere est synonyme d’intercipere. CHAPITRE CVI. 1 Lycas, memor adhuc uxoris corruptƓ. — C’est sur ce passage, sans nul doute, que Nodot, dans ses prĂ©tendus fragments retrouvĂ©s Ă  Bellegrade, s’est fondĂ© pour forger toute cette histoire des amours de Lycurgue avec Ascylte, d’Encolpe avec Doris, de Lycas, Ă©poux de celle-ci, avec le mĂȘme Encolpe, et de TryphĂšne avec Encolpe et Giton Ă  la fois cette histoire si embrouillĂ©e et si peu vraisemblable, qui remplit presque tout le chapitre XI, lequel ne contient pas moins de onze pages de texte, et qui, par sa longueur, est hors de toute proportion avec les autres chapitres de cet ouvrage. Cette interpolation, facile Ă  reconnaĂźtre par les frĂ©quents gallicismes qui s’y trouvent, excita surtout la bile de BreugiĂšres de Barante, qui attaqua ces nouveaux fragments dans ses Observations, auxquelles Nodot rĂ©pondit avec aigreur par sa Contre-Critique, comme nous l’avons dit ailleurs. Je pense que le lecteur ne sera pas fĂąchĂ© de connaĂźtre quelques-unes des objections que BreugiĂšres fit Ă  Nodot, Ă  propos de ce chapitre XI, et la maniĂšre dont Nodot y rĂ©pondit. Je prie le lecteur, pour mieux comprendre les unes et les autres, d’avoir sous les yeux le chapitre en question. J’ai eu soin de faire imprimer en italique les objections, pour qu’on puisse plus facilement les distinguer des rĂ©ponses de Nodot. Quant Ă  mes observations personnelles, je les ai placĂ©es entre parenthĂšses. ConsidĂ©rons Ă  prĂ©sent quelle gĂȘne et quelle torture paraissent dans le fragment qui conduit Encolpe, Ascylte et Giton dans le chĂąteau de Lycurgue. On les y fait aller pour donner l’intelligence de ce qui suivra, et pour que quand on parlera de Lycas, de TryphĂšne et de Doris comme dans les chapitres C, CI, CIV, CV et suivants, ce ne soient plus des personnages inconnus. — HĂ© bien, que trouvez-vous Ă  redire Ă  cela ? cette conduite n’est-elle pas d’un auteur de bon sens ? Rien ne paraĂźt gĂȘnĂ© dans ce discours Nodot veut dire dans ce fragment, et je ne vois pas que PĂ©trone se soit donnĂ© la torture pour Ă©crire si naturellement. Permis Ă  Nodot de trouver naturel le style de ce fragment dont il est le pĂšre ; bien des lecteurs ne seront pas de son avis. Encolpe et Ascylte aprĂšs la querelle qu’ils ont eue au sujet de Giton, au chapitre X, et dans laquelle ils se sont dit toutes leurs vĂ©ritĂ©s, et se sont traitĂ©s rĂ©ciproquement d’infĂąmes dĂ©bauchĂ©s, d’assassins et de coupe-jarrets se rendent en pĂšlerinage au chĂąteau de Lycurgue, oĂč ils trouvent bonne compagnie c’est-Ă -dire une compagnie digne d’eux Lycas qui, selon les apparences, y avait aussi peu affaire que la coquette TryphĂšne. Lycas, Encolpe, Giton et TryphĂšne, ne trouvant pas qu’on vĂ©cĂ»t assez librement chez Lycurgue, prirent le partides’en aller Ă  la maison de Lycas, oĂč ils espĂ©raient d’ĂȘtre plus Ă  leur aise, et comptaient de faire meilleure chĂšre. — Je vous avoue que vous commencez Ă  m’embarrasser pour vous rĂ©pondre ; tantĂŽt je vous vois si confus, que j’ai peine Ă  dĂ©brouiller ce que vous prĂ©tendez montrer clairement ; et tantĂŽt vos connaissances sont si bornĂ©es, qu’il ne leur est pas permis de parvenir Ă  celle de l’auteur car de croire qu’il y ait de la malice en votre fait, je ne puis me l’imaginer. Toutefois, comment se peut-il faire, sans ma-lice ou sans ignorance, que vous donniez un tout autre sens au texte que celui qu’il renferme ? Nodot se fĂąche, comme on voit ; ce n’est pas la meilleure maniĂšre de rĂ©pondre ; et ne pourrait-on pas lui dire, comme ce philosophe qui vit tomber la foudre Ă  ses pieds au moment oĂč il parlait contre les dieux Bon Jupiter ! tu te fĂąches ; donc tu as tort ? Les trois vols que font Encolpe, Ascylte et Giton sont tout Ă  fait impossibles.— Il n’y a que deux vols, vous n’en trouverez pas davantage. J’en demande bien pardon Ă  Nodot, il y a trois vols ; il y en a mĂȘme quatre 1° le vol du voile et du cistre d’Isis ; 2° celui des effets les plus prĂ©cieux de la campagne de Lycurgue ; 3° la bourse qu’Ascylte ramasse Ă  terre, et avec laquelle il s’enfuit aussitĂŽt, crainte de rĂ©clamation ; 4° et enfin, le superbe manteau qu’Encolpe dĂ©tache de la selle d’un cheval, et qu’il emporte dans la forĂȘt prochaine. Est-il vraisemblable que deux hommes aillent dans un vaisseau, et que, sans ĂȘtre aperçus des matelots qui les reçoivent et leur font honneur, ils s’enfuient chargĂ©s de marchandises ? L’autre vol a quelque chose de plus surnaturel. Encolpe et Giton sont enfermĂ©s dans une chambre entourĂ©e de gardes Ascylte vient pendant que ces gardes sont endormis ; il ouvre la porte dont il brise la serrure, et, pendant tout ce bruit, les gardes continuent Ă  dormir sur les deux oreilles. — C’en est assez, je vous arrĂȘte encore. Pour faire connaĂźtre que vous avez aussi falsifiĂ© cette citation, lisons ce fragment. Il y est dit qu’Ascyltle vint pour dĂ©livrer ses amis, et que, voyant les gardes endormis, il ouvrit la porte avec un morceau de fer ; et cela est aisĂ© Ă  comprendre. Pas si facile Ă  comprendre. Il fallait que ces gardes fussent bien nĂ©gligents, pour s’endormir prĂšs d’une porte qui n’était fermĂ©e qu’avec un verrou de bois, ligneum claustrum ; d’ailleurs il y a dans le texte mĂȘme de Nodot Serraque delapsa nos excitavit. Comment se fait-il que la chute de cette serrure rĂ©veille Encolpe et Giton sans interrompre le sommeil des gardes ? . A cela que rĂ©pond Nodot ? — L’auteur, dit-il, le marque prĂ©cisĂ©ment Ob pervigilium altus custodes habebat somma. ConsidĂ©rez que PĂ©trone ou plutĂŽt Nodot a tout prĂ©vu. Les gardes avaient veillĂ© fort tard, et ils Ă©taient alors dans le premier sommeil, que certaines gens ont si dur, qu’on peut les toucher et les pousser mĂȘme fortement sans qu’ils s’éveillent, Cela est vrai ; mais n’est-ce pas le cas de dire avec Boileau Le vrai peut quelquefois n’ĂȘtre pas vraisemblable ? Nous ne poursuivrons pas ces citations qui fatigueraient le lecteur ; nous avons voulu seulement lui donner une idĂ©e de la polĂ©mique de Nodot contre un des plus redoutables adversaires de ses fragments. Burmann, dans sa prĂ©face, prouve peut-ĂȘtre encore plus clairement par les gallicismes sans nombre, et mĂȘme les solĂ©cismes dont ces fragments sont remplis, qu’ils ne peuvent ĂȘtre de PĂ©trone. Nous aurons probablement l’occasion de revenir plus tard sur les Observations de BreugiĂšres, Ă  propos des autres interpolations de Nodot que nous trouverons dans les chapitres suivants. CHAPITRE CVII. 1 Me, utpote hominem non ignotum, elegerunt. — Eumolpe adresse Ă  Lycas un discours selon toutes les rĂšgles de l’art oratoire. Il commence par un exorde insinuant et modeste, oĂč il Ă©tablit que lui, l’avocat des coupables, n’est pas un homme inconnu Ă  Lycas, Ă  la fois juge et partie dans cette cause ; ensuite, pour l’intĂ©resser davantage en faveur de ses clients, il lui rappelle qu’ils ont Ă©tĂ© autrefois ses amis intimes, amicissimi. Puis arrivant, sans autre prĂ©paration, au fait principal, il adresse Ă  Lycas cette question Vous croyez peut-ĂȘtre que c’est le hasard qui a conduit ces jeunes gens sur votre bord ? Et il rĂ©pond aussitĂŽt Ă  cette objection par une raison convaincante c’est qu’il n’est pas un seul passager qui ne s’informe avant toutes choses du nom de celui Ă  qui il va confier son existence. Donc Encolpe et Giton savaient que le vaisseau sur lequel ils s’embarquaient appartenait Ă  Lycas, et cependant ils n’ont pas hĂ©sitĂ© Ă  y monter ; donc ils n’avaient d’autre but, en faisant cette dĂ©marche spontanĂ©e, que de le flĂ©chir et de rentrer en grĂące avec lui. Mais Eumolpe sent que cet argument n’est pas inattaquable, comme nous le verrons bientĂŽt ; et, pour l'Ă©tayer, il entre dans plusieurs considĂ©rations. D’abord, c’est que Lycas n’a pas le droit d’empĂȘcher des hommes libres de naviguer oĂč bon leur semble. Secondement, c’est que, lors mĂȘme que ce seraient des esclaves, le maĂźtre le plus cruel pardonne Ă  son esclave fugitif que le repentir ramĂšne Ă  ses pieds. Enfin, comment ne pas pardonner Ă  un ennemi qui se livre Ă  notre merci ? Alors Eumolpe, rĂ©sumant tous ses moyens de dĂ©fense, interpelle son juge Vous voyez, suppliants devant vous, des jeunes gens aimables, bien nĂ©s, etc. Avant de terminer, Eumolpe, prĂ©voyant que Lycas lui objectera surtout le dĂ©guisement d’Encolpe et de Giton, et le crime dont ils se sont rendus coupables en se faisant tondre sur son bord, se hĂąte d’aller au-devant de ce reproche, en disant que c’est pour se punir de l’offense qu’ils ont faite Ă  Lycas et Ă  TryphĂšne, que ces jeunes gens, nĂ©s libres, ont fait graver sur leur front ces honteux stigmates de la servitude. Lycas, comme on le pense bien, n’est pas dupe d’une pareille ruse, et rĂ©duit, comme il le dit, les arguments d’Eumolpe Ă  leur juste valeur ; mais nous ne le suivrons pas dans sa rĂ©ponse nerveuse, brusque et concise, comme il convenait Ă  un homme de son caractĂšre. Cependant Eumolpe ne se tient pas pour battu, et rĂ©pond, tant bien que mal, Ă  Lycas. Mais toute son Ă©loquence ne peut parvenir Ă  dĂ©sarmer la colĂšre de ce marin qui persiste dans son premier arrĂȘt, et exige le supplice des coupables. Ou je me trompe, ou tout ce plaidoyer, pour et contre, est traitĂ© avec beaucoup d’esprit, et offre une scĂšne pleine de naturel et de vĂ©ritĂ©. 2 Quae salamandra supercilia excussit tua ? — La salamandre est un animal de la figure du lĂ©zard, exceptĂ© qu’elle a la tĂȘte plus large et la queue plus longue. Les anciens prĂ©tendaient que le sang de cet animal, et mĂȘme sa salive, avaient la propriĂ©tĂ© de faire tomber les cheveux ou le poil aux endroits qui en Ă©taient frottĂ©s, comme si le feu y avait passĂ©. Dioscoride liv. I, ch. 54 dit qu’il suffit pour cela de se frotter avec le sang de la salamandre ; d’autres ajoutent qu’il faut la faire mourir dans l’huile et se servir de cette huile. On sait d’ailleurs que la salamandre passait, pour incombustible. Pline l’Ancien prĂ©tend liv. XXIX, ch. 23 qu’il suffit de frotter quelque partie du corps que ce soit, mĂȘme le bout du pied, avec de la salive de salamandre, pour que le poil tombe Ă  l’instant de tout le corps Quum, saliva ejus salamandrƓ quacumqae parte corporis, vel in pede imo respersa, omnis in toto corpore defluat pilus. CHAPITRE CVIII. 1 Multi ergo utrinque semimortui labuntur — Je ne sais pas pourquoi Gronove et Burmann se tourmentent pour corriger ce mot semimortui que portent tous les anciens manuscrits, et essayent de lui substituer sine mora, qui ne signifie rien, ou sine morte, qui n’est guĂšre plus intelligilible. Ils l’ont si bien senti, qu’ils se voient forcĂ©s, par cette correction, de changer les mots suivants cruenti vulneribus, et de lire incruenti vulneribus, ou cruenti sine vulneribus ; ce qui est presque une absurditĂ© car, s’il y a du sang de rĂ©pandu, il y a des blessures, quelque lĂ©gĂšres qu’elles soient. Je ne vois pas non plus sur quoi ils se fondent pour prĂ©tendre que toute cette scĂšne de tumulte n’est qu’un combat pour rire. Il est vrai que PĂ©trone en fait un rĂ©cit plaisant ; mais cela n’empĂȘche pas qu’il n’y eut de bons coups donnĂ©s de part et d’autre, comme cela arrive souvent en pareil cas, quoique tout finisse par s’arranger Ă  l’amiable. L’auteur le dit positivement Quum appareret futurum non stlatarium bellum. — Silatarius, de silata, espĂšce de navire plus large que profond, et dont, pour cette raison, la marche Ă©tait trĂšs-lente. Ainsi non stlatarium bellum signifiera une guerre qui n’est pas lente, ou une guerre vigoureuse. 2 Heu ! mihi fata Hos inter fluctus quis raptis evocat armis ? — Cette phrase, quoique difficile et embrouillĂ©e, peut cependant se construire et s’expliquer ainsi Quis sous-entenduvestrum evocat fata mihi, appelle la mort sur ma tĂȘte, inter hos fluctus, au milieu des flots qui nous entourent, raptis armis, en prenant les armes ! Cui mors una non est satis ? A qui une seule mort ne suffit-elle pas ? CHAPITRE CIX. 1 PelagiƓ consederant volucres, quas textis urundinibus, etc. Ces roseaux Ă©taient si adroitement prĂ©parĂ©s, qu’on les allongeait ou qu’on les diminuait Ă  volontĂ© ; si bien qu’en mettant au bout une petite baguette enduite de glu, on les approchait insensiblement des oiseaux sans qu’ils s’en aperçussent, et on les prenait de la sorte. La facilitĂ© que ces gluaux avaient de s’allonger les avait fait nommer crescentes, Martial l’explique clairemenl, livre IX, Ă©pigramme 55 Aut crescente levis traheretur arundine prƓda, Pinguis et implicitas virga teneret aves. 2 Jam Tryphaena Gitona extrema parte potionis spargebat. — Cette maniĂšre de plaisanter a existĂ© de tout temps, et elle Ă©tait fort en usage chez les Romains, qui, dans leurs banquets, s’amusaient souvent Ă  jeter au nez des spectateurs le fond de leurs verres Ils avaient mĂȘme dressĂ© Ă  ce manĂ©ge les Ă©lĂ©phants destinĂ©s aux jeux publics, comme Élien le rapporte dans son Histoire des animaux liv. II, ch. 2. Cependant, selon Gonsalle de Salas, on pourrait aussi entendre ce passage en ce sens, que TryphĂšne prĂ©sentait Ă  Giton le reste du vin qu’elle avait bu ; ce qui serait plus dĂ©licat et plus galant, quoique spargebat parte extrema potionis puisse difficilement se traduire ainsi. Quoi qu’il en soit, voici une anecdote assez curieuse que CaĂŻus Fortunatius rapporte Ă  ce sujet Une femme galante avait trois amants ; se trouvant un jour Ă  table avec eux, elle baisa le premier, donna le reste de son verre au second, et couronna le troisiĂšme. On demande quel est celui qu’elle aimait le plus. Je rĂ©ponds, sans hĂ©siter celui Ă  qui elle donne Ă  boire le reste de son verre. En effet, couronner un homme est peut-ĂȘtre un tĂ©moignage d’estime ou de simple amitiĂ© ; en embrasser un autre, cela suppose sans doute de la tendresse pour lui ; mais donner Ă  son amant le reste de son verre, c’est une preuve d’amour bien plus intime. Ovide me confirme dans cette opinion par ce prĂ©cepte de son Art d’aimer liv. I, v. 575 Fac primus rapias illius tacta labellis Pocula ; quaque bibet parle puella, bibas. CHAPITRE CX. 1 Corymbioque dominae pueri adornat caput. — Ce n’est pas d’aujourd’hui, comme l’on voit, que les femmes et mĂȘme bon nombre d’hommes, s’efforcent, par mille inventions, de tromper les yeux, et empruntent le secours de l’art pour cacher leurs dĂ©fauts naturels. M. de Guerle, mon beau-pĂšre, dans son Éloge des perruques, prouve que les chevelures postiches sont presque aussi anciennes que le monde. Comme cet ouvrage, tirĂ© Ă  un petit nombre d’exemplaires, est devenu fort rare, on me permettra d’en extraire un assez long fragment qui offrira au lecteur une histoire complĂšte de la perruque chez les anciens. Cette citation aura d’ailleurs l’avantage de jeter un peu de gaietĂ© dans ces notes. On y trouvera, je pense, une plaisanterie fine et lĂ©gĂšre, jointe Ă  une Ă©ruditon variĂ©e, sans ĂȘtre superficielle. Écoutons le moderne Mathanasius. J’ignore pourquoi les jĂ©suites de TrĂ©voux, Furgaut et plusieurs autres, ont prĂ©tendu qu’il n’y avait pas chez les anciens de tĂȘtes Ă  perruque. L’histoire, la poĂ©sie, la tradition et les monuments dĂ©posent contre leur tĂ©moignage. L’un de nos plus graves historiens, Legendre, l’a solennellement rĂ©futĂ©, en attestant que la perruque Ă©tait commune chez les Romains et chez les Grecs. A l’autoritĂ© de Legendre se joint celle du savant auteur dont l’ouvrage a pour titre MƓurs et usages des Romains ce fut, dit-il, vers le commencement de l’empire que s’introduisit Ă  Rome l’usage commode des perruques. MĂ©nage, dans son Dictionnaire Ă©tymologique, et Saint-Foix ont Ă©galement reconnu l’antiquitĂ© de la perruque. Quelle ville fut son berceau ? La perruque eut le sort d’HomĂšre, et la question reste Ă  rĂ©soudre. Dans sa glose sur le Livre des Rois, un rabbin, grand commentateur, voulant rapporter Ă  son pays l’honneur d’une dĂ©couverte aussi utile, attribue l’invention des perruques Ă  Michol, fille, comme ou sait, du roi SaĂŒl. Dans ce systĂšme, la perruque serait juive, et n’aurait guĂšre que deux mille huit cent cinquante-huit ans, Ă  quelques jours prĂšs. Ce calcul me parait mesquin. Et puis cette peau de chĂšvre dont Michol, pour sauver son pauvre mari des fureurs de SaĂŒl, s’avisa de coiffer une statue, quelle ressemblance avait-elle, je vous prie, avec une perruque ? La prĂ©tention du rabbin est donc sans fondement. Dans son Ă©pithalame pour Julie, saint Paulin s’est permis, il est vrai, de dire, en parlant des filles de Sion Quaeque caput passis cumulatum crinibus augent, Triste gerent nudo vertice calvitiem. Ou, comme le traduit un de nos vieux poĂ«tes Pour les punir d’avoir portĂ© perruque, Le Seigneur Dieu va mettre Ă  nu leur nuque. Mais ce distique ne peut tirer Ă  consĂ©quence. Saint Paulin n’avait d’autre but que d’empĂȘcher Julie de se damner pour une perruque il faut bien lui pardonner l’anachronisme en faveur de l’intention. Les historiens profanes n’ont pas Ă©tĂ© plus heureux dans leurs recherches. Je ne vois pas sur quelle autoritĂ© pouvait se fonder ClĂ©arque, par exemple, quand il plaçait chez les Lapygiens, c’est-Ă -dire dans l’ancienne Pouille, la premiĂšre tĂȘte Ă  perruque. Selon moi, l’origine des perruques se perd dans la nuit des temps ; elles durent naĂźtre chez les femmes avec l’envie de plaire. Fille de la coquetterie, la perruque est donc aussi ancienne que le monde. C’est aussi le sentiment de Rangon, dans son traitĂ© de Capillamentis ; et ce sentiment est d’autant mieux motivĂ©, qu’il repose sur une certitude morale qui, dans cette occasion, vaut bien toutes les certitudes physiques et mĂ©taphysiques possibles. Mais ne nous brouillons pas avec les chronologistes ; dans leur mauvaise humeur, ils pourraient nous accabler sous le poids des chiffres. Abandonnons-leur donc les temps fabuleux de la perruque, et descendons au siĂšcle de Cyrus. Au rapport de Posidippe, citĂ© par Élien liv. I, en. 26 de ses Histoires diverses, la parure ordinaire de la belle AglaĂŻs, fille de MĂ©gacle, contemporain de Cyrus, Ă©tait une perruque ornĂ©e d’une aigrette. Qui ne sait qu’aux funĂ©railles d’Adonis, les PhĂ©niciennes devaient Ă  la dĂ©esse Ergetto, la VĂ©nus de Tyr, le sacrifice de leur pudeur, ou celui de leurs cheveux ? AssurĂ©ment, les PhĂ©niciennes ont portĂ© perruque. Cette assertion, fondĂ©e sur la prĂ©somption de leur sagesse, devient une dĂ©monstration par le tĂ©moignage de Saint-Foix. Voici comme il raconte la chose dans ses Essais sur Paris. AprĂšs avoir parlĂ© de l’embarras oĂč l’alternative plaçait sans cesse la pudeur des beautĂ©s de Tyr et de Sidon, il ajoute L’argent que quelques-unes recevaient pour prix de leurs complaisances appartenait Ă  la dĂ©esse ; c’était le casuel des prĂȘtres. Un particulier, peut-ĂȘtre un mari, un jaloux, imagina les perruques, et le proposa aux femmes qui ne voulaient ni se prostituer, ni perdre leurs cheveux. L’invention parut commode, mais elle excita la rĂ©clamation des prĂȘtres ; ils dĂ©cidĂšrent que les perruques pouvaient nuire Ă  leurs droits, et les perruques furent dĂ©fendues. » Quelle rude Ă©preuve pour la chastetĂ© des PhĂ©niciennes ! Mausole, roi de Carie, aimait beaucoup l’argent, et ses peuples aimaient presque autant leurs cheveux. Que fit Mausole ? Aristote nous l’apprend {Économ.,liv. II. En vertu d’un ordre secret du roi, les magasins se remplissent tout Ă  coup de perruques achetĂ©es au rabais chez les nations voisines. A peine furent-elles toutes accaparĂ©es, qu’un Ă©dit solennel vint condamner les tĂȘtes lyciennes, sans distinction d’ñge ni de sexe, Ă  se faire tondre dans les vingt-quatre heures. La dĂ©solation fut extrĂȘme ; mais il fallut obĂ©ir un refus eut attirĂ© plus que la perte des cheveux. Alors les magasins s’ouvrent, les perruques sont mises Ă  l’enchĂšre, la concurrence en Ă©lĂšve le prix Ă  un taux excessif ; et voilĂ  le trĂ©sor du prince enrichi de plusieurs millions. Ce roi-lĂ  savait spĂ©culer sur le luxe ; et le monopole des perruques ne l’a pas rendu moins cĂ©lĂšbre que le monument superbe oĂč la chaste ArtĂ©mise le fit loger quand il fut mort. Si l’on en croit Suidas et Tite-Live liv. XXI, Annibal, ce guerrier non moins fameux par ses ruses que par son courage, afin de mieux Ă©chapper aux embĂ»ches des Gaulois, changeait souvent d’habits et de perruques. Appien Histoire de la guerre d’Espagne, ch. IX dit que, pour jeter l’épouvante dans les rangs ennemis, les IbĂšres, sous la conduite de Viriatus, arborĂšrent des perruques Ă  longues queues. Les lois assyriennes dĂ©fendaient aux jeunes gens des deux sexes de se marier avant d’avoir coupĂ© leurs cheveux, et de les avoir appendus dans le temple de BĂ©lus, en l’honneur de l’immortel brochet OannĂšs. Tous les mariages se faisaient donc Ă  Babylone, en perruque. Le mĂȘme usage avait lieu chez les Grecs de TrĂ©zĂšnes ; mais lĂ , c’était au pudique Hippolyte qu’étaient consacrĂ©es les dĂ©pouilles des tĂȘtes vierges. Voyez Histoire de la dĂ©esse de Syrie, faussement attribuĂ©e Ă  Lucien. HĂ©ritiers des arts, enfants de l’Égypte et de la PhĂ©nicie, les Grecs ne pouvaient manquer d’ĂȘtre excellents perruquiers. La perruque se nommait chez eux phĂšnaxĂš imposture ; c’est MĂ©nage qui nous l’apprend. Et qu’est-ce en effet qu’une perruque, sinon l’officieux mensonge d’une chevelure artificielle ? D’aprĂšs quelques passages de Thucydide PrĂ©face de la Guerre du PĂ©loponnĂšse, on voit que les jeunes AthĂ©niennes prĂ©fĂ©raient, parmi les perruques, celles dont les tresses blondes, repliĂ©es sous un rĂ©seau transparent, s’y cachaient Ă  moitiĂ© pour briller davantage. D’autres aimaient Ă  ramener ces tresses sur le sommet du front, oĂč des aiguilles d’or les tenaient arrĂȘtĂ©es. La tĂȘte de ces aiguilles avait la forme de cigales auxquelles il ne manquait que la voix, et qui, dans un balancement perpĂ©tuel, semblaient toujours prĂȘtes Ă  s’envoler. Les petits-maĂźtres, du temps d’Aristophane, avaient mis Ă  la mode la coiffure d’enfant, ou la perruque Ă  la jockei c’était celle de l’effĂ©minĂ© Cratinus ; et, si l’on en croit Ovide, Sapho, pour plaire Ă  Phaon, plaçait dans sa perruque des poinçons garnis de perles. Il est Ă©vident qu’à Rome la mode des perruques Ă©tait devenue gĂ©nĂ©rale vers les derniers temps de la rĂ©publique. Tibulle, Ovide, Properce et Gallus ont chantĂ© les perruques de leurs maĂźtresses, dans une foule de jolis vers. Il fallait, dit un grave acadĂ©micien l’abbĂ© Nadal, Dissertation sur le luxe des dames romaines, il fallait, pour l’ornement d’une tĂȘte romaine, les dĂ©pouilles d’une infinitĂ© d’autres tĂȘtes. TantĂŽt les cheveux flottaient sur les Ă©paules au grĂ© des vents, tantĂŽt ils s’arrondissaient en boucles sur un sein d’albĂątre. Souvent on en tressait des couronnes ; quelquefois ils s’élevaient Ă  pic, et laissaient Ă  dĂ©couvert l’ivoire d’un joli cou. Ce fut Plotine, femme de Trajan, qui introduisit Ă  Rome ces perruques Ă  l’Andromaque, dont parle JuvĂ©nal dans sa sixiĂšme satire. Elles s’élevaient par Ă©tages sur le devant de la tĂȘte, et formaient une espĂšce de turban Ă  triple rouleau c’était la coiffure favorite des femmes Ă  petite taille. L’illustre Adrien Valois a recueilli quatorze mĂ©dailles d’impĂ©ratrices romaines ; et, sur chacune de ces mĂ©dailles, on voit une perruque diffĂ©rente. Les dieux mĂȘme honoraient les perruques d’une protection spĂ©ciale. Les prĂȘtres de Diane, selon saint Maxime dans ses HomĂ©lies, portaient une perruque courte Ă  cheveux hĂ©rissĂ©s. La coquetterie, si l’on en croit Dion Chrysostome Oratio de cultu corporis, s’était glissĂ©e jusque sur les autels. C’est lĂ  que la majestĂ© des dieux s’accroissait encore de la majestĂ© des perruques. On murmura plus d’une fois tout bas contre Apollon qui, non content de briller dans les cieux par sa chevelure d’or, accaparait encore sur la terre, pour parer ses images, les plus belles perruques de Rome. Les prĂȘtres de la bonne CybĂšle tenaient en rĂ©quisition permanente le gĂ©nie des coiffeuses ; ils leur disputaient, souvent avec avantage, l’honneur de rajeunir, Ă  l’aide des colifichets de la mode, les vieux attraits de la mĂšre des dieux. L’aiguille dont ils se servaient pour la coiffer Ă©tait devenue miraculeuse, et Servius la place Ă  cĂŽtĂ© du sceptre de Priam et du bouclier de Romulus, parmi les gages de la gloire et de la durĂ©e de l’empire romain. Mais de toutes les perruques divines, nulle n’était plus imposante que la perruque de Jupiter Multi-comans. Martial, plus malin que galant, critiqua seulement l’abus des perruques. TĂȘte chaussĂ©e ! calceatum caput ! s’écriait-il quelquefois liv. XII, Ă©pigr. 45. Seize siĂšcles avant que Boileau eĂ»t plaisantĂ© l’abbĂ© Pochetto sur ses sermons d’achat, Martial avait dĂ©jĂ  dit, Ă  peu prĂšs de mĂȘme liv. VI, Ă©pigr. 12 Jurat capillos esse, quos emit, suos Fabulla numquid illa, Paulle, pejerat ? nego. Plus loin, il ajoute liv. XII, Ă©pigr. 23 Dentibus, atque comis, nec te pudet, uteris emptis Quid facies oculo, Laelia ? non emitur. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Il est clair que Martial n’en voulait qu’aux vilaines tĂȘtes Ă  perruque. Les mĂ©dailles nous montrent les tĂȘtes impĂ©riales d’Othon, de Commode, de PoppĂ©e, de Julie, de Lucile, ornĂ©es de capillaments c’était le nom gĂ©nĂ©rique des perruques romaines. Les petites-maĂźtresses avaient sur leur toilette diverses espĂšces de perruques pour les diffĂ©rentes heures du jour. Elles portaient en chenille le galericon c’était une sorte de petit casque qui donnait Ă  leurs traits, avec un air cavalier, quelque chose de plus piquant. Le corymbion Ă©tait pour les visites d’étiquette, les promenades et le spectacle. Cette coiffure d’apparat avait un volume immense ; elle ressemblait assez Ă  celle des Bacchantes. Othon, au rapport de SuĂ©tone, se servait du galericon pour cacher sa calvitie ; gula, sous la mĂȘme perruque, courait lutiner dans l’ombre les prostituĂ©es de Rome ; et Messaline, abaissant, la nuit, devant la coiffure blonde des amours, la majestĂ© du diadĂšme, allait incognito provoquer dans les camps les robustes caresses des soldats romains voyez la satire VI de JuvĂ©nal. Mais la perruque la plus fameuse de l’antiquitĂ© fut, sans contredit, la perruque de l’empereur Commode. La description Ă©lĂ©gante que Lampride en a faite dans la vie de cet empereur Historiae Augustae scriptores, lui assure l’immortalitĂ© c’était le corymbion, mais le corymbion dans tout son Ă©clat. Il faut voir dans l’historien ce prince, apparemment seul avec ses remords et ses craintes, n’osant confier son cou royal au rasoir d’un barbier, ni son front mĂȘme Ă  l’aiguille des coiffeurs, se brĂ»lant lui-mĂȘme les cheveux et la barbe, ajustant devant son miroir sa vaste perruque, l’abreuvant de parfums et d’essences, et rĂ©pandant sur elle des flots de poudre d’or. Les chevelures allemandes et gauloises Ă©taient les plus recherchĂ©es des perruquiers romains ; leur couleur approchait de celle de l’or. En vain le dĂ©clamateur SĂ©nĂšque Ă©pĂźtre cxv, et de la BriĂšvetĂ© de la vie gourmanda les perruques ; on ne l’écouta mĂȘme pas. L’éloquence chrĂ©tienne de Tertullien, dans son traitĂ© de la Toilette des dames, chapitre VII, ne fut pas plus heureuse. ClĂ©ment d’Alexandrie, dans ses Stromates ou Tapisseries ; GrĂ©goire de Nazianze, dans l’Éloge de Gorgonie, sa sƓur ; saint Ambroise, dans son livre de la VirginitĂ© ; saint JĂ©rĂŽme, dans ses brĂ»lantes ÉpĂźtres, ne produisirent pas plus d’effet. Ces bons PĂšres eurent beau nommer les perruques fourreaux de tĂȘtes, dĂ©pouille des morts, Ă©difices de prostitution, tours de Satan ; ils eurent beau vouer aux flammes de l’enfer les chevelures postiches, et ceux ou celles qui les portaient, la perruque n’en courut pas moins conquĂ©rir l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; et l’univers fut peuplĂ© de tĂȘtes Ă  perruque, Ă  la barbe des saints et des philosophes. C’était surtout les jours de fĂȘtes que brillaient les perruques. Aux calendes de janvier, c’est-Ă -dire aux premiers jours de l’an, l’étrenne la mieux reçue Ă©tait une perruque. Si les Matronales Ă©taient la fĂȘte des dames, elles Ă©taient donc aussi la fĂȘte des perruques Ovide,Fastes, liv. iii. Pendant la cĂ©lĂ©bration des Bacchanales, ou, si vous voulez, Ă  l’époque du carnaval romain, la perruque jouait encore un grand rĂŽle ; on y voyait les hommes se mĂȘler aux Bacchantes, la main armĂ©e de torches, et la tĂȘte affublĂ©e de perruques de femmes S. AstĂšre, Hom. in fest. kalend.. Lisez l’Ane d’or d’ApulĂ©e, livre XI vous y verrez, aux processions de la dĂ©esse Isis, un dĂ©vot africain paraĂźtre en escarpins dorĂ©s, en robe de soie traĂźnante, chargĂ© de bijoux et de pierreries, tant avec mollesse les ondes de sa perruque, et contrefaisant la dĂ©marche d’une petite-maĂźtresse. Il paraĂźt que la coiffe des perruques romaines Ă©tait une calotte de peau de bouc Martial, liv. XII, Ă©pigr. 45. Elle s’ajustait avec tant de dextĂ©ritĂ©, qu’on distinguait Ă  peine si la coiffure Ă©tait postiche. Mais l’art des perruquiers ne tenait pas toujours ferme contre l’opiniĂątretĂ© des vents ; et Festus Avienus carmen X nous a conservĂ© l’anecdote d’un cavalier dont une bise incivile mit tout Ă  coup le chef Ă  nu, aux Ă©clats de rire des malins spectateurs. Tel Ă©tait l’engouement, que le front chauve qui ne pouvait atteindre au prix courant des perruques voulait du moins en arborer l’image. Martial liv. VI, Ă©pigr. 57, Farnabe, et TurnĂšbe Adversar., cap. XXVII nous l’apprennent on se peignait la tĂȘte avec des pommades de diverses couleurs ; on donnait Ă  ces croĂ»tes parfumĂ©es la figure d’une perruque, et les sillons onduleux dont on savait les orner jouaient, dit-on, au parlait les tresses de cheveux naturels. AprĂšs cela, continue Martial, pour raser, en un moment et sans risque, la plus belle tĂȘte du monde, il suffisait d’une Ă©ponge. Comment les anciens n’auraient-ils pas aimĂ© les perruques ? les cheveux Ă©taient ce qu’ils avaient de plus cher ; et cependant il fallait sans cesse les sacrifier pour en semer le tombeau des morts. Teucer, dans Sophocle Ajax furieux, acte IV, sc. 6, dit au jeune Ajax, en lui montrant la tombe de son pĂšre Venez, enfant ; approchez, en posture de suppliant, de celui qui vous donna le jour ; demeurez-y les yeux tournĂ©s vers votre pĂšre, ayant en main l’humble offrande de mes cheveux, de ceux de votre mĂšre, et des vĂŽtres. » Dans le mĂȘme tragique, Electre acte I, sc. 5, voyant ChrysosthĂ©mis, sa sƓur, apporter au tombeau d’Agamemnon les prĂ©sents de Clytemnestre, s’écrie Pensez-vous que ces hypocrites offrandes puissent expier le meurtre de mon pĂšre ? Non, non, il n’en sera rien. Laissez lĂ  ces dons stĂ©riles ; faites mieux coupez vous-mĂȘme ces boucles de cheveux, et joignez-les aux miens. HĂ©las ! il m’en reste peu, je les ai dĂ©jĂ  sacrifiĂ©s ; mais enfin j’en offre le reste, et leur dĂ©rangement montre assez ma douleur. » On devait encore se couper les cheveux dans le deuil. Aussi, dans l’Oreste d’Euripide acte II, sc. I, le chƓur chante-t-il VoilĂ  Tyndare, ce Spartiate chargĂ© d’annĂ©es, qui s’avance d’un pas prĂ©cipitĂ©, couvert de noirs vĂȘtements, et la tĂȘte rasĂ©e dans le deuil oĂč sa fille le plonge. » Dans la mĂȘme piĂšce acte I, sc. 3, Electre, toujours plaintive, accuse HĂ©lĂšne de manquer aux biensĂ©ances, parce qu’elle n’a coupĂ© que l’extrĂ©mitĂ© de ses cheveux aprĂšs la mort d’une de ses sƓurs Voyez, dit-elle, avec quel artifice cette femme vient de couper l’extrĂ©mitĂ© de ses cheveux sans nuire Ă  sa beautĂ© ! Elle est toujours ce qu’elle fut autrefois ! Puissent les dieux te dĂ©tester, ĂŽ toi qui as perdu, moi, mon frĂšre, la GrĂšce entiĂšre !
 Ah ! malheureuse que je suis ! » A la mort de Masistius, dit HĂ©rodote, livre IX, les Perses, pour marquer leur chagrin, non-seulement se rasĂšrent la tĂȘte, mais ils coupĂšrent encore le poil Ă  toutes leurs montures c’est l’expression de Lamothe-Le-Vayer. La douleur, comme tous les extrĂȘmes, est de courte durĂ©e ; elle n’attendait pas, pour s’envoler, que les cheveux eussent repris leur grandeur naturelle. Comment rappeler alors les jeux et les ris autour d’une tĂȘte tondue ? c’eĂ»t Ă©tĂ© la chose impossible ; mais on prenait perruque, et toute la bande des amours, selon l’expression du bon La Fontaine, revenait au colombier. Un nouveau motif de tendresse pour les perruques chez la docte antiquitĂ©, c’était la haine religieuse qu’on y portait aux tĂȘtes chauves. Qui ne sait que CĂ©sar lui-mĂȘme, CĂ©sar au milieu de sa gloire, vit les brocards de ses soldats poursuivre son front chauve jusque sur son char de triomphe ? Voici le chauve adultĂšre, criaient-ils en chƓur ; maris, cachez vos femmes ! » Calvum mƓchum duximus ; mariti, servate uxores ! CĂ©sar, sans cheveux, paraissait d’autant plus ridicule, que le nom mĂȘme de CĂ©sar rappelait l’idĂ©e d’une belle chevelure. Celle de son aĂŻeul Ă©tait encore cĂ©lĂšbre, et ce fut elle, dit-on, qui mĂ©rita Ă  cet ancĂȘtre du dictateur le surnom de CĂ©sar. CĂŠsar a caesarie dictus. Pour consoler le vainqueur du monde, et dĂ©rober sa calvitie Ă  la malignitĂ© romaine, le sĂ©nat permit Ă  CĂ©sar de porter perpĂ©tuellement une couronne de lauriers. Un sĂ©natus-consulte fit ainsi de cette couronne la perruque des hĂ©ros. Si les couronnes Ă©taient aujourd’hui parmi nous Ă  la mode, combien de simples soldats français pourraient porter, sans ĂȘtre chauves, la perruque de CĂ©sar ! » 2 Immo supercilia profert de pyxide. — On voit maintenant, par ces mots supercilia profert de pyxide, que les dames romaines portaient aussi des sourcils postiches. Martial liv. IX, Ă©pigr. 37 parle d’une coquette qui avait des cheveux, des dents et des sourcils de contrebande Quum sis ipsa domi, mediaque ornere Suburra, Fiant absentes et tibi, Galla, comae ; Nec dentes aliter, quam serica, nocte reponas, Et jaceas centum condita pyxidibus Nec tecum facies tua dormiat innuis illo, Quod tibi prolatum est mane, supercilio. 3 Quia flavicomum corymbion erat. — L’auteur soutient ici le caractĂšre qu’il a donnĂ© Ă  TryphĂšne, d’une femme de mauvaise vie, parce qu’il n’y avait que les courtisanes qui portassent des perruques blondes ; les matrones n’en mettaient que de noires c’est pour cela que JuvĂ©nal, dans sa satire VI, vers 120, nous reprĂ©sente Messalinecachant ses cheveux bruns sous une perruque blonde . Nigrum flavo crinem abscondente galero, pour aller dans une maison de prostitution se livrer Ă  la brutalitĂ© publique. CHAPITRE CXI. 1 Matrona quƓdam Ephesi tam notƓ erat pudicitiƓ. — Ce conte de la Matrone d’ÉphĂšse a Ă©tĂ© traduit ou imitĂ© dans toutes les langues ; et c’est le premier morceau du Satyricon qu’on ait fait passer dans la nĂŽtre, comme on l’a vu dans les Recherches sceptiques sur le Satyricon un clerc, nommĂ© HĂ©bert, la rendit en vers français, vers l’an 1200. Ce sujet a aussi Ă©tĂ© traitĂ© pour la scĂšne, et on lui doit un joli vaudeville. De tous les imitateurs de PĂ©trone, celui qui a le mieux rĂ©ussi, c’est La Fontaine, dont on me permettra de reproduire ici le conte, fort joli, sans doute, mais peut-ĂȘtre trop prolixe, trop paraphrasĂ©, et qui est loin, selon moi, de reproduire la piquante simplicitĂ© de l’original S’il est un conte usĂ©, commun et rebattu, C’est celui qu’en ces vers j’accommode Ă  ma guise. ____Et pourquoi donc le choisis-tu ? ____Qui t’engage Ă  cette entreprise ? N’a-t-elle point dĂ©jĂ  produit assez d’écrits ? ____Quelle grĂące aura ta matrone____Au prix de celle de PĂ©trone ? Comment la rendras-tu nouvelle Ă  nos esprits ? Sans rĂ©pondre aux censeurs, car c’est chose infinie, Voyons si dans mes vers je l’aurai rajeunie. ____Dans ÉphĂšse il fut autrefois Une dame en sagesse, en vertu sans Ă©gale, ____Et, selon la commune voix, Ayant su raffiner sur l’amour conjugale. Il n’était bruit que d’elle et de sa chastetĂ© ; ____On l’allait voir par raretĂ© ; C’était l’honneur du sexe heureuse sa patrie ! Chaque mĂšre Ă  sa bru l’allĂ©guait pour patron ; Chaque Ă©poux la prĂŽnait Ă  sa femme chĂ©rie D’elle descendent ceux de la Prudoterie,____Antique et cĂ©lĂšbre maison. ____Son mari l’aimait d’amour folle. ____Il mourut. De dire comment, ____Ce serait un dĂ©tail frivole. ____Il mourut ; et son testament N’était plein que de legs qui l’auraient consolĂ©e, Si les biens rĂ©paraient la perte d’un mari____Amoureux autant que chĂ©ri. Mainte veuve pourtant fait la dĂ©chevelĂ©e, Qui n’abandonne pas le soin du demeurant, Et du bien qu’elle aura fait le compte en pleurant. Celle-ci, par ses cris, mettait tout en alarme, ____Celle-ci faisait un vacarme, Un bruit, et des regrets Ă  percer tous les cƓurs ; ____Bien qu’on sache qu’en ses malheurs, De quelque dĂ©sespoir qu’une Ăąme soit atteinte, La douleur est toujours moins forte que la plainte, Toujours un peu de faste entre parmi les pleurs. Chacun fit son devoir de dire Ă  l’affligĂ©e Que tout a sa mesure, et que de tels regrets____Pourraient pĂ©cher par leur excĂšs Chacun rendit par lĂ  sa douleur rengrĂ©gĂ©e. Enfin, ne voulant plus jouir de la clartĂ©____Que son Ă©poux avait perdue, Elle entre dans sa tombe, en ferme volontĂ© D’accompagner cette ombre aux enfers descendue. Et voyez ce que peut l’excessive amitiĂ© Ce mouvement aussi va jusqu’à la folie, Une esclave en ces lieux la suivit par pitiĂ©, ____PrĂȘte Ă  mourir de compagnie ; PrĂȘte, je m’entends bien, c’est-Ă -dire, en un mot, N’ayant examinĂ© qu’à moitiĂ© ce complot, Et jusques Ă  l’effet courageuse et hardie. L’esclave avec la dame avait Ă©tĂ© nourrie ; Toutes deux s’entr’aimaient, et cette passion Était crue avec l’ñge au cƓur des deux femelles Le monde entier Ă  peine eĂ»t fourni deux modĂšles____D’une telle inclination. Comme l’esclave avait plus de sens que la dame, Elle laissa passer les premiers mouvements ; Puis tĂącha, mais en vain, de remettre cette Ăąme Dans l’ordinaire train des communs sentiments. Aux consolations la veuve inaccessible S’appliquait seulement Ă  tout moyen possible De suivre le dĂ©funt aux noirs et tristes lieux. Le fer aurait Ă©tĂ© le plus court et le mieux ; Mais la dame voulait paĂźtre encore ses yeux____Du trĂ©sor qu’enfermait la biĂšre, ____Froide dĂ©pouille, et pourtant chĂšre ____C’était lĂ  le seul aliment____Qu’elle prĂźt en ce monument. ____La faim donc fut celle des portes____Qu’entre d’autres de tant de sortes Notre veuve choisit pour sortir d’ici-bas. Un jour se passe, et deux, sans autre nourriture Que ses profonds soupirs, que ses frĂ©quents hĂ©las, ____Qu’un inutile et long murmure Contre les dieux, le sort et toute la nature. ____Enfin sa douleur n’omit rien, Si la douleur doit s’exprimer si bien. Encore un autre mort faisait sa rĂ©sidence Non loin de ce tombeau, mais bien diffĂ©remment, ____Car il n’avait pour monument____Que le dessous d’une potence Pour exemple aux voleurs on l’avait lĂ  laissĂ©. ____Un soldat bien rĂ©compensĂ©____Le gardait avec vigilance. ____Il Ă©tait dit par ordonnance Que si d’autres voleurs, un parent, un ami, L’enlevaient, le soldat, nonchalant, endormi, ____Remplirait aussitĂŽt sa place. ____C’était trop de sĂ©vĂ©ritĂ© ; ____Mais la publique utilitĂ© DĂ©fendait qu’on ne fĂźt au garde aucune grĂące. Pendant la nuit il vit, aux fentes du tombeau, Briller quelque clartĂ©, spectacle assez nouveau. Curieux, il y court, entend de loin la dame____Remplissant l’air de ses clameurs. Il entre, est Ă©tonnĂ©, demande Ă  cette femme____Pourquoi ces cris, pourquoi ces pleurs, ____Pourquoi cette triste musique, Pourquoi cette maison noire et mĂ©lancolique ? OccupĂ©e Ă  ses pleurs, Ă  peine elle entendit____Toutes ces demandes frivoles. ____Le mort pour elle y rĂ©pondit ____Cet objet, sans autres paroles. ____Disait assez par quel malheur La dame s’enterrait ainsi toute vivante. — Nous avons fait serment, ajouta la suivante, De nous laisser mourir de faim et de douleur. — Encor que le soldat fĂ»t mauvais orateur, Il leur fit concevoir ce que c’est que la vie. La dame cette fois eut de l’attention ; ____Et dĂ©jĂ  l’autre passion____Se trouvait un peu ralentie Le temps avait agi. — Si la foi du serment, Poursuivit le soldat, vous dĂ©fend l’aliment. ____Voyez-moi manger seulement. Vous n’en mourrez pas moins. — Un tel tempĂ©rament____Ne dĂ©plut pas aux deux femelles. ____Conclusion, qu’il obtint d’elles Une permission d’apporter son soupĂ© Ce qu’il fit. Et l’esclave eut le cƓur fort tentĂ© De renoncer dĂšs lors Ă  la cruelle envie____De tenir au mort compagnie. — Madame, ce dit-elle, un penser m’est venu Qu’importe Ă  votre Ă©poux que vous cessiez de vivre Croyez-vous que lui-mĂȘme il fĂ»t homme Ă  vous suivre, Si par votre trĂ©pas vous l’aviez prĂ©venu ? Non, madame ; il voudrait achever sa carriĂšre. La nĂŽtre sera longue encor si nous voulons. Se faut-il, Ă  vingt ans, enfermer dans la biĂšre ? Nous aurons tout loisir d’habiter ces maisons. On ne meurt que trop tĂŽt qui nous presse ? attendons. Quant Ă  moi, je voudrais ne mourir que ridĂ©e. Voulez-vous emporter vos appas chez les morts ? Que vous servira-t-il d’en ĂȘtre regardĂ©e ? ____TantĂŽt, en voyant les trĂ©sors Dont le ciel prit plaisir d’orner votre visage, ____Je disais HĂ©las ! c’est dommage, Nous-mĂȘmes nous allons enterrer tout cela. — À ce discours flatteur la dame s’éveilla. Le dieu qui fait aimer prit son temps ; il tira Deux traits de son carquois de l’un il entama Le soldat jusqu’au vif ; l’autre effleura la dame. Jeune et belle, elle avait sous ses pleurs de l’éclat ; ____Et des gens de goĂ»t dĂ©licat Auraient bien pu l’aimer, et mĂȘme Ă©tant leur femme. Le garde en fut Ă©pris les pleurs et la pitiĂ©, ____Sorte d’amour ayant ses charmes, Tout y fit une belle, alors qu’elle est en larmes, ____En est plus belle de moitiĂ©. VoilĂ  donc notre veuve Ă©coutant la louange, Poison qui de l’amour est le premier degrĂ© ; ____La voilĂ  qui trouve Ă  son grĂ© Celui qui le lui donne. Il fait tant qu’elle mange ; Il fait tant que de plaire, et se rend en effet Plus digne d’ĂȘtre aimĂ© que le mort le mieux fait ; ____Il fait tant enfin qu’elle change ; Et toujours par degrĂ©s, comme l’on peut penser, De l’un Ă  l’autre il fait cette femme passer. ____Je ne le trouve pas Ă©trange Elle Ă©coute un amant, elle en fait un mari, Le tout au nez du mort qu’elle avait tant chĂ©ri. Pendant cet hymĂ©nĂ©e, un voleur se hasarde D’enlever le dĂ©pĂŽt commis aux soins du garde Il en entend le bruit, il y court Ă  grands pas ; ____Mais en vain la chose Ă©tait faite. Il revient au tombeau conter son embarras, ____Ne sachant oĂč trouver retraite. L’esclave alors lui dit, le voyant Ă©perdu ____— L’on vous a pris votre pendu ? Les lois ne vous feront, dites-vous, nulle grĂące ? Si madame y consent, j’y remĂ©dierai notre mort en sa place, ____Les passants n’y connaĂźtront rien. — La dame y consentit. O volages femelles ! La femme est toujours femme. Il en est qui sont belles ; ____Il en est qui ne le sont pas ____S’il en Ă©tait d’assez fidĂšles, ____Elles auraient assez d’appas. Prudes, vous vous devez dĂ©fier de vos forces Ne vous vantez de rien. Si votre intention____Est de rĂ©sister aux amorces, La nĂŽtre est bonne aussi, mais l’exĂ©cution Nous trompe Ă©galement ; tĂ©moin cette matrone. ____Et, n’en dĂ©plaise au bon PĂ©trone, Ce n’était pas un fait tellement merveilleux Qu’il en dĂ»t proposer l’exemple Ă  nos neveux. Cette veuve n’eut tort qu’au bruit qu’on lui vit faire, Qu’au dessein de mourir, mal conçu, mal formĂ© ; ____Car de mettre au patibulaire____Le corps d’un mari tant aimĂ©, Ce n’était pas peut-ĂȘtre une si grande affaire Cela lui sauvait l’autre, et, tout considĂ©rĂ©, Mieux vaut goujat debout qu’empereur enterrĂ©. Cette imitation du conte de PĂ©trone inspire Ă  M. Durand les rĂ©flexions suivantes Ce conte n’est que plaisant dans La Fontaine ; mais dans PĂ©trone il finit par un trait horrible et qui choque toutes les convenances. Son esprit, qui savait si bien sacrifier aux grĂąces, aurait dĂ» lui fournir un dĂ©noĂ»ment plus aimable. Suivant lui, c’est l’épouse consolĂ©e qui propose d’exhumer son mari et de l’accrocher au poteau dĂ©pouillĂ©. Au moins le conteur français met cet avis odieux dans la bouche d’une esclave ; ce correctif mĂȘme n’adoucit que faiblement, selon moi, l’horreur que cette circonstance inspire. » N’en dĂ©plaise Ă  M. Durand, je ne suis pas de son avis. Le dĂ©noĂ»ment du conte de PĂ©trone est tel qu’il devait ĂȘtre. Il voulait prouver, comme il le fait dire en propres termes Ă  Eumolpe, qu’il n’y a pas de femme, quelque prude qu’elle soit, qu’une passion nouvelle ne puisse porter aux plus grands excĂšs ; et pour prouver ce qu’il avance, je vais, ajoute-t-il, vous raconter un fait arrivĂ© de nos jours. C’était, comme on le voit, un fait rĂ©cent, un fait connu, notoire ; PĂ©trone n’était donc pas le maĂźtre d’en changer le dĂ©noĂ»ment. D’ailleurs Flavius, au rapport de Jean de SarisbĂ©ry, dans son traitĂ© de Nug. cur., livre VIII, chapitre 11, assure que cette histoire est vĂ©ritable, et que la veuve qui en est l’hĂ©roĂŻne fut punie de son impiĂ©tĂ©, de son parricide et de son adultĂšre, en prĂ©sence du peuple ; ce sont ses propres termes mulieremque impietatis suce, et sceleris parricidatis, et adulterii, in conspectu populi, luisse pƓnas. ApulĂ©e a traitĂ© un sujet Ă  peu prĂšs semblable au livre II de son Ane d’or, mais avec beaucoup moins d’enjouement et de grĂące que PĂ©trone ; nous renvoyons, pour la comparaison de ces deux histoires, Ă  l’excellente traduction d’ApulĂ©e donnĂ©e par M. BĂ©tolaud. Il est facile de reconnaĂźtre, dans la Matrone d’ÉphĂšse, l’origine d’un charmant Ă©pisode du conte de Zadig, par Voltaire, celui de la prude, qui, croyant son mari dĂ©cĂ©dĂ©, consent Ă  lui couper le nez dans son tombeau, pour guĂ©rir son amant d’une douleur de cĂŽtĂ©. 2 Ne quis ad sepulturam corpora detraheret. — On refusait la sĂ©pulture Ă  ceux qui avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s au dernier supplice, et on les laissait suspendus au gibet pour Ă©pouvanter, par ce spectacle, les malfaiteurs qui seraient tentĂ©s de les imiter. Cela se pratique encore de nos jours en plusieurs endroits de l’Italie. 3 Faciemque unguibus sectam, — Cette marque d’une extrĂȘme affliction Ă©tait une coutume que les femmes observaient pour tĂ©moigner l’excĂšs de leur douleur. Mais la loi des Douze Tables abolit cet usage chez les Romains. CHAPITRE CXII. 1 Nec venit in mentem, quorum consederis arvis ? — Ce vers et le prĂ©cĂ©dent sont empruntĂ©s au livre IV de l’EnĂ©ide, oĂč ils sont employĂ©s Ă  peu prĂšs dans le mĂȘme sens que PĂ©trone leur donne ici. Dans Virgile, Anne, conseillant Ă  Didon de ne pas rejeter les services d’ËnĂ©e, qu’elle aime en secret, lui rappelle qu’elle est dans un pays barbare, etc. Ici une servante, qui ne se sent pas d’humeur Ă  mourir de faim, tĂąche de dĂ©cider sa maĂźtresse Ă  se rendre aux empressements d’un jeune homme qui ne lui est pas indiffĂ©rent ; et, pour y rĂ©ussir, elle lui reprĂ©sente l’horreur du lieu oĂč elle se trouve elle lui a dĂ©jĂ  dit prĂ©cĂ©demment, en citant un autre vers de Virgile Id cinerem aut manes credis curare sepultos ? Croyez-vous qu’une froide cendre et des mĂąnes inanimĂ©s se soucient de vos regrets ? » 2 Ne hanc quidem partem corporis mulier abstinuit. — Ce passage de notre auteur est remarquable par l’extrĂȘme retenue avec laquelle il exprime une idĂ©e assez gaillarde ; PĂ©trone parle dans la suite avec une Ă©gale pudeur de l’organe de la virilitĂ©, lorsqu’il dit Quum a parte corporis quam ne ad cogitationem quidem admittere severioris notae homines solent, etc. Cet endroit et plusieurs autres prouvent que PĂ©trone, en nous offrant le tableau fidĂšle de la corruption des mƓurs de son siĂšcle, a cependant montrĂ© plus de retenue dans ses expressions que Martial, Catulle et plusieurs autres que je pourrais citer, et chez lesquels Nomen adest rebus, nominibusque pudor. CHAPITRE CXIII. 1 Et erubescente non mediocriter Tryphaena. — On se doute, d’aprĂšs les mƓurs dissolues que PĂ©trone attribue Ă  TryphĂšne, que ce n’était pas par pudeur qu’elle rougissait Ă  la fin du rĂ©cit d’Eumolpe, mais plutĂŽt au souvenir de quelque aventure semblable Ă  celle de la matrone d’ÉphĂšse, et oĂč elle avait jouĂ© peut-ĂȘtre un rĂŽle encore plus coupable. 2 Expilatumque libidinosa migratione navigium. — C’est la premiĂšre fois qu’il est fait mention du pillage de ce vaisseau dans les manuscrits authentiques. Lycas va y revenir dans le chapitre suivant Vestem illam divinam, sistrumque redde navigio. C’est sur ces deux passages que Nodot s’est fondĂ©, comme nous l’avons dĂ©jĂ  dit, pour bĂątir cette histoire du pillage qu’Encolpe et Giton font dans le vaisseau d’Isis au chapitre XI du Satyricon. C’était fort bien Ă  Nodot de complĂ©ter le Satyricon pour le rendre plus intelligible ; mais il fallait se borner lĂ , et ne pas chercher Ă  donner le change aux lecteurs, en offrant ces supplĂ©ments comme l’Ɠuvre mĂȘme de PĂ©trone. Freinshemius et Brottier, savants illustres, qui Ă©crivaient pour le moins en aussi bon latin que Nodot, n’ont jamais cherchĂ© Ă  attribuer Ă  Quinte-Curce et Ă  Tite-Live les supplĂ©ments qu’ils ont faits Ă  leurs ouvrages. CHAPITRE CXIV. 1 Inhorruit mare, nubesque undique adductƓ obruere tenebris diem. — Cette description d’une tempĂȘte est tracĂ©e de main de maĂźtre, et annonce le poĂ«te qui va bientĂŽt nous offrir un tableau si vrai, si Ă©nergique, des maux de la guerre civile. 2 Italici littoris Aquilo possessor.— Ces mots rappellent le Notus AdriƓ arbiter d’Horace, et ce passage de Lucain, livre II, vers 454 . . . . . . Ut quum mare possidet Auster Flatibus horrisonis. On trouve aussi dans Properce, livre I, Ă©lĂ©gie 18 Et vacuum Zephyri possidet aura nemus. 3 In mare ventus excussit, repetitumque infesto gurgite procella circum-egit, atque hausic. — N’est-ce pas lĂ  de la vĂ©ritable poĂ©sie ? Cette image de la mer, qui ne semble un instant lĂącher sa proie que pour la ressaisir et la plonger de nouveau dans l’abĂźme, est digne de Virgile, et rappelle ces beaux vers de l’EnĂ©ide, livre I, vers 114 . . . . . . Ingens a vertice pontus In puppim ferit excutitur, pronusque magister Volvitur in caput ; ast illam ter fluctus ibidem Torquet agens circum, et rapidus vorat aequore vortex. 4 PrƓteriens aliquis tralatitia humanitate lapidabit. — La religion paĂŻenne, par la loi appelĂ©e Jus pontificum, ordonnait, sous peine d’impiĂ©tĂ©, crime capital, Ă  tous ceux qui trouvaient des corps sans sĂ©pulture, de les inhumer, parce que les anciens croyaient que Caron ne passait pas dans sa barque les Ăąmes de ceux qui n’avaient pas reçu les honneurs funĂšbres ; mais que ces Ăąmes restaient sur le rivage du Styx, exposĂ©es Ă  toutes les insultes des Furies qui venaient les tourmenter, On couvrait les corps morts de mottes de terre ; mais si l’on ne pouvait s’en procurer, comme ici, par exemple, sur le bord de la mer, et si l’on n’avait pas ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour les brĂ»ler, on les cachait sous un amas de cailloux c’est ce que PĂ©trone appelle lapidare. CHAPITRE CXV. 1 Mirati ergo, quod illi vocaret in vicinia mortis, poema facere. — Cette prĂ©occupation poĂ©tique, d’un homme oubliant tous les dangers qui l’entourent, et composant des vers, mĂȘme au milieu d’une tempĂȘte, a Ă©tĂ© admirablement dĂ©crite par Ovide dans ses Tristes, livre 1, Ă©lĂ©gie 10 Quod facerem versus inter fera murmura ponti, Cyclades Ægeas obstupuisse puto. Ipse ego nunc miror, tantis animique marisque Fluctibus ingeuiumsiion cecidisse meum. Seu stupor huic sludio, sive huio insania, nomen ; Omnis ab hac cura mens relevata mea est. Same ego nimbosis dubius jactabar ab HĂŠdis SĂŠpe minax Steropes sidere pontus erat. Fuscabatque diem custos Erymanthidos Ursae ; Aut Hyadas seevis hauserat Auster aquis SĂŠpe maris pars intus erat ; tamen ipse trementi Carmina ducebam qualiacumque manu. 2 Et Lycam quidem rogus... adolebat. — Il ne faut pas confondre, dans les auteurs latins, ces trois mots, dont le sens est bien diffĂ©rent Pyra, rogus, bustum. — Pyra signifie l’amas de bois qui forme le bĂ»cher ; rogus, le bĂ»cher ardent, et bustum, le bĂ»cher dĂ©jĂ  Ă  demi consumĂ© par le feu. Virgile offre ces diffĂ©rentes nuances dans l’ÉnĂ©ide, livre XI, vers 184 et suivants Jam pater jEneas, jam curvo in littore Tarchon Constituere pyras huc corpora quisque suorum More tulere patrum subjectisque ignibus atris Conditur in tenebras altum caligine cnfilum. Ter circum accensos, cincti fulgentibus armis, Decurrere rogos. . . . . . . . . . . Tum littore toto Ardentes spectant socios, semiustaque servantBusta. . . . . CHAPITRE CXVI. 1 Aut captantur, aut captant. — Captare, tĂącher de tromper quelqu’un ; captari, ĂȘtre dupĂ© par quelqu’un, ĂȘtre l’objet de ses flatteries intĂ©ressĂ©es ; captator, un coureur de successions. Martial liv. VI, Ă©pigr. 63 adresse ces vers Ă  un certain Marianus, dont l’hĂ©ritage excitait la convoitise d’un de ces intrigants Scis te captari scis hunc, qui captat, avarum ; Et scis qui captat, quid, Mariane, velit. Pline l’Ancien liv. XIV, ch. 1 s’élĂšve en ces termes contre cet infĂąme usage, de courtiser les vieillards pour obtenir un legs dans leur testament Postquam cƓpere orbitas in auctoritate summa et potentiel esse, captatio in quƓstu fertilissimo, ac sola gaudia in possidendo omnesque a maximo modo liberales dictƓ artes, in contrarium cecidere, ac servitute sola profici cƓptum. Et Ammien Marcellin liv. XVIII, ch. 4 Subsident aliqui copiosos homines, senes aut juvenes, orbos vel cƓlibes, aut etiam uxores et liberos, ad voluntates condendas allicientes eos prƓstigiis miris. 2 Nemo liberos tollit personne ne lĂšve ses enfants, » parce que la coutume, chez les Romains, Ă©tait de poser Ă  terre les enfants dĂšs qu’ils Ă©taient nĂ©s si le pĂšre voulait prendre soin de leur Ă©ducation, il les levait et les embrassait ; au contraire, s’il n’était pas dans ce dessein, il les faisait exposer, et les laissait Ă  qui les voulait prendre. 3 Videbitis... oppidum, tanquam in pestilentia campos. — PĂ©trone, en traçant cette affreuse caricature, songeait bien moins Ă  Crotone qu’à la capitale de l’empire. Les descriptions que d’autres auteurs en ont faites sont d’une force de coloris Ă©galement remarquable, et laissent de Rome une idĂ©e vraiment effrayante. Nous nous contenterons d’offrir Ă  nos lecteurs le tableau suivant, tirĂ© d’Ammien Marcellin, livre XIV, chapitre 6 Si vous ĂȘtes, Ă  votre arrivĂ©e Ă  Rome, dit-il, conduit, comme un honnĂȘte Ă©tranger, chez un homme opulent, c’est-Ă -dire trĂšs-orgueilleux, vous serez d’abord reçu avec toutes sortes de politesses ; et, aprĂšs avoir essuyĂ© des questions auxquelles il faut le plus souvent rĂ©pondre par des contes extravagants, vous vous Ă©tonnerez qu’un homme si considĂ©rable traite un simple particulier avec tant d’attention ; vous irez mĂȘme jusqu’à vous accuser de n’ĂȘtre pas venu dix ans plus tĂŽt dans un si beau pays. Mais lorsque encouragĂ© par ce premier accueil, vous retournerez le lendemain pour faire votre cour, vous resterez lĂ  comme un homme inconnu et qui tombe des nues, tandis qu’on se demandera tout bas d’oĂč vous ĂȘtes et d’oĂč vous venez. A la fin, cependant, vous parviendrez Ă  ĂȘtre reconnu et admis Ă  la familiaritĂ© ; mais si, aprĂšs trois ans d’assiduitĂ©, vous vous avisiez de vous Ă©loigner le mĂȘme espace de temps, on ne vous demandera pas Ă  votre retour le motif de votre absence, car on ne s’en sera pas mĂȘme aperçu. Bien plus, lorsque le temps viendra de donner ces repas si longs et si perfides pour la santĂ©, on dĂ©libĂ©rera longtemps si, outre les convives d’obligation, on invitera encore quelque Ă©tranger ; et si, aprĂšs un mĂ»r examen, on veut bien s’y rĂ©soudre, celui-lĂ  seul sera admis qui, docte en fait de spectacles, monte une garde assidue chez les cochers du Cirque, ou qui est expert dans toutes les subtilitĂ©s du jeu. Pour les hommes savants et vertueux, on les Ă©vite comme des ennuyeux et des trouble-fĂȘtes. Que dirai-je de ces ridicules cavalcades de nos riches fastueux, qui se divertissent Ă  courir la poste dans les rues, au risque de se rompre le cou sur le pavĂ©, traĂźnant Ă  leur suite une si grande quantitĂ© de domestiques, que, suivant l’expression du poĂ«te comique, ils ne laissent pas mĂȘme le bouffon pour garder la maison ? Et ce divertissement ridicule, les matrones elles-mĂȘmes n’ont pas craint de l’imiter en courant aussi la ville dans des litiĂšres dĂ©couvertes. Le char triomphal marche, au centre d’une armĂ©e d’esclaves ; et l’arriĂšre-garde est formĂ©e par les eunuques, dont le nombre et la difformitĂ© nous font dĂ©tester la mĂ©moire de SĂ©miramis, cette reine cruelle, qui, la premiĂšre, violant les lois de la nature, fit regretter Ă  cette mĂšre tendre, mais imprudente, d’avoir montrĂ© trop tĂŽt, dans les gĂ©nĂ©rations Ă  peine commencĂ©es, l’espoir des gĂ©nĂ©rations futures. Avec de pareilles mƓurs, on croira facilement que les maisons oĂč les sciences furent jadis cultivĂ©es ne sont plus maintenant que le rĂ©ceptacle de plaisirs vains et frivoles ; de sorte qu’à la place des orateurs et des philosophes, on n’entend plus, du matin au soir, que le son des flĂ»tes et le chant des musiciens. Pour les bibliothĂšques, elles sont plus closes et plus abandonnĂ©es que les sĂ©pulcres ; les orchestres, les instruments hydrauliques en ont pris la place. Enfin on en est venu Ă  ce comble d’indignitĂ©, que, lorsque la disette a obligĂ© de chasser de la ville les Ă©trangers, cette loi a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e Ă  la rigueur pour tous ces hommes utiles qui enseignent les arts libĂ©raux, tandis qu’on a conservĂ© les mimes et les histrions, et que ĂŽ honte ! trois mille danseuses ont Ă©tĂ© retenues dans la capitale, ainsi que leur cortĂ©ge de musiciens et de choristes. Autrefois Rome Ă©tait un asile assurĂ© pour quiconque y portait les arts et l’industrie ; maintenant je ne sais quelle sotte vanitĂ© fait regarder comme vil et abject tout ce qui est nĂ© au delĂ  du PomĂ©rium. J’en excepte cependant les cĂ©libataires et tous ceux qui n’ont pas d’hĂ©ritiers ceux-lĂ  sont comblĂ©s d’attentions et de prĂ©venances. Telles sont les mƓurs des nobles ; pour le menu peuple, il passe souvent la nuit dans les cabarets, ou mĂȘme dans les théùtres, Ă  l’abri de ces toiles dont nous devons l’invention Ă  Catulus, qui, le premier, introduisit Ă  Rome cette recherche de commoditĂ©s plus dignes de Capoue que de la ville de Romulus ; d’autres s’exposent des journĂ©es entiĂšres au soleil ou Ă  la pluie, pour juger les cochers et disserter sur les Ă©vĂ©nements du Cirque, etc. » CHAPITRE CXVIII. 1 Belli civilis ingens opus quisquis attigerit, etc. — Notre auteur fait ici une censure indirecte de la Pharsale de Lucain ; mais Voltaire, dont l’autoritĂ© en matiĂšre de goĂ»t vaut au moins celle de PĂ©trone, en porte un jugement tout diffĂ©rent et tout Ă  l’avantage de Lucain. La proximitĂ© des temps, dit-il, la notoriĂ©tĂ© publique de la guerre civile, le siĂšcle Ă©clairĂ©, politique et peu superstitieux oĂč vivait Lucain, ainsi que les hĂ©ros de son poĂ«me, la soliditĂ© de son sujet, ĂŽtaient Ă  son gĂ©nie toute libertĂ© d’invention fabuleuse. La grandeur vĂ©ritable des hĂ©ros rĂ©els, qu’il fallait peindre d’aprĂšs nature, Ă©tait une nouvelle difficultĂ©. Les Romains du temps de CĂ©sar Ă©taient des personnages bien autrement importants que SarpĂ©don, DiomĂšde, MĂ©zence et Turnus. La guerre de Troie Ă©tait un jeu d’enfants en comparaison des guerres civiles de Rome, oĂč les plus grands capitaines et les plus puissants hommes qui aient jamais Ă©tĂ© se disputaient l’empire de la moitiĂ© du monde. Virgile et HomĂšre avaient fort bien fait d’amener les divinitĂ©s sur la scĂšne. Lucain a fait tout aussi bien de s’en passer. Jupiter, Mars, VĂ©nus Ă©taient des embellissements nĂ©cessaires aux actions d’ÉnĂ©e et d’Agamemnon on savait peu de chose de ces hĂ©ros fabuleux ; ils Ă©taient comme ces vainqueurs des jeux Olympiques que Pindare chantait, et dont il n’avait presque rien Ă  dire. Il fallait qu’il se jetĂąt sur les louanges de Castor, de Pollux et d’Hercule. Les faibles commencements de l’empire romain avaient besoin d’ĂȘtre relevĂ©s par l’intervention des dieux ; mais CĂ©sar, PompĂ©e, Calon, LabiĂ©nus vivaient dans un autre siĂšcle qu’ÉnĂ©e les guerres civiles de Rome Ă©taient trop sĂ©rieuses pour ces jeux d’imagination. Quel rĂŽle CĂ©sar jouerait-il dans la plaine de Pharsale, si Iris venait lui apporter une armure, ou si VĂ©nus descendait Ă  son secours dans un nuage d’or ? Ceux qui prennent les commencements d’un art pour les principes de l’art mĂȘme sont persuadĂ©s qu’un poĂ«me ne saurait subsister sans divinitĂ©s, parce que l’Iliade en est pleine ; mais ces divinitĂ©s sont si peu essentielles au poĂšme, que le plus bel endroit qui soit dans Lucain, et peut-ĂȘtre dans aucun poĂ«te, est le discours de Caton, dans lequel ce stoĂŻque ennemi des fables dĂ©daigne d’aller voir le temple de Jupiter Ammon Laissons, laissons, dit-il, un secours si honteux À ces Ăąmes qu’agite un avenir douteux. Pour ĂȘtre convaincu que la vie est Ă  plaindre, Que c’est un long combat dont l’issue est Ă  craindre, Qu’une mort glorieuse est prĂ©fĂ©rable aux fers, Je ne consulte point les dieux ni les enfers. Alors que du nĂ©ant nous passons jusqu’à l’ĂȘtre, Le ciel met dans nos cƓurs tout ce qu’il faut connaĂźtre Nous trouvons Dieu partout ; partout il parle Ă  nous. Nous savons ce qui fait ou dĂ©truit son courroux ; Et chacun porte en soi ce conseil salutaire, Si le charme des sens ne le force Ă  se taire. Pensez-vous qu’à ce temple un dieu soit limitĂ© ? Qu’il ait dans ces dĂ©serts cachĂ© la vĂ©ritĂ© ? Faut-il d’autre sĂ©jour Ă  ce monarque auguste Que les cieux, que la terre, et que le cƓur du juste ? C’est lui qui nous soutient ; c’est lui qui nous conduit ; C’est sa main qui nous guide, et son feu qui nous luit ; Tout ce que nous voyons est cet ĂȘtre suprĂȘme, etc. Trad. de BrĂ©beuf. Ce n’est donc point pour n’avoir pas fait usage du ministĂšre des dieux, mais pour avoir ignorĂ© l’art de bien conduire les affaires des hommes, et de faire agir CĂ©sar, PompĂ©e, Caton d’une maniĂšre conforme aux traits nobles et sublimes dont il s’est servi pour les peindre, que la Pharsale est si infĂ©rieure Ă  l’ÉnĂ©ide et Ă  l’Iliade. » CHAPITRE CXIX. 1 Orbem jam totum victor Romanus habebat. — Cette façon de parler, qu’on pourrait regarder comme une hyperbole ridicule, Ă©tait familiĂšre dans la bouche des Romains. Les commentateurs et d’autres savants en rapportent un grand nombre d’exemples, tirĂ©s non-seulement des poĂ«tes, mais aussi des orateurs et des historiens. CicĂ©ron, parlant de PompĂ©e, dit Ses trois triomphes attestent que le globe de la terre est soumis Ă  notre empire. PompĂ©e lui-mĂȘme donna ce titre fastueux Ă  l’un de ses triomphes De Orbe terrarum. Rien n’est plus frĂ©quent, sur les anciens monuments, que cette maniĂšre de parler. De lĂ  ces Ă©pithĂštes de rector, restitutor, locupletator orbis terrarum, qui sont si souvent donnĂ©es aux empereurs sur leurs mĂ©dailles ; de lĂ  ce globe qui reprĂ©sente la terre et qui dĂ©core presque toujours les monuments qu’on leur a consacrĂ©s. L’empereur Antonin le Pieux, tout modeste qu’il Ă©tait, n’a pas rougi de s’appeler lui-mĂȘme le MaĂźtre de l’univers. Justinien, longtemps aprĂšs la destruction de l’empire d’Occident, n’a pas hĂ©sitĂ© de nommer Rome la capitale du monde. Il paraĂźt que le plus ancien auteur qui se soit servi de cette expression est Polybe, qui nĂ©anmoins y met un correctif, en disant que les Romains Ă©taient maĂźtres de toutes les parties du monde alors connues. Depuis, les Romains s’accoutumĂšrent facilement Ă  s’entendre traiter de maĂźtres du monde. Mais cette façon de parler, rĂ©duite Ă  sa juste valeur, signifiait seulement l’empire romain, orbis romanus. 2 Gravidis freta pressa carinis Jam peragebantur. — Le prĂ©sident Bouhier, dont nous emprunterons plus d’une fois les savantes et judicieuses remarques sur le poĂ«me de la Guerre civile, nous semble s’ĂȘtre grossiĂšrement trompĂ© dans l’interprĂ©tation qu’il donne de ce passage. Il lit Carenis au lieu de carinis, et en fait un peuple au lieu d’une flotte sa note est trop curieuse pour ne pas la rapporter en entier ; elle prouvera combien la manie des interprĂ©tations peut Ă©garer un homme Ă©rudit. Voila, sans doute, dit-il, quelque chose de bien surprenant, qu’au temps de CĂ©sar la mer fĂ»t dĂ©jĂ  couverte de vaisseaux richement chargĂ©s. Je ne puis croire que PĂ©trone ait dit une telle sottise ; elle ne serait pas moins choquante, quand il aurait Ă©critgraiisau lui de gravidis, comme le voulait Philippe Rubens Elector., II, 10. Je suis donc persuadĂ© que le poĂ«te a eu en vue quelque expĂ©dition maritime que les Romains avaient faite peu avant la guerre civile dans des pays jusqu’alors inconnus. Cela m’a fait rejeter une idĂ©e, qui m’était d’abord venue, que par Carinis le poĂ«te avait entendu des peuples d’Allemagne, qui portaient ce nom, et que Cluvier a placĂ©s vers la Baltique ; car ils n’ont Ă©tĂ© connus que longtemps aprĂšs. Je crois plutĂŽt que PĂ©trone a voulu dĂ©signer ici la descente que CĂ©sar fit dans la Grande-Bretagne, et dont Florus a parlĂ©, Ă  peu prĂšs dans le goĂ»t de notre poĂ«te, en cette sorte Omnibus terra marique captis ; respexit CĂŠsar Oceanum et quasi huic romanus orbis non sufficeret, alterum cogitavit. Lucain en a fait mention Ă  peu prĂšs de la mĂȘme maniĂšre, livre I, vers 369 Haec manus, ut victum post terga relinqueret orbem, Oceani tumidas remis compescuit undas. Ainsi je soupçonne que PĂ©trone avait Ă©crit Gravidis freta pressa Carenis. C’était le nom d’un peuple qui habitait Ă  l’extrĂ©mitĂ© de l’Écosse, d’aprĂšs PtolĂ©mĂ©e, dans quelques manuscrits duquel on trouve Karinoi au lieu de KarĂšnoi, suivant Ortelius, et les diverses leçons que Saumaise avait tirĂ©es de la bibliothĂšque Palatine, et que j’ai entre les mains ; auquel cas, il n’y aurait rien Ă  changer dans ce vers. Ce sont apparemment les mĂȘmes peuples dont Pausanias a vantĂ© la taille, et qu’il appelle Kareis. Sur quoi je suis fort de l’avis de Kuhnius, qui en jugeait ainsi. Camden Britannis, p. 616, Ă©dit. de 1617 a cru que leur vrai nom Ă©tait Catini, nom dĂ©rivĂ© de la ville de Cathnes, qui est situĂ©e au mĂȘme endroit. Quand il faudrait substituer ce nom dans notre poĂ«me, le changement serait lĂ©ger ; mais je ne crois pas qu’il y ait grand fond Ă  faire sur cette conjecture, et j’aime mieux m’en tenir aux manuscrits de PlolĂ©mĂ©e. On ne niera pas, je pense, que mon explication ne donne plus d’agrĂ©ment Ă  ce passage. La dĂ©couverte de la Grande-Bretagne Ă©tait toute nouvelle dans le temps des brouilleries de CĂ©sar et de PompĂ©e. De la maniĂšre dont le premier a dĂ©crit cette grande Ăźle, il paraĂźt que l’on en avait dĂ©jĂ  fait le tour de son temps ; c’est ce que notre poĂ«te a donnĂ© Ă  entendre en parlant des plus reculĂ©s de ces insulaires. L’épithĂšte de gravidisleur convenait Ă  merveille ; elle signifie tout ce qui est gros et pesant, comme dans CicĂ©ron dela Divination, liv. I, ch. 11 Aut quum se gravido tremefecit corpore tellus ; dans Virgile ÉnĂ©ide, liv. VII, Stipites hic gravidi nodis ; et dans Fulgence Mytholog., liv. I Erat gravido, ut apparebat, corpore. Or, telle Ă©tait la taille des anciens Bretons, selon le tĂ©moignage, non-seulement de Pausanias, mais encore de Strabon, livre IV, qui dit qu’ils Ă©taient Kaunoteroi tois sĂŽmasi. Il ne reste donc plus de difficultĂ© dans ce passage. » Ne voilĂ -t-il pas, je le demande, bien de l’érudition dĂ©pensĂ©e en pure perte ? Quel besoin y avait-il, pour l’intelligence de ce passage, de recourir Ă  Pausanias, Ă  Strabon, et Ă  tant d’autres Ă©crivains tant anciens que modernes, lorsque le sens est si clair par lui-mĂȘme ? gravidis est ici pour onustis. Quelle invraisemblance peut-on trouver a ce que, mĂȘme du temps de CĂ©sar, il y eĂ»t sur la mer des vaisseaux pesamment chargĂ©s, puisque l’auteur dit lui-mĂȘme qu’on allait chercher tous les raffinements du luxe de l’un Ă  l’autre pĂŽle, eu Assyrie, dans l’Inde, chez les Numides, chez les Arabes, et jusque chez les Serres, peuple de la Chine ? Du moment qu’il y avait des vaisseaux, pourquoi donc n’auraient-ils pas Ă©tĂ© pesamment chargĂ©s ?... Quant Ă  ces mots freta pressa, ils ne veulent pas dire, comme le suppose Bouhier, que toutes les mers fussent couvertes de vaisseaux, car on sait que les anciens ne s’éloignaient guĂšre des cĂŽtes, mais simplement qu’elles Ă©taient foulĂ©es par les vaisseaux, comme on lit plus haut dans leSatyricon,chapitre lxxix classes premunt mare ;et dans Horace premere littus,cĂŽtoyer le rivage. 3 Non usu plebeio trita voluptas. — Quelques commentateurs lisent risu plebeio tracta voluptas, ce qui n’offre aucun sens raisonnable, tandis que usu plebeio trita voluptas, rappelle ce passage de SĂ©nĂšque lettre CXXI Res sordida est, trita ac vulgari via vivere. 4 Hinc Numidae adtulerant, illinc nova vellera Serres ; Atque Arabum populus sua despoliaverat arva. — Mon beau-pĂšre, M. de Guerle, a pensĂ© que par ces mots populus Arabum sua despoliaverat arva, il fallait entendre les parfums si vantĂ©s de l’Arabie ; Bouhier, au contraire, dans ses corrections sur le texte de PĂ©trone, prĂ©tend qu’il ne s’agit ici d’aucune espĂšce de parfums, mais des diverses sortes de soies qu’on lirait de l’Afrique, chez les Numides et les Arabes, et de l’Inde, chez les Serres. Cela peut ĂȘtre ; mais comme l’examen de cette opinion nous entraĂźnerait dans une trop longue discussion, nous nous contenterons d’extraire de ses notes des dĂ©tails assez curieux sur les diffĂ©rentes espĂšces de soies dont, selon Bouhier, il est question dans cet endroit La soie de la Chine, dit-il, est assez connue ; mais comme on connaĂźt moins aujourd’hui celle de l’Afrique, il est bon de rappeler ce que les anciens en ont Ă©crit. Pline nous apprend qu’elle se tirait d’une espĂšce de cocons qui se formaient sur des arbres du mont Atlas. L’Arabie n’était pas moins fertile que l’Afrique en arbrisseaux qui portaient cette espĂšce de duvet dont on tirait la soie. Pline en parle en plus d’un endroit ; et, avant lui, HĂ©rodote avait dit qu’elle Ă©tait d’un grand usage chez les Indiens. Ces soies sont aujourd’hui distinguĂ©es des autres par le nom de soies d’Orient, parmi nos commerçants, qui les disent produites par une plante, dans une gousse Ă  peu prĂšs semblable Ă  celle des cotonniers. » Virgile a fait mention des soies de l’Afrique ci de la Chine dans les vers suivants GĂ©org., liv. II, v. 120 Quid nemora Æthiopum molli canentia lana ? Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres ? que Delile a rendus ainsi LĂ , d’un tendre duvet les arbres sont blanchis ; Ici, d’un fil dorĂ© les bois sont enrichis. L’illustre traducteur des GĂ©orgiques me semble avoir sacrifiĂ©, dans ces vers, la fidĂ©litĂ© Ă  la prĂ©cision. Si je ne me trompe, il fallait nommer les Éthiopiens et les Serres, ou du moins les contrĂ©es qu’ils habitaient. 5 Ut bibat humanum, populo plaudente cruorem. — Quelles mƓurs, quelles effroyables mƓurs que celles des Romains ! s’écrie Diderot je ne parle pas de la dĂ©bauche, mais de ce caractĂšre fĂ©roce qu’ils tenaient apparemment de l’habitude des combats du Cirque. Je frĂ©mis lorsque j’entends un de ces nouveaux Sybarites, blasĂ© sur les plaisirs, las des voluptĂ©s de la Campanie, du silence et de la fraĂźcheur des forĂȘts du Brutium, ou des superbes Ă©difices de Tarente, se dire Ă  lui-mĂȘme Je m’ennuie, retournons Ă  la ville ; je me sens le besoin de voir couler du sang... Et ce mot est celui d’un effĂ©minĂ© ! » 6 Heu ! pudet effari, perituraque prodere fata ! — Ce fut dans une ville appelĂ©e Spada que l’on fit les premiers eunuques, si l’on en croit Étienne de Byzance. Dans ce cas, un Ă©tymologiste trouverait sans effort dans spada l’origine du mot latin spado, chapon, eunuque. Mais cette anecdote a bien l’air d’un conte. Quoi qu’il en soit, on ne sait auquel des deux sexes attribuer cette cruelle invention. Plusieurs anciens l’ont imputĂ©e Ă  SĂ©miramis. Mais le reproche n’en doit-il pas plutĂŽt tomber sur les hommes ? Ce sont eux, en effet, qui trouvent le plus d’avantages dans cet horrible attentat contre l’ordre de la nature. Il est Ă©vident que c’est le sentiment de PĂ©trone, et c’est aussi l’opinion de Quintilien. La maniĂšre la moins dangereuse de faire cette opĂ©ration Ă©tait de se servir d’un couteau de terre cuite qu’on fabriquait Ă  Samos, et qu’on appelait, pour cette raison, testa samia, ou samia seulement. La paraphrase par laquelle Nodot rend ces huit vers de PĂ©trone sur les eunuques est vraiment curieuse Ah ! je n’ose poursuivre, et rappeler des choses Qui de tous nos malheurs furent les tristes causes. Ils ĂŽtĂšrent, suivant l’usage des Persans, Aux enfants le pouvoir d’avoir d’autres enfants. L’affreux raffinement d’une infĂąme mollesse DĂ©fend contre les ans leur honteuse jeunesse, Et prolonge le cours de leurs faibles appas. La nature se cherche et ne se trouve pas. On voit naĂźtre pour eux une flamme exĂ©crable Qui ne s’allume point pour un sexe semblable. Ces jeunes corrompus laissent au grĂ© des vents, D’un air effĂ©minĂ©, leurs cheveux ondoyants. Leurs habits sont lascifs, leur dĂ©marche est lascive, Et les mines qu’ils font demandent qu’on les suive. M. de Guerle a empruntĂ© Ă  Nodot ce vers La nature s’y cherche et ne s’y trouve pas. C’est la traduction littĂ©rale du latin quĂŠrit se natura, nec invenit. Aussi le prĂ©sident Bouhier, BoisprĂ©aux et Durand l’ont-ils traduit de la mĂȘme maniĂšre. Il n’appartenait qu’à Marolles de ne pas trouver ce qui Ă©tait sous sa main ; et voici comme le bon abbĂ© de Villeloin a rendu ce passage A la mode persique, on taille la jeunesse On l’énerve Ă  dessein d’augmenter sa mollesse. On veut que sa beautĂ© n’échappe pas si nature se cherche et se tient en dĂ©pĂŽt. Ces huit vers n’ont pas besoin de glose. Les Romains, selon PĂ©trone, avaient reçu des Perses l’usage infĂąme et barbare dont il s’agit ici. Les commentateurs ont dit de fort belles choses sur cette espĂšce d’eunuques, tour Ă  tour hommes et femmes, sans ĂȘtre ni l’un ni l’autre. Voyez surtout Paul Éginette et Frid. Lindinbrog. 7 Ac maculis imitatur vilibus aurum. Bouhier pense qu’il faut lire Heu ! maculis mutatur. Saumaise lisait Ac maculis imitatur vilius aurum. Quoi qu’en dise Bouhier, cette derniĂšre leçon n’est pas si mĂ©prisable. Au reste, Hardouin, d’aprĂšs un passage de Pline, Ă©value Ă  cent vingt mille francs de notre monnaie le prix romain des belles tables de citronnier. Martial dit expressĂ©ment qu’elles Ă©taient plus prĂ©cieuses que l’or. On trouve aussi dans Pline et dans Tertullien des choses presque incroyables sur le prix excessif que les Romains y mettaient. Le citrum ou citronnier, dont il est question, n’est pas celui que nous connaissons, mais un arbre beaucoup plus rare, et qui est perdu pour nous. CicĂ©ron reproche Ă  VerrĂšs d’avoir enlevĂ© en Sicile une table superbe, faite de ce bois inestimable. Dans la vente des meubles de Gallus Asinius, il s’en trouva deux de cette espĂšce, qui furent vendues si cher, que le prix eĂ»t suffi, dit Pline, pour acheter deux riches mĂ©tairies. Ce luxe prodigieux dans les tables excita la bile de JuvĂ©nal. Les tables de nos sobres aĂŻeux, dit-il sat. XI, V. 118, n’étaient faites qu’avec les arbres du pays si par hasard l’aquilon renversait un vieux noyer, il servait Ă  cet usage ; mais, aujourd’hui, les riches mangent sans plaisir, et le turbot et le daim leur semblent insipides ; les roses et les parfums blessent leur odorat, Ă  moins que leurs tables ne soient soutenues par un grand lĂ©opard Ă  gueule bĂ©ante, fabriquĂ© avec l’ivoire des plus belles dents que nous envoient SyĂšne, la Mauritanie, l’Inde et les forĂȘts de l’Arabie, oĂč les dĂ©pose l’élĂ©phant fatiguĂ© de leur poids. » — Le travail de ces tables l’emportait encore sur la matiĂšre ; elles Ă©taient ornĂ©es de marqueterie, de nacre de perles et d’ébĂšne. Mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’ivoire Ă©tait alors plus estimĂ© que l’argent ; car, au dire du mĂȘme poĂ«te, les riches ne dĂ©daignaient pas moins de faire usage d’une table avec un pied d’argent, que de porter un anneau de fer au doigt. Ce qui mit probablement cet objet de luxe en faveur, c’est que les Romains furent longtemps sans connaĂźtre les nappes et les serviettes. Non-seulement ces tables de citronnier Ă©taient d’un prix exorbitant, mais il fallait, de plus, que, dans les salles Ă  manger, tout rĂ©pondĂźt Ă  cette magnificence, soit par la pourpre Ă©clatante dont les lits des conviĂ©s Ă©taient parĂ©s, soit par le multitude d’esclaves destinĂ©s a les servir. Cela suffit pour expliquer le vers qui suit celui qui fait l’objet de cette note Citrea mensa, greges servorum, ostrumque residens ! Ostrum renidensest ici la mĂȘme chose que, dans Horace liv. III, od. 1 purpurarum sidere clarior usus. 8 QuĂŠ turbant censum. Ce texte a Ă©tĂ© ainsi rĂ©formĂ© par les Ă©diteurs, car tous les manuscrits ont quĂŠ censum trahat, ou sensim, ou sensum. Bouhier prĂ©fĂ©rerait quĂŠ censum trahat, si cela pouvait se lier avec ce qui prĂ©cĂšde. Mais comme on ne peut l’admettre avec vraisemblance, il suivrait volontiers l’avis de Saumaise, qui lisait quĂŠ secum trahat. Ce changement, selon Bouhier, rend la pensĂ©e du poĂ«te Ă  la fois claire et juste. 9 Hostile ac male nobile lignum. — D’autres lisent sterile, au lieu de hostile ; mais il ne faut rien changer hostile signifiait Ă©tranger, non-seulement dans les premiers temps de la rĂ©publique, comme on le voit par quelques passages de Varron et de CicĂ©ron, mais encore postĂ©rieurement Ă  PĂ©trone ; tĂ©moin ce passage de Florus Hist.,liv. III, ch. 2 Hostile potius bellum, an civile dixerim, nescio. On pourrait aussi traduire hostile par venant d’un pays ennemi ; car il est certain, d’aprĂšs Dion Cassius, que, pendant la guerre civile de CĂ©sar et PompĂ©e, les diffĂ©rents rois de Mauritanie avaient pris des partis opposĂ©s savoir, Juba, celui de PompĂ©e, et Bocchus celui de CĂ©sar. Ainsi les uns et les autres Ă©taient regardĂ©s comme ennemis par le parti contraire. Horace a dit encore plus poĂ©tiquement Captivum portatur ebur. 10 Ingeniosa gula est. Martial de Gallina altili liv. XIII dit exactement dans les mĂȘmes termes . . . . . Ingeniosa gula est. Les anciens, qui avaient inventĂ© toutes sortes de raffinements pour la table, appelaient gulam eruditam un gourmand raffinĂ©. On trouve dans SĂ©nĂšque ingeniosa luxuria. L’épithĂšte ingeniosa s’applique trĂšs-bien Ă  toute invention nouvelle et inconnue jusqu’alors. SuĂ©tone, dans la Vie de Caligula, chapitre 37, dit Nepotinis sumplibus omnium prodigorum ingenia superavit ; et Ovide, Amours, livre III, Ă©lĂ©gie 8, vers 45 Contra te solers, hominum Natura, fuisti, Et nimium damnis ingeniosa tuis. 11 Siculo scarus ĂŠquore mersus ad mensum vivus perducitur. SĂ©nĂšque, dans ses Questions naturelles, livre III, dit exactement la mĂȘme chose Parum videtur recens mulus, nisi qui in convivĂŠ manu emoritur. — Le surmulet ne paraĂźt pas assez frais, s’il ne meurt dans la main des convives. » 12 Atque lucrinis Eruta littoribus condunt conchylia cƓnas. Au lieu de condunt, Cuperus et Bouhier lisent tendunt ; ce qui offre un assez bon sens, qu’ils justifient ainsi tendunt, disent-ils, indique que les huĂźtres servaient Ă  faire durer le repas, parce qu’elles rĂ©veillaient l’appĂ©tit des convives, comme PĂ©trone le dit dans le vers suivant Ut renovent per damna famem. . . . . Le mot tendere a Ă©videmment la signification que Bouhier lui attribue, comme on le voit dans ce vers d’Horace, livre I, Ă©pĂźtre 5 Æstivam sermone benigno tendere noctem. Du reste, JuvĂ©nal a fait aussi mention de cet usage des Romains, de manger des huĂźtres au milieu du repas, satire VI, vers 302 Grandiaque in mediis jam noctibus ostrea mordet. 13 Pellitur a populo victus Cato. Caton fut exclu de la prĂ©ture l’an de Rome 699, sous le consulat de PompĂ©e et de Crassus, qui, redoutant l’incorruptibilitĂ© de ce vertueux citoyen, forcĂšrent le peuple, par leurs intrigues et leurs violences, de lui prĂ©fĂ©rer Vatinius, leur crĂ©ature et le plus pervers des Romains dans ce siĂšcle de corruption. Mais, dans cette occasion, s’agit-il de la prĂ©ture ? Le mot fasces, faisceaux, employĂ© par PĂ©trone, semble dĂ©signer le consulat, quoique les autres magistrats supĂ©rieurs, tels que les prĂ©teurs, en fussent aussi dĂ©corĂ©s. Ce qu’il y a de certain, c’est que le consulat, au rapport de Plutarque, fut Ă©galement refusĂ© une fois Ă  Caton. Mais doit-on s’en Ă©tonner, dit l’auteur anglais de la vie de CicĂ©ron ? sa vertu farouche devait lui faire peu d’amis. Sa vie fut un combat continuel contre la corruption de son siĂšcle, et il finit par en ĂȘtre la victime. Sa mort est le plus bel hommage qu’on ait jamais rendu Ă  la libertĂ©. 14 QuĂŠ poterant artes sana ratione movere. Ce vers, que les commentateurs ont passĂ© sous silence, me paraĂźt nĂ©anmoins mĂ©riter quelque examen. Si l’on joint sana ratione au verbe movere, cela signifiera faire perdre la raison ; ce qui ne peut convenir ici. Si l’on joint ces mots Ă  artes, il semble que, dans le vers suivant, la guerre est mise au rang des moyens raisonnables de tirer les Romains de leur lĂ©thargie. C’est le vrai sens de ce passage, comme le prouve celui-ci de CicĂ©ron Lettres Ă  Atticus, liv. VIII, lett. 2 Respublica nunc afflicta est, nec excitari sine civili pernicioso bello potest. Telle est la pensĂ©e de CicĂ©ron, qui ne paraĂźt point dĂ©raisonnable, quand on considĂšre la dĂ©plorable confusion qui rĂ©gnait alors dans la rĂ©publique romaine. La construction de toute la phrase de PĂ©trone est celle-ci QuƓ artes, ni furor, et bellum, et libido excita ferro, poterant movere, sana ratione, Romam mersam hoc cƓno et jacentem somno ? CHAPITRE CXX. 1 Et, quasi non posset tot tellus ferre sepulcra, Divisit sineres. — L’hyperbole pourra paraĂźtre un peu forte elle ne l’est pourtant pas plus que celle-ci de JuvĂ©nal, lorsqu’en parlant d’Alexandre sat. x, v. 169 il dit Æstunt infelix angusto in limite mundi ; ce que Boileau a rendu ainsi, satire VIII . . . . . Qui de sang altĂ©rĂ©, MaĂźtre du monde entier, s’y trouvait trop serrĂ©. Du reste, l’idĂ©e de PĂ©trone se trouve reproduite presque mot pour mot dans ces vers de Martial sur PompĂ©e et ses fils, livre V, Ă©pigramme 74 Pompeios juvenes Asia atque Europa, sed ipsum Terra tegit Libyes ; si tamen ulla tegit. Quid mirum toto si spargitur orbe ? jacere Uno non poterat tanta ruina loco. 2 Bustorum flammis et cana sparsa favilla. On ne conçoit pas trop, dit Bouhier, comment la flamme des bĂ»chers pouvait paraĂźtre sur le visage de Pluton. Toute l’antiquitĂ© nous le reprĂ©sente avec un visage noir, mais non pas enflammĂ©. Dans Claudien, il est nigra majestate verendus ; et c’est sans doute pour cela que Silius Italicus l’a appelĂ© Jovem nigrum. Martianus Capella liv. I en fait cette peinture Pluto lucifuga inumbratione pallescens, in capite gestabat sertum ebenum ou plutĂŽt ebeninum, ac TartareƓ noctis obscuritate furvescens. Cela, ajoute Bouhier, me persuade que le texte original de PĂ©trone portait bustorum fumis. 3 Rerum humanorum, divinarumque potestas. Cette puissance sans bornes, que les anciens attribuaient Ă  la Fortune sur les dieux ainsi que sur les hommes, se trouve confirmĂ©e par une belle statue antique de cette dĂ©esse, dont Spanheim a donnĂ© le dessin et la description dans la Preuve de sa remarque 789 sur les CĂ©sars de Julien ; la Fortune y est reprĂ©sentĂ©e avec les attributs de la plupart des principaux dieux, et avec cette inscription FORTVN. OMNIVM. GENT. ET. DEOR. 4 Fors, cui nulla placet nimium secura potestas. Scaliger, dans ses Catalectes, a supprimĂ© ce vers, Ă  cause de la rĂ©pĂ©tition du mot potestas, qui se trouve dĂ©jĂ  Ă  la fin du vers prĂ©cĂ©dent ; mais les anciens n’étaient pas si scrupuleux que nous Ă  cet Ă©gard. Il y en a dĂ©jĂ  un exemple dans ce poĂ«me, aux vers 50 et 51, oĂč le mot prƓda est rĂ©pĂ©tĂ© deux fois. Dans les six premiers vers d’une ode d’Horace assez courte la 28e du liv. III, il y en a trois qui finissent par les mots dies ou meridies. Dans la satire 2 du livre I, le mĂȘme Horace emploie deux fois en trois vers le mot positus, et une fois le verbe appoint ; et Ovide, dans l’élĂ©gie 3 du livre II des Politiques, rĂ©pĂšte jusqu’à trois fois en quatre vers le verbe petere. Il ne serait pas difficile de citer une foule d’autres exemples de ces rĂ©pĂ©titions. Barthius a donc eu raison, lorsqu’il a soutenu que ce vers, qui se trouve dans presque tous les manuscrits, devait ĂȘtre conservĂ©. 5 Nec posse ulterius perituram extollere molem ? Il y a lieu de s’étonner qu’aucun commentateur ne se soit arrĂȘtĂ© Ă  ce passage, qui est cependant assez difficile. En effet, le but de Pluton n’est pas d’engager la Fortune Ă  Ă©lever plus haut la puissance des Romains il lui reproche au contraire de les avoir jusque-lĂ  trop favorisĂ©s ; il vient mĂȘme de lui demander ironiquement si elle ne se sent pas abattue sous le poids de leur grandeur. Bien loin qu’il ait l’intention de reculer la chute de Rome, il exhorte au contraire la Fortune, dans les termes les plus pressants, Ă  la hĂąter Quare age, Fors, etc. Il ne suffirait mĂȘme pas, pour rĂ©tablir ce passage, de substituer tollere Ă  extollere ; car l’adverbe ulterius suppose une continuation de la chose commencĂ©e, et donne, par consĂ©quent, Ă  Pluton une pensĂ©e opposĂ©e Ă  la sienne. Brotier propose de changer ulterius en alterius, en sous-entendant ponderis, mot qui se trouve dans le vers prĂ©cĂ©dent. Cela, selon lui, ferait un trĂšs-bon sens Ne sauriez-vous, dirait Pluton, lui opposer une autre puissance, que vous n’élĂšverez que pour la faire tomber Ă  son tour ? Cela dĂ©signerait Ă  merveille l’élĂ©vation prochaine de CĂ©sar et sa chute future. 6 Ædificant auro. — Bourdelot et Gonsalle de Salas pensent Ă  tort qu’il s’agit ici du palais d’or de NĂ©ron il ne peut ĂȘtre question dans ce poĂ«me que du luxe qui prĂ©cĂ©da la guerre civile ; et cette allusion Ă  NĂ©ron serait un anachronisme. Ce passage se rapporte donc uniquement aux dĂ©penses excessives que les Romains, au temps de CĂ©sar et de PompĂ©e, faisaient pour dorer les planchers et mĂȘme les murs de leurs appartements. Pline rapporte ainsi l’origine de ce luxe Histoire naturelle, liv. XXXII Laquearia, quĂŠ nunc et in privatis domibus auro teguntur, post Carthaginem eversam primo inaurata sunt in Capitolio. Inde transiere in cameras ; in parietes quoque, etc. C’est ainsi qu’il faut entendre ce passage de Lucain Pharsale, liv. 1 Non auro tectisque modus. 7 Dum varius lapis invenit usum. — Je ne serais pas Ă©loignĂ© d’adopter la leçon de parius au lieu de varius dans ce vers. En effet, cette expression, varius lapis, ne peut s’appliquer qu’au marbre, et l’on sait que celui de Paros Ă©tait le plus renommĂ©, comme on le voit, par exemple, dans ce vers d’Ovide HĂŠret ut e pario formatum marmore signum. Cependant varius offre aussi un trĂšs-bon sens, et varias lapis signifierait un marbre veinĂ©, ou ces marbres de diverses couleurs dont les anciens formaient leurs admirables mosaĂŻques. CHAPITRE CXXI. 1 Quippe armare viros, etc. — Au lieu d’armare, Bouhier, TornĂ©sius et plusieurs autres lisent cremare ; mais je prĂ©fĂšre la premiĂšre leçon, adoptĂ©e par Gronovius. Il va ĂȘtre question plus loin de bĂ»chers, ThessaliĂŠque rogos ; et cremare ferait ici une rĂ©pĂ©tition inutile. 2 Et sanguine pascere luctum. Burmann lit luxum je pense que luctum est la vraie leçon, car on n’a jamais dit que le luxe aimĂąt le sang. Claudien, qui en fait une espĂšce de divinitĂ©, dit seulement dans le livre 1 de l’Invective contre Rufin Et luxus populator opum. . . . . On sait d’ailleurs que le luxe est plus propre Ă  amollir les Ăąmes qu’à les porter Ă  la guerre. Il y a donc toute apparence que PĂ©trone avait Ă©crit Et sanguine pascere luctum. Les poĂ«tes ont fait du Deuil une divinitĂ©, et Virgile EnĂ©ide, liv. VI, v. 273 la place Ă  l’entrĂ©e des Enfers Vestibulum ante ipsum primisque in faucibus Orci Luctus. . . . . Dans le passage de Claudien ci-dessus citĂ©, le Deuil est reprĂ©sentĂ© dĂ©chirant son voile ..... Scisso mƓrens velamine Luctus. Stace ThĂ©baĂŻde, liv. III, v. 125 ne se contente pas de lui donner des vĂȘtements dĂ©chirĂ©s ; il dit, de plus, qu’ils Ă©taient tout sanglants ...... Sanguineo discissus amictu Luctus atrox. .... PĂ©trone a donc pu dire avec raison que le Deuil se repaissait de sang. 3 Cerno equidem gemino jam stratos marte Philippos. — Ce vers fait allusion aux deux batailles de Pharsale en Thessalie, et de Philippes en MacĂ©doine. Les Romains, sous les empereurs, dĂ©signaient souvent la rĂ©union de ces deux provinces sous le nom gĂ©nĂ©ral d’Emathie.— Voyez, Ă  ce sujet, l’excellente note de Delille sur ces quatre vers des GĂ©orgiques liv. 1, v. 488 Ergo inter sese paribus concurrere telis Romanas acies iterum videre Philippi Nec fuit indignum Superis, bis sanguine nostro Emathiam, et latos HƓmi pinguescere campos. M. Helliez, dans sa GĂ©ographie de Virgile, fait Ă  propos de ces vers la remarque suivante Virgile semble mettre la bataille de Pharsale dans la mĂȘme plaine que celle de Philippos, quoiqu’il y ait quatre-vingts lieues de distance entre ces deux villes. On sauverait cette erreur gĂ©ographique, si l’on rapportait l’adverbe iterum Ă  concurrere, et non Ă  videre. On sait que ces mĂ©tathĂšses sont familiĂšres aux poĂ«tes, et dĂšs lors il n’y aura rien que d’exact dans la pensĂ©e de Virgile, puisque la bataille de Philippes fut la seconde oĂč les armĂ©es romaines en vinrent aux mains pour dĂ©cider de l’empire du monde. » 4 Et Libyam cerno, et te, Nile, gementia castra. — Cette correction que je propose, au lieu de celle qui est gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e Et Libyen cerno et tua, Nile, gementia claustra, est la seule qui me paraisse prĂ©senter un sens raisonnable. Timentes du vers suivant se rapporterait alors Ă  Libyam, Ă  te, Nile, et Ă  actiacos sinus alors gementia castra ou claustra ne serait plus qu’une espĂšce d’apposition que l’on pourrait retrancher de ces deux vers sans en changer le sens. 5 Vix navita Porthmeus Sufficiet, etc.— Comme ces deux mots, navita et Porthmeus, signifient la mĂȘme chose, on ne peut guĂšre douter que l’un des deux n’ait Ă©tĂ© insĂ©rĂ© ici mal Ă  propos. Quelque commentateur aura probablement Ă©crit Ă  la marge d’un ancien manuscrit le mot navita pour expliquer le sens de porthmeus, et un copiste ignorant, comme l’étaient la plupart d’entre eux, aura insĂ©rĂ© dans le texte ce mot navita, Saumaise pensait, avec quelque apparence de raison, que navita avait pris la place d’une Ă©pithĂšte se rapportant au mot simulacra du vers suivant, et il avait proposĂ©, sur son exemplaire, de lire tabida, ou lurida, ou squalida. Au reste, ce n’est pas ici seulement qu’on appelle en latin Caron du nom de Porthmeus ; on en voit un autre exemple dans cette inscription sĂ©pulcrale, rapportĂ©e par Spon, dans ses Recherches d’antiquitĂ©s, oĂč un mari dit SAT FVERAT, PORTHMEV, CYMBA VEXISSE MARITAM. 6 Classe opus est. — Ces mots renferment une image noble, vive, grande, et qui n’a rien que de naturel, quand on rĂ©flĂ©chit au carnage affreux des batailles de Pharsale, de Philippes et d’Actium ils expriment avec plus de concision et d’énergie cette pensĂ©e de Lucain Pharsale, liv. III, v. 16 Praeparat innumeras puppes Acherontis adusti Portitor. . . . . . CHAPITRE CXXII. 1 Continuo clades hominum, venturaque damna.— PĂ©trone a encore voulu ici lutter avec Lucain ; il a imitĂ© le commencement du second livre de la Pharsale. Jamque irae patuere dem, etc. 2 Olimque ornata triumphis. — Le manuscrit Colbert porte honorata, qui ne convient point Ă  la mesure du vers. Burmann imprime onerata cela pourrait passer, si CĂ©sar avait reçu vĂ©ritablement les honneurs du triomphe. Mais SuĂ©tone, dans la Vie de ce grand homme, chapitres 18 et 37, et plusieurs autres historiens, nous apprennent que, bien que CĂ©sar eĂ»t mĂ©ritĂ© le triomphe, aprĂšs sa premiĂšre expĂ©dition d’Espagne, il ne l’obtint rĂ©ellement qu’à la fin des guerres civiles. Il faut donc lire ornata, avec Bouhier. 3 Invitas me ferre manus ; sed vulnere cogor. — Sans entreprendre de justifier CĂ©sar des motifs qui lui firent porter les armes contre sa patrie, on ne peut se refuser Ă  reconnaĂźtre qu’il avait de justes sujets de se plaindre du sĂ©nat, de l’aveu mĂȘme des rĂ©publicains modĂ©rĂ©s. Outre ce qu’en ont dit les historiens dĂ©sintĂ©ressĂ©s, on peut voir de quelle maniĂšre en parle CicĂ©ron lui-mĂȘme, quoique du parti opposĂ©, dans une lettre qu’il Ă©crivit Ă  CĂ©sar au commencement de la guerre civile Judicavi eo bello te violari ; contra cujus honorem, populi romani beneficia concessum, inimici atque invidi niterentur. Il est vrai que dans une autre lettre Ă  son ami Atticus liv. VII, CicĂ©ron soutient que les mauvais traitements du sĂ©nat ne devaient jamais porter CĂ©sar Ă  prendre les armes contre son pays. Mais, si l’on y prend garde, on verra que CicĂ©ron n’avait pas meilleure opinion des desseins de PompĂ©e, et que, dĂšs lors, il prĂ©voyait fort bien qu’il n’était plus question entre lui et son rival que du choix d’un maĂźtre ; car, rĂ©pondant Ă  Atticus, qui l’exhortait Ă  se dĂ©clarer contre CĂ©sar, et Ă  faire les derniers efforts pour se garantir de la servitude A quoi bon ? lui Ă©crit-il ; pour ĂȘtre proscrits, si nous sommes vaincus, ou tomber dans un autre esclavage, si nous sommes vainqueurs ? » Ce sont ses propres termes Ut quid ? si victus eris, proscribare ? si viceris, tamen servias ? Il ne s’en expliquait pas moins franchement, comme on sait, avec les autres chefs du parti rĂ©publicain. Comment donc CĂ©sar n’aurait-il pas compris que, s’il cĂ©dait Ă  son rival, et s’il se laissait une fois dĂ©sarmer, il tombait lui-mĂȘme dans la servitude, sans aucun fruit pour la rĂ©publique. Telle est l’extrĂ©mitĂ© oĂč il se trouvait rĂ©duit, et dont ses amis ne se cachaient point. Voici ce que l’un d’eux, CĂ©lius, Ă©crivait il CicĂ©ron Pompeius constituit non pati C. CƓsarem consulem aliter fieri, nisi exercitum et provincias tradiderit. CƓsari autem persuasum est se salvum esse non posse, si ab exercitu recesserit. Fert tamen illam conditionem ut ambo exercitus tradant. C’était, ce me semble, entendre la raison, que de consentir Ă  ĂȘtre dĂ©sarmĂ©, pourvu que son rival le fĂ»t aussi. Quoi de plus juste et de plus convenable au salut de la rĂ©publique ? Cependant PompĂ©e le refusa, et, par ce refus, poussa d’autant plus CĂ©sar aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s, que personne ne doutait Ă  Rome que, si PompĂ©e devenait le maĂźtre, sa domination ne fĂ»t aussi cruelle que celle de Sylla Mirandum in modum CnƓus noster Sullani regni similitudinem concupivit, etc. , dit CicĂ©ron lui-mĂȘme Lett. fam. ,liv. IX, lett. 7 et 10. 4 Ipse nitor PhƓbi, vulgato latior orbe. — Bouhier prĂ©tend que PĂ©trone fait ici PhĂ©bus favorable Ă  CĂ©sar, et que plus loin v. 269 il le reprĂ©sente comme favorable Ă  PompĂ©e Magnum cum PhƓbo soror, et Cyllenia proies Excipit. . . . . . C’est, dit-il, une contradiction qu’on a justement reprochĂ©e Ă  PĂ©trone. Ce reproche me paraĂźt dĂ©nuĂ© de toute justice. Ici,PhƓbusne signifie pas Apollon, le dieu de l’Olympe, mais simplement le soleil, considĂ©rĂ© comme signe cĂ©leste. Plus loin, c’est Apollon lui-mĂȘme que PĂ©trone a dĂ©signĂ©. CHAPITRE CXXIII. 1 Fervere germano perfusas sanguine turmas. — Les traducteurs ont presque tous entendu, par germano sanguine, les victoires remportĂ©es antĂ©rieurement par CĂ©sar sur les peuples de la Germanie. Mais germano ne serait-il pas ici synonyme de fraterno, pour romano ? CHAPITRE CXXIV. 1 Ergo tanta lues divĂ»m quoque numina vicit. — Quelques manuscrits, et celui de Colbert entre autres, portent vidit au lieu de vicit, et les commentateurs s’évertuent Ă  expliquer ce passage sans pouvoir en venir Ă  bout. Bouhier fait a ce sujet la remarque suivante Quoique cette leçon se trouve dans les manuscrits, je ne sais comment on a pu s’en accommoder ; car, Ă  supposer que lues puisse s’entendre de la Fortune, la phrase signifierait seulement qu’elle a vu les dieux. Or, Ă  quoi cela aboutirait-il ? Il n’y a pas de doute qu’il faut lire tergo, qui Ă©tait dans quelques Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes, et qui rend la lumiĂšre Ă  ce passage. La Fortune n’a pas vu seulement fuir PompĂ©e elle a vu encore fuir les dieux. Otons aussi Ă  la Fortune cette vilaine Ă©pithĂšte de tanta lues, qui ne lui convient point, et ponctuons ainsi ce vers Tergo tanta lues ! divĂ»m quoque numina vidit. » Cette correction, que Bouhier propose en dĂ©sespoir de cause, ne me paraĂźt pas du tout nĂ©cessaire, d’autant plus que tergo vidit divĂ»m numina n’est ni trĂšs-correct ni trĂšs-poĂ©tique, surtout lorsque PĂ©trone vient de dire dans le vers prĂ©cĂ©dent Ut Fortuna levis Magni quoque terga videret. Lisons plutĂŽt vicit au lieu de vidit, et traduisons tanta lues, une si grande contagion la peur vicit quoque numina divĂ»m, triompha aussi de la puissance des dieux. Cette correction se trouve confirmĂ©e par le vers suivant Consensitque fugƓ cƓli timor 2 Absconditque olea vinctum caput. — Bouhier lit galea au lieu de olea, et fait Ă  ce sujet une note trop sĂ©rieusement comique pour ne pas la rapporter Galea, dit-il, pourrait bien marquer ici un tour de faux cheveux, nommĂ© galerus ou galericon, dont se servaient quelquefois les dames romaines pour se dĂ©guiser, comme l’a dit JuvĂ©nal, Ă  propos de Messaline . . . . . Flavo crinem abscondente galero, ce qu’un ancien scoliaste explique ainsi Crine supposito, rotundo muliebri capitis tegumento, in modum galeae facto, quo utebantur meretrices. Il me paraĂźt assez vraisemblable que PĂ©trone a voulu parler de cette sorte de perruques. » Le grave prĂ©sident Bouhier affuble, comme on le voit, la Paix d’une perruque, et d’une perruque de courtisane, encore ! Il ne croyait pas, Ă  coup sĂ»r, ĂȘtre si plaisant. Il aurait pu facilement s’épargner celle bĂ©vue, s’il eĂ»t rĂ©flĂ©chi que, l’attribut ordinaire de la Paix Ă©tant l’olivier, il Ă©tait plus probable que PĂ©trone avait Ă©critolea vinctum caput. On pardonnera sans peine une pareille erreur Ă  un homme d’ailleurs si distinguĂ© par son Ă©rudition ; mais ce qui est moins excusable, c’est l’étonnement que tĂ©moignent plusieurs interprĂštes de PĂ©trone, de voir que cet auteur fasse descendre aux enfers la Paix et ses compagnes, la Foi, la Justice et la Concorde ; tandis que, selon eux, la place de ces divinitĂ©s Ă©tait dans l’Olympe, et non pas chez Pluton. Ces savants ont oubliĂ©, sans doute, que la guerre Ă©tait allumĂ©e dans le ciel comme sur la terre l’auteur le dit positivement quelques vers plus loin . . . . Namque omnis regia cƓli In partes diducta ruit.. . . . Quelle retraite la Paix pouvait-elle choisir qui lui convĂźnt mieux que les champs ÉlysĂ©es, lieux paisibles, habitĂ©s par les Ăąmes des hommes vertueux, et qui d’ailleurs faisaient aussi partie de l’empire de Pluton ? 3 Tu legem, Marcelle, tene. — Marcus Claudius Marcellus, ex-consul, du parti de PompĂ©e. AprĂšs la dĂ©faite et la mort de ce grand homme, Marcellus avait tout Ă  craindre de la part du vainqueur, qu’il avait accusĂ© en plein sĂ©nat de plusieurs crimes contre l’État ; mais le sĂ©nat tout entier, par l’organe de CicĂ©ron, demanda sa grĂące Ă  CĂ©sar, qui l’accorda. Le sage Marcellus apprit son rappel avec indiffĂ©rence ; et il s’obstinait Ă  ne pas quitter sa retraite CicĂ©ron eut besoin de toute son adresse et de toute l’autoritĂ© qu’il avait sur son esprit pour l’y dĂ©terminer. Il partit enfin ; mais s’étant arrĂȘtĂ©, dans sa route, au port du PirĂ©e, pour y passer un seul jour avec Serv. Sulpicius, son ancien ami, qui avait Ă©tĂ© son collĂšgue au consulat, il y fut assassinĂ© par un nommĂ© Magius, l’homme du monde qui lui paraissait le plus attachĂ©. On n’a jamais su la cause du crime de Magius, qui se perça le cƓur du mĂȘme poignard, et mourut sur-le-champ. Sulpicius fit porter Ă  AthĂšnes le corps de son ami, dont il cĂ©lĂ©bra les funĂ©railles avec autant de pompe que sa situation, dans une ville Ă©trangĂšre, le lui permettait. Il ne put obtenir des AthĂ©niens une place dans leurs murs pour y dĂ©poser les restes de Marcellus, parce que leur religion le leur dĂ©fendait ; mais ils lui laissĂšrent la libertĂ© de prendre une de leurs Ă©coles publiques, et il choisit celle de l’AcadĂ©mie, regardĂ©e alors comme le plus noble endroit de l’univers. Il y fit brĂ»ler le corps, et laissa des ordres pour Ă©lever Ă  sa cendre un monument en marbre. Marcellus Ă©tait le chef d’une famille qui avait donnĂ©, depuis plusieurs siĂšcles, des grands hommes et des citoyens vertueux Ă  la rĂ©publique. La nature lui avait accordĂ© des qualitĂ©s qui rĂ©pondaient Ă  l’éclat de sa naissance. Il s’était formĂ© un caractĂšre particulier d’éloquence, qui lui avait acquis une rĂ©putation brillante au barreau ; de tous les orateurs de son temps, il Ă©tait celui qui approchait le plus de la perfection Ă  laquelle CicĂ©ron s’était Ă©levĂ© ; son style avait de l’élĂ©gance, de la force et de l’abondance ; sa voix Ă©tait douce autant que son action Ă©tait noble et gracieuse. Sa mort coĂ»ta des regrets et des larmes Ă  tous les Romains qui chĂ©rissaient encore la libertĂ© et la vertu. 4 Tu concute plebem, Curio. — Curion avait reçu de la nature des qualitĂ©s Ă©gales Ă  sa naissance. Son entrĂ©e dans le monde avait Ă©tĂ© des plus brillantes ; il fronda hautement, Ă  la tĂȘte de la jeune noblesse, les entreprises des triumvirs, CĂ©sar, PompĂ©e et Crassus. Cette audace le rendit l’idole du peuple ; il ne paraissait point au théùtre et dans les assemblĂ©es sans y recevoir des preuves Ă©clatantes de sa faveur ; et PompĂ©e n’avait jamais Ă©tĂ© plus applaudi dans les beaux jours de sa gloire. CicĂ©ron l’aimait beaucoup ; ce grand homme, qui lui connaissait assez de gĂ©nie et d’ambition pour faire beaucoup de bien ou de mal Ă  sa patrie, tĂącha de l’engager de bonne heure dans les intĂ©rĂȘts de la rĂ©publique, de lui inspirer du goĂ»t pour la vĂ©ritable gloire, et de le dĂ©cider Ă  faire un noble usage des biens immenses qu’il avait hĂ©ritĂ©s de son pĂšre. Le luxe et la corruption rendirent ses efforts inutiles Curion, qui venait d’exercer la questure en Asie, donna au peuple, en l’honneur de son pĂšre, des jeux qui lui coĂ»tĂšrent sa fortune. Il y dĂ©ploya la plus grande magnificence, mais ce fut surtout par la singularitĂ© de l’invention qu’il se distingua. Nous allons mettre le lecteur Ă  mĂȘme d’en juger, Ă  l’aide des dĂ©tails suivants Il fit construire deux planchers, en forme de croissant, assez vastes pour contenir une portion considĂ©rable du peuple romain. Chacun de ces planchers n’avait d’autre point d’appui qu’un pivot sur lequel on le faisait tourner Ă  volontĂ©. Ces deux demi-cercles Ă©taient d’abord adossĂ©s l’un Ă  l’autre, mais Ă  une distance convenable, afin qu’on eĂ»t la facultĂ© de les faire mouvoir. On reprĂ©sentait en mĂȘme temps sur tous les deux des piĂšces dramatiques, sans que de l’un Ă  l’autre les acteurs pussent s’entendre ou s’interrompre. Ensuite on faisait tourner ces deux croissants, dont les extrĂ©mitĂ©s, en se rĂ©unissant, formaient un cirque, oĂč se donnaient des combats de gladiateurs. » C’est Ă  cette occasion que Pline s’écrie avec sa causticitĂ© ordinaire. Que faut-il le plus admirer dans ce spectacle ? est-ce l’inventeur ou l’invention ? le machiniste, ou celui qui le met en Ɠuvre ? la hardiesse de celui qui commande, ou la docilitĂ© de celui qui obĂ©it ? La nouveautĂ© du spectacle a tournĂ© toutes les tĂȘtes ; et, dans son ivresse, le peuple romain ne voit pas l’imminent danger de son Ă©tonnante et bizarre position il siĂ©ge sans inquiĂ©tude sur un Ă©chafaud mobile prĂȘt Ă  fondre sous lui. Le voilĂ  donc, ce peuple, le roi des nations, le conquĂ©rant de l’univers, le distributeur des provinces et des royaumes, le lĂ©gislateur de la terre, cette assemblĂ©e de dieux dont les volontĂ©s font la destinĂ©e du monde ! ! ! embarquĂ© sur deux espĂšces de navires, spectateur et spectacle tour Ă  tour, il pirouette sur deux gonds, et s’applaudit de l’étrange nouveautĂ© du pĂ©ril qu’il affronte ! » CicĂ©ron, qui craignait que de pareilles dĂ©penses, en absorbant le patrimoine de son Ă©lĂšve, ne fussent l’écueil de sa vertu, l’avait inutilement engagĂ© Ă  suspendre son projet. L’évĂ©nement justifia ses craintes Curion fut rĂ©duit dans la suite Ă  se vendre Ă  CĂ©sar. Il Ă©tait alors tribun du peuple il n’avait d’abord sollicitĂ© cet emploi que pour attaquer le vainqueur des Gaules, et s’opposer Ă  ses projets contre la rĂ©publique ; mais un million que CĂ©sar lui fit offrir changea ses dispositions, et le dĂ©tacha de la cause commune. Ce n’était plus le temps des Curius ; et Fabricius, contemporain de CĂ©sar, eĂ»t peut-ĂȘtre acceptĂ© l’or des Samnites. Lorsque la guerre civile Ă©clata, Curion sortit de Rome, et se rendit au camp de CĂ©sar, qui le chargea d’aller s’emparer de la Sicile. Caton, que PompĂ©e y avait envoyĂ© pour la garder, prit le parti de l’abandonner Ă  Curion, qui le suivit aussitĂŽt en Afrique pour le combattre. Le malheur et la mort l’y attendaient ses troupes furent taillĂ©es en piĂšces par celles de Juba, roi de Mauritanie, attachĂ© au parti de PompĂ©e. Ses amis le pressaient d’assurer sa vie, et de fuir avec les dĂ©bris de son armĂ©e ; mais il leur rĂ©pondit qu’ayant si mal rempli les espĂ©rances de CĂ©sar, il ne se sentait pas la force de paraĂźtre Ă  ses yeux ; et, continuant de combattre en homme dĂ©sespĂ©rĂ©, il fut tuĂ© entre ses derniers soldats. Sa mort causa des regrets Rome avait peu de jeunes citoyens dont elle eĂ»t conçu d’aussi grandes espĂ©rances ; et, depuis qu’il avait embrassĂ© le parti de CĂ©sar, il avait fait oublier les dĂ©sordres de sa premiĂšre jeunesse par une conduite oĂč la prudence n’avait pas eu moins de part que la valeur. On a dit de lui, comme de Catilina, qu’il mĂ©ritait de mourir pour une meilleure cause. C’est son pĂšre qui, dans une harangue, avait appelĂ© CĂ©sar le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris. 5 Non frangis portas ?... Thesaurosque rapis ? — Ce trĂ©sor Ă©tait une caisse particuliĂšre qui depuis longtemps Ă©tait destinĂ©e aux frais de la guerre des Gaules, et qu’il Ă©tait dĂ©fendu de divertir Ă  d’autres usages, sous peine de l’exĂ©cration publique. Mais CĂ©sar s’en moqua, disant que, puisqu’il avait achevĂ© la conquĂȘte des Gaules, cette destination devenait inutile, et qu’on ne devait pas se faire un scrupule de la changer. CHAPITRE CXXV. 1 Dii, deƓque, quam male est extra legem viventibus ! quidquid meruerunt, semper exspectant. Plaute a dit de mĂȘme Nihil est miserius quam animus hominis conscius ; SĂ©nĂšque Conscientia aliud agere non patitur, ac subinde respicere ad se cogit, Dat pƓnas quisquis exspectat ; quisquis autem meruit exspectat ; et Macrobe Sibi videntur exitium quod merentur excipere. CHAPITRE CXXVI. 1 Vendisque amplexus, non commodas. — Les ouvrages des poĂ«tes sont remplis d’allusions Ă  cet amour vĂ©nal. Ovide, livre 1er des Amours, Ă©lĂ©gie 10, vers 13 Et vendit quod utrumque juvat, quod uterque petebat Et pretium, quanti gaudeat ipsa, facit. Quae Venus ex aequo ventura est grata duobus, Altera cur illam vendit, et alter emit ? et Properce, livre I, Ă©lĂ©gie 2 Teque peregrinis vendere muneribus. 2 Quo facies medicamine attrita ? — On trouve dans Ovide CosmĂ©tiques, v. 53 la recette suivante de l’une des compositions alors en usage parmi les femmes pour ajouter Ă  l’éclat de leur teint ou pour en conserver la fraĂźcheur Prenez de l’orge de Libye, ĂŽtez-en la paille et la robe ; prenez une pareille quantitĂ© d’ers ou d’orobe ; dĂ©trempez l’une et l’autre dans des Ɠufs ; faites sĂ©cher, et broyez le tout ; jetez-y de la poudre de corne de cerf, de celle qui tombe au printemps ; joignez-y quelques oignons de narcisse pilĂ©s dans un mortier ; faites entrer ensuite dans ce mĂ©lange de la gomme et de la farine faite avec du froment de Toscane ; enfin liez le tout par une plus grande quantitĂ© de miel, et cette composition rendra le teint plus net que la glace d’un miroir, » Pline parle d’une vigne sauvage, qui a les feuilles Ă©paisses et tirant sur le blanc, dont le sarment est noueux et l’écorce ordinairement brisĂ©e Elle produit, dit-il, des grains rouges avec lesquels on teint en Ă©carlate ; et ces grains, pilĂ©s avec des feuilles de la vigne, nettoient parfaitement la peau. » L’encens entrait dans la plupart des cosmĂ©tiques alors en usage tantĂŽt il servait Ă  enlever les taches de la peau, et tantĂŽt les tumeurs. Bien que l’encens, dit Ovide, soit agrĂ©able aux dieux, il ne faut pas nĂ©anmoins le jeter tout dans les brasiers sacrĂ©s ; il est d’autres autels qui rĂ©clament sa vapeur parfumĂ©e. » Le mĂȘme poĂ«te a connu, dit-il, des femmes qui pilaient du pavot dans de l’eau froide et s’en mettaient sur les joues. D’autres se faisaient enfler le visage avec du pain trempĂ© dans du lait d’ñnesse. PoppĂ©e se servait d’une espĂšce de fard onctueux, oĂč il entrait du seigle bouilli ; on se l’appliquait sur le visage, oĂč il formait une croĂ»te qui subsistait quelque temps, et ne tombait qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© lavĂ©e avec du lait. PoppĂ©e, qui avait mis cette pĂąte Ă  la mode, lui laissa son nom. Les femmes allaient et venaient, ainsi masquĂ©es, dans l’intĂ©rieur de leur maison. C’était lĂ , pour ainsi dire, leur visage domestique et le seul connu des maris. Leurs lĂšvres, dit JuvĂ©nal, s’y prenaient Ă  la glu. Les fleurs nouvelles qu’offrait le visage, aprĂšs la toilette, Ă©taient rĂ©servĂ©es pour les amants. » Il y eut une recette plus simple que celle d’Ovide, et qui eut la plus grande vogue c’était un fard composĂ© de la terre de Chio ou de Samos, que l’on faisait dissoudre dans du vinaigre. Pline nous apprend que les dames s’en servaient pour se blanchir la peau, de mĂȘme que de la terre de Selinuse, blanche, dit-il, comme du lait, et qui se dissout prompte-ment dans l’eau. Les Grecs et les Romains avaient un fard mĂ©tallique qu’ils employaient pour le blanc, et qui n’est autre chose que la cĂ©ruse. Leur fard rouge se tirait de la racine rizion, qu’ils faisaient venir de la Syrie. Ils se servirent aussi, mais plus tard, pour leur blanc, d’un fard composĂ© d’une espĂšce de craie argentine ; et, pour le rouge, du purpurissimum, prĂ©paration qu’ils faisaient de l’écume de la pourpre, lorsqu’elle Ă©tait encore toute chaude. Les qualitĂ©s nuisibles de ces ingrĂ©dients ont Ă©tĂ© senties par les anciens autant que par les modernes. Des grĂąces simples et naturelles, a dit Afranius, le rouge de la pudeur, l’enjouement et la complaisance, voilĂ  le fard le plus sĂ©duisant de la jeunesse. Quant Ă  la vieillesse, il n’est pour elle d’autre fard que l’esprit et les connaissances. » 3 Et oculorum quoque mollis petulantia ? — Quelques commentateurs lisent mobilis, au lieu de mollis ; ce qui signifierait alors des yeux sans cesse clignotants, ou, comme le disent les poĂ«tes comiques,des Ɠillades assassines. C’est ce que PĂ©trone nous semble avoir parfaitement rendu dans l’épigramme suivante qu’on lui attribue O blandos oculos et inquietos, Et quadam propria nota loquaces ! Illic et Venus et leves Amores, Atque ipsa in medio sedet Voluptas ; et non pas solet voluptas, comme l’imprime Burmann, ce qui n’offrirait aucun sens, non plus que l’épithĂšte d’inficetos au lieu d’inquietos, telle qu’on la trouve dans les Catalectes, Ă  la suite de l’édition Bipontine c’est, sans doute, une faute d’impression ; car que signifierait inficetos ? ce serait un contre-sens. On peut traduire ainsi cette Ă©pigramme O les beaux yeux ! comme ils sont pĂ©tulants, comme ils ont une Ă©loquence qui leur est propre ! Dans leur prunelle, VĂ©nus, les Amours lĂ©gers et la VoluptĂ© elle-mĂȘme ont placĂ© leur trĂŽne. » 4 Quo incessus tute compositus, etc. — C’est ce qu’on appelle une dĂ©marche cadencĂ©e. SĂ©nĂšque, dans ses Questions naturelles, dit Ă  ce sujet Tenero et molli incessu suspendimus gradum ; Catulle Quam videtis Turpe incedere, mimice ac moleste ; et Ovide, Art d’aimer, livre III Est et in incessu pars non temnenda decoris. 5 Nunquam tamen, nisi in equestribus sedeo. — Ceci est une suite de la satire contre les femmes de qualitĂ© qui se prostituaient Ă  des hommes indignes de leurs faveurs, Ă  des valets, Ă  des muletiers, Ă  des histrions. Mais il faut remarquer cependant que PĂ©trone, qui connaissait Ă  fond le caractĂšre des femmes, fait dans la suite changer de sentiment Ă  cette soubrette, car elle devient amoureuse folle de celui dont elle rejette ici l’hommage avec tant de dĂ©dain. 6 Frons minima. — La petitesse du front Ă©tait regardĂ©e comme une marque de beautĂ© chez les anciens. Horace, en parlant de sa chĂšre Lycoris, dit Insignis tenui fronte. Arnobe nous apprend que les femmes Ă©taient si curieuses de cet avantage, qu’elles se mettaient des bandeaux sur la tĂȘte pour diminuer leur front. Martial dit Ă  ce sujet, liv. IV, Ă©pigr. 42 Audi quem puerum, Flacce, locare velim. Lumina sideribus certent, moltesque flagellent Colla comae tortas non amo, Flacce, comas. Frons brevis, atque modus breviter sit naribus uncis PƓstanis rubeant semula labra rosis. Ce qui surprendra bien plus, c’est que la petitesse du front Ă©tait regardĂ©e, par les anciens, comme une marque d’esprit ; Melctius de la Nature de l’homme, ch. VIII le dit formellement, et mĂ©rite d’ĂȘtre lu a ce sujet. Voici ses propres termes Parva vero ac modica fronte ingenii acumine prƓditos, et ad dicendum propensos opinati sunt. CHAPITRE CXXVII. 1 Ut videretur mihi plenum os extra nubem luna proferre. — Cette comparaison du visage d’une belle avec la lune dans son plein ne paraĂźtrait pas trĂšs-flatteuse aux dames de nos jours. Les anciens pensaient autrement que nous Ă  ce sujet, et cette idĂ©e se trouve trĂšs-frĂ©quemment reproduite dans les ouvrages des poĂ«tes grecs et romains. 2 Mox digitis gubernantibus vocem. Les petites-maĂźtresses, et mĂȘme un grand nombre d’hommes chez les Romains, s’étudiaient Ă  accompagner leurs paroles de gestes gracieux ; SuĂ©tone le dit formellement dans la Vie de TibĂšre, chapitre 68 Sermonem habuisse, non sine molli quadam digitorum gesticulatione. 3 Feminam... hoc primum anno virum expertam. Horace liv. III, ode 14 a dit de mĂȘme . . . . Et puella Jam virum expertƓ. 4 Ut putares inter auras canere Sirenum concordiam. — Le chant des SirĂšnes Ă©tait proverbial chez les anciens. PĂ©trone reproduit la mĂȘme idĂ©e dans le premier de ses fragments, ad Amicam Sirenum cantus, et dulcia plectra Thaliae Ad vocem tacuisse, reor. CHAPITRE CXXVIII. 1 Numquid spiritus jejunio marcet ? — C’est ce que les Latins appelaient anima jejuna, et les Grecs, {{langgrcnĂšsteias ozein, sentir le jeĂ»ne. On en voit un exemple plaisant dans les vers suivants de CĂ©cilius Plotius, rapportĂ©s par Aulu-Gelle, livre II, chapitre 23 Sed tua morosa ne uxor ? quam rogas ? Qui tandem ? tƓdet mentionis quƓ mihi, Ubi domum adveni ac sedi, extemplo suavium Datat, jejuna anima. Nil peccat suavio ; Et devomas, volt, quod foris potaveris. 2 Numquid alarum negligens, sudore puteo ? Cette nĂ©gligence de toilette a Ă©tĂ© stigmatisĂ©e par les poĂ«tes anciens. Catulle, poĂ«me LXIX Laedit te quƓdam mala fabula, qua tibi fertur Valle sub alarum trux habitare caper. Horace revient souvent sur ce dĂ©faut de propretĂ©, et dit, dans une de ses satires Pastillos Rufinus o ! et, Gorgonius hircum. Ailleurs, Ă©pode XII Hirsutis cubet hircus in alis. Ovide Art d’aimer, liv. 1 recommande Ă  son Ă©lĂšve d’éviter avec soin ce double reproche Nec male odorati sit tristis anhelitus oris Nec laedant nares virque paterque gregis. 3 Rapuit deinde tacenti speculum. Les premiers miroirs artificiels furent de mĂ©tal ; CicĂ©ron en attribue l’invention au premier Esculape. Quoi qu’il en soit, il paraĂźt que ce meuble n’entrait pas encore dans la toilette des femmes au temps d’HomĂšre il n’en parle pas dans sa description de la toilette de Junon, quoiqu’il ait pris plaisir Ă  rassembler tout ce qui contribuait Ă  la parure la plus recherchĂ©e. AprĂšs avoir fait des miroirs d’airain, d’étain, de fer bruni, on en fabriqua d’un alliage des deux premiers mĂ©taux. L’argent pur obtint ensuite la prĂ©fĂ©rence. Un artiste, nommĂ© PraxitĂšle, contemporain du Grand PompĂ©e, fut l’inventeur des miroirs de cette derniĂšre espĂšce. On en fit mĂȘme d’or, oĂč le luxe prodigua les pierreries et les embellissements de tous les genres. Il est Ă©tonnant que les anciens, qui poussĂšrent si loin les progrĂšs de la dĂ©couverte du verre, n’aient pas connu l’art de le rendre propre Ă  la reprĂ©sentation des objets, en appliquant l’étain derriĂšre les glaces ; il ne l’est pas moins que, connaissant l’usage du cristal, plus propre encore que le verre Ă  la fabrication des miroirs, ils ne s’en soient pas servis pour cet objet. Ce ne fut que trĂšs-tard qu’ils commencĂšrent Ă  faire des miroirs de verre ; et les premiers sortirent des verreries de Sidon. Pline ne dit pas Ă  quelle Ă©poque ; mais comme il n’y en avait pas encore du temps de PompĂ©e, il est certain qu’ils parurent depuis la destruction de la rĂ©publique. Avant et depuis cette Ă©poque, on en ornait les murs des appartements et les alcĂŽves des lits ; on en incrustait les plats et les bassins dans lesquels on servait les viandes sur la table ; on en revĂȘtait les tasses et les gobelets, qui multipliaient ainsi l’image des convives. 4 Non tam intactus Alcibiades in prƓceptoris sui lectulo jacuit. Cet hommage Ă©clatant, rendu Ă  la vertu de Socrate par un auteur aussi licencieux que PĂ©trone, qui ne mĂ©nageait pas mĂȘme, dans ses satires, l’empereur, dont sa vie et sa fortune dĂ©pendaient, me paraĂźt digne d’attention. Ces mots socratica fides prouvent d’ailleurs que la continence de Socrate Ă©tait passĂ©e en proverbe chez les Romains. C’est donc Ă  tort que quelques auteurs ont imputĂ© Ă  ce philosophe un vice si commun de son temps, mais auquel il resta toujours Ă©tranger. Maxime de Tyr l’a vengĂ© de ces injurieux reproches dans plusieurs de ses dissertations ; et Plutarque, au discours premier sur les Vertus d’Alexandre, confirme cette vĂ©ritĂ©. Socrate, dit-il, couchait prĂšs d’Alcibiade sans violer la chastetĂ©. » Comment donc l’opinion contraire a-t-elle prĂ©valu ? c’est qu’en gĂ©nĂ©ral les hommes admettent la calomnie sans examen ; il n’y a que l’éloge qui soit pour eux un objet de discussion. CHAPITRE CXXIX. 1 Licet ad tubicines mittas. — Mot Ă  mot Envoyez chercher les joueurs de flĂ»tes. » C’est comme si nous disions Envoyez chercher les croque-morts. Nous avons dĂ©jĂ  vu, au chapitre 78, Trimalchion faire venir les joueurs de cor pour imiter la cĂ©rĂ©monie de son enterrement, parce que, chez les anciens, on portait les morts en terre au son des instruments ; mais il faut remarquer qu’il n’y avait que les jeunes gens qui fussent enterrĂ©s au son de la flĂ»te les personnes ĂągĂ©es l’étaient au son du cor ou de la trompette. CHAPITRE CXXX. 1 Mox cibis validioribus pastus, id est, bulbis, cochlearumque sine jure cervicibus.— Singulier remĂšde, dira-t-on, pour se prĂ©parer Ă  une lutte amoureuse, qu’un menu composĂ© d’échalotes et d’huĂźtres crues ! Telle Ă©tait cependant la vertu que les anciens attribuaient Ă  cette espĂšce d’aliment, comme le prouve ce passage du poĂ«te Alexis, rapportĂ© par AthĂ©nĂ©e, livre II, chapitre 23 Bolbous, koxlias, kĂšrucas, ĂŽa, akrokĂŽlia ;Tosauta toutĂŽn an tis ibroi farmaka, dont voici la traduction littĂ©rale Bulbos, cochleas, cerycas, ova, extremos pecudum artus ; Tam multa ex his invenias remedia. HĂ©raclite de Tarente donne la raison suivante de leurs propriĂ©tĂ©s aphrodisiaques Bolbos, kai ĂŽon, kai t omoia doxei spermatos einai poiĂštika dia to omoeideis exein tas prĂŽtas fuseis, kai tas autas dunameis tĂŽ spirmati. Bulbus, ova et similia gignere semen videntur, quia prima illorum natura eamdem cum genitura speciem et potestatem liv. XX, ch. 9 dit que les oignons broyĂ©s rendent aux nerfs leur vigueur, qu’on les emploie avec succĂšs pour les paralytiques ; et il ajoute Venerem maxime megarici dans sonArt d’aimerliv. II. V. 415, ne paraĂźt pas avoir grande confiance dans ces prĂ©tendus spĂ©cifiques ; et il engage son Ă©lĂšve Ă  s’en abstenir comme de vrais poisons Sunt qui prĂŠcipiant herbas, satureia, nocentes Sumere judiciĂŻs ista venena meis. Aut piper urticae mordacis semine miscent ; Tritaque in annoso flava pyrethra mero. Sed dea non patitur sic ad sua gaudia cogi, Colle sub umbroso quam tenet altus Eryx. Candidus, Alcathoi qui mittitur urbe pelasga, Bulbus, et, ex horto quae venit, herba salax, Ovaque sumantur, sumantur hyrmettia mella, Quasque tulit folio pinus acuta nuces. 2 Hausi parcius merum, Valerius Flaccus, dans son poĂ«me des Argonautes, livre II, vers 70, offre une imitation remarquable de ce passage. Les Argonautes, dit-il, . . . . . Fessas Restituunt vires, et parco corpora Baccho. Martial nous offre une ingĂ©nieuse plaisanterie sur le mĂȘme sujet, dans son Ă©pigramme 107 du livre I Interponis aquam subinde, Rufe, . . . . . . . Numquid pollicita est tibi beatam Noctem Naevia ?. . . . Enfin Ovide, qu’il faut toujours citer en pareille matiĂšre, dit, dans ses RemĂšdes d’amour v. 803 Quid tibi prƓcipiam de Bacchi munere, quaeris ? Spe brevius monitis expediere meis. Vina parant animum Veneri, nisi plurima sumas, Ut stupeant multo corda sepulla mero. Ignem ventus alit, vento restinguitur ignis. Lenis alit flammam, grandior aura necat. Aut nulla ebrietas, aut tanta sit, ut tibi curas Eripiat si qua est inter utramque, nocet. CHAPITRE CXXXI. 1 Mox turbatum sputo pulverem medio sustulit digito. —Ce n’est pas sans raison que la vieille ProsĂ©lĂ©nos prend avec le doigt du milieu ce mĂ©lange de poussiĂšre et de salive. Le doigt mĂ©dius Ă©tait rĂ©putĂ© infĂąme chez les anciens ; et Perse, en parlant d’un semblable enchantement, dit sat. II, V. 33 Infami digito et lustralibus ante salivis Expiat, urentes oculos inhibere perita. 2 Ter me jussit a dit de mĂȘme Ă©lĂ©gie 11 du liv. I Ter cane, ter dictis despue carminibus. 3 Vides, quod aliis leporem excitavi ! Ovide offre un exemple de cette locution proverbiale, vers 661 du livre III de l’Art d’aimer Credula si fueris, aliae tua gaudia carpent ; Et lepus hic aliis exagitandus erit. 4 Nobilis Ɠstivas platanus diffuderat umbras. Virgile ne dĂ©savouerait pas cette courte, mais charmante description d’un jardin. Ce que PĂ©trone dit ici du platane, arbre touffu sous lequel les anciens se plaisaient Ă  goĂ»ter le frais, rappelle ces vers d’Horace liv. II, ode 11 Cur non sub alta vel platano, vel hac Pinu jacentes sic temere, et rosa Canos odorati capillos, Dum licet, Assyriaque nardo, Potamus uncti ? CHAPITRE CXXXII. 1 Et me jubet catomidiare. — Ou plutĂŽt catomidiari, c’est-Ă -dire catomis cƓdi, ĂȘtre fustigĂ©. » PĂ©trone est le seul des auteurs de la bonne latinitĂ© qui se soit servi de ce mot, qu’on retrouve frĂ©quemment dans les Ă©crivains du moyen Ăąge. Ainsi on lit dans la Vie de saint Vitus Tunc iratus Valerianus jussit infantem catomis cƓdi ; dans la Passion de saint Afrique Catomis te cƓdi jubeam ; et dans Spartianus Hadrianus Decoctores bonorum suorum catomidiari in amphitheatro jussit. 2 Conditusque lectulo, totum ignem furoris in eam converti. Bussy-Rabutin Histoire amoureuse des Gaules a imitĂ© ce passage presque littĂ©ralement ; mais qu’il est loin de reproduire les grĂąces de l’original ! Dans Rabutin, le comte de Guiche, chassĂ© honteusement par la comtesse d’Olonne, dont il avait mal rempli l’attente amoureuse, s’exprime ainsi Je sortis brusquement de chez elle, et me retirai chez moi, oĂč, m’étant mis au lit, je tournai toute ma colĂšre contre la cause de mon malheur. D’un juste dĂ©pit tout plein Je pris un rasoir en main Mais mon envie Ă©tait vaine, Puisque l’auteur de ma peine, Que la peur avait glacĂ©, Tout malotru, tout plissĂ©, Comme allant chercher son antre, S’était sauvĂ© dans mon ventre. Ne pouvant donc lui rien faire, voici Ă  peu prĂšs comme la rage me lui fit parler — HĂ© bien, traĂźtre ! qu’as-tu Ă  dire ? InfĂąme partie de moi-mĂȘme et vĂ©ritablement honteuse car on serait bien ridicule de te donner un autre nom dis-moi, t’ai-je jamais obligĂ© Ă  me traiter de la sorte ? Ă  me faire recevoir le plus sanglant affront du monde ? Me faire abuser des faveurs que l’on me donne, et me donner, Ă  vingt-deux ans, les infirmitĂ©s de la vieillesse !... — Mais en vain la colĂšre me faisait parler ainsi L’Ɠil attachĂ© sur le plancher, Rien ne le saurait toucher. Aussi, lui faire des reproches, C’est justement en faire aux roches... » Il suffit de jeter les yeux sur l’original pour se convaincre qu’ici PĂ©trone parle en courtisan, et Rabutin en laquais. 3 Rogo te, mihi apodixin defunctoriam redde. — Apodixis, mot tirĂ© du grec apodeixis, dĂ©monstration, preuve, publication on appelait ainsi un certificat que le crĂ©ancier donnait Ă  son dĂ©biteur, quand celui-ci l’avait payĂ©. Apodixis defunctoria, Ă©tait un congĂ© en forme, pour cause d’ñge ou d’affaiblissement, et, par extension, un extrait mortuaire. En effet, SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, nous enseigne qu’il y avait Ă  Rome des registres, appelĂ©s rationes libitinƓ, oĂč l’on inscrivait le nom de ceux qui mouraient, et que l’extrait qu’on en tirait se nommait apodixis defunctoria. CHAPITRE CXXXIV. 1 Quod purgamentum nocte calcasti in trivio, aut cadaver ? Les anciens jetaient trans caput, par-dessus leur tĂȘte, en certains endroits rĂ©servĂ©s, dans les carrefours, dans les courants d’eau, et dans la mer mĂȘme, purgamenta, les choses qui avaient servi Ă  expier un crime ; parce qu’ils apprĂ©hendaient qu’on ne marchĂąt dessus, et qu’ils croyaient que ceux Ă  qui ce malheur arrivait, par hasard ou autrement, s’attiraient, par une espĂšce de contagion, la peine que mĂ©ritait le crime expiĂ©. Voyez, Ă  ce sujet, Virgile, Ă©gl. VIII, v. 101 Fer cineres, Amarylli, foras rivoque fluenti, Transque caput jace ne respexeris. . . . Claudien, QuatriĂšme consulat d’Honorius, vers 330 Trans caput aversis manibus jaculator in altum Secum rapturas cantata piacula taedas ; et NĂ©mĂ©sien, Ă©glogue iv Quid prodest, quod me pagani mater Amyntae Ter vittis, ter fronde sacra, ter thure vaporo Lustravit, cineresque aversa effudit in amnem. 2 Aut cadaver. — Les anciens regardaient comme une trĂšs-grande impuretĂ©, qu’il fallait expier, de toucher un corps mort. Cette superstition leur venait des Grecs, auxquels elle avait probablement Ă©tĂ© transmise par les HĂ©breux ; car nous lisons au livre des Nombres, chapitre 60, verset 9 Celui qui touchera un corps mort sera impur pendant sept jours ; mais s’il jette sur lui de cette eau le troisiĂšme jour et le septiĂšme, il sera purgĂ©. 3 Lorum in aqua. Expression proverbiale. Martial liv. VII, Ă©pigr. 58 l’a employĂ©e dans le mĂȘme sens . . . . . Madidoque simillima loro Inguina. . . . et livre X, Ă©pigramme 55 Loro quum similis jacet remisso. 4 LunĂŠ descendit imago, Carminibus deducta meis. Les anciens croyaient que les magiciennes avaient le pouvoir de faire descendre la lune du ciel par la force de leurs enchantements, et surtout en frappant sur des bassins d’airain. Ovide se moque ainsi de cette superstition, dans son poĂ«me des CosmĂ©tiques, versets 41-42 Et quamvis aliquis temesƓa removerit aera, Nunquam Luna suis excutietur equis. Cependant il s’est montrĂ© plus crĂ©dule dans l’élĂ©gie 1 du livre II des Amours v. 23-24 Carmina sanguineae deducunt cornua Lunae, Et revocant niveos Solis euntis equos. Ce dernier vers exprime la mĂȘme idĂ©e que ceux de PĂ©trone . . . . . Trepidusque furentes Flectere PhƓbus equos revoluto cogitur orbe. CHAPITRE CXXXV. 1 Musa BattiadƓ veteris. — C’est-Ă -dire la muse antique de Callimaque, parce que ce poĂ«te, fils de Battus, composa un poĂ«me sur HĂ©calĂšs. CHAPITRE CXXXVI. 1 Tales Herculea Stymphalidas arte coactas. — Les Stymphalides, oiseaux d’une prodigieuse grandeur, qui infestaient les bords du lac Stymphale, en Arcadie. Pausanias liv. VIII rapporte qu’ils persĂ©cutaient si cruellement les habitants de cette contrĂ©e, que ceux-ci suppliĂšrent Hercule de les en dĂ©livrer. Ce hĂ©ros en vint Ă  bout par le secours de Minerve qui lui conseilla de faire un grand bruit en frappant sur des chaudrons ce qui rĂ©ussit ; car ces oiseaux, Ă©pouvantĂ©s, quittĂšrent le pays et se rĂ©fugiĂšrent dans l’üle d’ArĂ©tie. PĂ©trone appelle ce stratagĂšme ars herculea, pour le distinguer des autres travaux d’Hercule, qui avait coutume de vaincre par la force et non par l’adresse, vi, non arte. 2 Tribus nisi potionibus e lege siccatis. ConformĂ©ment Ă  la loi des buveurs, qui ordonnait Ă  chaque convive de boire trois, ou trois fois trois rasades, et qu’Ausone a ainsi formulĂ©e Ter bibe, vel toties ternos, sic mystica lex est. SuĂ©tone, dans la Vie d’Auguste, et Platon, dans sa RĂ©publique, font mention de cette coutume. CHAPITRE CXXXVII. 1 Occidisti Priapi delicias, anserem omnibus matronis acceptissimum. L’oie Ă©tait consacrĂ©e Ă  Priape, parce que, selon plusieurs auteurs anciens, et Pausanias, entre autres, ce ne fut pas en cygne, mais en oie que Jupiter se mĂ©tamorphosa pour sĂ©duire LĂ©da. C’est ce que l’on trouve exprimĂ© d’une maniĂšre positive dans le poĂ«me de Ciris, attribuĂ© Ă  Virgile . . . . Formosior ansere LedƓ. 2 Atque esto, quidquid Servius, et Labeo. Servius Sulpicius, jurisconsulte trĂšs-estimĂ©, non-seulement pour son Ă©rudition, mais encore pour la vigueur avec laquelle il rĂ©sista aux entreprises de CĂ©sar, en disant librement ce qu’il croyait avantageux pour la rĂ©publique. Quelques-uns de ses amis lui ayant reprĂ©sentĂ© le danger qu’il courait Ă  lutter contre un ennemi aussi puissant que CĂ©sar, il leur rĂ©pondit avec fermetĂ© Suum cuique judicium est. LabĂ©on, autre jurisconsulte fort considĂ©rĂ©. Appien, au livre de la Guerre civile, en parle comme d’un homme d’une intĂ©gritĂ© et d’une fermetĂ© admirables. Horace, au contraire, meilleur courtisan que philosophe, le traite de fou, dans sa troisiĂšme satire, pour avoir refusĂ© le consulat qu’Auguste lui offrait. 3 Extraxit fortissimum jecur, et inde mihi futura prƓdixit. L’auteur fait allusion aux aruspices, qui prĂ©disaient les choses futures par l'inspection du foie et du cƓur des animaux sacrifiĂ©s, dont ils tiraient de bons ou de mauvais augures, selon le bon ou le mauvais Ă©tat de ces parties. C’est pour cela que PĂ©trone dit fortissimum jecur ; peut-ĂȘtre serait-il mieux de lire fortissimum, trĂšs-gras, trĂšs-bien engraissĂ©, du verbe farcire, farcio, fartum. CHAPITRE CXXXVIII. 1 Ipse Paris, dearum litigantium judex. C’est ainsi que je lis ce passage avec Douza ; et non pas lividinantium, comme le porte l’édition de Burmann ; ni vitilitigantium, comme le voulait Thomas Munckerus, qui aurait dĂ» laisser ce vieux mot dans Caton, oĂč il Ă©tait allĂ© le dĂ©terrer ; ni, comme l’imprime Nodot, libidinantium, qui signifie se livrant aux dĂ©bauches, ce qui serait ici un contre-sens. Du reste, je ne crois pas que le jugement de Paris ait jamais fourni une allusion plus ingĂ©nieuse que celle des six vers du XXIXe fragment, ci-dessus citĂ© De pretio formae quum tres certamen laissent, Electusque Paris arbiter esset eis ; PrƓfecit Venerem Paridis censura duabus, Deque tribus victƓ succubuere duƓ. Cum tribus ad Paridem si quarta probanda venites De tribus a Paridi quarta probata fores. 2 Nec me contumeliae lassant. Quod verberatus sum, nescio, peint ici avec autant de grĂące que de sentiment cette patience infatigable des vrais amants, qui souffrent tout sans se plaindre de leurs maĂźtresses, mĂȘme les traitements les plus indignes. On trouve Ă  ce sujet dans Properce, livre II, Ă©lĂ©gie 19 Ultro contemptus rogat, et peccasse fatetur Laesus, et invitis ipse redit pedibus ; et plus loin, dans la mĂȘme Ă©lĂ©gie Nil ego non patiar, nunquam ene injuria inutat. Ovide, dans son Art d’aimer liv. II, v. 533, fait Ă  son disciple un prĂ©cepte de cet oubli des injures Nec maledicta puta, nec verbera ferre puellae, Turpe, nec ad teneros oscula ferre pedes. CHAPITRE CXXXIX. 1 Gemini satiavit numinis iram Telephus. — Les deux divinitĂ©s dont il est question ici sont Minerve et Bacchus. Pour l’intelligence de ce passage, mal compris par la plupart des commentateurs, je suis obligĂ© d’entrer dans quelques dĂ©tails sur l’histoire fabuleuse de TĂ©lĂšphe, telle que la rapporte Apollodore, au livre III de l’Origine des dieux. Hercule, passant par TĂ©gĂ©e, devint amoureux d’Auge, prĂȘtresse de Minerve, et lui fit violence. Elle devint mĂšre, et mit au monde un enfant qu’elle cacha dans un bois qui environnait le temple de la dĂ©esse ; ce qui irrita tellement Minerve, qu’elle envoya la stĂ©rilitĂ© dans le pays. Les oracles consultĂ©s rĂ©pondirent qu’il y avait une impiĂ©tĂ© cachĂ©e dans le bois sacrĂ©. Il fut visitĂ© ; on y trouva l’enfant, et le pĂšre d’Auge le livra Ă  Nauplius, pour le faire mourir. Mais celui-ci le remit Ă  Teutras, roi de Mysie, qui le fit exposer sur le mont Parthenius, oĂč il fut allaitĂ© par une biche, en grec ÉXaoo ;, ce qui lui fit donner le nom de TĂ©lĂšphe. Étant devenu grand, il se rendit Ă  Delphes pour savoir quels Ă©taient ses parents, et, par le conseil de l’oracle, il prit le chemin de la Mysie, oĂč Teutras l’adopta pour son fils, et le dĂ©clara son hĂ©ritier. Il fut donc, comme on le voit, persĂ©cutĂ© dans son enfance par Minerve. Voici maintenant comment il Ă©prouva le courroux de Bacchus. Ce dieu protĂ©geait les Grecs lorsqu’ils se rendaient au siĂ©ge de Troie, TĂ©lĂšphe voulut dĂ©fendre contre eux le passage de la Mysie ; mais les pieds de son cheval s’empĂȘtrĂšrent dans un cep de vigne ; il tomba par terre, et fut blessĂ© par Achille, qui le guĂ©rit ensuite avec la mĂȘme lance dont il l’avait frappĂ©. Les commentateurs, qui ne connaissaient que la moitiĂ© de cette histoire, ont dit Ă  ce sujet bien des absurditĂ©s ; ils prĂ©tendent, par exemple, que gemini numinis dĂ©signe ici Minerve, qui mĂ©ritait ce sur-nom comme Ă©tant Ă  la fois la dĂ©esse des beaux-arts et des combats. 2 Teneo te inquit, qualem speraveram. Cette exclamation, teneo te ! je te tiens ! » lorsqu’on rencontre quelqu’un Ă  l’improviste, a passĂ© dans notre langue. Elle Ă©tait familiĂšre aux auteurs latins. ApulĂ©e MĂ©tamorphose, liv. x Teneo te, inquit, teneo meum palumbulum, meum passerem. TĂ©rence, dans son Heautontimorumenos,acte II, scĂšne 3 ANTIPHILA O mi Clinia, salve. CLINIAS. _____________Ut vales ? ANTIPHILA. Salvum advenisse gaudeo. CLINIAS. _____________________Teneone te, Antiphila, maxume animo exoptatam meo ? CHAPITRE CXL. 1 Philumene nomine, quae multas sĂŠpe hereditates officio ĂŠtatis extorserat. — JuvĂ©nal parle de ces gens qui extorquaient des testaments par de honteuses complaisances, satire I, vers 37 Quum te submoveant, qui testamenta merentur Noctibus. . . . . 2 Ut scias, me gratiosiorem esse quam Protesilaum, etc. — ProtĂ©silas, un des hĂ©ros grecs au siĂ©ge de Troie, dĂ©barqua le premier, et fut tuĂ© par Hector. Il Ă©tait fameux dans l’antiquitĂ© par le nombre de ses exploits amoureux. Laodamie, sa femme, l’aimait si Ă©perdument, que, pendant son absence, elle satisfaisait sa passion pour lui, en embrassant une statue de cire qu’elle avait fait faire Ă  sa ressemblance. Lorsqu’il fut mort, elle obtint des dieux sa rĂ©surrection pour trois jours, selon Lucien ; cependant Hyginus assure qu’elle n’en jouit que pendant trois heures. Trois heures ! c’était bien peu ; mais l’aimable revenant sĂ»t si bien mettre le temps Ă  profit, que Laodamie mourut de plaisir entre ses bras. 3 Liberorumque experientiam in arte. PĂ©trone a dĂ©jĂ  dit plus haut, en parlant du fils de l’honnĂȘte PhilumĂšne, doctissimus puer, ce garçon bien appris. » Cela rappelle cette vieille Ă©pigramme sur une jeune fille, savante avant l’ñge Hic jacet exutis Dionysia flebilis annis, Extremum tenui quĂŠ pede rupit iter ; Cujus in octavo lascivia surgere messe CĂŠperat, et dulces fingere nequitias. Quod si longa suĂŠ mansissent tempora vitae, Docrion in terris nulla puella foret. CHAPITRE CXLI. 1 Perusii idem fecerunt in ultima fame. — Au lieu de Perusii, Burmann lit Petavii, d’autres Petelini ; et ils s’appuient, pour dĂ©fendre celle leçon, sur plusieurs passages de Frontin StratagĂšmes, liv. IV, ch. 5, d’AthĂ©nĂ©e Deipnosophistes, liv. XII, de Tite-Live liv. XXIII, de Polybe liv. VII et de ValĂšre-Maxime liv. VI. Cependant, malgrĂ© ces imposantes autoritĂ©s, je pense, avec le docte Joseph Scaliger, qu’il faut lire Perusii, et que c’est ainsi que PĂ©trone avait Ă©crit. PĂ©rouse, comme on sait, est une ville de Toscane, bĂątie par les AchĂ©ens sur les bords du lac TrasimĂšne. L. Antoine y fut assiĂ©gĂ© par Auguste, qui ne parvint Ă  s’emparer de la ville qu’aprĂšs en avoir rĂ©duit les habitants Ă  une si horrible famine, qu’ils furent obligĂ©s de se nourrir de chair humaine, comme le rapportent Tite-Live, livre CXXVI ; SuĂ©tone, dans la Vie d’Auguste, chapitre 15 ; Frontin, livre IV, chapitre 5. Ausone confirme encore l’opinion de Scaliger par ce passage de sa vingt-deuxiĂšme Ă©pĂźtre, oĂč il joint, comme PĂ©trone, les Sagontins aux PĂ©rousins Jamjam perusina et saguntina fame Etc. C’est Ă  ce trait si connu que Lucain fait allusion par ces mots perusina fames. JuvĂ©nal sat. XV, v. 93 rapporte un trait semblable des Vascons ou Gascons de la ville de Calaguris, aujourd’hui Calahorra, dans l’Espagne Tarragonaise assiĂ©gĂ©s par PompĂ©e et MĂ©tellus, et rĂ©duits aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s, ils furent forcĂ©s, dit ValĂšre-Maxime, livre VII, chapitre 6, de faire un horrible festin de la chair de leurs femmes et de leurs enfants. Voici les vers de JuvĂ©nal Vascones, haec fama est, alimentis talibus olim Produxere animas sed res diversa, sed illic FortunƓ invidia est bellorumque ultima, casus Extremi, longƓ dira obsidionis egestas. Hujus enim, quod nunc agitur, miserabile debet Exemplum esse cibi sicut modo dicta mihi gens Post omnes herbas, post cuncta animalia, quidquid Cogebat vacui ventris furor, hostibus ipsis Pallorem ac maciem, et tenues miserantibus artus, Membra aliena fame laecrabant, esse parata Et sua. Quisnam hominum veniam dare, quisve deorum Viribus abnuerit dira atque immania passis, Et quibus illorum poterant ignoscere manes Quorum corporibus vescebantur ? etc. 2 Massilienses quoties pestilentia laborabant, etc. Ce passage de PĂ©trone est citĂ© par Servius, dans son commentaire sur ce passage du IIe livre de l’EnĂ©ide auri sacra fames. Lactance Placide, dans son commentaire sur le livre x de la ThĂ©baĂŻde de Stace, dit que cette coutume Ă©tait commune Ă  tous les Gaulois, et fait une ample description des cĂ©rĂ©monie que l’on observait dans le sacrifice de ces victimes expiatoires Lustrare civitatem, dit-il, humana hostia gallicus mos est. Nam aliquis de elegantissimis pellicebatur prƓmiis, ut se ad hoc venderet qui anno toto publicis sumptibus alebatur purioribus cibis ; denique certo et solemni die per totam civitatem ductus ex urbe, extra pomƓria saxis occidebutur a populo. Si quelque lecteur trouvait la conclusion du roman satirique de PĂ©trone trop horrible et trop peu vraisemblable, ce passage de Lactance suffirait, je pense, pour justifier notre auteur. NOTES SUR LES FRAGMENTS ATTRIBUÉS A PÉTRONE. I. 1 Cedit crinibus aurum. — On trouve la mĂȘme idĂ©e dans une piĂšce attribuĂ©e Ă  Gallus Pande, puella, pande capillulos Flavos, lucentes, ut aurum nitidum ; et dans Stace, AchillĂ©ide,livre I, vers 162 Fulvoque nitet coma gratior auro. 2 Ipsa tuos quum ferre velis per lilia gressus. Cette image gracieuse ne le cĂšde guĂšre Ă  celle de VirgileEnĂ©ide,liv. VII, V. 808, lorsqu’il dit, en parlant de Camille, reine des Volsques Illa vel intactae segetis per summa volaret Gramina, nec teneras cursu laesisset aristas. IV. 1 Transversosque rapit fama sepulta probris ? Ces mots transversos rapit rĂ©pondent Ă  ce passage de Septimius Guerre de Troie, liv. I, ch. 7 PrƓda ac libidine transversi agebantur V. 1 Primus in orbe deos fecit timor. — Ce vers se trouve littĂ©ralement dans la ThĂ©baĂŻde de Stace, livre III, vers 661, et LucrĂšce a paraphrasĂ© la mĂȘme idĂ©e Nunc quƓ causa deum per magnas numina gentes Pervolgarit, et ararum compleverit urbes ; . . . . . . . . . Unde etiam nunc est mortalibus insitus horror, Qui delubra deum nova toto suscitat orbi Terrarum. . . . . . . . . . . . . . . . . . PrƓter eas cƓli rationes, ordine certo, Et varia annorum cernebant tempora verti ; Nec poterant, quibus id fieret, cognoscere, causis ; Ergo perfugium sibi habebant omnia divis Tradere, et illorum nutu facere omnia flecti. VIII. 1 Invenias quod quisque velit. — Bourdelot a insĂ©rĂ© cette Ă©pigramme dans le chapitre CXXVI du Satyricon, aprĂšs ces mots Nisi in equestribus sedeo. XI. 1 Si commissa verens avidus reserare minister. — PĂ©trone semble avoir empruntĂ© Ă  Ovide MĂ©tamorphoses, liv. XI ces dĂ©tails sur la fable si connue des oreilles de Midas ; Ausone, dans sa vingt-troisiĂšme Ă©pĂźtre, la rapporte en ces termes Depressis scrobibus vitium regale minister Credidit, idque diu texit fidissima tellus. Inspirata dehinc vento cantavit arundo. XII. 1 Fallunt nos oculi, vagique sensus. — LucrĂšce Ă  traitĂ© le mĂȘme sujet, liv. IV, V. 354 Quadratasque procul turres quum cernimus urbis, Propterea fit uti videantur sƓpe rotundƓ, Angulus obtusus quia longe cernitur omnis ; Sive etiam potius non cernitur, ac perit ejus Plaga, nec ad nostras acies perlabitur ictus. XIV. 1 Sic format lingua fƓtum, quum protulit ursa.— On lit dans Ovide MĂ©tamorphoses, liv. XV, V. 379 Nec catulus, partu quem reddidit ursa recenti, Sed male viva caro est ; lambendo mater in artus Fingit ; et in formam, quantam capit ipsa, reducit. 2 Et piscis nullo junctus amore parit. — C’est une des nombreuses erreurs des anciens sur la gĂ©nĂ©ration des animaux ; elle n’a pas besoin d’ĂȘtre rĂ©futĂ©e, non plus que la prĂ©tendue virginitĂ© des mĂšres abeilles, que PĂ©trone, exprime ainsi trois vers plus loin Sic, sine concubitu, textis apis excita ceris Fervet, et audaci milite castra replet. Presque tous les traducteurs de Virgile ont prouvĂ© dans leurs notes l’absurditĂ© de cette opinion, Ă  propos de ces vers v. 198 et 199 du quatriĂšme livre des GĂ©orgiques Quod neque concubitu indulgent, nec corpora segnes In Venerem solvunt, aut fƓtus nixibus edunt XV. 1 Naufragus, ejecta nudus rate, quƓrit eodem, etc. — Ces vers ne semblent-ils pas inspirĂ©s par ceux-ci de Properce, liv. II, Ă©lĂ©g. 1, v. 43 ? Navita de ventis, de tauris narrat arator, Enumerat miles vulnera, pastor oves. 2 Grandine qui segetes et totum perdidit annum, — Ovide a dit de mĂȘme MĂ©tamorphoses,liv. I, v. 273 . . . . . Longique perit labor irritus anni. 1 XVII. 1 JudƓus et licet porcinum numen adoret, Et cƓli summas advocet auriculus. — PĂ©trone, par une mauvaise foi commune Ă  tous les paĂŻens, qui accusaient les juifs et les chrĂ©tiens de toutes sortes de crimes et d’infamies, prĂ©tend ici qu’ils adoraient la divinitĂ© sous la forme d’un porc, tandis que leur aversion pour cet animal immonde est un fait notoire. Peut-ĂȘtre prenaient-ils pour une preuve de respect religieux cette abstinence de la chair de porc. JuvĂ©nal est tombĂ© dans la mĂȘme erreur, lorsqu’il dit Nec distare putant humana carne suillam. Quant Ă  cette autre assertion de PĂ©trone, et cƓli summa advocet auriculas, on sait que Tacite, Appien d’Alexandrie, Molon et d’autres historiens profanes ont reprochĂ© aux juifs de conserver dans le sanctuaire de leur temple une tĂȘte d’ñne d’or massif, qui Ă©tait l’objet de leur culte le motif de ce culte disent les auteurs paĂŻens Ă©tait que les HĂ©breux, traversant le dĂ©sert sous la conduite de MoĂŻse, et dĂ©vorĂ©s par la soif, furent redevables de leur salut Ă  l’instinct de leurs Ăąnes, qui dĂ©couvrirent des sources d’eau oĂč tout le peuple de Dieu se dĂ©saltĂ©ra. L’historien JosĂšphe et Tertullien ont dĂ©montrĂ© clairement l’absurditĂ© de cette fable. Cependant les Romains dĂ©signaient les chrĂ©tiens ainsi que les juifs par le nom grossier d’asinarios, et, dans d’infĂąmes caricatures exposĂ©es en public, ils reprĂ©sentaient le Christ avec des oreilles d’ñne ; l’un de ses pieds se terminait par un sabot de corne ; il Ă©tait vĂȘtu d’une longue robe et portait un livre dans sa main ; et au-dessous de ces images monstrueuses ils mettaient cette inscription insolente Deus christianorum anoxĂštos. XIX. 1 Delos, jam stabili revincta terrĂŠ — Ce fragment est Ă©videmment imitĂ© de Virgile, EnĂ©ide, livre III, vers 73 Sacra mari colitur medio gratissima tellus Nereidum matri, et Neptuno Ægeo Quam pius arcitenens, oras et littora circum Errantem, Gyaro celsa Myconoque revinxit, Immotamque coli dedit, et contemnere ventos. 2 Olim purpureo mari natabat. — Dans ce vers, purpureus signifie brillant, et non pas pourprĂ© ; c’est encore une imitation de Virgile, GĂ©orgiques, livre IV, vers 373 In mare purpureum violentior effluit amnis. XXI. 1 Quando ponebam novellas arbores. — Parny semble avoir voulu imiter cette idĂ©e gracieuse dans ces vers Bel arbre, je viens effacer Ces deux noms qu’une main trop chĂšre, Sur ton Ă©corce solitaire, Se plut elle-mĂȘme Ă  tracer. Ne parte plus d’ÉlĂ©onore ; Rejette ces chiffres menteurs ; Le temps a dĂ©suni les cƓurs Que ton Ă©corce unit encore. XXXI. 1 Nolo nuces, Amarylli, tuas, nec cerea prima. — Allusion Ă  ces vers de la IIe Ă©glogue de Virgile Ipse ego cana legam tenera lanugine mala, Castaneasque nuces, mea quas Amaryllis amabat. Addam cerea pruna. . . . . XXXIII. 1 Quum mea me genitrix gravida gestaret in alvo. — Cette Ă©pigramme est, certes, un tour de force pour la prĂ©cision ; on ne peut dire plus en moins de mots. L’Anthologie entiĂšre, s’écrie La Monnoye dans l’enthousiasme de l’admiration, n’a rien de mieux tournĂ©, de plus fin, ni de plus joliment imaginĂ©. » ƒuvres choisies de La Monnoye, t. III, p. 418. La langue grecque est peut-ĂȘtre la seule jusqu’ici qui ait pu rendre avec grĂące les dix vers latins par dix vers Ă©quivalents ; et c’est ainsi que Politien, Lascaris et La Monnoye ont su traduire agrĂ©ablement en grec l’épigramme de l’Hermaphrodite. Nicolas Bourbon l’a refaite, je ne sais pourquoi, en latin ; elle se trouve dans ses NugƓ. Il s’en faut bien que cette copie vaille l’original. Jean Doublet, mademoiselle de Gournay, et La Monnoye lui-mĂȘme, ont essayĂ© d’en donner chacun une traduction française. La premiĂšre est en seize vers irrĂ©guliers, la deuxiĂšme en dix-huit vers alexandrins, la troisiĂšme en quatorze vers de dix syllabes. Ainsi la plus courte des trois est d’un tiers plus longue que l’original ; je la cite comme la meilleure, la voici Ma mĂšre enceinte, et ne sachant de quoi, S’adresse aux dieux ; lĂ -dessus grand’bisbille. Apollon dit C’est un fils, selon moi ; Et selon moi, dit Mars, c’est une fille ; Point, dit Junon, ce n’est fille ni fils. Hermaphrodite ensuite je naquis. Quant Ă  mon sort, c’est, dit Mars, le naufrage ; Junon, le glaive ; Apollon, le gibet. Qu’arriva-t-il ? Un jour, sur le rivage, Je vois un arbre, et je grimpe au sommet Mon pied se prend ; la tĂȘte en l’eau je tombe, Sur mon Ă©pĂ©e. Ainsi, trop malheureux, A l’onde, au glaive, au gibet je succombe, Fille et garçon, sans ĂȘtre l’un des deux. M. de Guerle a essayĂ© de faire en français ce que Politien, Lascaris et La Monnoye ont fait en grec ; voici son imitation qui, Ă  dĂ©faut d’autre mĂ©rite, a du moins celui de la prĂ©cision Ma mĂšre enceinte, un jour, vint consulter les dieux. Que dois-je mettre au jour ? — Un fils, dit Aphrodite, PhĂ©bus dit une fille ; — et Junon nul des deux. — Enfin, me voilĂ  nĂ©. Que suis-je ? Hermaphrodite. Sur ma mort divisĂ©s, Pan me voue au gibet, Mars au glaive, Bacchus m’envoie Ă  la riviĂšre. Aucun ne faut. Un saule ornait une onde claire ; J’y grimpe. Sur ma brette, en glissant du sommet, Je tombe, nez dans l’eau, pieds en l’air, et rends l’ñme, PercĂ©, noyĂ©, pendu, sans nul sexe, homme et femme. XXXIV. 1 Me nive candenti petiit modo Julia. — CharmĂ© de la dĂ©licatesse qui caractĂ©rise la pensĂ©e et l’expression de l’épĂźgramme de PĂ©trone, La Monnoye a voulu la faire passer dans notre langue ; on va juger si la copie a conservĂ© les grĂąces de l’original Que dans la neige il se trouve du feu, Pas n’aurais cru que cela se pĂ»t faire ; Mais lorsqu’Iris, par maniĂšre de jeu, Hier m’en jeta, j’éprouvai le contraire. Par un effet qui n’est pas ordinaire, Mon cƓur d’abord brĂ»la du feu d’amour ; Or, si ce feu part du propre sĂ©jour OĂč le froid semble avoir Ă©lu sa place, Pour m’empĂȘcher de brĂ»ler nuit et jour, N’usez, Iris, de neige ni de glace Mais, comme moi, brĂ»lez Ă  votre tour. Longtemps avant La Monnoye, ClĂ©ment Marot avait imitĂ© la mĂȘme Ă©pigramme dans son style naĂŻf et badin Anne, par jeu, me jeta de la neige, Que je cuidois froide certainement Mais c’étoit feu, l’expĂ©rience en ai-je, Car embrasĂ© je fus soudainement. Puisque le feu loge secrĂštement Dedans la neige, oĂč trouverai-je place Pour n’ardre point ? Anne, ta seule grĂące Esteindre peult le feu que je sens bien, Non point par eau, par neige, ne par glace, Mais par sentir un feu pareil au mien. FIN DES NOTES. ↑ TACITE, Annales, liv. XV, ch. 37. ↑ Ibid., liv. XVI, ch. 14 et 18. ↑ Huetiana, Jugement sur PĂ©trone. ↑ Tacite, Annales, liv. XVI, ch. 14 et 18. ↑ Vossius de Poetis latinis prĂ©tend que les vers de NĂ©ron n’étaient pas Ă  mĂ©priser ; et Voltaire dit quelque part, en parlant de cet empereur Ce jeune prince, aprĂšs tout, avait de l’esprit et des talents. » Mais Perse a rĂ©futĂ© d’avance ce sentiment par ce vers qu’il applique Ă  NĂ©ron, dans sa premiĂšre Satire Auriculas asini Mida rex habet

 ↑ Selon Tacite, NĂ©ron Ă©tait d’un extĂ©rieur agrĂ©able ; SuĂ©tone le fait difforme. Auquel ajouter foi ? ↑ Lactance-Placide, Comment. in Stacii ThebaĂŻd. Il ne faut pas confondre, comme quelques-uns l’ont fait, ce grammairien avec Lactance le Philosophe tous deux fleurirent sous Constantin. ↑ Hist. litt. de France, in-4°, tome I. ↑ Histoire secrĂšte de NĂ©ron. C’est le titre que Lavaur a donnĂ© Ă  sa traduction du festin de Trimalchion. ↑ Les disputes de ce genre ne sont pas rares chez les savants. Le Parnasse, selon Boccalin, fut longtemps partagĂ© entre Lambin et Manuce, pour un p il s’agissait de savoir s’il fallait Ă©crire consumptus ou consumtus. Que de veilles passa Politien Ă  rechercher si l’on doit prononcer ↑ Varron, citĂ© par CicĂ©ron dans ses Questions acadĂ©miques, liv. 1. ↑ Rollin, Hist. ancienne. ↑ Rapin, de Poesi. ↑ Valesius, Dissert. sup. fragm. tugur. ↑ Bayle, Éclaircissements sur les obscĂ©nitĂ©s, etc. ↑ Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot PĂ©trone. ↑ Basnage, Histoire des ouvrages des savants. — Cette assertion de Basnage n’a rien qui m’étonne. Le doute des savants dont il parle Ă©tait-il au fond si dĂ©raisonnable ? N’avait-on pas dĂ©jĂ  vu les plus fins critiques pris pour dupes dans plus d’une occasion de cette nature ? Sans parler du tour de Michel-Ange, qui ne sait que Muret fit prendre ↑ On connaĂźt l’équivoque de nom qui fit faire inutilement un long voyage Ă  Henry Meibomius, professeur dans l’universitĂ© de Helmstadt. Le bruit venait de se rĂ©pandre c’était en 1691 qu’on avait trouvĂ© un manuscrit complet de la satyre de PĂ©trone ; il n’en Ă©tait rien. Meibomius, ayant lu dans un itinĂ©raire d’Italie Petronius BononiƓ intiger asservatur, egoque ipsum meis oculis non sine admiratione vidi, il part aussitĂŽt de Lubeck pour aller voir cette merveille. À peine arrivĂ© Ă  Bologne, il court chez le mĂ©decin Copponi qu’il connaissait de rĂ©putation ; et lĂ , ouvrant son livre dont il avait exprĂšs marquĂ© la page, il lui demande si le fait est vĂ©ritable. TrĂšs-vĂ©ritable, rĂ©pond le mĂ©decin ; et je puis faire en sorte, par mon crĂ©dit, que votre curiositĂ© soit satisfaite. » Meibomius le suit avec une joie qui ne se peut exprimer ; mais quelle fut sa surprise, lorsque son guide, l’ayant conduit Ă  la porte de l’église, le pria d’entrer, lui disant que c’était lĂ  qu’il trouverait ce qu’il cherchait. Comment ! s’écria Meibomius, dans une Ă©glise, un livre aussi infĂąme ? — Que voulez-vous dire, interrompit Copponi, avec votre livre infĂąme ! C’est ici l’église de Saint-PĂ©trone, Ă©vĂȘque et patron de Bologne ; on y garde son corps tout entier, et vous allez vous-mĂȘme le voir tout Ă  l’heure. » Meibomius reconnut le quiproquo ; et Copponi de rire. ↑ Lavaleterie, ƒuvres mĂȘlĂ©es de Saint-Évremond. ↑ L’abbĂ© Margon fit mieux que de traduire le Festin de Trimalchion il le rĂ©alisa. Cet abbĂ©, fort gourmand de son naturel, ayant un jour reçu du rĂ©gent, je ne sais trop pour quel service secret, une gratification de 30,000 francs, imagina de la manger dans un souper, qu’il pria son patron de lui laisser donner Ă  Saint-Cloud. Il en fit la disposition, PĂ©trone Ă  la main, et exĂ©cuta, avec la plus grande exactitude, le repas de Trimalchion. On surmonta toutes les difficultĂ©s Ă  force de dĂ©penses. Le rĂ©gent eut la curiositĂ© d’aller surprendre les acteurs, et il avoua qu’il n’avait jamais rien vu de si original. ↑ BoisprĂ©aux ou Dujardin n’a pas trouvĂ© grĂące aux yeux de FrĂ©ron, qui s’écrie Pourquoi BoisprĂ©aux a-t-il Ă©nervĂ© la force des pensĂ©es de PĂ©trone par des paraphrases insipides, Ă©teint le feu de ses idĂ©es par des tours froids et languissants, altĂ©rĂ© la charmante naĂŻvetĂ© de ses sentiments par un choix affectĂ© de mots prĂ©cieux ; substituĂ©, en un mot, Ă  un original plein de vie une copie languissante et inanimĂ©e ? N’est-ce pas imiter ce tyran dont il est parlĂ© dans Virgile, qui appliquait des corps morts Ă  des corps vivants ? »

Pourmoi la facilitĂ© n'est pas un dĂ©faut car c'est ce qui ma permis justement de m'y mettre et de me lancer dans un genre de jeu jusque lĂ  inconnu pour moi: les RPG jap, Blue Dragon ma ouvert la voie et il m'aura bien marquĂ© ça aura Ă©tĂ© une sacrĂ© expĂ©rience avec 60h de jeu pour la quĂȘte principale, n'ayant presque pas fait de quĂȘte secondaire car a la fin un petit vaisseau volant
Les avertissements se multiplient Ă  propos du rapport fou » que le gouvernement libĂ©ral utilise pour faire pression pour la rĂ©glementation des fournisseurs de contenu multimĂ©dia Internet. L’importance de le mettre dehors! Les avertissements continuent de se multiplier Ă  propos du rapport fou» et invasif» qui recommande au gouvernement libĂ©ral du Canada d’enregistrer et de rĂ©glementer les fournisseurs de contenu multimĂ©dia Internet. Un certain nombre de commentateurs au Canada et Ă  l’étranger ont dĂ©noncĂ© le rapport du comitĂ© d’examen de la radiodiffusion et des tĂ©lĂ©communications BTLR publiĂ© la semaine derniĂšre comme un plan Ă  couper le souffle» et sans prĂ©cĂ©dent pour rĂ©glementer Internet. Le groupe d’experts en radiodiffusion rĂ©uni par le gouvernement et prĂ©sidĂ© par Janet Yale a Ă©tĂ© chargĂ© de conseiller les libĂ©raux sur la rĂ©vision des lois sur la radiodiffusion prĂ©tendument obsolĂštes du pays. Son rapport recommandait une expansion massive du Conseil de la radiodiffusion et des tĂ©lĂ©communications canadiennes CRTC sous le nom de Commission canadienne des communications. Une recommandation clĂ© Ă©tait d’étendre les licences actuellement accordĂ©es aux stations de radio et de tĂ©lĂ©vision Ă  tous les contenus mĂ©diatiques, ainsi qu’un rĂ©gime de conformitĂ© beaucoup plus strict », a notĂ© John Ivison du National Post . En effet, ce projet est si strict que deux anciens membres du CRTC sont parmi les critiques les plus fĂ©roces du rapport. L’ancien vice-prĂ©sident des tĂ©lĂ©communications du CRTC, Peter Menzies, a Ă©crit dans le Globe and Mail que, dans une expansion Ă  couper le souffle de la portĂ©e et de l’orgueil bureaucratique» et une sĂ©rie de recommandations invasives et injustifiables», le comitĂ© a plaidĂ© pour une sĂ©rie d’interventions radicales qui soumettre tous les mĂ©dias en ligne – des sites en ligne tels que Rabble Ă  Rebel News et dans n’importe quelle langue – Ă  la rĂ©glementation gouvernementale. » Cela a Ă©tĂ© repris par l’ancien commissaire du CRTC, Timothy Denton, qui, dans un Ă©ditorial du Financial Post, a Ă©crit que le rapport prĂ©conise une prise de pouvoir sans prĂ©cĂ©dent pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral et le CRTC» visant rien de moins qu’une contre-rĂ©volution d’État contre Internet . Cela a Ă©tĂ© repris par le cĂ©lĂšbre expert et commentateur politique canadien Andrew Coyne . Le rapport est Ă  couper le souffle – une prise de pouvoir rĂ©glementaire sans prĂ©cĂ©dent, que ce soit au Canada ou dans le monde dĂ©mocratique», a notĂ© Coyne dans le Globe and Mail. Personne ailleurs ne propose quelque chose comme ça, et pour une bonne raison parce que c’est fou. » Mais ce que le gouvernement libĂ©ral fera, reste une question cruciale aprĂšs que le ministre du Patrimoine, Steven Guilbault, a provoquĂ© une tempĂȘte de feu en semblant d’abord approuver l’idĂ©e de licences gouvernementales pour les sites d’actualitĂ©s Internet, puis en inversant sa position le lendemain. Dimanche, Guilbault a dĂ©clarĂ© Ă  CTV News Si vous ĂȘtes un distributeur de contenu au Canada
 nous demanderions qu’ils aient une licence, oui.» Lundi, le ministre et le premier ministre ont tous deux insistĂ© sur le fait que les libĂ©raux n’autoriseraient pas Internet nouvelles ou rĂ©glementer les nouvelles sur Internet. Mais ce n’est pas vraiment rassurant Ă©tant donnĂ© que le rapport recommande que les entreprises diffusant du contenu mĂ©diatique par le biais d’Internet soient tenues de s’inscrire auprĂšs de la nouvelle Commission canadienne des communications» et qu’il ne mentionne ici aucune exemption pour les organismes de presse», a notĂ© Ivison. Et bien que les implications du rapport pour la libertĂ© de la presse soient Ă©videntes – si Ă©videntes que l’on s’attendrait Ă  ce que l’ensemble de l’industrie de la presse se lĂšve comme une seule et la rejette», il contient Ă©galement une offre de goodies» pour ce secteur assiĂ©gĂ©, a observĂ© Coyne. En effet, mĂȘme si les critiques allĂšguent que le renflouement des mĂ©dias» de 595 millions de dollars du gouvernement Trudeau annoncĂ© dans son dernier budget compromet les anciens mĂ©dias du Canada, le rapport dĂ©crit plus de façons le gouvernement pourrait aider les mĂ©dias» Ă  perdre face aux concurrents numĂ©riques, le Globe and Mail signalĂ©. Il recommande aux fournisseurs de contenu mĂ©diatique en ligne de s’inscrire auprĂšs du CRTC et de verser des fonds pour soutenir certains organismes de presse canadiens, a-t-il indiquĂ©. Les journaux seraient admissibles Ă  des subventions payĂ©es sur les taxes sur les agrĂ©gateurs et les partageurs, qui seraient Ă©galement obligĂ©s de crĂ©er des liens» vers les sites de nouvelles canadiens que le CRTC juge exacts, fiables et fiables», a expliquĂ© Coyne. Allons-nous vraiment mordre la main qui nous nourrit, maintenant ou dans le futur? », A-t-il ajoutĂ©. Les libĂ©raux et leurs bĂ©nĂ©ficiaires croient qu’ils sauvent un journalisme de qualitĂ© », a notĂ© Ivison, alors que tout le monde pense que c’est un pot-de-vin transparent. » Cela est repris par Jack Fonseca, directeur des opĂ©rations politiques de Campaign Life Coalition, le groupe national de lobbying pro-vie et pro-famille du Canada. Le renflouement libĂ©ral des mĂ©dias grand public privĂ©s Ă©tait un pot-de-vin pour garantir que les principaux mĂ©dias deviendront dĂ©pendants du gouvernement, et donc ne rapporteraient rien de critique Ă  propos de Trudeau, ou autre, a-t-il dĂ©clarĂ© Ă  LifeSiteNews. Cela ressemble aux nouvelles rĂšgles du gouvernement libĂ©ral pour museler les soi-disant annonceurs tiers au moment des Ă©lections, y compris de simples informations affichĂ©es sur des sites Web canadiens», a-t-il dit. Fonseca soutient que ces rĂšgles ont Ă©tĂ© conçues pour dĂ©manteler toutes les petites voix conservatrices qui pourraient critiquer les politiques libĂ©rales, y compris celle de Campaign Life Coalition. En fait, nous avons dĂ» fermer notre Guide des Ă©lecteurs pro-vie pendant des mois pendant les Ă©lections, puis restreindre massivement son accĂšs. » Justin Trudeau avec l’une de ses idolesle chef communiste chinois Xi Jin Trudeau ont toujours aimĂ© les dictateurs communistes. Les Canadiens devraient considĂ©rer le rĂ©cent rapport controversĂ© sur la radiodiffusion dans le contexte de ce qu’ils savent des libĂ©raux, et en particulier du Premier ministre, qui en mai 2014 a exprimĂ© son admiration pour la dictature fondamentale de la Chine», a-t-il soulignĂ©. Nous devons croire Trudeau au mot et ne pas simplement rire de lui comme s’il Ă©tait une sorte de blague. Il Ă©tait mortellement sĂ©rieux. Une dictature de base est ce qu’il admire. Et il semble assez clair que c’est lĂ  qu’il essaie de diriger le pays, avec un plan clair dans son esprit », a dĂ©clarĂ© Fonseca. La possibilitĂ© que les libĂ©raux puissent crĂ©er un registre des mĂ©dias »et commencer Ă  octroyer des licences aux mĂ©dias Internet et aux mĂ©dias sociaux est le dernier d’une sĂ©rie de signes avant-coureurs que Justin Trudeau est l’homme le plus dangereux de l’histoire politique canadienne», a-t-il ajoutĂ©. De plus, si les libĂ©raux vont de l’avant avec ce plan, il est raisonnable de supposer que des sites Web comme mon site » seraient obligĂ©s de fermer parce que le gouvernement libĂ©ral refuserait de leur accorder une licence», a averti Fonseca. En bref, les libĂ©raux auront un contrĂŽle total sur Internet et le pouvoir de bloquer toutes les voix dissidentes. » Informations de contact L’honorable Steven Guilbeault – ministre du Patrimoine canadien 15, rue Eddy, 12e Ă©tage Gatineau QuĂ©bec K1A 0M5 TĂ©lĂ©phone 819-997-7788 Courriel DĂ©putĂ©e conservatrice Michelle Rempel Garner Ministre fantĂŽme de l’industrie et du dĂ©veloppement Ă©conomique Suite 115, 70 Country Hills Landing NW Calgary, AB T3K 2L2 TĂ©lĂ©phone 403-216-7777 Courriel Justin Trudeau – Cabinet du Premier ministre 80, rue Wellington Ottawa, ON K1A 0A2 TĂ©lĂ©copieur 613-941-6900 L’épisode de la Blackface » va continuer de hanter le politicien camĂ©lĂ©on qu’est le franc maçon Justin Trudeau. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, rĂ©cemment rendu tristement cĂ©lĂšbre au sujet de photos refait surface, a chargĂ© ses ministres de crĂ©er une nouvelle loi visant Ă  lutter contre le discours de haine» sur les mĂ©dias sociaux. La lettre de mandat , envoyĂ©e au ministre du Patrimoine canadien, appelle Ă  l’élaboration d’une loi imposant des sanctions importantes» aux sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux qui ne suppriment pas les soi-disant discours de haine dans les 24 heures. La lettre mentionne le discours de haine» pour une attention particuliĂšre, avant de passer Ă  d’autres Ă©lĂ©ments comme l’exploitation des enfants et le terrorisme. CrĂ©er de nouvelles rĂ©glementations pour les plateformes de mĂ©dias sociaux, en commençant par l’exigence que toutes les plateformes suppriment le contenu illĂ©gal, y compris les discours de haine, dans les 24 heures ou encourent des sanctions importantes. Cela devrait inclure d’autres prĂ©judices en ligne tels que la radicalisation, l’incitation Ă  la violence, l’exploitation des enfants ou la crĂ©ation ou la diffusion de propagande terroriste. Le gouvernement Trudeau semble suivre l’exemple d’États europĂ©ens comme l’Allemagne, qui inflige dĂ©jĂ  des amendes pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros aux entreprises technologiques qui ne parviennent pas Ă  supprimer rapidement le soi-disant discours de haine». Les lĂ©gislateurs français ont mĂȘme envisagĂ© d’emprisonner des responsables d’entreprises technologiques. qui ne rĂ©pondent pas aux demandes de suppression de contenu haineux». Le Canada est l’un des signataires de l Appel Ă  l’action de Christchurch», une demande collective de divers États-nations pour que les sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux rĂ©priment l’extrĂ©misme». Les États-Unis ont publiquement refusĂ© de signer, invoquant des problĂšmes de libertĂ© d’expression. Il n’est pas clair si les photos au visage noir publiĂ©es sur les mĂ©dias sociaux seront qualifiĂ©es de discours de haine» en vertu de la loi canadienne prĂ©vue. ObligĂ© de verser 1800 euros Ă  des organisations antiracistes pour son crime d’opinion. Reynaud Camus entourĂ© de supporteurs lors d’un rassemblement l’an passĂ©. L’intellectuel français Reynaud Camus a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  2 mois de prison avec sursis pour avoir dĂ©clarĂ© que l’immigration massive en Europe reprĂ©sente une invasion». Camus ne pourra Ă©viter la prison qu’en versant 1800 euros Ă  deux organisations antiracistes», SOS Racisme et la LICRA Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme. L’homme, qui est l’auteur du Grand Remplacement The Great Replacement, a Ă©tĂ© inculpĂ© d’incitation publique Ă  la haine ou Ă  la violence sur la base de l’origine, de l’ethnie, de la nationalitĂ©, de la race ou de la religion». La condamnation dĂ©coule d’un discours prononcĂ© en novembre 2017 Ă  Colombey-les-deux Eglises devant le Conseil national de la rĂ©sistance europĂ©enne dans lequel Camus a dĂ©clarĂ© L’immigration est devenue une invasion». La colonisation irrĂ©versible est la colonisation dĂ©mographique, par le remplacement de la population », a dĂ©clarĂ© l’auteur, ajoutant La substitution ethnique, le grand remplacement, est l’évĂ©nement le plus important de l’histoire de notre nation depuis son existence; comme pour les autres, si l’histoire continue, ce ne sera pas celle de la France. » Camus a Ă©galement appelĂ© Ă  un consensus national de rĂ©sistance» pour s’opposer Ă  l’islamisation dans la lutte pour le salut de notre civilisation commune, celtique, slave, germanique, grĂ©co-latine, judĂ©o-chrĂ©tienne». Reynaud Camusun homme de rĂ©flexions sur notre avenir collectif! La partie du discours de Camus qui a spĂ©cifiquement attirĂ© l’attention des juges Ă©tait lorsqu’il a parlĂ© du remplacement des EuropĂ©ens. Camus a dĂ©clarĂ© que l’immigration de masse est la substitution, la tendance Ă  tout remplacer par son Ă©mulateur, normalisĂ©, standardisĂ©, interchangeable l’original avec sa copie, l’authentique avec son imitation, le vrai avec le faux, les mĂšres avec les mĂšres porteuses, la culture avec du temps libre et du divertissement. La France subit des attaques terroristes islamiques sur une base tellement routiniĂšre que ce n’est mĂȘme plus un sujet d’actualitĂ© important. Beaucoup de ces terroristes sont radicalisĂ©s par des mosquĂ©es qui Ă©chappent Ă  tout contrĂŽle policier, mais Camus doit ĂȘtre puni pour son crime d’opinion. Et voila. La libertĂ© d’expression est dĂ©sormais un crime en France. EN CONCLUSION Ce qui arrive en France,s’intĂšgre hypocritement dans la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise,mon pays,une petite Ăźle dans l’ocĂ©an menacĂ© de l’Occident ChrĂ©tien! Lentement mais surement,l’idĂ©e fait son chemin dans ce qui sert de cervelle Ă  Justin Trudeau,premier-ministre libĂ©ral du avons vu rĂ©cemment l’utilisation de la vieille mĂ©thode dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©e lors du dernier rĂ©fĂ©rendum sur la souverainetĂ© du QuĂ©bec,en s’agit de financer des petits groupes,corrompre le plus possible,sans que l’on apparaisse dans le portrait
et ça marche! La loi 21 sur la laĂŻcitĂ© au QuĂ©bec,est une loi qui peut protĂ©ger au minimum nos institutions nationales,mais pour les fĂ©dĂ©ralistes,c’est inacceptable!Pour Justin Trudeau,comme pour jadis,son pĂšre,il est intolĂ©rable que le QuĂ©bec cherche davantage Ă  se protĂ©ger de son sacro-saint multiculturalisme,surtout face aux musulmans trĂšs radicaux qui sont dĂ©jĂ  anglicisĂ©s et qui prĂȘchent comme lui,l’élimination de toute colonne vertĂ©brale » venant du peuple quĂ©bĂ©cois et de son gouvernement,mĂȘme s’il s’agit d’un nationalisme mou!Dans le futur,vouloir devenir un QuĂ©bec fort,va ĂȘtre cataloguĂ© comme Ă©tant du racisme,de l’antisĂ©mitisme du fascisme,etc,etc,etc Je pense sĂ©rieusement que Reynaud Camus vient de nous montrer une voie sĂ©rieuse pour combattre et revendiquer notre libertĂ© d’ appel Ă  un consensus national de rĂ©sistance» pour s’opposer Ă  l’islamisation dans la lutte pour le salut de notre civilisation commune, celtique, slave, germanique, grĂ©co-latine, judĂ©o-chrĂ©tienne» rĂ©sonne trĂšs fort dans mon esprit et m’interpelle ,ici-mĂȘme,au coeur de mon beau pays du QuĂ©bec. Vivement organisons notre rĂ©sistance nationale face Ă  l’oppression de la gauche agenouillĂ©e devant l’Islam!Ne nous laissons pas remplacer » par ces fanatiques dociles! Vive la France et vive le QuĂ©bec Libre! Vive Reynaud Camus! 
avec sa dĂ©claration provocante et annonciatrice d’un futur apocalyptique pour le Canada Justin Trudeau l’Islam doit entrer dans L’ADN du Canada» Discours de Justin qui date de 2012 qui s’adressait aux musulmans . Lisez bien c’est trĂšs clair on peu voir trĂšs bien ses intentions qui sont en train de se rĂ©aliser. Chers compatriotes musulmans, Bism ellahi al rahmani el rahimi. C’est avec un profond respect et une fiertĂ© sans bornes que je m’adresse Ă  vous, et j’aimerais tout d’abord vous remercier de m’avoir invitĂ© Ă  vous adresser la parole. Certains se sont posĂ© cette question que va faire un dĂ©putĂ© libĂ©ral, qui est aussi candidat Ă  la chefferie de son parti, dans une confĂ©rence islamique ? La rĂ©ponse est simple et elle se trouve dans le thĂšme de votre confĂ©rence faire revivre l’esprit de l’islam. C’est tout Ă  fait cela, car je ne vois aucune incompatibilitĂ© entre l’esprit de l’islam et la cause que je dĂ©fends et que mon propre pĂšre a dĂ©fendue dans le passĂ©. Cette confĂ©rence est Ă©galement pour moi l’occasion de faire revivre l’esprit de mon pĂšre Pierre Eliott Trudeau. Sans lui, sans la lutte qu’il a menĂ©e pour le pluralisme et le multiculturalisme, une confĂ©rence comme la vĂŽtre n’aurait pas pu se tenir. Je veux vous dire que j’ai l’intention de m’inspirer de lui et de poursuivre son Ɠuvre. Mon pĂšre voulait changer le visage du Canada et je crois qu’il a rĂ©ussi dans son temps on parlait de deux peuples fondateurs, cette idĂ©e est heureusement morte et enterrĂ©e. Il n’ y a plus de peuples fondateurs mais des communautĂ©s culturelles qui, grĂące Ă  la politique d’immigration ouverte et Ă  la protection de la Charte des droits, se sont dĂ©veloppĂ©es et se sont imposĂ©es partout au Canada. Il n’y a pas si longtemps GĂ©rard Bouchar d’un historien et penseur du QuĂ©bec, a comparĂ© sa province Ă  un train oĂč chaque communautĂ© culturelle occupe son propre wagon, cette image est juste et elle s’applique Ă©galement Ă  tout le Canada. Je suis fier d’ĂȘtre l’hĂ©ritier spirituel de mon pĂšre et j e vais vous dire comment je pourrai complĂ©ter son Ɠuvre j’estime que le Canada n’a pas assez changĂ© et qu’il lui reste beaucoup de chemin Ă  faire, mais auparavant j’aimerais vous assurer de mon profond respect pour la cause que vous dĂ©fendez. En m’invitant vous Ă©tiez au courant de mon ouverture d’esprit Ă  l’égard de l’islam, et vous ne vous ĂȘtes pas trompĂ©s. Je vois dans cette salle les hommes assis d’un bord de l’allĂ©e centrale et les femmes de l’autre, les hommes portent la barbe et les femmes sont voilĂ©es, certaines le sont complĂštement et cela me remplit de fiertĂ©, car c’est la preuve que les musulmans au Canada pratiquent leur religion comme ils le veulent et comme elle doit ĂȘtre pratiquĂ©e. Mais cela n’est pas suffisant, car il faut que l’esprit de l’islam, cet esprit que vous faites revivre, inspire davantage les politiques des diffĂ©rents paliers de gouvernement. L’esprit et les valeurs de l’islam devront dĂ©sormais faire partie des valeurs canadiennes. L’islam doit entrer dans l’ADN du Canada ! Si je suis Ă©lu chef du Parti libĂ©ral et si avec votre appui je deviens Premier ministre du Canada, j’aurai comme prioritĂ© votre participation Ă  l’élaboration et la rĂ©daction des lois, afin qu’elles reflĂštent votre culture et les valeurs islamiques. Il n’y a pas si longtemps on dĂ©battait au QuĂ©bec des accommodements raisonnables. Cette expression me choque car je ne vois pas en quoi des accommodements peuvent ĂȘtre raisonnables ou non, c’est la notion mĂȘme d’accommodement qu’il faut bannir. Les musulmans n’ont pas Ă  attendre ou Ă  espĂ©rer des accommodements, dans le Canada que je dirigerai, ils prendront toute la place qu’ils jugeront nĂ©cessaire sans restriction ni compromis. Le Canada ne peut pas ĂȘtre multiculturel Ă  moitiĂ© ou aux trois – quarts, il doit l’ĂȘtre entiĂšrement. Le musulman qui dĂ©cide de venir vivre au Canada ne doit pas se sentir moins musulman ici que dans son pays d’origine, c’est ça l’esprit du multiculturalisme. Vivre pleinement l’islam est votre objectif, il me fait plaisir de vous annoncer qu’il est Ă©galement le mien, qu’il sera trĂšs bientĂŽt un objectif inscrit au programme du Parti libĂ©ral et, inch’Allah , un objectif du gouvernement que je dirigerai avec votre appui. Le multiculturalisme a pour raison d’ĂȘtre de prĂ©server et de faire la promotion de toutes les cultures. Cela veut dire que les cultures qui aspirent Ă  l’authenticitĂ© et qui prĂȘchent pour un retour aux sources doivent ĂȘtre encouragĂ©es Ă  le faire. Votre confĂ©rence d’aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cet objectif, vous avez le droit et je dirai mĂȘme le devoir de marquer votre diffĂ©rence, ce en quoi vous vous distinguez, la sociĂ©tĂ© canadienne a l’obligation de vous accepter tels que vous choisissez d’ĂȘtre et de vous comporter, c’est en cela qu’elle fera la preuve de sa tolĂ©rance et de son ouverture. Le Canada ne peut pas prĂ©tendre ĂȘtre vraiment multiculturel s’il contraint les musulmans Ă  se soumettre Ă  des lois diffĂ©rentes de celles qui sont prescrites par l’islam. Les lois canadiennes sur le mariage, le divorce, la garde des enfants, la violence conjugale, le patrimoine familial, les successions, ne sont pas islamiques, le Canada n’a donc pas le droit de les imposer aux musulmans. Il en va de mĂȘme pour l’enseignement Ă  l’école, si les musulmans jugent contraire Ă  leur foi l’enseignement de certaines matiĂšres, leurs enfants devront en ĂȘtre exemptĂ©s. Le monde change et Ă©volue, le Canada doit aussi changer et Ă©voluer. Nous avons une Charte des droits et des libertĂ©s qui a bien servi les Canadiens mais qui doit ĂȘtre remise Ă  jour pour mieux les servir en tenant compte des changements sociaux et culturels survenus au cours des trente derniĂšres annĂ©es. La conception que nous nous faisons de l’égalitĂ© entre citoyens et en particulier de l’égalitĂ© des sexes ne doit pas ĂȘtre imposĂ©e telle quelle Ă  tout le monde mais adaptĂ©e ou modifiĂ©e dans l’esprit du multiculturalisme. Il n’y a rien d’absolu dans l’égalitĂ© des sexes, dans ce domaine votre conception diffĂšre de la nĂŽtre et je ne vois pas pourquoi notre conception doit s’appliquer sur vous. Nous devons mettre fin Ă  l’impĂ©rialisme dans le champ des valeurs nos valeurs ne doivent pas empiĂ©ter sur les vĂŽtres. Faire revivre l’esprit islamique c’est faire prendre conscience aux musulmans du Canada que le multiculturalisme canadien leur permet d’ĂȘtre pleinement musulmans sur tous les plans, y compris dans le domaine des droits et des libertĂ©s Notre Charte des droits et des libertĂ©s donne une place trĂšs large Ă  la libertĂ© d’expression, certaines balises ont Ă©tĂ© Ă©tablies pour que la libertĂ© d’expression ne permette pas certains excĂšs comme l’incitation Ă  la haine. Les temps ont changĂ© et ces balises ne sont plus suffisantes car nous voyons de plus en plus de gens qui profitent de la libertĂ© d’expression pour rapporter toutes sortes de choses sur des sujets que les musulmans considĂšrent comme sacrĂ©es. Fort heureusement les mĂ©dias s’abstiennent de les diffuser pour ne pas offenser les musulmans, mais cela ne suffit pas et il faudra se donner et vous donner les moyens lĂ©gaux de mettre fin Ă  la critique. La politique extĂ©rieure du Canada devra reflĂ©ter sa rĂ©alitĂ© intĂ©rieure et comme la communautĂ© islamique aura une place de premier plan dans le pays que je dirigerai, il va sans dire que le Canada devra rĂ©orienter sa politique Ă©trangĂšre et harmoniser ses action s avec celles des pays musulmans. Ma prioritĂ© si je deviens Premier ministre du Canada sera d’établir des relations amicales et de collaborer Ă©troitement avec l’Organisation de la ConfĂ©rence Islamique. Il y a deux semaines certains Canadiens musulmans ont exprimĂ© leur dĂ©saccord avec ma participation Ă  cette confĂ©rence. Ces gens ne dĂ©montrent pas beaucoup d’enthousiasme pour le multiculturalisme, j’ignore s’ils sont d’authentiques musulmans mais ils prĂ©fĂšrent que le Canada ne change pas, qu’il continue Ă  se ressembler, pour eux tous les Canadiens doivent partager les mĂȘmes valeurs ! Moi je dis que le Canada doit changer profondĂ©ment par l’immigration, les nouveaux venus ne doivent pas ressembler aux Canadiens de souche, autrement comment pourrons – nous prouver que nous sommes ouverts et tolĂ©rants. Je suis troublĂ© par le fait que beaucoup d’immigrants s’intĂšgrent et se laissent assimiler par la sociĂ©tĂ© canadienne, cela prouve que le multiculturalisme qui nous est si cher n’est pas soutenu par des politiques appropriĂ©es qui visent Ă  cultiver et Ă  approfondir les diffĂ©rences entre les communautĂ©s. Heureusement la communautĂ© islamique a su rĂ©sister Ă  la tentation de s’assimiler, elle est pour les autres communautĂ©s un exemple Ă  suivre, voilĂ  pourquoi nous devons la soutenir dans ses efforts et c’est de ce sujet que je suis venu vous entretenir aujourd’hui. Plus j’y pense, plus je rĂ©alise que l’Ɠuvre de mon pĂšre doit ĂȘtre dĂ©fendue par tous les moyens, c’est l’hĂ©ritage que j’ai reçu de lui. Mon pĂšre m’a transmis cette cause et je dois la porter et la conduire Ă  son terme. J’ai besoin d’alliĂ©s sĂ»rs et dĂ©terminĂ©s et c’est en vous que je les trouve, je vous ai exposĂ© ma vision et je vois par vos rĂ©actions que vous la partagez, cela me rĂ©conforte et m’encourage, il me reste seulement Ă  vous dire Merci, choukran et Al salamou alykoumou wa rahmatou Allahi wa barakatouhou . Justin Trudeau INFORMATIONS SUR LE RÉSEAU MONDIAL DE PÉDOPHILIE LES PRATIQUES PÉDOPHILES ET SATANIQUES DE LA FAMILLE ROYALE BRITANIQUE *Cet article et ceux qui vont suivre va surement ĂȘtre censure
S’il-vous-plait partagez le sur vos rĂ©seaux! Le prince William Meghan Markle,le prince Harry et leur fils Archie. Le rĂ©seau pĂ©dophile d’élite en Angleterre n’est hĂ©las pas un mythe. Dans les annĂ©es 80, on a entendu parler d’un rĂ©seau pĂ©dophile installĂ© par le MI6 au Kincora Boys Home, Ă  Belfast. Peu aprĂšs, ce sont les orphelinats du Pays de Galles qui ont fait parler d’eux. Puis ceux de Londres, dEcosse, et finalement c’est Jimmy Savile qui est tombĂ©. Aujourd’hui, les grandes manƓuvres continuent afin d’étouffer le plus gros du scandale l’implication de la famille royale dans ce rĂ©seau pĂ©dophile. On va donc parler de satanisme, de pĂ©docrIminalitĂ©, et d’une sombre affaire de cĂ©rĂ©monie qui a mal tournĂ© dans le sud de la France. En 2012, un certain Chris Jones affirme que ses deux frĂšres, Adrian et Leander, ont Ă©tĂ© assassinĂ©s parce qu’ils s’apprĂȘtaient Ă  exposer le rĂ©seau pĂ©dophile d’élite, et notamment Margaret Thatcher. Chris Jones a expliquĂ© qu’encore enfant, il a Ă©tĂ© forcĂ© Ă  des relations sexuelles avec un juge de la Haute Cour, ou encore avec un flic. Jones dĂ©nonçait aussi John Allen, qui gĂ©rait un orphelinat dans le Nord du pays de Galles, oĂč nombre de scandales ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s rĂ©cemment. Adrian Johns avait Ă©tĂ© pensionnaire Ă  Bryn Alyn, et, en 1992, il avait menacĂ© John Allen de le balancer s’il ne lui payait pas une compensation financiĂšre[1]. Il a Ă©tĂ© tuĂ© le 17 avril 1992 dans l’incendie criminel de sa maison. En 1995, Chris et Leander ont tĂ©moignĂ© contre Allen lors d’un procĂšs. Peu aprĂšs, Leander est mort d’une overdose. Allen a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  6 ans de prison en 1995 pour des agressions commises entre 1972 et 1983. Puis, lors de l’enquĂȘte Waterhouse sur les viols commis dans les orphelinats du Pays de Galles, il a de nouveau Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© en 2003, mais a finalement Ă©chappĂ© Ă  36 chefs d’accusation pour des abus dans les homes dont il Ă©tait responsable. Il Ă©tait arrivĂ© dans le business des orphelinats au milieu des annĂ©es 60, aprĂšs avoir commencĂ© dans l’hĂŽtellerie, et, en 1969, il a ouvert la Bryn Alyn Community Residential Schools, une chaĂźne d’orphelinats et de foyers pour enfants. Le premier home » a fonctionnĂ© avec 11 personnes non formĂ©es Ă  s’occuper d’enfants. À un moment, Allen gĂ©rait une cinquantaine d’orphelinats dans le Nord du Pays de Galles et ailleurs, comme Londres et Brighton, et environ 500 enfants y seraient passĂ©s. Le business Ă©tait trĂšs rentable puisque, dans les annĂ©es 80, l’État versait par an pour un enfant placĂ©[2]. Au milieu des annĂ©es 80, le chiffre d’affaires Ă©tait d’environ 2,8 millions de livres par an pour un bĂ©nĂ©fice de 80 Ă  mais Allen touchait en 1988 pas moins de ÂŁ par an, possĂ©dant un yacht et diverses propriĂ©tĂ©s, notamment sur la CĂŽte d’Azur oĂč il possĂ©dait une villa revendue en urgence Ă  En 1992, Allen a perdu ses agrĂ©ments et les Ă©coles ont fermĂ© en 1997, suite Ă  une gestion calamiteuse et Ă  des dettes importantes. 172 personnes avaient dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© victimes dans les orphelinats d’Allen. Evidemment, certains – 28 ont Ă©tĂ© finalement retenus – ont aussi dĂ©noncĂ© Allen comme Ă©tant un pĂ©dophile. Leander Jones Ă©tait l’une de ses victimes. Il est devenu prostituĂ© Ă  Londres juste aprĂšs avoir quittĂ© le home. À 17 ans, il s’est ensuite rendu Ă  Amsterdam. Il a tĂ©moignĂ© lors de la procĂ©dure contre Allen, mais il est mort d’une overdose avant le dĂ©but du procĂšs, en fĂ©vrier 1995. Comme par hasard, Allen a disparu de la circulation entre les dĂ©clarations de Leander et son dĂ©cĂšs, pour revenir comme une fleur nier en bloc Ă  son procĂšs. Finalement, on n’a retenu contre Allen que des agressions sexuelles, mais pas de viols malgrĂ© les nombreux tĂ©moignages concordants. DĂ©jĂ  en 1982, Allen avait Ă©tĂ© entendu par des policiers au sujet d’abus commis sur des enfants dans ses homes, mais cela n’a rien donnĂ©. À l’époque, une victime avait dit qu’Allen lui donnait de l’argent pour qu’il se taise. Logiquement, on peut se demander si les difficultĂ©s Ă©conomiques d’Allen n’étaient pas directement liĂ©es aux chantages de ses victimes. Le rapport Lost in Care considĂ©rait quant Ă  lui que les abus commis par Allen Ă©taient extensifs et rĂ©pĂ©tĂ©s. Il estime qu’Allen entraĂźnait un comportement pĂ©dophile du personnel des homes. Des enfants Ă©taient envoyĂ©s dans des orgies, prostituĂ©s dans des hĂŽtels, menacĂ©s. Certaines victimes Ă©taient violĂ©es par les Ă©ducateurs et les responsables des orphelinats, mais aussi par les amis de ceux-ci. Évidemment, aucun signalement ni aucune plainte n’a abouti dĂšs que des pĂ©dophiles puissants, flics ou magistrats Ă©taient impliquĂ©s. Les rĂ©seaux pĂ©dophiles Franc Maçonniques DerriĂšre toute cette histoire, l’ombre de la Franc Maçonnerie planait. MĂȘme si, comme toujours, on n’a officiellement rien trouvĂ©, nombre de protagonistes essentiels de l’enquĂȘte Ă©taient FM. À tel point que des victimes ont demandĂ© au tribunal qu’on dresse une liste des magistrats, flics et autres intervenants appartenant Ă  la franc-maçonnerie. Pourquoi ? Parce qu’on craignait un Ă©touffement dans les rĂšgles, ce qui a d’ailleurs Ă©tĂ© le cas. Il faut dire qu’avec un Gerard Elias, membre de la loge Dinas Llandaff Ă  Cardiff, juge Ă  la haute cour qui dirigeait le tribunal, il pouvait difficilement en ĂȘtre autrement. Quant au chef de la police du nord du pays de Galles Ă  l’époque des abus, Lord Kenyon, il Ă©tait Grand MaĂźtre provincial[3] et a Ă©tĂ© pris plus d’une fois Ă  protĂ©ger ses camarades. Les enfants Ă©taient envoyĂ©s dans des hĂŽtels ou des villas pour y ĂȘtre violĂ©s par des pĂ©dophiles ayant un pouvoir d’achat certain. On sait aussi que divers pĂ©dophiles, comme un certain Gary Cooke, alias Reginald Cooke, avaient leurs entrĂ©es dans les homes d’Allen. Ledit Cooke, qui avait quittĂ© l’armĂ©e en 1974, introduisait ensuite les enfants auprĂšs d’autres pĂ©dophiles. Un autre pĂ©dophile qui avait ses entrĂ©es chez Allen, Graham Stephens, avait mĂȘme emmenĂ© un jeune au Danemark fin 1972. On a aussi l’affaire du massacre de Dunblane, en mars 1996, oĂč un tueur fou » et pĂ©dophile notoire est entrĂ© dans une Ă©cole pour massacrer 16 gamins et leur institutrice avant de se suicider; il avait Ă©tĂ© armĂ© grĂące Ă  un permis d’armes signĂ© par un franc-maçon devenu ensuite le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN, Lord Robertson. 26th May 2000NATO Secretary General, Lord Robertson, during an interview with the Glasgow Herald. C’est d’ailleurs un franc maçon, Lord Burton, grand maĂźtre local, qui a dĂ©noncĂ© les protections incroyables dans cette histoire et a qualifiĂ© l’enquĂȘte de cover-up ». Burton dĂ©nonçait surtout l’appartenance de Lord Cullen, le haut magistrat qui a menĂ© une pseudo enquĂȘte sur ledit massacre, Ă  la Speculative Society, liĂ©e Ă  la FM, et dont certains membres violaient des enfants de l’école Queen Victoria – Ă©cole pour les enfants de militaires, prĂ©sidĂ©e par le Duc d’Edimbourg c’est-Ă -dire le prince Philip -, Ă©cole oĂč le tueur fou a justement traĂźnĂ© Ă  une Ă©poque. Il n’empĂȘche que Cullen a Ă©tĂ© nommĂ© baron en 2003, probablement en rĂ©compense pour avoir protĂ©gĂ© ses camarades. Et ceci n’est qu’une infirme partie des scandales pĂ©dophiles Ă©touffĂ©s au Royaume Uni. EN COMPLÉMENT le Premier ministre britannique Gordon Brown est un pĂ©dophile Dans les premiers mois de 2003, juste avant l’invasion illĂ©gale de l’Irak, et travaillant conjointement avec un journaliste indĂ©pendant basĂ© Ă  Londres, qui avait soigneusement vĂ©rifiĂ© les expositions publiĂ©es par le journal Ă©cossais Sunday Herald’, j’ai publiĂ© les dĂ©tails d’un enfant. – alliance entre des ministres de premier plan au sein du gouvernement Blair. J’ai initialement publiĂ© mes conclusions, issues de fuites discrĂštes d’une liste secrĂšte fournie par le FBI amĂ©ricain au journal Sunday Times », et j’ai dĂ©couvert concomitamment que Tony Blair avait Ă©mis un ordre d’étouffement pour interdire toute discussion ultĂ©rieure sur un scandale qui aurait trĂšs certainement ont rapidement mis fin Ă  son gouvernement et ont rendu impossible la collusion britannique dans la destruction de l’Irak. Les articles que j’ai Ă©crits au sujet de l’opĂ©ration de dissimulation OpĂ©ration Minerai» et de l’interdiction de 100 ans imposĂ©e au rapport concernant le massacre de Dunblane d’enfants utilisĂ©s et maltraitĂ©s par de hauts ministres du gouvernement travailliste Ă©cossais se trouvent toujours ici Cremation of Care The Nouvel ordre mondial et fusillades Ă  Dunblane [2003] Des documents secrets de Dunblane contiennent des lettres de ministres conservateurs et du Travail. [2003] Tony Blair surpris en train de protĂ©ger l’anneau des pĂ©dophiles d’élite par Mike James [2003 janvier] Les prĂ©sumĂ©s pĂ©dophiles dirigent Blair’s War Room par MIKE JAMES [Media mars 2003] Les documents secrets de Dunblane contiennent des lettres de ministres conservateurs et du travail Ces histoires, qui impliquaient Ă©galement le procureur gĂ©nĂ©ral Lord Goldsmith, l’ancien boss de l’OTAN, Lord Robertson, et le Svengali de Tony Blair et l’accession au pouvoir de Gordon Brown, l’homosexuel flamboyant Peter Mandelson aujourd’hui Lord Mandelson, ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©es sur Internet, Un dĂ©bat enthousiaste au sein de nombreux forums en ligne et a inspirĂ© l’ancien parti Veritas de Robert Kilroy-Silk Ă  entreprendre un examen approfondi de la mesure dans laquelle les ministres des plus anciens et des plus jeunes ministres proches de Gordon Brown Ă©taient autorisĂ©s Ă  exercer librement des activitĂ©s pĂ©dophiles sous la protection du renseignement britannique. prestations de service. L’histoire incendiaire du Sunday Herald La pornographie infantile arrĂȘte trop lentement”, 19 janvier 2003, Ă©crite par le correspondant de Home Affair, Neil Mackay, a rapidement disparu d’Internet quelques semaines aprĂšs mon exposition. Le rĂ©dacteur en chef de Mackay, Ă  la premiĂšre coopĂ©rative, a par la suite refusĂ© de rĂ©pondre aux demandes de renseignements supplĂ©mentaires que lui ont adressĂ©es lui-mĂȘme et le journaliste indĂ©pendant Bob Kearley. Chaque lettre que j’ai envoyĂ©e au Home Office britannique, Ă  Scotland Yard et au Sunday Times ne sollicitait pas une seule rĂ©ponse. Lord Robertson, membre franc-maçon avouĂ© de la sinistre rĂ©sidence de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative» d’Édimbourg, qui entretenait une relation personnelle particuliĂšrement Ă©troite avec Thomas Hamilton, le meurtrier de masse d’enfants maltraitĂ©s Ă  Dunblane, n’a pas poursuivi le Sunday Herald en justice pour diffamation et a immĂ©diatement disparu. vie publique. Les archives de la police rĂ©vĂ©lĂšrent que Robertson avait contribuĂ© Ă  accĂ©lĂ©rer le processus par lequel le candidat mandchou, Hamilton, dĂ©jĂ  reconnu coupable d’agression sexuelle sur enfants et ayant des liens connus avec l’élite britannique, Ă©tait en mesure d’obtenir une licence d’armes Ă  feu. Roberston a travaillĂ© en collusion avec Michael Forsyth secrĂ©taire d’État pour l’Écosse, un franc-maçon spĂ©culatif», et Robert Bell, associĂ© de Malcolm Rifkind secrĂ©taire britannique aux Affaires Ă©trangĂšres. Robertson, Ă  la demande de Tony Blair et de Gordon Brown, avait tout intĂ©rĂȘt Ă  gaspiller» les enfants qui commençaient Ă  parler. Le 13 mars 1996, Thomas Hamilton, un ancien dirigeant de scouts, entra dans l’école primaire de Dunblane avec deux pistolets de 9 mm et deux revolvers .357 Magnum. Il a tuĂ© seize petits enfants et un enseignant. L’enquĂȘte policiĂšre subsĂ©quente rĂ©vĂ©la qu’Hamilton avait chargĂ© les chargeurs de son Browning d’une combinaison alternĂ©e de munitions Ă  gaine entiĂšrement mĂ©tallique et Ă  pointe creuse. Cet Ă©vĂ©nement horrible a conduit Ă  l’interdiction des armes de poing au Royaume-Uni. [Comme c’est pratique.] Le juge qui a menĂ© l’enquĂȘte sur cette atrocitĂ©, au cours de laquelle deux enseignants ont affirmĂ© avoir vu un autre homme mystĂ©rieux guider» Hamilton sur les lieux, Ă©tait Lord Cullen. Cullen, Ă©galement membre de la Freemasonic Speculative Society et associĂ© aux personnalitĂ©s travailleuses de la mafia Ă©cossaise», telles que Lord Robertson, Tony Blair, John Reid et Gordon Brown, a Ă©tĂ© accusĂ© par des journalistes influents et par le personnel des services d’urgence d’avoir rĂ©ussi Ă  dissimuler . Selon le journaliste Marcello Mega, dans The News of the World, 28 dĂ©cembre 2003 1. Un grand franc-maçon Ă©cossais, l’ancien grand maĂźtre Lord Burton, a dĂ©clarĂ© que l’enquĂȘte de Lord Cullen sur le massacre de Dunblane Ă©tait une dissimulation. Lord Burton dit que l’enquĂȘte de Cullen a supprimĂ© des informations cruciales pour protĂ©ger des personnalitĂ©s juridiques de premier plan. 2. Ces personnalitĂ©s juridiques de haut niveau peuvent appartenir Ă  un groupe secret de super-maçons» appelĂ© The Speculative Society. Lord Burton a dĂ©clarĂ© J’ai appris l’existence d’un lien apparent entre des membres Ă©minents du pouvoir judiciaire impliquĂ© dans l’enquĂȘte et la sociĂ©tĂ© spĂ©culative secrĂšte. La sociĂ©tĂ© a Ă©tĂ© créée Ă  l’UniversitĂ© d’Edimbourg par le biais de connexions maçonniques. cette route. » Lord Cullen et un certain nombre d’autres juges, shĂ©rifs et avocats seraient membres de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. 3. Certaines de ces personnalitĂ©s avaient des liens avec l’école Queen Victoria oĂč le tireur Thomas Hamilton a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  se promener librement avant les atrocitĂ©s de 1996». 4. La police aurait enquĂȘtĂ© sur des allĂ©gations selon lesquelles des Ă©lĂšves de l’école Queen Victoria auraient Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement emmenĂ©s et victimes d’abus sexuels. 5. L’ancien maĂźtre de maison Glenn Harrison a racontĂ© Ă  News of the World comment il avait trouvĂ© Hamilton, 43 ans, rampant dans les dortoirs la nuit. Il a dit que Hamilton avait des liens Ă©troits avec un policier supĂ©rieur. Glenn n’a jamais Ă©tĂ© appelĂ© Ă  tĂ©moigner lors de l’enquĂȘte Cullen. 6. Lord Burton a dĂ©clarĂ© J’ai essayĂ© Ă  plusieurs reprises de soulever des prĂ©occupations au sujet de l’enquĂȘte au cours de mon sĂ©jour au sein des Lords, et j’ai Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par de puissants pairs fidĂšles au gouvernement conservateur de l’époque, qui m’ont averti des consĂ©quences dĂ©sastreuses si je continuais. de les embarrasser. » Selon cette source en cache– L’ami de Malcolm Rifkind et prĂ©sident du parti de sa circonscription Ă  Edinburgh Edinburgh, Robert Bell, aurait dĂ©clarĂ©, le 23 mars 1996, Ă  la premiĂšre page de l’Edinburgh Evening News, avoir vendu armes et munitions Ă  Thomas Hamilton quelques semaines seulement avant le Dunblane massacre, et il aurait Ă©galement dĂ©clarĂ© qu’il lui vendrait des armes Ă  feu. 8. Glenn Harrison avait conservĂ© des dizaines de dossiers auprĂšs d’élĂšves allĂ©guant des brimades et des abus alors qu’il Ă©tait Ă  l’école Queen Victoria School et avait Ă©crit aux parents pour les avertir des dangers en 1991 Cela a conduit Ă  son Ă©viction de l’école et quelques jours avant son dĂ©part, la police a perquisitionnĂ© son domicile et a confisquĂ© les fichiers. 9. Glenn dĂ©clare qu’Hamilton Ă©tait un ami de Ben Philip, maĂźtre de maison senior chez QVS. M. Philip est dĂ©cĂ©dĂ© en dĂ©cembre 1993, Ă  l’ñge de 46 ans, alors qu’il Ă©tait tombĂ© d’une Ă©chelle alors qu’il suspendait des dĂ©corations. Pour plus de prĂ©cisions sur la dissimulation de William Burns, voir la rĂ©f. 3. Alan Milburn, proche alliĂ© de Tony Blair, a Ă©galement dĂ©missionnĂ© de son poste de prĂ©sident du gouvernement travailliste peu aprĂšs que l’enquĂȘte anti-pĂ©dophile de Scotland Yard ait Ă©tĂ© rĂ©primĂ©e par l’administration Blair, invoquant la nĂ©cessitĂ© de passer plus de temps avec ma famille. ”. Pour une raison quelconque, l’enlĂšvement d’enfants Ă©cossais Ă  des fins de viol et de meurtre, toujours Ă©troitement liĂ© Ă  de hautes personnalitĂ©s politiques du parti travailliste, se poursuit sans relĂąche. [2006] Pressions exercĂ©es sur la police pour qu’elle libĂšre un dossier relatif Ă  un pĂ©dophile Bien que le rĂŽle prĂ©sumĂ© du Supremo Labor Peter Mandelson dans l’enlĂšvement de jeunes filles et de garçons pour le plaisir» des commissaires d’élite de l’Union europĂ©enne Ă  Bruxelles ait fait l’objet d’intenses spĂ©culations bien avant la disparition de Madeleine McCann, je peux maintenant clore tout. spĂ©culation sur le nom du politicien le plus haut placĂ© et le plus haut placé» de Tony Blair, tombĂ© non seulement sous le contrĂŽle de Scotland Yard pour crimes contre les enfants, mais Ă©galement identifiĂ© par le FBI comme un membre actif de la filiĂšre pĂ©dophile dirigĂ©e par Thomas Hamilton . Ce nom m’a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© pour la premiĂšre fois par Norman Lamont lors d’une soirĂ©e privĂ©e Ă  Clapham en 1986, pĂ©riode au cours de laquelle j’ai travaillĂ© comme scĂ©nariste pour la tĂ©lĂ©vision britannique. Lamont devint plus tard chancelier de l’Échiquier sous l’administration conservatrice de John Major. À la suite d’enquĂȘtes menĂ©es en 2003 par Bob Kearley et moi-mĂȘme, ce nom est apparu maintes et maintes fois, et j’ai transmis les dĂ©tails au journaliste sur Internet Paul Joseph Watson. Gordon Brown, l’actuel Premier ministre britannique, est un pĂ©dophile pratiquant dont les activitĂ©s sont connues non seulement des services de renseignement britanniques, amĂ©ricains et israĂ©liens, mais Ă©galement de Rupert Murdoch et de son rĂ©dacteur en chef du Sunday Times. —————— Michael James, un patriote anglais, est un ancien journaliste indĂ©pendant basĂ© sur une liste noire et surveillĂ© rĂ©sidant dans une Allemagne occupĂ©e par les sionistes depuis 1992, avec des sĂ©jours de longue durĂ©e supplĂ©mentaires en Afrique de l’Est. , Pologne et Suisse. Il prĂŽne une rĂ©sistance sans chef pour dĂ©truire l’Union europĂ©enne soviĂ©tique et travaille activement Ă  la crĂ©ation d’une Angleterre libre et indĂ©pendante. —————— —————— RĂ©f. 1 [2003 janvier] Les prĂ©sumĂ©s pĂ©dophiles dirigent Blair’s War Room par MIKE JAMES RĂ©f. 2 [2003] Tony Blair surpris en train de protĂ©ger l’anneau des pĂ©dophiles d’élite par Mike James ———- RĂ©f. 3 Remarque Perceptions » le courrier Ă©lectronique ci-dessous provient d’un contributeur de longue date. Cependant, le sujet – l’assassinat massif d’écoliers par un pĂ©dophile rĂ©putĂ© avoir eu des amis au pouvoir – pourrait choquer certains. Objet VOMIT Burns / Date mardi 13 janvier 2004 150155 HNE / De VOMITUK Victimes de mauvais traitements maçonniques 10 janvier 2004 Avant-propos La sĂ©paration illĂ©gale de George Farquhar par le Royal Edinburgh Hospital au motif qu’il accusait Cullen sur son site Internet d’une dissimulation maçonnique de pĂ©dophiles dans la haute sociĂ©tĂ© Ă©cossaise appelait Ă  la radiation du Dr Chrichton du registre mĂ©dical le banc du shĂ©rif Lothian. Le mĂȘme abus de pouvoir et la corruption du processus psychiatrique par le Carstairs State Hospital visant Ă  faire taire M. Arnold McCardle rĂ©clament des peines similaires Ă  l’encontre des psychiatres et des juges impliquĂ©s dans l’affaire McCardle. Carstairs a Ă©galement un autre mĂ©decin » favorable aux pĂ©dophiles qui fait l’objet d’une enquĂȘte pour avoir utilisĂ© le titre de mĂ©decin ». William Burns 18, chemin Shore South Queensferry EH30 9SG TĂ©l 0131 331 1855 6 janvier 2004 Bryan McConachie Salle de soutien de l’équipe des pĂ©titions publiques Salle de la commission des pĂ©titions publiques SiĂšge du Parlement d’ Édimbourg EH99 1SP Monsieur McConachie, PARLEMENT ÉCOSSAIS – DÉPÔT DES PÉTITIONS PUBLIQUES PE652 & PE685 À l’appui des preuves prĂ©sentĂ©es Ă  la commission des pĂ©titions publiques relative aux pĂ©titions susmentionnĂ©es PE652 et PE685, vous trouverez ci-joint une copie d’un article de Marcello Mega qui a eu une signification sĂ©rieuse et qui a paru dans le News of the World le dimanche 28 dĂ©cembre 2003. Il renforce mon article du 9 novembre 2003 sur Marcello Mega, News of the World, soumis prĂ©cĂ©demment. , ainsi qu’un article paru dans le Herald du mercredi 13 novembre 2003. Je m’excuse si je parais trop pressant avec cette supplication, mais je suis sĂ»r que l’ensemble du PPC en apprĂ©ciera l’énormitĂ©, en particulier Ă  la lumiĂšre des rĂ©vĂ©lations de Lord Burton dans News of the World. L’article Nouvelles du monde Ă  la recherche» de Marcello Mega, publiĂ© le 28 dĂ©cembre 2003, est rĂ©digĂ© textuellement ci-dessous. L’enquĂȘte sur le massacre de Dunblane constituait une dissimulation massive, a dĂ©clarĂ© de maniĂšre sensationnelle un franc-maçon Ă©cossais. L’ancien grand maĂźtre Lord Burton a dĂ©clarĂ© que l’enquĂȘte officielle de Lord Cullen avait supprimĂ© des informations cruciales afin de protĂ©ger des personnalitĂ©s juridiques de premier plan. Il dit qu’ils peuvent appartenir Ă  un groupe secret de super-maçons » appelĂ© The Speculative Society. Certains avaient des liens avec l’école Queen Victoria oĂč le tireur Thomas Hamilton avait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  se promener librement avant l’atrocitĂ© de 1996. [TUNBLANE SCHOOL KILLINGS] Et Lord Burton a rĂ©vĂ©lĂ© qu’il avait Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par d’autres pairs lorsqu’il avait tentĂ© de faire valoir ses prĂ©occupations Ă  la Chambre des Lords. La nuit derniĂšre, l’aristocrate de 79 ans a dĂ©clarĂ© On ne peut Ă©chapper au fait qu’il y a quelque chose de sinistre dans toute cette affaire. » Il a Ă©tĂ© incitĂ© Ă  agir aprĂšs avoir lu dans le News of the World le mois dernier que la police enquĂȘtait sur des allĂ©gations selon lesquelles des Ă©lĂšves de QVS auraient Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement emmenĂ©s et victimes d’abus sexuels. L’enquĂȘte Cullen n’a pas permis d’enquĂȘter sur les raisons pour lesquelles le prĂ©sumĂ© pĂ©dophile Hamilton Ă©tait autorisĂ© Ă  se promener dans l’école Ă  sa guise, organisant des camps et utilisant le champ de tir. L’ancien maĂźtre de maison Glenn Harrison nous a racontĂ© qu’il avait mĂȘme trouvĂ© Hamilton, 43 ans, rampant dans les dortoirs la nuit. Il a ajoutĂ© que Hamilton, qui a assassinĂ© 16 Ă©lĂšves et un enseignant Ă  l’école primaire de Dunblane en 1996, avait des liens Ă©troits avec un grand policier. Glenn a dĂ©clarĂ© qu’il Ă©tait consternĂ© de n’avoir jamais Ă©tĂ© appelĂ© Ă  tĂ©moigner lors de l’enquĂȘte Cullen. Il a dĂ©clarĂ© J’étais l’un de ceux qui faisaient des histoires sur Hamilton bien avant qu’il ne tue ces enfants, mais personne ne voulait Ă©couter. » Lord Burton l’a contactĂ© Ă  son nouveau domicile dans les Ăźles Shetland, affirmant qu’il pensait que Glenn n’était pas appelĂ© Ă  tĂ©moigner afin d’éviter que les plus grands noms lĂ©gaux ne soient gĂȘnĂ©s. Le QVS est destinĂ© aux Ă©coliers des forces armĂ©es et entretient depuis longtemps des liens avec de hautes responsabilitĂ©s. son patron actuel est le duc d’Édimbourg. Celui qui occupe le poste de secrĂ©taire d’État pour l’Ecosse devient prĂ©sident et le juge le plus ancien d’Écosse, le Lord Justice-Clerk, devient commissaire. Lord Burton a dĂ©clarĂ© À l’époque, j’étais grand maĂźtre de la Grande Loge d’Écosse et je suis conscient du fait que la plupart des thĂ©ories du complot autour de Dunblane tournent autour d’allĂ©gations de complot maçonnique. Cela me pose un problĂšme J’ai appris l’existence d’un lien apparent entre des membres Ă©minents du pouvoir judiciaire impliquĂ© dans l’enquĂȘte et la sociĂ©tĂ© spĂ©culative secrĂšte, qui a Ă©tĂ© créée Ă  l’UniversitĂ© d’Edimbourg par le biais de connexions maçonniques, aussi j’accepte qu’il puisse exister un lien. un maçon. Son grand-pĂšre Ă©tait. » Intervention du pĂ©titionnaire Thomas Hamilton s’est inscrit en tant que membre du Lodge Garrowhill Lanarkshire Middle Ward n ° 1413, Garrowhill Drive, Garrowhill, Glasgow, en 1977, annĂ©e de l’obtention du certificat d’armes Ă  feu. Sans aucun doute, ses dossiers le reliant Ă  la franc-maçonnerie seraient dĂ©truits aprĂšs les atrocitĂ©s du 13 mars 1996.] Lord Cullen et un certain nombre d’autres juges, shĂ©rifs et avocats figurent parmi les membres actuels de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. Lord Burton essaie depuis des annĂ©es de faire la lumiĂšre sur les thĂ©ories du complot en usant de son influence Ă  la Chambre des Lords jusqu’à ce que les rĂ©formes l’aient empĂȘchĂ© de siĂ©ger Ă  Westminster. Hier soir, il a dĂ©clarĂ© J’ai essayĂ© Ă  plusieurs reprises de soulever des prĂ©occupations au sujet de l’enquĂȘte lors de mon sĂ©jour au sein des Lords, et j’ai Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par de puissants pairs fidĂšles au gouvernement conservateur de l’époque, qui m’ont averti des consĂ©quences les embarrasser. » [Intervention du pĂ©titionnaire – rappelez-vous que Malcolm Rifkind Ă©tait secrĂ©taire aux affaires Ă©trangĂšres Ă  l’époque – et ils ne sont pas beaucoup plus Ă©levĂ©s dans le gouvernement que celui-lĂ  – et l’ami de Malcolm Rifkind et son prĂ©sident d’alors, son parti dans sa circonscription Ă  Edinburgh Pentlands, selon Robert Bell. Le 23 mars 1996, le journal Evening Evening du journal Edinburgh Evening News avait vendu des armes et des munitions Ă  Thomas Hamilton quelques semaines seulement avant le massacre de Dunblane. Il aurait Ă©galement annoncĂ© qu’il lui vendrait Ă  nouveau des armes Ă  feu. J’ai envoyĂ© cette information Ă  Lord Cullen dans une lettre datĂ©e du 27 fĂ©vrier 2003, copie avec laquelle la commission des pĂ©titions publiques a Ă©tĂ© remise Ă  PE652 en tant que preuve supplĂ©mentaire.] Mais en 1999, le pair dĂ©terminĂ© a insistĂ© et a posĂ© une question aux Lords qui rĂ©vĂ©laient que les documents de l’enquĂȘte avaient Ă©tĂ© bloquĂ©s depuis 100 ans. Parmi eux se trouvait un rapport de police rĂ©vĂ©lant qu’Hamilton avait Ă©tĂ© accusĂ© d’avoir abusĂ© sexuellement de garçons et que certains policiers l’avaient considĂ©rĂ© inapte Ă  dĂ©tenir un permis d’armes Ă  feu. Lord Burton a ajoutĂ© Nous avons encore besoin de savoir pourquoi cela Ă©tait nĂ©cessaire. Qui protĂ©geait le secret? » Bien que la raison officielle soit de protĂ©ger les familles d’éventuelles victimes d’abus, il est inhabituel que des documents soient verrouillĂ©s sauf pour des raisons de sĂ©curitĂ© nationale. En juillet, Sandra Uttley, ambulanciĂšre de Dunblane, a racontĂ© Ă  News of the World comment elle et son amie Doreen Hagger avaient rĂ©digĂ© un dossier de 50 points et 5 000 mots appelant Ă  la levĂ©e du secret entourant la tragĂ©die. Ils ont affirmĂ© que des dizaines de questions Ă©taient restĂ©es sans rĂ©ponse et que des axes d’investigation cruciaux avaient Ă©tĂ© ignorĂ©s. Sandra, une ancienne ambulanciĂšre, a dĂ©clarĂ© D’autres personnes pourraient faire l’objet de poursuites. » Glenn Harrison avait gardĂ© des dizaines de dossiers auprĂšs d’élĂšves allĂ©guant des brimades et des abus pendant son sĂ©jour au QVS et avait Ă©crit aux parents pour les avertir des dangers en 1991. Cela l’avait conduit Ă  ĂȘtre Ă©vincĂ© de l’école et quelques jours avant son dĂ©part, la police avait fait irruption Ă  son domicile. et confisquĂ© les fichiers. Lorsque Glenn a lu l’histoire de Sandra, il est retournĂ© Ă  la police – et cette fois, ils ont acceptĂ© de mener une enquĂȘte. Hier soir, il a dĂ©clarĂ© qu’il avait Ă  son tour Ă©tĂ© ravi de recevoir l’appel de Lord Burton 
 Il a ajoutĂ© Je fais des bruits depuis des annĂ©es et je suis parfois dĂ©sespĂ©rĂ© et pense qu’il est temps d’accepter Mais je pense que nous devons Ă  toutes les personnes qui ont Ă©tĂ© tellement touchĂ©es par les tueries de continuer Ă  exiger des questions qui n’ont jamais Ă©tĂ© posĂ©es. » Glenn nous a dit qu’Hamilton Ă©tait un ami de Ben Philip, le maĂźtre de maison senior de QVS. M. Philip est dĂ©cĂ©dĂ© en dĂ©cembre 1993, Ă  l’ñge de 46 ans, alors qu’il Ă©tait tombĂ© d’une Ă©chelle alors qu’il suspendait des dĂ©corations. Glenn a dĂ©clarĂ© C’étaient des amis, Hamilton Ă©tait un visiteur rĂ©gulier de l’école et on m’a prĂ©sentĂ© Ă  lui. » Ben Philip Ă©tait un gars honnĂȘte, trĂšs confiant. Je pense qu’il pensait que Hamilton et lui partageaient des intĂ©rĂȘts communs pour des activitĂ©s de plein air, et il ne pouvait pas voir que Hamilton avait un autre motif de vouloir frĂ©quenter l’école. Hamilton gĂ©rait des camps dans l’enceinte de l’école et utilisait librement le champ de tir. Il allait et venait Ă  sa guise, presque comme s’il possĂ©dait cet endroit, et personne n’a jamais essayĂ© d’expliquer pourquoi il avait une telle libertĂ©. Je suis toujours hantĂ©. par le souvenir de mon journal le 14 mars 1996 et la lecture de ce qui s’était passĂ© Ă  la Dunblane Primary School la veille. Je savais que le meurtrier devait ĂȘtre Thomas Hamilton. Il aurait dĂ» ĂȘtre arrĂȘtĂ©. » Des demandes ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© adressĂ©es Ă  l’exĂ©cutif Ă©cossais pour enquĂȘter sur l’influence de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. Il a Ă©tĂ© formĂ© en 1764 Ă  l’origine des maçons et compte parmi ses membres les plus cĂ©lĂšbres Sir Walter Scott, Robert Louis Stevenson et Hugh McDiarmid. La Spec, comme on l’appelle, est dĂ©crite par ses membres comme un club de discussion. Ils se rencontrent dans des coffres aux chandelles en dessous du Old College de l’UniversitĂ© d’Edimbourg en hiver. Les membres potentiels sont normalement sollicitĂ©s alors qu’ils Ă©tudient encore Ă  l’universitĂ©. Sa composition – qui Ă©tait secrĂšte il y a un an – se lit comme un Who’s Who parmi les riches et les puissants d’Écosse. Les militants Ă©taient dĂ©terminĂ©s Ă  rĂ©vĂ©ler la composition de leurs membres au milieu des prĂ©occupations, souvent exprimĂ©es par des avocats chevronnĂ©s qui ne sont pas membres, de l’influence disproportionnĂ©e que la Spec aurait exercĂ©e. Une personnalitĂ© juridique qui a longtemps mĂ©fiĂ© de la Spec a dĂ©clarĂ© Les membres se moquent de la suspicion et disent qu’il s’agit d’un club de dĂ©bat. Mais, Ă©tant donnĂ© que les membres sont choisis comme Ă©tudiants de premier cycle et quasiment sans exception, ils arrivent au sommet de leur carriĂšre , vous devez penser soit que ceux qui font le choix sont trĂšs astucieux pour repĂ©rer le potentiel, ou que l’affiliation vous donne une longueur d’avance dans la vie. Je sais quelle option je privilĂ©gie. » Je serais trĂšs obligĂ© si vous pouviez rĂ©pondre dans les meilleurs dĂ©lais. Tenez-moi Ă©galement au courant de tout progrĂšs concernant le PE652, qui a Ă©tĂ© entendu il y a plus de deux mois, et toute date proposĂ©e pour l’audition du PE685. SincĂšres salutations WILLIAM BURNS Éditeur VOMIR UK Group Fax / TĂ©lĂ©phone 020 7727 5300 fichier-ID Lord Robertson, qui a Ă©tĂ© intimement impliquĂ© dans les Ă©vĂ©nements qui ont conduit au massacre et a ensuite disparu de la vie publique L’affaire Elm Guest House, ce bordel pour pĂ©dophiles puissants installĂ© au cƓur de Londres, en est un autre. Pourquoi ces Ă©touffements systĂ©matiques ? Parce que des noms de dĂ©putĂ©s, de juges, de ministres, de premiers ministres, et mĂȘme la famille royale sont citĂ©s par diverses victimes. On va parler de la famille royale anglaise, mais lĂ  on va manquer de sources Ă©crites, Ă©videmment. La famille royale anglaise, une coterie nazie ? On ne va pas s’éterniser longtemps sur cet aspect des choses, aujourd’hui trĂšs bien documentĂ©, n’en dĂ©plaise Ă  certains propagandistes de l’Histoire officielle. On sait que les liens de la famille royale anglaise avec les nazis ont Ă©tĂ© trĂšs Ă©troits, et le sont probablement encore, si l’on en juge par le dĂ©guisement arborĂ© rĂ©cemment par le prince Harry. EN COMPLÉMENTAIRE NO 2 Le rĂ©seau pĂ©dophile d’élite Ă  Londres avait des ramifications aux Pays Bas En Angleterre, on n’en finit pas de dĂ©couvrir de nouveaux pĂ©docriminels au sein des institutions, et jusqu’au gouvernement. Pour l’instant, si Downing Strret est dans le viseur, la famille royale est toujours prĂ©servĂ©e. Mais on apprend que le rĂ©seau implantĂ© Ă  Elm Guest House n’était qu’une part de la nĂ©buleuse pĂ©docriminelle. Il y a une semaine, on apprenait qu’un dĂ©putĂ© conservateur mort en 1995 Geoffrey Dickens, avait prĂ©venu le cabinet de Thatcher au sujet de l’étouffement d’affaires de rĂ©seaux pĂ©dophiles. Ce qui lui avait valu des menaces directes et des cambriolages dĂšs qu’il a commencĂ© Ă  Ă©voquer certaines personnes[1]. De 1981 Ă  1985, Dickens a tentĂ© d’alerter le Parlement sur un rĂ©seau pĂ©dophile qui faisait dans la diffusion de films pĂ©dopornos. Mais ces allocutions n’ont eu aucun Ă©cho Ă  l’époque. Pourtant, il avait carrĂ©ment citĂ© un certain Peter Hayman, diplomate et membre du MI6, comme Ă©tant un pĂ©dophile qui avait Ă©chappĂ© Ă  des poursuites bien qu’il se soit fait pincer avec du matĂ©riel pĂ©doporno. En 1983, Dickens a parlĂ© d’un rĂ©seau pĂ©dophile qui impliquait des personnalitĂ©s, des gens dans des positions de pouvoir, d’influence et qui ont des responsabilitĂ©s », personnalitĂ©s qu’il a menacĂ© de balancer au Parlement. En 1984, Dickens demandait l’interdiction du Paedophile Information Exchange PIE, une plateforme via laquelle les pĂ©dos s’échangeaient photos, vidĂ©os et bonnes adresses[2]. On soupçonne aussi que le systĂšme servait Ă  passer commande d’enfants. Dickens a aussi Ă©voquĂ© des viols d’enfants qui Ă©taient alors sous l’autoritĂ© locale de Leon Brittan. Dickens a dĂ©noncĂ© l’existence de bordels d’enfants Ă  Islington, dans la banlieue de Londres justement lĂ  oĂč a vĂ©cu Tony Blair, et a prĂ©cisĂ© qu’une quarantaine d’enfants Ă©taient victimes. Il a tout donnĂ© Ă  Scotland Yard, qui n’a rien fait. En 1984 les flics Ă©taient vaguement en train d’enquĂȘter sur Elm Guest House, cette auberge chic Ă  Londres, dans laquelle des enfants venus des orphelinats voisins Ă©taient viols sous l’Ɠil de camĂ©ras, par des dĂ©putĂ©s, juges et autres stars de la pop. Parmi les visiteurs d’Elm Guest House, on a justement Sir Peter Hayman. . Finalement, l’enquĂȘte a tournĂ© court, de mĂȘme que celle de 2003. Et les autoritĂ©s chargĂ©es des foyers n’ont jamais jugĂ© utile de mener d’enquĂȘte bien qu’elles aient Ă©tĂ© alertĂ©es. Dickens avait aussi envoyĂ© une partie des documents relatifs Ă  cette affaire Ă  l’enquĂȘtrice Andrea Davison[3]. Mais, la police les a saisis en janvier 2010 par les flics du Pays de Galles. Andrea Davison a expliquĂ© qu’à cette Ă©poque, les flics avaient trĂšs peur que le rĂ©seau pĂ©dophile des VIPsoit exposĂ© Ă  cause des frasques de Savile. Elle explique aussi que Dickens avait donnĂ© le mĂȘme dossier Ă  Leon Brittan, dont l’implication n’était pas Ă©tablie Ă  l’époque, mais qui en rĂ©alitĂ© faisait partie des visiteurs d’Elm guest House. Et Andrea Davison avait parlĂ© de Brittan avec Dickens au dĂ©but des annĂ©es 90, et Leon Brittan avait Ă©tĂ© citĂ© par un certain nombre de survivants. C’était crucial pour le rĂ©seau pĂ©dophile de gagner la sympathie de personnes dans de hautes positions ». Il s’est d’ailleurs avĂ©rĂ© que le dossier de 50 pages, remis en mains propres par Dickens en 1984, avait disparu du bureau de Brittan au ministĂšre des affaires intĂ©rieures home office. Quant au dossier de Dickens, il aurait Ă©tĂ© dĂ©truit par la famille Ă  sa mort, car son Ă©pouse estimait que ledit dossier Ă©tait trop sensible pour le garder au domicile familial. Mais, des copies existent, reste Ă  savoir oĂč elles se trouvent. DĂ©but fĂ©vrier, John Stingemore, ancien dirigeant du Grafton Close Home, l’orphelinat duquel venaient certains des enfants[4] exploitĂ©s Ă  Elm Guest House et qui a fermĂ© depuis, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, de mĂȘme que le pĂšre Tony McSweeney qui Ă©tait, semble-t-il, un habituĂ© de la guest house. De fait, certains Ă©ducateurs du Grafton Close Ă©taient des pĂ©dophiles jamais inquiĂ©tĂ©s. Parmi eux, Neil Kier, qui chapeautait le home. Terry Earland, qui dirigeait quant Ă  lui les services de l’enfance du comtĂ© de Richmond, oĂč se trouvait le Grafton Close, avait justement arrangĂ© le coup pour que Kier soit l’éducateur qui s’occupe des enfants sortis de la Elm Guest House le jour de la seule et unique descente de police en 1982. Aujourd’hui, le mĂȘme Earland, qui est pourtant en bonne place dans le dossier d’enquĂȘte sur Elm Guest House, explique qu’il a tentĂ© deux fois d’alerter ses collĂšgues et la police au sujet d’abus sexuels commis dans les orphelinats dont il avait la charge
 Il a aussi expliquĂ© qu’il avait Ă©tĂ© averti Ă  l’avance de la descente dans la guest house par la police elle-mĂȘme. D’ailleurs, toutes les autoritĂ©s Ă©taient au courant, ce qui explique peut-ĂȘtre que l’endroit Ă©tait quasiment vide[5]alors que les flics s’attendaient Ă  tomber sur une partouze avec une trentaine d’adultes. Pourtant, dans le quartier tout le monde savait trĂšs bien ce qu’il se passait dans la guest house. On parlait de ces dĂ©putĂ©s et ces artistes qui quittaient le bordel la nuit, le pas rapide. On entendait les fĂȘtes qui s’y dĂ©roulaient, on voyait les lumiĂšres
 d’ailleurs, ils n’ont pas manquĂ© de s’en plaindre Ă  leurs reprĂ©sentants Ă  l’époque, mais aujourd’hui ces politiciens semblent atteints d’amnĂ©sie. Aujourd’hui, la police est forcĂ©e d’enquĂȘter, et en dĂ©cembre 2012, une douzaine de victimes –des hommes- avaient dĂ©clarĂ© Ă  la police qu’ils ont Ă©tĂ© violĂ©s par des hommes Ă  Elm Guste House. On apprenait encore rĂ©cemment que, Peter Hatton-Bornshin, une victime qui a Ă©tĂ© placĂ© au Grafton Close Children’s home aprĂšs le suicide de sa mĂšre, disait avoir subi des viols rĂ©pĂ©tĂ©s alors qu’il Ă©tait dans ce home. En 1994 Ă  28 ans, il s’est suicidĂ© par overdose de cocaĂŻne, trop marquĂ© par les sĂ©vices qu’il avait subis dans son enfance. Il avait pourtant Ă©tĂ© reconnu comme victime et avait touchĂ© une forte compensation. Une autre victime a expliquĂ© aux flics que lorsqu’il Ă©tait placĂ© Ă  Grafton close dans les annĂ©es 80, il a Ă©tĂ© prostituĂ© Ă  Elm Guest House oĂč de sfilms Ă©taient tournĂ©s, mais a aussi Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  Amsterdam, haut lieu de la pĂ©docriminalitĂ© Ă  cette Ă©poque. Elm Guest House et les rĂ©seaux hollandais On a dĂ©jĂ  dit que Elm Guest House Ă©tait liĂ©e au rĂ©seau Spartacus, qui faisait de la pub pour les partouzes qu’on y organisait. Spartacus Ă©tait un guide pour pĂ©dophiles diffusĂ© dans 150 pays, qui donnait les bonnes adresses et mĂȘme des bons de rĂ©duction, et qui Ă©tait gĂ©rĂ©e par le pĂšre John Stamford. Et allez savoir pourquoi, il existe toujours. D’aprĂšs l’enquĂȘte d’une travailleuse sociale qui avait rencontrĂ© Carole Kasir, la propriĂ©taire d’Elm Guest house Ă  l’époque, Glencross Ă©ditait aussi la newsletter du groupe gay du parti conservateur[6], la CGHE Newsletter Conservative Gay Homosexual Equality, dans laquelle on trouvait des pubs pour Elm Guest House. D’aprĂšs la mĂȘme enquĂȘte, et d’aprĂšs l’Operation Fairbanks menĂ©e par la police, un autre visiteur d’Elm Guest House Ă©tait George Tremlett, ancien chef du Conseil du grand Londres, ex journaliste et auteur, notamment d’une biographie de David Bowie. Il s’y rendait souvent Ă  l’époque oĂč les abus ont eu lieu. . A l’origine, Elm Guest House Ă©tait une guest house normale. Puis elle est devenue un lieu de rencontres homosexuelles Ă  l’instigation de plusieurs personnes, dont John Rowe et le maquereau pĂ©dophile Terry Dwyer. Ce seraient Ă©galement eux qui auraient introduit Carole Kasir auprĂšs de Peter Glencross, ce curĂ© qui a hĂ©bergĂ© Hubert VĂ©drine et Ă©tait ami de son pĂšre. D’aprĂšs ce rapport, Glencross Ă©tait le business manager » du guide Spartacus. Lors d’une perquisition dans son presbytĂšre de Saint LĂ©ger des Vignes –celui oĂč VĂ©drine a Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© quelques annĂ©es[7] plus tĂŽt et oĂč il vivait avec ses cinq fils adoptifs- au dĂ©but des annĂ©es 90, on a trouvĂ© une quantitĂ© de matĂ©riel pĂ©doporno[8] et de quoi faire des sĂ©ances photo. C’est un mois aprĂšs cette perquisition qu’un autre curĂ© pĂ©dophile, le pasteur DoucĂ© », du Christ LibĂ©rateur, a Ă©tĂ© assassinĂ©, trĂšs probablement par la DGSE qui est venue le chercher chez lui on notera que DoucĂ© Ă©tait un ancien amant de Philippe Carpentier, pilier du CRIES dont on a dĂ©jĂ  parlĂ©. Glencross a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© et est mort rapidement aprĂšs sa sortie en prĂ©ventive, d’une crise cardiaque. Apparemment, c’était DoucĂ© qui distribuait les photos prises par Glencross dans son studio. John Rowe Ă©tait un pĂ©dophile qui organisait des voyages aux Pays bas pour les membres du Monday Club, un groupe de dĂ©putĂ©s Ă  l’aile droite du parti conservateur[9], et dont certains membres figuraient sur la liste des visiteurs d’Elm Guest House. Il Ă©tait indiquĂ© MI5 » en face de son nom sur la liste des invitĂ©s d’Elm Guest House, en relation avec un certain Russell Howard Tricker, ancien prof d’anglais condamnĂ© pour pĂ©dophilie devenu chauffeur pour un tour opĂ©rateur pour pĂ©dophiles anglais Ă  destination des Pays Bas, oĂč il s’est rĂ©fugiĂ© aprĂšs sa condamnation en Angleterre Ă  la fin des annĂ©es 80. D’aprĂšs l’enquĂȘte de Marcel Vervloesem, de l’association belge Morkhoven[10], transmise Ă  la police, il transportait des enfants depuis l’Angleterre jusqu’au Pays Bas grĂące Ă  de faux passeports probablement obtenus grĂące Ă  ses contacts Ă  l’ambassade d’Angleterre aux Pays Bas, afin de les envoyer dans des bordels. En 1995, il a pris 15 mois de prison pour trafic d’images pĂ©dopornos, et a Ă©tĂ© condamnĂ© avec une dizaine d’autres personnes, puis a repris ses activitĂ©s en trouvant des appartements Ă  Amsterdam pour des pĂ©dophiles en goguette. La bande rencontrait des enfants Ă  Amsterdam et les embarquait pour des partouzes filmĂ©es. On peut aussi noter que John Stamford a Ă©tĂ© virĂ© des Pays Bas en 1988 pour y avoir vendu des vidĂ©os pĂ©dopornos, et s’est alors rĂ©fugiĂ© en Allemagne oĂč les lois Ă©taient plus laxistes en la matiĂšre. Stamford a aussi Ă©tĂ© condamnĂ© en Belgique, oĂč il Ă©tait venu prendre sa retraite Ă  cĂŽtĂ© d’Anvers, aprĂšs que l’Allemagne ait renforcĂ© ses lois en matiĂšre de pĂ©docriminalitĂ©. Dans un reportage anglais, des journalistes infiltrĂ©s qui s’étaient vus proposer deux garçons Ă  Manille par Stamford qu’on appelait l’ange des bidonville », ont filmĂ© le curĂ© alors qu’il disait si vous ĂȘtes discrets, je vous garantis que vous aurez autant de garçons que vous voulez aux Philippines ». En outre, quatre associations suisses de dĂ©fense des enfants le poursuivaient aussi Ă  la fin des annĂ©es 90. Enfin, Ă  Amsterdam Tricker faisait partie de ce groupe d’anglais qui organisaient un rĂ©seau pĂ©dophile avecWarwick Spinks, qu’on ne prĂ©sente hĂ©las plus. Dans ce groupe et Ă©galement arrĂȘtĂ© en 1995, Derek Brown, qui avait parlĂ© d’un snuff movie qui n’était autre que celui du meurtre de Jason Swift en 1985, pour lequel une bande de marginaux a Ă©tĂ© condamnĂ©e. Brown a Ă©tĂ© condamnĂ© aux Pays Bas en 1989 pour production de films pĂ©dos avec des enfants hollandais et marocains, et Ă©tait ami avec Mark Enfield, qui aurait Ă©tĂ© complice du meurtre de Jason Swift mais n’a jamais Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ©. On reviendra trĂšs vite sur cette affaire Jason Swift, qui est loin d’ĂȘtre claire. Quant Ă  Warwick Spinks, on peut dire qu’il a beaucoup voyagĂ© jusqu’à son arrestation en 2012 auretour de RĂ©publique TchĂšque, qu’il est impliquĂ© dans le pĂ©doporno y compris des snuff movies, et qu’il est devenu trĂšs riche. A Amsterdam, il traĂźnaitdans des bars gays oĂč on fournissait aussi des enfants, et Ă©tait en contact avec Ă©normĂ©ment de pĂ©dophiles venus d’Angleterre ou mĂȘme d’Autriche,comme un certain RenĂ© Osterwalder, mĂ©decin suisse Ă©migrĂ© Ă  Amsterdam, qui voulait prendre des enfants roumains pour les massacrer dans des snuff movies[11]. Il a ensuite montĂ© ses propres bordels, oĂč on vendait des enfants derriĂšre le comptoir ». Spinks Ă©tait au croisement de plusieurs rĂ©seaux, dont celui de Zandvoort, via ses contacts avec Norbert de Rijke et Lothar Glandorf. Ensuite, Dwyer et un certain Barry Haddon ont transformĂ© la guest house en bordel pour pĂ©dophiles. Pendant ce temps, on apprend que Haroun Kasir, l’ex mari de Carole Kasir et propriĂ©taire de la guest house, se prĂ©pare Ă  quitter l’Angleterre pour rejoindre son fils aux Etats Unis. On apprend aussi que le conseil de Richmond a prĂ©fĂ©rĂ© payer un arrangement Ă  l’amiable avec une victime qui a portĂ© plainte plutĂŽt que de risquer un procĂšs, et cela avec l’argent des contribuables. Apparemment, d’autres poursuites au civil ont eu lieu. Enfin, certains sont en train de ressortir la liste des enfants disparus dans ce coin de Londres Ă  l’époque d’Elm Guest House. Un ado de 15 ans, martin Allen, a disparu le 5 novembre 1979, et en 1981 c’est le jeune Vishal Mehotra qui disparaĂźt. A Elm Guest House, plusieurs types avaient le profil pour commettre ces enlĂšvements,comme Anthony Milsom, qui frĂ©quentait la guest house. Il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  vie en 2011 pour avoir violentĂ© et violĂ© une enfant mais trois mois plus tard en appel sa sentence a Ă©tĂ© rĂ©duite Ă  3 ans et demi. il Ă©tait rĂ©cidviste et avait aussi Ă©tĂ© condamnĂ© dans les annĂ©es 90, pour le viol d’une enfant entre ses 4 et ses 8 ans et avoir fait des photos. La liste Liste des visiteurs d’Elm Guest House rĂ©alisĂ©e suite Ă  des entretiens avec Carole Kasir, qui a voulu parler aprĂšs qu’on ait commencĂ© Ă  l’accuser d’avoir violĂ© ses propres enfants Stuart Bell, fournissait des garçons, connaissait Dwyer. Ancien dĂ©putĂ©, mort en octobre 2012. Il a commencĂ© sa carriĂšre politique au dĂ©but des annĂ©es 80. Il a aussi Ă©tĂ© porte parole pour l’Irlande du Nord de 1984 Ă  1987. En 2006, Bell est devenu chevalier de LĂ©gion dHonneur en France, par Chirac[12]. En 2011, Bell s’est pris une volĂ©e d’Ɠufs dans la figure. C’est le pĂšre d’un gamin violĂ© qui avait demandĂ© en vain de l’aide Ă  Bell qui a envoyĂ© les Ɠufs. Le pĂšre avait trouvĂ© son fils inconscient, et un type avait Ă©tĂ© condamnĂ©, mais le pĂšre de famille pensait que ce n’était pas le bon coupable. Guy Blackburn-Hamilton fils du prĂ©sident d’une compagnie d’hĂ©licoptĂšres, il a fait de la prison pour une histoire de drogue au dĂ©but des annĂ©es 80. Un jour un des hĂ©licos de son pĂšre a amenĂ© Leon Brittan, alors aux Affaires intĂ©rieures, Ă  la guest house pour qu’il passe quelques heures avec un garçon. Anthony Blunt, agent double du MI5 et des soviĂ©tiques, proche de la famille royale. Quand il a Ă©tĂ© dĂ©couvert, il a balancĂ© des collĂšgues agents doubles afin que ses activitĂ©s restent secrĂštes. Mais, on peut se demander pourquoi le MI5 l’a recrutĂ© en 1939 alors que les sympathies de Blunt pour les communistes Ă©taient connues[13]. Puis Thatcher le balance en plein parlement en 1979 ? et Blunt perd son titre de noblesse ! Il est mort en 1983, au moment de l’affaire Elm Guest House. Il Ă©tait aussi cousin de la mĂšre d’Elisabeth II et son pĂšre travaillait pour l’ambassade d’Angleterre Ă  Paris. Blunt a aussi traĂźnĂ© du cĂŽtĂ© du Kincora Boys Home Ă  Belfast, oĂč les services secrets exploitaient un bordel pour pĂ©dos afin de compromettre diverses personnalitĂ©s. D’aprĂšs certains, Blunt aurait contribuĂ© Ă  Ă©touffer les affaires concernant Jimmy Savile
.encore lui. Sir Peter Bottomley. DĂ©putĂ© conservateur et membre du Monday Club. Il a servi dans l’administration Thatcher aux Transports et Ă  l’Emploi, puis en Irlande du Nord. Il a Ă©tĂ© prĂ©sident de la Church of England’s Children’s Society et a Ă©tĂ© membre du comitĂ© politique de One Parent Families, et Ă©tait membre de la commission ecclĂ©siastique. En 1984 il devient membre du gouvernement Thatcher, notamment Ă  l’Emploi puis aux routes et transports, et en 1989 il arrive en Irlande du Nord. Sa femme Virginia est l’une des dirigeantes de la London School of Economics, et en 1988 elle entre au gouvernement, comme sous secrĂ©taire Ă  l’environnement. Elle est aussi membre de la trĂšs atlantiste Fondation Dichtley. Le cousin de Virginia Ă©tait ambassadeur aux Etats Unis Ronald Brown, dĂ©putĂ© travailliste mort en 2002, visiteur d’Elm Guest House et impliquĂ© dans l’opĂ©ration Fairbanks, au sujet de ladite guest house. Peter Brooke dĂ©putĂ© conservateur, il a servi dans les cabinets de Thatcher et de John Major. Il a fait ses Ă©tudes Ă  Harvard aux USA et est le fils d’un secrĂ©taire aux affaires intĂ©rieures. En 1987 il Ă©tait prĂ©sident du parti conservateur et en 1989 il devient secrĂ©taire d’Etat pour l’Irlande du Nord il y reste jusqu’en 1992, qui semble dĂ©cidĂ©ment une destination trĂšs prisĂ©e des pĂ©dophiles du gouvernement anglais, mĂȘme si Ă  cette Ă©poque, le Kincora Boys Home Ă©tait dĂ©jĂ  fermĂ©. Il a Ă©tĂ© anobli en 2001. Lord Leon Brittan, ex ministre de Thatcher, visiteur rĂ©gulier d’Elm Guest House. En 1989, il quitte la politique nationale aprĂšs avoir Ă©tĂ© anobli, pour devenir commissaire europĂ©en au commerce et aux affaires extĂ©rieures ainsi que vice prĂ©sident de la commission europĂ©enne en 1995 dans la commission Santer, qui a du dĂ©missionner en 1999 pour une histoire de corruption. En 2000 il est nommĂ© baron, et est aussi vice prĂ©sident d’UBS AG Investment bank, directeur non exĂ©cutif d’Unilever et membre du conseil international de Total. En 2010, il est retournĂ© au gouvernement comme conseiller au commerce jusque dĂ©but 2011. Il Ă©tait le bras droit de Thatcher lors de sa privatisation du pays Ă  marche forcĂ©e. Tout au long de sa carriĂšre, il a Ă©tĂ© sous le coup d’accusations de pĂ©dophilie, comme dans les annĂ©es 80 avec l’affaire des orphelinats du Pays de Galles. En tant que home secretary », c’est-Ă -dire les affaires intĂ©rieures, il a forcĂ©ment Ă©tĂ© mis au courant des scandales de rĂ©seaux pĂ©dophiles ainsi que de leur Ă©touffement systĂ©matique. Apparemment, la police s’est rendue chez lui Ă  la fin des annĂ©es 80 aprĂšs avoir trouvĂ© dans sa rue un garçon Ă  moitiĂ© nu qui leur a dit avoir Ă©tĂ© violĂ© par Brittan et ses amis et les a amenĂ©s jusque chez lui. Mais aucune suite n’a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  cette affaire. Peter Campbell, prof Ă  la Reading University, membre du Monday Club, il a aussi créé le LGBTory en 1975. Ce groupe est revenu en 1991 sous le nom de TORCHE Tory Campaign for Homosexual Equality.C’est lui qui a insĂ©rĂ© les pubs d’Elm Guest House dans la newsletter du groupe gay du parti conservateur. DC Chris Carter, conseil de Richmond Jess Conrad, ex Pop Star, acteur et chanteur. Chris Denning, ex DJ, notamment Ă  la BBC oĂč il Ă©tait collĂšgue de Savile et de Gary Glitter, et pĂ©do reconnu puisqu’il a Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© pour la premiĂšre fois en 1974 pour des attouchements. Il a ensuite fait 18 mois de prison en 1985 pour la mĂȘme raison, et encore en 1988, quand il a fait 3 ans de prison pour avoir abusĂ© d’un garçon de 13 ans et pour possession de pĂ©dopornographie. Denning a Ă©tĂ© grillĂ© comme membre d’un rĂ©seau pĂ©dophile basĂ© dans une boĂźte disco pour les jeunes dans le Surrey. D’autres membres Ă©minents Ă©taient Tom Paton, le manager des Bay City Rollers, ou Jonathan King, un chanteur et producteur qui a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  nouveau en 2000 pour des agressions sexuelles sur des garçons commises entre 1983 et 1989. Denning a du ĂȘtre extradĂ© de RĂ©publique TchĂšque pour comparaĂźtre Ă  son procĂšs. En 2008 il a Ă©tĂ© expĂ©diĂ© en Slovaquie oĂč il vivait pour faire face Ă  des accusations de production de pĂ©dopornographie, et a pris quatre ans de prison. Peter Dolphin ce serait un faux flic de Scotland Yard avec une solide rĂ©putation de pĂ©dophile. Il aurait Ă©tĂ© poursuivi pour la dĂ©tention d’une collection de pĂ©dopornographie. D’aprĂšs le dossier, Dolphin serait un acteur qui serait chargĂ© chez les flics de s’occuper des questions de ponrographie enfantine. Terry Dwyer, proxĂ©nĂšte impliquĂ© avec Barry Haddon dans un rĂ©seau pĂ©dophile, pour lequel ils auraient mĂȘme créé un bordel. Dwyer Ă©tait aussi informateur des flics. Parmi leurs clients, Louis Minster le directeur des services sociaux du coin, Colin Peter, Donald South, directeur de l’éducation Ă  Wandsworth, et une partie des enfants Ă©taient fournis par Niel Kier du Grafton Close Childrens Home. Steve Everett, travailleur social Ă  Westminster Tom William Field travailleur social Peter Glencross, Ă©diteur de la newsletter du Monday Club et trafiquant de films pĂ©dophiles. Barry Haddon fournisseur d’enfants et de matĂ©riel pĂ©doporno, notamment pour Harvey Proctor. Guy Hamilton Blackwell, fils du president de Westland Helicopters Charles Irving, dĂ©putĂ© conservateur Ă  tendance trĂšs nationaliste et membre du Monday Club. Nul Ă  l’école, il a repris la chaĂźne d’hĂŽtels familiale et s’est lancĂ© en politique Ă  la fin des annĂ©es 40. Une fois dĂ©putĂ© dans les annĂ©es 80, il a fondĂ© la National Association for the Care and Resettlement of Offenders Association nationale pour l’aide et la rĂ©insertion des dĂ©linquants et aussi, Ă©trangement, la National Victims Association, probablement pour mieux canaliser et museler lesdites victimes, notamment en dĂ©veloppant la mĂ©diation » et le pardon. Accessoirement, il Ă©tait connu comme Ă©tant homosexuel. Peter Johnson mĂ©decin et visiteur d’Elm Guest House ainsi que du bordel de Dwyer et Haddon. Alan Jones Colin Jordan, ex leader du National Front et qui avait aussi créé la White Defense League en Dior, Françoise, fasciste notoire, l’a Ă©pousĂ© en 1963, ce qui facilitera grandement le financement d’une sorte d’internationale nĂ©o fasciste. Françoise Dior travaillait Ă  l’époque pour la World Union of National Socialists WUNS, dirigĂ© par Lincoln Rockwell, le chef de l’Amercian Nazi party. Dior a beaucoup sillonnĂ© l’Europe pour le compte de Jordan. Niel Kier travailleur social qui Ă©tait responsable du Grafton Close Home, oĂč il a violĂ© des enfants et qu’il a quittĂ© pour lancer ensuite une maison d’enfants handicapĂ©s. Kier Ă©tait trĂšs probablement l’un de ceux qui fournissaient les enfants pour les partouzes de la guest house. R Langley, de Buckingham Palace DC David Lines, conseil de Barnes Maurice McCall probablement l’un de ceux qui fournissaient les enfants. On disait qu’il pouvait livrer un enfant en l’espace de deux heures, et que s’il n’en avait pas en stock il en kidnappait dans les rues. Sheila McInnes Stan Matthews qui tenait le Monday Club de Londres et vivait apparemment du trafic de pĂ©doporno. Il a sĂ©journĂ© Ă  la Guest house et aurait Ă©tĂ© l’ami de Haddon. WPC Elizabeth Meredith Richard Miles, du Monday Club Anthony Milton pĂ©dophile notoire, plusieurs fois condamnĂ© depuis les annĂ©es 90. Louis Minster, directeur des Services sociaux de Richmond depuis 1975, oĂč Ă©tait le Grafton Close Home. Pourtant, il a dĂ©clarĂ© rĂ©cemment au magazine Exaro qu’il n’avait jamais entendu parler d’Elm Guest house, contrairement Ă  son collĂšgue Terry Earland. Ralph Morris un visiteur d’Elm Guest House dont le nom a Ă©tĂ© dĂ©voilĂ© dĂ©but mars. Des documents saisis dans le cadre de l’opĂ©ration Fernbridge ont montrĂ© que Morris Ă©tait un visiteur rĂ©gulier d’Elm Guest House. A l’époque, il dirigeait l’école privĂ©e spĂ©ciale de Castle Hill Ă  Ludlow, qu’il avait ouverte en 1981 avec un associĂ©. L’école, destinĂ©e Ă  des enfants ayant des problĂšmes de comportement, a fermĂ© en 1991 aprĂšs que Morris ait Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  12 ans de prison pour avoir violĂ© une quinzaine de garçons ĂągĂ©s de 11 Ă  16 ans. Mais au total, ce sont 44 garçons qui ont dĂ©noncĂ© des viols commis par Morris. Le conseil local payait Morris entre et par an pour chaque enfant placĂ© dans son Ă©tablissement qui rĂ©alisait plus de de bĂ©nĂ©fice chaque annĂ©e, sur le dos d’enfants placĂ©s et sur celui des contribuables. Pour choisir ses victimes, Morris prĂ©fĂ©rait les enfants qui avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© violĂ©s, qui Ă©taient les plus perturbĂ©s, ou ceux dont les parents Ă©taient totalement absents. Morris se serait suicidĂ© en prison en 1996. Donald Naismith, en charge de l’Education au conseil de Richmond. Il a ensuite fait une brillante carriĂšre dans le secteur de l’éducation oĂč il a contribuĂ© Ă  mener les grandes rĂ©formes libĂ©rales sous Thatcher. Colin Peters, avocat au ministĂšre des Affaires EtrangĂšres, il fournissait des enfants Ă  des clients. Il a Ă©tĂ© envoyĂ© en taule en 1989 pour avoir participĂ© Ă  un rĂ©seau pĂ©docriminel qui a abusĂ© de centaines d’enfants. Son arrestation a fait suite Ă  un d’enquĂȘte dans le cadre de l’Operation Hedgerow, portant sur les accusations de 150 enfants. ce rĂ©seau fournissait des enfants Ă  diverses personnalitĂ©s. Certains enfants, dont l’une des victimes d’Elm Guest House, ont dit qu’ils avaient Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă  Amsterdam pour y ĂȘtre violĂ©s dans des bordels ou dans des villas, par des politiciens notamment. DĂ©jĂ  Ă  l’époque de l’opĂ©ration Hedgerow, Elm Guest House donc, mais aussi le Grafton Close Children home avaient Ă©tĂ© citĂ©s. Mais, il semble que les flics n’ont pas eu le temps d’investiguer plus d’un an sur cette affaire, par exemple sur la piste hollandaise. Plusieurs enfants ont citĂ© Colin Peters comme un pĂ©dophile qui venait rĂ©guliĂšrement Ă  Elm Guest House, oĂč il tournait des films pĂ©dopornographiques. Ils ont dit avoir Ă©tĂ© droguĂ©s, et beaucoup venaient d’écoles pour enfants difficiles. Peters a pris 8 ans y compris pour avoir tentĂ© de corrompre le tribunal en 1989 et ses films ont Ă©tĂ© saisis. Depuis, on n’en a plus entendu parler. Ont Ă©tĂ© condamnĂ©s avec lui Alan Delaney, un dirigeant d’entreprise qui passait pour le cerveau de la bande, Victor Burnett et Ernest Whittington. On aurait pu aller beaucoup plus loin avec ce rĂ©seau, et mĂȘme les flics ont toruvĂ© els condamnations particuliĂšrement clĂ©mentes. De fait, le rĂ©seau Delaney Ă©tait probablement connectĂ© avec le rĂ©seau d’un Italien appelĂ© Moncini, tombĂ© en 1988, et qui procurait des enfants pour des partouzes satanistes. Harvey Proctor, dĂ©putĂ© et membre du Monday Club. En 1986, sa carriĂšre politique a pris fin quand un magazine a publiĂ© des dĂ©clarations selon lesquelles Proctor avait battu des prostituĂ©s ĂągĂ©s de 17 Ă  21 ansdans son appartement de Londres. A cette Ă©poque, les relations homosexuelles n’étaient autorisĂ©es qu’à partir de 21 ans. Il s’en est tirĂ© avec d’amende. Apparemment, il s’est vite refait, et en 2004 il rĂ©gnait sur le chĂąteau de Belvoir, un chĂąteau de 365 chambres qu’on peut rĂ©server pour des soirĂ©es privĂ©es ou des sĂ©minaires. Il y occupe le poste de secrĂ©taire privĂ© du duc et de la duchesse de Ruthland. Patrick Puddles qui d’aprĂšs Carole Kasir lui aurait mis la pression. Il tenait un magasin Ă  Richmond et apprĂ©ciait les sĂ©ances photos dans le jacuzzi d’Elm guest House, avec des enfants bien sur. Cliff Richard, Pop Star, connu Ă  Elm Guest House sous le pseudo de “Kitty”. John Rowe, membre du MI5 et ancien dĂ©putĂ© Ă  l’époque des faits. D’aprĂšs Carole Kasir, c’est lui et Terry Dwyer qui l’ont persuadĂ©e de transformer la guest house en bordel homo puis pĂ©dophile. C’est aussi le duo Rowe – Dwyer qui aurait prĂ©sentĂ© Carole Kasir au pĂšre Glencross, qui gĂ©rait le magazine Spartacus. Ce qui laisse penser que le MI5 n’était pas Ă©tranger Ă  la mise en place de ce rĂ©seau pĂ©dophile basĂ© Ă  Elm Guest House. Jimmy Savile il Ă©tait un grand ami d’Haroun Kasir et venait rĂ©guliĂšrement Ă  la Elm Guest House. PC Roderick Smeaton Cyril Smith, ancien dĂ©putĂ© libĂ©ral de Rochdale mort en 2010, impliquĂ© aussi dans l’affaire des orphelinats du Pays de Galles et de Jersey avec Jimmy Savile. En fait, la police savait dĂ©jĂ  7 ans avant qu’il ne soit Ă©lu dĂ©putĂ© en 1965 que Smith Ă©tait un pĂ©dophile. Deux sources l’ont identifiĂ©comme un visiteur rĂ©gulier d’Elm Guest house, notamment aux partouzes organisĂ©es chaque mois. Jusqu’à ce qu’il casse des WC et refuse de rembourser, si bien qu’il aurait Ă©tĂ© exclu de la guest house. RĂ©cemment, les flics ont admis qu’ils ont laissĂ© de cotĂ© trois opportunitĂ©s d’envoyer Smith en prison pour des viols de mineurs[14]. Un dossier le concernant et que la police a dit avoir perdu est dĂ©sormais entre les mains du MI5 qui n’en fera probablement rien de plus. Tout au long de sa carriĂšre, les rumeurs comme quoi il aimait les enfants n’ont cessĂ© dans les rues de Rochdale. DĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre, il s’est rapprochĂ© du domaine de l’enfance, prenant en charge les activitĂ©s des jeunes, les Ă©coles
 Il a aussi créé un foyer pour les garçons de familles dĂ©favorisĂ©es, approchait les parents et disait que leur fils serait mieux dans le foyer. FinancĂ© avec l’argent public et avec des donations privĂ©es de businessmans du coin ou du Rotary Club, la Cambridge House a ouvert en 1962. Smith avait son propre jeu de clĂ©s et Ă©tait lĂ -bas, chez lui. Warwick Spinks hĂ©las on ne le prĂ©sente plus, mais il fait la connexion avec les rĂ©seaux hollandais au moins autant que Glencross ou Stamford. John Stingemore, qui Ă©tait donc le responsable du Grafton Close Children’s Home au jusqu’en 1981. Travailleur social des services de Richmond, il avait Ă©tĂ© poursuivi et arrĂȘtĂ© dans les annĂ©es 80 pour des abus sur des enfants. Il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en fĂ©vrier en mĂȘme temps que le pĂšre Tony McSweeney, dans le cadre de l’opĂ©ration Fernbridge. DC Ron Thornton, conseil de Richmond George Tremlett, ancien leader du Conseil du grand Londres Gary Walker, du Sinn Fein parti nationaliste irlandais pourtant opposĂ© radicalement Ă  l’Angleterre. Il aurait plusieurs pseudonymes, dont celui-lĂ . Ron Wells, Musicien connu Ă  Elm sous le pseudo de “Gladys”. Il s’agit trĂšs probablement de Ronnie Wells, qui a commencĂ© sa carriĂšre Ă  la fin des annĂ©es 50 alors qu’il Ă©tait enfant. PC Chris Wicks Ray Wire, celui-lĂ  est intĂ©ressant c’est un expert en thĂ©rapies pour les enfants, mort en 2008. Il passe pour avoir Ă©tĂ© un pionnier dans le traitement » des dĂ©linquants et criminels sexuels notamment via des sĂ©ances de masturbation, et avait créé Ă  cet effet la Gracewell Clinic. Il passait trĂšs souvent dans les mĂ©diaspour donner son avis au sujet des pĂ©dophiles, et conseillait aussi la police et les tribunaux. Bizarrement, il a appuyĂ© les propos d’enfants Ă©voquant des abus sexuels rituels et il a listĂ© des symptĂŽmes que prĂ©sentent les victimes. Il a aussi fait la liste des comportements que prĂ©sentent selon lui les dĂ©linquants et criminels sexuels. Evidemment, cette nomenclature exclut le profil de pĂ©dos qu’on trouvait par exemple Ă  Elm Guest House. [1] Dickens a aussi expliquĂ© qu’on avait retrouvĂ© son nom sur la liste noire d’un tueur Ă  gages. [2] Le PIO a Ă©tĂ© créé par Peter Righton, expert anglais de la protection de l’enfance, et le trĂ©sorier Ă©tait Charles Napier. Une descente a eu lieu chez Righton de son vrai nom Paul Pelham en 1992, et on a retrouvĂ© des films pĂ©dopornos souvent hard core, tournĂ©s Ă  Amsterdam ainsi que toute une correspondance avec des pĂ©dos Ă  travers le monde, qui prouvaient qu’il avait exploitĂ©, violĂ© et prostituĂ© des enfants. Pour cela, Righton a pris 900ÂŁ d’amende. On a aussi appris que l’amant de Righton tenait une Ă©cole pour enfants Ă©motionnellement perturbĂ©s. Quant Ă  Napier, il avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© condamnĂ© 1972 pour des abus sexuels sur mineur, puis est allĂ© en SuĂšde en 1978 oĂč il a Ă©tĂ© enseignant, puis il a quittĂ© le pays pour devenir prof d’anglais au Caire. LĂ , il s’est vantĂ© de pouvoir envoyer des vidĂ©os par valises diplomatiques anglaises. Napier a aussi contribuĂ© Ă  crĂ©er une Ă©cole en Turquie
 En 1995, il fait 15 mois de prison pour un viol commis dans les annĂ©es 80. Righton, en tant que chef de l’éducation en Angleterre, a mĂȘme pris sa dĂ©fense en 1972 pour dire que Napier n’était plus un risque pour les enfants, et mĂȘme qu’il Ă©tait un bon prof ! [3] Celle-ci a travaillĂ© pour les renseignements britanniques, avant de retourner sa veste et de dĂ©noncer l’existence d’un rĂ©seau pĂ©dophile d’élite impliquant des politiciens de premier plan, et dont les victimes provenaient souvent d’orphelinats. Elle a Ă©tĂ© poursuivie pour recel de documents et a subi de nombreuses procĂ©dures si bien qu’elle a demandĂ© l’asile politique aux Etats Unis. [4] Au moins sept garçons. [5] Seul un ado de plus de seize ans, deux flics soi disant sous couverture et les patrons de la guest house Ă©taient lĂ  ce jour-lĂ . [6] Qui comptait 171 membres en 1983. [7] Lorsque VĂ©drine a Ă©tĂ© parachutĂ© par Mitterrand dans la NiĂšvre et qu’il lui fallait une adresse, pour la campagne de 1977. A ce sujet, VĂ©drine a Ă©crit dans Les Mondes de François Mitterrand » Mais comment, lui demandai-je [Ă  Mitterrand], ĂȘtre candidat dans une commune oĂč je ne connaissais personne ? Il allait s’en occuper, me dit-il, en me mettant en contact avec des amis, les Maringe, qui me mettraient Ă  leur tour en relation avec le curĂ© de Saint-LĂ©ger-des-Vignes, le pĂšre Glencross, un anglais original Ă©chouĂ© dans le Nivernais depuis la guerre, adorĂ© de ses paroissiens et trĂšs proche des animateurs de la jeune Ă©quipe socialiste, Robert BillouĂ© et Guy Leblanc. Ainsi fut fait ». VĂ©drine a ensuite gagnĂ© les Ă©lections, de mĂȘme qu’en 1983 et 1989. [8] Cela, en lien avec le rĂ©seau appelĂ© Toro Bravo, qu’on n’a jamais dĂ©couvert totalement. Le rĂ©seau a refait parler de lui en 1996, aprĂšs qu’on ait trouvĂ© des vidĂ©os sur lesquelles apparaissaient des membres du rĂ©seau qui ont Ă©tĂ© laissĂ©s tranquilles. 72 arrestations s’en suivirent, dont celle de Bernard Alaptetite, rĂ©alisateur de films pĂ©dopornos, en lien avec un autre rĂ©seau appelĂ© Ado 71 », dans lequel on a comptĂ© plus de 800 perquisitions, 686 interpellations, 103 mises en examen et 15 suicides. Des clients de Toro bravo avaient aussi chez eux la revue Spartacus. La plupart ont eu du sursis et Ă©taient amnistiables un an plus tard. Michel Caignet, un nĂ©o nazi pĂ©dophile qui fournissait des cassettes pĂ©dopornos, proche de DoucĂ© et des rĂ©seaux Gladio, faisait partie de ce rĂ©seau. Il organisait aussi des tournages depuis la Colombie avec des mineurs. LĂ -bas, il collaborait avec Jean-Manuel Vuillaume, prof Ă  Paris VIII en technique vidĂ©o, qui tenait un bordel Ă  Bogota. Caignet a dit qu’il achetait des vidĂ©os pĂ©dopornos Ă  Vuillaume pour Ă  par original. [10] Association qui a dĂ©couvert les CD Roms dits de Zandvoort, dans lesquels on a plus de images d’enfants victimes de sĂ©vices. L’enquĂȘte a Ă©tĂ© Ă©touffĂ©e dans certains pays et n’a mĂȘme pas dĂ©marrĂ© dans d’autres, comme la France. On se rappelle notamment du substitut Yvon Tallec dĂ©clarant au JT de 20 heures qu’il fallait minimiser » la portĂ©e de ces CD et donc de tout le rĂ©seau qui se trouve derriĂšre, et j’espĂšre pouvoir revenir sur ce sombre personnage trĂšs bientĂŽt. [12] Le fait que Bell soit un pĂ©dophile notoire n’a probablement pas Ă©tĂ© un frein pour cette LĂ©gion d honneur, bien au contraire. [13] Certains disent que c’est Ted Rothschild qui l’avait recommandĂ©, et Ted Rotschild Ă©tait un espion Ă  la solde d’IsraĂ«l. [14] Barry Fitton, une de ses victimes, a dĂ©clarĂ© qu’on ne l’avait jamais cru quand il avait parlĂ© des viols commis par Smith. Alan Neal, une autre victime de Smith dans les annĂ©es 60, a dit que certaines de ses victimes s’étaient donnĂ© la mort Ă  force de passer pour des menteurs. Neal a Ă©tĂ© violĂ© et frappĂ© par Smith quand il avait 11 ans et qu’il Ă©tait dans un foyer en 1964. En 1969, une enquĂȘte portait sur les accusations de huit garçons du Cambridge House Hostel créée par Smith Ă  Rochdale ont dĂ©noncĂ© des viols commis par Smith entre 1961 et 1969. En 1997, une nouvelle victime de Smith parle aux flics de viols commis Ă  Cambrige House entre en 1965 et 1968 et en 1999 ce sont de nouveaux viols, commis entre 1962 et 1965 qui sont dĂ©noncĂ©s. Il n’y a jamais eu aucune poursuite. Lord Mountbatten et la reine Elisabeth II. Edward VIII Dans la famille royale aussi, on dĂ©couvre quelques nazis. Comme le Prince Charles Edward, un duc de Saxe Cobourg Gotha et petit fils prĂ©fĂ©rĂ© de la reine Victoria[4], qui est passĂ© pour un traĂźtre en Angleterre durant la premiĂšre guerre mondiale et a rejoint le parti nazi dĂšs sa crĂ©ation. En 1936, Hitler l’a envoyĂ© en Angleterre pour devenir le prĂ©sident de l’Anglo German Friendship Society afin de dĂ©velopper les relations entre les deux pays, et l’a aussi nommĂ© prĂ©sident de la Croix Rouge Allemande. On a aussi Édouard VIII, qui a carrĂ©ment donnĂ© Ă  Hitler les plans de dĂ©fense de la France avant le dĂ©but de la deuxiĂšme guerre. Charles Edward s’est rapprochĂ© de lui par le biais de son association, mais, pas de chance, Edouard VIII a du abdiquer juste avant la guerre. Quant Ă  Philip, ses quatre sƓurs sont mariĂ©es Ă  des princes allemands aux sympathies nazies. L’un d’eux Ă©tait Colonel dans la SS, attachĂ© au service personnel d’Himmler. La mĂšre d’Elisabeth II s’était d’ailleurs opposĂ©e au mariage de sa fille avec ce prince allemand. Tout cela est prouvĂ© par les archives et les recherches des historiens, mais il ne faut pas oublier que ce fut un grand tabou durant 60 ans. Philip n’a commencĂ© Ă  parler de ses connexions nazies que quand le feu a Ă©tĂ© allumĂ©, pour mieux noyer le poisson. C’est l’oncle de Philip, George van Battenberg, frĂšre de Louis Montbatten, qui fut son reprĂ©sentant lĂ©gal. Lord Mountbatten Lord Mountbatten Il est considĂ©rĂ© comme le mentor du prince Charles, aprĂšs avoir Ă©tĂ© celui du prince Philip. Amiral de la navy, il Ă©tait aux premiĂšres loges pour organiser le trafic de drogue entre l’Asie du sud est et l’Europe. Mountbatten Ă©tait le frĂšre de la reine de SuĂšde, l’oncle du prince Philip, et les deux portent comme vrai nom celui de Battenberg, anglicisĂ© en Mountbatten. Mountbatten, tout comme Edward Heath, a Ă©tĂ© reliĂ© Ă  l’affaire du Kincora Boys Home, un orphelinat oĂč il est avĂ©rĂ© que le MI5 a Ă©laborĂ© un rĂ©seau pĂ©dophile destinĂ© Ă  compromettre diverses personnalitĂ©s. Des enfants du Kincora Boys Home Ă©taient emmenĂ©s dans un chĂąteau au centre de l’Irlande, qui appartenait Ă  la famille du fondateur du Hellfire Club, un groupuscule Ă©litiste fondĂ© Ă  la fin du XVIIIĂšme. Certains orphelinats du pays de Galles servaient Ă©galement au MI5 pour filmer des diplomates Ă©trangers dans des positions plus que compromettantes. On sait aussi que c’est Mountbatten qui a permis Ă  Savile d’ĂȘtre le premier civil Ă  ĂȘtre dĂ©corĂ© du bĂ©ret vert », une distinction militaire, en 1966. On prĂȘte souvent une relation homosexuelle Ă  Mountbatten et Edward VIII, qui Ă©taient cousins. Il est mort en 1979 dans l’explosion de son bateau qui a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  l’IRA parce qu’est pratique, mais plusieurs thĂ©ories circulent notamment vers la piste des services secrets. Accessoirement, il Ă©tait avec un garçon de 15 ans, Paul Maxwell, sur le bateau au moment de l’explosion. Porphyrie La porphyrie du grec porphyra qui signifie violet est une maladie du sang trĂšs rĂ©pandue dans les familles royales europĂ©enneset chez les tsars russes, oĂč la consanguinitĂ© est quasiment la rĂšgle. On nous explique que cette maladie, qui se prĂ©sente sous diffĂ©rentes formes, a entraĂźnĂ© le mythe de Dracula car les personnes atteintes de porphyrie sont obligĂ©es de rĂ©gĂ©nĂ©rer leur sang, soit par dialyse, soit en en buvant. On peut ajouter qu’à force de se dĂ©foncer Ă  la coke synthĂ©tique du matin au soir, le sang de certaines personnes est tellement pourri qu’ils doivent boire du sang neuf dĂšs le matin au petit dĂ©jeuner[5]. Ca peut paraĂźtre incroyable, mais c’est vrai. Le dĂ©bat fait rage et les familles royales, notamment celle d’Angleterre, nient absolument ĂȘtre victimes de cette maladie, comme on le soupçonne chez leurs ancĂȘtres Georges III et Mary Stuart. Charlotte, petite fille de la Reine Victoria, avait aussi la porphyrie, de mĂȘme que sa mĂšre Vicky ou le cousin de la reine Elisabeth, William de Gloucester. C’est certainement un hasard si le prince Charles a dĂ©clarĂ© en octobre 2011 qu’il Ă©tait un descendant de Dracula par sa grand-mĂšre, la reine Marie. Sauf que Dracula n’est pas un mythe, pas plus que le fait de boire du sang ou de se protĂ©ger de la lumiĂšre du jour. Et quel est le sang le plus recherchĂ© ? Celui des enfants Blancs, Ă©videmment. La famille royale, une clique pĂ©dophile La famille royale anglaise est surtout, comme tous les dirigeants des pays dĂ©veloppĂ©s et probablement des autres pays aussi, vĂ©rolĂ©e jusqu’à la moelle par ses comportements pĂ©docriminels. Pourquoi ? Parce que, comme tous nos dirigeants, la famille royale anglaise est sataniste. À ce titre, elle est forcĂ©ment pĂ©dophile. On pourrait ajouter que la reine d’Angleterre comme ses descendants sont cocaĂŻnĂ©s jusqu’aux yeux, et consomment plusieurs kilos de cocaĂŻne pure chaque mois. On sait par exemple que deux anciens premiers ministres, Harold Wilson et Edward Heath, pratiquaient les sacrifices d’enfants, qui sont incontournables pour un bon sataniste bien tarĂ©. Heath, qui apprĂ©ciait beaucoup les virĂ©es Ă  Jersey, aurait ainsi tuĂ© plusieurs enfants. On le retrouve aussi du cĂŽtĂ© de Belfast, au Kicora Boys Home, directement liĂ© au groupuscule satanique le Hellfire Club, et aussi du cĂŽtĂ© d’Elm Guest house. En 2008, c’est un majordome de Buckingham Palace et ancien marine, Paul Kidd, qui s’est fait coincer pour des viols commis sur des mineurs durant 30 ans, alors qu’il travaillait pour la famille royale. Bien sĂ»r, aucun lien n’a Ă©tĂ© fait entre le rĂ©seau pĂ©dophile mis en place par Kidd et la famille royale. Une de ses victimes a expliquĂ© que, alors qu’il avait 14 ans, Kidd l’a invitĂ© Ă  prendre le thĂ© en compagnie de la reine Ă  la fin des annĂ©es 70. En 1999, une enquĂȘte internationale appelĂ©e Operation Ore a menĂ© Ă  des arrestations, notamment aux Pays Bas et en Angleterre, et les policiers ont pu Ă©tablir des liens entre des pĂ©dophiles du Labour prĂ©sents au gouvernement et du trafic d’enfants dans un but de prostitution en Belgique et au Portugal[6]. Blair a eu tellement chaud aux fesses qu’il a imposĂ© aux mĂ©dias de ne citer aucun nom[7]. Quant Ă  Savile, il ne fait dĂ©sormais plus aucun doute qu’il s’adonnait Ă  des cĂ©rĂ©monies sataniques. On sait qu’il fournissait des enfants au gouvernement, notamment Ă  Jersey oĂč un tĂ©moin l’a vu faire monter un enfant sur le yacht d’Edward Heath, alors premier ministre. Ce n’est pas pour rien que le dĂ©putĂ© Tom Watson a demandĂ© une enquĂȘte sĂ©rieuse au sujet d’ un rĂ©seau pĂ©dophile puissant liĂ© au Parlement et Ă  Downing Street ». Plusieurs Ă©lĂ©ments corroborent ce penchant de la famille royale, notamment Jimmy Savile La star de la BBC Ă©tait le fournisseur d’enfants pour les cercles fermĂ©s de la famille royale et du gouvernement. Il avait accĂšs Ă  de nombreux orphelinats comme celui de Jersey par exemple, mais aussi Ă  des pensionnats de jeunes filles, Ă  des hĂŽpitaux psychiatriques dont il avait toutes les clĂ©s et oĂč il Ă©tait mĂȘme hĂ©bergĂ©[8], et pouvait se fournir en enfants n’importe oĂč et n’importe quand. Savile, qui cumule aujourd’hui plus de 450 plaintes, a Ă©tĂ© introduit auprĂšs du Prince Charles par Lord Mountbatten au dĂ©but des annĂ©es 70, soit une dizaine d’annĂ©es aprĂšs les premiĂšres plaintes d’abus sexuels contre Savile, en 1964. Le prince Charles et Jimmy Savile Ensuite, Savile est carrĂ©ment devenu un proche conseiller de Charles, donnant son avis sur la nomination d’un assistant, ou mĂȘme sur l’organisation de son mariage. Au palais, Savile se comportait normalement, c’est-Ă -dire comme un chien en rut. Certains considĂšrent aussi que l’émission dĂ©bile de Savile, Jim’ll fix it 1975 – 1994, n’avait pour but que de faciliter l’accĂšs du prĂ©dateur aux enfants. Ajoutons, qu’en plus d’ĂȘtre pĂ©dophile, Savile se livrait Ă  des pratiques nĂ©crophiles[9] ainsi qu’à des pratiques sataniques, ce qui est dĂ©crit dans plusieurs tĂ©moignages de victimes. Ce n’est probablement pas pour rien que le corps d’une jeune femme a Ă©tĂ© retrouvĂ© juste devant chez lui le matin du 5 fĂ©vrier 1977. D’ailleurs, les liens d’amitiĂ© de Savile avec le tueur en sĂ©rie Peter Sutcliffe qui a avouĂ© le meurtre, et leur proximitĂ© gĂ©ographique avant que Sutcliffe ne soit envoyĂ© dans l’un des hĂŽpitaux du circuit de Savile – Broadmoor -, posent aussi question. Le neveu de Savile, Guy Mardsen, a expliquĂ© il y a quelques mois comment son oncle l’emmenait dans des partouzes avec des types puissants, et comment il lui demandait de trouver d’autres enfants plus jeunes pour amuser la clique. L’affaire des enfants volĂ©s dans un orphelinat indien du Canada Un massacre de dizaines de milliers d’enfants autochtones abusĂ©s et torturĂ©s par des pervers. J’ai dĂ©jĂ  abordĂ© cette affaire dans un article consacrĂ© au gĂ©nocide des Indiens du Canada, notamment en envoyant leurs enfants dans des orphelinats tenus par l’Église, de vĂ©ritables mouroirs dans lesquels opĂ©raient des rĂ©seaux pĂ©dophiles. Pour rĂ©sumer, trois survivants de ces orphelinats ont dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© tĂ©moins de l’enlĂšvement d’une dizaine d’enfants par la Reine d’Angleterre. Lors d’une visite royale en octobre 1964 dans l’un de ces orphelinats Ă  Kamloops, en Colombie Britannique, on a prĂ©sentĂ© les enfants Ă  la reine et au prince Philip qui l’accompagnait. Le premier de ces tĂ©moins est mort rapidement aprĂšs avoir parlĂ©, et le dernier survivant, William Combes, est mort en fĂ©vrier 2011, avant d’avoir pu tĂ©moigner au procĂšs qui a valu notamment une condamnation Ă  25 ans de prison pour le pape et la reine d’Angleterre. Au passage, le dĂ©cĂšs de Combes ressemble beaucoup Ă  un assassinat, selon certains, comme Kevin Annett qui a enquĂȘtĂ© sur le sujet. L’école Ă©tait tenue par l’Église catholique, et les enfants y Ă©taient systĂ©matiquement torturĂ©s, certains Ă©taient mĂȘme tuĂ©s, comme ce fut le cas dans une bonne partie de ces residential schools ». Le jour de la visite royale, certains enfants ont eu le privilĂšge de pique-niquer avec la reine et Philip, ainsi que quelques prĂȘtres. Combes, qui avait 12 ans Ă  l’époque, se souvient Je me rappelle que c’était bizarre, parce qu’on a tous du baiser les pieds de la reine, qui avait des chaussures blanches Ă  lacets ». AprĂšs un moment, la reine a quittĂ© le pique nique avec dix enfants de l’école, sept garçons et trois filles ĂągĂ©s de 6 Ă  14 ans, et ces enfants ne sont jamais revenus », dit encore le tĂ©moin dans sa dĂ©position officielle le 3 fĂ©vrier 2010, on n’a plus jamais entendu parler d’eux et on ne les a jamais revus, mĂȘme quand nous Ă©tions plus ĂągĂ©s ». La condamnation rĂ©cente de la Reine d’Angleterre – de mĂȘme que du pape – par un tribunal canadien pour crimes contre l’humanitĂ© On parle du massacre des indiens du Canada, envoyĂ©s dans des orphelinats tenus par l’Église qui Ă©taient transformĂ©s en vĂ©ritables bordels. On estime avoir totalement perdu la trace de enfants, en plus de ceux dont on sait qu’ils y sont morts. Ce verdict est intervenu le 25 fĂ©vrier 2013 aprĂšs un mois de dĂ©libĂ©ration par plus de trente jurĂ©s qui ont examinĂ© 150 cas d’abus sexuels et maltraitances dans ces orphelinats. BenoĂźt XVI a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  25 ans de prison, mais comme il a dĂ©missionnĂ© pile au bon moment et qu’il est ĂągĂ©, il pourrait passer entre les mailles du filet. La reine d’Angleterre va-t-elle aussi dĂ©missionner, comme la Reine Beatrix qui vient de le faire, ou le roi des Belges Albert II qui a lui aussi le feu aux fesses avec des dossiers de pĂ©docriminalitĂ© et s’apprĂȘte Ă  faire de mĂȘme ? Ces condamnations – ils ont tous pris 25 ans, et encore, ce n’est pas cher payĂ© – sont le fruit d’une centaine d’annĂ©es de combat des indiens du Canada pour faire reconnaĂźtre le massacre dont ils ont Ă©tĂ© victimes. La parole s’est libĂ©rĂ©e rĂ©cemment, au cours des annĂ©es 90, et des centaines de personnes se sont mobilisĂ©es pour accumuler des preuves de ces ignominies sans nom. L’affaire chĂąteau templier en 2001 L’affaire est trĂšs grave, et a Ă©tĂ© couverte principalement dans le but de faire chanter les coupables. En 2001, dans le sud de la France, trĂšs probablement dans les Alpes Maritimes, et trĂšs probablement entre la mi-mai et la mi-aoĂ»t, la France a connu une affaire qui a fait jaser dans les services secrets, mais que le bon peuple ignore totalement, hĂ©las. Chaque annĂ©e, une grande cĂ©rĂ©monie satanique est organisĂ©e dans un chĂąteau templier prĂšs de Cagnes sur Mer, par et pour la famille royale anglaise. Le gratin sataniste anglais se devait d’y ĂȘtre prĂ©sent, y compris de nombreux membres du MI5 et du MI6. Le programme, c’est des orgies, des tortures, des meurtres d’enfants et d’adultes en quantitĂ©. Pour cela, il fallait de nombreuses proies, qui Ă©taient enfermĂ©e dans les sous-sols oĂč avaient Ă©galement lieu les rituels. PrĂ©cisons que tout le monde Ă©tait complĂštement dĂ©foncĂ©, voire Ă  moitiĂ© hypnotisĂ©, et que des jeux de rĂŽle mĂ©langeaient encore les choses davantage. Le truc, c’est qu’en 2001, de nombreuses victimes se sont Ă©chappĂ©es[10]. Ce qui a provoquĂ© une vĂ©ritable panique dans la campagne environnante et l’intervention de la gendarmerie française. Celle-ci a ensuite fait venir l’armĂ©e anglaise afin d’exfiltrer des membres de la famille royale, au moins William et Philip, en les cachant avec des sacs de pommes de terre qui les couvraient jusqu’à la taille[11]. De cette maniĂšre, ni les flics français ni les militaires anglais prĂ©sents ne savaient qui avait Ă©tĂ© sorti discrĂštement du chĂąteau et mis Ă  l’arriĂšre d’un van. Tout aurait Ă©tĂ© pour le mieux si des services Ă©trangers n’avaient pas mis la main sur des vidĂ©os rĂ©alisĂ©es lors des rituels dans le chĂąteau. La CIA et le Mossad ont ainsi leurs exemplaires, et il semble que des copies soient en vente un peu partout dans le monde. Apparemment, plusieurs satanistes anglais sont sous le coup de chantage qui leur coĂ»tent trĂšs cher depuis cette affaire. [1] De fait, Allen a expliquĂ© au procĂšs qu’il avait versĂ© entre 7 et Ă  Leander et Adrian. [2] Les enfants les plus difficiles rapportant davantage, Allen en prenait bien au-delĂ  des capacitĂ©s d’accueil de ses homes. Idem pour les placements en urgence. Selon la mĂȘme logique financiĂšre – qu’on retrouve Ă©videmment en France avec toutes ces associations privĂ©es qui se gavent sur le dos des enfants tout en conseillant aux tribunaux
 de placer les enfants -, les enfants restaient la plupart du temps entre deux et trois ans dans les homes d’Allen. [3] Son fils Thomas a mĂȘme Ă©tĂ© voir un pĂ©dophile emprisonnĂ© dans cette affaire pour lui demander de ne pas balancer le rĂ©seau et qu’il interviendrait pour lui auprĂšs de son pĂšre. Il Ă©tait pĂ©dophile – ce que les policiers savaient parfaitement, pourtant sa victime prĂ©fĂ©rĂ©e n’a pas Ă©tĂ© protĂ©gĂ©e, bien au contraire – et est mort du SIDA en 1993. [4] C’est la reine Victoria qui a dĂ©cidĂ© d’envoyer son petit fils en Allemagne et qu’il deviendrait duc de Saxe Cobourg Gotha, la principautĂ© allemande d’oĂč venait son mari le prince Albert. À 16 ans il est devenu Carl Eduard, possĂ©dant 13 chĂąteaux en Allemagne et en Autriche etc. Il s’est mariĂ© avec une fille du Kaiser et a combattu l’Angleterre durant la premiĂšre guerre, si bien qu’il a perdu tous ses titres anglais en 1918. [5] La prise de certaines drogues telles que la cocaĂŻne, dont raffole toute la famille royale anglaise, peut dĂ©clencher une porphyrie latente ou empirer la maladie. [6] Des enfants de la Casa Pia, cet orphelinat portugais qui servait Ă  fournir des partouzes pĂ©dophiles en enfants, Ă©taient embrigadĂ©s dans ce rĂ©seau. [7] Ce qui a permis Ă  l’un de ses assistants, Philip Lyon, de ne pas ĂȘtre inquiĂ©tĂ© avant 2003, quand il s’est fait pincer pour avoir tĂ©lĂ©chargĂ© des images pĂ©dophiles. [8] Savile avait son appartement Ă  l’hĂŽpital Stoke Mandeville et aussi Ă  Broadmoor, pour lequel il avait lancĂ© une collecte de fonds. Il se rendait seul Ă  la morgue de l’hĂŽpital, ce qui laisse dĂ©sormais songeur. Il avait aussi toutes les clĂ©s de Broadmoor – hĂŽpital psychiatrique -, oĂč plusieurs viols ont Ă©tĂ© commis. [9] Ce qui Ă©tait d’autant plus facile pour lui qu’il avait accĂšs aux morgues des hĂŽpitaux prĂ©citĂ©s, notamment. [10] Actuellement, je ne sais pas si c’est l’une des victimes qui est parvenue Ă  faire sortir les autres, ou si c’est un service Ă©tranger qui leur a permis de sortir, mais je penche pour la deuxiĂšme solution. [11] Il paraĂźt qu’on a appelĂ© cette opĂ©ration l’opĂ©ration SPUDNIKS, du nom d’une marque de chips. Alexis Cossette-Trudel de Radio-QuĂ©bec s’entretient avec un reprĂ©sentant de la communautĂ© kabyle au QuĂ©bec
Vous serez surpris Adil Charkaoui ,Ă  gauiche,est l’exemple le plus dangereux qui menace la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise. Personne n’est rĂ©ellement propriĂ©taire au Canada, mĂȘme si votre terrain et votre propriĂ©tĂ© est payĂ©e en totalitĂ© vous ĂȘtes sur les terres de la reine et c’est la raison pour laquelle vous devrez toujours payer des taxes. Sa MajestĂ© devant accumulation de l’or pillĂ© sur le dos des peuples au fil des siĂšcles! En Tant que sujet de Sa MajestĂ©, vous devez vous soumettre Ă  ses ordres et caprices si non les Useful Idiots Ă  son service vous inventeront une dette en bonne et due forme basĂ©e sur certains des prĂ©textes de taxage que le recueil de lois qu’ils ont inventĂ© contient. si vous n’avez plus les moyens de payer cette dette » pour des raisons de santĂ©, d’incapacitĂ© a gagner votre vie ou par principe, Ils continueront d’ajouter des Frais » et pĂ©nalitĂ©s et passeront ensuite Ă  l’étape suivante. Une fois que la dette » sera devenue assez Ă©levĂ©, c’est un autre groupe de Useful Idiots, ceux la armĂ©s, qui seront mandatĂ©s pour vous soumettre par la force aux dĂ©sirs de la souveraine ou vous serez chassĂ© et perdrez tous vos biens durement gagnĂ©s, Vous et votre famille serez jetĂ© Ă  la rue mĂȘme si tout vos biens ont Ă©tĂ©s payĂ©s en totalitĂ©. Si vous reculez dans le temps, vous allez dĂ©couvrir que votre terrain un moment donnĂ© Ă©tait une foret inhabitĂ©e qui n’appartenait Ă  personne, plusieurs propriĂ©taires se sont Ă©changĂ© la permission d’habiter cet espace depuis mais qui donc en a Ă©tĂ© le premier propriĂ©taire?? et de qui votre espace a-t-il Ă©tĂ© achetĂ© initialement? C’est la dure rĂ©alitĂ© de ce que le monde acadĂ©mique gĂ©rĂ© par l’occupant appelle La conquĂȘte ». C’est du terrorisme et du gĂ©nocide pour de simples Communs » ou Commons » comme nous, de manipuler des esprits faibles, de les armer jusqu’aux dents, de leur enseigner l’art de tuer pour ensuite les convaincre d’haĂŻr et d’aller massacrer des peuples entiers qui refusent de se soumettre Ă  notre autoritĂ© et Ă  nous cĂ©der leurs libertĂ©s, leurs biens et leurs terres. Les taxer et les obliger Ă  nous donner la moitiĂ© de leurs rĂ©coltes ou de leur salaire est aussi du vol et criminellement punissable. Pour l’occupant qui invente les lois, tout cela est tout Ă  fait lĂ©gal, totalement immoral mais lĂ©gal En vertu des lois. Comment de tels gestes peuvent-ils ĂȘtre lĂ©gaux? il faut bien comprendre la diffĂ©rence entre ce qui est lĂ©gal et ce qui est moral. Oui certaines lois peuvent ĂȘtres morales, mais si la personne qui les Ă©crit est immorale il est fort probable que ses lois soient aussi immorales. C’est la Doctrine of Discovery » et la Terra Nullius » qui autorise les maĂźtres auto proclamĂ©s du monde Ă  s’approprier lĂ©galement mais de façon totalement immorale ce qui ne leur appartient pas et Ă  anĂ©antir les esprits libres qui refusent de se soumettre Ă  eux. Les trillions qui composent la richesse de l’occupant mondial ont tous Ă©tĂ© obtenus par des actes de terrorisme barbares, les couronnĂ©s n’ont jamais travaillĂ© et ont toujours vĂ©cu dans l’abondance en asservissant leurs sujets et en les pillant Taxage, permis, impĂŽts, intĂ©rĂȘts travaux forcĂ©s etc. Les politiciens que vous croyez Ă©lire chaque 4 ans sont leurs serviteurs, ils leur font serment de soumission et d’obĂ©issance si non ils ne pourront jamais aller perdre leur temps Ă  gros salaire dans la Chambre des communs » Communes La propriĂ©tĂ© au QuĂ©bec Savons-nous que nous POSSÈDONS contrĂŽle la PERSONNE qui est propriĂ©taire » du terrain ? Et que cette personne qui est propriĂ©taire appartient Ă  l’état ? Donc le terrain appartient toujours Ă  l’état ? Et quand tu t’identifies par le PrĂ©nom Nom de famille de cette personne, tu t’identifies comme une propriĂ©tĂ© de l’état ? – Vu que l’esclavage a Ă©tĂ© aboli, tu as un droit fondamental Ă  la sĂ»retĂ© de ta personne. LĂ©galement, une sĂ»retĂ©, ça sert Ă  dĂ©charger / acquitter des dettes
 Donc les taxes que l’état charge, c’est Ă  leur personne/propriĂ©tĂ©/esclave qu’ils les chargent
 C’est Ă  EUX qu’ils les chargent. Si tu choisis de payer, good for you. ».. Mais tu peux aussi choisir de faire valoir tes droits, comme le suggĂ©rait le ministre de la justice de l’époque, Marc-AndrĂ© BĂ©dard, lors de la publication de la Charte des droits et libertĂ©s de la personne de 1982
 La Charte QuĂ©bĂ©coise des Droits de la Personne
à relire!ThĂ©oriquement tout ce qu’on sais est vrai mais ceux avec qui on dois nĂ©gocier sont de dangereux criminels prĂȘt Ă  tout pour Ă©viter que l’information ne se rĂ©pande. Cest un peu comme si un cartel de gros criminels armĂ©s nous exigeait un montant qu’on ne leur doit pas, on paie ou pas? L’argent, ils l’ont uniquement parce qu’on utilise LE LEUR qui n’est que de la dette. Et avec l’utilisation de LEUR argent legal tender » vient l’obligation de respecter LEURS lois. Legal = la loi Tender = une offre inconditionnelle Bitcoin a Ă©tĂ© créé pour ça. S’ils ne peuvent plus se financer en taxant les transactions qui se font entre ceux qui refusent d’utiliser leur monnaie, leur systĂšme va crever de faim. Tu ne rĂ©ussiras pas Ă  sensibiliser la police ou l’armĂ©e. ICYMI les corps de police ont Ă  leur tĂȘte des corrompus qui comptent sur des idiots utiles qui obĂ©issent aux ordres sans se poser de questions sur la moralitĂ© de ce qu’ils font. Et l’armĂ©e, c’est encore pire. Le VRAI ennemi, c’est le Barreau. Ses membres sont des menteurs esclavagistes dont la job dĂ©pend de l’ignorance du peuple. Tu comprends qu’ils sont de mauvaise foi et qu’ils protĂšgent leur petite clique la minute que tu leur poses les vraies questions. Ils placent leurs pions dans toutes les hautes sphĂšres du gouvernement. Ils ne respectent mĂȘme plus les fondements de la justice, de la libertĂ© et de la paix, tels qu’ils sont pourtant dĂ©crĂ©tĂ©s dans la Charte des droits et libertĂ©s de la personne. La seule façon de rĂ©gler le problĂšme qu’ils reprĂ©sentent c’est de cesser de jouer leur game » leur jeu,leur partie
 Mais rĂ©flĂ©chissez y le QuĂ©bec est la DerniĂšre Colonie Survivante de l’Empire Britannique et si voter vous permettrait de changer quelque chose,on abolirait ce droit! Seule la DĂ©sobĂ©issance Civile peut arriver Ă  faiore changer ce systĂšme! SourcesRecherches de Jacques Lapointe et divers commentaires associĂ©s sur Facebook. Article tirĂ© du WASHINGTON POST LES TERRIBLES NOUVELLES RÈGLES ÉLECTORALES DE JUSTIN TRUDEAU LIMITERONT L’ACTIVISME ET LES DROITS DES CITOYENS Les mĂ©dias sont un autre moyen d’influence avec un pot-de-vin de 595 millions de dollars que Trudeau versera aux journalistes qui publient ce qu’il veut, rapporte le journal amĂ©ricain Le Washington Post a publiĂ© cet article le 26 dĂ©cembre pour dĂ©noncer les prioritĂ©s rĂ©gressives du gouvernement Trudeau pour manipuler les Ă©lections fĂ©dĂ©rales de 2019. L’article a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par McCullough. Ce sont des pratiques fondamentalement illibĂ©rales du pouvoir de l’État pour restreindre davantage les droits des citoyens, dĂ©nonce l’auteur. Selon l’article ◉ Une saine gouvernance ne peut ĂȘtre maintenue avec des prioritĂ©s rĂ©gressives telles que celles-ci. ◉ Le gouvernement de Justin Trudeau a rĂ©cemment adoptĂ© plus de 200 pages de changements spectaculaires dans le fonctionnement des Ă©lections au Canada. Les nouvelles rĂšgles limiteront davantage la possibilitĂ© pour les Canadiens d’exercer leurs droits constitutionnels en matiĂšre de libertĂ© de parole politique et d’activisme. ◉ Le projet de loi final de Trudeau ne reprĂ©sente aucune amĂ©lioration par rapport au premier projet draconien prĂ©sentĂ© en avril. ◉ GrĂące Ă  ces amendements et Ă  d’autres, la Loi Ă©lectorale du Canada est maintenant incroyablement longue et effrayante. Les contrevenants peuvent s’attendre Ă  des milliers de dollars d’amende ou mĂȘme de prison. ◉ Les choses vont presque certainement empirer. Le rĂȘve paradoxal d’une dĂ©mocratie parfaitement maĂźtrisĂ©e qui a inspirĂ© la Loi sur la modernisation des Ă©lections de Trudeau est un projet fondamentalement autoritaire qui trouve toujours une nouvelle justification pour restreindre davantage les droits des citoyens. ◉ Les autres bĂ©nĂ©ficiaires de tout cela sont les mĂ©dias. La loi Ă©lectorale canadienne ne considĂšre pas les journalistes comme des tiers, mĂȘme s’ils sont des employĂ©s de grandes entreprises qui dĂ©pensent beaucoup d’argent pour influencer ce que les Ă©lecteurs pensent de la politique. C’est peut-ĂȘtre parce qu’Ottawa a un plan diffĂ©rent pour eux. Le gouvernement Trudeau a rĂ©cemment annoncĂ© un nouveau financement de 595 millions de dollars pour subventionner les mĂ©dias canadiens, ainsi qu’un comitĂ© gouvernemental correspondant chargĂ© d’identifier les cas de journalisme dignes de subventions. ◉ Ce sont les tendances actuelles de la dĂ©mocratie canadienne. Une consolidation d’influence pour ceux qui l’ont dĂ©jĂ , alors que des barriĂšres bureaucratiques toujours plus Ă©levĂ©es sont Ă©rigĂ©es pour limiter l’impact de tous les autres. *** THE WASHINGTON POST 26 dĂ©cembre 2018 Par McCullough Les histoires d’érosion de la dĂ©mocratie occupent une place importante dans la presse mondiale ces jours-ci; les coupables prĂ©sumĂ©s sont gĂ©nĂ©ralement des hommes forts et flamboyants aux objectifs autoritaires ouverts. Mais la dĂ©mocratie peut tout aussi bien ĂȘtre affaiblie dans les nations progressistes par ses propres prĂ©tendus sauveurs, par des moyens bureaucratiques discrets. Le gouvernement de Justin Trudeau a rĂ©cemment adoptĂ© plus de 200 pages de changements spectaculaires dans le fonctionnement des Ă©lections au Canada. Entre autres choses, les nouvelles rĂšgles limiteront davantage la possibilitĂ© pour les Canadiens d’exercer leurs droits constitutionnels en matiĂšre de libertĂ© de parole politique et d’activisme. Ces rĂšglements ont Ă©tĂ© adoptĂ©s avec la rigueur progressive habituelle selon laquelle la rĂ©glementation des activitĂ©s et des discours politiques au nom de l’équitĂ© et de l’égalitĂ© est sans aucun doute vertueuse. Une confiance en soi juste n’empĂȘche pas pour autant les consĂ©quences pratiques de cet exercice fondamentalement illibĂ©ral du pouvoir de l’État. Le dernier projet de loi de Trudeau ne reprĂ©sente aucune amĂ©lioration par rapport au premier projet draconien prĂ©sentĂ© en avril. Selon le ministĂšre des Institutions dĂ©mocratiques, la nouvelle lĂ©gislation vise Ă  garantir que les acteurs politiques» opĂšrent sur un pied d’égalité», et imposera des limites raisonnables» Ă  leurs budgets. En d’autres mots, cela signifie que le gouvernement a trouvĂ© de nouveaux moyens de punir les groupes de Canadiens politiquement motivĂ©s, qu’ils soient Ă©cologistes, conservateurs sociaux, dirigeants d’entreprise ou des travailleurs, des militants des droits des minoritĂ©s ou autres, qui se livrent Ă  des activitĂ©s telles que la publicitĂ© porte Ă  porte, tĂ©lĂ©phoner aux Ă©lecteurs et organiser des rassemblements sans se conformer prĂ©alablement aux rĂšgles d’Ottawa. La pĂ©riode Ă©lectorale» officielle du Canada est maintenant plafonnĂ©e Ă  50 jours avant le jour du scrutin, les deux mois ou plus prĂ©cĂ©dant celui-ci constituant Ă©galement une nouvelle pĂ©riode préélectorale». Pendant la pĂ©riode préélectorale» – un concept qui n’a aucune raison dĂ©mocratique au-delĂ  du dĂ©sir grandissant du gouvernement de contrĂŽler l’activitĂ© politique – les soi-disant tiers sont traitĂ©s avec autant de suspicion que lors des Ă©lections trĂšs rĂ©glementĂ©es. Les groupes et les individus ne peuvent pas dĂ©penser plus de 700 000 dollars pour des activitĂ©s partisanes» et de la publicitĂ© partisane» au cours de cette pĂ©riode, et doivent immĂ©diatement s’inscrire auprĂšs du gouvernement aprĂšs avoir dĂ©pensĂ© leurs premiers 500 dollars. Ottawa s’attend Ă  une liste dĂ©taillĂ©e de tous les revenus et dĂ©penses engagĂ©s, y compris la date et le lieu de chaque tentative de changement d’avis. GrĂące Ă  ces amendements et Ă  d’autres, la Loi Ă©lectorale du Canada est maintenant incroyablement longue et effrayante. Tout Canadien qui envisage de faire des dĂ©penses ou des efforts importants pour persuader ses concitoyens de voter d’une maniĂšre ou d’une autre lors de l’élection de l’annĂ©e prochaine devrait immĂ©diatement engager une Ă©quipe d’avocats et de comptables, car il n’y a tout simplement aucun autre moyen de naviguer dans les fonds des mauvaises herbes lĂ©gales qui rĂ©gissent maintenant la participation dĂ©mocratique adjacente aux Ă©lections au Canada. Les contrevenants peuvent s’attendre Ă  des milliers de dollars d’amende ou mĂȘme de prison. Les choses vont presque certainement empirer. Le rĂȘve paradoxal d’une dĂ©mocratie parfaitement maĂźtrisĂ©e qui a inspirĂ© la Loi sur la modernisation des Ă©lections de Trudeau – et les nombreuses et terribles lois Ă©lectorales antĂ©rieures qu’elle a Ă©laborĂ©es – est un projet fondamentalement autoritaire qui trouve toujours une nouvelle justification pour restreindre davantage les droits des citoyens. Étant donnĂ© que la panique morale antĂ©rieure avait dĂ©jĂ  limitĂ© la collecte de fonds des candidats et des partis au strict minimum, attendez-vous Ă  ce que les Ă©lections de 2019 dĂ©clenchent une nouvelle vague de paranoĂŻa de la part du gouvernement sur toutes les entreprises, syndicats, industries, etc. puisque l’argent est canalisé» vers des tiers. Une administration future imposera alors sans aucun doute des restrictions encore plus strictes aux dĂ©penses et aux activitĂ©s de tiers. Ils suivront peut-ĂȘtre l’exemple de l’Ontario, oĂč les rĂšglements préélectoraux» rĂ©gissent maintenant un ridicule six mois avant le jour du scrutin. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’éviter de conclure que l’objectif Ă  long terme est de soustraire totalement les tiers» aux discussions politiques du Canada. À un rythme de plus en plus rapide, le Canada consolide son statut de pays dans lequel il est extrĂȘmement difficile pour les Canadiens moyens, qu’ils agissent individuellement ou par l’intermĂ©diaire de groupes de revendication, de communiquer lĂ©galement leurs idĂ©es ou d’organiser des Ă©vĂ©nements pendant ou autour des Ă©lections. Bien que Trudeau soit le dernier auteur, le problĂšme n’est pas partisan. Tous les partis dĂ©fient Ă©galement le flĂ©au des Canadiens engagĂ©s de maniĂšre inappropriĂ©e, qui consacrent une part trop importante de leur temps et de leur argent Ă  des questions qui leur tiennent Ă  cƓur. Sans fondement plus solide que des thĂ©ories spĂ©culatives et Ă©goĂŻstes sur ce qui nuit Ă  leur capacitĂ© de se faire Ă©lire, la classe politique canadienne a tout intĂ©rĂȘt Ă  minimiser l’activisme politique des autres. AprĂšs tout, les lĂ©gislateurs ont le droit de parler sans cesse et de se promouvoir eux-mĂȘmes en tant que membres du gouvernement, et ils veillent jalousement sur cet avantage. Une photo qui semble dire beaucoup le premier ministre Stephen Harper et l’ex-prĂ©sident chinois Hu Jintao, lors du sommet de l’APEC Ă  Vladivostok, en Russie, en septembre Harper se mĂ©fiait davantage que Trudeau. Les tiers» doivent donc ĂȘtre dĂ©crits comme des concurrents illĂ©gitimes au mĂȘme titre que les syndicats et les entreprises. Des aspersions doivent ĂȘtre lancĂ©es contre ces Ă©trangers, dans l’exercice de leurs droits dĂ©mocratiques dĂ©crits comme dangereux et subversifs. L’homme politique a pour objectif de monopoliser toutes les discussions sur les politiques et les prioritĂ©s, rendant ainsi son leadership indispensable. Les autres bĂ©nĂ©ficiaires de tout cela sont les mĂ©dias. La loi Ă©lectorale canadienne ne considĂšre pas les journalistes comme des tiers, mĂȘme s’ils sont des employĂ©s de grandes entreprises qui dĂ©pensent beaucoup d’argent pour influencer ce que les Ă©lecteurs pensent de la politique. C’est peut-ĂȘtre parce qu’Ottawa a un plan diffĂ©rent pour eux. Le gouvernement Trudeau a rĂ©cemment annoncĂ© un nouveau financement de 595 millions de dollars pour subventionner les mĂ©dias canadiens ainsi qu’un comitĂ© gouvernemental correspondant chargĂ© d’identifier les cas de journalisme dignes de subventions. Ce sont les tendances actuelles de la dĂ©mocratie canadienne. Une consolidation d’influence pour ceux qui l’ont dĂ©jĂ , alors que des barriĂšres bureaucratiques toujours plus Ă©levĂ©es sont Ă©rigĂ©es pour limiter l’impact de tous les autres. Une saine gouvernance ne peut ĂȘtre maintenue avec des prioritĂ©s rĂ©gressives telles que celles-ci. » EN CONCLUSION Ainsi Justin Trudeau est devenu un dangereux dictateur pro djihadiste avec affiliation pro-communiste chinoise! Au nom de la loi dictatoriale contrĂŽlante et franc maçonne de Justin Trudeau,les petits partis,les nouveaux partis politiques et ceux que Justin ne veut pas voir vont disparaĂźtre afin de ne laisser en place que l’élite politique ancienne qui se perpĂ©tuera Ă  jamais! On appelle cela une dictature inspirĂ©e du rĂ©gime communiste chinois un systĂšme politique aimĂ© » par la famille Trudeau depuis Pierre Elliott lui-mĂȘme qui doit jouir dans sa tombe infestĂ©e de rats! Pierre Elliott Trudeau admirait profondĂ©ment le dictateur communiste Mao TsĂ© en 1973 en Chine. Pierre Elliott Trudeau entourĂ© d’officiels du parti communiste chinois en 1973 toujours. On est dans un Ă©tat insurrectionnel, on n’a jamais vu ça », a dĂ©clarĂ© sur BFM TV Jeanne d’Hauteserre, maire du VIIIe arrondissement de Paris oĂč se sont dĂ©roulĂ©s la plupart des affrontements, avec des dizaines de voitures brĂ»lĂ©es dans plusieurs rues et des bĂątiments incendiĂ©s. Les magasins des Galeries Lafayette et du Printemps ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s en raison des violences et des incendies qui menacent plusieurs bĂątiments dans le centre de Paris, selon des journalistes de Reuters. Un incendie dans un bĂątiment situĂ© au rond-point de l’Étoile a Ă©tĂ© maĂźtrisĂ©, mais plusieurs autres feux menacent d’autres immeubles. Des sources policiĂšres dĂ©clarent qu’un manifestant a volĂ© un fusil d’assaut dans une voiture de police. Nos correspondants Jean-François BĂ©langer et Yannick Dumont-Baron suivent les Ă©vĂ©nements. RĂ©actions politiques De Buenos Aires, oĂč il participe au sommet du G20, le prĂ©sident français Emmanuel Macron a fait savoir qu’il tiendra une rencontre interministĂ©rielle dĂšs son retour au pays, dimanche. Je respecterai toujours la contestation, j’écouterai toujours les oppositions, mais je n’accepterai jamais la violence », a-t-il Ă©crit sur Twitter. Les coupables de ces violences ne veulent pas de changement, ne veulent aucune amĂ©lioration, ils veulent le chaos ils trahissent les causes qu’ils prĂ©tendent servir et qu’ils manipulent. Ils seront identifiĂ©s et tenus responsables de leurs actes devant la justice. Emmanuel Macron, prĂ©sident de la France Aucune cause ne justifie que les forces de l’ordre soient attaquĂ©es, que des commerces soient pillĂ©s, que des bĂątiments publics ou privĂ©s soient incendiĂ©s, que des passants ou des journalistes soient menacĂ©s, que l’Arc de Triomphe soit ainsi souillĂ©. Ce qu’il s’est passĂ© aujourd’hui Ă  Paris n’a rien Ă  voir avec l’expression pacifique d’une colĂšre lĂ©gitime. » Forte prĂ©sence policiĂšre Toute la journĂ©e, l’avenue des Champs-ÉlysĂ©es a Ă©tĂ© fermĂ©e Ă  la circulation. Le ministĂšre de l’IntĂ©rieur n’autorisait l’accĂšs aux piĂ©tons qu’aprĂšs un contrĂŽle d’identitĂ© et une fouille des sacs. Pendant que des manifestants pacifiques Ă©taient rassemblĂ©s autour de la tombe du Soldat inconnu pour chanter La Marseillaise, la place Charles-de-Gaulle anciennement connue sous le nom de place de l’Étoile, en amont des contrĂŽles de sĂ©curitĂ©, a Ă©tĂ© le théùtre d’incidents. Certains manifestants ont tentĂ© de forcer un point de filtrage, selon la police, et ont jetĂ© des projectiles sur les forces de l’ordre. Un des piliers de l’Arc de triomphe a Ă©tĂ© couvert du graffiti Les gilets jaunes triompheront ». Les forces de l’ordre sont mieux prĂ©parĂ©es que la semaine derniĂšre, selon notre correspondant Jean-François BĂ©langer. Les 5000 policiers et gendarmes en tenue antiĂ©meute ont rĂ©ussi Ă  limiter l’accĂšs Ă  la place Charles-de-Gaulle en utilisant des canons Ă  eau, des grenades dispersantes, des balles de plastique et des gaz lacrymogĂšnes. Les Ă©lĂ©ments plus perturbateurs sont des groupes qui viennent pour casser, qui sont Ă©quipĂ©s, qui sont structurĂ©s », a dit la porte-parole de la prĂ©fecture de police Johanna Primevert, qui a notamment mis en cause des groupes d’ ultra-droite ». Selon le secrĂ©taire d’État du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, Laurent Nunez, 3000 casseurs » se trouvaient sur la place de l’Étoile, comparativement Ă  200 manifestants pacifiques » sur les Champs-ÉlysĂ©es. On a affaire Ă  des groupes extrĂ©mistes, extrĂȘmement violents qui s’en prennent aux institutions [
] qui sont Ă©quipĂ©s, cagoulĂ©s, masquĂ©s [
] et qui empĂȘchent l’avancĂ©e des forces de l’ordre », a-t-il expliquĂ© sur BFM TV. À la mi-journĂ©e, les manifestants s’éparpillaient dans les avenues alentour tout en continuant les affrontements. Plusieurs voitures ont Ă©tĂ© incendiĂ©es. Samedi dernier, plus de 60 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es Ă  Paris dans les dĂ©bordements qui ont marquĂ© le deuxiĂšme week-end de manifestation du mouvement. Comparutions rapides pour les auteurs de violences Le procureur de Paris, RĂ©my Heitz, a annoncĂ© que tous les auteurs de violences lors de la manifestation des gilets jaunes samedi Ă  Paris seraient jugĂ©s rapidement grĂące Ă  une mobilisation des magistrats et greffiers dĂšs lundi. Je vous informe que mon parquet veillera Ă  engager des poursuites devant le tribunal correctionnel contre tous les auteurs des faits de violences et de dĂ©gradations constatĂ©es qui seront identifiĂ©s, et Ă  ne pas laisser impunies les exactions inacceptables qui ont Ă©tĂ© commises Ă  Paris aujourd’hui », a-t-il dit dans un communiquĂ©, faisant Ă©tat de prĂšs de 200 personnes en garde Ă  vue samedi en fin de journĂ©e. Pour ce faire, la permanence du parquet de Paris a Ă©tĂ© renforcĂ©e par la mobilisation de magistrats et de greffiers supplĂ©mentaires. De mĂȘme, et en accord avec le prĂ©sident du tribunal, le nombre d’audiences correctionnelles sera adaptĂ© dĂšs lundi, afin de pouvoir juger ceux qui seront poursuivis en comparution immĂ©diate », a-t-il ajoutĂ©. Des gilets jaunes dĂ©sapprouvent les violences Certaines figures de proue du mouvement des gilets jaunes ont dĂ©noncĂ© les violences commises par les casseurs, estimant que ces derniers dĂ©crĂ©dibilisaient leur message. Quel est le message que les gilets jaunes veulent faire passer aujourd’hui? Qu’on mette la France Ă  feu et Ă  sang, ou on veut trouver des solutions? Je trouve ça aberrant », a dit Jacline Mouraud sur BFMTV, l’une des premiĂšres Ă  manifester sa colĂšre contre le gouvernement sur une vidĂ©o devenue virale. Elle se trouvait sur un blocage du dĂ©pĂŽt pĂ©trolier de Lorient. Sur l’ensemble du territoire, on comptait un peu moins de 36 000 manifestants » qui ont engagĂ© des opĂ©rations dans le plus grand calme », selon le premier ministre. À Paris, ils Ă©taient 5500. En dehors de la capitale, 582 blocages Ă©taient comptabilisĂ©s Ă  la mi-journĂ©e par les autoritĂ©s françaises, selon des sources syndicales policiĂšres. Il y en avait 516 samedi dernier Ă  midi. La circulation Ă©tait perturbĂ©e sur 17 autoroutes, a indiquĂ© le groupe Vinci. Entre 8000 et 10 000 policiers sont mobilisĂ©s pour faire face aux actions des gilets jaunes sur le territoire, dont 5000 Ă  Paris, a dĂ©clarĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat Alternative police, Denis Jacob. Un pĂ©rimĂštre d’exclusion interdisant rassemblements et manifestations a Ă©tĂ© instaurĂ© par le prĂ©fet de police de Paris pour garantir la protection des institutions », notamment autour de l’AssemblĂ©e nationale et de l’ÉlysĂ©e. Lors de la premiĂšre journĂ©e de manifestation des gilets jaunes le 17 novembre, prĂšs de 300 000 personnes s’étaient mobilisĂ©es, selon le ministĂšre de l’IntĂ©rieur. Lors de la deuxiĂšme journĂ©e, le 24, elles Ă©taient un peu plus de 100 000, dont 8000 Ă  Paris. Les rencontres entre le premier ministre et des reprĂ©sentants du mouvement vendredi n’ont pas Ă©tĂ© concluantes, ce qui laisse prĂ©sager un regain de colĂšre. Seuls deux gilets jaunes sur les huit invitĂ©s ont acceptĂ© de venir Ă  Matignon. L’un d’entre eux a coupĂ© court Ă  l’entretien aprĂšs qu’on eut refusĂ© de retransmettre cette discussion en direct Ă  la tĂ©lĂ©vision. Lendemain d’émeutes Ă  Paris le 3 dĂ©cembre 2018 Toute la journĂ©e de samedi, des casseurs et un certain nombre de gilets jaunes» ont tenu en haleine plus de 5000 policiers. Comment a-t-on pu en arriver lĂ  ? La question Ă©tait sur toutes les lĂšvres au lendemain d’une journĂ©e d’émeute qui a fait 133 blessĂ©s Ă  Paris et entraĂźnĂ© plus de 400 arrestations. C’était l’incomprĂ©hension la plus totale alors que, dimanche matin, le prĂ©sident Emmanuel Macron sitĂŽt rentrĂ© d’Argentine est allĂ© rencontrer les forces de l’ordre sur l’avenue KlĂ©ber, transformĂ©e en vĂ©ritable scĂšne de guerre. Toute la journĂ©e, les Français ont d’ailleurs attendu un mot du prĂ©sident, qui n’est pas venu. Celui-ci a prĂ©sidĂ© une rĂ©union de crise dont pratiquement rien n’a filtrĂ©, sinon que le premier ministre recevra les chefs de partis et que le retour de l’état d’urgence, rĂ©clamĂ© par des syndicats de policiers, n’était pas Ă  l’ordre du jour. Selon l’ÉlysĂ©e, Emmanuel Macron aurait simplement souhaitĂ© une adaptation du dispositif du maintien de l’ordre dans les jours Ă  venir ». À Paris, la plupart des observateurs s’entendent cependant pour dire que le prĂ©sident ne pourra pas Ă©viter de s’exprimer cette semaine, alors qu’on n’a pas connu de telles violences en France depuis les Ă©meutes de 2005 qui avaient mis Ă  feu et Ă  sac les banlieues françaises. Toute la journĂ©e de samedi, des casseurs, auxquels se mĂȘlaient un certain nombre de gilets jaunes », ont tenu en haleine plus de 5000 policiers visiblement Ă  bout de forces. Durant 12 heures, les casseurs ont semĂ© la dĂ©solation sur les avenues environnant les Champs-ÉlysĂ©es, oĂč manifestait pourtant une foule pacifique. Pendant que des pilleurs souvent sans vestes jaunes dĂ©valisaient les commerces, des casseurs s’en sont mĂȘme pris Ă  l’Arc de triomphe oĂč brĂ»le la flamme du soldat inconnu. Samedi, on a eu le sentiment d’une espĂšce de vacance du pouvoir », a dĂ©clarĂ© au quotidien Le Parisien le centriste HervĂ© Morin. Celui qui dirige la rĂ©gion Normandie exprimait un sentiment trĂšs largement partagĂ© en affirmant que le prĂ©sident doit parler rapidement » aux Français. Mai 68 des classes moyennes » MarginalisĂ©e par ce mouvement spontanĂ© qui dĂ©fie les cadres traditionnels, l’opposition a rĂ©agi en rangs dispersĂ©s. Les prĂ©sidents du Rassemblement national, Marine Le Pen, et de la France insoumise, Jean-Luc MĂ©lenchon, ont tous deux rĂ©clamĂ© des Ă©lections lĂ©gislatives. Le prĂ©sident des RĂ©publicains, Laurent Wauquiez, propose, lui, la tenue d’un rĂ©fĂ©rendum sur le plan de transition Ă©cologique et les hausses de taxes prĂ©sentĂ©s la semaine derniĂšre. Je n’ai jamais vu de ma vie un mouvement soutenu par 84 % des Français », disait sur la chaĂźne Europe 1 le philosophe Luc Ferry. L’ancien ministre estime que la crise est telle qu’elle justifie la dissolution de l’AssemblĂ©e nationale. La France a besoin d’une forme de cohabitation », dit-il, comme elle en a connu Ă  l’époque de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Pour l’historien de gauche Jacques Julliard, il s’agit du Mai 68 des classes moyennes ». Devant ces violences devenues une constante dans toutes les grandes manifestations parisiennes, plusieurs montrent du doigt un dispositif policier inadaptĂ© face Ă  des groupes de casseurs, dont certains Ă©taient mĂȘme venus samedi avec des haches, des marteaux et des frondes. Hier, on Ă©tait dans une situation oĂč bientĂŽt on pourrait ĂȘtre mis en Ă©chec on s’est retrouvĂ©s pendant un laps de temps Ă  court de munitions, ça a Ă©tĂ© une catastrophe », a lancĂ© sur France Info un responsable du syndicat Unsa-police. Discuter, mais avec qui ? Mardi, le ministre de l’IntĂ©rieur devra d’ailleurs s’expliquer devant le SĂ©nat sur les insuffisances du dispositif policier. Chez les policiers, plusieurs voix dĂ©noncent des ordres venus d’en haut surtout destinĂ©s Ă  Ă©viter de faire des victimes chez les manifestants, mais qui mettent les policiers dans une situation intenable. Samedi sur BFM-TV, la reprĂ©sente syndicale Linda Kebbab dĂ©nonçait ces groupes anarchistes, connus pour leur activitĂ© de casseurs et qui se donnaient rendez-vous publiquement sur Twitter pour aller affronter les forces de l’ordre. De nombreux graffitis anarchistes ont en effet Ă©tĂ© retrouvĂ©s sur les lieux des affrontements. Selon certains, l’ultra-droite Ă©tait aussi prĂ©sente. Toute la journĂ©e de dimanche, des gilets jaunes, dont le mouvement se poursuit principalement en rĂ©gion, ont dĂ©plorĂ© ces scĂšnes de violence qui font de l’ombre aux centaines de villes et de villages oĂč leur action s’est dĂ©roulĂ©e le plus pacifiquement du monde. Dans Le Journal du dimanche, une dizaine de porte-parole rĂ©gionaux qui disent reprĂ©senter l’aile modĂ©rĂ©e du mouvement ont lancĂ© un appel Ă  structurer le mouvement. Ils rĂ©clament des Ă©tats gĂ©nĂ©raux sur la fiscalitĂ©. Mais pour eux, comme pour une majoritĂ© de la population, il n’y aura pas de discussion sans moratoire sur les hausses de carburant. D’autant qu’elles doivent se poursuivre dĂšs l’annĂ©e prochaine. Sans plus de prĂ©cisions, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a dĂ©clarĂ© que le gouvernement Ă©tait prĂȘt Ă  discuter avec les signataires de cet appel. Les jours du nĂ©olibĂ©ralisme semblent comptĂ©s dans tout l’Occident,tant mieux! Les Français disent » Monsieur le PrĂ©sident, nous ne pouvons pas joindre les deux bouts , et le prĂ©sident rĂ©pond » Nous allons crĂ©er un Haut Conseil [pour le climat] . Pouvez-vous imaginer le dĂ©calage? » – Laurence Saillet, porte-parole du parti de centre-droit, Les RĂ©publicains, 27 novembre 2018 Les gilets jaunes » [manifestants] bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais du soutien de 77% de la population française. Ils exigent la dĂ©mission de Macron et un changement immĂ©diat de gouvernement. Le mouvement est maintenant une rĂ©volte de millions de personnes qui se sentent asphyxiĂ©es par une imposition confiscatoire » et qui ne veulent pas payer indĂ©finiment » pour un gouvernement qui semble incapable de limiter les dĂ©penses ». – Jean-Yves Camus, politologue. Les Ă©lections europĂ©ennes auront lieu ce printemps 2019. Les sondages montrent que le rassemblement national sera en tĂȘte, loin devant La RĂ©publique En Marche! [La RĂ©publique en mouvement!], La fĂȘte créée par Macron. Emmanuel Macron avec Philippe Couillard,l’ancien premier ministre du QuĂ©becle banquier de Rotschild s’amuse avec le franc maçon. Le 11 Novembre 2018 , le prĂ©sident français Emmanuel Macron a commĂ©morĂ© le 100 e anniversaire de la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale en invitant soixante – dix chefs d’Etat d’organiser une coĂ»teuse, inutile, grandiloquent Forum de la Paix » qui ne mĂšnent Ă  rien. Il a Ă©galement invitĂ© le prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump, puis a choisi de l’insulter. Dans un discours pompeux, Macron – sachant que Donald Trump s’était dĂ©fini quelques jours plus tĂŽt comme un nationaliste vouĂ© Ă  la dĂ©fense de l’AmĂ©rique – a invoquĂ© le patriotisme »; ensuite, Ă©trangement, le dĂ©finissait comme l’exact opposĂ© du nationalisme »; alors appelĂ© cela trahison ». En outre, peu avant la rĂ©union, Macron n’avait pas seulement parlĂ© de l’urgence » de la construction d’une armĂ©e europĂ©enne ; il a Ă©galement placĂ© les États-Unis parmi les » ennemis » de l’Europe. Ce n’était pas la premiĂšre fois que Macron plaçait l’Europe au-dessus des intĂ©rĂȘts de son propre pays. C’était cependant la premiĂšre fois qu’il plaçait les États-Unis sur la liste des ennemis de l’Europe. En compagnie de Donald Trump
 Le prĂ©sident Trump a apparemment compris immĂ©diatement que l’attitude de Macron Ă©tait un moyen de maintenir ses illusions de grandeur et de tenter de tirer un avantage politique intĂ©rieur. Trump a apparemment aussi compris qu’il ne pouvait pas rester assis lĂ  et accepter des insultes. Dans une sĂ©rie de tweets , Trump a rappelĂ© au monde que la France avait besoin de l’aide des États-Unis pour recouvrer sa libertĂ© pendant les guerres mondiales, que l’OTAN protĂ©geait toujours une Europe pratiquement sans dĂ©fense et que de nombreux pays europĂ©ens ne payaient toujours pas le montant promis pour leur propre pays. la dĂ©fense. Trump a ajoutĂ© que Macron avait un taux d’approbation extrĂȘmement bas 26%, faisait face Ă  un taux de chĂŽmage extrĂȘmement Ă©levĂ© et cherchait probablement Ă  dĂ©tourner son attention de cela. Trump avait raison. La popularitĂ© de Macron est en chute libre depuis des mois il est dĂ©sormais le prĂ©sident français le plus impopulaire de l’histoire moderne Ă  ce stade de son mandat. La population française s’est dĂ©tournĂ©e de lui en masse. Le chĂŽmage en France n’atteint pas seulement un niveau alarmant 9,1%; il a Ă©tĂ© alarmant pendant des annĂ©es. Le nombre de personnes en situation de pauvretĂ©est Ă©galement Ă©levĂ© 8,8 millions de personnes, 14,2% de la population. La croissance Ă©conomique est en rĂ©alitĂ© inexistante 0,4% au troisiĂšme trimestre de 2018, en hausse par rapport Ă  0,2% les trois mois prĂ©cĂ©dents. Le revenu mĂ©dian20 520 euros, soit 23 000 dollars par an est insoutenable. Cela indique que la moitiĂ© des Français vivent avec moins de 1710 euros par mois. Cinq millions de personnes survivent avec moins de 855 euros 973 dollars par mois. Lorsque Macron a Ă©tĂ© Ă©lu en mai 2017, il avait promis de libĂ©rer l’économie. Cependant, aucune mesure significative n’a Ă©tĂ© prise. En dĂ©pit de certaines rĂ©formes superficielles telles que la limitation du nombre de licenciements abusifs ou la possibilitĂ© lĂ©gĂšrement accrue que les petites entreprises puissent nĂ©gocier des contrats de travail Ă  court terme, le code du travail français, qui est toujours l’un des plus rigides du monde dĂ©veloppĂ©, bloque habilement le travail. crĂ©ation. La charge fiscale plus de 45% du PIB est la plus Ă©levĂ©e du monde dĂ©veloppĂ©. MĂȘme si certaines taxes ont Ă©tĂ© supprimĂ©es depuis que Macron est devenu prĂ©sident, de nombreuses nouvelles taxes ont Ă©tĂ© créées. Les dĂ©penses publiques reprĂ©sentent encore environ 57% du PIB 16% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE et ne montrent aucun signe de dĂ©clin. Macron a Ă©galement promis, lors de son Ă©lection, de rĂ©tablir la sĂ©curitĂ©. Le manque de sĂ©curitĂ© , cependant, a explosĂ©; le nombre d’agressions violentes et de viols n’a cessĂ© d’augmenter. Les zones interdites sont aussi rĂ©pandues qu’il ya un an et extrĂȘmement incontrĂŽlables. L’afflux d’immigrants clandestins non contrĂŽlĂ©s dans le pays a malheureusement transformĂ© des quartiers entiers en taudis . La photo controversĂ© du doigt d’honneur. En mai, Macron avait averti que dans de nombreuses banlieues, la France avait perdu la lutte contre le trafic de drogue . Lorsque le ministre de l’IntĂ©rieur, GĂ©rard Collomb, a dĂ©missionnĂ© le 3 octobre, il a parlĂ© d’une situation trĂšs dĂ©gradĂ©e » et a ajoutĂ© que, dans de nombreux domaines, la loi des plus forts – les trafiquants de drogue et les islamistes radicaux – a remplacĂ© le RĂ©publique. » Il a Ă©tĂ© tout simplement les Ă©valuations confirmant de refroidissement de la faveur » des commentateurs tels que Éric Zemmour , auteur de Le suicide Français , et Georges Bensoussan , auteur de Une France Soumise A Soumise France . Les Ă©meutes sont frĂ©quentes. ils indiquent l’incapacitĂ© croissante du gouvernement Ă  maintenir l’ordre. Les grĂšves dans les transports en commun, qui ont durĂ© tout le printemps 2018, ont Ă©tĂ© accompagnĂ©es de manifestations et d’un pillage enthousiaste de banques et de magasins. La victoire de la France Ă  la Coupe du monde de football en juillet a Ă©tĂ© suivie par une liesse qui a rapidement fait place Ă  la violence de groupes qui ont brisĂ© des vitrines et attaquĂ© la police. Depuis son entrĂ©e dans la vie politique, les remarques de Macron ont non seulement rĂ©vĂ©lĂ© un mĂ©pris pour la population française, mais elles se sont Ă©galement multipliĂ©es. Cela n’a pas aidĂ©. DĂšs 2014, alors que Macron Ă©tait ministre de l’Économie, il a dĂ©clarĂ© que les femmes employĂ©es dans une entreprise en faillite Ă©taient » analphabĂštes ; en juin 2017, juste aprĂšs ĂȘtre devenu prĂ©sident, il a distinguĂ© ceux qui rĂ©ussissent et ceux qui ne sont rien ». Plus rĂ©cemment, il a confiĂ© Ă  un jeune homme qui avait exprimĂ© son dĂ©sarroi Ă  la recherche d’un emploi qu’il ne devait que se dĂ©placer et traverser la rue ». Lors d’une visite au Danemark, il a annoncĂ© que les Français Ă©taient des Gaulois rĂ©sistants au changement ». L’un des rares sujets sur lesquels Macron semblait vouloir travailler Ă©tait l’islam. Il a soulignĂ© Ă  plusieurs reprises sa dĂ©termination Ă  Ă©tablir un » islam de France . Ce qu’il a omis de prendre en compte, c’est la prĂ©occupation du reste de la population face Ă  l’islamisation rapide du pays. Le 20 juin 2017, il a dĂ©clarĂ© pas assez prĂ©cisĂ©ment, par exemple ici , ici , ici , ici , ici et ici , Personne ne peut faire croire que la foi musulmane n’est pas compatible avec la RĂ©publique ». Il semble Ă©galement avoir omis de prendre en compte les risques du terrorisme islamique, qu’il appelle rarement par son nom. Il semble prĂ©fĂ©rer utiliser le mot » terrorisme », sans adjectif, et reconnaĂźt simplement qu’il » existe une lecture radicale de l’Islam, dont les principes ne respectent pas les slogans religieux . L’actuel ministre de l’IntĂ©rieur, Christophe Castaner, nommĂ© par Macron pour remplacer Collomb, a Ă©cartĂ© les prĂ©occupations exprimĂ©es par son prĂ©dĂ©cesseur et a qualifiĂ© l’ islam de religion du bonheur et de l’amour, Ă  l’instar de la religion catholique ». Un autre domaine dans lequel Macron a agi sans relĂąche est le combat contre le changement climatique », dans lequel ses ennemis ennemis sont ciblĂ©s. Sur les vĂ©hicules de plus de quatre ans, les contrĂŽles techniques obligatoires ont Ă©tĂ© rendus plus onĂ©reux et le non-respect de ces contrĂŽles plus punitif, dans l’espoir Ă©vident qu’un nombre croissant de voitures plus anciennes pourraient ĂȘtre Ă©liminĂ©es. Les limites de vitesse sur la plupart des routes ont Ă©tĂ© abaissĂ©es Ă  80 km / h 50 mi / h, les radars de contrĂŽle de la vitesse se sont multipliĂ©s et des dizaines de milliers de permis de conduire ont Ă©tĂ© suspendus . Les taxes sur l’ essence ont fortement augmentĂ© 30 cents le gallon en un an. Un gallon d’essence sans plomb en France coĂ»te maintenant plus de 7 dollars. La petite minoritĂ© de Français qui soutiennent encore Macron ne sont pas concernĂ©s par ces mesures. Les sondages montrent qu’ils appartiennent aux couches les plus riches de la sociĂ©tĂ©, qu’ils vivent dans des quartiers riches et qu’ils n’utilisent presque jamais de vĂ©hicules personnels. La situation est douloureusement diffĂ©rente pour la plupart des autres individus, en particulier pour la classe moyenne oubliĂ©e . Une dĂ©cision rĂ©cente d’augmenter les taxes sur l’essence Ă©tait la goutte d’eau. Cela a dĂ©clenchĂ© une colĂšre instantanĂ©e. Une pĂ©tition demandant au gouvernement d’ annuler l’augmentation des taxes a reçu prĂšs d’un million de signatures en deux jours. Sur les rĂ©seaux sociaux, des personnes ont discutĂ© de l’organisation de manifestations dans tout le pays et ont suggĂ©rĂ© aux manifestants de porter les gilets de protection jaunes que les conducteurs sont obligĂ©s de ranger dans leur voiture en cas de panne sur le bord de la route. Ainsi, le 17 novembre , des centaines de milliers de manifestants ont bloquĂ© de grandes parties du pays. Le gouvernement a ignorĂ© les demandes des manifestants. Au lieu de cela, les responsables ont rĂ©pĂ©tĂ© les nombreux impĂ©ratifs non prouvĂ©s du changement climatique » et la nĂ©cessitĂ© d’ Ă©liminer l’utilisation des combustibles fossiles » – mais ont refusĂ© de changer de cap. AprĂšs cela, une autre journĂ©e de protestation nationale a Ă©tĂ© choisie. Le 24 novembre , les manifestants ont organisĂ© une marche sur Paris. Beaucoup, semble-t-il, ont dĂ©cidĂ©, malgrĂ© l’interdiction du gouvernement, de se rendre sur les Champs-ÉlysĂ©es et de continuer vers le palais prĂ©sidentiel. Des affrontements ont eu lieu, des barricades ont Ă©tĂ© Ă©rigĂ©es et des vĂ©hicules incendiĂ©s. La police a rĂ©pondu durement. Ils ont attaquĂ© des manifestants non violents et ont utilisĂ© des milliers de grenades au gaz lacrymogĂšne et de canons Ă  eau, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant. Bien que de nombreux manifestants aient brandi des drapeaux rouges indiquant qu’ils appartenaient Ă  la gauche politique, le nouveau ministre de l’IntĂ©rieur, Castaner, a dĂ©clarĂ© que la violence venait d’une extrĂȘme droite » sĂ©dentaire et fractionnĂ©e. Un membre du gouvernement a attisĂ© l’incendie en comparant les gilets jaunes » français aux chemises brunes » allemandes des annĂ©es 1930. Macron a dĂ©clarĂ© que ceux qui essayaient d’intimider les officiels » devraient ĂȘtre Enfin, le 25 novembre, Macron a fini par reconnaĂźtre , avec une apparente rĂ©ticence, la souffrance de la classe ouvriĂšre ». Deux jours plus tard, Macron a prononcĂ© un discours solennel, annonçant qu’il crĂ©erait un grand conseil pour le climat », composĂ© d’écologistes et de politiciens professionnels, et que son objectif Ă©tait de sauver la planĂšte et d’éviter la fin du monde ». Il n’a toujours pas dit un seul mot sur les griefs Ă©conomiques qui s’étaient exprimĂ©s au cours des dix jours prĂ©cĂ©dents. La rĂ©publicaine Laurence Saillet, porte-parole du parti de centre-droit, a dĂ©clarĂ© Les Français disent » Monsieur le PrĂ©sident, nous ne pouvons pas joindre les deux bouts , et le prĂ©sident rĂ©pond » nous allons crĂ©er un Haut Conseil [pour le climat] ] Pouvez-vous imaginer la dĂ©connexion? . Marine Le Pen, prĂ©sidente du Rassemblement national de droite l’ancien parti du Front national et aujourd’hui le principal parti d’opposition en France, a dĂ©clarĂ© Il y a une minuscule caste qui fonctionne pour elle-mĂȘme et la grande majoritĂ© des Les Français qui sont abandonnĂ©s par le gouvernement et se sentent rĂ©trogradĂ©s, dĂ©possĂ©dĂ©s . Les jaunes » bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais du soutien de 84% de la population française. Ils exigent la dĂ©mission de Macron et un changement immĂ©diat de gouvernement. Ceux qui parlent Ă  la radio et Ă  la tĂ©lĂ©vision disent que Macron et le gouvernement sont dĂ©sespĂ©rĂ©ment aveugles et sourds. Pour le moment, les vestes jaunes » ont dĂ©cidĂ© d’organiser une troisiĂšme manifestation nationale – aujourd’hui samedi 1 er dĂ©cembre – avec une nouvelle marche vers Paris et le palais de l’ElysĂ©e. La rĂ©volte dans le pays s’intensifie et ne montre aucun signe de ralentissement. Le politologue Jean-Yves Camus a dĂ©clarĂ© que le mouvement des vestes jaunes » est maintenant une rĂ©volte de millions de personnes qui se sentent asphyxiĂ©es par des taxes confiscatoires » et qui ne veulent pas payer indĂ©finiment » pour un gouvernement qui semble incapable de limiter dĂ©penses ». Certains ne mesurent pas l’étendue du rejet exprimĂ© par les manifestants », a- t- il ajoutĂ© . Dominique ReyniĂ©, professeur Ă  l’Institut d’études politiques de Paris, a dĂ©clarĂ©que Macron et le gouvernement ne s’attendaient pas Ă  ce que leur politique fiscale aboutisse Ă  cela ». Les Ă©lections europĂ©ennes auront lieu en mai 2019. Les sondages montrent que le parti du Rassemblement national de Le Pen sera en tĂȘte, loin devant le parti créé par Macron, La RĂ©publique En Marche! [La RĂ©publique en mouvement!]. En un peu plus d’un an, Macron, Ă©lu en mai 2017, a perdu presque tout crĂ©dit et lĂ©gitimitĂ©. Il est Ă©galement l’un des derniers dirigeants europĂ©ens au pouvoir Ă  soutenir l’Union europĂ©enne telle qu’elle est. Macron, qui a affirmĂ© vouloir vaincre la vague populiste » qui se rĂ©pandait sur tout le continent, a Ă©galement affirmĂ© que les dirigeants qui Ă©coutaient les gens dĂ©sireux de dĂ©fendre leur mode de vie Ă©taient la » lĂšpre » et le » mauvais vent . La vague populiste » frappe maintenant la France; cela pourrait bien signifier la fin du mandat de Macron. EN conclusion Deux grands mondialistes unis dans l’effacement de leur peupleJustin Trudeau qui cherche Ă  assimiler les quĂ©bĂ©cois français Ă  la majoritĂ© anglophone du Canada et Emmanuel Macron qui ouvre les portes de la France Ă  l’Islam.. Le but des mondialistes remplacer les Français par des musulmans La France – et l’Europe en gĂ©nĂ©ral – est confrontĂ©e Ă  une montĂ©e de l’islamisme, c’est dĂ©sormais bien clair. Mais pourquoi cette montĂ©e est-elle apparue ? Voila la bonne question. C’est parce que les mondialistes financiers veulent Ă  tout prix que la finance dirige la politique en remplaçant un peuple rebelle par un peuple soumis. Leur but est de dominer politiquement par la finance et ce, au niveau mondial. Pour cela, ils utilisent les acteurs politiciens corrompus qui en France, veulent instaurer l’islamisme radical. Mais pourquoi l’islamisme et pas autre chose ? C’est trĂšs facile Ă  comprendre parce que cela part d’un constat rĂ©el, sans Ă©tat d’ñme particulier, basĂ© sur l’étude ainsi que sur les comportements. D’aucuns affirment que l’islam est une religion. Non, l’islam n’est pas une religion. L’islam est un faux systĂšme religieux qui impose et entretient Ă  tout prix l’abaissement humain. En islam, les gens doivent obĂ©ir aveuglĂ©ment aux ordres du coran. Du fait que le coran interdit toute Ă©volution, les islamistes sont privĂ©s de cette possibilitĂ© depuis l’avĂšnement de cette fausse religion, qui est en rĂ©alitĂ© un systĂšme de nĂ©gation universelle. Il n’existe aucune possibilitĂ© d’élĂ©vation dans l’islam appliquĂ© Ă  la lettre. Les preuves se voient tous les jours dans le comportement des personnes islamisĂ©es. Tout ce qui est nĂ©gatif et criminel appartient et est revendiquĂ© par l’islam. L’islam manifeste en permanence la haine et le racisme Ă  l’égard de tous ceux qui ne sont pas de confession musulmane et ces deux notions sont encouragĂ©es intensivement par les mondialistes auprĂšs de ces populations. Les humains qui ne sont pas musulmans sont de ce fait les victimes de cette haine et de ce racisme. C’est tellement visible actuellement, Ă  travers les terribles Ă©vĂ©nements qui dĂ©fraient la chronique, qu’on ne peut s’y tromper. Quoiqu’on en pense, il existe effectivement deux catĂ©gories de personnes islamisĂ©es. Ceux qui n’ont jamais appliquĂ© les ordres du coran au pied de la lettre, et ceux qui appliquent ces ordres au iota prĂšs. Les premiers sont des apostats, c’est le jugement des islamistes radicaux. Certains emploient le terme modĂ©rĂ©s ». Les seconds sont les radicaux. Les apostats, par crainte ou par respect de leur environnement et des lois de la RĂ©publique, ne pratiquent pas rĂ©ellement l’islam. Ils Ă©vitent, par peur ou par ignorance, d’obĂ©ir aveuglĂ©ment aux ordres du coran. Ils sont donc des traĂźtres pour les radicaux et doivent payer de leur vie cette dĂ©sobĂ©issance aux ordres de ce livre. Ce sont les radicaux eux-mĂȘmes qui l’affirment et c’est Ă©crit en toutes lettres dans le livre en question. Il apparaĂźt aussi que pour certaines populations d’apostats, une petite chiquenaude suffirait Ă  les faire changer d’avis et Ă  se rallier aux radicaux. LĂ  encore, la terreur et l’interdiction de l’évolution ordonnĂ©e par le coran, font de grands ravages. Pour en ĂȘtre convaincu, il suffit d’observer, entre autres aspects, la condition fĂ©minine musulmane. Les islamistes radicaux n’ont qu’un idĂ©e en tĂȘte, imposer leurs croyances mortifĂšres partout et obliger le monde entier Ă  respecter le coran et l’islam sans aucune possibilitĂ© de retour en arriĂšre. A ce propos, il est extraordinaire de constater Ă  quel point quelques pages de papier peuvent tenir des peuples entiers dans l’immobilitĂ© totale de l’esprit pendant aussi longtemps. Vous n’ignorez pas que si vous ĂȘtes musulman et que vous quittez l’islam, vous signez votre arrĂȘt de mort. Le mot est lĂąchĂ©. La mort. C’est le maĂźtre mot de l’islam. Les apostats n’ont aucune envie de tuer. Ils souhaitent faire un peu comme tout le monde, ne pas trop en savoir sur leur religion », et ne pas la pratiquer de façon radicale en prĂ©servant au mieux leur dignitĂ© d’ĂȘtres humains. Comparativement, voyez le nombre de fidĂšles dans les Ă©glises et vous aurez compris que les religions n’intĂ©ressent plus grand monde aujourd’hui au sein des populations qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de ce carcan. C’est normal du fait que chaque religion a Ă©tĂ© depuis son avĂšnement, un moyen de domination infernal dont les chefs ont usĂ© et abusĂ© pour maintenir les populations dans la crainte et l’ignorance pour info, voyez les performances de la sainte inquisition » et certains ratĂ©s » gĂȘnants dont le vatican aimerait qu’ils soient tenus secrets. Cela ne fonctionne plus vraiment de nos jours car heureusement, beaucoup de populations ont Ă©voluĂ©. LES PEUPLES FRANÇAIS DE FRANCE ET D’AMÉRIQUE DU NORD ONT UN COMBAT COMMUN Deux couplesceux d’Emmanuel Macron et de Justin Trudeau dĂ©vouĂ©s au Nouvel Ordre Mondial pro-islamique! Le QuĂ©bec et les canadiens français de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick font face Ă  Justin Trudeau qui ne rĂȘve que de mondialisation et de gouvernement conservateur de Ford en Ontario a coupĂ© tous les budgets devant permettre de soutenir la francophonie dans sa province,mais il fait face Ă  la mobilisation gĂ©nĂ©rale des faut noter que Ford a mĂȘme coupĂ© la totalitĂ© du projet d’une universitĂ© francophone en Ontario sous le prĂ©texte de sabrer dans les dĂ©penses
inutiles! Au QuĂ©bec,nous avons Ă©vitĂ© le pire en Ă©lisant François Legault de la Coalition Avenir QuĂ©bec, mais celui-ci va-t-il bloquer l’immigration massive rĂ©clamĂ© par Justin Trudeau qui lui rĂ©clamait 50,000 immigrants au QuĂ©bec pour cette Legault s’est fait Ă©lire en promettant de baisser ce chiffre Ă  40,000,mais c’est mĂȘme trop car qui va payer pour ces envahisseurs qui parfois,ne parlent pas un mot de français?
Nous les travailleurs et travailleuses du QuĂ©bec!Nous payons de nos impĂŽts pour assurer la disparition assurĂ©e de notre peuple pour permettre Ă  l' ȃLITE » de continuer Ă  engranger les profits capitalistes! Depuis fin septembre, les Acadiens retiennent leur souffle. La balance du pouvoir est entre les mains des trois dĂ©putĂ©s de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, un parti qui s’est positionnĂ© ouvertement contre le bilinguisme tel que pratiquĂ© dans la seule province officiellement bilingue du Canada. S’ils espĂ©raient davantage d’ouverture, les Franco-Ontariens essaient actuellement d’inverser les dĂ©cisions de leur gouvernement progressiste-conservateur d’abolir le Commissariat aux services en français et d’abandonner le projet d’universitĂ© franco-ontarienne. Pour l’avocat spĂ©cialiste des droits linguistiques, Michel Doucet, les situations ont quelque chose de similaire. Il y a des parallĂšles Ă  faire. Mais l’approche au Nouveau-Brunswick est beaucoup plus sournoise. On voit depuis de nombreuses annĂ©es un affaiblissement du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick avec un budget qui, depuis 2002, n’a augmentĂ© que de 500 000 $ Ă  514 000 $ [le dernier budget du Commissariat aux services en français en Ontario Ă©tait de 2,9 millions $]. Si bien que le commissaire n’a pas les ressources de faire son travail.» Le QuĂ©bec ,comme l’Ontario ,comme le Nouveau-Brunswick et la France,notre MĂšre-Patrie,en a ras-le-bol! Nos quatre Ă©tats sont actuellement gouvernĂ©s par des nĂ©olibĂ©raux vendus Ă  l’oligarchie financiĂšre rattachĂ©e au Nouvel Ordre Mondial et au crime organisĂ© entretenu par les sociĂ©tĂ©s secrĂštes qui les contrĂŽle derriĂšre le rideau dont les francs maçons liĂ©s au rite Ă©cossais et les illuminati qui leur sont associĂ©s! Seule la dĂ©sobĂ©issance civile peut en venir Ă  bout et rĂ©tablir la dĂ©mocratie du Peuple,par le Peuple et pour le Peuple! À bas le nĂ©olibĂ©ralisme du Nouvel Ordre Mondial et vive la RĂ©volution Nationale Universelle ! Unissons-nous! Navigation des articles
Cest un studio PanamĂ©en du nom de Moonsprout Games qui s’attĂšle Ă  crĂ©er son Paper Bug la mĂȘme annĂ©e, en essayant Ă©videmment de ne pas trop plagier bien que la rĂ©fĂ©rence soit plus qu’évidente. MĂȘme direction artistique Ă  base de personnages plats dans des dĂ©cors volumĂ©triques et mĂȘme gameplay Ă  base de compagnons, de QTE et de badges. Mais
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Ilne prononçait jamais le saint nom de JĂ©sus, qui est le nom du Verbe incarnĂ©, sans faire une profonde rĂ©vĂ©rence ; il recommandait avec instance de ne point prononcer ce saint nom Ă  la lĂ©gĂšre et sans rĂ©flexion, comme cela arrive si souvent. Pendant le saint temps de l’Avent, il ranimait de plus en plus sa foi et son amour pour le divin RĂ©dempteur qui a daignĂ© venir nous

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The estimated recognition rate for this document is 97%.REVUE DU IMONDE CATHOLIQUE RECUEIL INTERNATIONAL BI-MENSUEL Dogmatique, Politique, SeientiĂźipe, Historique et littĂ©raire TRENTE-NEUVIÈME ANNEE TOME CENT QUARANTE E T UNIEME DEUXIEME DE LA SEPTIEME SERIE Arthur SAVAÈTE, Éditeur-GĂ©rant BUREAUX A PARIS 76, rue des Saints-PĂšres, 76 A BRUXELLES Rue de la Montagne A GENEVE; Chez H. TREMBLE Y, Éditeur 4, rue Corraterie, 4 IQOO REVUE DU MON ME 1 CATHOLIQUE REVUE DU RECUEIL INTERNATIONAL DOGMATIQUE, POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE TRENTE-NEUVIÈME ANNÉE TOME CENT QUARANTE-UNIÈME DEUXIÈME DE LA SEPTIEME SERIE PARIS Arthur SAVAÈTE, Éditeur 76, DES SAINTS-PÈRES, 76 1900 L'ÉLÉMENT SURNATUBEL dans les conversions au catholicisme NOTAMMENT DANS CELLE DU COMTE DE STOLBERG I On ne saurait trop mettre en relief les grands triomphes que remporte de nos jours la vĂ©ritĂ© catholique, quand, par la seule force de son attraction et par l'impuissance de toutes les erreurs qui lui sont opposĂ©es, elle reconquiert les plus nobles de ses enfants que le malheur des temps lui avait arrachĂ©s. Quelle gloire pour l'Eglise fondĂ©e par JĂ©sus-Christ, que sa doctrine, une fois pleinement connue, subjugue les plus belles intelligences, entraĂźne les plus nobles coeurs! Et cette gloire, qui peut sĂ©rieusement la lui contester de nos jours? L'illustre historien allemand des conversions au catholicisme au XIXe siĂšcle rĂ©sume admirablement dans les paroles ci-aprĂšs l'hommage que tout esprit impartial doit rendre Ă  la vĂ©ritable Eglise A cette couronne d'Ă©pines qu'elle portait depuis la dĂ©fection de Luther, laquelle a soustrait tant d'individus et de peuples Ă  sa paternelle direction, a succĂ©dĂ© aujourd'hui la couronne la plus brillante. Car si, depuis ce lamentable schisme de la chrĂ©tientĂ©, on apprĂ©cie la valeur de ceux qui lui sont revenus de leur plein grĂ©, ne projettent-ils pas autour d'eux un Ă©clat incomparable? Cette Eglise ne peut-elle pas se faire un titre de gloire, humainement parlant, d'avoir Ă©tĂ© et d'ĂȘtre encore l'unique refuge de ces Ăąmes d'Ă©lite, qui, recherchant sincĂšrement Dieu, ne le trouvent finalement qu'en elle 1? » A notre Ă©poque plus que jamais, elle exerce une action irrĂ©i. irrĂ©i. Bilder, etc. 5 vol. in 8°. Schaffouse, 1871 ; Ă©dit. par Hurter. Ier vol., partie allemande. Introd. Traduction française inĂ©dite. 6 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sistible sur tout ce que l'humanitĂ© compte de plus noble dans son sein. De tous cĂŽtĂ©s affluent au bercail ces Ăąmes gĂ©nĂ©reuses, qui, dociles aux inspirations de l'Esprit-Saint, veulent secouer la lourde chaĂźne des prĂ©jugĂ©s qu'on leur a inculquĂ©s dĂšs l'enfance. Ne pouvant plus demander la plĂ©nitude de leurs satisfactions religieuses aux sectes sĂ©parĂ©es du corps de JĂ©sus-Christ, et, par suite, plus ou moins de son esprit, elles se montrent infatigables dans la recherche de la vĂ©ritĂ©, bien assurĂ©es que le secours divin ne leur manquera pas. L'Eglise catholique, dit le cardinal Wiseman, est comme une citĂ© Ă  laquelle aboutissent une foule de voies on peut y arriver en suivant les directions les plus diffĂ©rentes, soit qu'on traverse les obscurs et tortueux labyrinthes de l'examen le plus rigoureux, soit qu'on marche dans les sentiers fleuris du sentiment, en se laissant guider par le coeur et ses aspirations. On pourrait dire ici en appliquant un proverbe bien connu, que tous les chemins mĂšnent Ă  Rome. » Dans les innombrables conversions qui se produisent, il y en a Ă  peine deux qui se ressemblent complĂštement du point de vue des motifs et eu Ă©gard aux moyens dont la grĂące divine se sert pour les rĂ©aliser. L'un sera conduit par les investigations historiques les plus consciencieuses, par la recherche des lois rĂ©gissant les. Ă©volutions des peuples, par le but mĂȘme et l'esprit de ces lois, Ă  reconnaĂźtre l'existence d'un ordre surnaturel; d'autres seront poussĂ©s, soit par l'Ă©tude de la philosophie, de la thĂ©ologie, de toutes les questions ardues de ce double domaine, soit par celle du droit et de l'Ă©conomie sociale, soit enfin par les sciences d'observation et de calcul propres Ă  faire reconnaĂźtre l'utilitĂ©, la nĂ©cessitĂ© du principe 'religieux comme suprĂȘme rĂ©gulateur de l'activitĂ© humaine. La RĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne n'a pas sujet de redouter la lumiĂšre et ne la redoute pas. Un peu de science, dit Bacon, dĂ©tourne de, la foi, et beaucoup y ramĂšne. Les savantes Ă©tudes, ne sont pas sans doute nĂ©cessaires pour parvenir Ă  la connaissance de la pleine vĂ©ritĂ©. Notre-Seigneur JĂ©susChrist, l'auteur de tout bien, a su concentrer dans son Eglise, Ă  un si haut degrĂ©, tout ce qui peut donner satisfaction Ă  l'esprit et au coeur humain, qu'on peut dire qu'elle a des remĂšdes, des vertus souverainement efficaces et qui rĂ©pondent Ă  chaque besoin de l'Ăąme. Les eaux qui jaillissent de cette source inĂ©puisable, propre Ă  guĂ©rir tous les maux de la partie intellectuelle et morale de notre ĂȘtre, Ă  en vivifier toutes les facultĂ©s, se rĂ©pandent dans le L'ÉLÉMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS J monde, et il n'y a pas d'homme qui puisse se soustraire Ă  leur influence salutaire. Quelque diverses que soient les intelligences, les aptitudes professionnelles, les habitudes acquises, ces eaux fĂ©condent le champ immense de l'activitĂ© sociale. Les propriĂ©tĂ©s sensibles de leur action se font sentir partout, en se diversifiant selon la nature sur laquelle ils opĂšrent. Aussi, on ne saurait le mĂ©connaĂźtre, il y a presque autant de motifs de conversion que de personnes qui se convetissent. La raison en est que toute vĂ©ritĂ© intĂ©ressant l'homme, toute grande pensĂ©e chrĂ©tienne, pourvu qu'on s'y attache fortement et qu'on la suive jusqu'au bout, conduit nĂ©cessairement l'esprit jusqu'Ă  cette Eglise qui renferme en soi la plĂ©nitude et la totalitĂ© de toutes les vĂ©ritĂ©s religieuses et humaines. En elle rĂ©side le Christ, le centre lumineux d'oĂč Ă©manent tous les rayons qui portent le jour dans les rĂ©gions les plus reculĂ©es de la vie naturelle et surnaturelle, et vers lequel tendent les ĂȘtres créés de toute l'Ă©nergie de leur essence, pour trouver chacun en lui sa perfection propre. Il suffit d'avoir des yeux et des oreilles, on l'a dĂ©jĂ  dit avec beaucoup de raison, pour reconnaĂźtre la plĂ©nitude de la vĂ©ritĂ© dans le catholicisme. L'Eglise, fondĂ©e sur un roc inĂ©branlable, est comme le centre d'attraction d'une sphĂšre dont la circonfĂ©rence s'Ă©largit indĂ©finiment dans le temps et l'espace, pour comprendre tous les cercles concentriques possibles retenus dans leur orbite par la mĂȘme attraction. Mais en dehors des motifs particuliers qui tiennent aux aptitudes Ă©galement particuliĂšres de l'intelligence, aux circonstances et influences extĂ©rieures, telles que celles de l'Ă©ducation, des professions embrassĂ©es, il y a chez tous les convertis un dernier mobile commun. C'est ce mouvement du coeur qui, dĂ©passant de plus en plus les limites du moi propre, s'Ă©lĂšve vers Dieu par l'union croissante Ă  JĂ©sus-Christ. Il s'opĂšre en chacun d'eux indistinctement un travail continu, quels qu'en soient le mode et les Ă©lĂ©ments dĂ©terminants, pour se rattacher Ă  un ordre supĂ©rieur Ă  celui de la simple connaissance, Ă  l'ordre de la charitĂ© oĂč le coeur exerce davantage son empire et oĂč l'on se trouve plus prĂšs de Dieu 1. i. Notre grand Pascal avait dĂ©jĂ  dit La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits Ă  la charitĂ©, car elle est surnaturelle. De tous les corps ensemble on ne saurait tirer la moindre pensĂ©e cela est impossible et d'un autre ordre. Tous les corps et les esprits ensemble ne sauraient produire un mouvement de vraie charitĂ©. Cela est impossible et d'un autre ordre tout surnaturel. » PensĂ©es religieuses, ch. vi. 8 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Ce travail se poursuit surtout par la priĂšre, oĂč l'Ăąme entre en communication avec l'Esprit-Saint sous l'action duquel la volontĂ© se dĂ©prend insensiblement d'elle-mĂȘme. Et plus celle-ci est forte, c'est-Ă -dire libre et servie par une forte intelligence, plus elle a besoin de s'attacher, et Ă  mesure que ses liens se rompent, de monter vers Dieu par le dĂ©sir, par l'amour. C'est ainsi que la volontĂ©, aprĂšs s'ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e en efforts successifs d'affranchissements, finit par remporter la victoire, en faisant de Dieu l'objet suprĂȘme et unique de ce dĂ©sir, de cet amour. Aussi peut-on dire de tous les convertis que si le commencement du travail de leur conversion, les luttes subies, les difficultĂ©s Ă  surmonter pour arriver Ă  la plĂ©nitude de la foi diffĂšrent, la fin est toujours la mĂȘme ; c'est le triomphe final de l'amour divin, de cet amour dont le chantre sacrĂ© disait 77 rachĂšte la vie d,e son dĂ©clin; il la couronne de sa misĂ©ricorde et de ses tendresses; il comble tout dĂ©sir de sa douceur, et il renouvelle notre jeunesse, comme celle de l'aigle. » II La conversion tient ainsi du miracle et fournit une Ă©clatante manifestation de l'Ă©lĂ©ment surnaturel. Cette manifestation se produit d'une maniĂšre marquĂ©e dans la conversion du comte de Stolberg 1 ; et l'on peut dire que la plupart de celles qui la suivirent en Allemagne peuvent y ĂȘtre ramenĂ©es comme Ă  leur modĂšle et Ă  leur prototype. Quelque particuliĂšrement intĂ©ressant que puisse ĂȘtre l'exposĂ© des motifs dĂ©terminants de son retour au catholicisme, d'autant plus nombreux qu'Ă©taient plus vastes et multiples les besoins de sa nature, les exigences de sa raison, il suffit, eu Ă©gard au sujet traitĂ©, de se reporter Ă  la maniĂšre dont se termine le long travail i. Cette conversion a donnĂ© lieu en Allemagne Ă  des publications trĂšs intĂ©ressantes. La plus rĂ©cente et la plus remarquable est celle Ă©manant d'un thĂ©ologien des plus Ă©rudits de l'Allemagne, du professeur Janssen, auteur de l'Histoire du peuple allemand depuis la RĂ©forme jusqu'Ă  la fin du XVlll" siĂšcle, ouvrage traduit en partie en français, et qui fait autoritĂ© dans le monde catholique. Ce savant ecclĂ©siastique, ayant eu Ă  sa disposition toute la correspondance de Stolberg avant et aprĂšs sa conversion, a publiĂ© d'abord, Ă  l'aide de ces prĂ©cieux documents, un premier ouvrage intitulĂ© La. vie et les travaux de Stolberg, lequel a Ă©tĂ© presque immĂ©diatement suivi de deux autres volumes oĂč se trouvent colligĂ©es et coordonnĂ©es dans leur ensemble les lettres de l'illustre converti. L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS de ses recherches. C'est lui-mĂȘme qu'il faut interroger, en ayant recours Ă  ses propres explications sur ses dispositions intĂ©rieures au moment oĂč la grĂące devait agir une derniĂšre fois. Comment comprendre, dit-il, le changement subit de ces dispositions, aprĂšs la priĂšre d'enfants venant de faire leur premiĂšre communion Ă  laquelle il avait assistĂ©, froid et indiffĂ©rent, si l'on n'admet une illumination directe de l'Esprit-Saint, achevant de dissiper toutes les ombres qui pouvaient encore ternir le pur Ă©clat du soleil des Ăąmes?... » C'est lĂ  ce qu'on peut appeler le cĂŽtĂ© surnaturel, miraculeux de sa conversion. Aussi, pour Stolberg, encore plus que pour les autres convertis, le retour Ă  l'Egiise-MĂšre fut-il comme une entrĂ©e dans une vie nouvelle. Ayant Ă©tĂ© baptisĂ© et renouvelĂ© d'une maniĂšre directe et presque surnaturelle dans l'Esprit d'amour, il Ă©prouve un sentiment de bonheur indicible de faire partie de la nouvelle communautĂ©. Ce sentiment, qui remplissait son Ăąme, dĂ©bordait le plus souvent, surtout dans sa correspondance, en ferventes actions de grĂąces et en vĂ©hĂ©ments dĂ©sirs de procurer Ă  ses frĂšres sĂ©parĂ©s une semblable fĂ©licitĂ©. Il y avait une telle force de conviction dans ses paroles, une telle ardeur d'amour pour JĂ©sus-Christ, une telle sincĂ©ritĂ© dans ses aveux, dans des retours rĂ©trospectifs sur le passĂ©, que plusieurs de ses anciens coreligionnaires se sentirent Ă©branlĂ©s et finirent, Ă  son exemple, par faire le pas dĂ©cisif, seul capable de leur assurer le repos de l'Ăąme. Si le sang des martyrs, disait-on autrefois, engendrait de nouveaux croyants, que dire de l'exemple des convertis encore plus facile Ă  imiter? C'est avant tout aux protestants que notre illustre, converti fait appel dans ses nombreuses lettres, aux protestants, qui Ă©taient dĂ©jĂ  de son temps et sont encore plus aujourd'hui sur un sol mouvant, tant qu'ils ne passeront pas sur la terre ferme en revenant Ă  l'Eglise-MĂšre. Tous ses efforts, tous ses travaux, mĂȘme en partie ceux ayant prĂ©cĂ©dĂ© sa sĂ©paration d'avec eux, tendaient Ă  leur montrer qu'ils trouveront lĂ  seulement les satisfactions rĂ©unies de l'esprit et du coeur. Il usait nĂ©anmoins ici d'une grande et sage rĂ©serve, blĂąmant tout zĂšle intempĂ©rĂ© ou empreint de duretĂ© de nature Ă  froisser les consciences et les coeurs qu'il s'agissait de ramener. Sa noble ambition n'Ă©tait pas tant de procurer une conviction immĂ©diate, tant il savait qu'elle devait ĂȘtre le fruit du temps et de patientes recherches, mais plutĂŽt de frayer la voie vers la pleine et intarissable source de la vĂ©ritĂ© et de l'amour Ă  IO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE quelqu'une de ces Ăąmes si bien faites pour s'y dĂ©saltĂ©rer dĂšs icibas, avant de s'y abreuver dans l'Ă©ternitĂ©. C'est Ă  ce point de vue surtout que fut efficace le prosĂ©lytisme qu'il exerça autour de lui, au sein d'un monde qui ne laisse pas de lui ĂȘtre cher, et oĂč il comptait tant de personnes qu'il avait su apprĂ©cier, vĂ©nĂ©rer, aimer, et qui Ă©taient restĂ©es toujours bien dignes de son affection. III On comprend, eu Ă©gard au mobile final ou surnaturel de la conversion de Stolberg, en quel sens le dogme de la TrinitĂ©, qui recĂšle toutes les insondables profondeurs de la vie divine, Ă  l'envisager dans ses consĂ©quences pratiques, fut comme le point culminant de ses vues et travaux. Les vĂ©ritĂ©s inhĂ©rentes Ă  ce dogme ont passĂ© dans son Histoire de la religion de JĂ©sus-Christ, dans son TraitĂ© de l'amour divin, et se retrouvent chez les principaux convertis ses contemporains. Il trouvait le germe de ces vĂ©ritĂ©s dans la doctrine des philosophes de l'antiquitĂ©. Un seul et mĂȘme ĂȘtre, qui n'est autre que la pensĂ©e ou l'intuition de lui-mĂȘme, apparaissant dans les puissances diffĂ©rentes de la matiĂšre sous mille formes et en mille opĂ©rations diverses, s'y retrouvant Ă  peine aux degrĂ©s de la sensation et de l'intelligence, mais en possession Ă©ternelle de soi dans l'acte simple de la contemplation, telle est la conception dans laquelle se rĂ©sume le plus haut point de la mĂ©taphysique ancienne, celui que reprĂ©sente Aristote 1. La mĂ©taphysique chrĂ©tienne, dont cette derniĂšre n'Ă©tait i. Essai sur la MĂ©taphysique d'Aristote, par Ravaisson. La doctrine pĂ©ripatĂ©ticienne y est nettement opposĂ©e Ă  celle de Platon. Aristote, dit-il, ne conçoit pas la matiĂšre et la forme sous un rapport purement abstrait. Il les rattache par un lien rĂ©el et vivant. La forme, .qui est l'essence de l'ĂȘtre, devient la fin Ă  laquelle tend et pour laquelle existe tout ce qui est en lui. Elle en est la fin; elle en est donc le bien ; et c'est par lĂ  qu'elle fait tendre vers elle les puissances diverses de la matiĂšre comme autant de moyens coopĂ©rant Ă  un mĂȘme but. Ce dĂ©sir du bien, cette tendance vers lui, est toute la nature. L'acte n'est donc qu'un mouvement par lequel la puissance tend toujours Ă  l'acte sans y parvenir jamais tout entiĂšre. Dans l'opĂ©ration intellectuelle, il n'y a plus de matiĂšre ni de mouvement, rien que forme, rien qu'acte pur, surtout dans l'opĂ©ration intellectuelle la plus digne L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 11 qu'une prĂ©paration lointaine, qu'un obscur pressentiment, est bien supĂ©rieure, dĂ©rivant de la grande lumiĂšre projetĂ©e sur l'essence divine par la rĂ©vĂ©lation du mystĂšre de la TrinitĂ©. Elle Ă©tablit un lien permanent d'union entre la pensĂ©e-sujet et la pensĂ©e-objet ; et ce lien se rĂ©sout en l'amour infini. Dans le christianisme, il forme comme le foyer ardent et lumineux de l'intelligence premiĂšre d'oĂč partent d'innombrables rayons pour y revenir, et dans laquelle tout ne fait qu'un en esprit, perfection et vĂ©ritĂ©, foyer oĂč tout se consomme et s'unit, transformĂ© en sa flamme divine. Le Dieu-amour, disait Stolberg, est donc le dernier terme du transcendantalisme chrĂ©tien c'est le dogme de la TrinitĂ© qui donne le plus complĂštement la clef de la vie divine et de ses opĂ©rations. Dans son Histoire de la religion de JĂ©sus-Christ, il s'efforça cle dĂ©gager de l'Ancien Testament les premiers linĂ©aments du plan divin se rattachant Ă  la pleine rĂ©vĂ©lation de ce dogme dans le Nouveau, et qui en avaient ainsi donnĂ© comme l'avant-goĂ»t. Attachant ensuite Ă  cette entiĂšre rĂ©vĂ©lation la haute valeur pratique qui s'en dĂ©duit comme impliquant le parfait amour de Dieu par l'union la plus efficace Ă  JĂ©sus-Christ, il ne cesse de faire entendre, dans les prĂ©faces de son ouvrage Ă  l'adresse de ses enfants, les plus touchantes exhortations. Qu'on lise notamment celle qui est en tĂȘte du volume traitant de JĂ©sus-Christ, et oĂč il s'exprime en ces termes La religion de JĂ©sus-Christ, chers enfants, ressemble Ă  l'union conjugale. Elle demande un engagement irrĂ©vocable d'amour elle n'est, en dĂ©finitive, qu'une union Ă©ternelle d'amour avec de ce nom, celle oĂč l'intelligence toute en acte se contemple elle-mĂȘme, oĂč la pensĂ©e n'a d'autre objet que la pensĂ©e... La pensĂ©e de la pensĂ©e est donc l'ĂȘtre vĂ©ritable, l'acte pur, la cause premiĂšre de tout le reste, et comme telle, elle est Ă©ternellement fixĂ©e dans la conscience de soi, qui seule subsiste par elle-mĂȘme, et par laquelle seule tout le reste subsiste. Dieu, l'ĂȘtre premier et absolu, c'est donc l'acte parfait de la pensĂ©e se contemplant elle-mĂȘme. Chaque ĂȘtre particulier ou chaque nature, c'est un acte imparfait ou un mouvement dont la pensĂ©e est la cause, la fin, l'essence ; ou pour rĂ©duire le mouvement Ă  son principe, c'est le dĂ©sir par lequel la divine pensĂ©e prĂ©sente Ă  toutes les puissances que la matiĂšre renferme, les fait venir Ă  l'existence et Ă  la vie. L'aristotĂ©lisme rattache ainsi tous les ĂȘtres parle lien vivant du mouvement et du dĂ©sir Ă  une unitĂ© surnaturelle, qui les fait participer tous, par le dĂ©sir mĂȘme dont elle lĂ©s remplit, Ă  sa propre perfection, selon leur capacitĂ©, et qui les surpasse tous. » 12 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Dieu en JĂ©sus-Christ ; et ce mĂȘme amour de Dieu en JĂ©sus-Christ forme le lien indestructible d'attachement de tous les croyants entre eux 1. Il faut, avec la simplicitĂ© d'un coeur vĂ©ritablement aimant, tenir nos yeux fixĂ©s sur JĂ©sus-Christ, sur ce soleil de justice qui doit ĂȘtre le foyer central autour duquel sont appelĂ©es Ă  graviter, malgrĂ© la pesanteur qui les entraĂźne vers la terre, nos Ăąmes destinĂ©es au ciel. Il faut que de ce foyer l'intelligence reçoive la lumiĂšre, le coeur, la chaleur, et que notre vie devienne ainsi fĂ©conde en toute sorte de bonnes oeuvres. » Dans un autre passage, il dit encore, faisant allusion Ă  la mystĂ©rieuse opĂ©ration des personnes de l'auguste TrinitĂ© en nous Dieu a disposĂ© toutes choses de maniĂšre Ă  ce qu'il dĂ©pende de chacun de parvenir, par la foi en son ĂȘtre absolu, par l'espĂ©rance en ses promesses, par l'amour pour l'unique et premier principe de tout beau et de tout bien, Ă  l'union avec lui 2. » FrĂ©dĂ©ric de Schlegel, qui exerça, une fois converti, une influence immense sur tous ses contemporains, et devint en Allemagne le vrai centre du mouvement catholique aprĂšs Stolberg, fut fortement impressionnĂ© par l'oeuvre de ce dernier. Les observations qu'il lui communiqua Ă  ce sujet ont une grande importance, notamment en ce qui touche le dogme de la TrinitĂ©. Pour moi, dit-il, le dogme de la TrinitĂ© est le point fondamental du christianisme. C'est la source premiĂšre de toutes mes convictions, de toutes mes vues et aspirations religieuses. Ce mystĂšre de la vie divine m'ouvre un jour nouveau sur tout l'ensemble des problĂšmes dont je cherchais la solution. Il est, Ă  mes yeux, la clef de toute l'Ecriture, me fait mieux pĂ©nĂ©trer l'homme, et sa lumiĂšre illumine Ă  la fois les horizons du monde et de l'histoire. i. Dans un autre passage de ses oeuvres, dĂ©veloppant davantage sa pensĂ©e, il dit Les bienheureux aimeront Dieu par-dessus tout, aimant tout pour l'amour de lui et en lui. De cet amour pour Dieu dĂ©coule tout autre amour, qui est ainsi ramenĂ© Ă  lui. L'amour est le but de leur existence et leur Ă©lĂ©ment ; et cet amour ne cessera de se manifester par tous les modes possibles de communication et dans les actes les plus divers. En se manifestant, il s'exercera; et en s'exerçant, il ne fera que s'accroĂźtre et progresser Ă  l'infini. » 2. Ce point de vue est mis admirablement en relief dans le grand ouvrage d'Hettinger, VApologie du Christianisme partie relative aux-dogmes. De mĂȘme que l'esprit, la pensĂ©e et l'amour sont la reprĂ©sentation de l'image de Dieu en nous dans l'ordre naturel, de mĂȘme la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ© sont, dans Pordre de la grĂące, des effets immĂ©diats de notre ressemblance Ă  la TrinitĂ©. Trois personnes dans la divinitĂ©, trois Ă©lĂ©ments constitutifs de l'Ăąme humaine, trois vertus divines dans le rachetĂ© » nB chapitre, pp. 156-157 de l'ouvrage allemand. L'ÉLÉMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 1} Dans un-autre passage, aprĂšs avoir montrĂ© que les protestants ont perdu depuis longtemps l'intelligence de cette doctrine fondamentale du christianisme, il ajoute Ce mystĂšre, au contraire, ressort, dans toute sa plĂ©nitude et avec le dĂ©veloppement de ses merveilleuses proportions et consĂ©quences, dans les dogmes, les principes, et mĂȘme les coutumes et institutions de l'Eglise catholique'. C'est de lĂ  que part tout l'esprit divin qui anime et vivifie cette Eglise. VoilĂ  aussi, bien vĂ©nĂ©rable ami, d'oĂč est sortie pour moi une lumiĂšre Ă  la fois plus pure et plus haute, pour moi qui, depuis les annĂ©es de ma jeunesse, avais fait tant d'efforts pour saisir et atteindre la vĂ©ritĂ©, mais qui m'Ă©tais si longtemps trompĂ© de route. » Marheinecke, l'un des reprĂ©sentants les plus marquants du protestantisme croyant, et qui eĂ»t tant voulu opĂ©rer un rapprochement, une union entrĂ© ce dernier et l'Église catholique, reconi. reconi. l'ouvrage d'Hettinger dĂ©jĂ  citĂ© se trouvent Ă©loquemment rĂ©sumĂ©s tous les enseignements de saint Thomas d'Aquin, des PĂšres de l'Eglise, surtout de saint Augustin, sur le dogme de la TrinitĂ©. Nous en extrayons le passage ci-aprĂšs qui se rĂ©fĂšre plus complĂštement Ă  la pensĂ©e de Schlegel Le rapport rĂ©ciproque des personnes en Dieu sert Ă©minemment de fondement et de prototype aux rapports effectifs entre Dieu et la crĂ©ature dans l'ordre surnaturel. A l'immanence de la TrinitĂ©, l'Ă©conomie du monde de la grĂące n'a cessĂ© et ne cesse de se rattacher. La foi au Dieu un en trois personnes prĂ©sente un souverain intĂ©rĂȘt, mĂȘme dans le domaine pratique, fournissant la base sur laquelle repose la vie surnaturelle de l'Eglise... NoĂ«l, PĂąques, la PentecĂŽte, ces fĂȘtes pĂ©riodiques reprĂ©sentent d'une maniĂšre effective et vivante, Ă  chaque renouvellement d'annĂ©e, la TrinitĂ© dans le cycle de sa manifestation au monde, lequel se rĂ©sume ensuite dans la fĂȘte de la TrinitĂ©. C'est ainsi que le chrĂ©tien ne perd jamais de vue la TrinitĂ© premiĂšre, Ă©ternelle, de laquelle sort, dans le temps, la triple Ă©volution de la crĂ©ation, de la rĂ©demption et de la sanctification. Le PĂšre conduit au Fils, le Fils nous donne l'espĂ©rance de la vie, l'Esprit opĂšre l'amour dans nos coeurs. Ainsi, le baptĂȘme, qui est le principe en nous d'une nouvelle vie, dĂ©pose dans le coeur la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ©. C'est le Dieu un dont les trois personnes, PĂšre, Fils et Saint-Esprit, concourent Ă©galement dans ce sacrement Ă  restaurer l'image de Dieu dans l'Ăąme humaine. Notre esprit se tourne vers le PĂšre, dont il est l'image. Notre pensĂ©e, nĂ©e de l'esprit, est l'image du Fils} notre amour, Ă©manant de la connaissance, l'image de l'Esprit-Saint. De lĂ  suivent la foi au PĂšre, l'illuminateur de notre Ăąme, l'espĂ©rance dans la Fils qui porte vers le PĂšre nos pensĂ©es, l'amour dans l'Esprit qui dĂ©termine notre volontĂ©. » 14 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE haĂŻt la hauteur du point de vue auquel se place Schlegel dans ses prĂ©fĂ©rences pour cette Eglise 1 C'est avec pleine raison, dit-il, que Schlegel envisage la TrinitĂ© comme le mystĂšre par excellence de l'amour Ă©ternel illuminant toutes les profondeurs de l'unitĂ© divine. » Dominant de cette hauteur toutes les vĂ©ritĂ©s de l'ordre chrĂ©tien et rĂ©vĂ©lĂ©, il,entrevoit dans un prochain avenir les plus belles perspectives, le dogme le plus sublime devant ĂȘtre le fondement sur lequel s'assoira l'Ă©difice religieux, et la thĂ©ologie pratique devant en retirer les semences les plus fĂ©condes et les fruits les plus abondants. Des plus hautes spĂ©culations sur l'adorable mystĂšre, Stolberg" tire le fruit pratique, quand il montre l'immense bontĂ© de Dieu qui le pressait de se communiquer Ă  sa crĂ©ature, de lui donner la plĂ©nitude de sa fĂ©licitĂ©. L'essence de l'amour est de se donner 2. En donnant son Fils unique pour sauver le monde, Dieu a Ă©puisĂ© la mesure de sa bontĂ©, et la crĂ©ation reçoit son dernier perfectionnement. RecrĂ©er en nous l'image divine et combattre l'amour dĂ©sordonnĂ© de nous-mĂȘmes, voilĂ  le plan tout entier de la RĂ©vĂ©lation, tel qu'il se laisse apercevoir dans les Saintes Écritures. Celles-ci forment, suivant les belles expressions de Stolberg, un grand tout organique que vivifient la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ©, a charitĂ© comprenant naturellement, outre l'amour pour Dieu, qui a promis et donnĂ© son Fils, l'amour pour le prochain, auquel nous sommes rattachĂ©s par les mĂȘmes liens, alors qu'il peut devenir i. Histoire de la littĂ©rature allemande, par Julian Schmidt, t. II, p. 558.— Ouvrage allemand en 5 volumes, trĂšs important et non encore traduit en français. 2. Ces paroles de Donoso CortĂšs sont tirĂ©es de son Essai sur le Catholicisme, le LibĂ©ralisme et le Socialisme chap. Ăźv. En voici le dĂ©veloppement Le catholicisme est amour. Celui-lĂ  seul qui aime est catholique, et le catholique seul apprend Ă  aimer, parce que, seul, le catholique puise sa science aux sources surnaturelles et divines. Le PĂšre est amour, et il a envoyĂ© le Fils par amour; le Fils est amour, et il a envoyĂ© l'Esprit-Saint par amour. L'Esprit-Saint est amour, et il rĂ©pand continuellement son amour dans l'Eglise. L'Eglise est amour et embrasse le monde d'amour. Ceux qui ignorent cela ou qui l'ont oubliĂ© ignoreront toujours la cause surnaturelle ou secrĂšte des phĂ©nomĂšnes apparents et naturels, la cause invisible de tout ce qui est visible, le lien qui assujettit le temporel Ă  l'Ă©ternel, le ressort mystĂ©rieux des mouvements de l'Ăąme, et comment l'Esprit-Saint agit dans l'homme, la Providence dans la sociĂ©tĂ©, Dieu dans l'histoire. » C'est encore Donoso CortĂšs qui, peignant l'Ă©tat de l'Ăąme dont la charitĂ© c'est la vĂŻe, disait que non seulement son Ă©tat est le plus sublime, le plus excellent qu'on puisse concevoir ici-bas, mais encore qu'il est un tĂ©moignage Ă©clatant des prodiges de l'amour divin. LÉLÉMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 15 comme nous un temple du Saint-Esprit. L'incarnation, qui rĂ©alise l'union de la nature divine et de la nature humaine dans la personne unique du Dieu-Homme, n'est qu'une extension Ă  l'humanitĂ© de la vie divine, ou, pour employer l'expression Ă©nergique d'Hettinger, Une effusion surabondante en elle de cette vie qui se propage et se continue d'une maniĂšre permanente par l'Eucharistie dans chacun de ses membres. Par la communion, ils ne font tous qu'un corps dans le Christ, de mĂȘme qu'il ne fait qu'un avec le PĂšre ; et ainsi se rĂ©alise la sublime priĂšre deJĂ©sus-Christ Ut sint unum, sicut et nos sumus. Ego in his et tu in me, ut sint perfecii in unum. S. Jean, ch. xxvn, 22, 23. L'homme Ă©levĂ© par l'incarnation et l'Eucharistie jusqu'Ă  la participation Ă  l'auguste TrinitĂ©, Ă  la vie divine, voilĂ  la plus haute rĂ©alisation possible de l'idĂ©al religieux, de la communautĂ© avec Dieu. Et cette communautĂ© le fait aussi entrer en partage de toutes les richesses de l'amour divin, des Saint-Esprit dont la plĂ©nitude rĂ©side en JĂ©sus-Christ et le rend capable du suprĂȘme acte d'amour, celui de se donner tout entier et sans rĂ©serve Ă  Celui qui s'est promis lui-mĂȘme dans le ciel pour rĂ©compense. Et ainsi, alors que l'homme ne vit plus pour lui-mĂȘme mais pour JĂ©sus-Christ, ou plutĂŽt que ce dernier seul vit en lui, la vie du ciel, avec tout le bonheur inhĂ©rent Ă  l'amour, se trouve rĂ©alisĂ©e sur la terre. Merveilleux spectacle qui fut donnĂ© par les premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes. Comme sont touchantes les aspirations rĂ©pĂ©tĂ©es de Stolberg vers cette patrie cĂ©leste, si bien secondĂ©es par une auguste amie, la princesse de Gallitzin, l'instrument misĂ©ricordieux de la Providence Ă  son Ă©gard, si complĂštement partagĂ©es par sa noble femme, par cette digne mĂšre qui, par l'Ăąme, ne faisait rĂ©ellement qu'un avec lui! L'Église créée par JĂ©sus-Christ, comme il en avait l'avant-goĂ»t par le coeur, avant de lui appartenir pleinement par l'intelligence ! Il comprenait d'instinct que cette Église ne pouvait ĂȘtre qu'une universelle communion de charitĂ©. MĂȘme avant sa conversion, il se rĂ©fĂ©rait souvent ici aux deux grands oracles du Nouveau Testament, saint Paul et saint Jean, qui ont le plus mis en relief cette grande vĂ©ritĂ©, pour ne pas dire que tout leur enseignement y Ă©tait contenu. Qu'on lise par exemple la premiĂšre Ă©pĂźtre de saint Jean; ses cinq. chapitres sont comme pĂ©nĂ©trĂ©s, saturĂ©s de l'amour divin. Sa science, tout entiĂšre de JĂ©sus-Christ et de Dieu, se rĂ©sume dans la charitĂ© Dieu seul est bon, avait dit le Sauveur, et saint Jean l'explique en disant In hoc apparuit cari- 16 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tas Dei, quoniam Filium suum unigenitum misit Deus in mundum, ut vivamus per eum. Et la foi, dans saint Jean, ce n'est pas seulement la foi aux mystĂšres, la foi aux choses inaccessibles Ă  la raison; la foi, c'est la foi Ă  la charitĂ© de Dieu Et nos cognovimus et credidimus caritati. Et chose profondĂ©ment mystĂ©rieuse et qui se rattache au mĂȘme ordre d'idĂ©es, la marque de prĂ©destination serait la bontĂ© Omnis qui diligit, ex Deo natus est et cognoscit Deum. Qui non diligit, non novit Deum » ; et la raison unique qu'il donne, et qui rĂ©sume tous les attributs de l'infinitĂ© divine, c'est que Dieu est charitĂ© Deus caritas est, et qui manet in caritate, manet in Deo, et Deus in eo. Et la vie que nous devons avoir par lui ne fait qu'un avec cet amour mĂȘme Qui habet Filium, habet vitam. Saint Paul, renchĂ©rissant sur ce langage, plonge peut-ĂȘtre plus avant dans les profondeurs du mystĂšre de l'amour divin et des fins derniĂšres de la crĂ©ation. Le chapitre xm de sa lettre aux Corinthiens vient corroborer en un sens la doctrine de saint Jean et contient la suprĂȘme glorification de la charitĂ©. Ce chapitre, qui . commence par ces Ă©tonnantes paroles Si linguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non habeam, facius sum velut ces sonans aul cymbalum tinniens », se rĂ©sume en quelque sorte et trouve sa conclusion derniĂšre dans le verset 8 Caritas nunquam excidit, sive prophetice evacuabuntur; sive lingtm cessabunt, sive scientia destruetur. » Pas besoin d'expliquer la cessation du don des langues, des prophĂ©ties devenues inutiles aprĂšs la fondation de l'Église ; mais cette locution Ă©nergique et absolue Scientia destruetur ne se rapporte-t-elle pas Ă  cette vue du monde Ă  travers un miroir et comme en Ă©nigme que saint Paul exprimait si bien quand il disait InvisĂŻbĂŻlia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quoe- facta sunt, intellecta, conspiciuntur, sempitema quoque ejus virtus et divinitas, vue qui n'a plus d'objet et s'Ă©clipse devant ce que saint Paul appelle la vision facie ad faciem, autrement dit, la vision bĂ©atifique? Par la mĂȘme raison, la foi, l'espĂ©rance, s'effacent devant la charitĂ©, qui est le but suprĂȘme, le reste ne devant ĂȘtre considĂ©rĂ© que comme moyen pour y arriver ce qu'Ă©nonce l'ApĂŽtre par ces derniĂšres paroles Nunc autem manentfides, spes, caritas, tria hoec major autem horum est caritas. Toutes les grandes Ăąmes se sont pĂ©nĂ©trĂ©es de cette pensĂ©e que la vie Ă©ternelle Ă©tait une vie d'amour commencĂ©e sur la terre par l'union Ă  JĂ©sus-Christ dans l'Église qu'il a Ă©tablie. C'est lĂ  le prin- L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 17 cipe fondamental qui, s'emparant de plus en plus de l'esprit et du coeur de quelques membres marquants des sectes sĂ©parĂ©es, a Ă©minemment contribuĂ© Ă  les ramener Ă  l'Église mĂšre, en excitant leurs dĂ©sirs, leurs aspirations, sous l'impulsion la plus pressante de la grĂące. C'est aussi ce principe qui avait agi, nous l'avons vu, de la maniĂšre la plus dĂ©cisive sur Stolberg et tint son Ăąme en Ă©veil, ne lui laissant aucun repos, jusqu'Ă  ce qu'il se fĂ»t rattachĂ© indissolublement Ă  cette Eglise. Dans le langage qu'il fait entendre aprĂšs sa conversion, on voit que ce sentiment, si longtemps nourri et surchauffĂ© dans son Ăąme, fait explosion, notamment dans sa lettre Ă  la princesse Hohenlohe L'Église, dit-il, se montre vraiment une bonne mĂšre et la vĂ©ritable Ă©pouse de qui nous a enseignĂ© le plus pur amour divin par les leçons de toute sa vie et par sa mort, en ce qu'elle embrasse tous ses enfants par les liens d'une sainte et divine communautĂ©. La communion des Saints est sans doute admise dans les professions de foi des sectes chrĂ©tiennes dissidentes; mais elles n'en pĂ©nĂštrent pas la vĂ©ritable signification. Ce que le catholique entend par lĂ  est inexprimablement grand, aussi saint que consolant. Il se sent dĂ©jĂ  uni ici-bas par les liens Ă©ternels d'un amour croissant Ă  tous ceux qui font partie de la vigne du Seigneur, dont les branches s'Ă©lĂšvent au delĂ  et au-dessus du temps, pour s'Ă©tendre dans les espaces sans fin et les Ă©ternitĂ©s du ciel. » Et quelle influence n'exerça-t-il pas non seulement sur sa famille, dont tous les membres furent des modĂšles de vraie piĂ©tĂ©, mais sur les plus grandes intelligences de son temps, notamment sur celles de FrĂ©dĂ©ric de Schlegel, et de Adam Millier de Rittersdorff ! Ce dernier ne se lassait pas, une fois converti, de mettre en relief les liens d'Ă©troite union entre les croyants, si fortement cimentĂ©s par la vĂ©ritable Église ; et pour gagner Ă  la sainte cause Gentz, son principal ami, il lui Ă©crivait 1 Le propre de la religion chrĂ©tienne, c'est qu'on ne puisse y atteindre et en possĂ©der la connaissance sans qu'on ait en mĂȘme temps le plus ardent dĂ©sir de la vpir embrasser des liens de sa sainte communautĂ© tous les siĂšcles, tous les peuples, tous les hommes. Par cela mĂȘme que le Christ a montrĂ© comment Dieu s'est rĂ©vĂ©lĂ© Ă  l'infini dans l'humanitĂ©, on ne saurait pleinement adhĂ©rer Ă  la RĂ©vĂ©lation, sans se rattacher fortement, avec tout ce qu'on est et tout ce qu'on possĂšde, Ă  l'humanitĂ©. Qui croit au Christ doit aussi nĂ©cessairement croire Ă  la 1. Ouv. prĂ©citĂ© de Rosenthal, ior vol., partie allemande, p. 74 et suiv. l8" REVUE DU MONDE CATHOLIQUE communautĂ© une, Ă©ternelle, indivisible, des hommes dans le Christ, autrement dit Ă  l'Église 1. » Une autre illustre convertie, Mme de Swetchine, a des accents vraiment inspirĂ©s, quand elle dĂ©voile l'immensitĂ© des horizons qu'ouvre Ă  l'esprit et au coeur le dogme de la communion des Saints compris dans le vrai sens catholique. C'est Ă  propos de la priĂšre, qui nous fait entrer en communication avec tous ceux qui aiment Dieu, qu'elle fait entendre ces prestigieuses paroles La priĂšre, c'est l'Ă©ternitĂ©; elle embrasse tous les temps. La priĂšre, c'est l'immensitĂ©; elle embrasse tous les lieux. Tout ce qui est, ĂŽ mon Dieu, tout ce qui a Ă©tĂ©, tous les hommes dans la durĂ©e et l'espace, leur sort prĂ©sent et futur, leur fĂ©licitĂ©, leur amour, leur vertu, tout cet infini des Ăąmes et des coeurs se rĂ©flĂ©chit dans l'humble et ardente priĂšre, comme le firmament cĂ©leste se rĂ©flĂ©chit dans l'onde ignorĂ©e du moindre ruisseau. » Les quatre derniĂšres annĂ©es de la vie de Stolberg furent des annĂ©es de suprĂȘme recueillement. AprĂšs avoir perdu deux de ses fils, l'un tout jeune encore Ă  la suite d'une longue et cruelle maladie, l'autre mort en brave sur le champ d'honneur, il se retira dĂ©finitivement Ă  la campagne. Sa correspondance avec les divers membres de sa famille ou ses amis reflĂšte la douce paix de son Ăąme qu'entretenait cette attente du ciel qu'il dĂ©sirait tant pour eux. AprĂšs avoir fait entendre un suprĂȘme avertissement Ă  son siĂšcle, jetant des hauteurs de sa foi un clairvoyant regard sur le plus lointain avenir dans une brochure, l'Esprit du temps, qui fit alors tant de bruit et suscita de si ardentes colĂšres, il ne songea plus qu'Ă  l'Ă©ternitĂ©. Concentrant une derniĂšre fois sa pensĂ©e sur un objet qui s'Ă©tait emparĂ© depuis si longtemps de toutes les puissances de son Ăąme, il Ă©crivit un traitĂ© de Y Amour de Dieu. Ce fut, pour reproduire ici le beau langage de Rosenthal, le dernier chant du cygne, que cet opuscule sur la charitĂ©, Ă©crit avec le coeur d'un saint et les transports d'un prophĂšte, suprĂȘme legs du pĂšre Ă  ses enfants, de l'ami i. Dans un coup d'oeil gĂ©nĂ©ral sur les travaux d'Adam MĂčller, M. Rosenthal fait observer qu'une fois revenu au catholicisme, ce savant conçut mieux la loi de l'histoire, l'unitĂ© du plan divin. Dans l'Ă©tude des rapports de la vie politique et sociale, il ne manqua jamais de remonter Ă  leur source premiĂšre, Ă  Dieu mĂȘme, montrant comment une religion qui ne s'adresserait, qu'Ă  l'Ăąme sans pĂ©nĂ©trer Ă  lĂ  fois le corps et l'esprit n'assurerait pas la vĂ©ritable paix, qui existe dans l'unitĂ© harmonique du corps, de l'esprit et de l'Ăąme. L ÉLÉMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 19 Ă  ses amis, du chrĂ©tien Ă  ses frĂšres, un Ă©cho du testament du bienheureux Jean Mes enfants, aime^-vous les uns les autres. Le 5 dĂ©cembre 1819, quelques jours aprĂšs avoir terminĂ© cet opuscule 1, il expirait au milieu des siens Ă  la suite d'une courte maladie, et les derniĂšres paroles que murmurĂšrent ses lĂšvres en mourant furent Loue soit JĂ©sus-Christ ! Sa tombe devait fournir un tĂ©moignage de sa foi, une suprĂȘme et permanente affirmation de l'amour divin qui avatt inspirĂ© toute sa vie. Elle portatt comme unique inscription qu'il avait luimĂȘme demandĂ©e, ce texte de saint Jean Dieu a tant aimĂ© le monde . qu'il a donnĂ© son Fils unique, afin que tous ceux qui croient en lui ne soient point perdus, mais aient la vie Ă©temelle. Toute la correspondance de Stolberg dĂ©montre que ses prĂ©fĂ©rences pour l'Eglise catholique sont fondĂ©es sur l'amour plus effectif de celle-ci pour le divin Sauveur. C'est lĂ  le point de vue dominant qui, nous l'avons vu, achĂšve de dissiper tous ses doutes, et qu'il croit le plus propre Ă  ramener les plus pieux et les plus sincĂšres de ses anciens coreligionnaires. On voit en lui une preuve Ă  jamais mĂ©morable que le vĂ©ritable adorateur de Dieu en esprit et en vĂ©ritĂ© trouve dans le catholicisme le moyen par excellence de laisser pĂ©nĂ©trer jusque dans les derniĂšres profondeurs de son ĂȘtre la vie de JĂ©sus-Christ, et d'arriver, dĂšs ici-bas, Ă  ce degrĂ© suprĂȘme d'union qui assure l'exercice des plus sublimes vertus et le dĂ©tachement le plus complet des intĂ©rĂȘts purement terrestres. C'est Ă  cette hauteur de spiritualitĂ©, qui ne saurait se confondre avec le mysticisme, qu'aspirait l'Ăąme de Stolberg; et nul n'avait Ă©tĂ© moins impressionnĂ© par tout ce qui constitue les pompes et formes extĂ©rieures du culte catholique. Ce n'est point son imagination qui avait subi un entraĂźnement quelconque, comme les protestants eussent voulu fausssement le faire entendre. Sa raison et son coeur seuls Ă©taient attirĂ©s vers le catholicisme, dont les rites et cĂ©rĂ©monies le rebutaient plutĂŽt. On peut mĂȘme dire que, dans la pĂ©riode oĂč il se sentait le plus Ă©branlĂ©, ces cĂ©rĂ©monies, dont il ne pĂ©nĂ©trait pas suffisamment la signification cachĂ©e, le lond symbolique, furent 1. Comme Stolberg, Schlegel voulut, lui aussi, faire entendre, avant de mourir, un suprĂȘme hommage Ă  l'amour divin, sur lequel s'Ă©taient concentrĂ©es ses plus ardentes spĂ©culations. Ses ConfĂ©rences sur la religion chrĂ©tienne, oĂč, en traitant de la foi et de l'espĂ©rance, il avait pĂ©nĂ©trĂ© leurs plus mystĂ©rieuses profondeurs, devaient se terminer par trois leçons sur la charitĂ©. Mais Dieu se contenta de ce dĂ©sir, et on peut dire qu'il mourut en l'accomplissant. Il Ă©crivait encore les pages de la premiĂšre de ces leçons quelques heures avant d'expier. 20 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE pour lui une pierre d'achoppement. Rien de plus Ă©trange pour ceux qui le connaissent, disait l'Ă©vĂȘque de Kellermann *, que de prĂ©tendre que le cĂŽtĂ© purement extĂ©rieur du culte, les rites et cĂ©rĂ©monies l'eussent attirĂ© Ă  l'Eglise catholique. Peu de personnes, peut-on dire, poussaient plus loin que lui l'adoration de Dieu en esprit et en vĂ©ritĂ©. Qui s'Ă©levait davantage contre tout ce qui pouvait dĂ©tourner le regard des croyants de l'unique objet nĂ©cessaire, de la vue de notre Sauveur? Qui se dĂ©fendait davantage comme lui de toute autre confiance que celle qu'on doit uniquement avoir dans les mĂ©rites du divin RĂ©dempteur ? Les cĂ©rĂ©monies de l'Eglise catholique, alors qu'aprĂšs un long examen il ne vit plus en elle des dĂ©viations du culte en esprit et en vĂ©ritĂ©, ne l'ont point, il est vrai, empĂȘchĂ© d'entrer dans le giron de cette Eglise ; mais elles donnĂšrent peut-ĂȘtre lieu au plus rude combat intĂ©rieur contre tous les prĂ©jugĂ©s de son Ă©ducation, fortifiĂ©s d'ailleurs par quelques abus de l'Ă©poque. Toutes les grandes conversions qui suivirent la sienne prĂ©sentĂšrent le mĂȘme cachet de profondeur et mirent en relief la puissante fĂ©conditĂ© du catholicisme, qui rĂ©pondait Ă  la fois aux plus ardentes aspirations du coeur et aux plus hautes exigences de la raison. Le retour de natures aussi fonciĂšrement diverses que celles de Schlegel, d'Adam deMĂ»ller, deWerner, de Charles de Haller, rĂ©fute de la maniĂšre la plus pĂ©remptoire les reproches de petitesse d'esprit, d'Ă©troitesse de vues, faits Ă  l'Eglise catholique. IV Le cĂŽtĂ© transcendantal des spĂ©culations de ces savants, lequel semble croĂźtre en se proportionnant au surcroĂźt de lumiĂšres, et par suite, d'amour divin qui suit leur conversion, nous paraĂźt dĂ» Ă  l'action de ce que nous avons! appelĂ© l'Ă©lĂ©ment surnaturel. Cet Ă©lĂ©ment, c'est celui, rĂ©pĂ©tons-le, qui va puiser directement l'efficace de sa vertu aux sources de la vie divine elle-mĂȘme 2. i. Admis dans l'intimitĂ© de Stolberg, alors qu'Ă©tant simple abbĂ© il fut agréé comme prĂ©cepteur de ses enfants, il a Ă©tĂ© plus Ă  mĂȘme que tout autre de connaĂźtre Ă  fond ses dispositions d'esprit. 2. Dieu n'est pas seulement l'acte pur de la pensĂ©e ou de l'intelligence absolue, tel que le concevaient Platon et Aristote. Il est l'acte pur de la volontĂ© ou de la libertĂ© absolue, c'est-Ă -dire qu'il se veut lui-mĂȘme infiniment. Dieu est pour ainsi L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 21 Toutes les citations que nous avons faites en preuve de cette action continue de l'Ă©lĂ©ment surnaturel sur les convertis peuvent se rĂ©sumer dans ces expressions d'une lettre de Stolberg au philosophe Jacobi La religion de JĂ©sus-Christ est devenue la vie de ma vie, l'Ăąme de mon Ăąme. » C'est donc sur la volontĂ© qu'influe cet Ă©lĂ©ment, sur la volontĂ© libre, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e, au point de vue chrĂ©tien, comme le noeud vital de notre ĂȘtre, Ă©tant le [souverain rĂ©gulateur de toute la vie morale et intellectuelle. DĂ©velopper une plus grande puissance de volontĂ© et de libertĂ©, c'est l'acte par excellence de Dieu en l'homme, l'action de la grĂące, pour me servir du langage de la thĂ©ologie. Ce dĂ©veloppement poussĂ© Ă  son degrĂ© extrĂȘme explique seul les miracles de l'hĂ©roĂŻsme chrĂ©tien des premiers siĂšcles qui a Ă©clatĂ© au milieu de la plus abjecte servitude. C'est au moment du plus haut degrĂ© d'abnĂ©gation et de renoncement de lui-mĂȘme que l'homme acquĂ©rait la plus haute puissance de volontĂ© et de libertĂ©, et maĂźtrisait la nature dans son corps jusqu'Ă  en comprimer le cri et endurer tranquillement les plus affreux supplices. DĂ©pouillĂ©e de la faiblesse inhĂ©rente Ă  l'ĂȘtre fini, la volontĂ© Ă©tait en quelque sorte, Ă  l'instant oĂč elle abdiquait en apparence, rendue par Dieu au centuple, et grandissait alors jusqu'Ă  se confondre en un sens avec la libertĂ© de l'Etre infini. Il en faut dire autant de la plupart des convertis, qui ne sont rendus capables des grands et permanents sacrifices qu'entraĂźne leur retour Ă  la vraie foi que par l'effort suprĂȘme de volontĂ© que seul peut assurer un vĂ©ritable amour de Dieu. C'est de cet amour que notre grand pyschologue Maine de Biran disait qu'il consiste dans le sacrifice de soi-mĂȘme Ă  l'objet aimĂ©. Saint Augustin et saint Thomas disent Ă©galement que l'amour de Dieu dans sa plus haute expression consiste dans le sacrifice pleinement volontaire de soi-mĂȘme Ă  l'objet aimĂ©. La charitĂ©, dans sa mystĂ©rieuse ascension, se confondrait d'aprĂšs eux avec l'amour infini que Dieu a de lui-mĂȘme et diviniserait ainsi tout l'homme. Le converti finit, en coopĂ©rant Ă  l'action continue de la grĂące, par dire tout moi. Il est moi dans son principe et dans sa foi il est par suite l'unitĂ© absolue. C'est lĂ  le Dieu-TrinitĂ©. De mĂȘme qu'en Dieu, l'ĂȘtre par soi ne saurait se concevoir sans l'absolu de la libertĂ© et de la parfaite personnalitĂ©, et l'implique nĂ©cessairement, de mĂȘme aussi, en l'homme créé Ă  la ressemblance de Dieu, la libertĂ© ne se comprend que comme l'essence mĂȘme de son ĂȘtre, la substance de l'Ăąme. 22 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE acquĂ©rir cette vertu par laquelle il n'agit plus qu'en vue et pour l'amour de Dieu, et c'est alors seulement qu'il peut surmonter tous les obstacles matĂ©riels et moraux de nature Ă  retarder sa rentrĂ©e dans le giron de la vĂ©ritable Eglise. A. CHAUFFARD, Ancien magistrat. Le MystĂšre de Caria i GĂ©nĂ©ralement 1 l'on se contente de dire Le Christ a assistĂ© aux noces de Cana, donc c'est Ă  Cana qu'il a instituĂ© le sacrement de mariage. Et alors, Ă  cette idĂ©e prĂ©conçue l'on s'empresse de rapporter tous les textes latins ou grecs qui parlent de la sanctification ou de l'honneur du mariage. C'est trĂšs facile, mais cela ne prouve rien. Chose singuliĂšre ! nous n'avons pas trouvĂ© un seul texte, avec preuves Ă  l'appui, qui affirmĂąt l'institution Ă  ce moment. Billuart lui-mĂȘme ne donne pas de preuves 2. Presque tous, mĂȘme saint Cyrille, passent immĂ©diatement du sens littĂ©ral aux considĂ©rations mystiques. Il en rĂ©sulte dans l'esprit du lecteur une dĂ©sespĂ©rante indĂ©cision touchant ce mystĂšre. Essayons d'en sortir. Dire 3 que, par sa prĂ©sence aux noces Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ a bĂ©ni toutes les noces en gĂ©nĂ©ral en sorte qu'il n'y a plus qu'Ă  ajouter la formule pour avoir la grĂące, est une conception assez ingĂ©nieuse, une belle fleur de l'imagination, mais sans rĂ©alitĂ©. Outre que l'on semble favoriser par lĂ  l'opinion rĂ©prouvĂ©e du prĂȘtre ministre du sacrement, rien n'indique qu'il en ait Ă©tĂ© ainsi. Il n'est personne qui ne soit frappĂ©, au contraire, du concours apportĂ© Ă  la doctrine de l'Église sur le ministre du sacrement, par i. M. l'abbĂ© Trillon de La BigottiĂšre, dont la Revue du Monde Catholique a dĂ©jĂ  publiĂ© plusieurs travaux savants et bien Ă©tudiĂ©s, justement remarquĂ©s des hommes compĂ©tents, nous adresse un nouvel article sur le MystĂšre de Cana. Ce n'est qu'un chapitre pris dans un ouvrage qu'il doit prochainement publier sur Les Noces de Cana', mais nous pensons que la gravitĂ© du sujet et la maniĂšre neuve dont il est prĂ©sentĂ© intĂ©resseront le lecteur, Ă  qui nous sommes heureux d'en offrir la premiĂšre lecture. 2. Billuart, de Matr. diss., i, A. 3. Invitatus ad nuptias, illas insigno miraculo approbavit, atque illis benedixit, eis conferendo vint causandi gratiam. Ita tradĂčnt S. P., Cyrillus, etc., etc. » 3. Voir entre autres Theob. Lienhart, Th. Argent., t. III, p. 581. 24 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'opinion qui unit Ă  l'Incarnation la source de cette grĂące. On ne peut en effet reporter Ă  Cana ce que nous avons dit de l'Incarnation comme source et production de cette grĂące sacramentelle ici, l'oeuvre silencieuse de la grĂące se comprend; Ă  Cana, il eĂ»t fallu au moins un acte, une parole crĂ©atrice du sacrement ; or, rien de semblable. Toute l'action du rĂ©cit Ă©vangĂ©lique converge vers le mystĂšre du changement de l'eau en vin, et non vers la noce. Il est trĂšs joli, mais peut-ĂȘtre un peu naturaliste, de dire Le Christ, en se mettant Ă  table, a bĂ©ni toutes les noces. MalgrĂ© soi l'on pense Ă  l'arĂŽme du festin, au dĂ©licieux fumet des bons vins d'Engaddi ou de Sorec, aux celliers de l'Ă©poux, voire mĂȘme au bon appĂ©tit du vieil Isaac ou au fin odorat du gourmand EsaĂč; entourage de pensĂ©es plus digne du signe sensible que de la grĂące, mais comment s'en dĂ©prendre? Cette idĂ©e fit Ă©cole. Eh! n'avait-il pas Ă  l'esprit les noces Ă©vangĂ©liques et plus encore Ă  la bouche le parfum dĂ©licat des mets exquis de la table royale, ce brave PĂšre Auger, ami et familier de Charles IX, qui, tout en tonnant de grand coeur contre les hĂ©rĂ©sies et mĂ©disances des Calvinistes, BĂ©zĂ©ans, Ochinistes, MĂ©lanchtoniens et autres mĂ©crĂ©ants, dans son discours au roi, se dĂ©fend bien de distraire le sacrement de mariage des noces de Cana et surtout de l'Ă©loigner du bon vin qu'il n'a garde d'oublier MĂȘme, s'Ă©crie-t-il, que le Christ a voulu Ă  l'entrĂ©e de ses voyages, et tout au commencement de son issue du dĂ©sert, bĂ©nir et sanctifier le saint Ă©tat du mariage par sa prĂ©sence et y faire tout premiĂšrement reluire sa puissance et grandeur, par un excellent miracle 1, » Tel est ce que j'appellerais le cĂŽtĂ© matĂ©rialiste on naturaliste du mystĂšre de Cana; il n'a pas peu contribuĂ© Ă  Ă©garer l'opinion. Inutile d'Ă©tablir une comparaison avec le baptĂȘme de NotreSeigneur. On dit qu'en se baignant dans le Jourdain, JĂ©sus-Christ a sanctifiĂ© toutes les eaux de la terre pour le baptĂȘme et les a dĂ©signĂ©es. comme matiĂšre premiĂšre en attendant la formule. Sens- plus accommodatice de la piĂ©tĂ© que rĂ©el. On trouve cela partout. La piĂ©tĂ© a toujours aimĂ© un aliment de cette sorte, plus inoffensif et subtil que vrai ; base de la piĂ©tĂ© sentimentale si Ă  la mode de nos jours et fondement vulgaire de nombreux petits livres spirituels, vraie peste de la dĂ©votion. Bien des Ăąmes simples s'en i. Emd. Auger, S. J, 1572 Discours dĂ©diĂ© au roi Charles IX. "b=r~'* LE MYSTÈRE DE CANA 2$ contentent et sommeillent ainsi dans une spiritualitĂ© sensualiste sans progrĂšs. Il est triste que des Ăąmes plus richement douĂ©es en spiritualitĂ© en soient elles-mĂȘmes rĂ©duites, faute de mieux, Ă  de si maigres aliments. Dans le cas prĂ©sent, il est trĂšs vrai que le Seigneur a sanctifiĂ© les eaux du Jourdain comme tous les autres lieux par oĂč il a passĂ©. L'Ăąme pieuse peut s'en rĂ©jouir dans l'action de grĂąces, et jeter en mĂȘme temps un regard sur toutes les piscines sanctifiĂ©es pour le baptĂȘme par la vertu du Christ, en rattachant l'une et l'autre sanctification au mĂȘme mystĂšre. Mais cela ne fait pas que les eaux du monde entier soient sanctifiĂ©es parle baptĂȘme de JĂ©sus-Christ. La preuve en est dans les nombreuses bĂ©nĂ©dictions par le signe de la croix, dans le mĂ©lange sacrĂ© de l'huile sainte et surtout dans les violentes imprĂ©cations et les rigoureux exorcismes employĂ©s pour chasser le diable. La sanctification du Jourdain ne dĂ©passe pas le degrĂ© de sanctification des lieux de pĂšlerinage oĂč, sous l'action bienfaisante de la grĂące concentrĂ©e en ces lieux par la volontĂ© divine, l'influence diabolique et toute pestilence de Satan est diminuĂ©e, Ă©cartĂ©e, anĂ©antie, afin de rendre, l'endroit propice Ă  l'Ăąme et digne des effusions privilĂ©giĂ©es du ciel. S'il en est ainsi pour le Jourdain vis-Ă -vis du baptĂȘme, comment soutenir que la prĂ©sence divine Ă  Cana ait sanctifiĂ© les noces universelles, en sorte qu'il n'y ait plus que le signe sacramentel Ă  ajouter ou Ă  former? Aucun rapport, aucune dĂ©pendance entre la sanctification particuliĂšre des noces de Cana et la sanctification universelle des mariages. J'en appelle Ă  tous les hommes vivant dans la chair. Pour qu'il en soit ainsi, autour du contrat matrimonial trop de dĂ©mons rĂŽdent Ă  l'infini, fort difficiles Ă  expulser et trop bien Ă©tablis jusque dans le signe sensible. Dire que le Sauveur, Ă  Cana, a prononcĂ© une formule sacramentelle instituant le sacrement, est une assertion gratuite puisque aucun acte, aucune parole, ne sont signalĂ©s en ce sens dans l'Evangile. Et ne serait-il pas Ă©trange que le mariage, seul fĂ»t instituĂ© dĂšs le dĂ©but de la vie publique, par un acte positif, avant la formation du collĂšge apostolique, alors que tous les autres sacrements ne le furent qu'Ă  la fin? Pourquoi cette exception extraordinaire? Que l'Eucharistie soit annoncĂ©e d'avance, que Simon reçoive le nom de CĂ©phas, que la grĂące du mariage soit prĂȘte dĂšs l'Incarnation, trĂšs bien rien n'est plus conforme Ă  la conduite de JĂ©sus-Christ. Mais la dispensation des dons et des pouvoirs est rĂ©servĂ©e Ă  la fin. 20 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Cette hĂąte attribuĂ©e au Messie pour l'honneur du mariage donne aux naturalistes modernes l'occasion de gloser 1. Dire que l'institution part du changement de l'eau en vin, parce que le vin est meilleur que l'eau et le mariage sacramentel meilleur que l'union purement naturelle, et que, par consĂ©quent ce changement fait au repas des noces fut le signal de la grĂące, est une affirmation Ă©galement sans fondement. En effet, l'on en pourrait dire autant de tout changement in melius, et la circonstance du repas de noces ne fait rien Ă  la chose puisque les Juifs ne se mariaient pas Ă  table. Et puis quel rapport entre le changement de l'eau en vin et le contrat conjugal ? Ne serait-ce pas l'occasion de rĂ©pĂ©ter le Qiiid mihi et tĂŻbi ? Une substance chassant l'autre ! J'y verrais bien plutĂŽt un symbole de sĂ©paration et de divorce. Quelle circonstance plus rĂ©pulsive pourrait-on choisir pour asseoir un symbole d'union et y fixer Ă  jamais la grĂące sacramentelle? Enfin, je le rĂ©pĂšte, peut-on croire que le Christ, qui a dit Baptisez-les. — Prenez et mangez. — Faites ceci en mĂ©moire de moi. — Remettez les pĂ©chĂ©s, etc. », en pleines noces, eĂ»t instituĂ© un sacrement de cette importance en gardant le silence, sans en souffler un traĂźtre mot, sans y faire mĂȘme la plus petite allusion, et par un acte qui semble contraire? Les auteurs qui l'ont affirmĂ© l'ont avancĂ© sans preuves ni raisons et sur la seule analogie du mariage de Cana ce n'est pas suffisant. Le mystĂšre des noces de Cana n'est pas le mystĂšre "u sacrement de mariage. Étudions donc dans la tradition sa signification. II Loin de rapporter au mariage le mystĂšre de Cana, l'antiquitĂ© chrĂ©tienne en a fait tout un autre symbole. Les noces de Cana, dit M. Rohault de Fleury 2, dans le changement de l'eau en vin, symbolisent la conversion des Gentils et aussi la sainte Eucharistie, et se rencontrent souvent dans les premiĂšres reprĂ©sentations des. scĂšnes Ă©vangĂ©liques. Elles semblent avoir d'abord tentĂ© le gĂ©nie i. Voir sur ce ton Renan, Vie de JĂ©sus, ch. iv et v, Reuss, t. IV, page 132 et suivantes, et tous les exĂ©gĂštes plus ou moins pornographes de cette Ă©cole. 2. Rohault de Fleury CEvang., Etud. Jean., 1, ch. xxn, p. 118 et 123. LE MYSTÈRE DE CANA 27 des sculpteurs dans des sarcophages antiques oĂč, au lieu de six hydries, on en voit souvent cinq et quelquefois une seule. NotreSeigneur les touche avec une baguette. » Évidemment l'idĂ©e des premiers chrĂ©tiens se portait vers le mystĂšre de la rĂ©surrection des corps, mystique changement de l'eau en vin, dont l'Eucharistie Ă©tait le gage. Cette pensĂ©e sĂ©pulcrale des catacombes nous Ă©carte passablement de la noce. Le Sauveur seul devant les amphores, c'est Dieu et la nature. S'il n'en frappe qu'une, c'est le Surge qui dormis du souverain MaĂźtre de la vie et de la mort. S'il en touche un nombre indĂ©terminĂ©, c'est le symbole de la croyance chrĂ©tienne Ă  la rĂ©surrection gĂ©nĂ©rale d'abord, ensuite Ă  la conversion des peuples paĂŻens Ă  la foi. Pour les premiers fidĂšles, le mystĂšre de Cana est encore l'image de l'Eucharistie et la figure de la transformation surnaturelle de leur vie sous l'action de la grĂące. Au dĂ©but du christianisme la scĂšne est. trĂšs simple et ne cherche que l'expression du symbole, et ce symbole n'est jamais autre que ce que nous venons de dire. Plus on avance, dĂšs le XIe et XIIe siĂšcle, et plus la scĂšne se complique. Elle paraĂźt moins prĂ©occupĂ©e du symbolisme et se rapproche davantage du texte Ă©vangĂ©lique. Mais qui osera soutenir que la perfection du dessin ou de la reprĂ©sentation ait fait disparaĂźtre les sens primitivement adoptĂ©s, lesquels se rĂ©sument en celui de manifestation par transformation ? Ainsi l'entendirent d'abord les temps apostoliques. La nĂ©cessitĂ© d'une prĂ©dication Ă©vangĂ©lique dĂ©sormais plus Ă©tendue força les PĂšres d'abandonner le sens intime du mystĂšre, de s'attacher uniquement aux dehors de la scĂšne, de n'y voir plus que l'honneur fait au mariage par la prĂ©sence du Messie, afin d'en tirer de lĂ©gitimes conclusions morales. Ce n'Ă©tait pas nier le sens vrai du mystĂšre, c'Ă©tait s'arrĂȘter aux nĂ©cessitĂ©s pressantes de la situation, dans une apprĂ©ciation moins approfondie mais non moins rĂ©elle. Il ne faut donc pas chercher autre chose dans les PĂšres que la rĂ©habilitation de l'union conjugale par l'honneur que rend au mariage la prĂ©sence du Sauveur. Ce qui n'empĂȘche pas la tradition dĂ©sormais d'ĂȘtre de plus en plus dĂ©concertĂ©e par cet objectif, touchant le sens du mystĂšre de Cana. La corruption du lien matrimonial a Ă©tĂ© le grand champ de bataille contre l'ennemi du dehors, comme l'hĂ©rĂ©sie fut la grande 28 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lutte contre l'ennemi du dedans. L'on comprend dĂšs lors l'importance, aux yeux des PĂšres, de la dĂ©marche bienveillante de JĂ©sus ce fut le point de dĂ©part d'un renversement complet des idĂ©es paĂŻennes de l'Ă©poque. LĂ©on XIII le reconnaĂźt clairement QuĂŻbus cousis vel ex eo die in hominum conjugia novoe cujusdam sanctitu^ dinis videniur esse profecta 1. Mais la dĂ©fense chrĂ©tienne une fois fortement opĂ©rĂ©e sur l'exemple du Christ, immĂ©diatement les PĂšres se tournent vers l'union divine dans l'Eglise et dans les Ăąmes ou dans la personne mĂȘme du Verbe incarnĂ©, et alors ils s'Ă©lĂšvent, du fait historique, aux plus sublimes pensĂ©es. Pour eux donc, mĂȘme dans la nĂ©cessitĂ© qui les fait parler, le mariage n'est rien moins que la partie majeure du mystĂšre. Dans la conception mĂȘme de leur dĂ©fense contre le paganisme, rien de l'institution du sacrement; S'agit-il de prĂ©venir ou d'anĂ©antir les fausses conclusions de l'hĂ©rĂ©sie le mystĂšre de Cana n'offre pas aux PĂšres de l'Église d'autres armes de combat. Et il est singulier que pas un ne pousse l'argument jusqu'Ă  ce raisonnement topique C'est lĂ  que fut Ă©tabli le sacrement ! » Si ce dernier mot sort de leur bouche, c'est toujours avec le sens mystique de transformation ou d'union spirituelle. III Chose singuliĂšre! le Moyen-Age, si Ă©pris du symbolisme religieux, est l'Ă©poque la plus pauvre touchant le mystĂšre de Cana, soit comme explication, soit comme reprĂ©sentation. Pourtant, deux choses Ă©taient alors en honneur la saintetĂ© du mariage, dont la cause rendit tant de fois illustre l'hĂ©roĂŻsme des nobles chevaliers, et la chastetĂ© religieuse si vĂ©nĂ©rĂ©e sous tous ses aspects. Comment expliquer, sous ce double rapport, l'absence presque complĂšte du mystĂšre de Cana au Moyen-Age? La raison en est, d'abord en ce qui concerne le mariage, qu'en ce temps-lĂ , pas plus qu'aux premiers siĂšcles, l'on ne crut Ă  l'institution du sacrement Ă  Cana. Si d'autre part le cĂŽtĂ© mystique fut Ă©galement dĂ©laissĂ©, ce fut moins i. Le mot Sanctitudo » dont se sert LĂ©on XIII, Ă  la suite des PĂšres, a un sens trop vague, trop gĂ©nĂ©ral, pour ĂȘtre restreint Ă  un cas particulier ; il se prend toujours soit pour le rĂ©sultat d'un acte sanctificateur, soit pour l'ensemble de la justification, mais il ne saurait spĂ©cifier l'acte mĂȘme. Il n'est donc pas question ici du sacrement. LE MYSTERE DE CANA 29 Ă  cause de son Ă©vidence Ă  laquelle l'on ne fit que peu d'attention, qu'en raison du sens liturgique nouvellement adoptĂ© et plus Ă©clatant, et surtout de l'ardeur gĂ©nĂ©rale qui se porta vers le Cantique des Cantiques, mine spirituelle bien autrement prĂ©cieuse en fĂ©conditĂ© oĂč le rĂŽle de l'Ă©poux et de l'Ă©pouse mystiques, traitĂ© de main de maĂźtre ex professo, Ă©tait Ă©vident. Une nouvelle interprĂ©tation, disons-nous, avait alors pris une importance majeure Ă©clipsant tout autre point de vue. Du triomphe mĂȘme de la civilisation chrĂ©tienne sur l'antique sociĂ©tĂ© paĂŻenne, surgit cette nouvelle ou plus claire interprĂ©tation du mystĂšre de Cana La manifestation du Christ ». JĂ©sus manifestĂ©, c'est tout le Moyen-Age. Ce caractĂšre spĂ©cial du mystĂšre devint le cachet propre de cet Ăąge heureux et comme le cri de joie de la chrĂ©tientĂ©. L'antique paganisme Ă©tait donc vaincu, la chrĂ©tientĂ© Ă©tait formĂ©e. Le Christ rĂ©gnait dans les lois, dans les moeurs et jusque sur le trĂŽne des rois. Aux empereurs paĂŻens, aux julien, aux Valens, avaient succĂ©dĂ© de nouvelles gĂ©nĂ©rations d'empereurs et de rois qui flĂ©chissaient les genoux et prĂ©sentaient au Christ Seigneur l'hommage d'un coeur dĂ©vouĂ© et orthodoxe. ThĂ©odose, Charlemagne, Alfred le Grand, Etienne de Hongrie, Edouard le Confesseur, Henri II l'empereur, Ferdinand de Castille, Louis IX de France, se prosternaient avec les rois mages aux pieds du divin Enfant et lui ouvraient leurs trĂ©sors 1! » Ainsi ces paroles Et manifestavit gloriam suam, eurent leur actualitĂ© historique, devinrent de plus en plus chĂšres au coeur de l'Ă©pouse sacrĂ©e de JĂ©sus et fixĂšrent d'une façon authentique le sens du mystĂšre en le faisant entrer dĂ©sormais dans l'auguste thĂ©ophanie. Une phase nouvelle s'Ă©tait donc ouverte et absorbait tout le sens du mystĂšre dans celui de la manifestation divine. Son triomphe fut dĂšs lors dans la liturgie. Oh ! combien il convenait aux splendeurs de la chrĂ©tientetĂ©, telle qu'elle nous apparaĂźt radieuse au Moyen-Age, d'attacher aux noces de Cana le caractĂšre de la divine manifestation ! 11 y a dans cette conception plutĂŽt oeuvre d'amour, de joie, d'action de grĂąces, de jouissances spirituelles et de cĂ©lestes louanges, que raisonnements didactiques. C'est le cri de joie d'un coeur rempli de la science divine, dĂ©bordant de gratitude et jouissant des triomphes de l'Époux cĂ©leste. 1. DOM GUÉRANGER, Ami. Lit., t. II. 30 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La liturgie sacrĂ©e s'empara donc du mystĂšre envisagĂ© Ă  ce point de vue, et il faut convenir qu'Ă  cĂŽtĂ© du lyrisme de son enthousiasme, toute reprĂ©sentation par la sculpture ou la peinture eĂ»t Ă©tĂ© bien froide. VoilĂ  pourquoi, en ces jours de foi vive, cette reprĂ©sentation s'est faite rare. A la louange silencieuse l'on prĂ©fĂ©ra l'Ă©lan du coeur, et le Tribus miraculis de l'Epiphanie rĂ©sonna plus chĂšrement dans les Ăąmes que le bruit monotone du ciseau Ă  froid. L'Eglise fait officiellement, du mystĂšre de Cana, le mystĂšre de la manifestation du Christ. Tel est l'enseignement de son autoritĂ© doctrinale par l'organe de la liturgie; et il est vrai de dire encore une fois que la loi de la priĂšre est devenue la loi de la croyance. On sent ici battre le coeur de l'Ă©pouse. Ce ne sont plus les dehors, mais c'est l'intime mĂȘme du mystĂšre qui nous est dĂ©voilĂ©. N'est-ce pas, du reste, le sens propre indiquĂ© dans l'Evangile? Il est doublement sage de l'adopter dans toutes ses consĂ©quences. S'il s'agit d'un mariage, l'Eglise invoquera le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, citera comme modĂšles la sagesse de RĂ©becca, la fidĂ©litĂ© de Sara, l'amabilitĂ© de Rachel ; mais elle ne songera pas Ă  Cana, malgrĂ© la prĂ©sence de JĂ©sus-Christ Ă  ces noces. Ce silence significatif cesse d'ĂȘtre une simple preuve nĂ©gative quand la grande voix de la sainte liturgie se fait entendre et dit Cana, c'est le mystĂšre de la manifestation de JĂ©sus, c'est lĂ  son cachet, sa signification Manifestavit seipsum. » EmbrasĂ©e du dĂ©sir de faire connaĂźtre, aimer, adorer son Epoux cĂ©leste, ce qui est le plus saint et le plus sacrĂ© de tous ses devoirs, on comprend que l'Eglise ait eu hĂąte d'unir cette manifestation tout intime et mystique de Cana Ă  la grande manifestation du 6 janvier. C'est ce qu'elle a saisi de tout temps, dit Baronius l. L'Epiphanie, en effet, est JĂ©sus manifestĂ©, mais sous un triple aspect par le mystĂšre des rois adorateurs, c'est la grĂące prĂ©venante qui vient au-devant de nous; par le baptĂȘme de JĂ©sus au Jourdain, c'est l'Ăąme correspondant Ă  la grĂące par la conversion et la pĂ©nitence ; mais par le mystĂšre de Cana, c'est la rencontre des coeurs de l'Epoux divin et de l'Ă©pouse mystique dans la jouissance de l'Ă©ternel amour. Rien n'Ă©gale la joie de l'Eglise quand elle songe Ă  ce mystĂšre d'union i. Non una eademque die.. sunt peracta, sed ipsorum tantum memoriam eadem die ah Ecclesia recenseri solitam testantur Patres. » LE MYSTERE DE CANA } I O solemnis feslum loetilioe Qno uniliir Christus Ecclesioe, In quo noslroi saluiis nuptioe Cclebrantur ! HĂ©las ! le Moyen-Age perdit peu Ă  peu de sa chaleur. Survinrent les hĂ©rĂ©sies du XVIe siĂšcle si fatales Ă  l'expansion de la piĂ©tĂ©, et, en mĂȘme temps, s'Ă©leva l'aurore de la Renaissance si prĂ©occupĂ©e de la forme. On laissa le symbolisme mystique pour courir Ă  la dĂ©fense du dogme, et l'on oublia l'accent de la piĂ©tĂ© pour n'envisager que les beautĂ©s de l'art. Le mystĂšre perdit son fruit qui ne fut plus goĂ»tĂ©. Alors les noces de Cana rĂ©apparurent, mais sous un nouvel aspect qu'elles n'avaient jamais eu et qu'elles n'ont plus quittĂ© depuis. Elles devinrent l'excellent miracle du bon PĂšre Auger, et rien que cela. IV Cette situation trop rĂ©aliste a laissĂ© une empreinte frappante dans l'histoire de la peinture c'est lĂ  qu'il faut l'Ă©tudier. La sociĂ©tĂ© d'alors Ă©tait encore trop pĂ©nĂ©trĂ©e de christianisme, et ce christianisme Ă©tait trop puisĂ© dans la vie des monastĂšres pour que le talent de l'artiste n'offrĂźt pas comme un reflet des enseignements thĂ©ologiques du temps. L'hĂ©rĂ©sie avait niĂ© le sacrement de mariage on la combattit. Dans la lutte, des champions plus zĂ©lĂ©s qu'Ă©clairĂ©s crurent trouver un accommodement dans la distinction du contrat et du sacrement, chose inouĂŻe jusque-lĂ . Ce fut l'origine de la nouvelle doctrine du prĂȘtre ministre du mariage. Les Ă©poux se mariaient, c'Ă©tait oeuvre naturelle, contrat civil; voilĂ  pour satisfaire l'hĂ©rĂ©sie. Le prĂȘtre Ă©tait ministre, bĂ©nissait, recevait l'Ă©lĂ©ment de contrat, l'Ă©levait Ă  la grĂące sacramentelle en donnant la matiĂšre et la forme; voilĂ  pour contenter l'Eglise. EmpruntĂ©e Ă  Melchior Cano, cette doctrine envahit l'Ecole et fut presque universelle. A cause du service qu'elle rendit au dĂ©but, sans grave inconvĂ©nient, et les gouvernements n'ayant pas encore Ă©levĂ© leurs prĂ©tentions sacrilĂšges du Mariage civil Ă  la hauteur d'une vĂ©ritĂ©, l'Eglise se tut d'abord. Aujourd'hui l'Eglise ayant parlĂ© ex cathedra, serait hĂ©rĂ©tique celui qui soutiendrait cette doctrine. Mais alors la distinction du contrat et du sacrement parut ingĂ©nieuse, on lui chercha un appui dans l'Ecriture, et les noces de 32 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Cana passĂšrent sans conteste pour la preuve d'Ecriture sainte, pour l'argument de foi, pour la raison majeure Ă  l'appui de la thĂšse. Quoi de plus facile que d'y adapter toute la scĂšne Ă©vangĂ©lique ? Le sacrement n'est-il pas surajoutĂ© au contrat par la prĂ©sence divine et peut-ĂȘtre mĂȘme trois jours ou plus aprĂšs le mariage ? VoilĂ  donc les noces de Cana devenues, au XVIe siĂšcle, origine du sacrement de Mariage, et Notre-Seigneur disciple de Melchior Cano ! L'enseignement en a Ă©tĂ© tellement universel et si peu contestĂ©, que je crois fort bien surprendre ici plus d'un confrĂšre, trĂšs soumis d'ailleurs aux enseignements rĂ©cents de Rome et aux dĂ©finitions de Pie IX et de LĂ©on XIII, mais qui croient de tout leur coeur qu'Ă  Cana JĂ©sus-Christ a instituĂ© le sacrement de mariage. Peut-ĂȘtre, et sans s'en rendre bien compte, sont-ils aussi un peu trop attachĂ©s aux anciens pouvoirs de leur Ego conjungo vos. Une telle descente dĂ©couronna le mystĂšre et dĂ©concerta l'artiste. On peut peindre une vertu Ă  l'aide des emblĂšmes et atteindre ainsi un certain idĂ©al. Henri Goltzius, GĂ©rard de Lairesse, LĂ©onard Bramer, etc., ont excellĂ© dans ce genre. Mais comment peindre un sacrement en dehors de la reprĂ©sentation du signe sensible et des personnages qu'il met en jeu? Le sacrement, sĂ©parĂ© du contrat, fut forcĂ©ment relĂ©guĂ© dans le domaine des choses purement mystiques, invisibles, surnaturelles, insaisissables Ă  toutes prises autres qu'Ă  la foi. Il dut ĂȘtre laissĂ© de cĂŽtĂ© par l'artiste, qui n'eut plus devant lui qu'une rĂ©union vulgaire de contractants. Le contrat perdit en mĂȘme temps tout son idĂ©al divin et laissa l'artiste aux prises avec la forme. La prĂ©occupation de l'esthĂ©tique remplaça naturellement l'inspiration puisĂ©e naguĂšre aux sources de la foi. L'Ă©volution artistique Ă©tait conforme Ă  l'enseignement dogmatique de l'Ecole, mais prĂ©cipita la dĂ©cadence. Autour de la table des noces de Cana s'assit une sociĂ©tĂ© purement mondaine. JĂ©sus et Marie commencĂšrent Ă  produire dans les tableaux un singulier contraste, ils y parurent presque dĂ©placĂ©s, et l'on comprend Ă  ce sujet l'embarras et l'hĂ©sitation des peintres. Ils s'en sont adroitement tirĂ©s de deux façons d'abord en nĂ©gligeant le sujet, puis en le traitant, quand par hasard ils l'ont fait, avec le plus extrĂȘme rĂ©alisme, sans quoi que ce soit d'idĂ©al. V Ils l'ont nĂ©gligĂ© au point que nous n'avons pu compter en Europe qu'une vingtaine de AbcĂšs de Cana, et encore presque uniquement dans une ou deux Ă©coles, italienne ou flamande. LE MYSTERE DE CANA 33 Voici celles que nous avons trouvĂ©es. Sans doute quelques-unes ont Ă©chappĂ© Ă  nos recherches, mais elles ne peuvent ĂȘtre en nombre. Ce sont Carlo Bononi i569-1632; — Domenico Fiasella, dit le Sarzane 1589-1669; —JosĂ©pin, CĂ©sar d'Arpino 1566-1640; — JeanPaul Panini j 695-1766 ; — Alexandro Bonvicino 1498-1560 ; — Jacques Bassan 1510-1598; —Jacques Tintoret 1512-1594; — Paul VĂ©ronĂšse 1528-1588; — Alex. Varotari, dit le Padouan 1590-1650 ; — Domenico Tiepolo 1726, une estampe; — AndrĂ©a Vincentino 1539-1644; — Alex. Allori 1535-1607 ; — un inconnu, n. 596, au Louvre, quinziĂšme siĂšcle; — encore VĂ©ronĂšse Paolo Cagliari, au musĂ©e de Dresde, 4 mĂštres sur 2 m. 25, plus beau que celui du Louvre, au dire de M. Lavice ; — un troisiĂšme de VĂ©ronĂšse, au musĂ©e Brera, Ă  Milan ; — un quatriĂšme, du mĂȘme, au musĂ©e de Madrid. — Ecoles hollandaises et allemandes Jean Steen 1636-1689; — Rottenhammer, Ă  la PinacothĂšque de Munich; —Ambroise Francken le Vieux 154 5-1618, collection Mertens, Ă  Anvers ; — Ludger 1562, Ă  Berlin. —De l'Ă©cole française, nous n'avons que François Lemoyne 1681-1737. — Ajoutez un vitrail rĂ©cent Ă  Notre-Dame de Bon-Secours, de Munich, par Roeckel 1839, l'unique assiette-corbeille de Palissy, au Louvre, collection Sauvageot, seule piĂšce dans la cĂ©ramique que nous connaissions, une mauvaise tapisserie de Reims et la belle cheminĂ©e de l'hĂŽtel de ville d'Anvers, et vous aurez Ă  peu prĂšs tout. C'est peu, surtout en comparaison des nombreux et magnifiques tableaux peints Ă  cette Ă©poque avec une si heureuse expression d'idĂ©al et de spiritualisme. Quel peintre italien n'a pas ses Fiançailles de sainte Catherine ? on les compte par centaines 1. Quelles suaves compositions n'a pas inspirĂ©es la chaste Suzanne, si chĂšre Ă  l'Ă©cole française? nous ne saurions les nombrer. Qui ne sait qu'alors le Mariage de la Vierge*, la CĂšne, l'Annonciation, la 1. Voici ses principaux peintres Le Primatice, dell. Tibaldi, G. Procallini, L. Sabbatini, A. S. Coello, P. Mignard, B. Luini, F. Mazzuoli, B. Boccaci, le CorrĂšge, N. dell. Abate, G. Mazzuola, G. Maratti, V. Tomagni, L. Lotto, G. Licinio, Van Eyck, Otho Venius, Abr. Van Diepenbeck, N. Roose, Ph. Luppi, Fr. Bartholomeo, G. Bugiardini, Zampieri, Tisi, Tiarini, Del Sarte, Robusti Tintoret, Ghirlandajo, Feti, Ferrari, Betoni, Allegri, Alfani, etc., etc. 2. Ceux qui ont le plus excellĂ© dans ce sujet sont Les Castillo, Ch. de La Fosse, J. Jouvenet, C. Vanloo, F. Mazzuoli, B. Boccaci, L. Cambasio, le Sarzane, D. Piola, V. Castello, F. Solimena, le PĂ©rugin, L. Costa. Raph. Sanzio, B. Van Orley, H. Van Balen, Th. Boeyermann, le Rosso, etc. REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 1or JANVIER 19OO 2 34 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sainte Famille, la Conversion de Madeleine, NoĂ«l et le Calvaire, les Disciples d'EmmaĂ»s, si souvent reproduits, ont comme spiritualisĂ© l'art de la peinture ? En est-il ainsi des Noces de Cana? Non. On a pu donner une expression aux tableaux de l'Enfant prodigue, du Bon Samaritain, mais comment exprimer quelque chose d'idĂ©al et de surnaturel dans les Noces de Cana, si ce ne sont que des noces? Les peintres d'intĂ©rieurs, de scĂšnes rustiques, de vie commune, de portraits ou de tabagies, et les spĂ©cialistes ont gĂ©nĂ©ralement laissĂ© de cĂŽtĂ© les sujets religieux, prĂ©fĂ©rĂ©s des peintres de la nature et de l'histoire, et cependant c'est chez eux que l'on trouve les Noces de Cana ! Peignez les faits historiques, la belle nature, les ruines, vous arriverez facilement aux emblĂšmes, Ă  l'idĂ©al, au religieux ; mais si avec GĂ©rard Dow vous peignez VEpiciere du village, la jeune MĂ©nagĂšre, la CuisiniĂšre hollandaise, la jeune Fille aux oignons ou la Nourrice, vous ne serez jamais peintre religieux, eussiez-vous fait l'Ermite. HĂ©las ! c'est cependant Ă  ce niveau qu'il faut descendre pour rencontrer la Noce de Cana. Larousse, dans son fatras de dictionnaire, si recherchĂ© des folliculaires et des feuilletonnistes, en fait brutalement la remarque. Mettre de cĂŽtĂ© le sens de manifestation adoptĂ© par l'Eglise et qui n'Ă©tait au fond qu'une sanction, qu'un rĂ©sumĂ© des interprĂ©tations antiques ; dĂ©couronner le Mariage de l'aurĂ©ole gracieuse du sacrement; laisser entre les mains de l'artiste le contrat seul, entiĂšrement nu, furent les causes majeures de la sĂ©cularisation de ce mystĂšre. Aussi le trouvons-nous dans des mains Ă©tranges c'est Benvenuto Tisio, qui met sur le mĂȘme chevalet les Noces de Cana et les Noces de Bacchus et d'Ariane c'est l'allemand Ludger, de Berlin, qui n'en fait littĂ©ralement, dit M. Waagen, qu'une grande cuisine garnie d'une foule d'accessoires ; c'est Jean Steen, qui souvent peignit la noce et la fit plus souvent encore et dont le pinceau irrespectueux reprĂ©senta Ă  Cana une vraie scĂšne Ă  boire, miroir trop rĂ©aliste du caractĂšre joyeux de l'artiste. La Noce des Paysans, les Paysans sous la treille, les Buveurs, la Dispute au cabaret, Ă©taient bien mieux son affaire 1. i. Voir CH. BLANC, Hist. des peintres, Ecole holl. Jean Steen vĂ©cut au cabaret et finit mĂȘme par en faire un de sa maison. EntrĂ© en mĂ©nage d'une façon Ă©quivoque, deux fois failli, sur le point d'ĂȘtre saisi, il riait encore en disant LĂ  oĂč il n'y a rien Ă  prendre, le diable perd ses droits et le roi aussi. » Le sentiment comique de l'artiste perce jusque dans son JĂ©sus prĂȘchant dans le dĂ©sert et dans ses Noces de Cana. Ces derniĂšres furent mises aux enchĂšres Ă  la vente du duc LE MYSTÈRE DE CANA 35 Ainsi comprises, les Noces de Cana devinrent une mine prĂ©cieuse ce fut comme une dĂ©couverte. Elles suscitĂšrent d'abord un Ă©lan nouveau vers l'idĂ©e singuliĂšre de remplacer la figure idĂ©ale et surnaturalisĂ©e des saints par des portraits connus. Pourquoi pas, du moment que le point de vue spirituel de Cana Ă©tait absent ? L'archĂ©ologue aujourd'hui y trouve son butin. La reconnaissance envers des bienfaiteurs, la flatterie plus ou moins intĂ©ressĂ©e envers les grands, la voix du sang, une certaine curiositĂ© historique, en firent presque un devoir. Bien difficile, incompris et grincheux celui qui y trouverait Ă  redire. Les Noces de Cana n'ont pas peu contribuĂ© Ă  vulgariser cette laĂŻcisation de la saintetĂ©, alors si Ă  la mode, et aujourd'hui encore apparente sur nos vitraux modernes. Tandis que Jacques Bassan, dit Charles Blanc, envoyait tour Ă tour ses robustes filles remplir le rĂŽle de l'Ă©pouse Ă  Cana, de Madeleine Ă  CapharnaĂčm, de reine de Saba Ă  JĂ©rusalem, ou les chargeait de porter des poules Ă  la CrĂšche, nous voyons Paul VĂ©ronĂšse donner le grand ton aux Noces de Cana. Tous Ă  l'envi l'ont imitĂ© sans le surpasser il a fixĂ© Ă  jamais sur la toile le naturalisme de ces Noces c'est son chef-d'oeuvre. Il n'en est guĂšre de plus Ă©tonnant dans tout le royaume de l'art. Cent trente figures s'y meuvent Ă  l'aise, en plein air, au soleil. Le banquet est servi dans la cour intĂ©rieure d'un palais de marbre, Ă  deux pas d'un portique en brocatelle rose de VĂ©rone. Au loin, par delĂ  une terrasse Ă  balustrade, on aperçoit un campanile et d'autres palais ornĂ©s de statues qui forment, avec le ciel, un encadrement des plus nobles. Le peintre nous fait arriver au moment oĂč s'accomplit le miracle. JĂ©sus-Christ est assis dans le fond, au centre de la table. A cette mĂȘme table figurent François Ier, CharlesQuint, le sultan Achmet, la reine Marie d'Angleterre. Le mariĂ©, beau jeune homme Ă  barbe noire, vĂȘtu de pourpre et d'or, est Alphonse d'Avalos, marquis du Gast, et la mariĂ©e, ÉlĂ©onore d'Autriche, soeur de Charles-Quint et reine de France. Plus loin, une femme Ă©lĂ©gante tient un cure-dent, c'est Vittoria Colonna, marquise de Pescaire. Puis viennent des cardinaux et des moines. Au premier plan, des musiciens. Le Titien joue de la contrebasse, Bassan de la flĂ»te, Paul VĂ©ronĂšse du violoncelle, le Tintoret de mĂȘme. Debout, B. Gagliari, frĂšre du peintre, tient une coupe de vin, de Berry, 1839. Elles faisaient, par leur comique, les dĂ©lices de la veuve douairiĂšre Ă  qui, chaque jour, elles Ă©taient prĂ©sentĂ©es comme un spĂ©cifique puissant contre les idĂ©es de tristesse, d'ennui et de mort prochaine. » 36 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE dont, dit la chronique, il Ă©tait quelque peu friand. Puis viennent 1 de nombreux valets. Ce tableau est le triomphe de VĂ©ronĂšse et peu ? s'en faut qu'il ne soit le triomphe de la peinture. » Il fut le modĂšle j enviĂ© et la cause d'un vĂ©ritable enthousiasme pour ces sortes de j compositions. L'enthousiasme fut si grand que le Titien ne ren- j contrait plus VĂ©ronĂšse dans les rues de Venise, qu'il ne l'embrassĂąt l comme un fils. ' \ La signification du mystĂšre se transforma de nouveau et ] s'amoindrit encore. j On y vit bientĂŽt, moins une rĂ©ponse pĂ©remptoire aux nĂ©gations \ des novateurs et une sanctification du mariage, qu'une gĂ©nĂ©reuse j condescendance du Messie envers l'humanitĂ©, qu'un acte de cour- \ toisie et de charitĂ©, qu'une approbation tacite du bien-ĂȘtre apportĂ© dans la vie par les ressources du progrĂšs. Le Padouan Varotari, dans la scĂšne magnifique qu'il nous a donnĂ©e de Cana, a illustrĂ© cette derniĂšre transformation, l'a spĂ©cifiĂ©e pour ainsi dire en un pur acte de bontĂ© et de bienfaisance. N'a-t-il pas placĂ© prĂšs de JĂ©sus et au premier plan, couchĂ© Ă  terre, un pauvre Ă  qui tout le premier semble ĂȘtre versĂ© le vin du miracle? 11 y a plus bas. Notre dix-neuviĂšme siĂšcle s'est prostituĂ©, touchant le miracle de Cana, jusqu'Ă  l'ignominie. Sur ce point l'Ă©cole naturaliste a perdu toute honte et la plume se refuse ici Ă  laisser mĂȘme soupçonner les sens pornographiques des fils de Satan, jamais la licence n'est allĂ©e si loin et il est regrettable qu'il se soit trouvĂ© dans le langage humain des termes pour rendre les pensĂ©es des rĂ©gions infernales. Parmi les catholiques d'aujourd'hui, les mieux intentionnĂ©s ne vont mĂȘme pas jusqu'au dĂ©vouement du Padouan. Pour eux, le miracle de Cana est tout simplement un acte fortuit de courtoisie occasionnĂ© par l'imprĂ©voyance ou la surprise de nos jeunes fiancĂ©s, exposĂ©e le plus naturellement du monde par Marie Ă  son fils. Le bon JĂ©sus, n'Ă©coutant que son coeur, vint au secours de ses amis et, sans en penser plus long, fit le miracle pour les tirer d'embarras. Cela, paraĂźt-il, fit du bruit et sa gloire commença de se manifester. Tout naturellement^ Personne ne s'Ă©tonnera, n'est-ce pas, qu'il n'y ait plus de Noces de Cana sur le chevalet de nos peintres ? LE MYSTÈRE DE CANA 37 VI A partir de VĂ©ronĂšse, les Noces de Cana quittĂšrent l'Ă©glise, oĂč n'Ă©tait plus guĂšre leur place, pour entrer au rĂ©fectoire. Son tableau du Louvre avait Ă©tĂ© peint pour le rĂ©fectoire des PĂšres de SaintGeorges-le-Majeur, vis-Ă -vis le palais ducal, Ă  Venise. Chaque communautĂ© voulut dĂšs lors orner de peintures son rĂ©fectoire. Le bon PĂšre Torlioni, des ServĂźtes, rĂ©clama le premier pour son couvent de. Saint-SĂ©bastien, et Cagliari leur fit en 1570 le Repas che% Simon le pharisien au Louvre. Trois ans plus tard le voici chez les Dominicains des Saints-Jean-et-Paul, Ă  peindre le Repas che% LĂ©vi. Pendant ce temps, Alex. Varotari, dit le Padouan, peignait pour les Chanoines rĂ©guliers de Saint-Jean-de-Latran les mĂȘmes Noces de Cana dans leur rĂ©fectoire de San Giovanni di Verdara, de Padoue. Jacques le Bassan ne donne pas Ă  sa toile une autre destinĂ©e. Le cĂŽtĂ© purement matĂ©riel va donc en s'accentuant et ce ne sera bientĂŽt plus que par un effort mystique de piĂ©tĂ© que les bons moines trouveront un sens religieux aux Noces de Cana. Voyez Robusti, dit le Tintoret, quel art il dĂ©ploie dans le rĂ©fectoire des Padri Cruciferi ! II semble avoir pris Ă  tĂąche de consoler les bons PĂšres de leurs longues abstinences en prolongeant l'illusion culinaire dans leur rĂ©fectoire La table s'enfonce, dit M. Charles Blanc, dans la perspective et se couvre d'une vive lumiĂšre qui fait briller les mets du festin et rayonner les visages des convives, isposition hardie, clair-obscur fort intĂ©ressant. A droite, dans une demi-teinte, sont les serviteurs qui portent le pain et les viandes et versent l'eau changĂ©e en vin. Cette peinture produisait une illusion charmante, parce que la perspective observĂ©e dans le tableau, en faisant la continuation du rĂ©fectoire et en perçant la muraille, figurait comme une rallonge oĂč les bons PĂšres voyaient assis Ă  leur table le Christ .et la Vierge avec les disciples de GalilĂ©e, qui buvaient fraternellement le vin du miracle. » Les bons moines en question pouvaient aussi se rappeler certaines multiplications miraculeuses des biens de ce monde, obtenues de la divine bontĂ© et consignĂ©es dans les lĂ©gendes des saints. Le tableau de Cana Ă©tait pour eux comme une promesse vivante que le ciel ne cesserait de leur ĂȘtre favorable. C'Ă©tait aussi comme une riche action de grĂąces votĂ©e par le monastĂšre Ă  ses bienfaiteurs et aux chefs monastiques qui s'Ă©taient attirĂ© leur bienveillance, car les uns et les autres y voyaient leurs portraits. 38 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Sous ces divers rapports, les Noces de Cana avaient encore un aspect religieux qui leur permettait l'entrĂ©e du couvent. Elles le perdirent bientĂŽt, parurent bien profanes et ne furent tolĂ©rĂ©es qu'Ă  titre de dĂ©coration simple. Plusieurs puristes y virent mĂȘme la marque Ă©vidente de la dĂ©cadence monastique et du relĂąchement religieux. Les Noces de Cana devinrent comme un scandale dans le cloĂźtre, tolĂ©rĂ© uniquement, dans ce lieu mi-religieux, mi-profane, qu'on nomme rĂ©fectoire, Ă  peu prĂšs comme les Ă©trangers qui y Ă©taient admis, au nom de l'amitiĂ©, de l'esthĂ©tique ou de la pitiĂ©. On rechercha une dĂ©coration en harmonie avec le lieu, voilĂ  toute la pensĂ©e directrice. Et, selon le goĂ»t du temps, l'on mĂ©langea le sacrĂ© avec le profane dans une promiscuitĂ© honteuse. Carlo Bononi peint les Noces de Cana plusieurs fois pour les Chartreux, le Souper d'AssuĂȘrus, pour les chanoines rĂ©guliers de Saint-Jean, Ă  Ravenne, le Festin d'HĂ©rode. François Lemoyne peint sept tableaux, religieux et profanes, pour le rĂ©fectoire des Cordeliers d'Amiens, et parmi eux il devait adjoindre les Noces de Cana, lorsque la question d'argent fit rompre le marchĂ© 1. L'esprit de tolĂ©rance s'Ă©tendit encore et l'on ne fut plus offusquĂ© de voir les Noces de Cana quand elles se trouvĂšrent sur le mĂȘme pied que les Noces de Bacchus et d'Ariane, de Neptune et d'Amphitrite, de MĂ©nĂ©las, de PersĂ©e, de ClĂ©opĂątre. L'on ne put arriver plus bas. Chose singuliĂšre! le pur assemblage artistique redonna, pour un instant seulement, l'entrĂ©e de l'Ă©glise aux Noces de Cana; plus qu'une tolĂ©rance, ce fut presque une rĂ©habilitation. Un jour donc, le prieur de la Chartreuse de San Martino, de Naples, s'en vint trouver d'Arpino et lui dit Seigneur CĂ©sar, nous voulons dĂ©corer notre Ă©glise, les voĂ»tes sont Ă  compartiments, quatre tympans se trouvent au-dessus des fenĂȘtres du choeur, quels sujets y mettrons-nous? » L'artiste rĂ©flĂ©chit, et, comme l'on dĂ©corait directement au-dessus de la table d'autel, que d'ailleurs la mode Ă©tait aux festins, il rĂ©pondit sans hĂ©siter RĂ©vĂ©rendissime PĂšre, dressons quatre tables, si vous le voulez bien banquet du pharisien, pains de proposition de David, le Christ Ă  EmmaĂčs, et puis, quoi?... les noces de Cana !» i. NommĂ© acadĂ©micien et fier de sa gloire, il voulut refaire son tarif avec les religieux; ceux-ci maintinrent leurs droits et l'artiste vendit en AmĂ©rique ses Noces de Cana, qui furent perdues pour nous. LE MYSTERE DE CANA 3 9 AcceptĂ©! » dit le prieur; et ainsi la noce rentra Ă  l'Ă©glise. Il n'est pas jusqu'aux conventions avec l'artiste qui n'aient une forte odeur de rĂ©fectoire .et de naturalisme Combien me donnerez-vous pour ma toile ? dit VĂ©ronĂšse au prieur de Saint-Georges. — 324 ducats d'argent. — Bien! et ma nourriture? — Et votre nourriture. — Et le don d'un tonneau de bon vin ? — C'est entendu », dit le prieur 1. Une conclusion plus triste encore finira cette Ă©tude. Le MystĂšre de Cana est tellement oubliĂ©, et la Noce sainte est tombĂ©e si bas, que les artistes ont fini par l'abandonner bien avant les dĂ©crets sauvages qui fermĂšrent les rĂ©fectoires. Quelle est donc l'Ă©glise oĂč se trouve une Noce de Cana? Ah ! plaise Ă  Dieu que cet humble Ă©crit inspire Ă  quelqu'un de nos artistes chrĂ©tiens l'idĂ©e'de nous peindre enfin les Noces de Cana et de leur donner ce ton angĂ©lique et cĂ©leste, puisĂ© Ă  l'intime du mystĂšre, et seul digne de les reprĂ©senter ! Nous croyons pouvoir le dire, mĂȘme en face du chef-d'oeuvre de VĂ©ronĂšse le MystĂšre de Cana attend encore son peintre. DĂ©sormais donc, hors de la contrainte imposĂ©e Ă  leur verve par la prĂ©sence des personnages sacrĂ©s, et plus Ă  l'aise dans un pur laĂŻcisme, les artistes quittĂšrent Cana pour se donner de la noce Ă  coeur-joie. Les compositions les plus Ă©chevelĂ©es et les plus fantaisistes parurent le Contrat de mariage de Jean Steen, sa Noce des paysans ; les Noces de Clorus et de Rosette de Corneille Troost les Noces de Gamache de Charles Coypel les Bambochades de Jean Miel, et mille autres de ce genre, universellement goĂ»tĂ©es et imitĂ©es de nos jours. Le temps approchait oĂč SimĂ©on Chardin, en bonnet de nuit, crĂ©ait l'Ècureuse, la Blanchisseuse, la Pourvoyeuse, la RĂ©cureuse et la RĂątisseuse de navets. Tout autre idĂ©al avait disparu et l'on n'avait plus pour s'Ă©lever que les Plaisirs de l'Ăąge d'or, VĂ©nus et TAmour dans un paysage ! Tout Ă©tait prĂȘt aux Beaux-Arts pour recevoir la Belle CuisiniĂšre ou le Jardinier galant et Mme de Pompadour pou1. pou1. ducats, environ3000 francs. — Elle estestimĂ©e aujourd'hui 750,000 francs. Larg. 9mao; haut. 6m66. Fut terminĂ©e le 8 septembre 1563.— Venue en France Ă  la suite des guerres d'Italie, elle nous resta en Ă©change du Repas cheç le Pharisien de Lebrun. 40 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE vait prendre son thĂ© en contemplant le chef-d'oeuvre de Potter. En vĂ©ritĂ©, n'Ă©tait-il pas temps d'excuser le Sauveur d'avoir Ă©tĂ© aux noces ? PĂšre, disait Ă  cette Ă©poque une dĂ©vote, assez mondaine, vous nous prĂȘchez la pĂ©nitence et la fuite du inonde... mais JĂ©sus-Christ a bien Ă©tĂ© aux noces ! — Ma fille, rĂ©pondit avec humeur le cher PĂšre, ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux ! » L'un et l'autre Ă©taient bien de leur Ă©poque 1. Nous nous sommes Ă©tendu sur ce cĂŽtĂ© de la question parce qu'il n'a pas Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© jusqu'Ă  prĂ©sent et qu'il nous semble, quoique neuf, singuliĂšrement favoriser notre thĂšse, en aidant Ă  fixer le sens du mystĂšre de Cana. CHARLES TRILLON DE LA BIGOTTIÈRE. I. W. DUCKOTT, Dict. de la Conv. Suppl., i, p. 781.— Les peintures ci-dessus mentionnĂ©es sont de Henri Van Limborch, Fr. Boucher, P. A. Baudoin, Carie Vanloo ; le chef-d'oeuvre de Potter est au Louvre. Impressions d'Angleterre Tous les chemins mĂšnent Ă  Rome, dit-on. Pourtant si l'on veut visiter une ville belle ou intĂ©ressante, il vaut mieux choisir, pour y entrer, la route qui en rĂ©vĂšle plus parfaitement la physionomie, en dĂ©couvre du premier coup d'oeil le caractĂšre. Il faut entrer Ă  Paris par l'Arc-de-Triomphe et les Champs-ElysĂ©es, aborder Naples par son golfe, Venise par la lagune, Constantinople par les Dardanelles et la Corne-d'Or; de mĂȘme si l'on veut ressentir dans toute leur intensitĂ© les premiĂšres impressions qui se dĂ©gagent de la ville de Londres, la premiĂšre capitale du monde par le commerce et par l'industrie, si l'on dĂ©sire avoir une idĂ©e juste et exacte du mouvement perpĂ©tuel, de l'activitĂ© surexcitĂ©e et fiĂ©vreuse qui rĂšgne dans cet immense marchĂ© des produits de toute la terre, l'on doit entrer Ă  Londres par la route naturelle qui y mĂšne, par la Tamise. La Tamise est un trĂšs large fleuve, aux eaux bourbeuses, assombries des teintes grises de la vase, ou brillant de ces reflets mĂ©talliques et de ces lueurs blafardes qui annoncent la proximitĂ© et le grand nombre des usines. Les hangars immenses, les magasins noirs et Ă©levĂ©s, les vastes entrepĂŽts qui s'alignent le long de ses rives, les usines gigantesques qui sont lĂ  en files interminables, avec d'immenses cheminĂ©es dont la fumĂ©e se confond avec celle des milliers de vaisseaux qui sillonnent la grande route silencieuse the silent high way », comme l'appellent les Anglais, les bruits confus, Ă©touffĂ©s et toujours grandissants de la ville qui s'approche, tout cela forme un spectacle saisissant, mĂ©lancolique, solennel et grandiose c'est la meilleure prĂ©paration pour considĂ©rer et comprendre la vie grave, sĂ©rieuse, laborieuse, si diffĂ©rente de la nĂŽtre, dans laquelle on va entrer. VoilĂ  la vraie, la seule maniĂšre d'aborder Londres et l'Angleterre, du moins pour l'observateur sĂ©rieux avant tout, pour l'Ă©conomiste, le savant ou le philosophe. Quant au simple touriste en quĂȘte d'impressions agrĂ©ables, qui 42 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE demande Ă  de riants paysages, Ă  des scĂšnes nouvelles, Ă  toutes sortes de changements pittoresques, de l'introduire dans une terre Ă©trangĂšre, qui craint une traversĂ©e trop longue ou trop mouvementĂ©e, il se contente de prendre Ă  Calais le bateau. Il le quittera cinquante minutes aprĂšs Ă  Douvres, aprĂšs une courte traversĂ©e, parfumĂ©e de senteurs marines, rafraĂźchie par la brise arrivant froide et salĂ©e des immenses plaines liquides du Nord. On ne perd pas plus tĂŽt de vue la cĂŽte basse et souriante de la France, qu'on se trouve en face des hauteurs crayeuses de l'Angleterre, rĂ©flĂ©chissant la lumiĂšre comme d'Ă©blouissants miroirs. Puis l'un des trains de l'une des nombreuses Compagnies qui se disputent voyageurs et marchandises vous transportera, sans autre transition, au milieu des prairies ombreuses et des vertes collines. AprĂšs les longues Ă©tendues planes du nord de la France, les marais arides et dessĂ©chĂ©s, aux mornes alentours, de la cĂŽte du Pas-de-Calais, on se trouve au milieu d'un pays de collines fertiles et ombragĂ©es, coupĂ©es de vallĂ©es trĂšs fraĂźches, vertes d'une verdure que l'on ne connaĂźt pas en France, qui cachent leur profondeur sous le feuillage Ă©pais, sombre et arrondi des hĂȘtres et des chĂȘnes. La premiĂšre impression de calme, de solitude et de tranquillitĂ©, que donne cette campagne si fraĂźche et si touffue, s'accentue Ă  mesure qu'on s'y enfonce, que se succĂšdent sous les yeux reposĂ©s les teintes foncĂ©es des grands arbres se fondant si harmonieusement avec les couleurs plus vives de la prairie. De loin en loin, des champs de chaume, des houblonniĂšres, zĂšbrent de traĂźnĂ©es grises ou dorĂ©es, d'une dorure un peu mat, les lointains verts, ou bien forment de larges Ă©claircies au milieu des sommets mouvants des arbres si nombreux et si beaux, qu'ils donnent Ă  la campagne distante l'aspect d'une futaie immense et non interrompue. Tout est vaporeux, tout porte Ă  une calme et molle rĂȘverie ; les rayons de lumiĂšre semblent se noyer parmi les brouillards qui flottent dans l'air ; il sort de la terre des exhalaisons humides et pĂ©nĂ©trantes; les plantes, les fleurs, la prairie, laissent Ă©chapper des vapeurs tĂ©nues sous ces influences presque insensibles mais continues, les angles s'arrondissent, les contours s'Ă©moussent, les nuances s'unissent, les couleurs paraissent se confondre. Tout cela laisse dans l'esprit l'idĂ©e de quelque chose de flottant, d'indĂ©cis, d'incertain, l'idĂ©e d'une grande vie vague, diffuse, mĂ©lancolique », que M. Taine appelle la vie de la contrĂ©e humide ». A l'approche des grandes villes, de Londres, la campagne change d'aspect plus cle vallĂ©es sauvages, ni de champs cultivĂ©s mm IMPRESSIONS D ANGLETERRE 43 sur le versant des collines; ce ne sont que chalets et cottages coquettement enfouis dans la verdure. On les voit Ă  peine; on les devine aux couleurs un peu crues de leurs briques rouges, aux feux tremblants que lancent leurs bordures de cĂ©ramique multicolore, et aussi aux formes Ă©lancĂ©es de leurs pignons de bois peint et sculptĂ©, Ă  leurs toits pointus qui Ă©mergent au-dessus des fondaisons touffues. Sur les murs de brique, le long des poutres qui avancent et des toits qui dĂ©bordent, grimpent et courent Ă  l'assaut des portes et des larges fenĂȘtres, le lierre, les lilas, les clĂ©matites et toutes ces plantes vertes ou fleuries qui donnent Ă  la maison qu'elles revĂȘtent une apparence Ă  la Jean-Jacques Rousseau », si nĂ©gligĂ©e et si rustique, en mĂȘme temps que coquette et confortable. Autour de ces jolies villas, toutes vertes et toutes roses, qui laissent deviner un intĂ©rieur joyeux et soignĂ©, s'Ă©tendent des parcs souventtrĂšsvastes, toujoursadmirablemententretenus, avec delarges bosquets de roses, de jasmin et de rhododendrons, qui forment au milieu du velours des gazons de ravissantes corbeilles multicolores. Une simple palissade de bois assez mince sert d'entourage; quelquefois ce sont de petits murs en briques, jamais on ne voit de ces vilains murs de maçonnerie, trĂšs hauts, trĂšs gris et trĂšs tristes, qui donnent trop souvent Ă  nos jardins français l'aspect d'une cour de prison. A mesure que l'on approche de Londres, les parcs et les jardins se rapetissent, les villas se pressent les unes contre les autres. BientĂŽt elles font place Ă  une suite interminable et ininterrompue de petites maisons Ă©gales et grises. Toutes sont construites sur le mĂȘme modĂšle, encadrĂ©es de la mĂȘme petite cour carrĂ©e, avec des palissades en bois toujours identiques. Dans chaque cour, un petit carrĂ© de gazon ratissĂ©, peignĂ©, foulĂ©, arrosĂ© avec un soin jaloux, Ă©gayĂ© de ses couleurs d'Ă©meraude la longue et triste enfilade des demeures ouvriĂšres ; il sert Ă  la fois de tennis, de cricket, et de foot-ball ground, pour les nombreux enfants de la famille pauvre, en mĂȘme temps qu'il tient lieu de sĂ©choir pour le linge rapiĂ©cĂ© et les habits tout reprisĂ©s. Cette suite si monotone de petites habitations ouvriĂšres annonce Londres, en mĂȘme temps que le nombre toujours croissant des voies ferrĂ©es, qui s'entrecroisent en un rĂ©seau inextricable dont les mailles se rĂ©trĂ©cissent rapidement. De chaque cĂŽtĂ© de soi, au-dessus, au-dessous, Ă  droite et Ă  gauche, ce ne sont que trains de voyageurs lancĂ©s Ă  toute vitesse et longs convois de marchandises. Puis l'atmosphĂšre s'Ă©paissit peu Ă  peu sous l'influence des brouil- 44 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lards de la Tamise, unis Ă  la fumĂ©e acre et Ă©paisse que lancent des milliers d'usines; les clameurs de la grande ville s'unissent et se confondent on est Ă  Londres. . Londres est avant tout une ville de contrastes. Au point de vue extĂ©rieur d'abord, Londres n'est pas une ville, mais une rĂ©union de villes juxtaposĂ©es, n'ayant entre elles d'autres rapports que ceux qui naissent du voisinage un quartier n'a, la plupart du temps, aucun trait de commun avec le quartier voisin, et cette diversitĂ© paraĂźt Ă©trange dans des espaces relativement peu Ă©tendus. On peut voir dans Londres trois villes la ville commerçante et industrielle sur les bords de la Tamise, des deux cĂŽtĂ©s du Strand, dans la CitĂ© tout entiĂšre; une ville pauvre, misĂ©rable, n'offrant que tavernes, que misĂšre et que boue, Ă  Saint-Gilles, Ă  Clerkenwell et dans quelques autres endroits; enfin la ville riche, avec les grands parcs, les palais de la noblesse et des grands dignitaires de l'Etat, les hĂŽtels confortables des classes riches et aisĂ©es, dans toute la rĂ©gion du West-End. Dans chacun de ces quartiers, ou plutĂŽt dans chacune de ces diffĂ©rentes villes, l'architecture change, et avec elle l'aspect des voies publiques. Dans la CitĂ©, qui est le comptoir et aussi le coeur de Londres et de l'Angleterre, le nombre des maisons d'habitation diminue tous les jours elles font place aux boutiques, magasins, comptoirs, agences, bureaux, Ă  tout l'outillage des maisons de banque et de commerce. Aussi l'Anglais y est bien chez lui, il aime la CitĂ©, car elle est le rĂ©sumĂ© de sa grandeur et de sa puissance c'est lĂ  qu'il peut toucher du doigt les rĂ©sultats immenses auxquels il parvient, en achetant, en revendant de la laine, du coton, du fer, de la houille et du pĂ©trole. Dans les rues sombres, Ă  l'aspect repoussant, larges Ă  peine de quelques mĂštres, on ne voit que magasins et entrepĂŽts lĂ  se concentrent en effet tous les commerces et toutes les industries, lĂ  se dĂ©ploient les Ă©nergies de l'activitĂ© humaine. Ici la concurrence, cette nĂ©cessitĂ© des sociĂ©tĂ©s avancĂ©es, principe et danger du progrĂšs », enfante des choses qui sont Ă  la fois des merveilles et des monstruositĂ©s. Qui n'a pas pĂ©nĂ©trĂ© dans ces rues sombres, sans soleil et sans air, Ă©troites et surplombantes, ne sait Ă  quel degrĂ© . d'acuitĂ© l'homme peut pousser la fiĂšvre du gain, la soif de la richesse, et ce que par un juste retour ces passions peuvent faire de l'homme, un numĂ©ro, une machine, un engin perfectionnĂ© et IMPRESSIONS D ANGLETERRE 45 vivant, capable de produire et de faire produire Ă  son semblable tout l'effort qu'il est capable de donner. Les quelques grandes artĂšres de la CitĂ© convergent toutes vers le Stock-Exchange; et de dix heures Ă  six heures, elles roulent Ă  pleins bords les flots mouvants de la foule. Une foule bien diffĂ©rente de la nĂŽtre, qui parle peu, au milieu de laquelle on n'entend pas un cri, pas une exclamation, mais dont l'oeil avide, la physionomie tendue, rigide et froide, le pas rapide et surmenĂ©, font deviner le souci unique, la seule prĂ©occupation faire des affaires et gagner de l'argent. Pas d'oisifs ni de flĂąneurs ; les policemen, ailleurs si calmes, si dignes avec des mouvements d'automate, deviennent fĂ©briles au contact de la foule surexcitĂ©e qui les entoure un Ă©tranger reste-t-il immobile, rĂ©siste-t-il au mouvement, Ă  l'activitĂ© gĂ©nĂ©rale, personne ne comprend, sa place n'est pas ici, on le soupçonne presque, et le policeman l'invite Ă  circuler Move on, sir ! » A cĂŽtĂ© de cette CitĂ©, oĂč les hommes et les choses prennent un caractĂšre fiĂ©vreux, sombre, surexcitĂ©, presque maladif, qui cause une impression de malaise Ă  l'Ă©tranger qui contemple ces scĂšnes pour la premiĂšre fois ; Ă  cĂŽtĂ© de ces comptoirs immenses qui regorgent des denrĂ©es du monde entier, on trouve des hommes qui manquent de tout, mĂȘme des choses les plus indispensables Ă  la vie c'est le dĂ©nuement le plus complet, la pauvretĂ© la plus abjecte. Nulle part en effet cette pauvretĂ© n'a un aspect plus sordide, plus repoussant, plus infĂąme et plus triste qu'en Angleterre, et principalement Ă  Londres. Et pour la trouver, il n'est pas besoin de la rechercher dans les quartiers affreux oĂč la plupart du temps elle se cache aussitĂŽt entrĂ© dans la ville, aux alentours des gares, aux abords des quais de dĂ©barquement, le voyageur se voit entourĂ© de ce pĂąle troupeau des misĂ©rables » qui attristeront ses regards au milieu des richesses et des grandeurs de la ville. La misĂšre de ces malheureux n'a rien de commun avec la pauvretĂ© des pays rĂ©chauffĂ©s par le soleil; celle-ci a pour elle certains cĂŽtĂ©s pittoresques qui semblent en adoucir l'amertume, en poĂ©tiser, jusqu'Ă  un certain point, "l'horreur et la tristesse. Le mendiant du sud de la France, d'Espagne ou d'Italie a pour lui une sorte de mise en scĂšne ; ses haillons appellent le crayon ou le pinceau ; souvent ses traits sont expressifs, son regard vif et intelligent. Tout indique un homme qui reste homme malgrĂ© sa pauvretĂ©, qui garde une idĂ©e de sa dignitĂ© d'homme. Sa misĂšre ne lui pĂšse pas trop, il la supporte allĂšgrement, il ne semble pas mĂ©content de son sort. 46 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Rien de tout cela a Londres la misĂšre n'est que la misĂšre sans compensations d'aucune sorte ; les misĂ©rables sont lamentables Ă  voir, avec leurs traits creusĂ©s par la faim, brĂ»lĂ©s de fiĂšvre, leurs yeux hĂ©bĂ©tĂ©s ou pleins de convoitises; l'expression gĂ©nĂ©rale abrutie et hideuse. L'accoutrement qui revĂȘt ces pauvres corps concourt encore Ă  l'horreur et Ă  l'ironie du tableau ; le mendiant anglais se couvre des dĂ©froques de l'habit d'un gentleman, et se coiffe d'une guenille informe qui fut l'Ă©lĂ©gante coiffure d'un dandy ou l'impeccable haute-forme d'un lord ou d'un Ă©vĂȘque. Et cette caricature misĂ©rable n'est pas rare; Ă  Londres mĂȘme, il y a plus de de ces malheureuses victimes du paupĂ©risme, la plaie vive de l'Angleterre, dont quelques-uns disent qu'elle mourra. C'est lĂ  le flĂ©au mortel des sociĂ©tĂ©s oĂč la vie industrielle et commerciale est poussĂ©e Ă  l'excĂšs, oĂč le dĂ©veloppement de la pauvretĂ©, de la misĂšre, correspond fatalement Ă  celui de la richesse accumulĂ©e et de la force productive. Plus qu'aucune ville du monde, Londres renferme ces masses de dĂ©shĂ©ritĂ©s, rejetĂ©s hors du mouvement de la civilisation, qui ne s'en approchent que pour ĂȘtre broyĂ©s par elle les lois Ă©conomiques qui ont donnĂ© Ă  l'Angleterre une suprĂ©matie, une royautĂ© incontestĂ©e dans le monde, ont en mĂȘme temps broyĂ© et pĂ©tri dans la boue une partie de sa population, et tous les jours cette partie-lĂ  augmente, je n'entreprendrai pas ici la triste peinture de ces villes de la pauvretĂ©, Saint-Gilles, Clerkenwell, oĂč naissent, vĂ©gĂštent et meurent, Ă  deux pas des plus heureux quartiers, dans le dĂ©nuement le plus complet, le plus abject, les parias de la nation qui se qualifie merry England ». Dans les ruelles sombres, un rideau de fumĂ©e acre, de brouillard Ă©pais et jaune, dĂ©robe aux malheureux leurs derniers biens, l'air pur et la lumiĂšre du ciel; la terre dĂ©trempĂ©e n'est plus qu'une boue visqueuse et gluante ; l'humiditĂ© fĂ©tide s'infiltre et pĂ©nĂštre Ă  travers les murailles de ces taudis bas et de ces sortes de caves, oĂč s'entassent et grouillent des dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s, aux traits hĂąves et flĂ©tris, dont la vie s'Ă©tiole dans l'ombre, dont les joies mĂȘmes ont quelque chose de plus poignant, de plus effrayant que leur douleur, car elles attestent plus clairement leur irrĂ©mĂ©diable dĂ©gradation. De ces quartiers immondes, oĂč pourrissent les derniers Ă©lĂ©ments et les bas-fonds de la sociĂ©tĂ© de la grande ville, l'on peut passer presque sans transition dans la ville riche et somptueuse, dans la rĂ©gion des parcs et des palais, dans le West-End. Ici tout a Ă©tĂ© prĂ©vu, combinĂ© Ă  l'avance, tous les besoins, satisfaire IMPRESSIONS D ANGLETERRE 47 toutes les fantaisies des favoris de la naissance ou de la fortune. Nulle part la ville n'est plus ingĂ©nieusement, plus intimement mĂȘlĂ©e Ă  la campagne. Des jardins magnifiques, le voisinage des grands parcs, donnent aux splendides demeures le confort et l'agrĂ©ment, l'air et la lumiĂšre, partout ailleurs si parcimonieusement distribuĂ©s. Une ligne continuelle de verdure, d'eaux vives, d'ombrages et de fleurs, s'Ă©tend au milieu de ces rĂ©gions fortunĂ©es, et entretient une Ă©ternelle fraĂźcheur. Sur plus de deux lieues de longueur, on peut se croire Ă  la campagne, tout en restant au coeur de Londres. Les rues, trĂšs larges et rĂ©guliĂšrement coupĂ©es, reçoivent largement le grand air et le grand soleil. Les palais des grands dignitaires de l'Etat, des ambassadeurs, des grands seigneurs, du haut clergĂ© anglais, High Church », s'Ă©chelonnent dans le mĂȘme quartier, et autour de ce point unique se groupent tous ceux qui ont pris la peine de naĂźtre » comme ceux aussi qui ont conquis — ils sont nombreux en Angleterre — Ă  force de courage et de persĂ©vĂ©rance, les situations les plus enviĂ©es, avec la richesse et la considĂ©ration. Autour de ce centre aristocratique, du cĂŽtĂ© de Kensington, dans ces prolongements immenses de la ville, s'Ă©tendent de vastes quartiers, qui conservent, Ă  diffĂ©rents degrĂ©s, l'aspect de la richesse et du bien-ĂȘtre ; nous y trouvons les rĂ©sidences des familles riches et aisĂ©es, de la gentry », de la haute et de la moyenne bourgeoisie. LĂ  on peut voir la vĂ©ritable maison anglaise, la maison type, toujours soignĂ©e d'extĂ©rieur comme d'intĂ©rieur, propre et confortable ». Chaque rue, chaque quartier, paraĂźt l'oeuvre d'un seul et mĂȘme architecte, qui n'a voulu le doter que d'un seul genre de constructions, tirĂ© Ă  des milliers d'exemplaires. Les maisons se ressemblent tellement qu'on ne pourrait les distinguer sans le secours du numĂ©ro. La vulgaritĂ©, l'uniformitĂ©, en est irritante pour tous autres yeux que ceux d'un bon Anglais ; et pourtant il en est fier ; sa maison est la maison idĂ©ale, il n'en connaĂźt pas ni n'en veut connaĂźtre d'autre ; un ou deux Ă©tages, rarement trois, pas de porte cochĂšre, car on ne loge chez soi ni chevaux ni voitures; un fossĂ© recouvert de barreaux ou protĂ©gĂ© par une grille, qui sĂ©pare la maison du trottoir et l'isole encore de la rue. Au fond de cette tranchĂ©e, toutes les dĂ©pendances cuisine, office, cellier, etc., desservis par un escalier spĂ©cialement rĂ©servĂ© aux fournisseurs, qui ne causent ainsi aux maĂźtres ni dĂ©rangement ni trouble ; voilĂ  qui donne une idĂ©e succincte de la maison anglaise. Ajoutons qu'une seule famille y habite, ce qui exclut cette plaie vive que 48 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE nous appelons le concierge. Sur la porte en chĂȘne, un petit Ă©cusson de cuivre porte les noms, titres et qualitĂ©s de l'habitant. Divers marteaux ou sonnettes s'offrent aux visiteurs, aux gens d'affaires ou de service ; chacun sait oĂč il doit frapper ou sonner, et nul ne s'y trompe. Le facteur ne laisse pas tomber le marteau comme l'Ă©picier ; le nombre et la sonoritĂ© des coups indiquent l'importance qu'un vrai gentleman » ne manque jamais de s'accorder Ă  lui-mĂȘme ; partout on retrouve cette hiĂ©rarchie, ce classement, conditions nĂ©cessaires et indispensables de la vie anglaise. Un autre caractĂšre propre aux maisons de Londres, aux riches et aux pauvres celui-lĂ , c'est la couleur, une couleur la plus triste du monde. C'est un gris sale, partout dĂ©posĂ© par une fine pluie de charbon qui s'Ă©chappe des milliers d'usines, et retombe en poussiĂšre impalpable et pĂ©nĂ©trante. La teinte primitive de tous les Ă©difices, de toutes les maisons, disparaĂźt sous cette couche Ă©paisse, qui donne Ă  tous une livrĂ©e de deuil uniforme; quelle diffĂ©rence avec les tons chauds, fauves, mordorĂ©s ou Ă©clatants de blancheur, que donne chez nous le soleil Ă  la pierre, qu'il semble pĂ©nĂ©trer de sa lumiĂšre, et qui garde comme un reflet de son Ă©clat!... J'ai essayĂ© de retracer l'aspect gĂ©nĂ©ral des diffĂ©rents quartiers ou plutĂŽt des diffĂ©rentes villes dont l'ensemble forme l'immense citĂ© londonienne. Les diffĂ©rences profondes, les oppositions si tranchĂ©es qui existent en elle, l'empĂȘchent de prĂ©tendre Ă  un caractĂšre propre, Ă  un cachet bien dĂ©fini, Ă  une unitĂ© mĂȘme relative ; Ă  moins que ce caractĂšre, ce cachet spĂ©cial, consistent Ă  n'en point avoir. Aussi est-il malaisĂ© de rechercher, plus encore de dĂ©finir, l'impression gĂ©nĂ©rale qui se dĂ©gage de cet immense assemblage d'hommes, d'habitations, de cette juxtaposition de quartiers et de villes. Ou bien cette impression est une impression indĂ©finie et triste, car il y a de la tristesse dans son activitĂ© elle-mĂȘme. Rien n'y semble naturel, tout est transformĂ©, violentĂ©, depuis le sol et l'homme jusqu'aux moindres facteurs de la vie, jusqu'Ă  l'air et la lumiĂšre. Les monuments abondent, grandioses et fort beaux quelquefois, mais isolĂ©s ; ils restent tristes et dĂ©paysĂ©s dans leur grandeur il y a de belles rues, de beaux quartiers, mais ils restent confondus au milieu des ruelles sombres et des agglomĂ©rations sans air auxquelles ils aboutissent. Quelques merveilles de l'art et de l'architecture, comme l'abbaye de Westminster ou les Parliament Houses » avec leurs formes Ă©lancĂ©es, leurs dĂ©licates nervures, et leur profusion de sculptures, qui conviennent si bien Ă  une atmosphĂšre naturellement obscure, ne parviennent pas Ă  annihiler ni mĂȘme Ă  com- IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 49 battre l'impression de mauvais goĂ»t de la plupart des constructions et des monuments publics. Les lieux d'amusement, les parcs, sont plus nombreux que partout ailleurs ; pourtant la ville garde un aspect glacial et guindĂ© qui tient Ă  la fois aux hommes et aux choses. Et pourtant il ressort de cette ville immense, Ă©tonnante, merveilleuse, un caractĂšre de force tranquille, de grandeur consciente, qu'il est impossible de mĂ©connaĂźtre. Ce caractĂšre, nous le retrouvons dans l'aspect gĂ©nĂ©ral de la nation anglaise ; tout y prend un caractĂšre de sĂ©rieux, de mesure et de pondĂ©ration, tout y annonce un ensemble de qualitĂ©s qui gagnent en force, en soliditĂ© et en profondeur, ce qu'elles perdent peut-ĂȘtre en Ă©clat. Les peuples sont, en gĂ©nĂ©ral, modelĂ©s sur le pays qu'ils habitent; les qualitĂ©s des individus correspondent Ă  celles de la terre qui les a vus naĂźtre, qui a Ă©tĂ© le berceau de leur race, ou l'a lentement façonnĂ©e avec le temps ; l'Anglais n'Ă©chappe pas Ă  cette rĂšgle universelle. H est bien adaptĂ© par son tempĂ©rament physique et moral au sol qui le nourrit, duquel il doit tirer les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la vie; autant le climat et le sol anglais diffĂšrent du français, autant le type anglais s'Ă©loigne du type français, physiquement, intellectuellement et moralement ; il paraĂźt moins dĂ©gagĂ©, moins Ă©lĂ©gant, moins dĂ©licat; il est aussi plus fort, plus solide et plus calme. Au point de vue physique d'abord, on se trouve souvent en face d'hommes robustes, grands, larges d'Ă©paules et solidement bĂątis. Les colosses, hauts de six pieds et plus, ne sont pas trĂšs rares ; on les voit dans toutes les classes de la sociĂ©tĂ©; ils sont particuliĂšrement nombreux parmi les domestiques de bonne maison, qui doivent dignement reprĂ©senter leurs maĂźtres ; on ne voit qu'eux dans les troupes d'Ă©lite, en particulier dans le corps des life-guards », dont on rencontre Ă  chaque instant des dĂ©tachements Ă  Londres. On croirait, Ă  les voir passer, assister Ă  un dĂ©filĂ© des laurĂ©ats d'une exposition de produits humains » ; ce sont de belles masses, trĂšs imposantes, mais trop lourdes et souvent gauches dans leurs mouvements. On devine sur leur visage un fonds inĂ©puisable de belle humeur et de bonhomie. Ils possĂšdent aussi, et Ă  un trĂšs haut degrĂ©, cette espĂšce de naĂŻve fatuitĂ©, particuliĂšre au soldat anglais. Avec leurs pantalons collants, leur courte veste rouge qui dessine les larges proportions de leur torse, la petite galette de clown qui leur sert de coiffure, posĂ©e sur des cheveux trop pommadĂ©s, une raie tirĂ©e au cordeau sur le milieu de la tĂȘte, ils paradent de leur personne, de l'air le plus satisfait du monde. Pas un mouvement 50 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE spontanĂ©, pas un de leurs gestes qui dĂ©vie d'une ligne; les Ă©paules rejetĂ©es en arriĂšre, la poitrine bombĂ©e, ce sont de vĂ©ritables automates; on devine les soldats choisis, triĂ©s, la troupe d'Ă©lite. Ce mĂȘme type athlĂ©tique et charnu, frĂ©quent chez les paysans du nord de l'Angleterre, est assez rare chez les vĂ©ritables gentlemen. On le rencontre pourtant, et souvent l'excĂšs de nourriture donne un amas de chairs rouges et pantelantes, qui, joint Ă  une physionomie presque inanimĂ©e, Ă  des petits yeux ternes et inexpressifs, offre une vague ressemblance avec la bĂȘte de boucherie. Ce n'est lĂ  Ă©videmment qu'une des extrĂ©mitĂ©s du type, qui tourne avec l'Ăąge Ă  l'horrible, Ă  la caricature apoplectique et gonflĂ©e. On voit plus frĂ©quemment de grands corps osseux, pleins de saillies, pas trop bien agencĂ©s, avec des pieds et des mains immenses, l'aspect raide et compassĂ©, les mouvements gauches, mais capables de travail soutenu, de rĂ©sistance et d'effort, ce qui est la caractĂ©ristique de la race. Si vous joignez Ă  ce grand corps vigoureux et massif une physionomie flegmatique, sur laquelle aucune impression ne produira ni trouble ni expansion, contraste parfait de la pĂ©tulance et de la passion mĂ©ridionales, des traits rĂ©guliers et immobiles, une expression froide et rĂ©flĂ©chie, vous rĂ©alisez le type le plus commun parmi les classes moyennes. Et si ce type peut s'exagĂ©rer, se dĂ©former, il peut aussi s'affiner, se perfectionner; c'est alors celui que l'on rencontre chez la plupart des gentlemen. La taille bien prise et de tournure hardie, le teint vif et les yeux un peu pĂąles, les traits rĂ©guliers, le regard loyal, intelligent et calme; il ne leur manque peut-ĂȘtre qu'un peu de vivacitĂ© et d'expression en plus, pour en faire les plus beaux types de l'espĂšce humaine. Chez les femmes, nous retrouvons les mĂȘmes qualitĂ©s et les mĂȘmes avantages, aussi les mĂȘmes imperfections, les mĂȘmes exagĂ©rations de la personne physique. Certaines figures anglaises vont Ă  l'extrĂȘme de la beautĂ© le teint trĂšs clair, un teint de fleur et d'enfant, des yeux trĂšs bleus ou d'un noir pĂąle, la taille longue et parfaite comme les traits du visage, l'expression rĂȘveuse, quoique trĂšs gaie et trĂšs simple, excluant toute recherche et tout excĂšs de coquetterie voilĂ  ce qu'il vous est parfois donnĂ© d'admirer. Mais il faut reconnaĂźtre que ce parfois est rare, et qu'il arrive plus souvent Ă  l'Anglaise de rĂ©pondre au portrait railleur mais assez juste, qu'a tracĂ© Hamilton Mme Wetenhall, dit-il, Ă©tait proprement ce qu'on appelle une beautĂ© tout anglaise; pĂ©trie de lis et de rose, de neige et de lait IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 51 quant aux couleurs ; faite de cire Ă  l'Ă©gard des bras et des mains, de la gorge et des pieds ; mais tout cela sans Ăąme et sans air ; son visage Ă©tait des plus mignons, mais c'Ă©tait toujours le mĂȘme visage; on eĂ»t dit qu'elle le tirait le matin d'un Ă©tui, pour l'yremettre le soir en se couchant, sans s'en ĂȘtre servie. Que voulezvous ? La nature en avait fait une poupĂ©e dĂšs son enfance, et, poupĂ©e jusqu'Ă  la mort, resta la blanche Wetenhall... » En outre, chez la plupart des Anglaises, le teint trop clair s'altĂšre vite et aisĂ©ment, et puis quand les caractĂšres de la race s'exagĂšrent, on voit des choses extraordinaires de grandes filles lymphatiques, aux cils et aux cheveux presque blancs, des tailles plates et mal emmanchĂ©es, des poteaux longs de six pieds dans des robes bouffantes, des pieds et des mains longs de plusieurs aunes, des dents immensĂ©ment pointues et plantĂ©es en avant, qui dĂ©bordent presque de la mĂąchoire. Et puis, trĂšs peu d'Ă©lĂ©gance, ou mĂȘme d'aisance naturelle ou recherchĂ©e. La toilette dĂ©note la plupart du temps ce que manifestaient dĂ©jĂ  les gestes et la physionomie, savoir le manque d'habiletĂ©, de souplesse, de mesure et de goĂ»t. Sauf l'amazone ou le costume de sport, qui traduit mieux que tout autre sa personne, l'Anglaise, quand elle s'habille, est gĂ©nĂ©ralement d'une exagĂ©ration de costume choquante. C'est souvent d'un Ă©clat brutal, et je me souviens avoir entendu justement comparer l'Anglaise, Ă  un champ clos, oĂč des couleurs ennemies se rencontrent et se livrent bataille. A cet ensemble de caractĂšres physiques, correspondent, dans une certaine mesure, les caractĂšres moraux et intellectuels de l'individu la physionomie froide et sĂ©rieuse dĂ©note cette qualitĂ© excellente qui consiste Ă  rester toujours maĂźtre de soi-mĂȘme, Ă  ne rien laisser paraĂźtre au dehors de ses plus violentes impressions, ce que l'on appelle le flegme britannique. L'Anglais est parfaitement maĂźtre de son systĂšme nerveux ; il Ă©rige en vertu nĂ©cessaire, fondamentale, cette qualitĂ© de son tempĂ©rament. Pour lui, le principal mĂ©rite d'un homme est de garder toujours a clear and cool head », la tĂȘte froide et reposĂ©e, de ne jamais agir sans rĂ©flexion, sans peser le pour et le contre, en un mot de ne jamais s'emballer ». On retrouve dans les plus petites choses cette volontĂ© froide et maĂźtresse d'elle-mĂȘme voyez dĂ©jeunes Anglais s'exercer au football, au cricket; ils se bousculenx, se blessent, font des fautes et des maladresses; pourtant pas un cri, pas un reproche, Ă  peine une observation. Les balles sont renvoyĂ©es, les poteaux abattus, la 52 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE partie gagnĂ©e ou perdue dans le calme le plus absolu, presque en silence; du reste, les Anglais parlent toujours bas, et pour qui a passĂ© quelque temps parmi eux, entendre des mĂ©ridionaux paraĂźt assourdissant. Pour beaucoup d'Anglais, parler semble mĂȘme dĂ©sagrĂ©able ils assistent aux conversations les plus intĂ©ressantes, aux discussions les plus captivantes, sans souffler un seul mot. Pourtant ils sont attentifs et n'Ă©prouvent ni distraction ni ennui; ils Ă©coutent, cela leur suffit, Les interroge-t-on directement ils rĂ©sument leur pensĂ©e en quelques mots et retombent dans un silence obstinĂ©; le bavardage n'est pas leur fait ce sont des gens de peu de paroles, few words ». Cette disposition du tempĂ©rament, d'apparence paisible et silencieuse, n'est nullement incompatible avec l'aptitude au travail et Ă  l'effort, Ă  l'endurance physique et morale. Chez l'Anglais, ces qualitĂ©s se manifestent dĂšs l'enfance. Tous les petits Anglais sont amoureux du danger, dit Eliot ; vous en trouverez dix pour se joindre Ă  une chasse, grimper un arbre, traverser une riviĂšre Ă  la nage, et vous n'en trouverez qu'un pour jouer aux billes, rester tranquille sur un sol uni ou lĂ  oĂč il a pied. » Le petit Tom, Ă©crit-il autre part, passe une nuit trĂšs froide sur l'impĂ©riale d'une diligence, en se rendant au collĂšge. II gĂšle, le froid le saisit, pourtant il reste exposĂ© Ă  l'air, parce qu'il Ă©prouve ce plaisir silencieux, si cher Ă  tout Anglais, d'endurer, de rĂ©sister, de lutter contre quelque chose et de ne pas cĂ©der. » Plus tard, cette prĂ©dilection pour la lutte froide et tenace se manifestera mieux encore dans les batailles de la vie l'Anglais appliquera ce besoin d'action, cette Ă©nergie, cette sorte de force d'inertie, Ă  la profession qu'il embrassera; il aura toute la puissance de travail nĂ©cessaire, il supportera facilement la fatigue et l'assujettissement Ă  la tĂąche la plus pĂ©nible et la plus ennuyeuse ; son tempĂ©rament flegmatique supprime les sursauts d'idĂ©es, les agacements, les petites Ă©motions intervenantes 1 », et lui permet de fonctionner avec une rĂ©gularitĂ© de machine. Un certain manque de dĂ©licatesse nerveuse, l'insensibilitĂ© acquise, l'habitude des sensations ternes suppriment non seulement le besoin d'un plaisir vif et variĂ©, mais le dĂ©sir du changement, de la nouveautĂ©, l'empĂȘchent de se rĂ©volter contre une tĂąche, si monotone, si insipide sait-elle. Une aptitude naturelle Ă  l'effort, .et peu d'aversion pour la monotonie d'un travail quelconque, voici les deux grandes qualitĂ©s de i. Taine. IMPRESSIONS D ANGLETERRE 53 l'Anglais ; qualitĂ©s qui en font dans tous les mĂ©tiers et dans toutes les professions un ouvrier patient, puissant et productif. Ce besoin de lutter et d'agir ne se rencontre pas uniquement chez les travailleurs manuels ou intellectuels de toutes sortes, mais encore chez tous les Anglais, de tout Ăąge, de tout sexe et de toute condition. Ils ont l'amour, ils Ă©prouvent le besoin de l'exercice frĂ©quent, rude et pĂ©rilleux; cela tient en grande-partie au climat, plus froid et surtout plus humide que le nĂŽtre, qui nĂ©cessite un travail plus actif des muscles. Toutes les jeunes filles dĂšs l'enfance, toutes les femmes, mĂȘme arrivĂ©es Ă  un certain Ăąge, sortent chaque matin Ă  cheval ; les longues excursions Ă  pied, les marches les plus dures ne les effraient pas ; une lady qui ne monte pas Ă  bicyclette est une raretĂ© ; beaucoup affrontent les voyages les plus lointains et les plus pĂ©rilleux ; elles ont du reste une rĂ©putation acquise et mĂ©ritĂ©e de courage et d'intrĂ©piditĂ©. Tous les jeunes gens font partie d'un club de foot-ball et de cricket ils s'y exercent plusieurs fois par semaine, de maniĂšre Ă  acquĂ©rir et Ă  conserver l'entraĂźnement. Le rĂȘve de beaucoup, leur plus grand bonheur, serait de se voir admis Ă  lutter pour leur comtĂ© dans les grands matchs annuels. J'ai souvent entendu de jeunes Anglais me dire avec conviction Si j'avais le moyen de ne rien faire, je m'entraĂźnerais solidement et tĂącherais de devenir assez fort pour ĂȘtre admis dans l'Ă©quipe du Kent. » Pendant toute la saison, juillet et aoĂ»t, on ne parle que des grands matchs du jeu national. Chacun se passionne, et l'on s'arrache les cinq ou six Ă©ditions que les journaux font parfois paraĂźtre dans la mĂȘme journĂ©e, Ă  seule fin de renseigner sur les pĂ©ripĂ©ties des diffĂ©rentes luttes. J'ai vu Ă  Londres un de ces matchs entre deux Ă©quipes assez renommĂ©es il y avait lĂ , debout et en plein soleil, de 15 Ă  individus, hommes et femmes, Ă©chelonnĂ©s autour de l'immense cricket ground » ; ils paraissaient captivĂ©s et ne quittaient pas une seconde les joueurs du regard ; il y avait des applaudissements, des hurrahs pour les vainqueurs, et aussi des exclamations de mĂ©pris et des mots ironiques lancĂ©s au camp malheureux. Pour un Français, ce jeu est tout Ă  fait insipide ; il faut ĂȘtre Anglais pour le trouver very much exciting ». Les Anglais ont aussi la passion des voyages; nombre dĂ©jeunes gens et d'hommes faits vont chaque annĂ©e pĂȘcher le saumon en NorvĂšge, tirer le daim au Canada ou l'Ă©lĂ©phant au Cap ; les plus 54 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE modestes chasseurs se contentent d'aller tuer la grouse » dans les Highlands d'Ecosse; tout homme qui a la fortune suffisante est plus ou moins sportman ; beaucoup trouvent dans l'exercice de ces sports l'occupation de leur vie entiĂšre. J'ai dit tout Ă  l'heure que l'habitude des sensations ternes faisait acquĂ©rir Ă  la longue une certaine insensibilitĂ©, qui, jointe Ă  peu d'habitude et d'habiletĂ© dans la perception de la sensation, Ă©tait l'une des caractĂ©ristiques du tempĂ©rament anglais. Cette inaptitude des sens, par manque de finesse naturelle et aussi d'exercice, se dĂ©couvre dans les choses les plus matĂ©rielles. Ainsi la cuisine anglaise est dĂ©savantageusement connue pour son manque de dĂ©licatesse toujours en mouvement, trĂšs robustes, les Anglais ont de grands besoins physiques ; le climat, les brouillards, la grandeur du travail physique ou mĂȘme intellectuel, tout pousse Ă  la consommation ; mais la quantitĂ© est-elle trop souvent obtenue au dĂ©triment de la qualitĂ©. D'Ă©normes portions de viandes graisseuses et de lĂ©gumes fades, bouillis dans l'eau, sans assaisonnement, sans sauces et sans saveur voilĂ  le fond de l'alimentation. C'est une nourriture saine et forte, mais que l'on n'a pas d'agrĂ©ment Ă  manger. La seule flatterie pour un palais anglais, ce sont des condiments extraordinaires poivre, piment, vinaigres concentrĂ©s, moutardes'd'un piquant exagĂ©rĂ© ; tout ce qui emporte la bouche et produit sur un palais français une sensation de brĂ»lure. Leurs vins ordinaires, porto, sherry, trĂšs chauds et liquoreux par eux-mĂȘmes, dĂ©jĂ  renforcĂ©s par la falsification, sont encore coupĂ©s dJeau-de-vie c'est alors un mĂ©lange plein de charme pour un Anglais, quoique tout l'arĂŽme, toute la finesse, soient partis. De vrais vins de Bordeaux, mĂȘme de Bourgogne, leur semblent trop lĂ©gers; au pale aie » ils prĂ©fĂšrent ces affreuses et noires boissons, le stout et le porter, ou bien des grogs chauds, dans lesquels l'eau-de-vie entre pour moitiĂ©. Le gosier anglais doit ĂȘtre raclĂ©, grattĂ©, brĂ»lĂ© cela suffit pour le satisfaire. Toutes ces remarques indiquent des sens moins exercĂ©s et moins fins. L'homme doit s'endurcir, se raidir, pour s'accoutumer aux exigences de la vie, Ă  l'inclĂ©mence du climat. Un pauvre des rĂ©gions mĂ©ridionales n'est pas malheureux ; les choses les plus belles et les meilleures ne lui coĂ»tent rien il a peu de besoins Ă  satisfaire. Quant aux choses absolument nĂ©cessaires, il les procurer pour quelques sous. Pour quelques sous, il a une abondance de fruits, un verre de muscat, une livre de raisins, tout cela digne d'ĂȘtre servi aux banquets de l'Olympe il acquiert ainsi IMPRESSIONS D ANGLETERRE 55 l'idĂ©e de la sensation dĂ©licate et exquise. Pareille idĂ©e ne peut naĂźtre dans un cerveau anglais, qui commande Ă  un palais solide, Ă  un gosier vigoureux, lequel ne connaĂźt rien au-dessus d'une large tranche de boeuf et d'un verre de whisky. Dans les pays du Nord, il faut acquĂ©rir par le travail toutes les choses nĂ©cessaires Ă  la vie la nourriture abondante, le feu, la lumiĂšre, l'habitation bien close, les habits chauds... Ayez vingt mille livres de rente, ou bien vous ne vivrez pas. Nulle part la pauvretĂ© n'est plus dĂ©gradante et plus pĂ©nible c'est en grande partie pour l'Ă©viter que l'Anglais poursuit si Ăąprement la richesse. 11 la lui faut pour vivre, car elle est Ă  ses yeux l'accompagnement, l'aliment, la condition sine qua non de la distinction, de la moralitĂ©, de l'instruction, de toutes les qualitĂ©s qui font le gentleman. C'est lĂ  le perpĂ©tuel coup de fouet 1 » qui fait que chacun travaille Ă  acquĂ©rir son idĂ©al, lequel consiste en une maison bien sĂšche, bien propre, bien close et bien, chauffĂ©e, un foyer animĂ© par une femme dĂ©vouĂ©e, bonne mĂ©nagĂšre, et des enfants propres, bien habillĂ©s et bien Ă©levĂ©s ; avec l'abondance des meubles, des ustensiles utiles ou agrĂ©ables, de tous ces menus objets qui rendent le home » vraiment confortable et agrĂ©able Ă  habiter. Cet idĂ©al rĂ©alisĂ©, il est peu d'Anglais qui Ă©prouvent le besoin d'autre chose. A quoi bon se passionner pour les hautes spĂ©culations de l'esprit, pour les thĂ©ories d'art et les belles oeuvres littĂ©raires? DĂšs le collĂšge, du reste, les Anglais sont accoutumĂ©s Ă  relĂ©guer en seconde ligne la science et la culture de l'esprit; les connaissances pratiques, le courage, la force et l'adresse du corps viennent en premier rang. La premiĂšre qualitĂ© d'un bon maĂźtre de collĂšge, c'est d'ĂȘtre un bon joueur de cricket et de foot-ball le reste a bien moins d'importance. » VoilĂ  ce que j'ai entendu cent fois rĂ©pĂ©ter en Angleterre, et c'est lĂ  le dĂ©faut principal de leur Ă©ducation, qui a d'autre part sur la nĂŽtre de si grands avantages. Un Anglais ne va pas au collĂšge uniquement pour se bourrer de grec ou de latin, mais pour apprendre Ă  devenir un brave Anglais, utile, serviable, vĂ©ridique, un chrĂ©tien, un vĂ©ritable gentleman » dans toute la force du mot malheureusement la part n'est pas faite assez grande, d'ordinaire du moins, aux Ă©tudes purement thĂ©oriques ; la formation de l'intelligence reste incomplĂšte, et les gens qui possĂšdent une forte culture intellectuelle sont bien rares, sauf dans les classes riches et dirigeantes. i. Taine. 56 REVUE. DU MONDE CATHOLIQUE Puis l'oeuvre commencĂ©e par l'Ă©ducation se continue dans les diffĂ©rentes phases de la vie ; le combat en est particuliĂšrement rude en Angleterre la concurrence deux fois plus violente et acharnĂ©e que partout ailleurs en est une preuve. Un des signes extĂ©rieurs de cette concurrence, c'est la rĂ©clame Ă©norme que chacun fait Ă  son produit, Ă  sa drogue, au raffinement qu'il a inventĂ© dans l'espoir de flatter une envie, un caprice, une manie. Cette rĂ©clame envahit tout, depuis les pages entiĂšres de journaux jusqu'au moindre espace libre des murs et des constructions ; elle est particuliĂšrement abusive dans les gares, oĂč souvent les annonces empĂȘchent de distinguer le nom de la localitĂ© oĂč l'on passe ; il n'est pas rare de voir des Ă©trangers Ă  qui l'usage de la langue anglaise est encore peu familier, se demander s'ils sont Ă  Herne-Hill ou Ă  Sunlight soap », Ă  Sydenham ou Ă  Champion's Vinegar », Ă  Chislehurst ou Ă  Elliman's Embrocation ». Ce qui se dĂ©pense de talent, je dirais presque de gĂ©nie, Ă  inventer de nouveaux modes de rĂ©clame, est incalculable. Etonnez-vous ensuite qu'il n'en reste plus pour crĂ©er des oeuvres artistiques durables et vraiment belles ! Le goĂ»t baisse et s'Ă©mousse, tout devient boutiquier, trades m an » Ăąpre et dur, inquiet et triste make money », gagner de l'argent, et ce de quelque maniĂšre que ce soit, voilĂ  l'idĂ©e qui absorbe et dĂ©vore toutes les autres. Aussi, tout ce qui donne la mesure moyenne de l'esprit artistique d'un peuple les objets d'art, les porcelaines, les marbres, les bibelots, les bijoux, tout cela est laid, trop Ă©clatant, trop riche, trop brillant, sans finesse et sans goĂ»t. Les expositions, les magasins, croient atteindre un style riche et pompeux, et n'exposent que des choses brillantes, mais grossiĂšres ou de mauvais style. Les artistes sont peu considĂ©rĂ©s ; en France, ils sont mis et surtout se mettent bien au-dessus du bourgeois, du philistin », du profanum vulgus en Angleterre, c'est l'inverse. Les musiciens, dont pourtant on fait Ă  Londres une Ă©norme consommation, sont des singes payĂ©s qui viennent faire du bruit dans un salon. Les peintres, les sculpteurs, sont des artisans barbus, mal payĂ©s, mal habillĂ©s, prĂ©tentieux, Ă  peine supĂ©rieurs d'un degrĂ© aux photographes. Ces idĂ©es Ă©troites se modifient peu Ă  peu il y a vingt ans elles Ă©taient telles que je les dĂ©cris, et ces bons Anglais n'en revenaient pas de voir Ă  Paris les artistes aller de pair avec les gens i. Taine. IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 57 du monde, et Delaroche et Horace Vernet dĂźner chez le roi 1 ». Pour le gros John Bull, un peintre, un musicien, n'est pas un gentleman, car il se sert de ses mains ; il n'est pas respectable, car il n'a pas de ressources rĂ©guliĂšres, de rentes ni de traitement qu'il touche Ă  jour et Ă  heures fixes or, la respectability », la qualitĂ© de gentleman », sont tout en Angleterre. Ces deux mots reviennent sans cesse de l'autre cĂŽtĂ© de la Manche est-ce un gentleman? est-ce une lady? VoilĂ  les deux seules questions, et la rĂ©ponse qu'on y fait, y es or no », suffit Ă  donner la mesure exacte du caractĂšre, des moeurs, de l'Ă©ducation, de la fortune, de la religion, de toute la vie, de toute la personne de l'ĂȘtre humain dont il est question. Un gentleman, c'est quelqu'un qui occupe une position indĂ©pendante, qui a un certain train de maison, une certaine tenue extĂ©rieure, des habitudes de luxe ou tout au moins d'aisance, de bonnes façons, et sait tenir sa place dans le monde. C'est encore un homme vraiment noble par le coeur, l'esprit et les maniĂšres, un homme d'honneur, un homme de conscience, qui agit bien, non seulement en vertu de ses instincts gĂ©nĂ©reux, mais encore par rĂ©flexion, par sentiment du devoir. Ce n'est pas tout, pour ĂȘtre un gentleman, il faut encore ĂȘtre un chrĂ©tien ; car l'Anglais reste toujours religieux il croit, sans trop de ferveur souvent, mais il garde les allures extĂ©rieures d'un croyant. Les opinions d'un Anglais sur la religion sont fixes et enracinĂ©es elles sont une partie de son Ă©ducation, des traditions de la grande nation Ă  laquelle il appartient. Il accepte le protestantisme et l'Église anglaise comme il accepte la constitution parlementaire de son pays. Sa religion est un auxiliaire du pouvoir civil, un Ă©tablissement d'hygiĂšne morale, de bonne rĂ©gie des Ăąmes ». II faut reconnaĂźtre, du reste, que le dogme protestant s'accorde bien avec les instincts moraux, sĂ©rieux et un peu puritains de la race. Ils n'ont pas besoin d'effort pour le suivre, ils auraient besoin d'effort pour le rejeter 1 ». Un incrĂ©dule ne peut pas ĂȘtre un bon Anglais, ni un honnĂȘte homme, cela est gĂ©nĂ©ralement admis. Aussi le respect du christianisme s'impose Ă  l'opinion publique comme un devoir, j'allais dire comme une biensĂ©ance. Il est vrai qu'en Angleterre tout ce respect de la religion, toute cette foi si vive Ă  l'extĂ©rieur, sont trop souvent plus apparents que 1. Taine. 58 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE rĂ©els. La mode, le dĂ©sir de se faire bien voir, tiennent lieu de conviction vraie et profonde. Tout est permis qui n'est pas vu ; tout est tolĂ©rĂ© qui n'est point entendu par les voisins ; certains disent qu'en Angleterre, l'hypocrisie sert de manteau Ă  tout. Cela est certainement exagĂ©rĂ©, mais non complĂštement faux. Si le christianisme consistait Ă  aller souvent et le plus apparemment possible Ă  l'Ă©glise, le peuple anglais serait le plus chrĂ©tien du monde ; et le plus pieux et le plus croyant, si la foi et la piĂ©tĂ© consistaient uniquement Ă  se quereller sur les dogmes de la religion, au lieu d'en appliquer les principes. Il est vrai que le dimanche, pour se rendre Ă  l'Ă©glise, hommes et femmes, ladies and gentlemen », rivalisent de zĂšle et d'affectation. C'est Ă  qui emportera le plus de livres et les plus gros; ils n'ont, du reste, pas loin Ă  les porter, car les Ă©glises de toutes les confessions sont bientĂŽt aussi nombreuses que les public houses ». La religion est devenue bien plus affaire de mode que de conscience les Anglais se vantent d'ĂȘtre le peuple le plus religieux du monde, comme ils se vantent de possĂ©der une foule de vertus, de qualitĂ©s, dont ils n'ont souvent que l'apparence. C'est le contraire du Français, qui n'est qu'un fanfaron du vice l'Anglais n'est qu'un fanfaron de vertu, quelquefois un simple hypocrite. Les preuves individuelles de cette hypocrisie abondent, les preuves sociales ne sont pas rares l'une des plus saillantes Ă  mes yeux consiste dans l'observation du dimanche Ă  Londres. Tandis que l'aristocratie, les classes Ă©levĂ©es et les classes moyennes passent, aussi ostensiblement que possible, la plus grande partie de leur journĂ©e Ă  l'Ă©glise, tous les lieux de distraction, de promenade sont obligatoirement fermĂ©s ; on ne laisse d'ouvertes que les tavernes, les public houses » la raison en est simple mais odieuse, Ă  mon avis. Interrogez un Anglais Ă  ce sujet, il vous rĂ©pondra Nous avons nos maisons, nos clubs bien confortables, nos Ă©glises, oĂč nous entendons de bonne musique et de bons prĂ©dicateurs, nous ne ressentons pas, le dimanche, le manque de distractions. Quant au bas peuple, qui vit dans d'infĂąmes quartiers, s'entasse dans d'abominables demeures, il est dans notre intĂ©rĂȘt de lui laisser ce jour-lĂ  la seule chose qu'il apprĂ©cie. Tant qu'il sera stupĂ©fiĂ© par la boisson, il ne nous causera ni trouble ni inquiĂ©tude. Le dimanche oĂč nous fermerons Ă  Londres les public houses, nous aurons une terrible rĂ©volution. » VoilĂ  la morale anglaise pour nous la Bible et l'Évangile; pour les malheureux la taverne et l'eau-de-vie. C'est sans doute un sentiment analogue qui pousse IMPRESSIONS D ANGLETERRE 59 les commerçants anglais Ă  vendre l'opium aux Chinois et aux Indous !... Et maintenant, quelle conclusion tirer de ces quelques impressions d'Angleterre ? Elles sont nĂ©cessairement trop superficielles, trop incomplĂštes pour que je me risque Ă  fonder sur des bases aussi fragiles une comparaison plus ou moins exacte entre la France et l'Angleterre, entre deux nations si diffĂ©rentes par les moeurs, les traditions, le caractĂšre et le climat, qu'une foule de facteurs, trĂšs nombreux et trĂšs complexes, contribue encore Ă  distinguer l'une de l'autre ; ou bien dois-je examiner s'il convient de dire avec Voltaire Si j'avais eu Ă  Ă©lire le lieu de ma naissance, j'aurais choisi l'Angleterre »? Il ne m'appartient pas de rĂ©soudre ni de trancher d'un mot de si graves questions et de si importantes controverses. Je dirai simplement qu'en somme, l'Angleterre donne l'impression d'une grande et puissante nation grande par le travail, le sĂ©rieux, la constance, l'intrĂ©piditĂ© et le nombre de ses enfants; grande par la libertĂ© qui y rĂšgne, par la forte organisation de la famille et de la sociĂ©tĂ©, par la puissance de ses traditions sociales, politiques et religieuses, et le respect que chacun en garde ; que c'est une nation bienfaisante par ses institutions de charitĂ© et de prĂ©voyance, par sa large et franche hospitalitĂ© ; peutĂȘtre trop froide de maniĂšres, trop lourde et trop tranquille d'esprit, manquant de ressort et d'Ă©lasticitĂ©. Je crois pouvoir dire d'elle qu'elle est petite par ses prĂ©jugĂ©s, par l'affectation de son fanatisme biblique et de son puritanisme exagĂ©rĂ©, attristĂ©e et grossiĂšre par le paupĂ©risme et par le vice trop frĂ©quent de l'ivrognerie. L'Anglais se trouve bien en Angleterre, le Français prĂ©fĂšre la France; chacun a raison, car, comme ledit spirituellement M. Taine, chacun a le manteau convient le mieux ». JACQUES GAZEAU. Manoeuvres d'automne en 1899 Suite et fin SOMMAIRE § 4. Marches d'approche i° en formation de masse ; 2° en formation demiouverte ; 3° en formation ouverte. — § 5. DĂ©ploiement Troupes de prĂ©paration, de choc et de rĂ©serve. — Des bonds. — §6. Assaut. — § 7. Conclusion. 111e PARTIE. — Manoeuvres de l'Est. — § 1. IntĂ©rĂȘt particulier des manoeuvres de l'Est. — § 2. Terrain des opĂ©rations. — §3. Principales dĂ©monstrations. ‱— § 4. Conclusions. iv° PARTIE. — ExpĂ©riences et desiderata. — § 1. L'alimentation sucrĂ©e. — § 3. Emploi des automobiles. — § 3. Inventions nouvelles. — § 4. Passage des cours d'eau. — § 5. Les effectifs. — § 6. Conclusion gĂ©nĂ©rale. Le manque d'initiative, disait Bugeaud il y a soixante ans, oblige le chef Ă  tirer lui-mĂȘme la voiture qu'il devrait n'avoir qu'Ă  conduire. J'ai insistĂ© sur ce point de vue, parce que le manque d'initiative est peut-ĂȘtre encore aujourd?hui un des plus grands dĂ©fauts de nos officiers et surtout de nos sous-officiers, malgrĂ© les louables efforts qui ont Ă©tĂ© faits, je le reconnais volontiers, pour nous dĂ©livrer de cette servitude si contraire Ă  notre caractĂšre français, pĂ©tillant, actif et primesautier. Trop de chefs considĂšrent encore tout acte d'initiative comme attentatoire Ă  leur autoritĂ©, presque comme un acte d'indiscipline. C'est un prĂ©jugĂ© nĂ©faste qu'il faut dĂ©raciner Ă  tout prix. § 4. MARCHES D'APPROCHE. — Le directeur, sans rien prĂ©ciser pour les emplacements de l'artillerie, qui sont absolument subordonnĂ©s aux circontances, dĂ©crit la marche de l'infanterie jusqu'au moment oĂč les premiers bataillons entreront dans la zone efficace du tir de l'artillerie ennemie, puis de son infanterie. La vulnĂ©rabilitĂ© va Ă©videmment en augmentant Ă  mesure que les distances diminuent. Pour en attĂ©nuer les effets, le gĂ©nĂ©ral MANOEUVRES D'AUTOMNE EN 1899 61 Giovanninelli prĂ©voit trois formations de marche la formation mĂȘme de rassemblement, une formation demi-ouverte et une formation ouverte. Dans toutes ces formations, les sections s'avancent par le flanc. Chaque chef d'unitĂ©, vĂ©ritable guide de sa troupe, marche devant elle pour en assurer la direction^ soit sur un point dĂ©terminĂ©, soit par rapport Ă  l'unitĂ© de direction, base du mouvement. Ces trois formations ne diffĂšrent entre elles que par les intervalles et les distances. La marche en formation de rassemblement est employĂ©e en dehors de toute action de l'artillerie ennemie et en terrain uni et dĂ©couvert, soit jusqu'Ă  environ quatre kilomĂštres des batteries adverses. La formation demi-ouverte dans laquelle les compagnies prennent entre elles 50 mĂštres de distance et 50 mĂštres d'intervalle, les bataillons, 100 mĂštres s'emploie en terrain accidentĂ© ou couvert, et lorsqu'on approche de la zone d'action de l'artillerie. Les brigades s'espacent Ă  300 mĂštres en utilisant l'intervalle de 1000 mĂštres qui ^existait entre les divisions rassemblĂ©es. Ce dispositif ne saurait ĂȘtre conservĂ© Ă  moins de 3500 mĂštres de la position ennemie. La formation ouverte espace les sections de 20 Ă  40 mĂštres l'une de l'autre; les compagnies s'Ă©chelonnent en profondeur Ă  100 mĂštres, les bataillons Ă  300. Cette formation n'est du reste qu'une transition entre la marche d'approche proprement dite et le dĂ©ploiement. Elle ne saurait ĂȘtre conservĂ©e Ă  moins de 3000 mĂštres des positions ennemies. § 5. DÉPLOIEMENT. — Le principe fondamental posĂ© par le gĂ©nĂ©ral directeur est que toute troupe engagĂ©e doit constituer, au dĂ©but, trois Ă©lĂ©ments un groupe de prĂ©paration, un groupe de choc et un groupe de rĂ©serve. Quand un des Ă©lĂ©ments se fondra dans l'Ă©lĂ©ment prĂ©cĂ©dent, les troupes de l'arriĂšre seront utilisĂ©es pour maintenir intact le principe des trois Ă©lĂ©ments d'action. Il s'agit, bien entendu, ici du combat inoffensif. Les sections de premiĂšre ligne ouvrent leurs intervalles jusqu'au front de dĂ©ploiement; elles se forment en ligne, vers 800 mĂštres ou seulement vers 600, quand elles sont obligĂ©es de riposter par le feu au tir de la dĂ©fense. Elles progressent ensuite, soit par bond de toute la ligne, soit par Ă©chelon, jusqu'Ă  la distance d'assaut vers 200 ou 150 mĂštres de l'ennemi. Les sections des compagnies de premiĂšre ligne sont suivies et 62 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE successivement renforcĂ©es, d'aprĂšs les prescriptions du rĂšglement, par les compagnies de rĂ©serve des bataillons. Cette marche de dĂ©ploiement, qui s'effectue de 3000 Ă  150 mĂštres, constitue le combat de prĂ©paration c'est la phase la plus laborieuse, parce qu'elle s'effectue aux distances oĂč le tir ennemi de plus en plus efficace n'est pas encore impressionnĂ© par la marĂ©e montante dont l'effet moral ne se produit qu'Ă  courte distance. La seule particularitĂ© Ă  noter ici est le procĂ©dĂ© de cheminement prĂ©conisĂ© par le directeur, frappĂ© Ă  juste titre de la prĂ©cipitation avec laquelle cette marche s'effectue d'ordinaire, pendant les manoeuvres, sans doute Ă  la satisfaction de la galerie, mais aussi d'une façon trĂšs peu vraisemblable, qui a, au surplus, l'inconvĂ©nient de ne pas laisser aux troupes voisines le temps d'exĂ©cuter les mouvements tournants ou enveloppants. Par une note en date du 31 aoĂ»t 1899, M. le gĂ©nĂ©ral de Longuemar, commandant le 5" corps, expose comme il suit la façon de progresser Cette instruction, dit-il le schĂ©ma Giovanninelli, veut que, dans la zone dangereuse, les sections en formation ouverte cheminent par bonds de 100 Ă  50 mĂštres au moins, suivant le terrain, et homme par homme. Cette prescription sera toujours observĂ©e dans les marches d'approche pendant les manoeuvres. Les sections arrĂȘtĂ©es doivent ou se mettre Ă  genoux ou se coucher. Le chef de section se porte de sa personne Ă  50 ou 100 mĂštres en avant, au point oĂč sa section doit se rendre en un bond, puis le mouvement s'exĂ©cute lentement, homme par homme, ceux qui doivent se porter en avant se relevant seuls, de maniĂšre Ă  n'offrir Ă  l'ennemi qu'un but restreint ou mĂȘme invisible. » C'est parfait comme procĂ©dĂ©, mais Ă  condition d'en restreindre l'emploi aux circonstances exceptionnelles, si l'on ne veut pas tomber dans l'excĂšs contraire Ă  la prĂ©cipitation, Avec ce procĂ©dĂ©, il faut au moins une demi-heure pour gagner cent mĂštres. En tenant compte des arrĂȘts, il faudrait plus de vingt heures pour arriver sans incident Ă  la distance d'assaut. Vingt heures Ă  passer ainsi sous le feu, c'est Ă©videmment absurde. Dans la pratique, aux manoeuvres de garnison, on a dĂ» faire partir Ă  la fois souvent plusieurs hommes et mĂȘme plusieurs rangs. Il en serait de mĂȘme Ă  la guerre. § 6. ASSAUT. — Toutes les rĂ©serves encore disponibles,, dit le rĂšglement, et au besoin le bataillon de deuxiĂšme ligne, rejoignent la MANOEUVRES D'AUTOMNE EN 1899 63 ligne de combat pour l'entraĂźner Ă  l'assaut. » Dans quelles formations? Le rĂšglement est muet. Et cependant Ă  ce moment, oĂč la surexcitation de tous est Ă  son comble, il sera Ă  peu prĂšs impossible de donner d'autres ordres que le cri ÂŁ avant! Ă  la baĂŻonnette! » Le gĂ©nĂ©ral Giovanninelli a indiquĂ© la formation suivante pour les colonnes d'assaut les groupes seront au maximum d'un bataillon. Le bataillon part de la formation ouverte Ă  courte distance de la ligne de combat oĂč le feu crĂ©pite avec violence, ses sections se serrent dans chaque ligne, sans intervalle, sur la section de base. La deuxiĂšme ligne suit la premiĂšre Ă  100 mĂštres. Si les compagnies sont Ă  200 hommes, le bataillon se prĂ©sente ainsi, dans chaque ligne, avec 32 hommes de front sur 12 rangs de profondeur. Le maniement de cette masse est Ă©videmment un peu lourd ce bloc fournit une belle cible, il faudrait le voir sous les balles! Mais il est permis de croire que la rĂ©union et la conduite de cette colonne n'est pas impossible; car il est reconnu qu'Ă  la distance d'assaut, la justesse du tir d'infanterie est nulle, et l'artillerie des deux partis a cessĂ© le tir sur les premiĂšres, lignes pour ne pas s'exposer Ă  faucher ses propres troupes. § 7- CONCLUSION. — Telles sont en rĂ©sumĂ© les leçons Ă  retenir du schĂ©ma Giovanninelli. C'est la premiĂšre fois qu'un directeur de manoeuvres, parlant en maĂźtre qui enseigne, fait sentir son impulsion et affirme sa volontĂ©, sans rien prescrire de contraire aux rĂšglements de manoeuvres. Tout n'est pas Ă  conserver dans ces procĂ©dĂ©s, mais ils mĂ©ritent de fixer l'attention de la commission chargĂ©e de la rĂ©vision du rĂšglement de manoeuvres de l'infanterie. Pour rĂ©compenser le directeur, on le dĂ©clare physiquement incapable ! On lui retire son commandement. Certes, le gĂ©nĂ©ral Giovanninelli n'a pas une taille de guĂȘpe; mais c'est avec son embonpoint actuel qu'il a fait la campagne du Tonkin, et personne n'avait le droit de lui reprocher une infirmitĂ© que son Ă©nergie et sa grande vigueur ont domptĂ©e'devant l'ennemi. TROISIÈME PARTIE Manoeuvres de l'Est § 1. INTÉRÊT PARTICULIER DES MANOEUVRES DE L'EST. — Le ministre de la guerre ayant supprimĂ© les manoeuvres de Touraine, sous le misĂ©rable prĂ©texte de fiĂšvre aphteuse, tout l'intĂ©rĂȘt 64 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE I I des opĂ©rations effectuĂ©es en 1899 se concentre sur les grandes manoeuvres de l'Est, exĂ©cutĂ©es par les 6e et 20e corps gĂ©nĂ©raux Kessler et de Monard sous la haute et brillante direction de M. le 1 gĂ©nĂ©ral HervĂ©. En Touraine il s'agissait de progrĂšs tactiques Ă  faire sanction- J ner par l'expĂ©rience. Dans l'Est, la question est tout autre l'ob- ? jectif a Ă©tĂ© l'Ă©tude pratique d'une portion de frontiĂšre, au point de vue des Ă©ventualitĂ©s possibles en cas de guerre avec l'Allemagne. Cela vaut la peine qu'on s'y arrĂȘte. § 2. TERRAIN DES OPÉRATIONS. — Le pays sur lequel a Ă©voluĂ© f le 6e corps 40e et 42e divisions renforcĂ©es de la 12e, gĂ©nĂ©ral j Hartsmidt, et de la 6e brigade de cavalerie, gĂ©nĂ©ral d'Hugonneau contre le 20e corps, reprĂ©sentant-l'ennemi, est la terre classique \ des invasions ce sont les hauts bassins de la Meuse et de la Moselle, de Bar-le-Duc Ă  Nancy. Les principales phases se sont dĂ©roulĂ©es entre Saint-Mihiel, Pagny et Thiaucourt ; les derniers j engagements ont amenĂ© les combattants sur le vaste plateau de f la Woevre, qui se termine au Nord par les trop mĂ©morables champs de bataille de Gravelotte et de Saint-Privat. j On a manoeuvrĂ© si prĂšs de la frontiĂšre que, pendant l'action, cer- ] tains partis du 20e corps ont pu entendre tonner les canons aile- 1 mands. C'Ă©tait le 15e corps prussien qui opĂ©rait, lui aussi, du cĂŽtĂ© j de ChĂąteau-Salins. \ Ce terrain trĂšs mouvementĂ©, coupĂ© par de nombreux cours \ d'eau, souvent boisĂ© sur de grandes Ă©tendues, est trĂšs favorable aux S Ă©tudes militaires. Il a fourni plusieurs fois aux chefs de groupe, et J en particulier Ă  la cavalerie, l'occasion d'exĂ©cuter d'heureux mouve- ments tournants. 1 § 3. PRINCIPALES DÉMONSTRATIONS. — Nous n'avons pas l'in- \ tention d'exposer toute la suite des thĂšmes et d'en discuter f l'exĂ©cution. C'est Ă  coup sĂ»r intĂ©ressant pour les gens du mĂ©tier; \ mais cela nous entraĂźnerait beaucoup trop loin. Nous nous borne- puisse y avoir un remĂšde meilleur. 96 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE esquissĂ© un peu mieux pendant deux annĂ©es dans trois autres. 11 est inutile de montrer combien tout cela est infĂ©rieur Ă  nos baccalaurĂ©ats, Ă  nos brevets mĂȘme, d'autant plus que l'examen est fragmentaire, sans l'Ă©preuve finale qui synthĂ©tise, sans l'oral qui prouve la possession du sujet. A la place de nos Ă©preuves françaises, qu'il est facile Ă  un jury de rendre probantes, nous n'avons ici que des revues de demi-annĂ©e, soumises aux conditions prĂ©caires que nous avons signalĂ©es, Ă  toutes les influences malsaines qui dĂ©coulent des diffĂ©rentes causes que nous avons indiquĂ©es l. L'examen de matriculation, Ă  johns Hopkins comme Ă  Bryn-Mawr, est le fondement de l'Ă©difice scolaire, en ce qu'il reprĂ©sente l'ensemble des connaissances communes Ă  tous les divers groupes de spĂ©cialitĂ©s, le minimum de l'enseignement unifiĂ© Ă  sa base. Aussi donnons-nous dans l'appendice des dĂ©tails complets sur ce programme, — ainsi qu'un tableau des cours faits au CollĂšge et Ă  l'UniversitĂ©. — Malheureusement, la possibilitĂ© de diviser cet examen en deux ou plusieurs parties, la faveur d'ĂȘtre admise sous condition pour une moitiĂ© des matiĂšres, sans parler d'autres motifs, enlĂšvent beaucoup Ă  l'importance officielle de l'Ă©preuve. Il est fĂącheux qu'une administration qui autorise et laisse croĂźtre des procĂ©dĂ©s qui n'ont rien de pĂ©dagogique ne tire pas un meilleur parti des trĂšs bons Ă©lĂ©ments qui se rencontrent au collĂšge. Pour ce qui concerne les langues vivantes, il serait difficile de trouver mieux. Le français, l'allemand, sont les seules langues usitĂ©es dans les classes de ces dĂ©partements ; le cours supĂ©rieur d'italien se faisait, en 1895-96, dans l'idiome de Manzoni. MalgrĂ© l'esprit peu travailleur des Ă©lĂšves, malgrĂ© les absences cuis qu'elles se permettent bien facilement et sans motif, on obtient de trĂšs beaux rĂ©sultats. Le jour oĂč professeurs et Ă©lĂšves pourront donner tout ce qu'ils ont, le jour oĂč Bryn-Mawr sera soumis Ă  la seule discipline digne d'une institution sĂ©rieuse, les dĂ©fauts qui frappent bien vite l'observateur disparaĂźtront. — Je suis profondĂ©ment convaincu que si les maĂźtres Ă©taient mieux chez eux, si les chefs de dĂ©partements ne voyaient pas leur autoritĂ© et leur compĂ©tence enrayĂ©es par des interventions Ă©trangĂšres, c'est-Ă -dire que s'ils Ă©taient libres de dire leur mot souverain Ă  propos de collaborateurs qu'on leur impose ou 1. On trouvera dans VAppendice quelques renseignements sur l'examen amĂ©ricain. Sa caractĂ©ristique, disons-le en quelques mots, est de n'avoir aucun oral, aucune revue d'ensemble, et d'ĂȘtre divisĂ© au moins en huit sections, scindĂ©es en autant d'examens partiels, dont le programme n'est autre que l'enseignement donnĂ© dans les dix Ă  douze semaines prĂ©cĂ©dentes. L EDUCATION EN PENNSYLVANIE 97 qu'on leur enlĂšve sans les consulter, et selon le seul caprice d'autres qu'eux-mĂȘmes, Bryn-Mawr, qui devient de plus en plus l'institution Ă  la mode, serait facilement le vrai collĂšge des jeunes filles. — Mais le Conseil acadĂ©mique n'est qu'une chambre d'enregistrement, la FacultĂ© ne compte pas, les TrustĂ©es sont dĂ©sarmĂ©s, et le pouvoir exorbitant, autocratique, que s'attribue la prĂ©sidence est la cause de tout le mal. — Si un homme peut aisĂ©ment abuser de l'autoritĂ© absolue, que sera-ce lorsqu'une femme est ainsi maĂźtresse suprĂȘme?... Ces abus sont d'autant plus difficiles Ă  rĂ©primer, que l'on n'ose parfois les signaler. Mon devoir de rapporteur spĂ©cial m'obligeait Ă  Ă©crire ce que, en mon Ăąme et conscience, je crois ĂȘtre la vĂ©ritĂ©, et je le rĂ©sume en ces termes Bryn-Mawr ne peut ĂȘtre-un collĂšge vĂ©ritablement digne d'avenir et d'attention que le jour oĂč professeurs et Ă©lĂšves seront traitĂ©s comme il convient, c'est-Ă -dire bien diffĂ©remment de ce qui se fait aujourd'huil. Philadelphie La grande ville mĂ©rite une mention spĂ©ciale, parce que, dans les premiĂšres Ă©poques, elle fut le foyer d'oĂč vinrent l'activitĂ© et la lumiĂšre. C'est lĂ  que fut Ă©tablie en 1687 la William Penn Chartered School, qui devait, dans l'esprit du fondateur, ĂȘtre comme le siĂšge de la direction intellectuelle ; si le but rĂȘvĂ© ne fut pas entiĂšrement atteint, l'influence morale, la contagion de l'exemple, exercĂ©es par cette institution, demeurĂ©e aujourd'hui encore de tout premier ordre, furent souveraines pour l'Ă©tablissement d'autres Ă©coles et le maintien de l'idĂ©al supĂ©rieur. La Germantown Academy, prĂ©parĂ©e Ă  l'avance par Christophe Sower, ne fut ouverte qu'en 1761, c'est-Ă dire alors que les difficultĂ©s commencĂšrent dans le CollĂšge de Pensylvanie , et que les Allemands craignirent de ne plus avoir 1. UEducational Review juin 1896 publiait un article de M. Ch. F. Thwing, dans lequel Ă©tait dĂ©noncĂ© le pouvoir souverain que s'attribuent les prĂ©sidents, et qui est d'ordinaire fatal au bon gouvernement des Ă©tudes et du collĂšge. Aussi un grand changement s'est fait depuis quelques annĂ©es. Le PrĂ©sident de l'UniversitĂ© de Chicago, M. Harper, Ă©crit qu'il se ferait scrupule de prendre une dĂ©cision quelconque Ă  l'Ă©gard d'un maĂźtre sans consulter le professeur en chef C'est la FacultĂ© qui doit avoir le dernier mot », Ă©crivait un autre prĂ©sident. — HĂ©las ! je n'ai rien vu de semblable Ă  Bryn-Mawr ! — Peut-ĂȘtre que les trustĂ©es comprendront un jour le prĂ©judice qu'une semblable direction cause au collĂšge qu'ils ont le devoir d'administrer de leur mieux. A Yale, par exemple, les trustĂ©es ne dĂ©cident d'une nomination ou d'une rĂ©vocation que sur avis motivĂ© de la FacultĂ©. CorrĂźtJiĂ«rTd'abus de pouvoir et de dĂ©nis de justice auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©s Ă  Bryn-Mawr si on" avait adoptĂ© cette conduite ! / ..''..' s ‱'/, ' REVUE DU MONDE CATHOLIQUE — Ier JANVIER 19OO { ~ ; \ \ .4 " 98 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE pour leur langue et leur littĂ©rature une chaire qui leur donnĂąt toute satisfaction. L'Ă©cole Ă©piscopalienne de Locust Street fut fondĂ©e en 1785, sous les meilleurs auspices et avec une donation de la LĂ©gislature s'Ă©levant Ă  dix mille acres de terre. TrĂšs riche et trĂšs aristocratique, le Seminary anglican continue son existence Ă©lĂ©gante, au profit presque exclusif des fidĂšles de l'Eglise. Nous avons parlĂ© des institutions catholiques pour jeunes filles, de celles du moins que la MĂšre Fournier fit naĂźtre sur un sol qui semblait peu fertile ; depuis, en 1847, une acadĂ©mie du SacrĂ©-Coeur et. tout au moins vingt-deux autres Ă©coles du mĂȘme genre ont Ă©tĂ© bĂąties jusqu'Ă  ce jour. Les PĂšres JĂ©suites Ă©rigent le Saint-Joseph CollĂšge, dont la charte d'incorporation remonte Ă  1852. Onze ans plus tard, les FrĂšres des Ecoles chrĂ©tiennes obtenaient l'ouverture de La Salle CollĂšge. Le zĂšle a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ral et constant pour l'instruction, et la liste des nombreuses Ă©coles serait bien longue. Ce qui distingue l'enseignement ici, c'est l'empreinte laissĂ©e par Franklin qui donne un; caractĂšre professionnel et technique Ă  l'Ă©ducation secondaire et mĂȘme Ă  celle du premier degrĂ©. A ce point de vue, Philadelphie a donnĂ© le branle par les Institutes, mais non pas en dehors de notre StĂ©phen Girard, qui, le premier, prĂ©senta, sous forme sensible et pratique,, les idĂ©es du grand Ă©ducateur. Nous avons parlĂ© dĂ©jĂ  du systĂšme de Lancaster, —qui fut essayĂ© sur une large Ă©chelle Ă  Philadelphie. L'AmĂ©rique est le pays des enthousiasmes faciles, des engouements rapides mais peu durables il semble qu'on soit toujours jeune, bien jeune, et que toutes les. nouveautĂ©s attirent de façon irrĂ©sistible ce peuple d'autant plus impressionnable qu'il n'a pas de traditions et qu'il cherche passionnĂ©ment Ă  se fixer. Ajoutons qu'il se dĂ©tourne avec beaucoup d'aise de ses anciennes amours, comme un enfant d'un jouet qui ne sert plus et pour lequel pourtant il avait versĂ© bien des larmes. Le Lancasterian System eut son heure; dĂ©jĂ , en 1803, le systĂšme de Pestalozzi avait inspirĂ© toute une sĂ©rie d'actes non Ă©quivoques.. William McGlure, de Philadelphie, visitant la Suisse, assistait Ă  une leçon du cĂ©lĂšbre maĂźtre, — et il n'eut pas de repos avant d'avoir obtenu l'assurance d'une future Ă©cole de ce genre en AmĂ©rique. Joseph Neff, ancien coadjuteur de Pestalozzi, qui, avec un succĂšs, mĂ©diocre, essayait d'impianter la mĂ©thode Ă  Paris, fut heureux, d'accepter les offres sĂ©duisantes de l'enthousiaste AmĂ©ricain *. 1. L'histoire de ces dĂ©marches a Ă©tĂ© Ă©crite par Neff lui-mĂȘme en une plaquette aujourd'hui assez rare, publiĂ©e en 1808 sous ce titre Sketch of a plan and meihod' L'ÉDUCATION EN PENNSYLVANIE 99 Des dĂ©ceptions l'attendaient en ce pays; son Ă©cole n'eut qu'une Ă©phĂ©mĂšre durĂ©e. On se dĂ©tourna de ce systĂšme pour aller Ă  un autre; puis, Fellemberg, Froebel, et toute une sĂ©rie Ă  la suite se poussent et se chassent l'un l'autre dans l'esprit perpĂ©tuellement inquiet du peuple et des chefs. Mais si les souvenirs d'autrefois, si l'action des Ă©ducateurs ont pu sauver cette seconde forme de l'instruction, on ne peut Ă©crire le mĂȘme Ă©loge des Ă©coles primaires, dont l'Ă©tat fut si longtemps dĂ©plorable et qui ne sont point encore sorties de la mĂ©diocritĂ©. — Une Ă©tude sur l'organisation scolaire de Philadelphie a Ă©tĂ© publiĂ©e par le Forum t. XV, mars 1893, par M. Rice. Avec une grande sincĂ©ritĂ© et une indĂ©pendance qui sont le gage d'une consciencieuse et loyale Ă©tude, rĂ©minent Ă©crivain a indiquĂ© les graves lacunes, les dĂ©fauts considĂ©rables du systĂšme, lacunes et dĂ©fauts qui ont pour cause l'intrusion du politicien dans l'Ă©cole. Peu de villes ont un agencement administratif plus mauvais de vue scolaire. Le pouvoir rĂ©side, en thĂ©orie, dans le Central Board, composĂ© de trente-six membres dĂ©signĂ©s par les juges du tribunal civil Common pleas, un pour chacun des wards ou quartiers; mais les bureaux de quartiers accaparent l'autoritĂ©. Ceux-ci sont formĂ©s par douze membres Ă©lus au vote populaire et prĂ©sidĂ©s par le reprĂ©sentant du tiard au Central Board ils sont les maĂźtres absolus. Le droit de veto que possĂšde le bureau central n'est jamais mis en oeuvre. Or non seulement il n'y a pas de responsabilitĂ© pour personne en particulier, mais ce sont les pires, parmi ces ĂȘtres indignes que sont les politiciens amĂ©ricains, qui sont les maĂźtres. Ils donnentles diplĂŽmes, nomment aux diverses places ils agissent sur l'instituteur pour confĂ©rer des graduations aux Ă©lĂšves qui ne les mĂ©ritent pas, ils sont les Ă©lĂ©ments les plus actifs pour la mauvaise organisation qu'une simple visite permet de constater. En 1883, de bons esprits finirent par s'alarmer et on se ‱ nommer un surintendant. Mais celui-ci est demeurĂ© longtemps dans l'impuissance contre tous ceux qui s'armĂšrent pour rĂ©sister Ă  son ingĂ©rence. Ce nouveau pouvoir, dit M. Rice, n'a pu se faire pardonner son existence qu'en se tenant dans l'immobilitĂ© presque absolue. Aussi les difficultĂ©s demeurent-elles les mĂȘmes et les Ă©coles sont tout Ă  fait infĂ©rieures. Le jour oĂč la fatale influence des passions politiques ou personnelles, ce qui est tout un en ce pays oĂč la poliof poliof founded on an analysis of the human Faculties and natural Reason, suitahle for the offsprings of a Free People and for ail Raiional Beings. IOO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tique ne se fait pas pour des principes, ne pĂšsera plus sur l'Ă©cole, Philadelphie sera la premiĂšre ville de l'Union par l'ensemble de son organisation. MalgrĂ© tout, quelque chose du vieil esprit est restĂ© sous les abus et les erreurs. Le travail pour le dĂ©gagement se poursuit dans des SociĂ©tĂ©s, des brochures, des confĂ©rences, quelques campagnes de presse trop rares, hĂ©las !. Puissions-nous aider Ă  briser l'obstacle! J'ai rarement Ă©tĂ© plus charmĂ© dans mon voyage que par la visite faite Ă  l'École normale pour jeunes filles en mai 1894. La construction est magnifique, splendidement luxueuse dans le goĂ»t un peu tapageur et voyant des collĂšges et UniversitĂ©s. Le principal, M. Felter, beau et bon vieillard qui allait Ă©pouser bientĂŽt une des prof essor esses, me montrait avec amour tous les dĂ©tails de l'Ă©cole., qui est son oeuvre en grande partie cours de musique, de chant, de couture, de coupe de vĂȘtements, de cuisine, de gymnastique, tout cela trĂšs bien dirigĂ© et exĂ©cutĂ©. Les classes elles-mĂȘmes paraissaient moins accomplies les maĂźtresses ne semblaient pas passionner follement l'auditoire, lequel avait beaucoup de distractions ; mais le grand dĂ©faut de cette Ă©cole normale est de prĂ©parer fort peu d'institutrices la plupart s'en vont de trĂšs bonne heure, sans se prĂ©occnper de l'avenir pour lequel on les a prĂ©parĂ©es ; par exemple, en 1892, trois cent dix jeunes filles, sur sept cent deuxy sortent de l'Ă©cole sans certificat. Depuis 1885, il y a une Ă©cole pratique de travail manuel, Manual Training School ». C'Ă©tait justice dans le pays de Franklin, et aprĂšs StĂ©phen Girard. Le succĂšs a Ă©tĂ© considĂ©rable il a fallu, en 1890, ouvrir une nouvelle Ă©cole, et bientĂŽt plusieurs seront nĂ©cessaires. Les Ă©lĂ©ments de la science professionnelle, pour ainsi parler, sont enseignĂ©s dans une Ă©cole spĂ©ciale. A cela doivent s'ajouter les cours industriels, de dessin, de sculpture, semblables Ă  ceux que beaucoup de nos villes de France, Nice par exemple, ont su se donner depuis longtemps. En somme, comme nous l'avons indiquĂ© dĂ©jĂ , les bases du systĂšme, ses principaux organes, sont bons; mais tout est viciĂ©, rendu presque stĂ©rile par l'introduction du politicien dans le mĂ©canisme. Je ne puis que m'associer aux justes critiques de M. Rice, que mon expĂ©rience personnelle a confirmĂ©es en toute maniĂšre, et, comme lui, j'appelle le moment oĂč Philadelphie saura secouer le joug honteux et redevenir la noble et grande ville que rĂȘvait William Penn et que Franklin a essayĂ© de constituer. BARNEAUD. La Fleur merveilleuse de Woxindon Suite LIVRE QUATRIÈME CHAPITRE XIX Deux prĂ©tendants, l'un heureux, l'autre malheureux ArrivĂ©s en haut, nous laissĂąmes nos regards errer dĂ©licieusement sur le paysage qui se dĂ©roulait devant nous, semblable Ă  un merveilleux tapis Ă©maillĂ© d'or brillant aux feux du soleil couchant. Elle me nomma les clochers des nombreux villages qui se succĂ©daient le long de la Tamise jusque bien loin dans la plaine ondulĂ©e de Middlesex. Je contemplai la tour qui Ă©mergeait sombre et triste de la longue traĂźnĂ©e de brume de la Tamise, et j'admirai les nuages frangĂ©s d'or derriĂšre lesquels le soleil se couchait lentement. Le .spectacle Ă©tait si ravissant que ma compagne elle-mĂȘme, qui n'avait pas cessĂ© une seconde son joyeux babil, se tut quelques instants, et l'on n'entendit plus dans le silence du soir que le gazouillement des hirondelles voltigeant autour des crĂ©neaux. Lorsque le soleil eut disparu, Miss Anna m'avertit qu'il Ă©tait temps de songer au retour. Je jetai une derniĂšre fois un long regard sur cette admirable scĂšne, Ă  laquelle je ne pouvais m'arracher, et en me retournant j'aperçus un petit portefeuille, trĂšs Ă©lĂ©gamment reliĂ© en parchemin, oubliĂ© sur un banc de pierre du parapet. Je le reconnus aussitĂŽt, l'ayant vu souvent entre les mains de Babington, dont il portait d'ailleurs le nom gravĂ© en lettres d'or. 102 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Qu'est-ce que ceci? m'Ă©ciĂŻai-je Ă©tonnĂ© en prenant le joli livret, le portefeuille de Babington! Comment se trouve-t-il ici? » Miss Anna, dĂ©jĂ  tournĂ©e vers l'escalier, se prĂ©cipita vivement vers moi en poussant un cri et m'arracha le livre des mains. Mais presque aussitĂŽt elle se rendit compte qu'elle venait de se trahir elle devint pourpre et me dit d'une voix tremblante Pour l'amour de Dieu, cher monsieur Windsor, n'en dites rien Ă  grand-mĂšre ni Ă  ma soeur. » La pauvre enfant Ă©tait si troublĂ©e que j'eus pitiĂ© d'elle. Je ne me sentais d'ailleurs ni goĂ»t ni mission pour lui faire un sermon, ni aucune inclination pour le mĂ©tier de dĂ©lateur, d'autant plus que je ne suspectais aucunement les intentions de Babington. Mais j'Ă©tais outrĂ© de ce qu'il n'avait pas craint d'amener cette pauvre jeune fille, trĂšs innocente mais quelque peu Ă©tourdie, Ă  une rencontre cle ce genre dans le vieux chĂąteau, et je suppliai miss Anna d'ĂȘtre plus prudente Ă  l'avenir, puisqu'elle sentait combien une telle maniĂšre d'agir mĂ©contenterait les siens. Elle me le promit avec une sincĂšre expression de regret. En me renouvelant sa priĂšre de ne pas la trahir, elle voulut me faire une confidence, puisque j'Ă©tais l'ami de Babington c'est que dĂ©jĂ  avant la mort de son pĂšre elle Ă©tait devenue secrĂštement la fiancĂ©e de Babington. Elle trouvait que sa grand-mĂšre Ă©tait injuste Ă  l'Ă©gard de Babington; elle savait bien qu'elle n'obtiendrait jamais son consentement, mais c'Ă©tait un si bon et si joyeux jeune homme, et ils se convenaient si bien tous les deux, que jamais elle ne renoncerait Ă  lui. Maintenant que je possĂ©dais son secret, je devais ĂȘtre assez discret pour n'en pas livrer une syllabe. De son cĂŽtĂ©, elle promettait de m'aider Ă  conquĂ©rir sa soeur Marie, car elle avait bien remarquĂ© que je songeais Ă  elle. Tout en causant de la sorte nous nous approchions de la maison. Sur sa promesse de secours, je lui donnai Ă  entendre que je n'aurais sans doute pas Ă  y recourir, vu que mon affaire avec sa soeur semblait prendre dĂ©jĂ  assez bonne tournure, et que j'avais l'assentiment de sa grand-mĂšre. La jeune fille ouvrit de grands yeux et traita sa soeur d'hypocrite pour ne lui avoir rien dit. Je demandai en riant si elle-mĂȘme lui avait parlĂ© de la jolie vue qu'on a de la tour. Mais miss Anna avait rĂ©ponse Ă  tout. Son cas, dit-elle, Ă©tait tout diffĂ©rent et exigeait le secret, car l'antipathie prononcĂ©e de sa grand-mĂšre pour Babington ne lui laissait aucun espoir de succĂšs pour une explication et une demande en rĂšgle. Nous rentrĂąmes juste Ă  temps pour le souper, et la soirĂ©e se LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON 103 passa sans incident. Le lendemain, dimanche, ce fut l'oncle Barthy qui officia, le PĂšre Weston Ă©tant parti pour une de ses courses de mission dans les comtĂ©s de l'intĂ©rieur. AprĂšs la pieuse rĂ©union et les priĂšres qui tenaient lieu de messe, je descendis avec Frith pour babiller et nous promener au jardin. Je remarquai un cheval sellĂ©, et Ă©tonnĂ© d'un dĂ©part si matinal le dimanche, je me dirigeai avec l'enfant vers la grande porte. Quel ne fut pas mon Ă©tonnement de voir arriver Babington ! Il paraissait surexcitĂ©, bouleversĂ©. En m'apercevant il eut un geste de colĂšre et brandit sa cravache vers moi, en criant Bavard! vieille commĂšre! » Puis la cravache s'abattit sur les flancs de sa Diane, qui, peu accoutumĂ©e Ă  un pareil traitement, se cabra et faillit le dĂ©sarçonner. Je voulus le retenir et le questionner, mais il passa prĂšs de moi comme un ouragan et disparut en quelques secondes dans la forĂȘt. Frith et moi nous le regardions partir ahuris. Quelques instants aprĂšs je vis passer miss Anna, hors d'elle-mĂȘme et tout en larmes. TraĂźtre ! me cria-t-elle de loin avec colĂšre. » J'eus alors le mot de l'Ă©nigne. On avait rapportĂ© Ă  lady Bellamy le rendez-vous de la tour; elle en fit de sĂ©rieux reproches Ă  Babington, et comme celui-ci semblait prendre la chose Ă  la lĂ©gĂšre, elle lui signifia de ne plus reparaĂźtre Ă  la maison. Et tous deux m'accusaient maintenant d'avoir dĂ©truit leur bonheur. Cet incident me fut trĂšs pĂ©nible. C'en Ă©tait fait de mes relations d'amitiĂ© avec Babington. Plus tard mĂȘme, lorsqu'il eut appris que c'Ă©tait le vieux John qui l'avait dĂ©noncĂ© Ă  sa maĂźtresse, il continua Ă  me tenir rigueur, ce qui me mit probablement dans l'impossibilitĂ© d'empĂȘcher bien des malheurs. Pour ce jour-lĂ  cependant, tout entier Ă  ma joie,, j'oubliai presque cette fĂącheuse aventure. AprĂšs midi, je fus appelĂ© dans le grand salon du haut, que je connaissais si bien. J'y trouva la vĂ©nĂ©rable darne et miss Marie. Lady Bellamy me montra la fleur merveilleuse que j'avais vue Ă  diverses reprises dĂ©jĂ  elle Ă©tait dans son plein Ă©panouissement, et sur les cinq petites branches les fleurs rouges Ă©taient ouvertes. Jamais je n'en avais vu de semblables, et je n'ai jamais pu comprendre comment, ayant pris racine dans le plĂątre du plafond, elle y trouvait assez de force et de sĂšve pour un pareil accroissement. J'en fis la remarque Ă  lady Bellamy; elle me rĂ©pondit qu'elle considĂ©rait toujours cette plante extraordinaire comme un signe visible de la faveur cĂ©leste, et qu'elle avait toujours plaisir et consolation Ă  la regarder. Car, qu'elle fĂ»t ou non une fleur naturelle, 104 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ce n'Ă©tait que par une volontĂ© et une disposition spĂ©ciales de Dieu qu'elle avait poussĂ© et grandi en cet endroit. C'est pour cela qu'elle m'avait appelĂ© ici, afin que je pusse offrir ma main et mon premier baiser Ă  ma fiancĂ©e sous l'Ă©gide de cette fleur cĂ©leste. Et bien qu'il ne pĂ»t ĂȘtre question en ce moment de fiançailles publiques Ă  cause de leur deuil, Marie avait rĂ©solu dĂšs ce jour de m'engager sa parole. Imaginez-vous avec quel bonheur, sous la fleur merveilleuse et en prĂ©sence de la vĂ©nĂ©rable aĂŻeule, je mis ma main dans la main de ma chĂšre Marie. L'aĂŻeule fit sur nos fronts le signe de la croix. Ce n'Ă©tait point au milieu des plaisirs et du bruit, mais sous l'Ă©gide de Dieu, comme il convient aux enfants des saints, que nous devions faire ce premier pas si sĂ©rieux qui conduit Ă  l'autel, Ă  l'autel de l'alliance, oĂč nous serions un jour, si Dieu le voulait, unis par les liens du grand sacrement, figure de l'union de JĂ©sus-Christ avec sa sainte Eglise. Ainsi eurent lieu nos fiançailles, le dimanche Jubilaie de l'an de grĂące 1586. Mais avant les joies du mariage il devait couler bien des larmes. CHAPITRE XX Le mĂ©decin de Marie Stuart Peu de chose Ă  dire de notre visite Ă  la cour. Conduits par Saint-Barbe, Babington et moi, nous amenĂąmes Ă  Richmond le petit Frith, vĂȘtu d'un fort joli pourpoint de soie vert, et portant crĂąnement sa nouvelle toque de velours Ă  plumes. Mais la reine, ce jour-lĂ , Ă©tait indispoĂ©e, ou bien de mĂ©chante humeur ; elle ne quitta pas ses appartements. En vain nous passĂąmes un long temps au milieu des courtisans pour pouvoir la saluer au passage ; nous en fĂ»mes pour nos frais. Saint-Barbe et moi nous devions pourtant partir le lendemain pour Chartley. En consĂ©quence, nous confiĂąmes l'enfant, avec des recommandations toutes spĂ©ciales, Ă  lord Chamberlain, qui avait la haute direction des pages. Saint-Barbe se montra trĂšs aimable pour Frith, et lui remit mĂȘme un billet Ă  l'adresse de miss Cecil, pour la prier de s'intĂ©resser Ă  l'orphelin. Cette lettre, d'ailleurs, ne contenait rien de particulier, Ă  ce qu'assure Saint-Barbe, sinon une exhortation Ă  LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON IO5 miss Judith Ă  rester ferme dans la foi, avec la promesse de rĂ©futer bientĂŽt Campion. Je pris congĂ© de Frith, en l'embrassant comme mon futur petit beau-frĂšre, et lui recommandai de ne jamais oublier ses petites priĂšres Ă  la bonne MĂšre et Ă  son Ange Gardien, d'ĂȘtre avec cela toujours gai et aimable, et de s'adonner avec application aux exercices de chevalier, dans lesquels on instruit les jeunes pages. Lorsque nous le quittĂąmes il riait, mais dans ses yeux bleus il y avait des larmes. Et il dut bien un peu pleurer ce jour-lĂ  lorsqu'il, se vit seul au milieu de tous ces Ă©trangers. Mais ces larmes ne font pas de mal; c'est comme une pluie de mai qu'un beau soleil sĂšche bientĂŽt sur les feuilles et les fleurs. Le lendemain de bonne heure nous quittions Londres. Lorsque nous traversĂąmes Harrow, le soleil se levait et dorait de ses premiers rayons les girouettes des tours de Woxindon. Naturellement, je regardai vers la chĂšre demeure, et voilĂ  que tout Ă  coup j'aperçois, Ă  la fenĂȘtre du grand salon oĂč j'avais Ă©tĂ© fiancĂ© sous la fleur merveilleuse, une jeune femme debout, qui saluait avec son mouchoir. Ai-je besoin de vous dire si je rendis le salut? Mon compagnon semblait peu expansif; il me fut d'autant plus aisĂ© de jouir de la beautĂ© calme de cette aimable contrĂ©e du Middlesex et de Buckingham que nous mĂźmes toute la journĂ©e Ă  parcourir ; et je redisais avec mon cher Virgile Rura mihi et rigui placeant in vallibus amnes Flmnina amem silvasque. Combien j'aime ces vastes campagnes, et les ruisseaux sinueux au fond des vallĂ©es, et les riviĂšres et les forĂȘts ! Oui, j'apprĂ©cie ces beautĂ©s, et comme Virgile, j'envie le bonheur de ces laboureurs, qui, loin des luttes et du bruit des armes, trouvent en abondance sur le sol natal toutes les choses nĂ©cessaires Ă  la vie. O frotunalos nimium, sua si bona norint Agricolas ! Sur ce thĂšme tranquille du bonheur de la vie champĂȘtre, si bien chantĂ© par le poĂšte des GĂ©orgiques, je voulais entamer une conversation avec mon compagnon. Car je n'ai aucun plaisir, je dois le dire, Ă  chevaucher de longues heures, muet comme un chartreux, Ă  cĂŽtĂ© d'un autre humain. Je rĂ©ussis Ă  lui arracher quelques mots, et je remarquai bien vite que je n'avais point affaire Ă  un ami des IOÔ REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Muses, mais Ă  un homme sĂ©rieux qui- m'eut bientĂŽt engagĂ© dans une vĂ©ritable discussion sur diffĂ©rents points de doctrine religieuse. jamais je n'ai aimĂ© les disputes, alors fort Ă  la mode, sur les questions religieuses avec des personnes d'une autre croyance. L'expĂ©rience m'a fait voir qu'il n'en rĂ©sulte le plus souvent qu'une obstination et une amertume plus grandes de part et d'autre. Pourtant, je regardais comme un devoir pour moi de rĂ©pondre Ă  toutes les questions et de dĂ©fendre ma foi si l'on venait Ă  l'attaquer. C'est ce que je fis en cette occurrence avec Saint-Barbe ; je repoussai de mon mieux des attaques souvent trĂšs fortes ; et je dois lui rendre cette justice, qu'il parlait avec plus de calme et de raison que je ne l'aurais attendu d'un puritain. DĂ©jĂ  mĂȘme je me prenais Ă  espĂ©rer que je rĂ©ussirais peut-ĂȘtre Ă  le convaincre. GrĂące Ă  cette causerie, le voyage nous parut court, et malgrĂ© tous nos dĂ©saccords, nous Ă©tions restĂ©s trĂšs bons amis quand, le soir du second jour, nous arrivĂąmes Ă  Burton. Mais Saint-Barbe n'Ă©tait pas encore le moins du monde dĂ©cidĂ© Ă  embrasser notre religion, dans laquelle il persistait Ă  voir toujours trop d'Ă©lĂ©ments humains. A l'auberge du Dragon vert, je fis Ă  mon tour la connaissance du brasseur Tommy Bulky. Je ne pus m'empĂȘcher de rire en voyant pour la premiĂšre fois le gros homme, et de redire Ă  mon compagnon le mot du vieux Romain Toius ter es atque rotundus. Tout rond et cylindrique. Tommy ne parut pas autrement offusquĂ© de mon rire. Il demanda seulement Ă  mon compagnon si ce que je venais de dire n'Ă©tait pas un verset de la Bible, car on l'avait dĂ©jĂ  souvent comparĂ© Ă  ce vieux roi d'Amalec que SaĂčl immola sur l'autel du Seigneur, Ă  Galgala. Saint-Barbe rĂ©pondit que c'Ă©tait un mot des auteurs paĂŻens, que je connaissais bien mieux que la Bible, mais qu'il n'y avait lĂ  rien de mauvais. Le gros homme me regarda de travers et dit quelques mots tout bas Ă  Saint-Barbe. Celui-ci fit un signe de tĂȘte affirmatif, sur quoi le brasseur me tendit en riant sa grosse main. Pardon, Monsieur, j'aimerais bien que vous sachiez mieux les sentences de la Bible que celles des vieux paĂŻens. Mais puisque vous ĂȘtes le mĂ©decin de la prisonniĂšre de Chartley, qu'on nous a annoncĂ© ces jours-ci de Londres, je ne veux pas vous prendre de LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON IO7 pointe. Car, voyez-vous, c'est moi qui fournis la biĂšre Ă  la prisonniĂšre et Ă  toute sa maison, et de la biĂšre, Monsieur, comme on n'en boit pas de pareille dans toute la chrĂ©tientĂ©; de la biĂšre qui vaut mieux que toutes les potions imaginables des mĂ©decins du monde entier. Croyez-moi, Monsieur, c'est la pure vĂ©ritĂ©. Du reste, je dois encore vous dire une chose, c'est que je suis un partisan du pur Evangile, et que je ne crois rien quand on ne peut pas me le prouver par un bon texte de la Bible. — Dans ce cas, prenez garde, maĂźtre brasseur, rĂ©pliquai-je en riant, je crains bien que vous ne puissiez pas trouver dans la Bible un seul texte recommandant de boire de la biĂšre. Au contraire, c'est le vin qui a la prĂ©fĂ©rence, puisque saint Paul recommande Ă  son disciple TimothĂ©e d'en boire un peu Ă  cause de la faiblesse de son estomac Modico vino utere propter stomachum. — En effet, Monsieur, il n'est pas question de la biĂšre dans l'Écriture, et Ă  vous dire vrai, c'est la plus grave objection que j'aie entendue de ma vie contre le pur Evangile. J'en parlerai encore Ă  notre prĂ©dicateur, le RĂ©vĂ©rend Ezechiel Bitterstone. » En achevant ces mots, il donna un grand coup sur la table ; puis se ravisant aussitĂŽt, il reprit MalgrĂ© tout, voyez-vous, je ne crains pas de dire que si saint Paul avait connu notre biĂšre, il n'aurait pas manquĂ© de la recommander Ă  TimothĂ©e, plutĂŽt que le vin, et quand je dis notre biĂšre,, vous me comprenez, c'est la biĂšre de Buston, la mienne, Monsieur. » On rit et l'on se sĂ©para bons amis. R. P. SPILMANN. A suivre. AUTOUR DU MONDE Le voyage de M. DelcassĂ© Ă  Saint-PĂ©tersbourg a-t-il dĂ©pouillĂ© notre ministre des affaires Ă©trangĂšres de son anglomanie que d'aucuns disent incurable? Rien ne le prouve et certaines paroles, des dĂ©marches et des actes sembleraient mĂȘme Ă©tablir le contraire. Les optimistes malgrĂ© tout, ces hommes toujours intimement heureux parce que, bien pourvus, ils nient le malheur ; ces braves gens, quand on va leur dire que DelcassĂ© abat des noix, haussent les Ă©paules et doucement murmurent Vous n'y ĂȘtes pas. DelcassĂ© ! mais regardez-le donc et dites-nous dans un instant, aprĂšs un examen sommaire, si cet homme lumineux n'est pas le phare de la diplomatie universelle ? Cela, un ami obstinĂ© de l'Angleterre, quand la fortune change et quand la dĂ©bĂącle est proche ? DĂ©cidĂ©ment, pauvre homme, vous n'y ĂȘtes plus! —Cependant. — Cependant quoi? quand nous disons, nous, que vous n'y ĂȘtes pas! » Et trĂšs satisfaits d'eux-mĂȘmes, les oracles se retirent. Estimez-vous heureux que, pour vous assommer davantage, ils n'aient pas ajoutĂ© DelcassĂ©! caudataire des Anglais! mais il en est la terreur ! Ah ! je vous entends objecter SinguliĂšre terreur qu'inspire ce complaisant qui, aprĂšs tant de bluff, de provocations gratuites et de menaces outrageantes, aprĂšs Fachoda enfin, est encore le prĂ©sident de l'entente cordiale ! — Qu'est-ce que cela prouve? se seraiton contentĂ© de vous rĂ©pondre ! A moitiĂ© convaincu vous-mĂȘme et remĂ©morant des faits rĂ©cents, vous arrivez presque Ă  cesser de douter. Vous songez que DelcassĂ© a vu le tsar, que cette relation tout inattendue l'a charmĂ© et grisĂ©; qu'il a vu aussi des grands-ducs, frayĂ© avec les hauts dignitaires de l'empire! En conversant amicalement avec le comte de Mouraview, DelcassĂ© crut avoir rĂ©ellement entrevu l'envers des cieux. Ambitieux, il en veut voir maintenant l'autre cĂŽtĂ©. AUTOUR DU MONDE IO9 L'ambition aidant donc l'amitiĂ©, DelcassĂ© selon vous sera fidĂšle Ă  l'alliĂ© de Dieu... Comme preuve, vous rappellez-vous les toasts pleins de cordialitĂ© Ă©changĂ©s Ă  Saint-PĂ©tersbourg, et dans lesquels M. DelcassĂ© affirmait que l'alliance franco-russe se resserrait de plus en plus et ne pouvait avec le temps que gagner sans cesse en confiante cordialitĂ©. Ces paroles aimables, ces toasts chaleureux me font penser Ă  l'arche sainte qui contenait les tables oĂč a Ă©tĂ© gravĂ©e l'alliance conclue entre Dieu et IsraĂ«l. David dansait ferme et chantait fort, mais c'est l'Ăąne de Balaam qui aux yeux du peuple glorifiait rĂ©ellement le Seigneur, parce que, stupide Ă  souhait, il donnait du relief Ă  la vĂ©ritĂ© qu'il proclamait lorsqu'il ne pensait qu'Ă ... braire. Ainsi DelcassĂ© devant l'arche de l'alliance franco-russe... Ne croyez pas que j'exagĂšre. Si DelcassĂ© avait eu une notion exacte des devoirs qui incombent Ă  un patriote français, Ă  l'alliĂ© sincĂšre de la Russie, est-ce qu'aprĂšs Fachoda, alors que, au cours d'une alerte poignante l'opinion publique chez nous avait obtenu l'armement de nos cĂŽtes, la mise en dĂ©fense de nos colonies, l'envoi de troupes sur tous les points de notre domaine oĂč l'animositĂ© et la rapine pouvaient pousser notre implacable ennemie, est-ce que le lendemain d'une menace de guerre aussi inique que l'agression dont souffre l'Orange et le Transvaal, cet Ă©trange ministre des affaires Ă©trangĂšres se serait replongĂ© dans une incurie fatale Ă  l'honneur, aux intĂ©rĂȘts de la France? dans cette incurie coupable, faite d'autant de stupiditĂ© que de complaisances, dans laquelle l'Angleterre puise son insolence et sa sĂ©curitĂ©? Est-ce que les renforts envoyĂ©s en AlgĂ©rie et en Tunisie eussent Ă©tĂ© rappelĂ©s en France, d'oĂč il faut aujourd'hui les rĂ©expĂ©dier? Est-ce que les travaux de Bizerte eussent Ă©tĂ© ralentis, et l'armement des points d'appui de notre flotte laissĂ© Ă  l'Ă©tat de projet ? Est-ce que Madagascar serait encore Ă  la merci d'un coup de main, et nos intĂ©rĂȘts en Chine mis en Ă©chec jusques aux portes mĂȘme de Laos et du Tonkin? Aurions-nous enfin assistĂ© Ă  cet inĂ©narrable spectacle M. Lockroy, ancien ministre de la marine, demande 500 millions, partie pour la rĂ©fection et l'augmentation de nos escadres, partie pour la mise en Ă©tat de dĂ©fense de notre littoral et pour l'armement des points d'appui de notre flotte. La commission spĂ©ciale, frappĂ©e par l'exposĂ© des motifs et convaincue de la nĂ©cessitĂ© urgente des mesures proposĂ©es, vota le crĂ©dit des 500 millions Ă  l'unanimitĂ©. Alors surgit M. DelcassĂ© 500 millions, dit-il, pourquoi faire? Et il les refuse, ayant autre chose Ă  proposer. Il avait MO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sans doute Ă  consulter l'Angleterre, Ă  apprendre d'elle quelles mesures dĂ©fensives pouvait adopter la France sans Ă©veiller les susceptibilitĂ©s de la Grande-Bretagne ! On dira aprĂšs cela que DelcassĂ© est un patriote ; qu'il est, de plus, un "ami sincĂšre de la Russie, notre puissante alliĂ©e il n'en est rien; Ă  Saint-PĂ©tersbourg on le sait, et la patience qu'on tĂ©moigne Ă  PĂ©terhof repose uniquement sur la situation prĂ©caire du cabinet français actuel. Le tsar sait que le peuple français sympathise avec le peuple russe et qu'aucune dĂ©faillance gouvernementale chez nous ne prĂ©vaudrait contre l'alliance cordiale qui lie le sort de deux nobles nations Ă©galement Ă©prises de justice, d'honneur et de sage libertĂ©.. Il faut donc regretter que l'angoissante Affaire Dreyfus soit arrivĂ©e Ă  diviser les esprits chez nous, jusqu'au point de rendre possible au Quai d'Orsay un ministre ignare, sympathisant avec les pires ennemis de la France ; Ă  la Rue Royale un de Lanessan sectaire, qui a compromis la dĂ©fense de nos cĂŽtes, la sĂ©curitĂ© de nos colonies, et qui voudrait en outre repartir sur plusieurs exercices les crĂ©dits que les plus autorisĂ©s, les plus clairvoyants proposent d'appliquer Ă  l'achĂšvement rapide des navires en construction dans nos chantiers, comme s'il avait Ă  donner ainsi Ă  l'Angleterre des gages des sentiments d'abnĂ©gation et d'effacement qu'il impose Ă  la vaillante marine française; il faut regretter encore que, pour le mĂȘme motif, un Galliffet haineux et rageur puisse dĂ©sorganiser notre armĂ©e, dĂ©courager ses chefs, dĂ©saffectionner, qui pis est, le soldat de la discipline et du noble idĂ©al qu'entretient dans le coeur de la jeunesse la vue suggestive du drapeau glorieux ; il faut regretter, en un mot, que les politiciens sans conscience et les ploutocrates sans patrie guident la France hĂ©roĂŻque dans les sentiers tortueux oĂč sombrent aisĂ©ment les instincts et l'honneur d'une race, comme aussi la sĂ©curitĂ© d'une patrie. Croyez-le bien, ce n'est que sous l'irrĂ©sistible pression de l'opinion, alarmĂ©e par les menaces persistantes de l'Angleterre, par ses projets avouĂ©s contre nos colonies, que le ministĂšre français se dĂ©cide enfin Ă  tenter quelque chose pour complĂ©ter la dĂ©fense de nos cĂŽtes et de nos possessions lointaines. Il a mis fin brusquement au voyage d'agrĂ©ment commandĂ© Ă  l'amiral Fournier en Orient. Il faut croire qu'on s'est rendu compte Ă  la Rue Royale, un peu tard nĂ©cessairement, que l'Ă©trange concentration des escadres anglaises Ă  Gibraltar justifiait la concentration des forces françaises AUTOUR DU MONDE II I Ă  Toulon ; on a pensĂ© que les desseins inavouĂ©s que laissait transpirer cette concentration anglaise imposaient des mesures prĂ©servatrices, mĂȘme dans l'Atlantique, et l'on a rĂ©uni en toute hĂąte l'escadre du Nord dans le port de Brest pour complĂ©ter son armement, pour remplir les soutes en vue des pires Ă©ventualitĂ©s. On a prescrit, en outre, d'activer les travaux des chantiers, et l'on se hĂąte de diriger sur l'AlgĂ©rie et la Tunisie, sur Madagascar, des troupes et du matĂ©riel de guerre. De grands travaux sont de plus entrepris dans les ports du Havre, de Cherbourg, de Bizerte et d'Oran pour en faire des refuges accessibles aux plus forts cuirassĂ©s; la dĂ©fense de la Corse sera enfin assurĂ©e par la crĂ©ation d'un rĂ©giment nouveau et l'organisation de cadres capables d'utiliser les rĂ©serves et les volontaires de cette Ăźle qui pourrait ĂȘtre isolĂ©e ‱de la France et livrĂ©e Ă  elle-mĂȘme. La Chambre a votĂ© deux douziĂšmes provisoires pour n'en point perdre la mauvaise habitude. Jugeant ensuite inutile, vu le temps dĂ©jĂ  perdu et l'impossibilitĂ© d'aboutir avant la fin de l'annĂ©e dans l'examen du budget de 1900, elle a sollicitĂ© un congĂ© anticipĂ© que le gouvernement n'eut garde de lui refuser. Par la mĂȘme occasion, et pour mettre Ă  profit l'impatience qu'on avait autour de lui de regagner ses foyers, Waldeck-Rousseau a revendiquĂ© pour lui seul la responsabilitĂ© du procĂšs pendant devant la Haute Cour. Il avoua mĂȘme, et sans façon, qu'il ne s'agissait lĂ  ni de rĂ©primer un complot ni de poursuivre des dĂ©lits avĂ©rĂ©s, mais simplement de rĂ©pondre aux dĂ©fis des nationalistes ! Depuis quand donc la Haute Cour a-t-elle charge et mission de rĂ©primer les dĂ©fis qu'un parti politique peut jeter Ă  un autre? Les Invalides du Luxembourg trouveront peut-ĂȘtre, et avec raison, que ce service de plongeurs de la vaisselle ministĂ©rielle est rĂ©pugnante; que la Constitution, du reste, leur donne dans l'Etat un rĂŽle plus relevĂ© Ă  tenir, et qu'il leur importe peu de dĂ©fendre les parias de la politique interlope contre le flot montant du mĂ©pris public. Jusqu'ici cependant il semblerait qu'ils sont moins fiers que cela et que les petits profits de la complicitĂ© ne les rebutent pas. . Tous les tĂ©moins ont Ă©tĂ© entendus, toutes les preuves, .bonnes et mauvaises, authentiques et fabriquĂ©es, ont Ă©tĂ© produites, et dĂ©sormais il est Ă©tabli jusqu'Ă  l'Ă©vidence qu'il n'y a jamais eu entente entre les partis politiques incriminĂ©s et que, par suite, de complot il n'en existe pas ! D'oĂč il rĂ©sulte que la Haute Cour, ayant . Ă©tĂ© rĂ©unie pour connaĂźtre d'un formidable complot contre les insti- I 12 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tutions publiques, devrait reconnaĂźtre l'inanitĂ© de l'accusation, acquitter les accusĂ©s en leur offrant des excuses lĂ©gitimes et une indemnitĂ© Ă©quitable... demander aussi au gouvernement dans quel but il l'a couverte de ridicule en se moquant d'elle. Ils prĂ©fĂ©reront condamner parce qu'ils sont, avant tout, avant mĂȘme d'ĂȘtre des juges, des hommes de parti, des politiciens militants, prĂ©venus, haineux, trop satisfaits de tenir Ă  leur discrĂ©tion un adversaire courageux, qui les mĂ©prise voilĂ  le crime ! DĂ©roulĂšde, quoique terrassĂ© par les privations, les intempĂ©ries et par un mal implacable, s'arracha de sa couche et se traĂźna jusqu'Ă  l'audience. M. Marcel Habert, dĂ©putĂ© de Versailles, rĂ©fugiĂ© Ă  l'Ă©tranger, venait de rentrer en France pour reprendre sa place Ă  cĂŽtĂ© de son ami, pour souffrir la persĂ©cution injuste avec lui. MalgrĂ© l'immunitĂ© parlementaire qui le couvrait, M. Marcel Habert fut arrĂȘtĂ© et incarcĂ©rĂ© le 19 dĂ©cembre. M. DĂ©roulĂšde voulait, en personne, plaider la cause de son ami, protester contre la haine fĂ©roce qui s'acharnait aprĂšs lui. Messieurs, dit-il Ă  ses juges, je tiens Ă  revendiquer, dans le retour de mon ami Marcel Habert, la part qui me revient. Marcel Habert est parti Ă  ma priĂšre, parce que je considĂ©rais qu'il Ă©tait inutile de nous asseoir tous les deux sur les mĂȘmes bancs, pour ĂȘtre tous les deux certainement condamnĂ©s. Mais Marcel Habert m'a vu malade. Bien que je l'aie rassurĂ© en vain par mes lettres, il s'est dit Aucun de nous ne pourrait prendre la dĂ©fense de notre cause devant vous. 11 a vu, par les articles de M' 110 Gyp et de mon ami François CoppĂ©e, que l'on s'en inquiĂ©tait ; il savait que je ne pouvais occuper ma place ici ; il a voulu dĂ©fendre devant vous la RĂ©publique du peuple, pour et par le peuple, il a voulu attaquer Ă  son tour, comme moi, la RĂ©publique du Parlement au profit du Parlement. Lorsque j'ai su qu'il Ă©tait arrivĂ©, dĂšs hier, je voulais prendre place ici, non pas pour discuter son droit de combattre Ă  mon cĂŽtĂ©, mais pour le remercier publiquement de ce qu'il avait fait. Il paraĂźt qu'on veut dĂ©libĂ©rer pour savoir si l'on doit nous disjoindre aprĂšs que nous nous sommes rejoints je ne puis le croire. Les avocats plaideront le droit qu'ont deux complices, qui marchent cĂŽte Ă  cĂŽte et coeur Ă  coeur depuis trois ans, d'ĂȘtre jugĂ©s ensemble. Je ne sais pas ce que rĂ©pondra l'esprit judiciaire du SĂ©nat. Je veux croire qu'il y a parmi vous assez de solidaritĂ©, de sentiment humain et que vous ne me sĂ©parerez pas de mon camarade de combat, de mon camarade de condamnation. Si j'avais fait plus tĂŽt l'effort que je fais aujourd'hui, il ne serait pas lĂ . Ne lui faites pas payer l'inquiĂ©tude qu'il a Ă©prouvĂ©e pour son ami. Il est venu pour remplir un devoir rendez-le Ă  la justice qui va le condamner. Ne vous attardez par sur ce point de droit discutable. Il ne viendra pas pour vous faire perdre votre temps. Il vient pour servir sa cause au milieu de vous, frappez-le, mais au moins jugez-le ! » Le prĂ©sident. — Voici, messieurs, la requĂȘte qui m'est transmise par Me Chenu, au nom de Marcel Habert AUTOUR DU MONDE IIJ Le requĂ©rant a l'honneur, messieurs, de vous exposer qu'Ă  la date du 10 dĂ©cembre prĂ©sent mois, l'ordonnance portant qu'il serait tenu de se reprĂ©senter dans les dix jours, a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement affichĂ©e et publiĂ©e ; Qu'Ă  la date du 19 dĂ©cembre, et par consĂ©quent dans ledit dĂ©lai, le requĂ©rant s'est prĂ©sentĂ© Ă  la Haute-Cour pour dĂ©fĂ©rer au voeu de ladite ordonnance; qu'il a Ă©tĂ© le mĂȘme jour apprĂ©hendĂ© et incarcĂ©rĂ© ; Qu'il a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement interpellĂ© d'avoir Ă  se prĂ©senter Ă  l'audience pour y ĂȘtre jugĂ©, tant par ladite ordonnance que par l'arrĂȘt de renvoi et l'acte d'accusation ; Qu'en consĂ©quence, il doit ĂȘtre conduit Ă  l'audience pour y ĂȘtre jugĂ© en mĂȘme temps que les autres accusĂ©s ; Il requiert donc qu'il vous plaise, messieurs, dire qu'il sera conduit Ă  l'audience, et que sa cause sera jointe Ă  celle des autres accusĂ©s pour ĂȘtre sur le tout statuĂ© par un seul et mĂȘme arrĂȘt. Et ce sera justice. » MalgrĂ© ce droit Ă©vident et les arguments pĂ©remptoires de la dĂ©fense, la Haute-Cour dĂ©clara disjoindre la cause des deux amis. En mĂȘme temps la Chambre dĂ©clarait suspendue l'immunitĂ© parlementaire en ce qui concerne M. Marcel Habert. Ce qui donne la mesure de l'iniquitĂ© dont sont capables deux assemblĂ©es dĂ©libĂ©rantes subjuguĂ©es parla crainte et le parti-pris. OutrĂ© par des violations incessantes de la loi toujours renouvelĂ©es et par le dĂ©bordement de l'esprit sectaire chez des juges qui affectaient de n'ĂȘtre en la circonstance que des exĂ©cuteurs aux gages du gouvernement, DĂ©roulĂšde rentre en scĂšne frĂ©missant de colĂšre DĂ©roulĂšde. — En venant ici, j'avais fait pour Marcel Habert un effort pĂ©nible. AprĂšs ce qui vient d'ĂȘtre dit, et n'ayant aucun doute, d'une part, sur l'obĂ©issance de la magistrature assise aux ordres du gouvernement... Le prĂ©sident. — Monsieur DĂ©roulĂšde, je vous arrĂȘte... DĂ©roulĂšde. — Je suis dĂ©jĂ  arrĂȘtĂ© ! Le prĂ©sident. — Vous venez d'adresser un outrage Ă  la juridiction devant laquelle vous comparaissez, Ă  la magistrature.. DĂ©roulĂšde. — A l'une et Ă  l'autre; Ă  celle-ci et Ă  celle-lĂ . Le prĂ©sident. —Je donne la parole Ă  M. le Procureur gĂ©nĂ©ral. DĂ©roulĂšde. —J'ajoute, Monsieur le PrĂ©sident... Le prĂ©sident. —Je vous retire la parole. Vous avez prononcĂ© des paroles outrageantes pour la Cour. DĂ©roulĂšde. — Je tiens Ă  les rĂ©pĂ©ter... Le prĂ©sident. — Vous n'avez rien Ă  dire! DĂ©roulĂšde.—"i M s i "' p Revue FinanciĂšre Les Boers sont des sectaires sincĂšres et loyaux dont l'erreur, aux yeux du thĂ©ologien, paraĂźtra transitoirement invincible. Us sont justes et braves, et comme IsraĂ«l avant la prĂ©varication, ils aiment et ils craignent le Seigneur, ils espĂšrent en lui. Cela vaut mieux que d'ĂȘtre, comme l'Anglais jingoĂ« et autre, sectaire uniquement pour le prompt placement d'une pacotille, fĂ»t-elle biblique. Or donc, l'Anglais, comme le citoyen romain, se sentant riche, se croyait invincible, et il ne se gĂȘnait pas, par amour de la tradition, d'envier le bien du pauvre et de vouloir l'accaparer en passant. Le pauvre, c'Ă©tait le Boer, et le chemin que parcourait ce bandit lĂ©gendaire qui rĂŽde sur les grands chemins du continent, qui Ă©cume les mers, passait par le cap de Bonne-EspĂ©rance. Le bon espoir reposait Ă©videmment sur le voisinage des mines d'or et des mines de diamant*, enfin il y avait par lĂ , pour l'Anglais cupide, de la bonne espĂ©rance. L'Angleterre, la grande Angleterre, dĂ©clare la guerre au petit Transvaal ; 400 millions d'hommes contre habitants rustiques, isolĂ©s, mĂ©connus, et, pour cause de faiblesse notoire, abandonnĂ©s Ă  leur pĂ©nible sort. L'Angleterre songĂ© Ă  une promenade militaire de Bloemfontein Ă  Pretoria 3 elle prĂ©pare plutĂŽt les violons que les canons, et elle se met en route. Le Transvaal, qui ne veut ni chant ni danse, mais qui voudrait raisonner uniquement, prĂ©pare des flĂ»tes Ă  sa façon. On en Ă©couta les premiers accords Ă  GiencoĂ«, Ă  Elangslaate, Ă  Mafeking, Ă  Kimberley, Ă  Ladysmith, Ă  Nicolson' neck ; la contre-danse se poursuivit Ă  Belmont, Ă  Grasspan, Ă  Modder-River, Ă  Maggersfontein ; d'autre part, Ă  Stormberg et Ă  Colenso; enfin, pour le pirate universel, il n'Ă©tait plus, aprĂšs vingt Ă©checs sanglants, question de penser Ă  Majouba-Hill, mais uniquement de se sauver la face dans une Ă©pouvantable mĂ©saventure oĂč ses meilleurs calculs trahissaient son attente, mettant en jeu sa fortune sĂ©culaire. En un mot, la scie triomphait de la baleine ; et malgrĂ© les suprĂȘmes efforts et la mobilisation des rĂ©serves derniĂšres, l'issue de la lutte est ajournĂ©e, en tous cas reste douteuse. Et tout ce remue-mĂ©nage dans le Sud-Africain nĂ©cessite des dĂ©penses lourdes, imprĂ©vues. Or, ces dĂ©penses nĂ©cessitĂ©es par l'entretien d'Ă©normes effectifs, par des transports insolites et des approvisionnements onĂ©reux, coĂŻncident avec la suspension des 30 Ă  40 millions d'or des mines du Transvaal, avec les retraits qu'occasionne l'humeur nomade des nationaux britanniques Ă  cette saison, avec les exigences du commerce d'importation britannique. D'oĂč disette d'or en Angleterre et nĂ©cessitĂ© de l'Ă©lĂ©vation du taux d'escompte de la Banque d'Angleterre. D'oĂč pour l'Angleterre crise commerciale, crise financiĂšre, crise politique et militaire. Les Anglais qui, ayant escomptĂ© les victoires anglaises et considĂ©rĂ© prĂ©maturĂ©ment les valeurs miniĂšres. du Transvaal comme des valeurs britanniques, REVUE FINANCIÈRE 125 s'Ă©taient gavĂ©s de mines d'or jusqu'Ă  l'Ă©tranglement, n'ont pu attendre le triomphe ; il a fallu rendre les achats, comme on rend l'Ăąme, avec dĂ©chirement! d'oĂč crise des mines d'or et faillites nombreuses Ă  Londres. On aurait pu se rĂ©jouir sans rĂ©serve de la dĂ©bĂącle britannique si la solidaritĂ© des marchĂ©s financiers n'avait Ă©tĂ© un fait inĂ©vitable. Londres flĂ©chissant, Paris baisse, et Berlin, et Francfort, et Bruxelles. Pour Ă©viter le drainage de notre or, la Banque de France a dĂ» porter son escompte de 3 1/2 0/0 Ă  4 1/2 0/0 et ses avances sur titres de 4 Ă  5 0/0. Ces taux d'emprunt et d'escompte Ă©levĂ©s alors que la rente et les obligations ne rapportent guĂšre que 3 h. ^ 1/2 0/0, dĂ©couragent la spĂ©culation et la ralentissent, d'oĂč crise Ă  la Bourse et dĂ©jĂ  crise commerciale, et voilĂ  comment, Ă  Paris mĂȘme, le monde des affaires, trĂšs content de voir rincer l'Angleterre, pĂątit de ses mĂ©saventures... par contre-coup, passager certainement. La Banque d'Angleterre attend son salut, comme en 1890, de l'intervention de la Banque de France et de la Russie ; mais aujourd'hui, ni la France ni la Russie n'interviendront pour encourager les pirates qui opĂšrent sur les confins du Transvaal. Nous devons aux Boers, sinon des encouragements militaires, du moins l'aide d'une coalition financiĂšre qui peut prĂ©parer sinon amener la victoire du faible opprimĂ©. 11 n'est pas vrai que la Finance internationale soit sans prĂ©voyance et. sans coeur. Le marchĂ© a donc Ă©tĂ© trĂšs mouvementĂ© cette quinzaine. Toutes les banques d'Etat ont Ă©levĂ© le taux de leur escompte Ă  un cours inusitĂ©. On cote 3 0/0 99 ; Amortissable, 99,22 531/2 0/0, 101,45 ; ExtĂ©rieure espagnole, 65,60; Italien, 93,50; Portugais 3 0/0, 23. Les fonds Ă©gyptiens sont faibles la PrivilĂ©giĂ©e, 99,75; VUnifiĂ©e, 102,90; la DaĂŻruh-Saniet,-102; le BrĂ©silien, faible Ă  58,60 ; le Russe j 0/0, 1891, 85,90; 1896, 85,90. Les fonds turcs ont suivi le courant gĂ©nĂ©ral en arriĂšre SĂ©rie B, 46; SĂ©rie C, 25,72; SĂ©rie D, 25,75; l'Obligation 5 0/0 1896, 491. Banque de France, 4320; CrĂ©dit Foncier, 725; Banque de Paris, 1087; CrĂ©dit Lyonnais, 997; SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, 599; CrĂ©dit Industriel, 627,50; Lfon, 1810; Nord, 2135; OrlĂ©ans, 1690; Midi, 1340; Est, 980; Ouest, 1074; Sucç, 3520; Messageries maritimes, 550; Chargeurs RĂ©unis, 1205; Transatlantique, 367,50; Omnibus, 1760; Voitures, 574; Gaç de Paris, 1075; Mines d'or les Anglais Ă©tant en dĂ©route, on parie pour les Boers; mais les mines baissent en attendant l'issue de la guerre qui s'Ă©loigne dans les brouillards de l'avenir incertain. La Robinsoua. flĂ©chi Ă  198; la Ferrcira Ă  472; la Simmer and Jack Ă  127,50; la Wemmer Ă  242; la Geldenhuis a montĂ© de 136 Ă  141 ; la Village main reef rĂ©agit Ă  197 50; la Consolidated main reef Ă  48; la Rand Mines de 836 Ă  815; VEasl Rand de 149,50 Ă  140,50; la sociĂ©tĂ© Goerç et Cio de 57 Ă  56. La Robinson deep a flĂ©chi de 109 Ă  103 ; la Geldenhuis deep, de 205 Ă  194; la MossamedĂšs, de 23 Ă  2i. La Chartered passe de 79 Ă  74,25. VHippodrome a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© entre 116 et 113. Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville et de Montagny {Savoie. — Nous attirons la plus sĂ©rieuse attention de nos lecteurs sur le Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville et Montagny, et nous' leur recommandons instamment de s'intĂ©resser dans cette excellente affaire qui ©ftre, outre tant d'avantages particuliers, un intĂ©rĂȘt national incontestable. Par suite de la rĂ©solution prise par le ministre compĂ©tent d'accorder Ă  la commune de Saint-Martin, Ă  titre de concession dĂ©finitive, la lĂ©gĂšre portion distraite d'un commun accord de l'importante concession demandĂ©e parle Syndicat des Mines I2Ô REVUE DU MONDE CATHOLIQUE d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville, cette derniĂšre demande a dĂ» ĂȘtre modifiĂ©e et rĂ©introduite sods une forme nouvelle, diminuĂ©e naturellement de la faible partie cĂ©dĂ©e Ă  la commune intĂ©ressĂ©e. M. Adrien Gacon, agissant au nom du Syndicat, a fait sa demande de fouilles, et pour l'appuyer, comme l'annonce Y Avenir des Alpes du 25 Ă©coulĂ©, M. Gacon a dĂ©posĂ© une somme de francs entre les mains de Mc Jorioz, notaire, qui en a dĂ©livrĂ© un reçu ainsi libellĂ© ETUDE DE Mc JORIOZ, NOTAIRE A MOUTIERS SAVOIE. Reçu de M. Gacon Adrien, demeurant Ă  Paris Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville, la somme de DIX MILLE FRANCS Ă  verser Ă©ventuellement Ă  la commune de Saint-Martin de Belleville. Moutiers, le 17 novembre 1899. SignĂ© M° JORIOZ, notaire. » Ces fonds ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s par M0 Jorioz Ă  la Caisse des dĂ©pĂŽts et consignations le 18 novembre 1899, rĂ©cĂ©pissĂ© n° Nous avons vu, ajoute Y Avenir des Alpes, avec le plus vif plaisir M. Gacon renouveler sa demande de permis de fouilles des Mines d'Anthracite de SaintMartin de Belleville. Il est Ă  souhaiter que le conseil municipal de la commune prenne en sĂ©rieuse considĂ©ration cette demande, qui fixera aussi bien les demandeurs que les propriĂ©taires sur la valeur de ces anthracites. Dans l'intĂ©rĂȘt du pays, il est Ă  souhaiter que les fouilles confirment la tradition qui indique les gisements de Saint-Martin comme Ă©tant d'une richesse exceptionnelle. Cela permettra alors au Syndicat d'apporter des capitaux importants pour la mise en exploitation sĂ©rieuse de ces gisements. Le Syndicat de Saint-Martin de Belleville, en attendant la dĂ©cision qu'il sollicite et dont le rĂ©sultat ne peut que lui donner satisfaction, a tournĂ© son activitĂ© vers le massif de Montagny dont les richesses houillĂšres ne le cĂšdent en rien Ă  ceux de-Saint-Martin. Nous avons dĂ©jĂ  dit les acquisitions que le Syndicat y a faites, les fouilles heureuses qu'il y a opĂ©rĂ©es ; il vient enfin d'ĂȘtre admis Ă  l'affichage de la demande de concession pour Montagny que voici RÉPUBLIQUE FRANÇAISE PREFECTURE DE LA SAVOIE DEMANDE EN CONCESSION DES MINES D'ANTHRACITE AVIS Par une pĂ©tition du 26 aoĂ»t 1899, M. Adrien Gacon, agissant au nom du Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville Savoie, dont le siĂšge social est Ă  ChĂąteauroux Indre, 19 bis, avenue de DĂ©ols, et dĂ»ment autorisĂ© Ă  cet effet, sollicite une concession de mines d'anthracite sur le territoire de la commune de Montagny, arrondissement de Moutiers Savoie. Cette concession sera limitĂ©e ainsi qu'il suit Au nord, par une ligne droite allant du point 1, angle ouest d'un prĂ© au Cudrayy appartenant Ă  Clerc Angeline, et cadastrĂ© sous le numĂ©ro 97 de la mappe ir° partie, au point 2, angle ouest d'une masure, sise Ă  Prachefert, appartenant Ă  Favre Martin, et cadastrĂ© sous le numĂ©ro 3346 de la mappe montagne. Au nord-est, par une ligne droite joignant ledit point 2 au sommet du clocher ‱de la chapelle de Morange, et prolongĂ©e jusqu'au point 3, sur l'axe du ruisseau de la Roche. REVUE FINANCIERE I 27 Au sud-est, par l'axe dudit ruisseau depuis le point 3 jusqu'au point 3 bis, sur le bord nord du chemin vicinal numĂ©ro 3 des Vignes. Au sud, par le bord nord dudit chemin, depuis ledit point 3 bis jusqu'au point 4, angle ouest d'une vigne Ă  Champ-Long, appartenant Ă  Thomas Martin, et cadastrĂ©e sous le numĂ©ro de la mappe 6e partie^. Au sud-ouest, par une ligne droite joignant ledit point 4 au point 5, angle ouest d'une grange, sise Ă  la Thuile, appartenant Ă  Eynard-Machet Jean-Baptiste, et cadastrĂ©e sous le numĂ©ro 8241 de la mappe 2e partie. Au nord-ouest, par une ligne droite joignant ledit point 3 au point 1 de dĂ©part. Lesdites limites renfermant une Ă©tendue superficielle de 5 kilomĂštres carrĂ©s 1 hectare. Le pĂ©titionnaire offre aux propriĂ©taires des terrains compris dans la concession demandĂ©e une redevance trĂ©fonciĂšre annuelle de sept centimes et demi par hectare. Il s'engage Ă  livrer Ă  1 fr. 25 les 100 kilogrammes, sur le carreau de la mine, le charbon nĂ©cessaire au chauffage des Ă©coles et de la mairie de Montagny. Il s'engage Ă  livrer Ă  1 franc les 100 kilogrammes, sur le carreau de la mine, le charbon nĂ©cessaire aux habitants de Montagny, pour leurs usages personnels. Il s'engage en outre Ă  verser, pour terminer la route de Montagny Ă  Moutiers, une redevance de dix mille francs fr.. A la demande est annexĂ© un plan en triple expĂ©dition et sur une Ă©chelle de dix millimĂštres pour cent mĂštres de la concession sollicitĂ©e. Ladite demande porte sur le mĂȘme pĂ©rimĂštre que celle de MM. Duras, EynardMachet, LĂ©ger et Chapuis, affichĂ©e en vertu d'un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral du 13 mai 1899. ARRÊTÉ Le PrĂ©fet de la Savoie, Vu la loi du 21 avril 1810, modifiĂ©e par la loi du 27 juillet 1880, ArrĂȘte Le prĂ©sent avis sera affichĂ© pendant deux mois, du 12 novembre 1899 au 12 janvier 1900, Ă  Montagny, Ă  Moutiers et Ă  ChambĂ©ry. Il sera, pendanr la durĂ©e de l'enquĂȘte lĂ©gale, insĂ©rĂ© deux fois, et Ă  1 mois d'intervalle, dans les journaux du dĂ©partement et dans le Journal officiel. 11 sera en outre adressĂ© au PrĂ©fet de l'Indre, qui est priĂ© de le faire Ă©galement afficher pendant le mĂȘme dĂ©lai Ă  ChĂątcauroux, oĂč est situĂ© le siĂšge de la SociĂ©tĂ©demanderesse. 11 "sera publiĂ© dans les communes ci-dessus dĂ©signĂ©es, devant la porte de la maison commune et de l'Ă©glise, Ă  la diligence des maires, Ă  l'issue de l'office, un jour de dimanche, au moins une fois par mois, pendant la durĂ©e des affiches. La pĂ©tition et les plans sont dĂ©posĂ©s Ă  la prĂ©fecture, oĂč le public pourra en prendre connaissance en vue des oppositions et des demandes en concurrence auxquelles la demande actuelle pourrait donner lieu. ChambĂ©ry, le 30 octobre 1899. Le PrĂ©fet, A. DU GROSRIEZ. On sait que l'anthracite est, de tous les charbons de terre, le plus recherchĂ© et le plus cher conseillĂ©, sinon exigĂ© par tous les appareils calorifĂšres. Les gise- 128 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ments de Saint-Martin de Montagny commençant en affleurement sur des sommets de montagnes, et la main-d'oeuvre Ă©tant bon marchĂ©, l'extraction est facile et peu chĂšre. On sait, d'autre part, quelle hausse se produit sur les charbons. Le prix des transports a Ă©tĂ© Ă©valuĂ© avec la plus grande prĂ©cision. Il ressort un bĂ©nĂ©fice net de plus de vingt francs par tonne. Chaque annĂ©e, il y aura progression considĂ©rable dans l'extraction, qui peut atteindre cinquante Ă  soixante mille tonnes par an. Qui connaĂźt l'histoire d'Anzin et des autres principales mines de charbons ne sera point Ă©tonnĂ© de pareils rĂ©sultats et ne saurait Ă©mettre un doute sur l'avenir d'un pareil titre. DĂšs la formation du Syndicat, la part a Ă©tĂ© cĂ©dĂ©e Ă  ioo francs sans majoration. Nous la proposons maintenant Ă  102 et ajoutons Nous surveillerons vos intĂ©rĂȘts, d'autant mieux et plus efficacement que nous faisons partie du Conseil de surveillance. Pour cette souscription, nous vous donnerons de grandes facililtĂ©s, c'est-Ă -dire si vous n'avez pas de fonds disponibles en ce moment, la facultĂ© de rĂ©gler le montant de votre achat par des traites acceptĂ©es et payables dans trois mois. Nous avons cru vous ĂȘtre agrĂ©able et servir vos intĂ©rĂȘts en vous mettant Ă  mĂȘme de saisir au passage cette occasion exceptionnelle. » VOIR AUX ANNONCES. Novo Pavlovlia Ă  partir du 25 Ă©coulĂ© le coupon des obligations de Novo Pavlovka est payable Ă  raison de Banque française d'Emissions l'AssemblĂ©e tardivement convoquĂ©e pour le 23 dĂ©cembre n'a pu ĂȘtre tenue faute d'un nombre d'actions suffisant reprĂ©sentĂ©es. L'AssemblĂ©e est remise au 10 janvier et elle aura Ă  se prononcer sur la fusion de cette banque avec la Banque nationale des Industries, directeur M. E-ardeL Sacs et cornets en papier l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale convoquĂ©e pour le 18 dĂ©cembre n'a pu ĂȘtre tenue faute d'actionnaires reprĂ©sentĂ©s. La SociĂ©tĂ©, compromise par les sieurs Le Picard et PĂ©val, ne marche plus. Les actionnaires auront des comptes Ă  demander Ă  ces administrateurs responsables. Le Picard, immĂ©diatement mis en cause, s'est comportĂ© comme Bideldans sa mĂ©nagerie il voulait jeter Ă  la porte les actionnaires rĂ©calcitrants, d'oĂč lui vient le surnom de Picard la Foire ou Bidel l'EcornĂ©. Ces violences ne le dispenseront cependant pas de fournir des comptes Ă  qui de droit. Nous engageons les actionnaires lĂ©sĂ©s de s'unir au besoin pour exercer leurs revendications. Alliance de la Presse; 133. — LigugĂ© Vienne, — Imp. Saint-Martin. M. BlutĂ©. — 12-99. L'Eglise catholique Ă  la fin du XIX' siĂšcle Nous vivons au milieu de l'Eglise, et nous ne la connaissons pas ! N'est-ce pas, en vĂ©ritĂ©, ce que peuvent se dire le trĂšs grand nombre, je ne dis pas des incroyants et des indiffĂ©rents, mais des catholiques? Faire connaĂźtre l'Eglise dans son organisation, dans sa hiĂ©rarchie et dans son administration actuelle voilĂ  donc ce qui a inspirĂ© Ă  un comitĂ© de savants prĂ©lats et de religieux Ă©minents — de nationalitĂ©s diffĂ©rentes, pour offrir une image plus sensible de l'Eglise universelle — la pensĂ©e d'Ă©lever en cette fin de siĂšcle, et en l'honneur de cette mĂȘme Eglise, un monument durable et digne d'attirer et de retenir l'attention. Pour cela, les Ă©diteurs se sont servis de toutes les ressources de l'art et de tous les procĂ©dĂ©s d'invention rĂ©cente pour mettre l'exĂ©cution artistique de l'ouvrage Ă  la hauteur de son objet ». Et de fait, merveilleuse — si j'en juge d'aprĂšs les livraisons dĂ©jĂ  reçues — merveilleuse en sera l'illustration, qui comprendra un portrait en couleur du Saint-PĂšre, soixante portraits hors texte, et environ onze cents illustrations intercalĂ©es dans le texte. LĂ©on XIII a daignĂ© honorer l'hommage de cette grande publication et a donnĂ© sa bĂ©nĂ©diction aux Ă©diteurs, aux diffĂ©rents Ă©crivains, auteurs, artistes, et Ă  tous ceux qui y collaborent » Lettre du cardinal Rampolla. Quant aux noms des souscripteurs, ils seront rĂ©unis dans un album pour ĂȘtre dĂ©posĂ©s aux pieds de Sa SaintetĂ© comme hommage et comme tĂ©moignage d'universelle vĂ©nĂ©ration. De plus, et pour rĂ©pondre au voeu du Souverain Pontife, l'ouvrage doit ĂȘtre publiĂ© en plusieurs langues. La premiĂšre Ă©dition, en langue allemande, a dĂ©jĂ  paru Ă  Vienne. L'Ă©dition française a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  la maison Pion, dont la renommĂ©e n'est plus Ă  faire. Ceci dit, entrons dans le coeur de l'ouvrage. A la lumiĂšre des REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER I9OO 5 130 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE premiers fascicules, nous Ă©tudierons d'abord le Pontife dont la sereine et verte vieillesse prĂ©side Ă  cette fin de siĂšcle. Les fascicules suivants nous fourniront l'occasion de pĂ©nĂ©trer dans l'intime de la constitution de l'Eglise. 1, — LÉON XIII 1 Nous sommes au 7 fĂ©vrier 1878. Pie IX vient de mourir aprĂšs une courte agonie. L'Ă©motion fut profonde, alors ! elle fut universelle aussi ! Certes, la Providence avait dĂ©parti dans une large mesure Ă  Pie IX l'art 'de gagner les coeurs des catholiques de tous les pays. Il sut grouper les peuples dans un rare esprit de concorde autour du Pasteur suprĂȘme; mais ni lui ni son SecrĂ©taire d'Etat, Antonelli, ne parvinrent Ă  cultiver et Ă  entretenir avec les gouvernements ces relations amicales dont l'Eglise a besoin de tant de maniĂšres pour l'accomplissement de sa mission. Cela tenait sans doute en grande partie aux circonstances gĂ©nĂ©rales du temps, aux opinions, aux prĂ©jugĂ©s,, aux tendances des hommes d'Etat, Ă  l'esprit antichrĂ©tien et anticatholique qui dominait les partis arrivĂ©s au pouvoir. Le fait n'en est pas moins Ă©vident Ă  la fin de son rĂšgne, Pie IX ne restait pas moins isolĂ©, abandonnĂ© mĂȘme des gouvernement catholiques et conservateurs et en rupture dĂ©clarĂ©e avec les autres. » Est-ce pour cela qu'on l'entendait rĂ©pĂ©ter sans cesse dans ses derniĂšres annĂ©es Il est temps qu'un autre vienne Ă  ma place ! » Mais quel sera cet autre ? et que lourde sera la succession qu'il acceptera ! Rassurons-nous Dieu veille toujours sur son Eglise. Le lundi 18 fĂ©vrier, les cardinaux entrĂšrent en conclave vers les quatre heures de l'aprĂšs-midi. Le lendemain 19, dĂšs le premier scrutin — le scrutin des politesses, disent les Romains, — le cardinal-camerlingue Pecci recueille vingt-trois voix sur soixante et un votants ; au troisiĂšme tour, quarante-quatre voix — c'est-Ă -dire plus des deux tiers —lui Ă©taient acquises l'Ă©lection Ă©tait faite. L'archevĂȘque de PĂ©rouse s'inclina sous la volontĂ© manifeste de Dieu ; et lorsque le cardinal doyen lui demanda Çhtomodovis vocari? il rĂ©pondit, pĂąle, mais d'une voix ferme LĂ©on». A ce nom dĂ©jĂ  si grand dans les fastes de l'Eglise, le nouveau Pontife devait 1. Fascicules i Ă  5. L'ÉGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE 131 ajouter un bien vif Ă©clat. Il servit cependant de cible Ă  la malignitĂ© Non Ăš Pio, non Ăš ClĂ©mente, EÈ Leone senza dente. C'est un lion, mais qui ne mord pas. » La prophĂ©tie, dit Msr A. de Waal, s'est vĂ©rifiĂ©e dans un sens que ne soupçonnait pas celui qui la prononçait. Le rĂšgne du lion a Ă©tĂ© pour l'Eglise et pour le peuple une source d'innombrables bĂ©nĂ©dictions il a fait du chef actuel du monde catholique l'un des plus grands hommes de notre siĂšcle et qui permet presque d'oublier Pie IX lui-mĂȘme. Cependant LĂ©on XIII revĂȘt les habits pontificaux, passe Ă  son doigt l'anneau du PĂȘcheur, reçoit les hommages des cardinaux, — ses Ă©gaux tout Ă  l'heure, et tandis que le cardinal Cate ri ni jetait du haut de la loggia extĂ©rieure de Saint-Pierre YAnnuntio vobis gaudium magnum; tandis que, de leurs grandioses volĂ©es, les cloches de la basilique chantaient aux fidĂšles qu'ils avaient un nouveau Pape » et les convoquaient sous les-voĂ»tes de Saint-Pierre, le Pape, du haut du balcon intĂ©rieur de la loggia, donnait sa premiĂšre bĂ©nĂ©diction pontificale. La scĂšne ne dura qu'un instant; mais elle Ă©tait poignante, cette premiĂšre entrevue du Pape et des fidĂšles. Peu de personnes le connaissaient; mais il reprĂ©sentait JĂ©sus-Christ, et, du coup, la foi et l'amour Ă©tablissaient un lien incomparable entre le peuple chrĂ©tien et le Pontife. » Je n'ai pas Ă  retracer ici la biographie de LĂ©on XIII ; je n'ai pas Ă  le montrer enfant, Ă©tudiant, rĂ©fĂ©rendaire, nonce en Belgique, archevĂȘque de PĂ©rouse. Le sujet a Ă©tĂ© traitĂ© trop souvent, pour que mes lecteurs en ignorent. Mais Ă  ceux qui seraient tentĂ©s de s'Ă©tonner du contraste entre l'obscuritĂ© relative oĂč avait vĂ©cu le Pontife avant sort Ă©lĂ©vation suprĂȘme et la profondeur de ses vues Comme de ses lettres encycliques, qu'il me suffise de citer ces paroles de M. LeroyBeaulieu Le Pontife Romain, dit-il en parlant de LĂ©on XIII, n'a guĂšre fait qu'exĂ©cuter ce qu'avait rĂȘvĂ© aux montagnes de FOmbrie l'archevĂȘque-Ă©vĂȘque de PĂ©rouse. Mais, au rebours de ce qui se voit d'habitude, l'action du Pontife a Ă©tĂ© plus hardie et a portĂ© plus loin que les songes de sa jeunesse ou les mĂ©ditations de sa maturitĂ©. A mesure qu'il devenait plus vieux, il a osĂ© davantage, sans jamais pour cela se dĂ©partir de la prudence de son Ăąge, restant sage et modĂ©rĂ© jusqu'en son apparente tĂ©mĂ©ritĂ©. C'est que ses audaces ont Ă©tĂ© le fruit de son expĂ©rience. » Et de fait, ajoute Msr de T'Serclas, telle est bien l'impression 132 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE que l'on Ă©prouve en comparant les mandements du cardinal Pecci avec les encycliques du Pape LĂ©on XIII. C'est le mĂȘme fond d'idĂ©es, la mĂȘme prĂ©occupation de montrer dans l'Eglise la mĂšre, la protectrice de tout ce qui est grand, juste et beau, de rendre hommage aux aspirations lĂ©gitimes de notre Ă©poque ; la mĂȘme sollicitude pour former des gĂ©nĂ©rations d'ecclĂ©siastiques vertueux, savants et capables. 11 est vrai que la pensĂ©e et l'expression, chez l'Ă©vĂȘque, n'ont pas tout Ă  fait l'ampleur, la force, la noble clartĂ© Ă  laquelle parvient le Souverain Pontife. La raison en est, peut-ĂȘtre, que le cardinal Ă©crit en italien, le Pape en latin. Peut-ĂȘtre aussi cette diffĂ©rence tient-elle au changement de situation. La parole d'un Pape a une autre portĂ©e que celle d'un Ă©vĂȘque; elle emprunte Ă  l'Ă©lĂ©vation mĂȘme de celui qui la prononce une majestĂ©, une sĂ©rĂ©nitĂ© particuliĂšre. Ce sont les mĂȘmes qualitĂ©s de fond qu'on retrouve, Ă  quelques annĂ©es de distance, dans les oeuvres du cardinal Pecci et de LĂ©on XIII, mais, dans ces derniĂšres, elles ont atteint leur point extrĂȘme de dĂ©veloppement et d'entiĂšre maturitĂ©. » Une des grandes choses du pontificat de Pie IX, c'est assurĂ©ment l'essor qu'il sut imprimer Ă  la vie catholique. Sous aucun pape, Ă©crit Ms1'Antoine de Waall, il n'a Ă©tĂ© Ă©tabli autant d'Ă©vĂȘchĂ©s. En beaucoup d'Etats, la hiĂ©rarchie a Ă©tĂ© restaurĂ©e ou mieux rĂ©glĂ©e. Pie IX a approuvĂ© plus de cent nouvelles CongrĂ©gations religieuses, qui rivalisent saintement avec les anciens Ordres, qui dĂ©ploient leur activitĂ© dans les missions populaires, les Ă©coles et les hospices. Les associations de tout genre ont fleuri parmi les catholiques et enseignĂ© Ă  leurs membres Ă  mieux connaĂźtre et Ă  dĂ©fendre plus efficacement la religion et l'Eglise. Les Ă©vĂȘques de tous les pays ont employĂ© leur saint zĂšle Ă  crĂ©er des institutions et des sĂ©minaires destinĂ©s Ă  former un clergĂ© pieux et savant. Les dĂ©couvertes faites dans les catacombes, grĂące au gĂ©nĂ©reux concours du Pape, les recherches et les travaux des thĂ©ologiens et d'Ă©crivains trĂšs remarquables ont fait progresser toutes les branches de la science ecclĂ©siastique. L'art ne s'est pas dĂ©veloppĂ© avec moins de rapiditĂ© architecture, peinture, musique, ont refleuri avec une vie nouvelle. Dans la haute Eglise d'Angleterre s'est dessinĂ© un mouvement de retour vers Rome. En Prusse, les dĂ©putĂ©s du centre se firent une chaire de la tribune aux harangues pour rĂ©pandre leurs convictions religieuses. Aux Etats-Unis, des couvents et des associations innombrables ont surgi du sol et ranimĂ© la vie catholique dans L'ÉGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE 133 toutes les classes de la population. AprĂšs les orages de 1848, le plus admirable labeur a rempli les longues annĂ©es de paix qui ont suivi ; l'humanitĂ©, tous les dix ans, a rĂ©alisĂ© les progrĂšs d'un siĂšcle entier. Toute cette germination puissante, cet Ă©lan intellectuel a spĂ©cialement profitĂ© Ă  l'Eglise catholique! » s'Ă©criait avec joie Windthorst. De fait, jamais la foi n'a Ă©tĂ© si forte et si vivante, la piĂ©tĂ© si profonde et si intime, le dĂ©vouement si libĂ©ral et si inĂ©puisable. Ainsi le catholicisme Ă©tait devenu dans presque toutes les nations une puissance avec laquelle les gouvernements les plus hostiles devaient compter le Pape, dĂ©pouillĂ© de ses Etats, avait Ă  ses ordres des lĂ©gions spirituelles de trĂšs fidĂšles champions l'oreille toujours ouverte Ă  sa parole et prĂȘts Ă  tout sacrifier pour lui. A l'avĂšnement de LĂ©on XIII, des esprits craintifs —pusillus grex — purent redouter comme une diminution de cette vie catholique. Leurs apprĂ©hensions furent bientĂŽt dissipĂ©es. Quatorze jours aprĂšs son exaltation, en effet, les lettres apostoliques Ex supremo montrĂšrent que le nouveau Pontife avait Ă  coeur de continuer l'oeuvre commencĂ©e par son auguste prĂ©dĂ©cesseur. Voici d'ailleurs, d'aprĂšs Msr Daniel, quelques chiffres prĂ©cis — arrĂȘtĂ©s au icr janvier 1897 — qui donneront mieux que toutes les narrations une idĂ©e prĂ©cise de l'accroissement rĂ©el de la hiĂ©rarchie catholique sous LĂ©on XIII. 2 PATRIARCATS Ă  Goa, Indes orientales; — Ă  Alexandrie, dans la Haute-Egypte. 13 SIÈGES ARCHIÉPISCOPAUX CRÉÉS Ă  Bukarest, en Roumanie; — Ă  Vrhbosna ou Serajevo, en Bosnie; — Ă  Saint-AndrĂ© Edimbourg et Ă  Glasgow, en Ecosse ; Ă  Carthage, en Tunisie ; — Ă  Alexandrie d'Egypte ; — Ă  Tokio, dans le Japon ; — et dans les Indes orientales, Ă  Agra, Bombay, Calcutta, Colombo, PondichĂ©ry, VĂ©rapoly. 16 ÉVÊCHÉS ÉLEVÉS AU RANG D'ARCHEVÊCHÉS PĂ©rouse, en Italie; — SĂ©baste ou Sivas uni Ă  Tokat, dans la Turquie d'Asie ; — Kingston, MontrĂ©al, Ottawa, dans le Canada;—Antequera, Durango, Linares, dans le Mexique; — Chicago, Dubuque et Saint-Paul de Minnesota, dans les Etats-Unis ; —Wellington, dans la NouvelleZĂ©lande; — Saint-SĂ©bastien ou Rio de Janeiro, dans le BrĂ©sil; —- AdĂ©laĂŻde, Brisbane et Hobart, en Australie. 97 ÉVÊCHÉS FONDÉS, en y comprenant ceux qui furent publiĂ©s dans le consistoire du 24 mars 1898 Italie Chiavari ; — PrincipautĂ© de Monaco Monaco ; — Angleterre Leeds, Portsmouth, Middlesborough; —Ecosse Aberdeen, Argyll, Dunkeld, Galloway ; — Autriche Stanislaow rite ruthĂšne; 134 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE — Pologne russe Kielce; — Bosnie Banjaluka; — HerzĂ©govine Mostar ; — Roumanie Jassy ; — Suisse Lugano ; — BrĂ©sil Les Amazones, Curtyba, Parahyba, Spirito Santo ; — Mexique Campoche, Chihuahua, Colima, Cuernavaca, Sinaloe, Saltillo, Tabasco, Tehuantepec, Tepic; — Colombie Socorro, Tolima, Tunja; — Canada Alexandrie, Chicoutimi, Nicolet, New-Westminster, Peterborough, Valleyfield; — Etals-Unis Boise-City, Belleville, Cheyenne, Concordia, Saint-Cloud, Dallas, Davenport, Denwert, Duluth, Fargo, Gran-Rapids, Helena, Kansas-City, Lincoln, Manchester, Omaha, Sacramento, Salt-Lake-City, Syracuse, SiouxFalls, Trenton, Tucson, Wichita, Winona; — RĂ©publique Argentine Santa-FĂ©, Tucuman ; — Uruguay Melo ; — Venezuela Zulia; — Egypte rite copte ThĂšbes Louqsor, Hermopolis Major ou Minieh; —ArmĂ©nie Muse; — Indes Orientales Allahabad, CoĂŻmbatour, Dacca, Damas, Golle, Hyderabad, Jaffna, Kandy, Kishnagur, Lahore, Malacca, Mangalore, Mysore, Nagepur, Poona, Quiton, Trichinopoly, Tricomalie, Vizagapatam; —Japon Hacodate, Nagasaki, Osaka ; — Australie Grafton, Port-Auguste, Rockhampton, Sale, Wilcania; Nouvelle-ZĂ©lande Christchurch ; Iles Seychelles Port-Victoria. 2 ABBAYES iiullius dioeceseos ; 2 DÉLÉGATIONS APOSTOLIQUES", 46 VICARIATS APOSTOLIQUES; IO PRÉFECTURES APOSTOLIQUES ÉRIGÉES EN VICARIATS", 25 PRÉFECTURES APOSTOLIQUES. C'est-Ă -dire un total de 213 siĂšges nouveaux ajoutĂ©s par LĂ©on XIII Ă  la hiĂ©rarchie de l'Eglise catholique. Mais cette expansion de l'Eglise dans le monde ne suffisait pas au zĂšle et au coeur du Pontife. Il se souvenait trop qu'il Ă©tait le vicaire du Christ, du Bon Pasteur, pour ne vouloir pas courir aussi Ă  la recherche des brebis Ă©garĂ©es. Dois-je Ă©numĂ©rer tout ce qu'il a tentĂ© en faveur de la rĂ©union des Eglises dissidentes ? L'Encyclique Proeclara, du 20 juin 1894, toute de paix et de suavitĂ©, qui renferme un appel direct Ă  tous les chefs d'Etat, Ă  tous les princes et peuples de l'univers, et les engage, par la charitĂ© de JĂ©sus-Christ, Ă ne former qu'un seul troupeau-, afin d'obĂ©ir aux dĂ©sirs du RĂ©demp^ teur,, Ă  sa volontĂ© clairement exprimĂ©e tandis qu'il vivait en ce monde? La lettre Amantissimoe voluntatis, du 4 avril 1895, qui, avec, une infinie bontĂ©, engageait les Anglais Ă  retourner Ă  l'unitĂ© religieuse, seul gage pour eux de paix et de salut ? La lettre Unitatis,, du 11 juin 1895., qui rappelait aux Coptes les liens Ă©troits L'ÉGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE. 13 5 qui ont uni l'Eglise d'Alexandrie Ă  l'Eglise Romaine? Enfin l'Encyclique Cognitmn, du 29 juin 1896, qui dĂ©finit aux dissidents quel genre d'unitĂ© JĂ©sus-Christ dĂ©sire voir rĂ©gner parmi ses fidĂšles, et leur prouve que le centre de l'unitĂ© voulue de Dieu n'est autre que l'Eglise Romaine dont ils se sont Ă©loignĂ©s ? Il nous resterait maintenant Ă  parler de LĂ©on XIII poĂšte; il nous resterait Ă  montrer de quels soins le Pontife glorieusement rĂ©gnant a entourĂ© les sciences et les arts. Mais ce sont lĂ  sujets que la plume des publicistes chrĂ©tiens — et mĂȘme non chrĂ©tiens — a trop souvent abordĂ©s pour que j'estime suffisant de me borner Ă  cette simple mention. 11 est temps, d'ailleurs, de clore cet article. Mais comment le faire sans dire un mot de l'influence croissante de la PapautĂ© sous LĂ©on XIII, sans montrer comment, Ă  aucune pĂ©riode de l'histoire, l'autoritĂ© morale du Saint-SiĂšge n'a Ă©tĂ© aussi grande que dans le temps prĂ©sent ». Intelligence vaste et pĂ©nĂ©trante, Ă©crit le PĂšre Zocchi, esprit fin et adroit qui devine les susceptibilitĂ©s de la politique mondaine et en Ă©vite les piĂšges, Ăąme Ă©quilibrĂ©e, coeur droit, volontĂ© forte et souple Ă  la fois, LĂ©on XIII a prouvĂ© qu'il possĂ©dait par-dessus tout la longanimitĂ© qui ne se lasse jamais dans la poursuite d'un but et dans l'essai de moyens multiples pour l'atteindre. Et comme la victoire appartient aux patients, il a tout lieu de se rĂ©jouir des nombreux succĂšs obtenus, surtout dans l'ordre religieux et moral, depuis le commencement de son glorieux pontificat. En montant sur la chaire de Pierre dans un Ăąge dĂ©jĂ  avancĂ© et au milieu de circonstances difficiles, il ne donna aucun signe de dĂ©couragement, mais employa toutes les qualitĂ©s prĂ©cieuses de son intelligence Ă  pacifier le monde en l'Ă©clairant... Tous les chefs d'Etat entretiennent des relations rĂ©guliĂšres avec le Pape, qui demeure renfermĂ© dans les murs de son palais, mais n'en reçoit pas moins les hommages officiels des ambassadeurs accrĂ©ditĂ©s prĂšs de sa cour et les visites solennelles des souverains de passage Ă  Rome. Il traite en souverain avec tous les gouvernements, il Ă©crit des lettres aux empereurs, aux rois, aux prĂ©sidents de rĂ©publique et reçoit leurs rĂ©ponses autographes pleines de vĂ©nĂ©ration et de respect. Dans les contestations internationales, n'est-il pas choisi parfois comme arbitre ? Les chefs des plus grandes puissances ne Ăź'invoquent-ils pas comme un alliĂ© nĂ©cessaire pour brider le socialisme, pour maintenir Tordre intĂ©rieur des Etats et la paix des consciences? I36 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE LĂ©on XIII est parvenu Ă  conquĂ©rir les hommages universels des hautes sphĂšres officielles en renouant des relations amicales mĂȘme avec les gouvernements qui s'Ă©taient Ă©loignĂ©s du SaintSiĂšge, dans les derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de son prĂ©dĂ©cesseur. Mais en mĂȘme temps il gagnait le coeur des peuples, ainsi qu'en tĂ©moignent l'enthousiasme et l'Ă©lan indescriptibles qui accompagnent les manifestations dont sa personne sacrĂ©e est entourĂ©e, comme le fut autrefois le Pape Pie IX, de populaire mĂ©moire. » A suivre. AbbĂ© P. HOURAT. Les Petites Soeurs des Pauvres POÉSIE Qu'il est aimable et doux, ce nom, Petites Soeurs Des Pauvres ! — C'est en vain qu'aux Ă©chos de l'Attique, A Socrate, Ă  Platon, sages du monde antique, Et du dogme chrĂ©tien timides prĂ©curseurs, On va le demander. — Or, en Ille-et-Vilaine Ce nom fut prononcĂ© pour la premiĂšre fois Par une humble servante... et les flots et la plaine Sur la terre bretonne ont entendu sa voix Qui bientĂŽt s'Ă©lançait par delĂ  la frontiĂšre, OĂč l'on prie, oĂč l'on souffre, oĂč l'on verse des pleurs. Entrez dans la maison qui s'ouvre hospitaliĂšre A ceux qui de ce monde ont connu les douleurs ; Hommes, femmes, vieillards, sans appui, sans famille, Y vivent dans le calme et la sĂ©rĂ©nitĂ© ; Jusqu'Ă  leur dernier jour sur eux le soleil brille, Soleil dont les rayons s'appellent CharitĂ©. — Et qui donc osera dans la modeste enceinte D'un sort impitoyable adoucir les rigueurs, Et sans un sou vaillant remplir la tĂąche sainte? Qui donc? demandez-vous. Mais les Petites Soeurs LES PETITES SOEURS DES PAUVRES I37 Des Pauvres] — Elles vont, dĂšs l'aube matinale, L'Evangile pour guide et la foi pour soutien, Par l'ardente chaleur ou la bise hivernale, QuĂȘter les vĂȘtements, le pain quotidien, Pour tous ces grands enfants dont elles sont les mĂšres ; Et cela, chaque mois, et cela, chaque jour ! Sur leurs lĂšvres jamais de paroles amĂšres ; Le MaĂźtre leur apprit l'indulgence et l'amour. Et depuis soixante ans, ces anges de la terre, Sous le voile, souvent, dĂ©robant la beautĂ©, De l'abnĂ©gation suivent la route austĂšre, La route qui conduit droit Ă  l'Ă©ternitĂ©. Au sein des fiers palais, au seuil de la chaumiĂšre, Facilement, sans doute, elles trouvent accĂšs ; On leur fait bon accueil... Rejeter leur priĂšre, Mais, ce serait forfaire au vieil honneur français! S'il en Ă©tait encor, dans ce pays de France, OĂč le coeur bat toujours, vibrant et gĂ©nĂ©reux, Des citoyens imbus d'orgueil, d'intolĂ©rance, Insensibles au cri poignant des malheureux, Nous leur dirions Au nom de la loi fraternelle, A nos Petites Soeurs ouvrez Ă  deux battants Votre porte. — Donnez ! songez que sous leur aile Elles ont abritĂ© de pĂąles combattants, Des vaincus, dont la vie Ă©tait un long martyre, Qui s'en allaient pĂ©rir de misĂšre et de faim. Comme un aimant sacrĂ© que leur deuil vous attire; Soyez bons, dĂ©vouĂ©s, soyez hommes enfin. Ah ! si vous pouviez voir, quand la mort implacable Frappe une Soeur, objet de respect et d'amour, Voir ces dĂ©shĂ©ritĂ©s que la douleur accable AuprĂšs du lit funĂšbre, accourir tour Ă  tour, En murmurant bien bas MĂšre, soyez bĂ©nie ! Au sĂ©jour des Ă©lus, MĂšre, priez pour nous! Vos yeux se lĂšveraient, vers la voĂ»te infinie, Vous ne rougiriez pas de tomber Ă  genoux. AMÉDÉE BURION. Le Pinturicchio au Vatican 1 i La faucille de diamant que la lune avait laissĂ©e tomber dans le ciel de PĂ©rouse avait, depuis une semaine, dĂ©veloppĂ© l'ampleur de sa lame brillante Ă  couper les blĂ©s mĂ»rs dont les derniers Ă©pis d'or se tressaient, maintenant, en couronne autour d'elle. Heureux aussi de la gerbe abondante que nous avions glanĂ©e autour du berceau mĂȘme des premiers maĂźtres ombriens, nous Ă©tions reparti sur le chemin de Rome, oĂč un pape, grand tenancier des Alexandre VI et des Jules II dans le domaine impĂ©rissable des arts, nous allait inviter Ă  la premiĂšre» du Pinturicchio, restaurĂ© par sa munificence. En descendant les pentes douces de l'Ombrie, par les portiĂšres de l'express que les Ă©toiles striaient d'or, nous regardions dans le silence de la nuit s'Ă©panouir, sereine comme une fleur des jardins infinis, cette lune agrandie qui nous prĂȘtait encore sa clartĂ© Ă  travers les campagnes endormies et prĂ©ludait, par sa splendeur, Ă  la belle fĂȘte qui nous attendait au rĂ©veil. Le jour allait venir. Des monts Albains, dĂ©jĂ  tout ruisselants d'aurore, le soleil, surgissant dans l'air bleu, nous apparut bientĂŽt entre les arches sĂ©culaires de l'aqueduc de Claudius, comme s'il fĂ»t sorti de son tombeau. Et dans la plaine immense et grise oĂč Rome s'Ă©tendait, comme une fleur fanĂ©e par une lumiĂšre si matinale et si chaude, la lune finissait par tomber blanche et morte, derriĂšre la gĂ©ante coupole de Saint-Pierre qui se dressait, sur la Ville Ă©ternelle, ainsi qu'un mont sur un mont. — Roma, signori !... Roma ! Si ferma !... C'Ă©tait la halte Ă  la station finale. Quelques heures plus tard, nous Ă©tions de retour au Vatican, et, profitant de la faveur de pĂ©nĂ©trer dans les chambres Borgia avant le jour officiel de l'inaui. l'inaui. Gli Affreschi del Pinturicchio nell' Appartemento Borgia. Commentaire de Fr. Ehrle et H. Stevenson ; Rome, Danesi, Ă©dit. LE PINTURICCHIO AU VATICAN 139 guration, nous prenions, sur l'appartement, notes et photographies qui nous serviraient plus tard de commentaire. Pour une premiĂšre vue d'ensemble sur les Borgia et leur cour, nous nous sommes trop attardĂ© peut-ĂȘtre autour de l'oeuvre de leur peintre et Ă  la porte de leurs chambres qu'il importe de visiter. Ici, l'abondance des documents sera telle que nous nous bornerons Ă  l'Ă©numĂ©ration des salles et Ă  leurs trĂ©sors artistiques, et que nous rĂ©serverons pour la suite de notre Ă©tude les impressions esthĂ©tiques et les trouvailles d'histoire qui nous attendent lĂ ', Ă  chaque pas, Ă  chaque figure peinte, Ă  chaque portrait dĂ©couvert. Et d'abord, dĂšs la porte d'entrĂ©e de l'appartement, notre oeil dĂ©couvre sur une mĂȘme ligne droite les quatre premiĂšres chambres. Pour pĂ©nĂ©trer dans les deux derniĂšres, il nous faudra gravir quelques marches et tourner de quelques mĂštres vers* la droite oĂč la tour Borgia, qui commence lĂ , s'y cantonne en carrĂ© de chĂąteau-fort. La premiĂšre salle, appelĂ©e la Salle des Pontifes, servait de vestibule ou Ă 'anticamera Ă  la maison du pape. C'est Ă  la seconde que commençaient les appartements particuliers du pontife. On les appelait, pour cet office, les camere segrete, et on en comptait trois qui se commandaient l'une Ă  l'autre et que, d'aprĂšs les fresques peintes dans chacune d'elles, on appelait la Salle des MystĂšres, la Salle des Saints et la Salle des Arts LibĂ©raux. Par celle-ci, dans le fond, on accĂ©dait Ă  une chambre de recul, qui servait Ă  Alexandre VI de chambre Ă  coucher, oĂč il mourut. Les deux derniĂšres salles, qui se prolongent dans la tour Borgia et qui portent les noms de Salle du Credo et de Salle des Sibylles, servirent apparemment, avec deux autres piĂšces qu'on trouve encore dans la tour, aux familles du pape et Ă  ses gardes-nobles. De ces huit piĂšces, on n'en a retenu que six oĂč les beaux-arts ont laissĂ© trace de leur passage, Ă  des degrĂ©s diffĂ©rents. La Salle des Pontifes, par oĂč l'appartement dĂ©bute, ne mesure pas moins de 220 mĂštres carrĂ©s de superficie. Cette piĂšce, la plus vaste, est aussi celle qui a souffert les plus injurieux assauts du temps. Les meilleurs feux de garde que les soldats du connĂ©table de Bourbon allumĂšrent dans Rome, pendant un siĂšge mĂ©morable, ne semblĂšrent pas avoir trouvĂ© de place plus appropriĂ©e qu'en cette salle. Les premiĂšres peintures de la voĂ»te, que la tradition veut attribuer Ă  Giotto, se ressentirent de la fumĂ©e des bivouacs, au point d'en ĂȘtre entiĂšrement obscurcies. La mĂȘme tradition veut que le Pinturicchio y ait repeint une Histoire des Papes ; mais les couches Ă©normes du salpĂȘtre qui en a dĂ©vorĂ© les sujets, peints i. 140 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE jadis dans l'or et l'azur, n'en laissent subsister aujourd'hui que les inscriptions des lunettes supĂ©rieures. Ainsi peut-on savoir, par ces devises, qu'Ă  tel endroit de ces frises, remplacĂ©es aujourd'hui par des tapisseries, l'artiste avait reprĂ©sentĂ© le sacre de Charlemagne par LĂ©on III, en l'an 800 ; qu'Ă  tel autre il avait brossĂ© les murs du Borgo que LĂ©on VI Ă©leva autour de la CitĂ© LĂ©onine, aprĂšs la dĂ©faite des Sarrasins. La partie la mieux conservĂ©e est la voĂ»te que, dans la suite, LĂ©on X confia aux pinceaux de Perin del Vaga et de Jean d'Udine. Ces deux maĂźtres de la peinture d'ornement et des grottesche y ont laissĂ©, dans une infinitĂ© de petits cadres clairs, un amalgame anodin des signes du zodiaque aussi peu mouvementĂ©s que l'Ă©tait le systĂšme planĂ©taire avant les dĂ©couvertes de GalilĂ©e. Au centre de la voĂ»te, quatre victoires aptĂšres essayent de s'envoler, avec un essor lourd qui ne vaut pas en mouvement celui du cygne au col goulu, ou du bĂ©lier capricolant au voisinage. Cette salle, de toutes la plus Ă©tendue, que les grottesques » de la voĂ»te ne suffisent pas Ă  rendre intĂ©ressante, ne nous arrĂȘterait guĂšre si le carrelage Ă©blouissant, en majoliques renouvelĂ©es de l'antique, ne nous signalait ici, avec le nom de M. Giovanni Tesorone, celui du restaurateur le plus digne d'Ă©loges pour une trouvaille d'art Ă  peu prĂšs inespĂ©rĂ©e et un succĂšs qui, de salle en salle, ira s'affirmant davantage. Ici c'est dans une prairie Ă©maillĂ©e de pĂąquerettes blanches, de pimpons d'or et d'herbes tendres, que vous marchez; et rien n'est plus agrĂ©able Ă  voir que ces printaniĂšres couleurs, inondĂ©es de la lumiĂšre Ă©blouissante qui tombe de ces voĂ»tes solaires sur ce tapis transparent de clartĂ© oĂč, comme dans les limbes peints Ă  la palette de Virgile, va pousser l'asphodĂšle. Seul un classique et un imaginatif mĂȘlĂ©, de la complexitĂ© du maĂźtre Tesorone, pouvait raviver ces couleurs aux fours Ă©teints et Ă  jamais perdus, croyait-on, des Cosmas et des trois Robbia. La cĂ©ramique moderne apprend aujourd'hui le nom d'un trouvĂšre nouveau, Ă©mule et rival des maĂźtres anciens en cet art elle ne l'oubliera pas. Les tapis de verdure que nous frĂŽlions dans la premiĂšre Salle des Pontifes s'arrĂȘte brusquement au seuil de la salle suivante, comme ferait un prĂ© au bord d'un lac. Ici les tons brunissent; le tendre vert devient un bleu profond. N'entrons-nous pas dans la Salle des MystĂšres oĂč tout doit s'Ă©teindre et se taire, pour ne voir et n'Ă©couter que d'incomparables fresques? Dans cette salle, la plus complĂšte peut-ĂȘtre, le Pinturicchio inaugure une Ă©popĂ©e chrĂ©tienne qu'il nous raconte en huit sujets. C'est la Vierge naissant, blanche LE PINTURICCHIO AU VATICAN I41 comme le lis de JessĂ© que chanta le prophĂšte et que, sous l'escalier, chante le choeur des fileuses filant, sur leurs quenouilles, le manteau qu'ont les lis et dont Salomon n'a pas eu le pareil. — C'est l'Annonciation avec l'Ange et la Vierge se mirant face Ă  face encore dans un lis, le plus fidĂšle miroir de leur beautĂ©. — C'est la NativitĂ© du Christ, l'enfant engendrĂ© de ce lis et la premiĂšre fleur de divinitĂ© que l'humanitĂ© fit Ă©clore. — Ce sont les rois qui viennent reconnaĂźtre le MaĂźtre, entre le boeuf et l'Ăąne, Ă  la souveraine douceur d'un enfant ; et, dans le groupe des monarques pieux, nous ne sommes pas loin de reconnaĂźtre, Ă  son bonnet original et aux fleurs de lis qui le couronnent, le roi de France, Louis XI, en personne. — Et puis, c'est la RĂ©surrection,, avec le pape Alexandre Ă  genoux, comme les vrais grands de ce monde, devant le Christ qui Ă©chappe aux ignominies de la terre et qui instruit son Vicaire en lui montrant comme on s'Ă©lĂšve parfois sur les tombeaux. — Et puis, l'Ascension; et puis, l'Assomption; encore et encore des survivances glorieuses que le pape Borgia regarde, les mains jointes et peut-ĂȘtre aussi blanches de crimes que de carnation, le visage radieux et serein, comme il convient Ă  ceux qui relĂšvent d'un autre tribunal que de celui des hommes... Dans cette chambre oĂč de si grandes fresques devaient tenir tant de place, on n'introduisit probablement jamais aucun meuble ; et ce sont des buffets peints sur les murailles qui en constituent encore l'ornement rare et sĂ©vĂšre. La troisiĂšme piĂšce est la Salle des Saints. Sacrifiant aux faiblesses d'un pĂšre trop indulgent peut-ĂȘtre pour ses enfants, le peintre d'Alexandre VI semble avoir accumulĂ© sous cette voĂ»te les plus riches trĂ©sors de son art. La fresque principale est celle dont LucrĂšce Borgia compose, Ă  elle seule, le charme incomparable sous le symbole de sainte Catherine comparaissant devant l'empereur Maxence pour se justifier. Et ce charme n'est fait que de douceur, comme cette beautĂ© fragile n'est faite que de grĂące enfantine. Quand donc cette frivole libellule prendra-t-elle corps, et quand l'enfant qui comparaĂźt devant nous sera-t-il cette femme que l'histoire a citĂ©e Ă  sa barre sous des traits monstrueux que son peintre fidĂšle, l'incorruptible Pinturicchio, lui refusa obstinĂ©ment? D'autres portraits l'environnent, et nous reconnaissons sans peine son accusateur qui serait mieux son accusĂ©, sous les traits de CĂ©sar Borgia usurpant sans pudeur le siĂšge de Maxence et. posant Ă  la prĂ©venue des questions auxquelles seul il peut rĂ©pondre. OĂč est Gaspard de Procida?... OĂč est Sforza de Pesaro?... OĂč est Alphonse d'Aragon?... Le sait-il, lui, qui n'ignore pas oĂč est le duc de Gandie, 142 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE oĂč sont les invitĂ©s du bal funĂšbre de Sinagaglia? Elle, innocente, compte sur ses trois premiers doigts le nom des trois infortunĂ©s maris qui ne fixĂšrent pas son triste sort. Peut-ĂȘtre le quatriĂšme consolidera-t-il l'anneau tremblant qui danse aux doigts de la victime, avec une goutte de sang en rubis que cet anneau avait serti dĂ©jĂ , trois fois, autour de son chaton funeste... Et l'assemblĂ©e silencieuse attend la sentence du juge indigne, avec une mĂ©lancolie que ne surpasse pas celle du prince Djem si haut dans sa tristesse, sur ce cheval du dĂ©sert qui n'emportera plus son maĂźtre lĂ -bas, loin de ces hontes, au pur soleil de la libertĂ©. On veut se soustraire Ă  ces impressions navrantes, se dĂ©tacher de cette fresque accusatrice pour regarder celles qui l'accompagnent, dans la mĂȘme salle la visite de saint Antoine abbĂ© Ă  saint Paul ermite, le martyre de saint SĂ©bastien, celui de sainte Barbara, autant d'idylles dont la touchante piĂ©tĂ© n'a d'Ă©gale que la grĂące naĂŻve avec laquelle l'artiste les exprima. L'oeil fascinĂ© revient encore et surtout Ă  Catherine la Sainte, qui, se confiant Ă  l'avenir, attend en paix la sentence que les calomniateurs de LucrĂšce, silencieuse et accusĂ©e, rendront un jour aux partisans de LucrĂšce entendue et reconnue innocente. Le thĂ©ologien pieux de la salle prĂ©cĂ©dente se prĂ©sente, dans celleci, en historien troublant ; et la plume saura bientĂŽt peut-ĂȘtre rendre au pinceau du premier avocat de LucrĂšce l'hommage qui lui sied. AprĂšs avoir jetĂ© un coup d'oeil ravi sur la dĂ©coration des parois qu'Alexandre VI avait confiĂ©es au PĂ©rugin et que LĂ©on XIII a fait revivre sous l'habile pinceau du maĂźtre Fringuelli, aprĂšs avoir encore remarquĂ©, dans cette Salle des Saints, les boiseries qui les entourent et que le pape Sixte IV avait commandĂ©es pour sa bibliothĂšque au sculpteur Jean des Dolci, nous passons dans la salle dite des Arts LibĂ©raux. La cheminĂ©e du milieu, due au dessin de Sansovino et au ciseau de Simone Mosca, est, sans doute, un des plus purs morceaux que laissa en marbres de ce genre le XVIe siĂšcle. Mais, lĂ  encore, que regarder aprĂšs les peintures symboliques des sciences oĂč le thĂ©ologien et l'historien que fut prĂ©cĂ©demment Pinturicchio se mĂ©tamorphose en poĂšte de l'idĂ©al, aux crĂŽatiuiis sans rivales? Sous ces ogives aux courbes adorables, oĂč le boeuf des Borgia promĂšne de frise en frise sa corpulence et sa majestĂ©, l'artiste a suspendu pour l'Ă©ternelle admiration des Ăąges les crĂ©ations les plus divines de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle. C'est Y ArithmĂ©tique portant, avec une tristesse inĂ©narrable, la table des chiffres par lesquels les jours de l'homme et la fragilitĂ© des choses con- LE PINTURICCHIO' AU VATICAN ĂŻ%$ tingĂȘntes sont comptĂ©s. C'est la GĂ©omĂ©trie jouant du triangle, comme d'un Ă©ventail; et sa grĂące est si parfaite que Bramante, facilement reconnaissable Ă  la calvitie prĂ©coce de son front, brise de dĂ©sespoir son lourd compas aux pieds de son invincible souveraine. C'est la Musique prĂ©ludant, avec son violon, au concert qu'ordonnent autour d'elle, jusqu'Ă  leur dernier souffle harmonieux, ses insatiables amants, Et combien d'autres crĂ©ations idĂ©ales par lesquelles le Trivium et le Quadrivium des Sciences abstraites auront trouvĂ©, dans ces fresques indescriptibles, leur plus inĂ©narrable expression ! Et le concert de ces grĂąces savantes finit avec la RhĂ©torique, une beautĂ© .plus fascinante que ses autres compagnes et qui, voulant personnifier ironiquement YorĂȘ fotondo de l'Ă©loquence cicĂ©rohienne, tient d'une main une boule au bout d'un fil, et dĂ© l'autre une Ă©pĂ©e qui tranchera ce fil, tĂŽt ou tard, comme l'exemple le plus typique de la plus magnifique vanitĂ© de ce monde. La leçon est instructive, et nous la retiendrons. Aussi bien, qu'aurions-nous Ă  voir encore, dans la Salle du Credo et dans la Salle des Sybilles oĂč le Pinturicchio n'a pas accompagnĂ© Benedetto Buonfigli, Ă  qui il confia l'exĂ©cution de ses dessins ? Le maĂźtre n'avait-il pas assez travaillĂ© pour l'immortalitĂ©, dans les salles prĂ©cĂ©dentes, et le repos si mĂ©ritĂ© n'allait-il pas fermer en croix ses deux bras sur. son coeur et arrĂȘter sa vie, Ă  l'heure oĂč d'autres comptent sur la leur pour de longs jours encore et pour l'oeuvre qui restera ? La sienne devait finir en moins de cinquante-neuf ans, et une vie si courte n'aurait rien Ă  envier aux plus longues. Le dernier Pontife du Moyen-Age lui avait livrĂ© ses chambres pontificales et ses trĂ©sors souverains, pour y faire naĂźtre et y doter la Renaissance, Cette vraie fille dont le pape Borgia Ă©tait vraiment le pĂšre. La plus fastueuse des cours avait posĂ© devant l'artiste, pour les portraits les plus inconnaissables de femmes adorables et d'hommes magnifiques. A la suite des princes et des rois que ce prince heureux avait comptĂ©s Ă  son service, Machiavel arrĂȘtait la*plume qui Ă©crirait plus tard Du Prince, et Bramante le compas qui mesurerait San Pietro; et, perdues dans la foule, les autres cĂ©lĂ©britĂ©s du temps qui faisaient Ă  l'artiste son cortĂšge de modĂšles. Jusqu'Ă  RaphaĂ«l mĂȘme qui, quelques annĂ©es plus tard, montant aux Chambres de Jules II, s'arrĂȘtera dans les ChambrĂ©s d'Alexandre VI et emportera du Pinturicchio une impression si souveraine que, sans y prendre garde, les crĂ©ations de l'un serviront de copie aux crĂ©ations de l'autre. Regardez lĂ© Bramante de 144 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Y École d'AthĂšnes et le Bramante de la fresque des Arts LibĂ©raux, et niez que le Pinturicchio fut l'inspirateur de RaphaĂ«l... II Par l'escalier Ă  cordonato oĂč les mules des cardinaux montaient jadis Ă  l'aise chez le Pape, et oĂč le cheval blanc du prince Djem promena tant de fois et avec une si noble Ă©lĂ©gance son prisonnier mĂ©lancolique, nous Ă©tions descendus, midi sonnant, dans les soubassements de l'appartement Borgia. Dans une vaste salle, qui avait dĂ» servir de corps de garde aux soldats de la maison pontificale et oĂč les armes d'Alexandre VI rĂ©gnent encore en clef de voĂ»te, le jour entrait par une meurtriĂšre bĂ©ante ; et le soleil s'Ă©talait gaiement sur la longueur de deux mĂštres de table qu'on avait disposĂ©e, pour nous, dans l'Ă©paisseur des deux mĂštres de muraille massive oĂč cette meurtriĂšre s'ouvrait. — Vous ĂȘtes dans la tour des Borgia, sous l'appartement que vous venez de visiter. Et vous allez partager le repas des maĂźtres et des ouvriers, dans cette espĂšce de restaurant improvisĂ©, sous le chantier auquel nous avons donnĂ© le nom pittoresque de Grottino. LĂ , sans façon, asseyez-vous Ă  notre petit dĂ©jeuner ! Le galant homme de qui vient une invitation si cordiale n'est autre que le professeur Tesorone lui-mĂȘme. Il veut que notre visite Ă  YAppartamento qu'il repave soit terminĂ©e ici par un cordial dĂ©jeuner. C'est dans cet imposant sous-sol des gardes-ducorps des Borgia que, entre le %abaglione et le caffĂš, le distinguĂ© directeur de l'Institut technique de Naples veut nous faire encore part de quelques souvenirs personnels et nous permettre de terminer, comme nous avions commencĂ©, dans l'intimitĂ© mĂȘme du Pape LĂ©on XIII, cette initiation Ă  la vie et Ă  l'oeuvre de Pinturicchio que nous entreprendrons de raconter dans les pages suivantes, sous les auspices d'un grand Pontife Ă  qui un grand peintre doit sa rĂ©surrection inespĂ©rĂ©e et sa souveraine restauration. C'Ă©tait un dimanche, le 4 juillet 1895. Les cinq heures d'aprĂšsmidi venaient de sonner Ă  l'horloge de la cour Saint-Damase. Les salles Borgia, oĂč Ă©tait suspendu pour un jour le travail qui n'y chĂŽmait guĂšre depuis plusieurs annĂ©es dĂ©jĂ , Ă©taient, tant bien que mal, prĂ©parĂ©es Ă  recevoir la visite du Pape. On venait d'ouvrir les portes. Encore que, çà et lĂ , traĂźnassent les piĂšces Ă  conviction des peintres, des maçons, des menuisiers, des marbriers, nĂ©an- m LE PINTURICCHIO AU VATICAN M5 moins ces chambres historiques semblaient ressusciter tout Ă  coup Ă  la vie et au cĂ©rĂ©monial des Pontifes Romains, aprĂšs quatre siĂšcles de mort. A travers les vitraux blancs des larges fenĂȘtres de marbre qui donnent sur la vaste cour du BelvĂ©dĂšre et d'oĂč, jadis, tombaient les tapisseries d'or pour Alexandre VI et sa suite qui venaient s'y accouder pour assister de lĂ  aux carrousels brillants et aux joutes fastueuses, on sentait flotter alentour la tiĂšde ondulation d'une aprĂšs-midi d'Ă©tĂ©. Au loin, Rome se reposait, lasse et sans voix. Des hauteurs du Vatican, un silence majestueux et presque lourd tombait sur ces murs sĂ©culaires. Telle l'ombre du soir, sur les montagnes. Nous Ă©tions quelques-uns seulement, dans les salles Borgia, Ă  attendre l'arrivĂ©e du Pontife Monseigneur le majordome DĂ©lia Volpe, le comte Vespignani, les commandeurs Seitz et Galli, les professeurs Sneider et Fringuelli. A cinq heures un quart, on signale l'arrivĂ©e de la Cour. Presque aussitĂŽt, nous entendĂźmes les pas cadencĂ©s des gardes-suisses se profilant dans le lointain des premiĂšres Loges de Jean d'Udine. Ils avançaient de front, par quatre, la hallebarde au flanc, le casque Ă  panache blanc en tĂȘte. DerriĂšre eux venaient les gardes-nobles, au port princier. Et puis les familiers, au mantelet rouge et damasquinĂ© aux armes du Pontife, au justaucorps de velours rouge et frappĂ© aux mĂȘmes armes, aux culottes gonflantes et se fermant au genou sur des bas rouges aux soies Ă©blouissantes. Ils portaient Ă  six la chaise du Souverain, Ă  pas cadencĂ©s, comme en retenant le souffle. D'autres gardes-nobles et d'autres gardes-suisses fermaient ce court et imposant cortĂšge, avec le scintillement de leurs sabres au clair, de leurs casques d'acier et de leurs jugulaires d'or. Toute la suite ayant pĂ©nĂ©trĂ© dans la premiĂšre Salle des Pontifes, la lourde porte d'entrĂ©e se ferma et le Vatican retomba dans son majestueux silence. Face Ă  nous, les nobles et les suisses se dĂ©veloppĂšrent de front et prĂ©sentĂšrent les armes, tandis que les ' familiers dĂ©posaient doucement Ă  terre la portantine tapissĂ©e de soie rouge et passementĂ©e d'or dans laquelle Ă©tait assis, tout blanc et toujours bĂ©nissant, le grand vieillard. Le majordome s'avança vers la chaise Ă  porteurs, et deux prĂ©lats en manteau violet firent une inclination Ă  la garde papale, qui rompit les rangs. Alors LĂ©on XIII apparut, souriant dans l'ivoriale blancheur de son visage oĂč les yeux, vifs Ă©tonnamment, rivalisaient en Ă©clat avec les diamants de la croix pectorale constellant la blancheur de la soutane immaculĂ©e. Il promena un long regard per- 146 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE çant autour dĂ©s salles et dit, encore assis dans sa chaise Ă  porteurs et en accompagnant ses paroles graves et lentes avec le geste large qu'on lui sait — Nous voici donc dans ces chambres cĂ©lĂšbres que Nous voulions voir revenir Ă  leur ancienne splendeur. Il souleva ses mains longues et presque diaphanes de blancheur. Par petits coups tremblants mais vigoureux, il plaça sur son nez les lorgnons d'or. Alors, il releva toute sa personne d'un mouvement plein d'Ă©nergie et, Ă©vitant comme par distraction le bras que lui offrait son majordome, il vint vers nous, d'un pas ferme et rĂ©solu. J'avais fait placer mes essais de carrelage dans la quatriĂšme salle, appelĂ©e la salle des Arts LibĂ©raux. Il fallait donc, pour les voir, que LĂ©on XIII parcourĂ»t l'appartement Borgia presque en entier. Passant de chambre en chambre et offrant bienveillamment sa main aux artistes, Ă  ses chers artistes », comme il les appelait et qui s'inclinaient devant lui, il voulut bien me reconnaĂźtre dans le nombre. Se retournant vers moi, sans attendre que monseigneur le majordome eĂ»t le temps de me prĂ©senter au Pontife — Ah! vous ĂȘtes lĂ ?... me dit-il, pendant que je posais mes lĂšvres sur la grosse Ă©meraude, sertie de diamants, qui constellait son anneau pastoral et dont sa main si maigre paraissait alourdie. Vous ĂȘtes lĂ , Tesorone ! Je viens ici voir vos essais de carrelage, et vous savez que je les attendais avec impatience. Vous, Vespignani — continua-t-il, — et vous, Seitz, les avez-vous dĂ©jĂ  vus ? Que vous en semble ? Sont-ils dignes de l'entreprise ? Cependant le Pape arrivait Ă  la seconde salle, arrĂȘtant son regard sur les voĂ»tes superbes et sur les parois oĂč un pinceau savant avait cherchĂ© Ă  raviver les vieilles fresques Ă©teintes; il parut se courber de fatigue sur le cĂŽtĂ© droit. Cependant, refusant encore tout appui, il continua l'examen des peintures, Ă  petits pas tout au plus comptĂ©s; ici, louant les retouches ; lĂ , glorifiant l'oeuvre magnifique de Pinturicchio — Ce serait pour le Saint-SiĂšge une honte, dit-il, que de voir plus longtemps abandonnĂ©es ces Chambres, qui rivalisent en beautĂ© avec celles de RaphaĂ«l. Quiconque cultive les arts, quiconque est amateur du beau, prendra plus tard rendez-vous dans ces salles, comme dans une Ă©cole. Et l'Ă©tranger aura encore Ă  admirer le faĂźte oĂč atteignirent les premiers maĂźtres de notre art italien ! ajouta-t-il avec un fin sourire. Nous faisions cercle autour de lui. De mon bras, je frĂŽlais sa LE PINTURICCHIO AU VATICAN 147 soutane. Chemin faisant, nous Ă©voquions les oeuvres laissĂ©es par Pinturicchio, Ă  Sienne, Ă  Spello, Ă  Rome mĂȘme oĂč la Sixtine, Y Ara Cceli et Sainte-Marie-du-Peuple en conservent ; mais elles sont toutes dĂ©passĂ©es par celles des Borgia, pour l'harmonie dĂ©corative des parties et de l'ensemble. Ainsi devisant, nous Ă©tions arrivĂ©s Ă  la quatriĂšme salle. On avait disposĂ©, devant mes essais de carrelage, un grand fauteuil aux hautes boiseries dorĂ©es, tapissĂ© de -velours rouge. Le Pape s'y assit et regarda d'un trait la voĂ»te, les parois et les majoliques des pavĂ©s, comme pour en surprendre l'Ă©gale harmonie des couleurs rĂ©pondant, par l'uniformitĂ© des tons, Ă  l'unitĂ© de l'ensemble. De mon cĂŽtĂ©, sur son auguste personne et sur son entourage, je complĂ©tais l'Ă©tude de ces mĂȘmes couleurs que ces salles devaient faire chanter en une si parfaite harmonie. Sous ces voĂ»tes sĂ©vĂšres, oĂč le bleu avait pris la valeur vitrĂ©e et Ă©teinte d'un antique collier phĂ©nicien, oĂč le vert s'Ă©tait diaprĂ©, oĂč s'Ă©tait bronzĂ©e la dorure, la blanche soutane du Pape jetait une note Ă  la fois douce et vive, qu'accentuaient davantage le rouge intense du manteau dont il Ă©tait revĂȘtu et l'or rayonnant des joyaux qui le paraient. Faites chanter encore sur cette gamme, en accompagnement, le bariolage des gardes-suisses audacieusement costumĂ©s par RaphaĂ«l, et le scintillement des autres armes et des autres costumes dont la Maison Pontificale est habillĂ©e. Et vous aurez la raison de la sobriĂ©tĂ© des fresques rĂ©pondant Ă  la richesse des soutanes, et rĂ©alisant vraiment dans ces chambres la plus magnifique harmonie dont la blanche personne du Pape est le centre unique et toute la raison. — Cet essai de majoliques me semble dĂ©finitif, dit-il. Il rĂ©pond heureusement Ă  la coloration des voĂ»tes. Pourtant la partie du milieu ne serait-elle pas un peu assombrie ? J'osai rĂ©pondre que ces petits losanges Ă©taient semblables aux anciens que nous avions pu retrouver dans les chambres. Ces derniers figuraient, encastrĂ©s dans la muraille, pour servir prĂ©cisĂ©ment de campioni ou de. point de repaire Ă  la comparaison. LĂ©on XIII eut, sur ses Ă©paules, comme un soubresaut de lĂ©gĂšre impatience — Ce n'est pas lĂ  une raison suffisante pour me persuader. Je crois plutĂŽt que ce sont les voĂ»tes qui doivent expliquer les tons rembrunis du carrelage des pavĂ©s, tant elles se sont obscurcies avec les siĂšcles. L'important est que l'harmonie rĂ©sulte, aujourd'hui comme autrefois, de l'ensemble. Il continua Ă  observer telle chose et telle autre, et Ă  discuter pied Ă  pied nos rĂ©ponses. Je ne dissimulerai pas l'Ă©tonnement que je 148 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ressentais, Ă  voir cet auguste vieillard pĂ©nĂ©trer les raisons techniques d'un art si spĂ©cial que celui des carrelages anciens peut le paraĂźtre ; et cela, avec une perspicacitĂ© d'esprit qui permet Ă  LĂ©on XIII de s'improviser maĂźtre en tel sujet qui lui plaĂźt et qui serait Ă©tranger pourtant aux pensĂ©es ordinaires de sa vie. — Et maintenant, reprit-il en se tournant vers moi, Ă  quand la reprise des travaux? De vous, je demande encore plus qu'un effort de volontĂ©. Je demande, oserai-je le dire ?... Eh bien ! oui, un prodige ! ajouta-t-il en souriant. Comprenez la raison qui m'oblige Ă  vous parler ainsi. Je voudrais avoir la grande joie de voir accomplie cette restauration des salles Borgia, avant que ma vie ne s'arrĂȘte. Et, loin de se troubler, donnant plutĂŽt Ă  ses paroles une expression de bĂ©atitude et d'aimable rĂ©signation, comme s'il eĂ»t voulu corriger ainsi la tristesse qui avait tout Ă  coup saisi son entourage attentif, il ajouta — La fin du jour, ahimĂš ! n'est maintenant guĂšre lointaine ! Un silence profond accueillit ces paroles, traduisant ainsi l'Ă©motion de toute l'assistance. Le grand vieillard reprit haleine et continua — Je ne voudrais pas qu'il m'arrivĂąt une infortune pareille Ă  celle de mon prĂ©dĂ©cesseur, le pape Alexandre Ottoboni, qui dĂ©sira, de tout son coeur, voir achevĂ© le palais qu'il Ă©rigeait aux Fiano, et qui mourut avant que la bĂątisse en fĂ»t finie. Allons, courage ! remettez-vous vivement au travail. Dans trois mois, n'est-ce pas? vous aurez achevĂ© le carrelage de cette salle. — Oui, Saint-PĂšre, je ferai tout ce qui dĂ©pendra de moi pour obĂ©ir aux ordres de Votre SaintetĂ© ! rĂ©pondis-je, non sans me rendre compte de la gravitĂ© d'un tel engagement. — Et pour quand, le carrelage de la grande salle d'entrĂ©e ? Certainement, pour le milieu de l'annĂ©e prochaine ? Je fis signe de la tĂȘte, sans mot dire ; car ces paroles marquaient une telle force de volontĂ©, qu'elles ne permettaient pas la moindre hĂ©sitation. — Et pour la fin de l'annĂ©e tout le reste, n'est-ce pas ? Prenez bien garde que je prends acte de votre engagement. . Cela dit, il quitta rĂ©solument le fauteuil pour terminer l'inspection, avec la visite des deux derniĂšres salles situĂ©es dans la tour Borgia, au-dessus mĂȘme du Grottino, oĂč je vous raconte ces souvenirs inoubliables, pour moi et pour ceux qui furent les tĂ©moins. Je m'attarderais trop Ă  vous raconter par le menu cette visite aux salles Borgia, qui dura plus d'une heure et dont les moindres LE PINTURICCHIO AU VATICAN 149 dĂ©tails restent prĂ©sents Ă  ma mĂ©moire. Parlant tantĂŽt Ă  son majordome, tantĂŽt Ă  l'architecte Verpignani, tantĂŽt au professeur Seitz, LĂ©on XIII ne cessait de recommander Ă  tous la plus grande activitĂ© pour la prompte exĂ©cution des travaux. Avec une Ă©tonnante prĂ©cision des choses et des dates, il rappelait, chemin faisant, le passĂ© de ces chambres et leur oubli injustifiĂ©, depuis le pontificat de Jules II jusqu'Ă  celui de Pie VIL Le pape Chiaramonti avait eu, enfin, l'idĂ©e de le convertir en musĂ©e de peinture, pour y recevoir les tableaux pris par Bonaparte et restituĂ©s par Louis XVIII. Et puis survint leur malheureuse conversion en dĂ©charge de bibliothĂšque oĂč les volumes, grimpant aux murs, avaient fini par atteindre aux voĂ»tes. Ce fut en 1884 que, soucieux de rendre aux fresques de Pinturicchio la splendeur qui leur Ă©tait bien due, le pape Pecci ordonna le dĂ©sencombrement des salles et confia l'Ă©tude des travaux de restauration complĂšte Ă  une commission, qui conclut Ă  une immĂ©diate mise en train. J'ai rarement constatĂ© chez les vieillards une mĂ©moire aussi rapide et aussi sĂ»re que celle dont use LĂ©on XIII. Elle touche parfois jusqu'Ă  l'invraisemblance. A propos de ces carrelages renouvelĂ©s des anciens et des essais de majolique ombrienne que je venais d'entreprendre au Cambio de PĂ©rouse en mĂȘme temps qu'au Vatican, le Pape vint Ă  parler de ce pays aussi cher Ă  son coeur que le pays natal. Il me guidait bien mieux que je n'aurais su le faire moi-mĂȘme, et nous cheminions par la pensĂ©e Ă  travers cette Ombrie idĂ©ale, Ă  laquelle la Nature et les Arts Ă  la fois ont si divinement souri. J'en vins Ă  nommer Deruta, un village assez Ă©loignĂ© de PĂ©rouse, lĂ -bas, dans la campagne, du cĂŽtĂ© de Todi. Jadis, ce hameau fut cĂ©lĂšbre pour ses majoliques aux reflets d'or , et le sol oĂč surgirent de si magnifiques fabriques en conserve encore des restes prĂ©cieux. Je parlai d'un vieux paysan de ce village, un certain Carloni, qui occupe ses derniĂšres annĂ©es Ă  recueillir et Ă  collectionner, en autant de fragments qu'il trouve, ces carrelages primitifs — Deruta ! fit le Pape avec un accent d'inexprimable tendresse. Le beau pays, oĂč je suis allĂ© me reposer tant de fois !... Eh ! ditesmoi, Carloni vit-il encore ? — Le vieux Carloni dont je parle, rĂ©pondis-je, ne peut ĂȘtre celui dont Votre SaintetĂ© se ressouvient. C'est un pauvre paysan... — ... Qui a mon Ăąge ! ajouta LĂ©on XIII. Oui, oui, c'est bien notre mĂȘme Carloni. Je le vois encore homme jeune, au travail, dans les champs oĂč je le rencontrais. Je me rappelle encore l'endroit oĂč s'Ă©levait sa maison. 150 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Et LĂ©on XIII se plut Ă  me la dĂ©peindre dans le pittoresque charmant du pays ombrien dont l'idĂ©ale vision poursuivait manifestement l'auguste Souverain dans ce Vatican clos d'oĂč il ne sortirait, sans doute, jamais plus. Vers six heures trois quarts, le Pape, suspendant sa visite, revint s'asseoir dans la chaise Ă  porteurs, que flanquaient de droite et de gauche les gardes-nobles et les gardes-suisses. Visiblement, il Ă©tait satisfait. N'emportait-il pas, avec nos promesses, l'espoir d'inaugurer, — lui, pape LĂ©on XIII, — les chambres du pape Alexandre VI? Et cet appartement historique ne serait-il pas Ă©levĂ©, sous le protectorat d'un Pecci, Ă  la dignitĂ© de monument pontifical? La portantine se releva doucement, prĂ©cĂ©dĂ©e et suivie de son familial cortĂšge. Je les regardais s'en-aller sous les arceaux fuyants, dans la lointaine perspective des Loges bramantesques ; et cependant, dans mon imagination, Ă  larges traits, se profilaient les grandes figures de Julien de La RovĂšre, de LĂ©on MĂ©dicis, de Paul FarnĂšse, au temps oĂč les Arts furent rois et oĂč les Papes se firent leurs serviteurs les plus fidĂšles... Sur ce dernier tableau, la conversation de Tesorone, mon prĂ©cieux introducteur, s'arrĂȘta, cependant que, par la gĂ©ante meurtriĂšre du Grottino oĂč notre table Ă©tait dressĂ©e dans la tour Borgia, je regardais vers la pleine lumiĂšre du dehors. De cette vieille tour flanquant l'ancienne construction de Nicolas V comme une inĂ©branlable forteresse, je voyais se dĂ©velopper les Ă©normes arceaux sur lesquels le lourd balcon des chambres Borgia est assis. Sur la mĂȘme longueur, au deuxiĂšme Ă©tage, se dĂ©veloppaient les festons plus lĂ©gers, plus Ă©lĂ©gants peut-ĂȘtre, des chambres de RaphaĂ«l. C'Ă©tait donc lĂ  que, d'un Ă©tage Ă  l'autre, la gloire avait conviĂ©, pour les siĂšcles, deux amis, deux rivaux." Pinturicchio et RaphaĂ«l ainsi retenus chez les Papes, l'un au premier, l'autre au deuxiĂšme, n'Ă©taient pas prĂšs de dĂ©serter de longtemps, avec leurs incomparables gĂ©nies, cet asile inviolable de la plus enviable immortalitĂ©. Et, sinon la gloire, du moins la justice ne prĂ©parait-elle pas une intronisation nouvelle au Vatican, aprĂšs quatre cents ans d'un bannissement peut-ĂȘtre immĂ©ritĂ©, en la personne du plus merveilleux initiateur de la Renaissance des arts et de la politique modernes, sans qui Pinturicchio eĂ»t Ă©tĂ© une ombre et Machiavel un fantĂŽme, ce pape Borgia Lenzuoli, qui eĂ»t Ă©galement Ă©puisĂ© tout l'or de la nouvelle AmĂ©rique sur la magique palette de son peintre et, sur l'Ă©chiquier branlant de la vieille Europe, la sĂ©culaire patience des anciens papes unie Ă  la moderne diplomatie des pontifes de la Rome nouvelle ? LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 5 I III Pour cette premiĂšre » du 8 mars 1897, midi sonnant, YAnticamera pontificale n'avait lancĂ© que les invitations d'office aux cardinaux rĂ©sidents, aux ambassadeurs accrĂ©ditĂ©s, aux officiers et aux familiers de la maison papale, aux artistes collaborateurs de Sa SaintetĂ© LĂ©on XIII pour la restauration de YAppartamento Borgia, qui Ă©tait enfin prĂȘt et qu'on allait ouvrir Ă  l'admiration du siĂšcle. MalgrĂ© la rĂ©serve imposĂ©e Ă  cette fĂȘte des beaux-arts dans un palais qui ne cĂ©lĂšbre que les fĂȘtes du culte, une insolite animation rĂ©gnait au Vatican depuis les premiĂšres heures de cette matinĂ©e oĂč un grand pape allait recommander son nom Ă  la reconnaissance des Ăąges. Au portail de bronze, la consigne avait doublĂ© le poste des gardes-suisses dont la tenue, tri-partie noire, rouge et jaune, mettait une premiĂšre note d'Ă©clat et de gaietĂ© Ă  cette fĂȘte des arts. La gendarmerie pontificale stationnait Ă  la cour Saint-Damase, le colback aux grands poils noirs et Ă  l'aigrette rouge bridĂ©e de cordeliĂšre blanche, la tunique noire Ă  collet et Ă  manchettes de buffleteries blanches, passementĂ©e de brandebourgs blancs se rattachant, sur un cĂŽtĂ©, Ă  l'Ă©paulette blanche et, sur l'autre, au ceinturon de la cartouchiĂšre dont le large cuir blanc plastronnait en sautoir de haut en bas, sur la poitrine ; la culotte de peau blanche et les bottes vernies complĂ©taient le brillant costume de ces gardes, sabre au poing, dontla taille et l'allure rivalisaient avec celles des plusbeaux hommes de Rome. Les plus distinguĂ©s, qui joignaient Ă  la majestĂ© de la stature l'Ă©lĂ©gance des maniĂšres, Ă©taient les gardes-nobles, en tuniques rouges ou noires galonnĂ©ees d'or ou d'argent, selon le grade, en culottes blanches collant aux hanches dĂ©gagĂ©es et aux bottes Ă©peronnĂ©es d'acier, l'eline d'argent mi-drapĂ© de noir Ă  la dragonne d'or, Ă  l'aigrette blanche et rouge, Ă  la criniĂšre flottante ils tenaient, sabre au clair, la garde d'honneur dans les appartements pontificaux. Autour de la portantine de gala, Ă  capitons rouges et en bois dorĂ©s, se disposaient les six sĂ©diaires de service en jabot blanc, gilet rouge, bas et escarpins rouges, veste flottante, culotte courte Ă  velours frappĂ© de rouge sur soie rouge, en gants blancs. Les cardinaux, en mantelette paonnĂ©e et en simple tenue de ville, arrivaient l'un aprĂšs l'autre, accompagnĂ©s chacun de son majordome en longue redingote noire, passementĂ©e de noir et ouvrant sur le gilet noir, la culotte noire, les bas noirs, les souliers noirs Ă  boucles d'or. Le service des introductions Ă©tait fait I52 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE par les camĂ©riers d'honneur, en cape de velours noir s'agrafant de travers, en fraise blanche et toque noire Ă  boucle d'or, en tunique Ă  jupe noire dont les plis flottaient sur la culotte courte, les bas noirs et les souliers dĂ©couverts. L'antichambre des invitĂ©s Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celle de l'appartement Borgia, dans la partie oĂč celui-ci tourne et longe les Loges de Jean d'Udine, au voisinage de la chapelle Sixtine, Ă  laquelle ces deux piĂšces, admirablement dĂ©corĂ©es par Louis XIV de tapisseries d'Arras et des Gobelins, sert de vestiaire auxEminences depuis le siĂšcle du grand roi. — Sua Eccellen^a, corne sta?... De cardinal Ă  ambassadeur et de prĂ©lat participant Ă  officier de la maison du pape, on se prĂ©sente ses hommages dans un demisilence oĂč les soies des manteaux font plus de bruit que les voix des maĂźtres et n'empĂȘchent pas d'entendre sonner enfin midi Ă  l'horloge de la cour Saint-Damase. AussitĂŽt s'ouvrent les portes de la partie des chambres Borgia que leur gĂ©nĂ©reux restaurateur, LĂ©on XIII, s'est proposĂ© d'inaugurer aujourd'hui. Sur les tapis qui Ă©touffent les pas, nous suivons le sillage de pourpre qu'ouvrent les xardinaux et, avec eux, nous pĂ©nĂ©trons dans la premiĂšre salle, dite des Pontifes, oĂč des fauteuils sont disposĂ©s en hĂ©micycle, autour de celui qu'occupera le pape sur une petite estrade formant trĂŽne} au centre, et sous le buste commĂ©moratif que le sculpteur Ugolini a Ă©rigĂ© lĂ . Pendant qu'on dĂ©couvre le monument voilĂ©, je lis, sur le socle de marbre noir, l'inscription suivante LEO XIII P. M. PAVIMENTUM REFECIT PARIETES EXORNAV1T C'est, en effet, dans une prairie d'asphodĂšles, de violettes et de myosotis, que nous marchons en cette espĂšce de vestibule des Champs-ElysĂ©es des Beaux-Arts que nous promet le sage; tant ce carrelage de majoliques imitĂ©es des anciennes et d'une composition heureuse rĂ©pond Ă  l'Ă©clat des voĂ»tes peintes en clair par Pierin del Vaga, comme une glace vĂ©nitienne aux reflets pĂąles qui en reproduirait Ă  terre la splendeur. Comme la suite de l'inscription commĂ©morative l'indique, le contour des murailles est tapissĂ© d'authentiques Arrazzi et de vieilles broderies de Flandre, par carrĂ©s fort harmonieux qui reprĂ©sentent les scĂšnes de la Bible. Entre ces LE PINTURICCHIO AU VATICAN 153 tapisseries et la voĂ»te oĂč le peintre collaborateur de RaphaĂ«l prodigua autour des signes du Zodiaque la richesse de ses arabesques et de ses grotesques follement imagĂ©es, une bordure de panoplies de tous les styles orne les frises et fait, de cette salle, une armeria merveilleuse qui place, sur cette matiĂšre, le Vatican en rivalitĂ© avec les plus intĂ©ressantes collections de l'Europe. Je remarque, entre autres, aux deux angles extrĂȘmes de la longue muraille du fond, l'armure fine aux ciselures que Jules II aurait portĂ©e sous un rochet de dentelles, pendant le siĂšge de Bologne, et celle du connĂ©table de Bourbon dans laquelle il mourut Ă  la porte Cavallegieri, pendant le sac de Rome dont l'histoire rend responsable ce fils dĂ©chu de France et de l'Eglise. Cette armure, lourde de forme, ne porte pour tout enjolivement qu'un creux fait au cuissard par la balle'dont le connĂ©table mourut, soit que cette balle fĂ»t celle de l'arquebuse dont se prĂ©vaut Benvenuto Cellini dans ses MĂ©moires^, soit que ce farouche Bourbon n'ait pas voulu d'autre artiste et d'autre trait pour agrĂ©menter son pesant uniforme de guerre. Mais voici que l'officier chargĂ© de la garde de cette salle signifie Ă  haute voix son commandement aux suisses, dont le fer des hallebardes domine l'assistance — Attenti!... Garde Ă  vous !... 1. Comparso di giĂ  l'esercito di Borbone aile mura di Roma, il detto Alessandro del BĂ©ni mi prcgo che io andassi secoa farli compagnia cosi adammoundi quelli miglior compagni ; e per la via con esso noi si accompagno un giovannetto addomandato Cecchino dĂ©lia Casa. Giugnemmo aile mura di Campo Santo, e quivi vedemmo quel maraviglioso csercito, che di giĂ  facevaogni suo sforzo per entrare. A quel luogo dĂ©lie mura dove noi ci accostammo, v'era molti giovani morti da que di fuora quivi si combateva a piĂč potere era una nebbia folta quanto immaginar si possa. Io mi volsi a Alessandro e li dissi Ritiriamoci a casa il piĂč presto che siĂ  possibile, perce qui non Ăš un rimedio al mondo; voi vcdete, quelli montano e questi fuggono. » Il ditto Lessandro spaventato disse Cosi volesse Iddio che venu noi non ci fussimo. » E cosi voltossi con grandissima furia per andarsene. Il quale io ripresi dicendogli Da poi che voi mi aveto menato qui, gli Ăš forza fare qualehe atto da uomo. » E volto il mio archibuso dove io vedevo un gruppo di battaglia piĂč folta e piĂč serrata, posi la mira nel mezzo apounto a uno che io vedevo sollevato dagli altri ; per la quai cosa la nebbia non mi lasciava discernere se questo era a cavallo o a piĂš. Voltomi subitto a Lessandro et a Cecchino, dissi loro che sparassino i loro archibusi ; ed insegnai loro il modo, acciocchĂš e' nen toccassino una archibusata da que' di fuora. Cosi fatto due volte per uno, io mi affacciai aile mura destramente, e veduto in fra di loro ug tumulto istraordinario, fu che da questi nostri colpi si ammazzo Borbone ; e fu quel primo che io vedevo rilevato dagli altri, per quanto da poi s'intese. Benvenuto Cellini, t. 1, pp. 93-94, edit. ail' Inegna di Dante, Fircnze. 154 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La porte principale, donnant sur les loges, s'ouvre aussitĂŽt aux deux battants; et le soleil, qui entre le premier dans l'appartement Borgia, fait briller Ă©blouissamment les dalles marbrĂ©es du passage extĂ©rieur d'oĂč la foule est, balayĂ©e en un clin d'oeil, comme dans une fantastique avenue du dĂ©sert oĂč restent seules, entre les arcatures de l'immense baie vitrĂ©e, les ombres concentriques que la lumiĂšre du jour y dessine comme sur une grande page blanche. Et lĂ -bas, tout au fond, des silhouettes rouges, violettes, blanches, noires, se profilent marchant vers nous. C'est la Maison du Pape qui arrive. Quatre gardes-suisses flanquent en quenouille l'escorte, leur officier au milieu ouvrant la marche, tout de^pourpre vĂȘtu, la canne du commandement Ă  la main. Suivent les deux massiers, en tunique noire Ă  fraise blanche, en mantelette violette, l'Ă©pĂ©e Ă  poignĂ©e d'or au ceinturon, la masse d'argent sur l'Ă©paule, la toque noire Ă  bordure violette les coiffant. Puis viennent les chapelains privĂ©s en soutane violette et en aumusse noire sans manches ; les camĂ©riers violets et rouges, les gardes-nobles en tenue noire et les exempts-colonels en tenue rouge, l'Ă©pĂ©e tirĂ©e Ă  une main et le fourreau vide Ă  l'autre. Au centre, les sĂ©diaires et la portantine qu'ils portent et qui balancent triomphalement au soleil ses soies rouges, ses bois d'or et ses glaces biseautĂ©es oĂč la lumiĂšre se joue, comme dans un prisme dansant, dans un arc-en-ciel qui marche. Est-ce le signe gracieux de l'union mystique des arts et de la religion, dont LĂ©on XIII avait si noblement parlĂ© dans son discours du trĂŽne l'autre matin? Le voici lui-mĂȘme, en soutane blanche et manteau rouge ; une clĂ©mentine de velours ponceau, bordĂ©e d'hermine, le coiffe et semble accentuer la pĂąleur du visage et la maigreur des traits. La portantine pĂ©nĂštre dans l'appartement et s'arrĂȘte devant le fauteuil pontifical oĂč LĂ©on XIII, sur pieds, se dirige en bĂ©nissant ses gardes qui lui prĂ©sentent les armes, un genou en terre, et l'assemblĂ©e qui s'incline sur son passage. Tandis que les porteurs se retirent avec la portantine et vont attendre la fin de la cĂ©rĂ©monie sur le pas de la porte refermĂ©e sur eux, le pape, d'un mouvement qui lui est familier quand il est assis, relĂšve droit et ferme son buste souverain et, s'aidant du lorgnon d'or, inspecte d'un regard ravi la belle ordonnance de la salle. Puis, de sa longue main de marbre oĂč brille le plus bel anneau d'or de sa cassette pontificale, il a fait signe au Comm. Seitz qu'il, lui donne la parole, pour la remise de l'appartement Borgia dont la restauration avait Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  cet article. — Santo Padrel... TrĂšs Saint-PĂšre!... LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 55 D'une voix chaude et parfois Ă©loquente, c'est l'historique de ces chambres et l'exposĂ© des travaux faits en dix annĂ©es d'un labeur long et difficile, que le sympathique artiste dĂ©veloppe en son nom et en celui de ses dĂ©vouĂ©s collaborateurs, rangĂ©s derriĂšre lui. LĂ©on XIII Ă©coute ce discours avec une attention soutenue, non sans laisser parfois ses yeux se promener des voĂ»tes aux murailles, et des murailles aux carrelages du parquet. A ce discours terminĂ©, le pape rĂ©pond par quelques paroles de remerciement et de satisfaction Ă  l'adresse des maĂźtres distinguĂ©s qu'il a appelĂ©s Ă  son aide, dans ces salles que le Vatican ouvre aujourd'hui Ă  l'admiration du monde ». Puis, se levant brusquement, il veut visiter chaque chambre. De l'une Ă  l'autre, son cortĂšge le suit en recueillant de sa bouche les impressions qui lui inspirent surtout les fresques des plafonds et la grande oeuvre du Pinturicchio, remise enfin dans le cadre d'honneur qu'elle attendait depuis longtemps. Comme si LĂ©on XIII avait voulu se rappeler la cĂ©lĂšbre rĂ©miniscence de Pie IX citant au gĂ©nĂ©ral Kanzler les premiers vers de la Gerusalemme Liberata du Tasse, quand les troupes pontificales, revinrent de Mentana, Canto l'armi pietose e 1' capitan Che il sepolcro libero di Chiisto, l'heureux restaurateur de ces chambres cĂ©lĂšbres traduisait ce triomphe nouveau de la PapautĂ© dans les Beaux-Arts qui furent placĂ©s de tout temps sous sa tutelle, par ce vers de la Divine ComĂ©die qu'il rĂ©pĂ©ta plusieurs fois, au cours de cette visite Onorate l'altissimo poeta! L'ombra sua torna ch'era dipartita. Et ce n'Ă©tait pas seulement la mĂ©moire du Pinturicchio qu'Ă©voquait la parole de LĂ©on XIII. C'Ă©tait,, autour du glorieux vieillard, la phalange entiĂšre de la Renaissance qui s'Ă©veillait sous ces voĂ»tes, comme dans son tombeau, et qui faisait Ă  LĂ©on XIII son escorte, avec le souvenir de leur grandeur passĂ©e; ne semblaient-elles pas tout Ă  coup renaĂźtre, avec leurs portraits mĂȘmes se dĂ©tachant des fresques et acclamant l'inespĂ©rĂ© thaumaturge? Voici d'abord les peintres que Nicolas V avait amenĂ©s de Florence, pour commencer Ă  faire fleurir, dans Rome et dans la maison mĂȘme des papes que Thomas de Sarzano voulait habiter magnifiquement, cette glorieuse Renaissance qui avait dĂ©jĂ  germĂ© dans les couvents et dans les palais;de la Toscane. Voici l'Angelico, qui porte dans son nom le 156 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE caractĂšre de son idĂ©ale palette ; et voici Benozzo Gozzoti, son Ă©lĂšve fidĂšle jusqu'Ă  l'imitation du gĂ©nie par le gĂ©nie l'un sort de la chapelle du pape Nicolas, oĂč il a cĂ©lĂ©brĂ© les actes de saint Laurent; l'autre, de la chapelle du Saint-Sacrement, qui n'existe plus que par le souvenir des belles fresques qu'il y exĂ©cuta et que Paul III a abattues depuis, pour faire place Ă  la Salle Royale. Leurs Ă©lĂšves les suivent, demandant justice aussi pour les oeuvres perdues qu'ils laissĂšrent au Vatican ; Buonfigli le naĂŻf, Simone le mystique, Gentile daFabriano et Zanobi Strozzi, Bartolomeo deFoligno et AndrĂ©a del Castagno, sur qui pĂšse encore, injustement peut-ĂȘtre, le meurtre de Domenico Veneziano, qu'il eĂ»t assassinĂ© pour garder Ă  lui seul le secret de la peinture Ă  l'huile, trouvĂ©e et rĂ©vĂ©lĂ©e, dit-on, par ce joueur de guitare Ă  ce joueur de stylet. Qu'en saura-t-on jamais? En attendant, l'Ă©pitaphe suivante de Saint-Marie-la-Neuve ne pĂšset-elle pas trop cruellement, encore aujourd'hui, sur ces deux malheureuses mĂ©moires ? Castaneo Andreae mensura incognita nulla, Atque color nullus, linea nulla fuit. Invidia exorsit fuitque proclivis ad iram ; Domitium sic hinc Venetum sustulit insidiis, Domitium illustrem picturoe. Turpat acutum Sic soepe ingenium vis inimica mali. Le stylet meurtrier de l'assassin rĂ©el du Veneziano servit, sans doute, Ă  graver ces mauvais vers sur la tombe du Castagno, qui attend encore son vengeur. Comme l'on aime mieux lire sur la tombe de l'Angelico de FiĂ©sole ces deux distiques, dictĂ©s par Nicolas V lui-mĂȘme, Ă  la mĂ©moire de celui qu'il avait voulu faire Ă©vĂȘque et qui prĂ©fĂ©ra rester peintre Non mihi sit laudi, quod eram velut ApeĂźles, Sed quod lucra tuis omnia, Christe, dabam AltĂ©ra nam terris opĂ©ra exstant, altĂ©ra caelo. Urbs me Joannem flos tulit Erutria3. Et puis voici la phalange des Ombriens, moins divins et plus naturels, moins grandioses et plus harmonieux que les magnifiques Toscans. C'est le sobre Piero dĂ©lia Francesca, dont le pinceau fut une toise et la palette un volume de gĂ©omĂ©trie; ce mĂȘme TraitĂ© des Proportions que le maĂźtre Ă©crivit et que signa, en le publiant, un Ă©lĂšve. Et la mĂ©moire de ce juste ne devait-elle pas Ă©prouver un plus irrĂ©parable outrage, avec le vandalisme qu'osa commettre Jules II, LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 57 ce barbare sublime, sur les fresques que Piero avait peintes Ă  la place oĂč figurent depuis la DĂ©livrance de saint Pierre et le Miracle de BolsĂšne? RaphaĂ«l, le coupable, substitua ainsi son oeuvre, non sans avoir relevĂ© les portraits historiques de Spinola, de Bessarion, de Fortebraccio, de Colonna, de Vittellesco, de Charles VIII, dont Ă©taient illustrĂ©es les fresques premiĂšres de Piero et dont s'enrichirent les cartons de Jules Romain, qui les transmit Ă  Paul Jove !... C'est encore l'Ă©lĂšve glorieux d'un tel bon maĂźtre, le non moins correct mais plus Ă©lĂ©gant Luca Signorelli, Ă  qui il fut donnĂ© de venger la victime des chambres de Jules II, en attachant leurs deux noms insĂ©parablement unis par le mĂȘme dessin serrĂ© qui les caractĂ©rise, dans la chapelle de Sixte IV. C'est ce mĂȘme rang de gloire qu'y partagĂšrent Ă©galement Ghirlandajo, Botticelli, Roselli, PĂ©rugin et Pinturicchio. Et voici, Ă  leur tour, ces deux derniers amants de la mĂȘme grĂące idĂ©ale, dont le premier fut tout au plus l'aĂźnĂ©, et le second l'Ă©mule, sans que ni l'un ni l'autre n'aient pu emprunter Ă  leur misĂ©rable famille un nom valable. L'injustice le remplaça par un sobriquet devant lequel, depuis, les fronts les plus hauts se dĂ©couvrent. Le PĂ©rugin, non plus, ne voulut pas risquer contre l'ingratitude de la postĂ©ritĂ© son immortelle mĂ©moire, et, dans le Camhio qu'il avait choisi pour son tombeau impĂ©rissable, il eut bien soin d'inscrire sous son portrait ce pauvre nom d'un montagnard qui traverserait les Ăąges, avec la lĂ©gende suivante Petrus Peruginus, egregius pictor; Perdita si fuerat, pingendo hic retulit artem ; Si nunquam inventa esset, hactenus ipse dĂ©dit. Restait aussi au Pinturicchio Ă  relever, Ă  son heure, l'insulte du sobriquet de barbouilleur » que des contemporains jaloux lui avaient infligĂ©e. Le doux Bernardino Betti avait-il, de son vivant, portĂ© d'autre qualificatif que cette appellation bouffonne? En avaitil. Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© mĂȘme par le plus ardent de ses premiers imitateurs, ce Sanzio RaphaĂ«l du premier poil dont PĂ©rugin avait Ă©tĂ© le maĂźtre et dont Pinturicchio, malgrĂ© la diffĂ©rence de l'Ăąge et par respect pour le gĂ©nie qu'il dĂ©couvrit en ce jeune homme, n'avait acceptĂ© que l'amitiĂ©? Lequel des deux y avait-il falli? Etait-ce Pinturicchio, se complaisant Ă  rĂ©pĂ©ter dans ses fresques le portrait idĂ©al de RaphaĂ«l? Etait-ce RaphaĂ«l, acceptant sans y contredire l'honneur d'avoir tracĂ©, Ă  la Libreria de Sienne, des cartons prodigieux pour lesquels un maĂźtre si expĂ©rimentĂ© n'eut, certes, pas besoin d'un si habile Ă©lĂšve, —trop habile peut-ĂȘtre, et peut-ĂȘtre pas assez franc pour dĂ©mentir Ă  temps I58 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'odieuse lĂ©gende qui plane encore, Ă  PĂ©rouse, sur un de ces cartons? C'est la cinquiĂšme fresque qu'expose le palais Baldeschi Ă  la curiositĂ© des visiteurs. L'heure de la rĂ©paration devait venir. Cette heure a attendu quatre cents ans pour sonner; et c'est un pape qui s'en fait le sonneur, aujourd'hui, dans ce mĂȘme Vatican oĂč la grande mĂ©moire de RaphaĂ«l pesait peut-ĂȘtre injustement sur celle de l'ami qui l'aima tant! Aujourd'hui, dans cette mĂȘme aile du palais Ă  deux Ă©tages que le pape Nicolas V Ă©difia pour un duel fameux qu'il n'aurait pu prĂ©voir, le pape LĂ©on XIII ouvre toutes grandes les portes et s'en vient, conviant le monde des beaux-arts et de la critique au spectacle de haute lice qu'y engagent deux champions redoutables, deux maĂźtres peut-ĂȘtre Ă©galement calomniĂ©s et Ă©galement immortels? Une derniĂšre rĂ©paration s'imposait Ă  l'histoire, dans ces chambres cĂ©lĂšbres oĂč le pape Borgia vĂ©cut. Et le voici aussi lui-mĂȘme, au milieu de sa famille nombreuse, aussi sacrifiĂ©e que celle du vieux roi dont HomĂšre et Virgile ont chantĂ© les malheurs. Comme le vieux Priam Ă  genoux devant l'aveugle fatalitĂ© qui vouait aux enfers la race maudite des Dardanides, l'inconsolable pĂšre d'un autre Hector tend vers un autre Achille ses mains jointes et ses supplications. Du haut de la fresque imposante oĂč le pape Alexandre rĂšgne encore, descend, vers le pape LĂ©on, qui lui a succĂ©dĂ©, cette priĂšre qu'il entend. Est-ce parce qu'un vaincu de l'histoire est par terre qu'il faut Ă  tout jamais refuser de l'entendre? Qu'Ă©tait donc l'Etat pontifical, du temps des Borgia, sinon un vaincu aussi Ă  qui Alexandre VI ne craignit pas de tendre sa forte main pour un relĂšvement presque inespĂ©rĂ©? Agonisant sous les Ă©treintes conjurĂ©es de France et d'Aragon, trahi de Milan Ă  Naples par ses propres vassaux dans sa propre Italie, que lui restait-il Ă  faire du patrimoine de saint Pierre confiĂ© Ă  sa charge, sinon ce qu'il en fit? Ses mains furent de fer, mais les clefs d'or de la papautĂ© en furent du moins conservĂ©es? Par une politique gĂ©niale que les dĂ©tracteurs des Borgia ne se refusent plus de reconnaĂźtre, ne maintint-il pas en Ă©chec la France et l'Espagne, entre le Milanais et le Regno? Eh! que fut autre chose qu'une oeuvre de gĂ©nie ce groupement, par la persuasion ou par la force, de tous les petits Etats italiens autour du grand Etat national, avec un seul maĂźtre pour souverain lĂ© pape ? La formule qu'Alexandre VI avait trouvĂ©e, Victor-Emmanuel l'appliqua quelques siĂšcles plus tard; et c'est la mĂȘme, avec lĂ  diffĂ©rence que, sous les Borgia, les papes eussent conquis Ă  l'Italie son unitĂ© sans le secours des Savoie qui ne l'obtinrent'que bien plus LE PINTURICCHIQ AU VATICAN l59 tard. Quql est donc ce crime irrĂ©missible qu'auraient commis alors les Borgia et dont les Savoie seraient absous aujourd'hui? Ce crime- qui consiste Ă . comploter le bonheur d'un peuple divisĂ© en l'unissant, malgrĂ© lui-mĂȘme, sous la tiare d'un pape ou. sous la couronne d'un roi ? Tel fut pourtant cet acte qu'osa jadis une famille de maĂźtres en politique; et ce fut aussi dans ce projet digne d'une fortune meilleure que sombrĂšrent la gloire d'un grand pape, la valeur d'un invincible capitaine, la fortune et l'honneur d'une famille entiĂšre dont les malheurs ne sont plus comparables qu'Ă  ceux de quelque atroce Orestiade ou de quelque Priamide sanglante, pour le rĂ©cit desquels il faudrait ressusciter encore de nos jours quelque antique Eschyle, quelque HomĂšre prĂ©historique et fabuleux. Sed si fata deĂ»m, si mens non Leva fuisset, Trojaque nunc stares, Priamiquc arx alta maneres! Et ce sont, devant le pape LĂ©on XIII dĂ©pouillĂ© de son patrimoine sĂ©culaire et gĂ©nĂ©reux rĂ©parateur des restes magnifiques que ses prĂ©dĂ©cesseurs lui laissent, ce sont autour du pape Alexandre VI Ă  genoux et demandant grĂące, toutes les gloires de la Renaissance qui, du haut de leurs fresques oĂč le peintre des Borgia les portraitura dans ces chambres, escortent le Pontife dĂ©chu, le redressent et l'amĂšnent au tribunal devant lequel l'histoire n'a pas toujours gagnĂ© fous ces procĂšs. Devant cette cour souveraine oĂč eurent leur place d'honneur les plus belles figures de la politique, des lettres et des arts dont les Borgia furent les protecteurs fastueux. Machiavel s'est dĂ©jĂ  levĂ© pour la dĂ©fense. Le prince Djem attend sur son cheval qu'on l'appelle, en tĂ©moignage de l'hospitalitĂ© inviolĂ©e qu'il a reçue. Bramante, Ă  l'Ă©cart, plus loin, ouvre dĂ©jĂ  son compas pour mesurer les chefs-d'oeuvre qu'on lui commande. Cent autres gloires prĂ©sentes, dont Pinturicchio a illustrĂ© ces voĂ»tes, s'approchent Ă  leur tour et demandent Ă  proclamer le nom et la magnificence de ces maudits Lenzuoli d'Espagne, sans lesquels l'Italie du XVe et du XVIe siĂšcle, n'aurait pas Ă©crit, au chapitre de ses arts et de sa politique, la grande page qu'il nous importe aujourd'hui de tourner d'une main moins hĂ©sitante, et de lire avec un esprit plus tranquille. N'est-ce pas l'heure oĂč la fille de CicĂ©ron vient de se rĂ©veiller dans la beautĂ© intacte de son corps d'ivoire et de sa chevelure d'or qui lui servait de vĂȘtement, au fond d'un tombeau presque deux fois millĂ©naire de la voie Appienne? Et cette belle morte, qui res- 1ÔO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE suscite aux acclamations de Rome entiĂšre assistant au miracle, n'est-elle pas le plus gracieux et le plus consolant symbole de l'antique vertu qui se rĂ©vĂšle encore au monde et qui lui demande tout Ă  coup, pour lui prĂ©parer la terre idĂ©ale qu'il lui sied d'habiter, une armĂ©e d'artistes prĂ©cĂ©dant celle des gĂ©nies de la science et des hĂ©ros de l'Ă©pĂ©e 1? BOYER D'AGEN. I . L'Ă©tude du Pinturicchio et son OEuvre sera publiĂ©e cette annĂ©e par notre collaborateur Ă  la SociĂ©tĂ© d'Ă©dition artistique, Pavillon de Hanovre, 32-34, rue Louis-le-Grand, Paris. N. D. L. R. Une famille sous la Terreur LES BAILLARD DE TROUSSEBOIS Vivarais et Bourbonnais Le 24 avril 1794 — 5 florĂ©al an II, — Ă  huit heures du soir, une jeune femme, presque une enfant, dix-huit ans, se prĂ©sente au commissaire de police. Elle se dĂ©clare Ă©migrĂ©e, suspecte, et veut ĂȘtre emprisonnĂ©e ; elle sait que la prison dans ces conditions, c'est la mort. Aussi, est-ce la mort qu'elle veut. Elle est dans une telle exaltation qu'elle ne rĂ©pond que d'une façon incohĂ©rente. On la presse de questions ; elle ne sait rien, sinon qu'elle veut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e. Laquelle, raconte le procĂšs-verbal, laquelle interpellĂ©e de nous dire ses nom, prĂ©nom, Ăąge, pays de naissance, profession et demeure, a rĂ©pondu se nommer Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e Baillard Troussebois, ĂągĂ©e de dix-huit ans environ, nĂ©e Ă  Paris, vivant originairement sic dans la maison de son pĂšre, et mariĂ©e depuis environ deux ans Ă  Charles Renaud, militaire, homme de loi et nĂ©gociant, lequel elle avait Ă©pousĂ© dans une ville d'Italie prĂšs de GĂȘnes, et revenue Ă  Paris aussitĂŽt leur mariage, et sĂ©parĂ©e de lui depuis environ deux mois, refusant de dire oĂč est sa demeure Ă  Paris. A elle demandĂ© si elle sait oĂč est maintenant son mari ; — a rĂ©pondu qu'il y a deux mois il Ă©tait Ă  la Conciergerie, et qu'il y est mort. Si elle Ă©tait avec son mari, lorsqu'il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©; — a rĂ©pondu non; qu'elle Ă©tait sĂ©parĂ©e d'avec lui; et nous a dit qu'elle ne pouvait ni ne voulait nous dĂ©clarer oĂč elle rĂ©sidait, ni oĂč elle avait rĂ©sidĂ© depuis ; mais qu'elle travaillait comme ouvriĂšre; n'a pas eu d'enfant de son mariage; et sur l'interpellation faite Ă  la rĂ©pondante de nous dĂ©clarer oĂč elle avait travaillĂ© et rĂ©sidĂ© Ă  Paris REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER I9OO IÔ2 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE depuis son arrivĂ©e, — a rĂ©pondu par des gestes et des dĂ©clamations qui caractĂ©risaient une personne qui est dans un Ă©tat d'affaissement et de crispation difficile Ă  dĂ©crire. A elle demandĂ© dans quel endroit elle a sĂ©journĂ© avec son mari en revenant d'Italie ; — a rĂ©pondu qu'elle a sĂ©journĂ© Ă  Lyon, environ un mois, pour voir la famille de son mari Ă  laquelle elle fut prĂ©sentĂ©e. A elle demandĂ© oĂč ils sont descendus en arrivant Ă  Paris ; — a rĂ©pondu qu'elle croit se rappeler qu'ils sont descendus dans un hĂŽtel garni, rue Thomas du Louvre. A elle demandĂ© si, lors de son arrivĂ©e Ă  Paris avec son mari, elle y avait des parents, et si elle les vit ; — a rĂ©pondu qu'elle avait vu sa mĂšre; et par rĂ©flexion ajoute qu'elle ne l'a point vue. A elle demandĂ© si elle avait encore son pĂšre lors de son arrivĂ©e Ă  Paris et si elle sait oĂč il est ; — a rĂ©pondu qu'elle avait son pĂšre, mais qu'elle ne savait oĂč il Ă©tait. A elle observĂ© comment il est possible qu'elle se soit trouvĂ©e si Ă©loignĂ©e de Paris sans le consentement de son pĂšre et de sa mĂšre; —a rĂ©pondu que, se trouvant en Italie, et son mari rentrant en France, elle l'a suivi par suite de l'attachement qu'elle avait pour lui. Son mari s'est mis copiste et a cherchĂ© Ă  vivre de ce travail ingrat. Pour elle, elle a vĂ©cu du travail de ses mains commeouvriĂšre. Sa mĂšre, Charlotte Bigeard de Saint-Maurice, demeure rue du Foin, au Marais. En ce moment, elle la croit dĂ©tenue aux Anglaises. Son pĂšre a Ă©tĂ© aussi arrĂȘtĂ©; et son mari, craignant d'ĂȘtre enfermĂ©, crut prudent de se cacher — Mais, lui demande-t-on, comment vos parents vous ont-ils laissĂ©e dans la misĂšre? » Elle ne rĂ©pond pas. * Evidemment il y avait quelque chose d'extraordinaire dans tout cela. Une jeune fille,' mariĂ©e Ă  seize ans en Italie, sĂ©parĂ©e de son mari, abandonnĂ©e de ses parents, noble et riche, forcĂ©e de se faire couturiĂšre, et venant un soir devant un administrateur du dĂ©partement dĂ© la police, se soumettre Ă  la loi sur la police de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale dĂ©crĂ©tĂ©e par la Convention nationale, et demander quelle marche elle doit suivre pour y satisfaire », n'Ă©tait-ce pas-un fait Ă©trange? Quel roman, quel mystĂšre se cachait lĂ  ? Le commissaire de police ne vit qu'une aristocrate bonne pour la guillotinĂ©. Il essaya encore de tirer d'elle de plus amples renseignements. Vu la rĂ©ticence, l'avons interpellĂ©e de nouveau Ă  nous parler d'une maniĂšre plus claire et plus catĂ©gorique. — A persistĂ© Ă  garder le silence et a ne vouloir rien nous dire de plus ». Et UNE, FAMILLE SOUS LA TERREUR 163 ; ont signĂ© Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e Baillard TROUSSEBOIS, PARO, LELIEVRE. » Il l'envoie donc tout simplement au tribunal rĂ©volutionnaire, oĂč Fouquier-Tinville la saura bien faire parler. Nous soussignĂ©s, administrateur au dĂ©partement de la police ; vu ce que rĂ©sulte de l' et attendu que. ladite Troussebois cherche Ă  Ă©luder sur nos demandes, et. feint d'ĂȘtre dans, un Ă©tat qui. pourrait faire croire qu'elle est en dĂ©mence, tandis qu'elle nous paraĂźt avoir toute sa raison; que de plus il paraĂźt qu'elle a Ă©migrĂ©, vu qu'elle ne conteste pas sa rentrĂ©e en France, disons qu'elle sera traduite au tribuual rĂ©volutionnaire pour y ĂȘtre jugĂ©e suivant la loi... Disons de plus Troussebois sera traduite en la maison d'arrĂȘt de la Conciergerie pour y ĂȘtre Ă©crouĂ©e et y rester jusqu'Ă  ce qu'il en soit autrement ordonnĂ©. — PARO, LELIEVRE. » On savait mieux qu'elle ce qu'on lui demandait ; et il y a une ironie bien cruelle Ă  l'interroger sur son pĂšre, qui depuis deux mois est mort guillotinĂ©, et sur son mari depuis vingt jours. Sa mĂšre en prison, son oncle et sa tante en terre, qu'avait-eĂźle Ă  faire ici-bas ? Elle Ă©tait jeune, et l'on sait avec, quelle facilitĂ© Ă  son Ăąge on fait le sacrifice de la vie. Ce jour-lĂ  mĂȘme, elle avait vu guillotiner du coup trente-quatre personnes, parmi lesquelles celles qu'on a appe- . lĂ©es les vierges de Verdun. Ce spectacle affreux et touchant, joint Ă  l'horreur de sa position, l'avait-il exaltĂ©e au point d'en vouloir finir avec la vie? Sans ressources, privĂ©e par l'Ă©chafaud de tout ce qu'elle aimait et qui Ă©tait son appui, tombĂ©e de l'opulence dans la misĂšre, en fallait-il davantage pour rĂ©duire au dĂ©sespoir une jeune femme de dix-huit ans naturellement exaltĂ©e? Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e-Victoire Baillard de Troussebois Ă©tait nĂ©e Ă  Paris en 1776. Elle Ă©tait fille de Jean-Jacques Baillard de Troussebois, colonel au rĂ©giment de Savoie-Carignan, et de Charlotte-Victoire-Armande de Saint-Maurice de BĂ©jeard. A quinze ans, elle avait suivi son pĂšre Ă  la cour du roi de Sardaigne. Elle devait Ă©pouser le comte d'Harcourt et devenir dame d'honneur de la comtesse d'Artois. Beaux projets! Que s'Ă©tait-il passĂ©? Comment ces rĂȘves d'avenir avaient-ils en si peu de temps abouti au bureau du commissaire de police du 24 avril 1794? Cette date peut expliquer bien des catastrophes. Or ce dĂ©nouement tragique avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© d'un roman. 164 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE I Dans l'Ă©glise romane de Besson, canton de Souvigny, Ă  douze kilomĂštres de Moulins-sur-Allier, on voit un pilier sur lequel une inscription gravĂ©e atteste qu'il a Ă©tĂ© refait aux frais du seigneur de Ris, le 30 mars 1625. Ce seigneur de Ris, qui Ă©tait aussi seigneur de Saint-Aubin, est nommĂ© sur la cloche; c'est Jean-Florimond de Troussebois, principal bienfaiteur de l'Ă©glise ». La marraine est damoiselle Jeanne de Troussebois, veuve d'Antoine de Chantelot, Ă©cuyer, sieur des Gardais ». Jean-Florimond de Troussebois avait Ă©pousĂ© GeneviĂšve de La Croix, dont il eut un fils, le 27 septembre 1652. Les Troussebois, dont Thaumas de La ThaumassiĂšre, Histoire du Berry, adonnĂ©, page 998, la filiation, Ă©taient une ancienne famille du Berry et du Bourbonnais, qui remonte jusqu'Ă  Sadon Troussebois vivant en 1150. De la branche aĂźnĂ©e de la maison de Troussebois il ne resta qu'une fille, Elisabeth, fille de Charles, marquis de Troussebois, qui en a portĂ© les biens dans la maison de Montboissier, en Ă©pousant 1749 Edouard de Beaufort-Montboissier, comte de Canillac, dont le fils Charles, patrice romain, prince de l'Eglise, contre-amiral, commandeur de Saint-Louis, nĂ© au chĂąteau de Beaumont, commune d'Agonges, le 17 mars 1753. La seconde branche Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par Louise-Madeleine, fille de Jean-Louis de Troussebois, Ă©cuyer, seigneur de Launay, et de Madeleine Gardet de Chervil, et par son cousin-germain, Jean-Baptiste-Ferdinand de Troussebois, officier dans le rĂ©giment royal d'artillerie. LouiseMadeleine de Troussebois, qui mourut en 1763, avait Ă©pousĂ©, par contrat du 6 juin 1736, Jean-Marcellin Baillard des Combeaux, Ă©cuyer, seigneur baron de La Mothe-Mourgon, de Beauvoir, de Chervil 1, etc. De cette union vinrent i° le 9 mars 1740, Jean-Jacques de Baillard de La Motte, capitaine au rĂ©giment de Provence, colonel au rĂ©giment d'AngoulĂȘme, marĂ©chal de camp ; 20 le 1. Il demeurait en son chĂąteau de Chervil, dars l'ArdĂšche, paroisse de Gluyras,. au diocĂšse de Viviers. NĂ© le ier juillet 1705, il Ă©tait issu des Baillard des Combeaux, en Vivarais, originaires du Languedoc, qui portaient EcartelĂ© aux 1 et 4 d'or, au rameau de 3 palmes de sinople; et aux 2 et 3 d'azur au croissant d'argent accompagnĂ© de 3 mollettes d'Ă©peron d'or, qui est de Charbonnel de Retz. Voir pour les Baillard, La Chenaye, II, 193, et d'Hozier. UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 165 28 dĂ©cembre 1743, Jean-CĂ©sar-Martial de Baillard de Chervil, premier page de Madame la Dauphine, lieutenant de dragons au rĂ©giment d'Autichamp, chef d'escadron au rĂ©giment de Languedoc; 30 le 14 fĂ©vrier 1747, Louis-Ferdinand de Baillard de Beaurevoir, mousquetaire du roi; 40 le 28 dĂ©cembre 1736, Louise Baillard des Combeaux; 50 le 16 janvier 1738, Marie-Anne de Baillard de Chervil; 6° le 29 janvier 1737, Françoise-HĂ©lĂšne de Baillard du Rivier, nĂ©e le 29 janvier 1737, mariĂ©e Ă  Jean de Luzy, Ă©cuyer, mousquetaire du roi dans la seconde compagnie ; 70 le 20 fĂ©vrier 1749, ThĂ©rĂšse-Elisabeth de Baillard de La Motte, religieuse Ă  l'abbaye royale de Saint-AndrĂ©-le-Haut, Ă  Vienne en Dauphine; 8° le 9 octobre 1754, Agathe-AngĂ©lique de Baillard de Beaurevoir. Nulle famille n'a payĂ© un plus lourd tribut Ă  l'Ă©chafaud. L'aĂźnĂ©, Jean-Jacques Baillard, comte de Troussebois l, parut dans les assemblĂ©es de la noblesse en 1789, pour des biens situĂ©s dans les chĂątellenies d'Ainay et de Billy. Le cadet, Jean-CĂ©sar-Martial de Chervil, y fut aussi prĂ©sent. Au moment de la RĂ©volution, pendant que Troussebois remplissait une mission, Ă  la cour de Sardaigne, Chervil vint avec sa soeur, Louise-Madeleine Baillard des Combeaux, habiter la Motte-Mourgon. en la paroisse de Magnet, district de Cusset 2. Troussebois ayant Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme Ă©migrĂ©, ses biens furent mis sous sĂ©questre et sa maison sous scellĂ©s; on le voit Ă  la sĂ©ance du 29 novembre 1792 du directoire du district, oĂč Garaud, receveur de l'enregistrement, Ă©tant venu raconter sur des bruits que le mobilier avait Ă©tĂ© enlevĂ©, on nomma pour vĂ©rifier le fait Bilhaud et Gontier 3. 1. Jean-Marcellin Baillard des Combeaux, son pĂšre, Ă  la suite de son mariage avec dame Madeleine de Troussebois de Chervil, avait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  relever le nom et les armes des Troussebois. " 2. La Mothe-Mourgon, aujourd'hui propriĂ©tĂ© de M. Rigal, de Montpellier, avait appartenu aux Coligny-Saligny. Echue Ă  RenĂ© Bardon, Ă©cuyer, sieur du MĂ©age, elle fut vendue en 1721 Ă  Alexis Robert, Ă©cuyer du duc d'OrlĂ©ans, et en 1730 acquise par Jean-Marcellin Baillard, gentilhomme originaire du Velay. 3. Le citoyen Garaud, receveur de l'enregistrement, est venu annoncera l'administration qu'il soupçonnait que les scellĂ©s, apposĂ©s dans la maison de l'Ă©migrĂ© Troussebois, n'avaient pas Ă©tĂ© respectĂ©s et qu'il craignait d'aprĂšs divers bruits qui se rĂ©pandent que les effets de cet Ă©migrĂ© n'eussent Ă©tĂ© enlevĂ©s et conduits nuitamment dans des maisons tierces ; il a donnĂ© quelques renseignements qui paraissent justifier ses soupçons. L'administration, dĂ©libĂ©rant sur la pĂ©tition du citoyen Garaud, considĂ©rant qu'elle est chargĂ©e de surveiller les propriĂ©tĂ©s des Ă©migrĂ©s dĂ©clarĂ©es nationales par la loi, et qu'il est important de vĂ©rifier promptement les bruits qui se rĂ©pandent l66 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La vente est annoncĂ©e pour le 13 mai 1793. Le 8, Baillard-Chervil et la citoyenne Baillard-Descombeaux, sa soeur, demandent Ă . rester Ă  La MottĂ©-Mourgon. jusqu'aprĂšs, la vente du mobilier de l'Ă©migrĂ© Baillard,. leur frĂšre». rĂ©pond qu'il n'y a pas lieu Ă  dĂ©libĂ©rer, les pĂ©titionnaires se trouvant dans l'un des cas prĂ©vus par l'arrĂȘtĂ© du conseil .gĂ©nĂ©ral du, dĂ©partement au 18 de ce mois 1 ». Deux mois aprĂšs, on s'en prend aux personnes. Le 24 juillet 1793, .Givois,.le procureur syndic du district, donne avis au comitĂ© de surveillance publique que Baillard-Chervil, frĂšre de l'Ă©migrĂ© Troussebois, tient journellement des [propos] inciviques qui tendent Ă  troubler l'ordre public; il publie que la. Convention a dĂ©truit la religion, que les rebelles de la VendĂ©e se proposent de la rĂ©tablir ; il vante beaucoup .les* villes qui ont insurgĂ© contre la Convention ; il cherche Ă  faire croire, que le succĂšs de la mauvaise cause est infaillible., que tous les dĂ©putĂ©s qui ont votĂ© la mort de l'infĂąme Capet, mĂ©ritent d'ĂȘtre suppliciĂ©s. suivies faits le juge Dufloquet, le citoyen Mativet, levicaire GoĂ»te', la domestique d'Artaud, nĂ©gociant, celle de Fontbouillant et les autres personnes que ces tĂ©moins indiqueront. Telles sont les dĂ©nonciations qui ont Ă©tĂ© faites au procureur syndic ; il prie le comitĂ© vĂ©rifier dans le jour ; et a signĂ© .F. Givois. » Givois Ă  lui seul pouvait faire guillotiner M. de Chervil 2. Mais sur l'enlĂšvement du mobilier Troussebois; aprĂšs avoir entendu le procureur-syndic, a arrĂȘtĂ© que les citoyens Bilhaud et Gontier, administrateurs, se transporteront le plus promptement possible Motte-Mourgon pour y constater l'Ă©tat actuel des scellĂ©s, s'assurer s'ils n'ont pas Ă©tĂ© forcĂ©s et altĂ©rĂ©s de quelques maniĂšres que ce soit; faire, s'il est besoin, le rĂ©colement de l'inventaire, recevoir les dĂ©clarations de ceux qui auront connaissance de quelques enlĂšvements ou autre voie de fait exercĂ©s sur la propriĂ©tĂ© nationale de l'Ă©migrĂ© Troussebois; Ă  cet effet, autorise lesdits commissaires Ă  se faire assister de la gendarmerie nationale et Ă  requĂ©rir, s'ils le jugent Ă  propos, la force publique pour l'exĂ©cution de leur mission. » {Registre du directoire de Cusset, p. 17. 1. Fournier, administrateur du district, avait Ă©tĂ© chargĂ© de surveiller la vente des meubles du comte de Troussebois. Mais on le nomme commissaire du dĂ©par- tement de l'Allier. Le 14 mai, on le remplace par Mure, autre membre du district, 2. Givois, dit l'opuscule Crimes connus des principaux terroristes de [Cusset, p. 19, livrait au tribunal rĂ©volutionnaire tous ses ennemis ; et des notes envoyĂ©es Ă  Fouquier-Tinville dispensaient de tĂ©moins. Cet envoi de notes est prouvĂ© par le rapport de ceux qui ont vu la lettre Ă©crite au sujet de Baillard, dans laquelle Givois disait Ă  Fouquier-Tinville Voici les prĂ©mices de notre contingent » ; parce qu'il dit aprĂšs la condamnation de Dubost, que des notes suffisaient et qu'il ne fallait pas de tĂ©moins, et par ce qu'il dit encore chez Virotte Que faites-vous de cette vieille B... de Dupuis Lajarousse? Voulez-vous la faire guillotiner? Son affaire UNE FAMILLE SOUS LA; TERREUR ^n pour ĂȘtre plus sĂ»r du succĂšs, il employait son oncle Pierreioresl tier. C Ă©tait lui qui avait dĂ©couvert le domicile-de M de Trousse 12, page 54 du Secret des horreurs commises dans le district l'affirme Givois. a dit souvent que Forestier son. oncle, avait dĂ©couvert la. maison qu'habitait Troussebois xi que bientĂŽt il disparaĂźtrait du sol de la libertĂ©. » A eux deux ils croient venir Ă  bout de leurs victimes. Le 5 aoĂ»t 1793, Forestier Ă©crit de Paris au citoyen Julien de Toulouse, qui faisait alors partie du comitĂ© de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale de‱ la Convention Revenu depuis hier, mon-cher collĂšgue, je me suis empressĂ© de venir Ă  ce comitĂ© demander des nouvelles de l'affaire ci-jointe ; il a fallu bien du temps pour la retrouver .‱ ^elle me paraĂźt trĂšs grave. Je te prie de l'examiner et de faire prendre par le comitĂ© les mesures nĂ©cessaires et plus promptes — FORESTIER. » Toutefois il faut croire que Julien n'avait pas autant Ă  coeur la mort du malheureux car on ne se pressait pas d'envoyer Chervil a l'echafaud ; et lui, qui ne savait trop ce qu'on lui voulait demande sa mise en libertĂ© au comitĂ© de Cusset. Le .24aoĂ»t 1703' le comitĂ©, considĂ©rant que le comitĂ© gĂ©nĂ©ral de la Convention est saisi de cette affaire et qu'il demande copie de toutes les piĂšces », dĂ©clare qu'il n'y a pas lieu de dĂ©libĂ©rer jusqu'Ă  la rĂ©ponse, du comitĂ©. Mais le service des gendarmes Ă©tant nĂ©cessaire auprĂšs des commissaires chargĂ©s de la vente du mobilier de Busset il arrĂȘte que le commandant de la garde nationale dĂ©signera chaque jour un garde national qui remplacera la gendarmerie-chargĂ©e de garder Baillard-Chervil, lequel sera tenu de payer ladite garde Ă  raison de cent sous par 24 heures— SignĂ© Brizard, Garaud, Poucet, F. Givois, procureur syndic, et Brunet, secrĂ©taire. » ..... Six jours aprĂšs, nouvelle demande du prisonnier. 11 trouve quepayer cent sous, par jour le plaisir d'ĂȘtre tenu -en charte privĂ©e mĂȘme par un garde national Ă  la place d'un gendarme, c'est un peu cher, d'autant qu'il n'a, rien pour Alors le comitĂ© dĂ©libĂ©rant sur la pĂ©tition prĂ©sentĂ©e par le citoyen Baillard-Chervil' tendant Ă  .obtenir qu'il ne soit pas .gardĂ©, Ă  vue, sous la cautionqu il a prise de sa personne de celle du citoyen Bouquet, un des notables de ..cette. ville ; le comitĂ©, considĂ©rant l'extrĂȘme dĂ©tresse du citoyen Baillard-Chervil ; considĂ©rant qu'il n'a d'autre but que sera bientĂŽt faite. J'ai deux hommes dans ma manche. » Sans doute Dumas et rouquier-Tinville. l68 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE de veiller Ă  la sĂ»retĂ© publique en s'assurant des personnes suspectes et non de fatiguer les individus par des moyens rigoureux et vexatoires ; considĂ©rant qu'il peut exercer une surveillance sans frais sur le citoyen Chervil, arrĂȘte en consĂ©quence, sans qu'il soit mĂȘme besoin de caution, que Baillard-Chervil cessera d'ĂȘtre gardĂ© Ă  vue, se rĂ©servant le comitĂ© tous les moyens de surveillance que la sagesse lui suggĂ©rera. Signe Boudai, Poncet, Garaud et GoĂ»te, secrĂ©taire ». Cette mansuĂ©tude n'Ă©tait qu'un accident. Le 8 octobre 1793, parut un arrĂȘtĂ© du comitĂ© de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale de la Convention qui dĂ©cide que le nommĂ© Baillard-Chervil, dĂ©tenu chez lui en la ville de Cusset, sera traduit devant un tribunal rĂ©volutionnaire. Le 13, le comitĂ© de Cusset le fait conduire Ă  Paris par la gendarmerie. SignĂ© Gaspard Saint-Quantin, Arlouin, Poncet, Marpon, Garaud, Brunet. On a assignĂ© comme tĂ©moins contre Baillard-Chervil et sa soeur, contre Baillard-Troussebois qu'on avait aussi arrĂȘtĂ© dans le mĂȘme temps Ă  Paris i° Germain Mativet, 31 ans, aubergiste et membre du comitĂ© de surveillance de Cusset, demeurant Ă  Busset; 20 Jacques Corps, 40 ans, brigadier de gendarmerie du dĂ©partement de l'Allier ; 30 la citoyenne Anne Meunier, 40 ans, femme de Fontiance, maĂźtre de poste Ă  Cusset ; 40 Charles-Pierre Amelot, 33 ans, officier de santĂ© Ă  Cusset ; 50 GenĂȘt Goutte, 28 ans, demeurant actuellement Ă  Paris, Ă©tudiant en chirurgie ; 6° Bias Dufloquet, 42 ans, juge du tribunal au district de Cusset; 70JeanBaptiste Durand, 28 ans, instituteur Ă  Cusset ; 8° Antoine SainteMarthe, 35 ans, ci-devant procureur au ci-devant ChĂątelet Ă  Paris, demeurant Ă  Paris. Voici la lettre que, de Cusset, le 9 pluviĂŽse, an II de la RĂ©publique une et indivisible », F. Givois Ă©crivait Ă  l'accusateur public du tribunal rĂ©volutionnaire pour lui recommander ses tĂ©moins et aussi les prĂ©venus Je te renvoie, citoyen, la cĂ©dule relative au royaliste Baillard-Cherville et l'original de l'assignation que j'ai fait donner Ă  sept tĂ©moins, pour le 17 pluviĂŽse. Tous se disposent Ă  partir, et je crois que leurs dĂ©positions orales seront infiniment plus concluantes que celles Ă©crites. Tu verras sans difficultĂ© un conspirateur dans ce fanatique ex-noble ; il avait des relations trĂšs frĂ©quentes avec son frĂšre Baillard-Troussebois, Ă©migrĂ© rentrĂ© que tu tiens dans la geĂŽle ; ils s'Ă©crivaient des lettres mystiques et Ă  double sens, que je tĂącherai de me procurer et de te faire passer le plus tĂŽt possible. Parmi les tĂ©moins que je t'envoie, deux connaissent Troussebois et te serviront pour le mettre de suite en UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 169 jugement ; ces deux tĂ©moins sont Germain Mativet et CharlesPierre Amelot 1, mĂ©decin ; ainsi tu pourras faire danser les deux frĂšres Ă  la fois et les faire juger le mĂȘme jour car il y a une liaison intime entre eux je dis une liaison, parce que la seule correspondance de Cherville avec son frĂšre, Ă©migrĂ© rentrĂ©, suffira pour motiver sa condamnation, indĂ©pendamment de ses propos contrerĂ©volutionnaires. L'huissier Duchon, qui a donnĂ© les assignations, est un bon sans-culotte, pĂšre de volontaire, qui s'en rapporte Ă  toi pour ses honoraires; Mativet, l'un des tĂ©moins, est chargĂ© de recevoir la somme que tu arbitreras... » On eut Ă©gard Ă  ces instances, et Fouquier-Tinville sut faire danser les deux frĂšres Ă  la fois », avec la soeur aussi, et la fille et le gendre. Le 15 pluviĂŽse 3 fĂ©vrier, dans son acte d'accusation, il s'exprimait ainsi Cherville est Ă©videmment le complice de Troussebois, son frĂšre. C'est lui qui Ă©tait le centre de ses correspondances dans l'intĂ©rieur. C'Ă©tait lui qui recevait toutes les lettres de Troussebois, pour lui et les autres individus avec lesquels il correspondait ; c'Ă©tait lui qui recevait, payait, administrait, gĂ©rait et lui faisait passer des fonds Ă  Turin ou ailleurs ; c'Ă©tait encore lui qui s'Ă©tait chargĂ© de tromper la surveillance des autoritĂ©s constituĂ©es sur les trames, complots et conspirations de son frĂšre, en faisant valoir comme une absence lĂ©gitime son Ă©migration contre-rĂ©volutionnaire et liberticide. C'est au moment de sa rentrĂ©e en France que Troussebois surtout fit faire le plus de dĂ©marches. J'avais, Ă©crit-il Ă  sa femme, chargĂ© Jeannette de quelques lettres pour mettre Ă  la poste quand elle serait arrivĂ©e atix frontiĂšres. Il y en avait, je crois, une pour le chevalier dont je comptais trouver la rĂ©ponse ici. Mais je n'en ai point trouvĂ© ; je lui ai Ă©crit hier, en lui envoyant des passeports que j'avais eus pendant deux annĂ©es de suite, pour sortir du royaume et vaquer aux diffĂ©rentes affaires que j'avais Ă  Turin. Je comptais lui envoyer aussi d'autres papiers que j'attendais de mon fermier de La Motte, que je n'ai pas encore reçus, qui sont un certificat des affaires Ă©trangĂšres Ă  Turin, qui atteste que je n'ai pas bougĂ© de ladite ville, oĂč j'Ă©tais pour mes affaires. » MalgrĂ© les voyages Ă  Milan et de Paris. 1. Amelot, administrateur, fut destituĂ© comme modĂ©rĂ© par les terroristes ; il ne se vit accolĂ© au sanguinaire Mativet que parce qu'on avait formĂ© le projet de le faire arrĂȘter Ă  Paris ; mais, instruit par ses amis, il eut le rare bonheur d'Ă©chapper Ă  la rage de ses persĂ©cuteurs. 17© REVUE DU MONDE CATHOLIQUE D'autres lettres attestent les intrigues, les manoeuvres, les dĂ©marches de tous genres, employĂ©es par Chervil pour circonvenir -et tromper les dĂ©positaires de l'autoritĂ© et jusqu'aux reprĂ©sentants du-peuple, pour rĂ©intĂ©grer ledit Troussebois dans ses propriĂ©tĂ©s, -malgrĂ© les connaissances qu'il avait non seulement de son Ă©migration,- mais encore de ses trames, complots ' et conspirations contre la nation française. C'est lui qui, aprĂšs avoir retardĂ© la vente du mobilier de Troussebois Ă  La Motte, par l'ordre qu'il en avait obtenu du traĂźtre Roland, employait encore, lorsque le sursis a Ă©tĂ© levĂ©, -de-nouvelles intrigues pour rendre cette vente sans produit" pour la nation, en s'en faisant remettre la plus grande partie du prix -au-nom de la belle-mĂšre de Troussebois, sa soeur et lui, ainsi que le constate sa lettre du 31 juillet dernier ; enfin une note Ă©crite de sa main prouve qu'il entretenait une correspondance avec le nommĂ© Regnault, major de la-place de Turin. . D'autres faits Ă©tablissent encore la haine de Chervil pour la libertĂ© et l'Ă©galitĂ©, et dĂ©montrent ses complicitĂ©s dans les trames de son frĂšre. Il n'a jamais renoncĂ© Ă  ses dĂ©nominations de l'aristocratie et de la- fĂ©odalitĂ© que les lois ont proscrites. Dans' lĂ©s lettres qu'il Ă©crivit Ă  sa belle-soeur Troussebois, pour lui faire passer celles qu'il recevait de Turin en '1792,- il ne prenait d'autre titre que le chevalier,- et les -adressait par suscription Ă  M. lĂ© comte de Troussebois ». Enfin Chervil, chef d'escadron Ă©ni'789, a quittĂ© le service en-1790,-Ă -cause du serment alors exigĂ© par la loi. A Cusset,-oĂč Chervil rĂ©sidait; il manifesta; le 23 juillet dernier, ses opinions liberticides en prĂ©sence dĂ© plusieurs tĂ©moins en dĂ©clarant que les-rois ne tenaient leur puissance que de Dieu ; que le peuple n'avait pas le droit de lĂ©s juger et de les punir ; que la Convention, en dĂ©truisant les rois, dĂ©truisait la loi et Dieu, que les rebelles de la VendĂ©e venaient'rĂ©tablir la religion'; que tous les-reprĂ©sentants du-peuple qui avaient votĂ© Ta mort du tyran seraient eux-mĂȘmes punis de mort; applaudissant Ă  la' rĂ©bellion de Lyon, Ă  la dissolution de la sociĂ©tĂ© populaire-de Montbrison, dont il rĂ©pandait la nouvelle, ce qui a donnĂ© ;liĂ©u Ă  une dĂ©nonciation contre lui-de la part-des autoritĂ©s constituĂ©es de Cusset. Dans ces entrefaites il a reçu une lettre de son frĂšre qui lui dit, en lui parlant dĂ©s dĂ©marches qu'il fait pour-le faire rĂ©intĂ©grer dans'ses biens, qu'il y a des dĂ©tails qu'il ne peut faire dans une lettre. Cette lettre renferme des expressions figurĂ©es que l'on a voulu attribuer Ă  des opĂ©rations chimiques....parce que. l'on y parle de, .-ouvrir^ dont,;deux sont, 4fi-pĂąte-,. mais donfcfe troisiĂšme Ă©tait-devenu UNE FAMILLE. SOUS LA TERREUR I 71 rouge, expressions assez indiffĂ©rentes et approfondies d'aprĂšs l'es preuves multipliĂ©es de la complicitĂ© de Chervil avec son' frĂšrĂš'r » Ce que l'accusateur reproche surtout Ă  Chervil, on le voit, c'est d'avoir essayĂ© de sauver les biens et la vie de son frĂšre. En d'autres temps on admire, on loue, on rĂ©compense ces beaux exemples de dĂ©vouement fraternel. Le 19 pluviĂŽse 9 mars, les juges Herman, Foucault, Denizot et Subleyras, les jurĂ©s Auvrest, Compagne, Fouvetty, Payan, Gravier, Thounin, Dix-AoĂ»t, Garnier, Trinchard, Dufour et Martin, sur le rĂ©quisitoire de Liendon dĂ© Cusset,-substitut/'et malgrĂ© Tronçon-Ducoudray et Lafleuterie, dĂ©fenseurs, prononcĂšrentque cela mĂ©ritait la mort et envoyĂšrent Ă  rĂ©chafĂ ud le chef d'escadron du rĂ©giment du Languedoc, convaincu d'avoir correspondu avec son frĂšre, le colonel du rĂ©giment d'AngoulĂȘme. II AprĂšs lĂ© frĂšre, la soeur. ' "' Louise-Madeleine Baillard des Combaux eut le malheur d'habiter prĂšs de Cusset et d'ĂȘtre ainsi en la puissance de François Givois. Que pouvait-on reprocher Ă  cette femnie dĂ© cinquante-deux ans ? Dans son acte d'accusation, Fouquier-Tinville ne relĂšve, que ce grief son frĂšre Troussebois avait l'intention de la prier de venir' Ă  la frontiĂšre chercher sa niĂšce, qui voulait se marier malgrĂ© son pĂšre, et d'avoir reçu de l'argent de son autre frĂšre Chervil Des Combeaux, dit-il, soeur de Troussebois, est convaincue d'avoir entretenu des intelligences et correspondances avec lui ; elle Ă©tait chargĂ©e, Ă  La Motte, des intĂ©rĂȘts de Troussebois et lui faisait passer de l'argent. La Descombaux, dans la lettre du 4 juin 1792,, mande que tu lui aurais Ă©crit que tu partirais de la province le 22 du mois dernier. » Plus bas, il ajoute Si la Descombaux, Ă  qui j'Ă©cris par ce courrier, pouvait venir chercher ma fille au pont Beauvoisin oĂč je la conduirais/» Dans celle du 24 du mĂȘme mois, il Ă©crit Ă  Chervil Je viens de recevoir la rĂ©ponse de la Descombaux, qui serait venue bien volontiers au pont Beauvoisin chercher sa-niĂšce. ». "'‱-' Enfin, outre ces-correspondances, on voit la Descombaux se faire remettre par Chervil une sommĂ© de '2430 francs'sĂčĂŻ lĂ  vente du mobilier appartenant Ă  Troussebois dans son domaine de La Motte. » Le total s'Ă©tait Ă©levĂ© Ă  livres. M 172 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Tout cela se rĂ©sume en un mot Mlle des Combaux Ă©tait soeur de Chervil et de Troussebois, dont on voulait la mort parce qu'on convoitait leurs biens. Elle vivante ou sa niĂšce, il y avait des hĂ©ritiers naturels et une partie des propriĂ©tĂ©s Ă©chappait Ă  l'aviditĂ© des bourreaux, si cette victime Ă©vitait la hache ! Voici la lettre que, le 16 pluviĂŽse an II 4 fĂ©vrier 1794, le lendemain du jour oĂč Fouquier dressait son acte d'accusation, Ă©crivait de Cusset au comitĂ© de surveillance de Moulins François Givois, qui mit tant de zĂšle dans cette affaire je reçois Ă  l'instant de l'accusateur public du tribunal rĂ©volutionnaire de Paris l'ordre d'y faire conduire sur-le-champ, en poste, la femme Descombeau,, soeur de l'Ă©migrĂ© Troussebois ; il faut qu'elle arrive le 18 au soir, pour ĂȘtre jugĂ©e le 19 avec Troussebois, Chervil, etc.; je vous conjure de remettre sur-le-champ cette femme au gendarmĂ© Dehay,' qui est chargĂ© de la conduire Ă  Paris, et de lui faire fournir des chevaux de poste. De la promptitude, citoyens, de la promptitude. —- F. Givois. » On usa de promptitude, en effet. La lettre du 16 arrive Ă  Moulins le 17. Ce jour mĂȘme, Mlle des Combaux part de Moulins. Le surlendemain, Ă  dix heures, elle paraissait devant le tribunal rĂ©volutionnaire. L'interrogatoire fut court ; on Ă©tait pressĂ©. Si elle avait Ă©tĂ© en correspondance avec son frĂšre Ă  Turin. — Oui. — Si, lors de la vente du mobilier Ă  La Motte-Mourgon, elle ne s'Ă©tait pas rĂ©servĂ© une somme de deux mille et quelques livres. — Oui, parce qu'elle y a Ă©tĂ© autorisĂ©e par l'administration et qu'elle Ă©tait hĂ©ritiĂšre de son pĂšre pour sa lĂ©gitime. » Et aussitĂŽt elle s'entendait condamner Ă  mort. Certes les mots ont perdu leur sens, si ce n'est pas lĂ  un assassinat. III Ce n'Ă©tait pas assez du frĂšre cadet et de la soeur. Il fallait aine. L'aĂźnĂ©, c'Ă©tait Jean-Jacques Baillard des Combaux, sieur de La Motte, comte de Troussebois, nĂ© en 1720. Lieutenant au rĂ©giment de Monsieur le 9 dĂ©cembre 1755, capitaine le 3 aoĂ»t 1758, colonel le 7 avril 1773, commandant le rĂ©giment de Savoie le 26 avril 1775, plus tard rĂ©giment d'AngoulĂȘmeinfanterie, il avait Ă©tĂ© fait brigadier le 5 septembre 1781, mestrede-camp le 22 novembre 1785 et marĂ©chal-de-camp le 9 mars 1788. UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 173 Il avait reçu une blessure en Allemagne, Ă  Eberfeld, en 1759, avait fait la campagne de Corse en 1768-69, et obtenu la croix de Saint-Louis le 6 fĂ©vrier 1774. Une lĂ©gende lui fait jouer un rĂŽle peu honorable au siĂšge de Longwy par les Prussiens en 1792. Un historien local, le docteur Gigon, a racontĂ© dans Les victimes de la Terreur dans le dĂ©partement de la Charente 1866, cet Ă©pisode Ă©mouvant qui eut de si funestes suites. Le comte Baillard de Troussebois Ă©tait colonel au rĂ©giment d'AngoulĂȘme et avait pour major M. Lefebvre de Buffon. Son rĂ©giment avait l'esprit royaliste de son chef. Il se trouvait, en 1792, dans la place de Longwy, la premiĂšre exposĂ©e aux coups du duc de Brunswick. Le commandant Ă©tait M. de LavergneChamplaurier, qu'on Ă©tait allĂ©, le 27 mai 1792, tirer de sa retraite de Champlaurier, prĂšs de Saint-Claud, en Angoumois, oĂč il s'Ă©tait retirĂ© deux ans auparavant, avec le grade de capitaine du rĂ©giment de Rouergue-infanterie. On l'avait fait lieutenant-colonel, et le marĂ©chal Luckner lui avait confiĂ© Longwy, le 13 aoĂ»t, au refus du gĂ©nĂ©ral Berruyer, qui n'avait pas voulu exposer dans cette bicoque ses quarante honorables annĂ©es de service. Les fortifications, en effet, qui depuis Vauban n'avaient pas Ă©tĂ© rĂ©parĂ©es, tombaient de vĂ©tustĂ©; les fossĂ©s Ă©taient Ă  moitiĂ© comblĂ©s. De plus, la garnison n'avait avec le rĂ©giment d'AngoulĂȘme que trois bataillons de volontaires un de la CĂŽte-d'Or, deux des Ardennes, soldats braves mais inexpĂ©rimentĂ©s, quarante-quatre cuirassiers, en tout deux mille cinq cents hommes. L'artillerie se composait de soixante-dix piĂšces avec de mauvais affĂ»ts, et les canonniers Ă©taient si peu nombreux que les servants devaient s'occuper de plusieurs piĂšces Ă  la fois. La situation Ă©tait extrĂȘmement difficile. Aussi, quand le malheureux colonel Lavergne se fut rendu compte de sa position, il s'Ă©cria Je suis un homme sacrifiĂ© » ; c'est dans ces conditions qu'il fallait rĂ©sister Ă  soixante-dix ou quatre-vingt mille Prussiens. La place fut investie et les ouvrages extĂ©rieurs occupĂ©s, le 18 aoĂ»t. Le 21, un parlementaire somma la place de se rendre, et sur le refus du commandant, le bombardement commença. Le feu prit sur trois points Ă  la fois; six femmes furent tuĂ©es. Les secours promis par Luckner n'arrivaient pas, les habitants murmuraient. Lavergne fit mettre hors des remparts les femmes, les vieillards et les enfants, et menaça de pendre ceux qui parleraient de capitulation. Les notables de la ville, le colonel du rĂ©giment d'AngoulĂȘme, les officiers, lui firent des reprĂ©sentations inutiles. Le dĂ©couragement Ă©tait partout. Les soldats du rĂ©giment d'AngoulĂȘme, au 174 ‱ REVUE DU MONDE CATHODIQUE ;'m'oins .le Ier bataillon; -refusaient de tirer sur lĂšs Prussiens. Troussebois, dĂšs le commencement, voyant l'Ă©tat-de lĂ -place, avait refusĂ©le commandement, puis Ă©tait parti en poste" pour demander qu'on fĂźt sortir'ses hommes, voyant bien que c'Ă©tait les 1 sacrifier inutilement. Lavergne,-dans son 1 adresse -aux Français publiĂ©e-au Moniteur- pour sa dĂ©fense, ne l'a pas mĂ©nagĂ© Il n'est" pas, Ă©crivit-il, de mauvais conseils, d'avis faux, d'insinuations perfides, idont'il. ne ;iw'ait entourĂ©. Je puis dire qu'il Ă©puisa Ă  mon Ă©gard toutes lĂšs ressources de la perfidie. » Ces accusations sont graves. Peut-ĂȘtre n'y faut-il-'voir que l'exagĂ©ration naturelle Ă -un soldat malheureux et Ă JĂčn prisonnier qui - cherche Ă  se justifier. DĂ© l'avis'Unanime, Longwy ne pouvait ĂȘtre -dĂ©fendu. Le colonel d'AngoulĂȘme partagea les sentiments de tous les gens du capitulation fut signĂ©e le 23 courant. Le duc de Brunswick accorda les honneurs militaires Ă  la garnison, qui sortit avec amies et bagages. Les esprits Ă©taient singuliĂšrement excitĂ©s et l'Ă©poque" troublĂ©e. 'Avec -les dispositions naturelles 1 des 'Français-Ăźquine Veulent pas croire Ă  la dĂ©faite, on arriva-vite Ă  criera la trahison. L'AssemblĂ©e nationale attribua cette reddition Ă  la lĂąchetĂ©. VĂ©rgniaud, le-27 aoĂ»t Moniteur du 29, se-dĂ©chaĂźna contre la garnison ef les habitants avec-une violence souverainement injuste. ; Le -26, le ministre de la guerre ordonna de juger ma'rtialement les lĂąches qui ont rendu Longwy », et Lavergne, arrĂȘtĂ©,;fut 4Ă©fĂ©rĂ©,-le 30, Ă  une cour martiale Moniteur du iel" septembre. Louis-François Lavergne fut enfermĂ© Ă  Langres. Il publia au Moniteur du 30 septembre 1792, "ri 0 274, son apologie. Elle Ă©tait ‱ complĂšte. On- comptait- que lĂšs tribunaux militaires ne" le condamneraient pas ; if fut-donc traduit devant le jury, Ă  Troyes ; niais il Tut absous Ă  1;UnanimitĂ©.' Cependant, eOhtre toute loi,-on le garda ensprison ppUis-il-fut-MtĂšrnĂ© d'abordĂ  TrĂŽyes, ensuite Ă 'AngĂŽuTĂȘme. Mais!le-tribu'ilĂąlfĂ©voiĂčtio\ĂŻnĂąire,;créé par le 1 dĂ©cret des 10 et i2 mai> 1793,-le fit arrĂȘter et conduire 'Ă -Paris. -Le 31 mai 1794 2 germinal rĂąli II, il fut-apportĂ©, expirant, sur un matelas Ă  l'au-dĂŻenee du sanglant pourvoyeur de l'Ă©chĂ faud, et sans qu'il pĂ»t comprendrez une question ou rĂ©pondre un mot, il fĂ»t condamnĂ© Ă  itn'ĂŽ'ft - comme -auteur ou complice d'une conspiration -contre le ‱pĂšuplfefrançais, *Ă«n!ehtretĂ©nant des intelligences avec lĂšs ennemis pour-leur livrer-tĂ©s villes frontiĂšres -et notamment Ltihgwy, et favoriser ainsirinvĂ siondutefiitoirĂ« français»Jll avait cinquante-quatre ans. Sa jeune Ă©pouse. Victoire 'RĂ©silier, d'AngoulĂȘme, -q'ui avait UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 175 montrĂ© un pour dĂ©fendre sou mari et n'avait pu obtenir dĂ©partager son cachot, voulut partager sa mort. A la; porte -du tribunal, elle cria . Roi ! » AmenĂ©e aussitĂŽt-devant les juges, elle rĂ©pĂ©ta son cri. C'Ă©tait assez. Quelques'heures aprĂšs, elle eut la joie de monter sur la fatale charrette oĂč son mari, un peu de paille, Ă©tait conduit Ă  la guillotine..DĂ©vouement sublime ‱que nous admirerions Mme Lavergne avait un ou romain. L'erreur est flagrante pour Troussebois il n'Ă©tait pas Ă  Longwy. Fouquier-Tinville, dans son rĂ©quisitoire, n'eĂ»t pas manquĂ© de rappeler cette charge et d'ajouter ce crime Or, il constate sa prĂ©sence hors de France jusqu'Ă  la fin de 1792. De plus, le ier bataillon sçul du rĂ©giment d'AngoulĂȘme Ă©tait Ă  Longwy ; le 2e en AmĂ©rique depuis le commencement de 1792; enfin, d'aprĂšs Y État militaire de 1792, c'Ă©tait le colonel de Bisson qui commandait la partie du rĂ©giment rentrĂ©e en France; le lieutenant-colonel Ă©tait, de Montfort. * * * Le comte de Troussebois s'Ă©tait, aprĂšs sa mise -Ă  la retraite, retirĂ©e dans ses propriĂ©tĂ©s de l'Allier. Mais il n'y pouvait rester inaperçu. Riche, titrĂ©, gĂ©nĂ©ral, il deyait ĂȘtre suspect. Il habitait La Motte-Mourgon ; .c'Ă©fait bien prĂšs de Cusset, qui fut un des foyers rĂ©yolufio-nnaires du dĂ©partement de l'Allier,. A lui seul, Cusset envoya Ă  autant de victimes que les trois autres districts-du dĂ©partement. DĂšs le mois d'octobre 1789, les persĂ©cutions commencĂšrent contre le chĂątelain de La Motte-Mourgon. Le 19, il Ă©crit au ministĂšre de la guerre cette lettre Monsieur le comte, J'ai informĂ© hier M. le comte de des excĂšs auxquels s'Ă©tait portĂ©e visĂ -vis de moi la populace de Cusset, en venant, il y a deux jours, me surprendre Ă  main armĂ©e et fouiller mon chĂąteau depuis la cave jusqu'au grenier, en me forçant de lui ouvrir toutes mes armoires, mes commodes, tiroirs et secrĂ©taires, sous prĂ©texte, disaient-ils, que j'avais beaucoup de poudre et autres munitions, que j'avais mĂȘme fait enterrer toutes celles qui Ă©taient, Ă  Cusset et autres endroits des environs. Cette troupe, qu'on a d'abord prise pour des voleurs et des bandits, a jetĂ© l'alarme dans le canton, d'autant qu'on dĂ©bitait qu'on venait brĂ»ler et dĂ©molir mon chĂąteau et mĂȘme me couper la tĂȘte, car cette cĂ©rĂ©monie devient fort Ă  la mode, j'ai su, depuis, qu'on avait rĂ©pandu encore que j'avais icy une vingtaine de 176 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE canons de cachĂ©s, que j'Ă©tais grand partisan du comte d'Artois, que j'agissais de concert avec lui, et qu'il Ă©tait depuis trois jours avec moi et incognito, et qu'enfin je devais aller avec lui et de concert avec lui attaquer et dĂ©truire la ville de Cusset. C'est avec de pareilles extravagances et absurditĂ©s qu'on soulĂšve et qu'on arme l'imbĂ©cile crĂ©dulitĂ© du peuple. J'espĂšre que cela n'aura pas d'autres suites; cependant, je ne puis me flatter de rien. J'apprends mĂȘme en ce moment des circonstances qui doivent diminuer ma sĂ©curitĂ©, et le bruit court aussi qu'ils doivent aller dans plusieurs autres chĂąteaux, ce qui paraĂźt un nouveau feu que l'on souffle et que l'on vient de nouveau rallumer dans le royaume. A tout Ă©vĂ©nement, je vous prie, Monsieur le comte, de vouloir bien m'obtenir du roy la permission de passer en paĂŻs Ă©tranger et m'accorder un passeport en consĂ©quence. Je suis avec respect, Monsieur le comte, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur. C 10 DE TROUSSEBOIS, Au chĂąteau de la Motte-Mourgon, par Saint-Gerand-le-Puy, en Bourbonnais, le 19 octobre 1789. Demeurer, c'Ă©tait les tourments, l'inquiĂ©tude, les alertes continuelles, c'Ă©tait le pillage, l'incendie, la mort; partir, c'Ă©tait la trahison, le complot, l'inscription sur la liste des Ă©migrĂ©s, la confiscation, la misĂšre, et Ă  l'occasion l'Ă©chafaud. On comprend que, devant cette alternative, beaucoup de gens aient hĂ©sitĂ© et que la fuite ait Ă©tĂ© pour beaucoup une nĂ©cessitĂ© la moins dangereuse ; on s'explique ainsi l'Ă©migration. Troussebois ne profita pas de ses passeports. Il croyait Ă  une bourrasque, et qu'Ă  force de patience, de bontĂ©, de prudence, de condescendance, de modĂ©ration, et secondĂ© par les officiers de la milice nationale, il parviendrait Ă  calmer l'orage, Ă  dissiper les prĂ©ventions. Il se trompait la haine, la mauvaise foi, ne dĂ©sarmeront pas. Une seconde lettre, datĂ©e de Saint-Gerand-le-Puy, le 18 dĂ©cembre 1790, nous le montre en butte aux mĂȘmes attaques Monsieur, Votre prĂ©dĂ©cesseur dans le ministĂšre de la guerre avait Ă©tĂ© informĂ© des dangers que j'ai encouru, il y a environ an an, par la populace d'une petite ville de ces environs, que des gens mal intentionnĂ©s avaient soulevĂ©e contre moi et qui Ă©tait venue pour abattre mon chĂąteau et me couper la tĂȘte, sous prĂ©texte, disait-on, que j'Ă©tais des partisans de la reine et surtout du comte d'Artois, qu'on disait alors ĂȘtre cachĂ© dans mon chĂąteau depuis quelques jours et oĂč j'avais une provision de canons et de munitions de guerre; et enfin cent autres absurditĂ©s pareilles qu'il serait trop long et inutile de vous rĂ©pĂ©ter ici. Je n'Ă©chappai Ă  leur rage que par un coup de la Providence et aprĂšs avoir Ă©tĂ© conduit, le pistolet sur la gorge, de la cave au grenier pour montrer tous les coins et recoins de ma maison. Pour me soustraire, si le cas Ă©chĂ©ait, Ă  de nouvelles violences et persĂ©cutions, UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 177 je demandai au roy la permission de passer dans les paĂŻs Ă©trangers avec un passeport, ce que Sa MajestĂ© m'accorda sur-le-champ. On tenta ensuite de soulever encore cette mĂȘme populace de Cusset par des lettres anonymes qu'on lui adressa contre moi Ă  qui on fit aussi, par la mĂȘme voye, toutes sortes de menaces ; mais Ă  force de prudence, de modĂ©ration, de peines et de soins, secondĂ© par les officiers de la milice nationale de ladite ville dont je n'ai eu qu'Ă  me louer, je parvins Ă  rendre infructueux les efforts des gens mal intentionnĂ©s et j'Ă©vitai de m'expatrier. ... J'Ă©prouve, Monsieur, depuis quelque tems, de nouvelles vexations de la part de la municipalitĂ© de mon endroit, qui a Ă  sa tĂȘte un paĂŻsan pour maire, qui ne sait ny lire ny Ă©crire et qui, m'a-t-on dit, est excitĂ©e elle-mĂȘme par le district de Cusset. AprĂšs m'avoir fait diffĂ©rentes insultes, aprĂšs m'avoir mis des impĂŽts audessus de toute justice et raison, en rĂ©pondant, sur les reprĂ©sentations qu'on faisait pour moi, qu'on ne pouvait trop charger un aristocrate et qu'il fallait le faire payer pour le tems passĂ©, et moi n'ayant jamais Ă  leur opposer que les armes de la politesse, ils ont encore cherchĂ© Ă  indisposer et aigrir le peuple contre moi, sous prĂ©texte que je ne voulais pas me soumettre aux dĂ©crets de l'AssemblĂ©e nationale, et voicy comment au mois de mai dernier, me trouvant Ă  Paris, oĂč j'avais cy devant un domicile, je m'empressai de payer au trĂ©sor royal mon don patriotique conformĂ©ment aux dĂ©crets; en arrivant un mois aprĂšs dans ce paĂŻs cy, je prĂ©sentai Ă  la municipalitĂ© ma quittance du trĂ©sor royal qu'elle visa et signa. MalgrĂ© ma conduite et cet acte que j'ay entre les mains, elle n'a pas rougi de prendre un arrĂȘtĂ© qu'elle m'a fait signifier, il y a une quinzaine de jours, par lequel, aprĂšs avoir employĂ© les tournures les plus insidieuses pour aigrir et soulever le peuple contre moi, elle ose dire que je suis le seul dans la municipalitĂ© qui me sois soustrait au dĂ©cret qui ordonne le payement du don patriotique et m'impose de nouveau Ă  une somme exorbitante. Je me borne, Monsieur, Ă  vous citer ce seul trait, car je ne finirais pas si je voulais vous dire tout ce que j'ay Ă  souffrir et endurer. Aussi, pour me soustraire Ă  de nouvelles vexations, je me propose d'aller le mois prochain voyager avec un de mes enfants dans les paĂŻs Ă©trangers. Un autre motif se joint Ă  celui-lĂ , c'est que, par les effets ou les suites de la rĂ©volution, de trente mille livres de rente que j'avais, il ne me reste plus en ce moment que mille Ă©cus et que je me vois contraint de supprimer toute ma maison. Je vous supplie donc, Monsieur, de vouloir bien mettre ma nouvelle position sous les yeux du Roy, Ă  l'effet de m'accorder la permission dont j'ay besoin avec un passeport que je dĂ©sirerais qui fĂ»t pour un an Ă  compter du mois prochain. Je dĂ©sirerais encore, Monsieur, que vous voulussiez bien m'obtenir de Sa MajestĂ© la permission de pouvoir passer au service de quelque puissance Ă©trangĂšre si les circonstances m'y nĂ©cessitaient et que je pusse en trouver l'occasion, en assurant aussi Sa MajestĂ© que je n'en serai pas moins dans tous les tems soumis Ă  ses ordres et disposĂ© Ă  sacrifier ma vie pour ses intĂ©rĂȘts et sa gloire, comme Ă©tant un de ses plus dĂ©vouĂ©s et fidĂšles sujets. Je suis avec respect, Monsieur, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur. DE TROUSSEBOIS, Mai des camps et armĂ©es du Roy. Saint-Gerand-le-Pui en Bourbonnais, le 18 dĂ©cembre 1790. Muni de passeports du ministre de la guerre, muni de toutes les I78 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE permissions rĂ©glementaires, le comte de Troussebois se rendit Ă  Turin, le 13 juin 1791 ; il allait, comme il le dit, chercher la sĂ©curitĂ© qu'il ne trouvait plus chez lui, le moyen de vivre sans train de maison et aussi de recouvrer quelques fonds sur le gouvernement sarde. Le -comitĂ©" de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale vit lĂ  un prĂ©texte Ă , Ă©migration, les actes d'un agent de Louis XVI au profit delĂ  contre-rĂ©volution ; on l'inscrivit sur la liste des Ă©migrĂ©s du dĂ©partement de I'ArdĂšche, et ses biens furent mis sous le sĂ©questre. Il protesta dans un mĂ©moire oĂč il expliquait son absence. ce,pĂšre avait le dĂ©sir de marier sa fille au comte d'Harcourt, qui,Ă©tait gentilhomme Ă©migrĂ©, et placer auprĂšs de la comtesse d'Artois, projets qui ne furent jamais rĂ©alisĂ©s, mais qui furent une des causes de .sa condamnation Ă ' mort. Fouquier-Tinville nous expliquera tout cela, et au long. Louis AUDIAT. A suivre. s FÊTE de la fondation de la RĂ©publique 0795 Si la RĂ©publique avait Ă©tĂ© proclamĂ©e le 21 septembre 1792 et si l'on avait appelĂ© cette annĂ©e l'an Iei> de la RĂ©publique française par dĂ©cret du mĂȘme jour, on n'avait jamais pensĂ© Ă  cĂ©lĂ©brer particuliĂšrement sa fondation. Le 12 aoĂ»t 1793, on avait tentĂ© d'organiser une FĂȘte de la Constitution dont HĂ©rault de SĂ©chelles avait Ă©tĂ© l'interprĂšte. Elle n'avait pas rĂ©ussi. On devait ĂȘtre plus heureux pour celle qui dĂ©clarerait dĂ©finitive la Fondation de la RĂ©publique. Ce fut le 18 septembre 1795 que la proposition en fut Ă©mise pour la premiĂšre fois par Boissy-d'Anglas, le courageux prĂ©sident de lĂ  Convention Ă  la journĂ©e de prairial.' Celle-ci avait bien rĂ©digĂ© un dĂ©cret spĂ©cial sur l'abolition de la royautĂ© le 4 dĂ©cembre 1793, mais elle s'en Ă©tait tenue lĂ . Toute tentative de rĂ©tablissement ayant entraĂźnĂ© la mort depuis cette Ă©poque, soit pour tentative par parole, soit pour tentative par action, on n'avait pas osĂ© fĂȘter un gouvernement quis'affirmait constitutionnellement par l'Ă©chafaud. En septembre 1795, au contraire, les tribunaux rĂ©volutionnaires n'existaient plus; depuis le 31 mai ils avaient Ă©tĂ© fermĂ©s pour toujours, on pouvait maintenant se rĂ©jouir. Les partisans de la RĂ©publique le crurent et entendirent rĂ©pondre aux menaces grandissantes dU parti royaliste par l'affirmation de lafondation du nouveau gouvernement. On ce parti choisit prĂ©cisĂ©ment le lendemain de ce jour pour faire l'Ă©meute du 13 vendĂ©miaire ! illusions constantes des hommes qu'aveugle trop souvent le but secret de leurs ambitions ou la force de leurs convictions. Le deuxiĂšme jour complĂ©mentaire de l'an III, Boissy dĂ©nonça les l8o REVUE DU MONDE CATHOLIQUE violents de tous les partis ; mais il avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©, et l'assemblĂ©e avec lui, par les administrateurs du dĂ©partement de la Loire-InfĂ©rieure. De Nantes, ils avaient Ă©crit en ces termes, le 25 aoĂ»t Citoyens reprĂ©sentants, de toutes les Ă©poques de la RĂ©volution, la plus mĂ©morable sans doute est l'Ă©tablissement de la RĂ©publique, Le 14 juillet et le 10 aoĂ»t seront Ă  jamais cĂ©lĂšbres; ils ont donnĂ© Ă  la France la libertĂ© et l'Ă©galitĂ©; mais le Ier vendĂ©miaire lui a donnĂ© la RĂ©publique ; ce jour est le complĂ©ment des deux autres ce sera le jour chĂ©ri des Français. Nous demandons, citoyens reprĂ©sentants, que vous dĂ©crĂ©tiez comme article constitutionnel que, chaque annĂ©e, le 1er vendĂ©miaire sera fĂȘtĂ© dans toute l'Ă©tendue de la RĂ©publique. » Accueillie avec faveur par la Convention, cette proposition eut pour rapporteur Boissy-d'Anglas ; il la formula dans un discours net, vigoureux, oĂč on lit Vous avez dĂ©crĂ©tĂ©, sur la motion de Thibeaudeau, que le 3 octobre il serait cĂ©lĂ©brĂ© une fĂȘte en l'honneur des vertueux reprĂ©sentants immolĂ©s par la tyrannie, et vous avez chargĂ© votre ComitĂ© d'instruction publique de vous en prĂ©senter le projet c'est de cette loi que je viens vous demander l'exĂ©cution ; mais cette solennitĂ© auguste et touchante ne doit pas avoir seulement pour objet vos infortunĂ©s collĂšgues, ce doit ĂȘtre encore, si je puis parler ainsi, une cĂ©rĂ©monie expiatoire pour tous les forfaits de la tyrannie. Il faut que toutes les victimes frappĂ©es par elle, celles des 2 et 3 septembre, celles, plus nombreuses encore, immolĂ©es sur ses Ă©chafauds dans toutes ,les communes de la RĂ©publique, reçoivent l'hommage de vos regrets ; il faut que leurs parents, que leurs amis, sur les blessures desquels vous avez, autant que vous avez pu, versĂ© un baume consolateur, ceux que les mĂȘmes Ă©chafauds attendaient et que votre courage en a dĂ©livrĂ©s, se rĂ©unissent autour de vous et consacrent, par leur reconnaissance, l'anĂ©antissement d'une tyrannie qui ne renaĂźtra plus. Ce n'est pas tout il revient aussi, ce jour mĂ©morable oĂč vous avez proclamĂ© la RĂ©publique; ce jour oĂč, pendant que l'ennemi envahissait le territoire français et menaçait d'asservir cette grande commune, vous avez eu le mĂąle courage de proclamer, Ă  la face de l'Europe, ces mĂȘmes principes que vos ennemis voulaient combattre ; il faut aussi une commĂ©moration Ă  cette Ă©clatante journĂ©e qui a fixĂ© les destinĂ©es de la France. Je propose d'en rĂ©unir la solennitĂ© Ă  celle dont je viens de parler. Quelle plus belle circonstance, pour cĂ©lĂ©brer la proclamation de la RĂ©publique, que celle oĂč vous jetiez des fleurs sur la tombe des hommes qui, aprĂšs l'avoir prĂ©parĂ©e par leur courage, l'avoir dĂ©fendue par leurs vertus, ont eu la gloire de la sceller de leur sang!... Cette solennitĂ© auguste et touchante sera la proclamation Ă©clatante, quoique muette, des principes que vous avez professĂ©s et dont vous ne vous dĂ©partirez point ; par elle vous annoncerez que c'est en vain que les fauteurs de la tyrannie dĂ©cemvirale s'agitent pour reprendre leur sanglant empire. Vous direz au peuple que c'est vainement aussi que les coupables sectateurs I FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE l8l de la royautĂ© que vous avez abolie peuvent ourdir des trames pour rĂ©tablir un rĂ©gime justement et Ă©ternellement proscrit; vous rassurerez les bons citoyens, ces hommes vraiment rĂ©publicains, qui forment, quoi qu'on en dise, l'immense majoritĂ© du peuple que vous reprĂ©sentez, sur vos propres intentions, sur vos propres sentiments ; vous rĂ©pondrez Ă  cette calomnie abominable que vos ennemis rĂ©pandent pour vous perdre, et qui consiste Ă  dire que, d'une part, vous voulez relever le terrorisme, soit pour l'opposer au royalisme, soit pour le faire servir d'instrument Ă  votre ambition, et que, de l'autre, quelques-uns de vous favorisent le royalisme impur, odieux Ă  la France entiĂšre;... tandis qu'il est vrai, qu'il est constant qu'au lieu de tenter d'armer l'une ou l'autre de ces factions, ou toutes les deux, vous voulez les combattre avec courage, les anĂ©antir Ă  la fois, pour ne laisser subsister que le rĂ©publicanisme le plus pur, que la seule libertĂ© fondĂ©e sur les Ă©ternels principes de l'Ă©galitĂ©, de la morale, de la justice et de la vertu. » Si nous n'avons pu trouver une trace de cette cĂ©lĂ©bration en 1795, nous avons Ă©tĂ© plus heureux pour l'annĂ©e suivante. Le 15 aoĂ»t 1796, ChĂ©nier prĂ©senta aux Cinq-Cents un projet de rĂ©solution avec un rapport Ă  l'appui oĂč il exposa des pensĂ©es analogues Ă  celles de Boissy. On entendit alors Mercier, leur collĂšgue, soutenir que Y Ere rĂ©publicaine ne devait pas commencer du temps oĂč l'on faisait pĂ©rir les Lavoisier et les Condorcet. Il demanda qu'elle datĂąt seulement de la mise en activitĂ© de la constitution actuelle ; sa motion fut repoussĂ©e, comme Ă©tant anticonstitutionnelle. Plusieurs membres dĂ©clarĂšrent s'en rapporter au Directoire exĂ©cutif pour la cĂ©lĂ©bration,, mais en la maintenant au iei> vendĂ©miaire. L'opinion de Doulcet, Ă©dictĂ©e en ce sens, fut votĂ©e. Le gouvernement eut la charge de prendre les mesures nĂ©cessaires pour que cette solennitĂ© reçût tout l'Ă©clat dĂ» Ă  une Ă©poque aussi glorieuse et aussi chĂšre Ă  tous les bons Français. Les rĂ©dacteurs officiels de cette Ă©poque n'ont pas brillĂ©, on le voit, par la simplicitĂ© et la briĂšvetĂ© littĂ©raires L Le 20 septembre 1796, le ministre de l'intĂ©rieur dressa un programme pour la capitale. On cĂ©lĂ©bra la fĂȘte anniversaire le Ier vendĂ©miaire, donc le premier jour de l'an V, au Champ de Mars. Une salve d'artillerie annonça le commencement de la solennitĂ© Ă  trois heures de l'aprĂšs-midi. Le Soleil, sous la figure d'Apollon assis sur un char attelĂ© de douze chevaux, entourĂ© des Heures et suivi des Saisons chacune sur un char, s'avança dans l'arĂšne et en fit le tour en commençant par la droite. Le terrain formait un cirque. 1. Cette fĂȘte fut cĂ©lĂ©brĂ©e en 1798 aux armĂ©es. L'armĂ©e d'Orient agit de mĂȘme Ă  Malte aprĂšs sa conquĂȘte, et planta un arbre de la libertĂ© pour glorifier la prise de la Bastille. l82 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Les chars des Heures et des Saisons Ă©taient entourĂ©s, prĂ©cĂ©dĂ©s et suivis de groupes divers de corps de musique; on leur adjoignit des dĂ©tachements de troupes. .. L' Soleil au signe de Ia;,Balance, ce dernier Ă©tant placĂ© prĂšs de l'Ecole militaire, fut saluĂ©e d?une deuxiĂšme salve d'artillerie. Au mĂȘme moment,- les insignes de la royautĂ© placĂ©s entre le char et le tertre central s'Ă©croulĂšrent. Sur un fĂ»t de colonne apparut alors. la statue de la .RĂ©publique française, appuyĂ©e d'une main sur le faisceau dĂ©partemental et montrant, de l'autre, la statue de la LibertĂ©. Des militaires en nombre Ă©gal Ă  celui des dĂ©partements se dĂ©tachĂšrent de la force armĂ©e aprĂšs la chute des emblĂšmes royaux, et formĂšrent une triple enceinte autour du faisceau dĂ©partemental. Un hymne Ă  grand choeur, analogue Ă  la situation, fut exĂ©cutĂ© 1. Le tout se passa en prĂ©sence des membres du Directoire, des conseils . qui Ă©taient venus de l'Ecole militaire assister Ă  la fĂȘte entourĂ©s des ministres, des autoritĂ©s constituĂ©es et des reprĂ©sentants des cabinets amis de la France. A la fin de la cĂ©rĂ©monie, le Directoire exĂ©cutif Ă©tant rentrĂ© Ă  l'Ecole militaire, le public fut admis Ă  se rĂ©pandre aussitĂŽt dans le cirque. Une illumination gĂ©nĂ©rale Ă©gaya ,1a soirĂ©e; du Champ de Mars on eĂ»t dit que Chaiilot Ă©tait en flammes; des danses furent organisĂ©es partout dans Paris 2; un feu d'artifice brillant prĂ©luda aux joies d'une paix qui Ă©tait momentanĂ©ment retardĂ©e par l'entĂȘtement de l'Autriche et par les subsides de l'Angleterre. Aux Cinq-Cents, ChĂ©nier honorait en termes lyriques les anniversaires des grandes journĂ©es Gloire immortelle au 9 thermidor qui a renversĂ© la tyrannie dĂ©cemvirale, ou, si l'on veut, triumvirale ! mais aussi, gloire immortelle au 14 juillet, premier jour de la RĂ©volution, française ! gloire immortelle au 10 aoĂ»t, dernier jour du despotisme royal! » On cĂ©lĂ©bra Ă  Paris, cette mĂȘme annĂ©e,Tes fĂȘtes du 9 thermidor et du 10 aoĂ»t dans une solennitĂ© unique, le 10 thermidor; elle eut lieu sur l'emplacement de la Bastille. Des dĂ©bris de la redoutable 1. Une proclamation du ministre de l'intĂ©rieur dĂ©clara dignes de la reconnaissance nationale les poĂštes, les musiciens qui sont restĂ©s les plus renommĂ©s de la RĂ©volution ;. ChĂ©nier, Lebrun, Rouget de-Lisle,ĂŻGossĂȘc-et MĂ©hĂčl; ' 1 2. Ces fĂȘtes ne se passaient pas toujours sans accident Ă  celle du 10 caoĂ»t prĂ©cĂ©dent, des piĂšces d'artifice brĂ»lĂšrent plusieurs personnes et l'Ă©clat d'une bombe en tua trois autres. FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE 183 forteresse existant encore, on y planta un drapeau portant cette inscription Elle ne se relĂšvera jamais. On se rĂ©unit aprĂšs avoir traversĂ© la rue Saint-Antoine et les quais du Champ de Mars, oĂč GarriĂŽt flĂ©trit Robespierre et les siens au nom dĂ» Directoire qu'il prĂ©sidait/' Que dis-je? dĂ©jĂ  de nouveaux Ă©vĂ©nements sont sur la scĂšne; dĂ©jĂ  des jours dĂ©sastreux, des jours de deuil et de servitude commencent Ă  reparaĂźtre au despotisme couronnĂ© a succĂ©dĂ©'le rĂšgne des factions; elles se disputent l'empire,-elles s'arrachent le sceptre, elles se dĂ©vorent et s'engloutissent tour Ă  tour; leipĂšuplĂš se de-nouveau, il est dans les fers du monstre qu'il croit son libĂ©rateur; il est livrĂ© aux. fureurs de ses bourreaux, alors mĂȘme qu'il les invoque comme des dieux tutĂ©laires. L'excĂšs de l'oppression en amĂšne enfin le terme; les yeux du peuple sont dessillĂ©s; il sĂŻĂ©tonne, if s'indigne d'ĂȘtre Ă©garĂ© par un lĂąche et stupide vbcifĂ©ratĂ©Ăčr; .le,tyran tombe; ce sera le dernier.;-" '! - .0 journĂ©e du 9 thermidor, c'est Ă  toi qu'Ă©tait rĂ©servĂ©e cette glorieuse Ă©poque ; c'est Ă  toi qu'elle demeure attachĂ©e pour l'immensitĂ© des siĂšcles. PrononcĂ©es par un tel homme, ces paroles vengeaient les milliers des victimes sacrifiĂ©es et sont pour l'histoire d'un prix que nous ne cachons pas. Que se pĂ ssa-t-il aux armĂ©es? Soigneux de sa renommĂ©e, Bonaparte ne s'Ă©tait pas contentĂ© d'envoyer Junot et AndrĂ©ossy, en mai, Ă  Paris y porter les trophĂ©es de ses victoires ; il avait renouvelĂ© en octobre ce systĂšme d'enthousiasme. Marmont avait reçu ce mandat avec ordre d'y parler politique et de ne pas se borner Ă  un rĂ©cit militaire. Son discours nous a Ă©tĂ© conservĂ© dans les archives de l'Etat, et il est des plus instructifs. " L'armĂ©e de la libertĂ© devait ĂȘtre celle de la victoire; les Autrichiens sont dĂ©faits-, et le peu qui Ă©chappe aux fers des Français n?a d'autre espoir que-de se j'eter-dans circonstances le favorisent, il pĂ©nĂštre jusqu'Ă  cette place'; c'est alors que Wurmser, fort de quelques troupes fraĂźches qu'il y trouve,' veut encore tenter la fortune ; mais un combat est une nouvelle occasion de gloire poulies Français; nos troupes marchent dans le plus bel ordre; et grĂące Ă  l'excellente combinaison de nos forces,' la victoire ne chancelle pas un "moment. Les Autrichiens rentrent en foule par le seul passage qu'ils possĂšdent nous nous en rendons maĂźtres, et ce qui reste,-ne pouvant ni fuir ni se dĂ©fendre, se confie Ă  notre gĂ©nĂ©rositĂ©... . ' '‱' Les 22 drapeaux que j'ai l'honneur de vous prĂ©senter, sont les tĂ©moignages Ă©clatants de ces succĂšs; Ils ont Ă©tĂ© pris en 14 jours aux combats de Sarrayalle, de Lavis, des gorges de la Brenfa, et aux batailles de Roveredo, de Bassano et Saint-Georges. L'armĂ©e d'Italie, pendant cette brillante campagne, a dĂ©truit deux armĂ©es, pris 184 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE hommes, 280 piĂšces de canon et 49 drapeaux. Ces victoires vous sont un sĂ»r garant, citoyens Directeurs, de son amour constant pour la RĂ©publique ; elle sait dĂ©fendre las lois et leur obĂ©ir, comme elle a su battre le ennemis extĂ©rieurs. Veuillez la considĂ©rer comme une des plus fermes colonnes de la libertĂ©, et croyez que tant que les soldats qui la composent existeront, le gouvernement aura d'intrĂ©pides dĂ©fenseurs. Cette allocution ne prouve-t-elle pas l'existence d'un Parti militaire qui attend son heure prudemment, mais qui s'y prĂ©pare? Dans une imprudence qui confond, le prĂ©sident du Directoire avait rĂ©pondu en parlant des victoires pour l'idĂ©e rĂ©publicaine, les assimilant Ă  celles des troupes sur les ennemis de l'extĂ©rieur. Que devenait alors la libertĂ© du suffrage Ă©lectoral dans l'avenir l ? Un an plus tard, aprĂšs le bruit qu'avait fait la cĂ©lĂ©bration du 14 juillet Ă  Milan, Bonaparte jugea qu'il importait d'ĂȘtre plus modeste. 11 appela bien dans sa proclamation la fĂȘte de la fondation Y Ă©poque la plus chĂšre aux Français, ce qui satisfit, certes, le gouvernement, mais il donna Ă  sa cĂ©lĂ©bration une couleur locale. Elle parut ĂȘtre autant un acte de l'indĂ©pendance italienne qu'un acte français ; on lui en fut reconnaissant Ă  Paris, tant on pĂ©nĂ©trait peu ses intentions. La narration que nous donnons, et qui est officielle, va Ă©tablir le caractĂšre trĂšs italien de la dĂ©monstration. La fĂȘte eut lieu Ă  Milan, Bonaparte s'y rendit de Passeriano, prĂ©cĂ©dĂ© par la proclamation que l'on sait; c'Ă©tait le 22 septembre. Au point du jour, les canons du chĂąteau annoncĂšrent la solennitĂ©. Les journaux l'avaient annoncĂ©e de leur cĂŽtĂ©, appelant le retour de cette date glorieuse pour les Français mĂ©morable pour l'univers ; ils avaient exhortĂ© leurs compatriotes Ă  cĂ©lĂ©brer avec pompe une solennitĂ© digne de la grandeur de l'Ă©vĂ©nement. De quels sentiments devaient donc ĂȘtre inspirĂ©s les citoyens d'un peuple amoureux de la libertĂ© et qui veut tĂ©moigner sa reconnaissance Ă  ses libĂ©rateurs? 1. Le ministre de la guerre avait Ă©tĂ© aussi mal inspirĂ©. Il avait placĂ© Y armĂ©e d'Italie au-dessus de tous les faits d'armes de fin 1793 et de la campagne de 1794. La postĂ©ritĂ© croira avec peine, avait-il dit, au tĂ©moignage de l'histoire, lorsqu'elle apprendra que, dans le cours d'une seule campagne, l'Italie entiĂšre a Ă©tĂ© conquise, que trois armĂ©es ont Ă©tĂ© successivement dĂ©truites, que plus de 50 drapeaux sont restĂ©s entre les mains des vainqueurs, que Autrichiens ont dĂ©posĂ© les armes, enfin que Français et un guerrier de vingt-cinq ans ont opĂ©rĂ© tous ces prodiges. L'armĂ©e d'Italie n'a plus de triomphes Ă  obtenir ; elle a rempli la plus glorieuse et la plus Ă©tonnante carriĂšre; qu'elle renvoie donc la victoire aux armĂ©es du Rhin. » A FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE 185 A huit heures, le congrĂšs gĂ©nĂ©ral d'Etat, le conseil suprĂȘme, les tribunaux, se dirigĂšrent vers l'hĂŽtel de ville ; une nombreuse garde nationale s'y Ă©tait rendue et s'y Ă©tait mĂȘlĂ©e aux troupes françaises. On les vit rangĂ©es avec elles en file dans le Pala^p commune et dans la rue qui conduisait Ă  la cathĂ©drale. Les officiers de nos troupes s'Ă©taient assemblĂ©s en corps au palais Serbelloni, oĂč Ă©tait descendu le gĂ©nĂ©ral en chef et sa femme. A neuf heures, le cortĂšge se mit en marche, prĂ©cĂ©dĂ© d'un dĂ©tachement d'artilleurs avec deux canons; l'infanterie avait dĂ©lĂ©guĂ© un piquet de grenadiers; la garde nationale milanaise suivait, reprĂ©sentĂ©e par un bataillon complet. Divers corps de musique faisaient entendre des airs militaires ou patriotiques, devenus officiels. Les autoritĂ©s municipales et les tribunaux marchaient derriĂšre, par groupes et mĂȘlĂ©s entre eux, attestant par lĂ  que les vaines distinctions avaient pris fin. Une seule pensĂ©e occupait les anciens sujets de l'Autriche, la reconnaissance pour la France. A cette Ă©poque, la cĂ©lĂ©bration d'une fĂȘte rĂ©publicaine Ă©tait une nouveautĂ©, et le peuple tenait Ă  tout ce qui affirmait un nouvel Ă©tat de choses. Sur la place de la cathĂ©drale arriva Ă  son tour le gĂ©nĂ©ral en chef, entourĂ© d'une escorte de gĂ©nĂ©raux et d'officiers formant cavalcade; ils se rangĂšrent sur le cĂŽtĂ© droit. Le congrĂšs d'Etat, la municipalitĂ©, les tribunaux et les autoritĂ©s eurent l'honneur d'une estrade en face de la cathĂ©drale. A gauche, les troupes et la garde nationale, toutes Ă©galement Ă  pied. Les musiciens garnissaient les deux cĂŽtĂ©s de l'entrĂ©e. Le canon disposĂ© sur l'avant-place du Palais de V Archiduc tonna alors; la fĂȘte commença par la plantation d'un arbre de la libertĂ©. Il Ă©tait plus grand et plus beau que celui de la prise de possession de Milan, plantĂ© pour attester nos triomphes accomplis si rapidement, du col de Tende Ă  la capitale de la Lombardie, quelques mois auparavant. Une sĂ©rie de discours dans le goĂ»t du temps dĂ©clara l'Empire irrĂ©vocablement chassĂ© des pays injustement possĂ©dĂ©s par l'Autriche, l'orgueil de sa maison impĂ©riale fut traitĂ© de despotique, son concours Ă  la coalition vitupĂ©rĂ©, l'or anglais signalĂ© Ă  l'indignation publique, et la politique de ce cabinet traitĂ©e de perfide. La valeur, la force et les principes de l'armĂ©e rĂ©publicaine l'emportaient au nom de la justice, de la libertĂ©. L'Italie Ă©tait reconnue digne de ce don, le premier, le plus prĂ©cieux de tous, sous un ciel que le CrĂ©ateur avait fait pour honorer l'humanitĂ©. Wurmser, assiĂ©gĂ© Ă©troitement dans Mantoue, allait succomber, les fers de 186 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'Ă©tranger seraient brisĂ©s-avec lui, l'antique indĂ©pendance serait proclamĂ©e par la grande nation, l'Italie serait organisĂ©e par ses soins. Les succĂšs de l'armĂ©e de Sambre-et-Meuse Ă©tendaient avec ceux de l'armĂ©e du Rhin et Moselle le mĂȘme bĂ©nĂ©fice aux pays d'Empire, le Tyrol Ă©tait bloquĂ© par nos soins, s'Ă©criait le reprĂ©sentant Garrau, ajoutant aux promesses de Bonaparte les indignations du gouvernement qu'il personnifiait en Italie. AprĂšs les remerciements enthousiastes que prononcĂšrent les autoritĂ©s milanaises et les corps d'Etat de la Lombardie, devenue la RĂ©publique Cisalpine, soeur considĂ©rable de la RĂ©publique Transpadane créée par nous en Emilie, eut lieu le dĂ©filĂ©. En prĂ©sence du gĂ©nĂ©ral en chef, de Garrau, des officiers du quartier gĂ©nĂ©ral, les troupes et celles qu'on nommait dĂ©jĂ  nationales Ă  Milan passĂšrent devant eux par pelotons. Au milieu des applaudissements, elles firent le tour de la place, s'acheminĂšrent vers le cours principal de la porte d'Orient oĂč se rendit Bonaparte avec son cortĂšge. EnvironnĂ© d'un concours de peuple ivre de ce spectacle militaire si nouveau pour lui, le vainqueur rentra au palais Serbelloni, acclamĂ© jusqu'Ă  la frĂ©nĂ©sie. LĂ  encore, moins gĂ©nĂ©ral d'armĂ©e que souverain, il fut saluĂ© par les reprĂ©sentants de cette capitale oĂč un empereur romain et quantitĂ© de CĂ©sars germains avaient paru, dans le palais qu'il a immortalisĂ© par sa prĂ©sence rĂ©pĂ©tĂ©e. Il y reçut des hommages que la joie italienne rendait touchante et qui s'adressaient Ă  sa compagne autant qu'Ă  lui. Une lettre privĂ©e le constate et expose en termes curieux la participation de Mms Bonaparte Ă  la solennitĂ© '. i. Mmc Bonaparte jouissait du coup d'ceil de la fĂȘte de dessus la grande loge du Casino di recrearioni; toutes les fenĂȘtres Ă©taient garnies de spectateurs. Au fond de la place, on avait Ă©levĂ© un temple avec la statue de laLibertĂ©. La dĂ©esse elle-mĂȘme parut bientĂŽt sur un superbe char triomphal traĂźnĂ© par six beaux coursiers; c'Ă©tait une jeune femme vĂȘtue Ă  la grecque et agitant un drapeau tricolore. Six jeunes garçons folĂątraient autour d'elle, ornĂ©s de guirlandes de fleurs et de feuillages, et portant les emblĂšmes de la libertĂ© victorieuse, de la tyrannie vaincue, de la coalition foudroyĂ©e. Entre les guirlandes fleurs on lisait sur une large inscription les noms des armĂ©es qui ont bien mĂ©ritĂ©, de la pairie; d'autre part, celui de la Lombardie, prĂ©sentĂ© Ă  la dĂ©esse par ungĂ©nie_qui l'implorait en faveur de nos belles contrĂ©es. Ce char,,aprĂšs avoir comparu au palais du gĂ©nĂ©ral, parcourut la ville, puis retourna Ă  la place du palais national pendant le dĂźner, dont le gĂ©nĂ©ral fit les honneurs. '‱.. '- Au sortir du dĂźner, le cortĂšge se rendit,-au .bruit du canon, au cours de la d'Orient, et assista Ă  jeux qui rappelaient les. beaux jeux ,de ,1a. GrĂšce-. IL" y eut des courses Ă  pied et Ă  cheval, exĂ©cutĂ©es par des officiers français ainsi que par nos citoyens; le soir, des reprĂ©sentations théùtrales, des danses, et une joie FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE 187 RĂ©pĂ©tĂ©s au gouvernement, commentĂ©s par la presse, ces triomphes de notre cause et de nos armes adoucissaient les douleurs nĂ©es d'une persĂ©cution rĂ©volutionnaire. On y voyait la promesse d'une paix chĂšrement achetĂ©e mais sĂ»re, et le,'gage de tous les apaisements Ă  l'intĂ©rieur. ' En 1797, nouveau spectacle et nouvelle leçon. Sur les façades d'une pyramide Ă©levĂ©e au centre de leur rĂ©union, les troupes avaient vu inscrits les noms de leurs morts par division. Elle Ă©tait ornĂ©e de tous les attributs reprĂ©sentant leurs victoires; on y avait joint les emblĂšmes rĂ©publicains, la Constitution de l'an III qui avait servi de modĂšle Ă  celle des Cisalpins. Les troupes s'Ă©taient rangĂ©es autour en bataillon carrĂ© et avaient saluĂ© de leurs acclamations les vĂ©tĂ©rans et les blessĂ©s dĂ©filant devant elles au son des tambours, pendant que l'artillerie leur rendait un suprĂȘme hommage. Une revue passĂ©e par Bonaparte Ă  la tĂȘte de son Ă©tat-major avait achevĂ© d'enivrer les soldats et les spectateurs. Parvenu devant les carabiniers, de la 11e demi-brigade d'infanterie lĂ©gĂšre, il leur avait dit en un langage dont il avait dĂ©jĂ  le secret Vous vale% Ă  vous seuls 3000 hommes. A la 13e, qui formait la garnison de VĂ©rone Les tyrans ont pĂ©ri avec la tyrannie. Aux officiers rĂ©unis en corps pour recevoir les drapeaux Ojie ces drapeaux soient toujours sur le chemin de la libertĂ© et de la victoire. Pendant le dĂ©filĂ©, un caporal de la 9= sortit des rangs pour s'Ă©crier GĂ©nĂ©ral, tu as sauvĂ© la France sauve la RĂ©publique! L'enthousiasme, la vĂ©ritĂ© alors, la voilĂ  dans les larmes et le cri de ce hĂ©ros inconnu. Les applaudissements de la foule, ce spectacle grandiose quoique prĂ©parĂ©, attestaient la popularitĂ© de Bonaparte, les voeux des troupes et l'ardeur qu'elles apporteraient un jour Ă  se tourner contre ceux qui indigneraient par leurs sarcasmes, contre les insulteurs de leur gloire, quel que fĂ»t leur camp politique. Bonaparte offrit, le soir, un dĂźner aux gĂ©nĂ©raux, aux officiers et aux vĂ©tĂ©rans. Il porta un toast aux gĂ©nĂ©raux et Ă  tous les braves morts pour la dĂ©fense de la libertĂ©. Leurs mĂąnes devaient prĂ©venir des embĂ»ches des ennemis... de la patrie. A la Constitution de l'an-II, s'Ă©cria Berthier, et au Directoire ! Qu'il anĂ©antisse les coniredont coniredont Ă©prouvons encore les douces cl enivrantes sollicitations, en nous Ă©criant Vive, la RĂ©publique française! vive le jour de sa fondation ! Puisse la cinquiĂšme Ă©poque de son anniversaire devenir la premiĂšre de notre rĂ©publique lombarde et italique ! » 188 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE rĂ©volutionnaires L — A la destruction du club de Clichy ! ajouta Lannes. — A la réémigration des Ă©migrĂ©s! » rĂ©pliqua un vĂ©tĂ©ran couvert de blessures. Ces paroles enflammĂ©es Ă©taient saluĂ©es par la musique jouant tantĂŽt le pas de charge, tantĂŽt le terrible Ça ira des faubourgs parisiens. Cette fĂȘte devenue violente par la politique se termina par une collection d'adresses Ă©manant de chaque division, signĂ©es par des milliers d'officiers et de soldats et que leur chef envoya au gouvernement. Il y avait dĂ©sormais un parti militaire, nĂ© des circonstances, dĂ©veloppĂ© avec le temps, que les Jacobins avaient créé contre leurs forfaits, que les Ă©meutes avaient fait Ă©clore, que les conquĂȘtes ennoblissaient, dont le gĂ©nie s'emparerait un jour. Les directeurs publiĂšrent les adresses. Elles signifiaient clairement que les vainqueurs italiens Ă©taient prĂȘts Ă  combattre la faction qui divisait les conseils et se prĂȘteraient Ă  un coup d'Etat. Leur langage ne pouvait laisser aucun doute. Quoique MassĂ©na ne fĂ»t pas un fougueux, sa division Ă©crivit sous son inspiration La route de Paris offre-t-elle plus d'obstacles que celle de Vienne? Non. Elle sera ouverte par les rĂ©publicains restĂ©s fidĂšles Ă  la libertĂ©; nous la dĂ©fendrons, et nos ennemis auront vĂ©cu. » A la Favorite comme Ă  Arcole, officiers et soldats s'Ă©taient illustrĂ©s et entendaient garder leurs grades comme leur position sociale, fruit de leur sang. La division d'Augereau Ă©tait commandĂ©e par un soldat dont la violence des opinions Ă©taient telle qu'il querellait Ă  tout propos les gĂ©nĂ©raux moins faubouriens que lui. De lĂ  une adresse rĂ©digĂ©e dans le langage des clubs Conspirateurs, vous ĂȘtres rusĂ©s, astucieux, perfides; mais vous ĂȘtes encore plus lĂąches, et nous avons, pour vous combattre, du fer, des vertus, du courage, le souvenir de nos victoires, l'enthousiasme irrĂ©sistible de la libertĂ©. Et vous, mĂ©prisables instruments des forfaits de vos maĂźtres... tremblez! De I'Adige au Rhin et Ă  la Seine, il n'y a qu'un pas, tremblez ! Vos iniquitĂ©s sont comptĂ©es et le prix en est au bout de nos baĂŻonnettes. » Tel fut le langage du vainqueur de Castiglione. Avec Bernadotte, accouru de Sambre-et-Meuse ! on eut la fiertĂ© i. Bcrthier envoya Ă  toutes les administrations de dĂ©partement le dĂ©tail imprimĂ© de tout ce qui s'Ă©tait passĂ© Ă  Milan. La lettre avait pour en-tĂȘte une vignette reprĂ©sentant la pyramide du Champ de Mars, un gĂ©nie tenait des tablettes oĂč figuraient les prĂ©liminaires de la paix; le tout Ă©tait surmontĂ© d'une renommĂ©e dominant une carte gĂ©ographique oĂč on voyait Turin et GĂȘnes, Rome et Venise, Mantoue et Vienne. FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE 189 rĂ©publicaine en appelant aux soutiens de la Constitution lĂ©gale. Les mĂȘmes bras qui ont assurĂ© l'indĂ©pendance nationale, les mĂȘmes chefs qui ont guidĂ© les phalanges existent encore. Avec de tels appuis, vous n'avez qu'Ă  vouloir pour faire disparaĂźtre les conspirateurs du tableau des vivants. » On n'admettait pas la mise en discussion du gouvernement et de son pacte. Serrurier fut aussi explicite et se porta garant de l'opinion de ses compagnons d'armes contre ceux qu'il nommait des scĂ©lĂ©rats. Il vous suffira sans doute, pour les anĂ©antir, de dĂ©tacher quelques-uns de nos braves frĂšres d'armes des armĂ©es du Rhin et Moselle et de Sambre-et-Meuse. Nous dĂ©sirons partager avec eux l'honneur de purger la France de ses plus cruels ennemis. » Ces ennemis, Lannes les avait vitupĂ©rĂ©s en leur reprochant le sang des patriotes qu'ils voulaient rĂ©pandre. Un de ses collĂšgues devait aller plus loin encore. Le glorieux vainqueur de Rivoli, Joubert, mit en scĂšne Louis XVIII en ces termes Eh quoi! l'odieux Capet qui, depuis six ans promĂšne son opprobre d'Etat en Etat, toujours chassĂ© par nos phalanges rĂ©publicaines, les mettrait aujourd'hui sous le joug 1 Si cette idĂ©e est rĂ©voltante pour tout citoyen que l'amour de la patrie a aiguillonnĂ© une seule fois, combien ne l'est-elle pas davantage pour les vieux soldats de la RĂ©publique ! » Au jour des pĂ©rils intĂ©rieurs, tel Ă©tait celui que SiĂ©yĂšs devait choisir pour sauver les rĂ©publicains dĂ©bordĂ©s. Bien que soldat, Baraguey-d'Hilliers s'Ă©criait Nous renouvelons le serment solennel de haine aux factieux, de guerre Ă  mort aux royalistes, de respect et de fidĂ©litĂ© Ă  la Constitution de l'an III. » Ici, on n'oubliait personne, le gĂ©nĂ©ral en chef avait Ă©tĂ© rudement compris. RĂ©publicain dĂ©cidĂ©, Delmas de la CorrĂšze prononçait un serment des grands jours. S'il Ă©tait possible que la libertĂ© jamais pĂ©risse, nous sommes dĂ©terminĂ©s Ă  nous ensevelir sous ses ruines! » Delmas fut disgraciĂ© plus tard par NapolĂ©on. Le futur duc de Bellune empruntait Ă  Hoche ses imprĂ©cations Plus d'indulgence, plus de demi-mesures ! La RĂ©publique ou la mort! » Les directeurs ne comprirent que trop, en fructidor, la valeur de ces apostrophes ; l'exil et les prisons en confirmeront la portĂ©e. Bonaparte tĂ©moigna une colĂšre redoutable. Il accompagna l'envoi des adresses de ses lieutenants de la lettre suivante Le soldat demande Ă  grands cris si, pour prix de ses fatigues et de six ans de I90 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE guerre, il doit ĂȘtre, Ă  son retour dans ses foyers, assassinĂ© comme sont menacĂ©s de l'ĂȘtre tous les patriotes... N'est-il donc plus en Fiance de rĂ©publicains? Et aprĂšs avoir vaincu l'Europe, serons-nous donc rĂ©duits Ă  chercher quelque angle de la terre pour}' terminer nos tristes jours? Vous pouvez, d'un seul coup, sauver la RĂ©publique, deux cent mille,tĂȘtes peut-ĂȘtre qui sont attachĂ©es Ă  son sort, et conclure la paix en vingt-quatre heures; faites arrĂȘter les Ă©migrĂ©s, dĂ©truisez l'influence des Ă©trangers. Si vous ave% besoin de force, appelĂ©^ les armĂ©es. Faites briser les presses des journaux vendus Ă  l'Angleterre, plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat. Quant Ă  moi, il est impossible que je puisse vivre au milieu des factions les plus opposĂ©es; je donne ma dĂ©mission. L'armĂ©e de Rhin et Moselle cĂ©lĂ©bra Ă  son heure la fĂȘte nationale, Ă  Strasbourg mĂȘme, en 1797. Moreau l'annonça Ă  ses troupes par une proclamation oĂč il honora le pacte gouvernemental et dĂ©clara qu'elles devaient rester Ă©trangĂšres Ă  toutes les factions. Elle Ă©tait ainsi conçue Soldats, Au moment oĂč tous les partis s'agitent dans l'intĂ©rieur, il est du devoir des dĂ©fenseurs de la patrie de leur faire connaĂźtre qu'Ă©trangers Ă  toutes les factions, ils seront aussi fidĂšles observateurs du gouvernement rĂ©publicain que la France s'est donnĂ© qu'ils ont Ă©tĂ© courageux Ă  combattre l'ennemi extĂ©rieur. Nulle occasion n'est plus favorable pour prouver notre attachement Ă  la Constitution de l'an 111 et notre amour pour la RĂ©publique Française, que la fĂȘle de sa fondation. Si l'arrivĂ©e de notre solde et la suspension momentanĂ©e des services des subsistances ne nous ont pas encore permis de cĂ©lĂ©brer avec la pompe qu'elles mĂ©ritent les fĂȘtes du 14 juillet, 9 thermidor et 10 aoĂ»t, les secours que vient de nous envoyer le gouvernement et ceux que sa sollicitude nous fait encore espĂ©rer rendront la rĂ©union des diffĂ©rents corps de troupes qui composent l'armĂ©e plus facile pour consacrer Y Ă©poque mĂ©morable de l'Ă©tablissement de la RĂ©publique française. En vertu de cet ordre, les gĂ©nĂ©raux de division firent rassembler leurs troupes en totalitĂ© ou par dĂ©tachements de tous les corps qui les composaient, le Ier vendĂ©miaire Ă  midi. Chaque quartier gĂ©nĂ©ral annonça la fĂȘte la veille par une salve d'artillerie tirĂ©e au soleil couchant; on la rĂ©pĂ©ta le jour mĂȘme Ă  l'aube, et on la renouvela au moment de la fĂȘte. Chaque officier gĂ©nĂ©ral dut prononcer un discours devant la troupe rassemblĂ©e, avec ordre de faire surtout ressortir les avantages du gouvernement rĂ©publicain, paroles textuelles du commandant en chef. Mais Moreau Ă©tait un homme trop Ă©minent pour ne pas avoir rappelĂ© Ă  tous, officiers et soldats, les services par eux rendus aux FÊTE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE I91 frontiĂšres depuis le dĂ©but d'une guerre contre l'Empire, qui avait' vu tant de fortunes diverses et tant d'actions d'Ă©clat. Or, elle durait depuis sept annĂ©es. C'Ă©tait par des souffrances de tout genre, par les siĂšges qu'elle avait faits, par ceux qu'elle avait subis de" Mayence Ă  Kehl, par les passages rĂ©pĂ©tĂ©s du Rhin, par une longue suite d'actions rĂ©putĂ©es, par une retraite magnifique accomplie l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, que cette armĂ©e Ă©tait devenue glorieuse. Son courage toujours, son dĂ©nĂ»mĂ«rit de 1795 et sa quasi-dĂ©sorganisation sous Pichegru, son concours prĂ©cieux aux frĂšres d'armes de Sambre-et-Meuse, sa coopĂ©ration Ă  des plans gigantesques et dont l'armistice de Judenburg avait seul arrĂȘtĂ© le rĂ©sultat final, une paix dĂ©jĂ  obtenue Ă  BĂąle, celle qui se discutait de Leoben Ă  Radstat, quel passĂ© merveilleux ! On l'avait cĂ©lĂ©brĂ© Ă  Paris, on l'avait contĂ© en termes magnifiques aujourd'hui consacrĂ©s par l'histoire, de Jomini Ă  Sybell, Ă©tonnant les contemporains, renversant les combinaisons savantes des cabinets, dĂ©solant l'Angleterre, Ă©crasant les armĂ©es de la coalition en cents combats, ne comptant plus les drapeaux ou les canons conquis par l'intrĂ©piditĂ©, la constance, la valeur. N'Ă©tait-il pas juste de le rappeler Ă  ceux qui avaient Ă©tĂ© les acteurs ou les hĂ©ros de ces campagnes que Moreau dĂ©clarait mĂ©morables ? Le gĂ©nie de la libertĂ© et de la victoire s'Ă©tait rĂ©pandu des bords de la mer du Nord au Tagliamento et aux Alpes Juliennes pendant que des tyrans avaient frappĂ© Ă  l'intĂ©rieur la vertu et le talent. Mais la Constitution nouvelle avait heureusement mis d'accord les triomphes des frontiĂšres avec ceux qui venaient d'ĂȘtre remportĂ©s contre les factions. La vertu au dedans et l'honneur dans les camps l'emportaient dĂ©sormais pour applaudir de tous cĂŽtĂ©s un gouvernement rĂ©parateur. Les trophĂ©es militaires devaient prendre placĂ© auprĂšs des tables de la loi et du pacte fondamental organisĂ© par la Convention au bĂ©nĂ©fice des pouvoirs publics nĂ©s du vote lĂ©gal des assemblĂ©es primaires. Le vote recensĂ© dans les bivouacs assurait le concours des soldats Ă  l'oeuvre de l'an III, acclamĂ© par le pays que l'Europe appelait dĂ©jĂ  la Grande Nation, des rives du Rhin allemand aux rives du Tibre et du Danube. Le serment qu'ils avaient prĂȘtĂ© et qui les obligeait Ă  la maintenir les honorait comme citoyens et comme force armĂ©e. Tels furent les sentiments auxquels firent appel les gĂ©nĂ©raux, chacun dans sa division. Or, ces hommes s'appelaient GoĂ»vioriSaint-Cyr, Lecourbe, Davout, Duhesme, Vandamme, Delmas,. 192 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE FĂ©rino. On avait Ă  parler aux troupes de Desaix, le nouveau Bayard, de Beaupuy, tombĂ© pendant la grande retraite de 1796, de KlĂ©ber et de Hoche, leur ancien chef; enfin, de leurs adversaires les ImpĂ©riaux et les Allemands. Les dĂ©cemvirs avaient disparu avec leur hideux Ă©chafaud et leurs Ă©ternels dĂ©lateurs payĂ©s, espions ou sortis de la lie des prisons de justice. Le thĂšme n'Ă©tait-il pas magnifique ? RĂ©publicaine, cette armĂ©e vit chaque officier gĂ©nĂ©ral commandant prĂȘter devant le front de bandiĂšre le serment de fidĂ©litĂ© Ă  la RĂ©publique. Par une erreur curieuse, Moreau confondait l'ancienne assemblĂ©e dont le souvenir se perpĂ©tuait aprĂšs sa rĂ©paration lĂ©gale, la Convention, avec la nouvelle base du gouvernement directorial. Le terme la Convention est employĂ©, en effet, dans l'article 3 de son ordre. Chaque corps d'infanterie dut accueillir ce serment pas trois dĂ©charges de mousqueterie. L'eau-de-vie et une double ration de vivres eut lieu dans toute l'armĂ©e. Un procĂšs-verbal et un rapport dĂ©taillĂ© fut rĂ©digĂ© dans chacune des divisions, puis envoyĂ© au quartier de Moreau pour en ĂȘtre rendu compte au Directoire exĂ©cutif, mentionnĂ© cette fois. LibertĂ© fut accordĂ©e d'ajouter Ă  la solennitĂ© la pompe et les agrĂ©ments que les localitĂ©s des cantonnements rendirent possibles. On observera cette sĂ©vĂ©ritĂ© Spartiate comparĂ©e aux solennitĂ©s de Bonaparte. PrĂ©venu par ses amis et ses collĂšgues de Paris de l'Ă©motion qu'avaient produite les adresses de ses divisions, Bonaparte voulut en amoindrir la portĂ©e ou les consĂ©quences. Il apprit que le Directoire la cĂ©lĂ©brerait dans la capitale, Ă  l'HĂŽtel national des Invalides, qu'il y prĂ©siderait, que son chef y prononcerait un discours politique et remettrait une mĂ©daille d'argent aux trois militaires blessĂ©s Ă©lus par leurs camarades pour y personnifier les armĂ©es. La pyramide de la fĂȘte devait, parmi ses inscriptions diverses, honorer les morts et les dĂ©fenseurs de la patrie. S'inspirant de cet exemple, il en tira parti pour ses desseins personnels. Le 12 septembre, il informa ses troupes de la solennitĂ© par une proclamation spĂ©ciale lancĂ©e de Passeriano, son quartier gĂ©nĂ©ral. Soldats, Nous allons cĂ©lĂ©brer le icr vendĂ©miaire, l'Ă©poque la plus chĂšre aux Français ; elle sera un jour bien cĂ©lĂšbre dans les annales du monde. C'est de ce jour que date la fondation de la RĂ©publique, l'organisation de la FÊTE DE-LA FONDATION. DE LA RÉPUBLIQUE 193 grande nation ; et1a grande nation est appelĂ©e par le. destin Ă  Ă©tonner le monde. Soldats ' Ă©pignĂ©s de votre patrie et triomphants de l'Europe on vous prĂ©parait des chaĂźnes; vous l'avez su, vous avez parlĂ© le peuplĂ© s'est rĂ©veille, a fixe les traĂźtres, et dĂ©jĂ  ils sont aux fers. Vous apprendrez, par la proclamation du Directoire exĂ©cutif, ce que tramaient les ennemis particuliers du soldat, et spĂ©cialement,des divisions de l'armĂ©e d'Italie. Cette prĂ©fĂ©rence nous honore la haine des traĂźtres, des tyrans;et des esclaves, sera dans l'histoire notre plus beau titre Ă  la gloire et Ă  l'immortalitĂ©. Rendons grĂąces au courage des premiers magistrats de la RĂ©publique, aux armĂ©es de Sambre-et-Meuse et de l'intĂ©rieur, aux patriotes, aux reprĂ©sentants restĂ©s fidĂšles au destin de la France ; ils viennent de nous rendre, d'un seul coup, ce que nous avons fait depuis six ans pour la patrie. On le voit, les royalistes et les rĂ©volutionnaires, les premiers clairement dĂ©signĂ©s, les seconds Ă©tant confondus dans l'appellation de traĂźtres et de tyrans, payaient les frais de cette indignation de commande. Le vainqueur d'Italie honorait Hoche au passage, soit pour s'unir Ă  lui dans la pensĂ©e de fructidor, soit pour lui faire aimer une paix imposĂ©e Ă  sa gloire prĂšs Francfort. Un peu auparavant, il ayait dĂ©noncĂ© l'influence de l'or Ă©tranger aux frontiĂšres; aujourd'hui if cĂ©lĂ©brait dans ses troupes les triomphateurs de l'Europe, langage mĂ©ritĂ©, mais qui devait les fanatiser pour sa cause. Ce qu'il, voulait Ă  Passeriano, il l'a avouĂ© dans des confidences connues devenir un personnage prĂ©pondĂ©rant, soutenir le systĂšme rĂ©volutionnaires d'un cĂŽtĂ©, et de l'autre donner des espĂ©rances aux "hommes de l'Ă©migration, gagner le Pape Ă  sa personne en Ă©vitant d'aller Ă  Rpme, devenir redoutable et inquiĂ©ter le Directoire sans que celui-ci pĂ»t le mettre en accusation. IfrĂ©ussit en tout ce. rĂŽle multiple, preuve de son gĂ©nie. Nos armes ayant rĂ©tabli la RĂ©publique romaine, nous cĂ©lĂ©brĂąmes la fĂȘte française du Ier vendĂ©miaire avec plus de raison encore dans la Ville Ă©ternelle, si pleine de grands, souvenirs. Bar .Te rapprochement des temps et des circonstances, des lieux., tĂ©moins de, tant d'Ă©vĂ©nements autour desquels gravite l'histoire, on comprend l'intĂ©rĂȘt qu'obtinrent les solennitĂ©s patriotiques Ă  Rome, du Vatican au Forum. Les parades militaires, les discours les plus rĂ©publicaines, le concours de populations accourues de tous les points, des rĂ©ceptions, des fĂȘtes, le consulat français devenu le centre de cette incomparable citĂ©, des reprĂ©sentations théùtrales comme le Brutus d'Alfieri, tout y fut un renouveau Ă©trange, de Saint-Laurenthors-les-Murs au PanthĂ©on d'Agrippa. Mais ce qui parut rendre REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER 19OO 7 194 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE cette fĂȘte unique, ce fut la tragĂ©die de la Mort de CĂ©sar, jouĂ©e par des officiers français. Sur le théùtre d'Apollon, une dĂ©coration spĂ©ciale reprĂ©senta le forum de PompĂ©i, oĂč CĂ©sar avait assemblĂ© le SĂ©nat le jour mĂȘme oĂč Brutus le frappa. Une rotonde magnifique et en colonnades offrait un coup d'oeil superbe; on l'avait ornĂ©e de statues antiques, personnages des familles des Scipion et des PompĂ©e ; le Capitole formait le fond de la toile par une fiction. La louve d'airain, la statue de PompĂ©e, tout avait concouru Ă  rendre terriblement vĂ©ridique l'effet de la scĂšne, oĂč CĂ©sar Ă©tait immolĂ© aux pieds de. l'effigie de PompĂ©e. Aussi les Italiens avaient-ils criĂ©, nouveau choeur antique Morte ai Tiranni ! Une piĂšce de circonstance Les Français au Caire, avait terminĂ© le spectacle. Naturellement le sĂ©rail Ă©tait forcĂ© et on y trouvait, ĂŽ surprise! un eunuque blanc. Plus naturellement encore, cet eunuque Ă©tait un Ă©migrĂ©. QuestionnĂ© sur sa prĂ©sence dans les parages de l'armĂ©e française, il rĂ©pondait avec esprit Mon gĂ©nĂ©ral, je vous prie d'observer que ce n'est pas moi, que c'est elle qui vient me trouver. Que je vous conte ma petite odyssĂ©e Je me retire Ă  Bruxelles, vous y venez. Je pousse en Hollande, vous la prenez. Alors je me dis C'est au Nord qu'on en veut, filons vers le Midi. Je passe en Suisse, vous m'en chassez.. Je traverse le PĂŽ en coche, vous le sautez. L'armĂ©e ne pĂšse pas une once, et la victoire est toujours sur mes talons. Je vais Ă  Rome, elle devient votre conquĂȘte. Je traverse les mers, les dĂ©serts, et nous voici encore nez Ă  nez ! Ah ! de grĂące, dites-moi, gĂ©nĂ©ral, s'il est un coin du monde que la valeur rĂ©publicaine ne veuille pas visiter, et je m'y retire... La fĂȘte de Rome eut son pendant au Caire l'annĂ©e suivante. On y cĂ©lĂ©bra, en s'inspirant du lieu, le Coran et son lĂ©gislateur ; l'inscription suivante figura sur l'arc de triomphe Ă©levĂ© en l'honneur delĂ  RĂ©publique // n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son ProphĂšte ; une autre disait avec le peuple fellah A l'expulsion des MamĂ©lucks. Le drapeau tricolore flotta au sommet de la plus haute pyramide et fut saluĂ© par l'artillerie et la Marseillaise. BONNAL DE GANGES. Les habitations ouMĂšres Ă  Mlle en 1896 PAR M. FÉRON-VRAU Ce mĂ©moire a obtenu une mĂ©daille d'or au concours de la SociĂ©tĂ© industrielle en 1896. Lille, imprimerie Danel, 1899, grand in-8°. Je n'ai point Ă  prĂ©senter M. FĂ©ron-Vrau aux lecteurs de cette Revue ses oeuvres parlent si haut, que tous le connaissent. Mais, jusqu'ici, nous ne savions pas que sous l'industriel Ă©minent, sous le chef d'usine, Ăąme de la rĂ©forme chrĂ©tienne des usines dans le Nord, sous le chrĂ©tien Ă©clairĂ© et gĂ©nĂ©reux auquel on doit en grande partie l'UniversitĂ© catholique de Lille, l'Ă©cole catholique d'arts et mĂ©tiers de Lille, et tant d'autres fondations grandioses, il y avait un Ă©conomiste de premier ordre. Or, c'est ce que rĂ©vĂšle cette monographie, qui, dans son genre, est un petit chef-d'oeuvre. M. FĂ©ron-Vrau montre d'abord combien Ă©taient justes les enquĂȘtes faites en 1835-37 par M. VillermĂ©, et, vers la mĂȘme Ă©poque, par le comte de Villeneuve-Bargemont, puis il procĂšde Ă  une nouvelle enquĂȘte sur les foyers de la population lilloise. Cette population comprend, en y joignant les faubourgs Ville h. Faubourgs Total. . h. Sur ce chiffre, personnes Ă©taient, en 1896, dans l'industrie, dont dans l'industrie textile; habitants sont indigents. L'auteur commence son travail par une description sommaire de la population, en prenant comme cadres les paroisses. On remarque surtout, Ă  Saint-Maurice en particulier, la densitĂ© de la population ouvriĂšre, qui ne veut pas Ă©migrer hors les murs, pour ne pas perdre les secours du bureau de bienfaisance ; l'entas- 196 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sĂšment des constructions, le morcellement poussĂ© aux derniĂšres limites par les capitalistes, qui spĂ©culent sur la maison du pauvre et veulent lui faire rapporter de 10 Ă  12 0/0, et les soins de voirie souvent complĂštement nĂ©gligĂ©s. Etude des logements. — Impossible de faire une enquĂȘte complĂšte il a fallu se borner, on a donc distribuĂ© aux enquĂȘteurs 1358 questionnaires, et on a Ă©tudiĂ© Ă  fond 1358 logements. Ces 1358 logements sont habitĂ©s par une population de 7608 individus, soit 137 personnes vivant seules; 6212 personnes formant des familles complĂštes 1258 personnes formant des familles incomplĂštes. M. FĂ©ron-Vrau consacre un chapitre aux familles complĂštes. Ce total comprend 6212 personnes appartenant Ă  15 paroisses, dont 1812 parents, 4400 enfants, ou prĂšs de cinq par famille. Dans le nouveau Lille, les familles ont 2,61 piĂšces par famille ; dans les faubourgs, 2,58, et dans le vieux Lille, 1,79. 125 familles ont une petite maison. Dans aucune paroisse, il n'y a plus de 13 mĂštres cubes 429 d'air par tĂȘte, au lieu des 25 requis pour la santĂ©, et dans presque toutes les paroisses la moyenne est de 11 mĂštres ; dans deux de 9 mĂštres. La plupart des familles ouvriĂšres ne peuvent trouver dans la capacitĂ© des logements qu'elles occupent la moitiĂ© du minimum d'air respirable absolument nĂ©cessaire Ă  la vie. La nuit, les lits sont entassĂ©s dans une seule piĂšce, et la fenĂȘtre, si on l'ouvre, ne fournit souvent qu'un air chargĂ© de miasmes, Ă  cause de l'Ă©tat abominable des cours intĂ©rieures et des latrines. 1812 parents occupent 915 lits; 533 enfants en bas Ăąge sont reçus dans 533 berceaux; il reste 1697 lits pour 3864 enfants de tout Ăąge. C'est une moyenne de 2,28 enfants par lit. Quand on ajoute que les lits sont le plus souvent accumulĂ©s dans une piĂšce, on devine de suite les Ă©pidĂ©mies morales et physiques qui se dĂ©veloppent dans ces milieux, oĂč l'air pur manque, oĂč la pudeur s'Ă©teint, oĂč d'un cĂŽtĂ© le vice, de l'autre la maladie, le typhus, la phtisie, guettent l'enfant dĂšs le berceau. Heureuses encore seraient les familles si; Ă  cĂŽtĂ© de la promiscuitĂ© de la chambre, ne s'en rĂ©vĂ©lait pas une autre plus redoutable, celle de la rue, de la cour intĂ©rieure. Dieu a donnĂ©'sans mesure Ă  ses crĂ©atures l'air, le soleil et l'eau pure. Nos villes ont changĂ© tout cela, et nos pauvres ouvriers n'ont ni air, ni soleil, ni eĂąd potable. LES HABITATIONS OUVRIÈRES A LILLE EN 1896 Ï97 La privation d'eau pure, jointe Ă  la tendance gĂ©nĂ©rale qui portĂ© les ouvriers Ă  se servir indiffĂ©remment de toute Ă©au qui est Ă  leur portĂ©e, voilĂ  un des plus grands dangers qui menacent l'hygiĂšne publique Ă  Lille. LĂ©s travaux les plus concluants dĂ©montrent que la mortalitĂ© par fiĂšvre typhoĂŻde dĂ©croĂźt exactement dĂąhs la mesure oĂč se rĂ©pand l'usage de l'ÚàĂč de source. Or, Ă  Lille, les ouvriers se contentent de l'eau de la ponipe de leur cour, la seule Ă  leur portĂ©e, et les puits qui alimentent ces pompes sont souvent contaminĂ©s par des infiltrations venues de fosses d'aisances insuffisamment cimentĂ©es. Ici; comme ailleurs, l'administration de la ville h'a-t-elle rien Ă  se reprocher ? Elle aurait pu si facilement prĂ©venir l'encombrement des maisons, soigner les travaux de voirie, empĂȘcher que les cours ne devinssent des marais fĂ©tides, et exiger des propriĂ©taires, qui bĂątissent le plus mal possible, des mesures Ă©lĂ©mentaires d'ordre et d'hygiĂšne, car enfin l'hygiĂšne et la morale publique voilĂ  le premier devoir du gouvernement. Cela passe avant tout, et eh particulier avant les Ă©coles dont il se charge sans que rien l'y oblige. M. FĂ©ron-Vrau signale, en terminant cette premiĂšre partie, les efforts intermittents qu'a suscitĂ©s l'Ă©tude de bette question des logements ouvriers Ă  Lille. Oh a supprimĂ© les caves en 1864. La Compagnie immobiliĂšre a construit des maisons saines, et cependant les logements d'ouvriers sont restĂ©s Ă  peu prĂšs les mĂȘmes. Les autoritĂ©s municipales avaient le devoir de prendre des mesures pour Ă©viter l'encombrement effroyable de certaines ruĂ©s,- de forcer les propriĂ©taires Ă  respecter les lois de l'hygiĂšne, de les obliger a assainir leurs cours, leurs puits et leurs fosses d'Ăąisahce elles n'ont rien fait. Oh admet que lĂšs autoritĂ©s locales peuvent imposer le ÏMJ Ă  VĂšgoitl, interdire lĂšs maisons qui menacent de s'effondrer, obliger lĂšs propriĂ©taires Ă  supprimer les foyers d'infection; pourquoi; dans le mĂȘme ordre d'idĂ©es, ne leur ĂąccĂŽrdĂšrait-Ori pas le pouvoir d'Ă©riger dans lĂšs habitations l'air nĂ©cessaire Ă  la vie, d'obliger d'urgence Ă  rĂ©former tout te qui peut contaminer l'air du l'éàĂč ; d'exproprier mĂȘme pour cause d'UtilitĂ© pĂčblnfĂčĂ« les maisons empestĂ©es? Voici l'occasion d'agir lĂšs fortifications actuelles vont ĂȘtre 'de‱elĂ ssëës ; oh va lĂ©s vendre, et de nouveaux quartiers; s'y cOnstfuirorĂźt Pourquoi la ville h'ĂšxigerĂ it-Ă«llĂ© pis un c^htfĂŽlĂ« sur les bĂątisses I98 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE nouvelles, une direction sur l'application des rĂšgles de la morale et de l'hygiĂšne publiques? En verte des lois du 13 avril 1850 et du 25 mai 1864, la commission des logements insalubres a Ă©tĂ© créée. VoilĂ , si on sait s'en servir, un levier efficace de rĂ©formes. Et, de fait, cette commission a dĂ©jĂ  opĂ©rĂ© de grands changements; mais, Ă  la longue, elle a paru se lasser, et son action, d'abord intense, s'est comme Ă©puisĂ©e. Mais il ne faut pas laisser se rouiller une arme qui peut servir encore contre les calculs intĂ©ressĂ©s et contre la nĂ©gligence coupable des propriĂ©taires. Si les lois ne suffisent pas, qu'on en fasse d'autres ! L'autoritĂ© municipale a d'ailleurs en main tout ce qui concerne la garde et l'entretien de la voirie et la salubritĂ© des habitations. -Qu'elle fasse exĂ©cuter les rĂšglements sur l'enlĂšvement des immondices, sur l'hygiĂšne publique, sur les dimensions des logements; qu'elle achĂšve son rĂ©seau d'Ă©gouts ; qu'elle couvre ses canaux, qui portent partout la peste; qu'elle impose la fermeture des puits contaminĂ©s ; qu'elle distribue la bonne eau plus abondamment ; qu'elle crĂ©e des lavoirs publics ; qu'elle perce les quartiers infects de voies larges; qu'elle exige la dĂ©sinfection des logements; qu'elle excite le bureau de bienfaisance et la Caisse d'Ă©pargne Ă  consacrer, comme la loi le permet, quelques ressources Ă  bĂątir des maisons saines et aĂ©rĂ©es pour les ouvriers ; qu'elle s'occupe sĂ©rieusement de ces intĂ©rĂȘts majeurs. Mais ce qu'il faut surtout atteindre, Ă©clairer et remuer, c'est l'opinion publique, et en particulier l'opinion des catholiques, des hommes d'oeuvres. Qu'ils comprennent donc enfin, ces hommes zĂ©lĂ©s, que le plus souvent c'est peine perdue de vouloir moraliser et convertir des hommes qui semblent n'avoir pas de foyer et qui hantent les cabarets, parce que leur home les repousse et les dĂ©goĂ»te; qu'ils se persuadent qu'on n'empĂȘchera jamais de boire des ouvriers qui ne connaissent point le bonheur domestique. Une fois l'opinion formĂ©e et rĂ©solue sur ce point, elle trouvera les moyens d'exĂ©cuter les rĂ©formes. L'argent ne manquera point si les hommes d'oeuvres savent faire comprendre que les fonds mis Ă  leur disposition, Ă©tant hypothĂ©quĂ©s sur les maisons construites, rapporteront un intĂ©rĂȘt raisonnable et formeront un placement de tout repos. Si les sociĂ©tĂ©s formĂ©es pour bĂątir, sociĂ©tĂ©s immobiliĂšres ou syndicats, agissent avec prudence et inspirent confiance, elles placeront facilement leurs actions et leurs obligations. LES HABITATIONS OUVRIÈRES A LILLE EN 1896 199 Qu'elles encouragent l'ouvrier Ă  acquĂ©rir leurs obligations en nombre suffisant, si possible, pour que leur revenu couvre le prix de son loyer. Ce sera du mĂȘme coup le paiement du loyer assurĂ© et l'ouvrier maĂźtre chez lui. En combinant ce systĂšme avec les ressources nouvelles que lui donne la loi du 30 novembre 1894, la famille ouvriĂšre Ă©chappera, si le pĂšre vient Ă  mourir, Ă  la liquidation dĂ©sastreuse du partage forcĂ©. On sait que cette loi permet Ă  une famille propriĂ©taire d'une petite maison, et dont le chef vient de mourir, de prolonger l'indivision, mĂȘme s'il y a des mineurs, jusqu'Ă  ce que l'aĂźnĂ© des enfants ait vingt-six ans, et qu'elle Ă©dictĂ© que si un des hĂ©ritiers naturels veut acheter la propriĂ©tĂ©, on est obligĂ© de la lui vendre Ă  un prix modĂ©rĂ©. Terminons sur un voeu formulĂ© par M. FĂ©ron-Vrau Ne formons pas, dit-il, des citĂ©s ouvriĂšres ; elles sont dĂ©sormais condamnĂ©es par l'expĂ©rience, qui les trouve trop exposĂ©es Ă  l'encombrement et Ă  la promiscuitĂ© de la rue; prĂ©fĂ©rons-leur les habitations isolĂ©es, et mĂȘme essayons, si possible, de bĂątir ces maisons dans le voisinage des familles aisĂ©es. » Car, enfin, il y a quelque chose qui choque le sentiment chrĂ©tien dans cette espĂšce de parti pris de relĂ©guer la classe ouvriĂšre dans des quartiers pauvres, qui forment Ă  la ville comme une ceinture de misĂšre. De grandes dames, Ă  Londres, ont compris cela, et, de propos dĂ©libĂ©rĂ©, ont abandonnĂ© le West-end pour YEast de la grande citĂ©. De jeunes graduĂ©s d'Oxford, vouĂ©s aux professions libĂ©rales, habitent au sein des quartiers pauvres une maison d'oeuvres. Ce noble exemple trouvera sans doute des imitateurs. La pensĂ©e qui l'a inspirĂ© est assurĂ©ment trĂšs haute et trĂšs chrĂ©tienne, et M. FĂ©ron-Vrau a eu raison d'insister sur ce point dĂ©licat et important. R. P. FORBES, Les derniĂšres fouilles de Deir-el-Mari Nos lecteurs ont certainement entendu parler des travaux d'exploration que des savants de diffĂ©rentes nationalitĂ©s poursuivent depuis longtemps en Egypte. On s'efforce de ressusciter et de restaurer dans la mesure du possible les admirables monuments de l'Egypte des. Pharaons, dont la plupart gisent enfouis depuis bien des siĂšcles sous des amas de dĂ©combres. Reconstruire l'histoire religieuse, politique et militaire de tout un pays qui a eu des moments de splendeur et de cĂ©lĂ©britĂ©, en la tirant des monuments et des textes lapidaires, c'est certainement une oeuvre aussi belle que louable. La mission française du Caire n'a pas occupĂ© la derniĂšre place dans ce mouvement europĂ©en elle a pris au contraire une part considĂ©rable Ă  cet immense labeur, soit par le renom de ses savants, soit par l'importance de ses dĂ©couvertes, soit enfin par ses heureuses, initiatives et son incessante activitĂ©. On peut dire sans amour-propre que, depuis l'expĂ©dition de Bonaparte au siĂšcle dernier, c'est la France qui a toujours Ă©tĂ© chargĂ©e de la direction des fouilles et des musĂ©es. Nos compatriotes se sont acquittĂ©s de cette difficile mission de la maniĂšre la plus honorable et la plus avantageuse Ă  la science des antiquitĂ©s Ă©gyptiennes, je ne puis pas — et l'on ne saurait ni s'y attendre ni me le demander — exposer dans cet article les rĂ©sultats de toutes les fouilles qui ont absorbĂ© tant d'efforts et d'intelligences. Elles sont si nombreuses et qu'il faudrait des volumes entiers pour les porter Ă  la connaissance du public. Du reste, les spĂ©cialistes n'ont pas manquĂ© de le faire aux diffĂ©rentes Ă©tapes des dĂ©couvertes archĂ©ologiques. Un article ne peut soulever qu'un coin de la question, montrer une petite partie du vaste champ d'exploration. Je donnerai aujourd'hui quelques renseignements intĂ©ressants sur les fouilles de Deir-el-Bahari. I L'honneur d'avoir ressuscitĂ© ce vieux temple thĂ©bain revient presque tout entier Ă  l'Ă©gyptologue genevois Edouard Naville. On LES DERNIÈRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 201 ne peut que lui adresser des fĂ©licitations d'autant plus justes et mĂ©ritĂ©es, que l'Ă©minent savant n'a rien Ă©pargnĂ©, rien nĂ©gligĂ© pour venir Ă  bout de sa tĂąche. Bien des difficultĂ©s se sont, dressĂ©es sur son chemin, bien des obstacles ont surgi Ă  tout moment devant lesquels bien d'autres eussent peut-ĂȘtre reculĂ©. Mais Naville, regardant toujours devant lui avec cette confiance et cette audace que donne le dĂ©sir d'accomplir une grande oeuvre scientifique, l'oeil imperturbablement fixĂ© sur le but lointain, n'a pas succombĂ© au dĂ©couragement; encore moins a-t-il renoncĂ© Ă  ses projets; il a consacrĂ© Ă  son oeuvre de prĂ©dilection sept annĂ©es de sa vie, ses forces, son intelligence et, pourrions-nous dire, tout son ĂȘtre, et cela sans arriĂšre-pensĂ©e, sans calcul Ă©goĂŻste, sans espoir de trouver au bout de la carriĂšre des avantages matĂ©riels. Dieu sait combien, il dut insister auprĂšs de la SociĂ©tĂ© anglaise des fouilles Ă©gyptiennes, Egypt Exploration FĂčnd, pour la dĂ©cider Ă  entreprendre ce travail et Ă  faire les sacrifices nĂ©cessaires. Il finit enfin par rĂ©ussir, par ouvrir les portes, et aujourd'hui la plus grande partie du travail est accomplie, quoiqu'il reste encore beaucoup Ă  faire pour l'achever entiĂšrement. Travaillant pour la mission anglaise, M. Naville a rĂ©digĂ© en anglais et publiĂ© Ă  Londres les trois gros volumes oĂč il. expose le rĂ©sultat de ses fouilles. Il faut reconnaĂźtre que les fouilles, ont Ă©tĂ© faites de la maniĂšre la plus intelligente et avec tous les; soins possibles. Il est juste d'ajouter que si Naville en a Ă©tĂ© le directeur, il a eu des aides et des collaborateurs successifs qui lui ont prĂȘtĂ© le plus gĂ©nĂ©reux concours. Hogarth, Newberry, Howard, Verney Carter, Percy-Brown, Somers Clarke, Peers, mĂ©ritent d'ĂȘtre mentionnĂ©s Ă  cĂŽtĂ© de lui. Leurs connaissances et leurs aptitudes les mettaient Ă  mĂȘme de le seconder heureusement dans sa. pĂ©nible entreprise. Du temple lui-mĂȘme nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots afin que l'on ne soit pas complĂštement dĂ©paysĂ© et que l'on puisse suivre l'exposĂ© des dĂ©tails. Le temple de Deir-elBahari est bĂąti en face de ThĂšbes, au fond d'un des vallons septentrionaux, le vallon le plus septentrional mĂȘme, creusĂ©s dans la chaĂźne Libyque, une chaĂźne de montagnes qui partant de la Libye s'allonge de plus en plus et s'Ă©tend dans l'Egypte supĂ©rieure. Le nom arabe de Deir-el-Bahari, qui signifie monastĂšre du Nord, il le doit aux dĂ©bris d'un monastĂšre de moines coptes qui l'encombrait au siĂšcle dernier. On sait que dans les pays dĂ©vastĂ©s par des invasions successives, piĂ©tines tour Ă  tour par des races diverses et sacagĂ©s par les musulmans comme l'Egypte, il n'Ă©tait pas rare 202 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE qu'un monument se superposĂąt Ă  un autre ou fĂ»t construit sur les ruines d'un autre. Il en fut ainsi du vieux temple Ă©gyptien. Les moines coptes bĂątirent un monastĂšre sur ses ruines. Des Ă©crivains hostiles au christianisme accusent d'inintelligence et de vandalisme les moines coptes pour avoir privĂ© l'art de tant de chefsd'oeuvre incomparables et ruinĂ© tant de splendides monuments. Il y a lĂ  Ă©videmment une exagĂ©ration. S'il y a eu quelques excĂšs qu'il est impossible de nier, ce n'est pas au christianisme qu'il faut s'en prendre, mais au caractĂšre oriental et tout particulier de certains moines. Les moines coptes avaient le caractĂšre oriental, lequel n'Ă©prouve pas les mĂȘmes impressions et les mĂȘmes Ă©motions que nous devant les crĂ©ations de l'art; le sens esthĂ©tique n'est que faiblement dĂ©veloppĂ© chez les Orientaux. Ajoutez Ă  cela la puissance d'une idĂ©e supĂ©rieure, celle de la religion, sinon totalement mal comprise, du moins exagĂ©rĂ©e, et l'on s'explique assez facilement qu'ils fussent portĂ©s Ă  regarder comme plus ou moins inutile tout ce qui n'Ă©tait pas d'origine chrĂ©tienne ni ne portait l'empreinte chrĂ©tienne. Ces accidents sont de pures contingences dans l'histoire de l'humanitĂ© en gĂ©nĂ©ral et des grandes institutions, et l'on est assurĂ©ment mal fondĂ© Ă  vouloir en faire un grief Ă  la nature et aux qualitĂ©s immuables du christianisme. Le monastĂšre lui-mĂȘme n'eut pas l'Ă©ternitĂ© pour lui et il n'Ă©chappa pas aux revers de la fortune ; il fut probablement dĂ©vastĂ© Ă  l'Ă©poque des invasions musulmanes, et tout ce qui en restait de plus saillant dans ces derniers temps, c'Ă©tait une tour dĂ©capitĂ©e, dernier dĂ©bris d'un donjon oĂč les pauvres moines trouvaient un refuge contre les attaques des BĂ©douins. Le rationalisme, qui pousse des cris d'indignation lorsque ceux qui portent la croix dans leur main ont le malheur de renverser quelque monument paĂŻen, n'Ă©prouve pas les mĂȘmes susceptibilitĂ©s lorsque le croissant renverse quelque monument chrĂ©tien. On comprend que dans un tel dĂ©labrement les premiers essais et les premiĂšres tentatives aient Ă©tĂ© extrĂȘmement difficiles. Les premiers savants de la commission française purent Ă  peine discerner les anciens murs sous les amas de briques sĂšches qui s'y Ă©taient entassĂ©es successivement. Jollois et Devilliers, qui furent les premiers Ă  mettre la main Ă  l'oeuvre, n'aperçurent que la partie extrĂȘme de l'Ă©difice, adossĂ©e Ă  la montagne, ainsi que quelques crĂȘtes de murailles. La longue avenue de sphinx Ă©tait encore visible Ă  leur Ă©poque. Dans la suite, quelques ouvriers indigĂšnes, sous la direction de Drovetti, de Sait et de Belzoni, exĂ©cutĂšrent quelques dĂ©blaiements partiels et dĂ©limitĂ©s. LES DERNIERES FOUILLES DE DE1R-EL-BAHARI 203 II Nous avons dĂ©jĂ  dit que l'honneur de ces fouilles revient surtout Ă  M. Naville. Il serait pourtant injuste de ne pas rappeler les premiers essais et de ne pas mentionner les prĂ©curseurs du savant genevois. Les explorations sĂ©rieuses, conduites avec mĂ©thode et dans un esprit scientifique, ne commencent qu'avec Champollion. Celui qui arracha aux mystĂ©rieux et sĂ©culaires hiĂ©roglyphes leurs premiers secrets put facilement examiner les tableaux des salles souterraines du temple et dĂ©terminer la date de construction. Il s'aperçut tout d'abord que l'Ă©difice avait Ă©tĂ© consacrĂ© Ă  l'Amoii thĂ©bain par le mari d'une reine cĂ©lĂšbre et remuante, au nom de laquelle il agissait. Ce personnage cependant, ThoutmĂŽsis III, fit quelque chose pour sa propre gloire il effaça les cartouches antĂ©rieurs et se donna comme le fondateur de l'ensemble. C'Ă©tait dĂ©jĂ  une premiĂšre Ă©tape, prĂ©cieuse sans doute, puisqu'elle avait posĂ© le premier jalon. Wilkinson, Ă©gyptologue anglais, marcha sur les traces de Champollion et continua ses recherches. En 1827 il dĂ©gagea la terrasse de l'est et dĂ©crivit les scĂšnes triomphales qui y sont sculptĂ©es; les fouilleurs du pays se remirent Ă  la besogne, et c'est grĂące Ă  eux qu'en 1843 l'Ă©gyptologue allemand Lepsius releva un plan plus complet que celui de la commission. Lepsius eut mĂȘme une intuition, ou plutĂŽt Ă©mit uue hypothĂšse. Il pensa que la majestueuse allĂ©e de sphinx se prolongeait Ă  travers toute la plaine jusqu'Ă  la rive du Nil, et qu'elle rĂ©unissait ainsi le temple occidental au grand sanctuaire de Karnak, dont les fouilles, auxquelles ont pris part tant d'illustres savants, ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es dans notre siĂšcle d'une maniĂšre absolument remarquable. AprĂšs le dĂ©part de Lepsius, d'autres mirent la main Ă  l'oeuvre. Plusieurs explorateurs, Greene entre autres, exĂ©cutĂšrent vers 1855 des sondages qui rendirent libre l'accĂšs de plusieurs salles. Nous arrivons ainsi Ă  l'Ă©poque oĂč Mariette entre en scĂšne. AppelĂ© Ă  organiser le service des antiquitĂ©s, Mariette porte aussitĂŽt son attention sur Deir-el-Bahari. En 1858, des ouvriers, dirigĂ©s par l'inspecteur Gobet, firent une sĂ©rieuse besogne ; ils s'attaquĂšrent aux parties hautes de l'Ă©difice et nettoyĂšrent successivement la tour centrale, les spĂ©os du Nord et du Sud, la premiĂšre terrasse, celle que dĂ©corent les bas-reliefs fameux de l'expĂ©dition au Pouanit. De nouvelles escouades d'ouvriers revinrent deux fois, en 1862 puis en 1886, sous la con- 204 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE. duite de Vassali, Ă©gyptologue italien. Ces escouades dĂ©couvrirent plusieurs chambres complĂštement remplies de momies, lesquelles furent exposĂ©es Ă  Paris en 1867. L'architecte Brune leva le plan et essaya de restituer l'ensemble. Quoique dĂ©fectueux sur plus d'un point, son plan n'en rendit pas moins des services rĂ©els ; il permit au public europĂ©en, Ă©tranger Ă  ces matiĂšres, de se faire une idĂ©e de ce que devait ĂȘtre le temple au temps de sa splendeur. L'Ă©gyptologue allemand DĂ»michen et Mariette publiĂšrent les textes et les tableaux, le premier en 1868 et en 1869 et le second en 1877. La publication de ces textes et de ces tableaux fournit une ample matiĂšre de recherches et aussi de discussions Ă  l'archĂ©ologue, Ă  l'historien et mĂȘme Ă  l'artiste. Tout pourtant n'Ă©tait pas achevĂ© dans l'oeuvre des fouilles. Mariette n'aurait pas mieux demandĂ© que de mener Ă  bonne fin l'exploitation si bien commencĂ©e et Ă  laquelle s'Ă©taient dĂ©vouĂ©s et avaient pris part tant de savants ; malheureusement les ressources pĂ©cuniaires lui manquĂšrent, et il mourut sans avoir pu rĂ©aliser ses projets. Ce fut un fĂącheux contre-temps pour la science. AprĂšs sa mort on ne fit que quelques travaux presque insignifiants dont les rĂ©sultats n'eurent aucune influence apprĂ©ciable sur le progrĂšs scientifique. III Nous arrivons Ă  l'Ă©poque dĂ©cisive, Ă  l'intervention de M. Naville. Il ne faut pas oublier que l'Ă©gyptologue de GenĂšve eut toutes les peines du monde Ă  dĂ©cider le comitĂ© de YEgypt Exploration Fund Ă  reprendre et Ă  poursuivre jusqu'au bout lĂ© dĂ©blaiement. Le terrain, en effet, Ă©tait dans un Ă©tat capable de dĂ©courager mĂȘme les meilleures volontĂ©s, les Ăąmes les plus fortement trempĂ©es. D'immenses dĂ©pĂŽts s'y Ă©taient accumulĂ©s peu Ă  peu qui atteignaient une Ă©paisseur considĂ©rable. M. de Morgan, directeur des fouilles, mit gracieusement Ă  la disposition de M. Naville quelques wagons Decauville. Ce fut un prĂ©cieux secours, car il permit de centupler le travail. A l'aide de ces wagons et avec le concours de quelques ouvriers, M, Naville put entreprendre dĂšs fouilles sĂ©rieuses et surtout bien suivies. Pour savoir en rĂ©sumĂ© quel, fut le caractĂšre de ces fouilles en ce qui concerne le dĂ©blaiement de l'Ă©difice, nous laissons la parole au grand Ă©gyptologue français M. MaspĂ©ro << La premiĂšre campagne occupa l'hiver de 18921893, et elle produisit les rĂ©sultats les plus heureux. Naville LES DERNIÈRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 205 nettoya la partie septentrionale de la plate-forme supĂ©rieure, que Mariette avait nĂ©gligĂ©e, et il y dĂ©couvrit un ensemble de salle-S; en bon Ă©tat d'abord une piĂšce longue, une sorte de couloir ouvrant sur la cour, puis, Ă  cĂŽtĂ©, une chapelle dĂ©diĂ©e au roi ToutmĂŽsis Ier et comprenant un petit vestibule dont le plafond Ă©tait supportĂ© par trois colonnes, une cour rectangulaire plus longue que large, enfin un sanctuaire creusĂ© en voĂ»te dans le roc. Au centre de la cour s'Ă©lĂšve un monument unique jusqu'Ă  ce jour, un grand autel dĂ©diĂ© au dieu Harmakhis. C'est un cube en calcaire blanc, haut de plus de deux mĂštres, long de cinq et large de quatre environ, auquel un escalier de dix marches accĂ©dait doucement cet escalier est bĂąti du cĂŽtĂ© sud-ouest, si bien que le prĂȘtre, en dĂ©bouchant sur la plate-forme, tournait naturellement la face Ă  sondieu le Soleil levant. Peu aprĂšs, l'esplanade infĂ©rieure, attaquĂ©e Ă  son tour, rendit, en retour sur le spĂ©os d'Anubis, la fin de la galerie entrevue par Mariette. Elle est soutenue par des colonnes protodoriques d'un effet charmant, et bien qu'elle soit inachevĂ©e, ce qui en existe est de proportion si exquise que nul art antique n'a rien Ă  comparer de plus fin ni de plus gracieux. Les campagnes suivantes mirent au jour les terrasses infĂ©rieures, leurs escaliers, leurs murs de soutĂšnement, leurs murs d'enceinte, des fragments de scĂšnes maritimes, de longues inscriptions martelĂ©es mais lisibles encore, les panneaux d'une porte de tabernacle en Ă©bĂšne, de menus objets pharaoniques ou coptes, jusqu'aux fosses que les vieux jardiniers du temple avaient creusĂ©es pour y planter les arbres Ă  encens rapportĂ©s des pays de Somalis au temps de la reine HĂątshopsĂźtou. La remise en place des blocs recueillis dans les dĂ©combres n'est pas achevĂ©e; mais les gros travaux sont finis, et rien n'empĂȘche plus le visiteur de se promener librement Ă  traversĂ©e qui subsiste encore du temple 1. » IV Ce qu'il y a de plus important et ce qui doit attirer le plus notre attention dans les fouilles du temple de Deir-el-Bahari, ce sont sans contredit les faits historiques mis en lumiĂšre et les dĂ©couvertes mythologiques. C'est surtout Ă ; ce point de vue que les fouilles sont, toujours utiles, parce qu'elles concourent Ă  enrichir nos con1. con1. des Savants, juin 1899, p. 341, 342. 20Ô REVUE DU MONDE CATHOLIQUE . naissances historiques ou les donnĂ©es mythologiques que nous possĂ©dions dĂ©jĂ  sur la religion des anciens Egyptiens. Les tableaux du temple de Deir-el-Bahari nous attestent le culte rendu Ă  Thoutmosis Ier et Ă  sa mĂšre. Il n'est pas aisĂ© de connaĂźtre exactement le rĂŽle, les privilĂšges et les attributions des reines et des princesses royales en Egypte. Ce ThoutmĂŽsis Ier auquel on rendait un culte Ă©tait le fils d'une femme appelĂ©e Sonisonbou, qui Ă©tait de basse et commune extraction et qui avait fait partie du harem d'AmĂ©nĂŽthĂšs Ier. Elle Ă©tait jusqu'ici Ă  peine connue. Dans les nouvelles dĂ©couvertes son rĂŽle grandit considĂ©rablement ; elle nous apparaĂźt debout dans une niche, la tĂȘte couverte de la dĂ©pouille du vautour, dont se coiffaient en Egypte les dĂ©esses et les reines mĂšres ; elle a aussi un cartouche et un protocole, ce qui Ă©tait un privilĂšge des personnages royaux. Ces renseignements et ces dĂ©tails sont un trait de lumiĂšre; ils nous font connaĂźtre Ă  merveille les intrigues de cour qui se jouaient chez les Pharaons Ă  peu prĂšs comme dans beaucoup d'autres cours monarchiques. On y tenait beaucoup Ă  la gĂ©nĂ©alogie et Ă  la descendance, Ă  l'infusion du sang royal dans les veines, aux titres de naissance; c'Ă©tait lĂ  ce qui donnait la prĂ©sĂ©ance, le premier pas sur les autres. Ainsi une reine, une femme de roi, qui descendait de famille royale, avait le pas sur son mari si celui-ci n'en descendait pas. Qu'on nous permette de donner quelques exemples AmĂ©nothĂšs Ier, qui Ă©tait fils d'une femme de race royale, hĂ©rita de droits Ă  la couronne, Ă©gaux du cĂŽtĂ© paternel et du cĂŽtĂ© maternel. La chose changea sous ses successeurs. ThoutmĂŽsis II Ă©tait le fils d'une princesse, MoutnofrĂźt, de rang secondaire ; c'est pourquoi il cĂ©dait le pas Ă  sa femme, HĂątshopsĂźtou Ire, qui Ă©tait fille d'une princesse hĂ©ritiĂšre, Ahmasi. ThoutmĂŽsis III Ă©tait fils d'une Isis entiĂšrement inconnue, et par consĂ©quent il cĂ©dait le pas Ă  sa femme, HĂątshopsĂźtou, qui Ă©tait fille de HĂątshopsĂźtou Ire. De mĂȘme, ThoutmĂŽsis Ier, fils d'une femme du peuple, Sonisonbou, doit cĂ©der le pas Ă  sa femme Ahmasi, fille d'une princesse hĂ©ritiĂšre, Ahhotpou II. Dans les autres salles et vestibules du temple, les inscriptions se superposent aux inscriptions. Des grattages s'y sont produits, car chaque roi effaçait les textes de ses prĂ©dĂ©cesseurs pour y Ă©crire les siens. La dĂ©coration fondamentale appartient en tout cas Ă  la reine HĂątshopsĂźtou Ire. ThoutmĂŽsis Ier venait de mourir, car son nom apparaĂźt plusieurs fois dans le vestibule, et, de plus, la chapelle lui est entiĂšrement dĂ©diĂ©e. ThoutmĂŽsis II y figure aussi assez souvent, soit seul, soit avec sa femme ; puis ThoutmĂŽsis III se Jfi LES DERNIÈRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 207 montre Ă  son tour. Ce prince fit beaucoup de changements, qui prouvent son ambition ou son astucieuse politique. Une fois qu'il fut seul au pouvoir, il substitua ses propres cartouches aux cartouches originaux, qui rappelaient les fondateurs du monument. Evidemment, en agissant ainsi, il voulait s'attribuer devant la postĂ©ritĂ© la gloire et l'honneur d'avoir construit ou du moins achevĂ© ce temple majestueux. Plus tard commença une autre oeuvre de dĂ©vastation. AmenĂŽthĂšs-Khouniatonou, qui donna ses prĂ©fĂ©rences Ă  un autre dieu que le dieu souverain de ThĂšbes, fit dĂ©truire les symboles et les images d'Amon. Ce travail de dĂ©vastation, qui fut un peu gĂ©nĂ©ral dans toute l'Egypte, ne s'accomplit nulle part avec autant d'intensitĂ© et de rigueur qu'Ă  Deir-el-Bahari. Avec les images d'Amon on confondit parfois celles des rois et des reines, qui dĂšs -lors subirent le mĂȘme sort et les mĂȘmes profanations. — RamsĂšs II, il est vrai, s'appliqua avec beaucoup d'ardeur Ă  rĂ©parer le dommage, mais les ouvriers chargĂ©s d'exĂ©cuter ses plans ne procĂ©dĂšrent pas avec toute l'attention requise pour une pareille tĂąche ; ils rĂ©tablirent les images et les noms du dieu Amon, mais ils nĂ©gligĂšrent les souverains et ils substituĂšrent les noms et les titres de leurs maĂźtres Ă  ceux des rois antĂ©rieurs. C'est lĂ  le dernier remaniement subi par ce temple cĂ©lĂšbre, qui resta tant de siĂšcles enfoui sous les dĂ©combres et que les savants de notre Ă©poque devaient dĂ©terrer. II ne faut pas trop s'en plaindre, car c'est grĂące Ă  cet enfouissement que les peintures se cont conservĂ©es dans toute leur fraĂźcheur. Dans le temple se trouve la chapelle d'Anubis. Cette chapelle rĂ©servait Ă  M. Naville une surprise bien agrĂ©able. C'est dans cette chapelle que l'Ă©gyptologue genevois dĂ©couvrit, le Ier mars 1893, un naos. Les naos Ă©taient frĂ©quents et mĂȘme nombreux dans les temples. Le principal de chaque temple Ă©tait en pierre, et de trĂšs grandes dimensions, comme celui que l'on voit encore au sanctuaire d'Edfou. Le plus grand nombre pourtant Ă©taient en bois de diffĂ©rentes espĂšces, Ă©bĂšne, sycomore, acacia, sapin, cĂšdre. Quelquefois il Ă©tait peint de couleurs trĂšs brillantes, d'autres fois incrustĂ© de pierres prĂ©cieuses et d'Ă©maux. Jusqu'ici on ne possĂ©dait que trois de ces naos en parfait Ă©tat d'intĂ©gritĂ© l'un qui se trouve au musĂ©e de Turin, l'autre conservĂ© au musĂ©e de GizĂšh, le troisiĂšme enfin transportĂ© rĂ©cemment deDashour Ă  GizĂšh. Quant Ă  celui de Deir-el-Bahari, M. Naville n'en a recueilli que des fragments, qu'il a dĂ©posĂ©s au musĂ©e de GizĂšh. On sait que le naos Ă©tait le sanctuaire oĂč le dieu Ă©tait censĂ© rĂ©sider. Celui de Deir-el- 208 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Bahari avait Ă©tĂ© dĂ©diĂ© au dieu Amon par ThoutmĂŽsis II, pendant qifil fut vraiment souverain, et non dans une condition subalterne. Il n'est nullement tĂ©mĂ©raire de supposer qu'il le fit fabriquer avec l'Ă©bĂšne rapportĂ© d'Ethiopie, durant la campagne de l'an Ier contre les nĂšgres. Des scĂšnes d'adoration Ă©taient sculptĂ©es sur les parois intĂ©rieures. ThoutmĂŽsis II y accomplissait les cĂ©rĂ©monies ordinaires pour la consĂ©cration de l'objet. Des amulettes prĂ©servatrices, intercalĂ©es avec des inscriptions hiĂ©roglyphiques, couvrent les parois extĂ©rieures, et sur le battant on voit le Pharaon officiant en l'honneur de son pĂšre, le dieu Amon-RĂą, seigneur de Deir-el-Bahari; c'est incontestablement l'objet le plus prĂ©cieux dĂ©couvert jusqu'ici dans ces fouilles. Les autres piĂšces du temple et les autres dĂ©combres ont assurĂ©ment moins d'importance. Dans le portique de la terrasse du milieu, qui se trouve dans un Ă©tat trĂšs dĂ©labrĂ©, il ne subsiste de la dĂ©coration premiĂšre que les deux portraits de la reine Ahmasi, un de ThoutmĂŽsis -Ier et deux du dieu Toumou, seigneur d'HĂ©liopolis. Le reste fut restaurĂ© dans l'antiquitĂ©, mais d'une maniĂšre absolument inintelligente, de sorte que cette restitution d'images, de dĂ©corations et de textes hiĂ©roglyphiques n'a aucune valeur pour la science des antiquitĂ©s. Le nom et la personne du dieu Amon ont Ă©tĂ© horriblement maltraitĂ©s dans cette dĂ©tĂ©rioration. C'est lĂ  un indice Ă  la fois historique et archĂ©ologique qui nous prouve que Khouniatonou a pris une grande part Ă  cette dĂ©vastation. Qui Ă©tait ce Khouniatonou ? C'Ă©tait un roi rĂ©volutionnaire ou plutĂŽt novateur en religion. C'Ă©tait un des derniers rois de la dix-huitiĂšme dynastie et s'appelait primitivement AmenĂŽthĂšs IV. Jaloux de la richesse et de la puissance des prĂȘtres d'Amon, il voulut y remĂ©dier en s'attaquant au dieu lui-mĂȘme. Le dieu Amon supprimĂ© ou simplement rabaissĂ©, son sacerdoce se trouvait aussi supprimĂ© ou rabaissĂ© par voie de consĂ©quence. 11 n'entra pas dans des voies trop radicales; il prĂ©fĂ©ra un simple changement ou une substitution. Au. dieu Amon, maĂźtre de ThĂšbes, il substitua une des formes, la plus brillante et la plus glorieuse de toutes, du dieu d'HĂ©liopolis , RĂą le Soleil; cette forme Ă©tait le disque Atonou. Il fonda pour ce nouveau dieu une nouvelle ville dont El-Tell et El-Amarna nous ont conservĂ© les ruines, puis il proscrivit Amon et le remplaça Ă  ThĂšbes par son disque. Pour cette rĂ©volution il changea son nom d'AmenĂŽthĂšs, et se fit appeler Khouniatonou, Khou-ni-Atonou, qui signifie gloire, splendeur d'Atonou. Il dĂ©vasta principalement la dĂ©coration de la terrasse du milieu, qui reprĂ©- LES DERNIÈRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 209 sentait une des plus hautes fonctions d'Amon, la crĂ©ation surhumaine des souverains. Les rois d'Egypte avaient toute une histoire symbolique. Les Pharaons Ă©taient les enfants d'Amon, non par pure mĂ©taphore, mais d'une maniĂšre rĂ©elle. Lorsque la femme du Pharaon concevait, le dieu Amon s'incarnait dans le Pharaon, et par consĂ©quent l'enfant qui naissait de cette union Ă©tait par lĂ  mĂȘme l'enfant du dieu. De ce fait, la mĂšre'devenait une Ă©pouse divine — himĂźt noĂ»tir, — aussi bien qu'une Ă©pouse royale — himĂźt souton. — Cette haute prĂ©rogative de la femme persistait mĂȘme aprĂšs la mort du roi. La femme qui, du vivant de son mari, s'Ă©tait intitulĂ©e la salutatrice d'Amon — douait noutir ni Amonou, ou simplement la salutatrice, parce qu'elle Ă©tait censĂ©e saluer Amon dans son mari chaque jour, continuait mĂȘme aprĂšs la mort de son mari Ă  s'intituler l'Ă©pouse du dieu , l'Ă©pouse d'Amon. Ce sont lĂ  les principaux faits de ^diffĂ©rente nature qui se dĂ©gagent des fouilles exĂ©cutĂ©es Ă  Deir-el-Bahari. 11 faut en savoir grĂ© Ă  ceux qui les ont entreprises avec tant de courage et conduites avec tant de zĂšle, de dĂ©vouement et de diligence. C'est avec des parcelles trĂšs menues ou des bribes qu'on construit peu Ă  peu le grand Ă©difice de l'histoire sous toutes ses formes. V. ERMONI. La Fleur merveilleuse de Woxindon Suite LIVRE QUATRIÈME CHAPITRE XX Le mĂ©decin de Marie Stuart Le jour suivant, nous partĂźmes de bonne heure pour Chartley, Saint-Barbe et moi. Mon compagnon fut introduit sur-le-champ. Quant Ă  moi, je dus attendre prĂšs d'une heure au corps de garde. Pendant ce temps, j'essayai de questionner les grincheux gardiens, et d'apprendre par eux quelques dĂ©tails sur la prisonniĂšre. Peine perdue. Enfin, un serviteur vint me prendre pour me conduire dans le grand corps de bĂątiment qui servait d'habitation au chĂątelain. Sir Amias Paulet me reçut Ă  peu prĂšs comme aurait fait un vieux chien Ă  la chaĂźne ou un hargneux boule-dogue. Sans daigner rĂ©pondre Ă  mon salut, il se mit Ă  grogner des invectives contre les vagabonds papistes et toute la racaille de cette espĂšce ; si bien que je finis par me fĂącher et lui demander fiĂšrement pour qui il me prenait. Il ne devait pas ignorer que j'Ă©tais le frĂšre de lord Windsor, et que je venais ici, envoyĂ© par Walsingham luimĂȘme, pour offrir mes services comme mĂ©decin Ă  la reine prisonniĂšre. Le vieux dogue se dĂ©cida alors Ă  m'offrir un siĂšge, et se mit Ă  me donner ce qu'il appelait mes instructions ». Pour l'ordinaire, dĂ©clara-t-il, je n'aurais rien d'autre Ă  faire qu'Ă  voir la reine une LA FLEUR MERVEILLEUSE DE W0XIND0N 21 I fois par semaine, et seulement en sa prĂ©sence. Je devais, en outre, m'engager par serment Ă  ne lui parler que des choses ayant trait Ă  sa santĂ©, et Ă  ne lui remettre ni Ă  recevoir d'elle aucune espĂšce de lettre ou de communication par Ă©crit. Je refusai nettement de souscrire Ă  de telles conditions. Relativement au premier point, j'essayai de lui faire comprendre combien il serait pĂ©nible pour la prisonniĂšre d'exposer devant lui, en dĂ©tail, ses souffrances et ses misĂšres corporelles. Quant au reste, je consentais Ă  promettre sur mon honneur de ne rien dire ni traiter avec elle contre la reine Elisabeth ni contre le bien de l'Etat, et de ne me charger d'aucune lettre du dehors. Nous discutĂąmes longtemps lĂ -dessus. Enfin, Saint-Barbe, appelĂ© et consultĂ©, parvint Ă  dĂ©cider le vieux cerbĂšre Ă  se contenter de ma promesse, que je devrais jurer sur la Bible. Ici, nouvelle difficultĂ© qui faillit tout arrĂȘter. Comme catholique, je ne pouvais, sans protestation et sans rĂ©serves prĂ©alables, Ă©tendre la main pour prĂȘter serment sur la Bible protestante que sir Amias me prĂ©sentait. AprĂšs bien des grognements et des injures, il finit par me laisser libre puis il me demanda si je voulais faire immĂ©diatement ma premiĂšre visite Ă  ma royale cliente. Sur ma rĂ©ponse affirmative, il me conduisit par un escalier tournant devant une lourde porte bardĂ©e de fer, qu'il ouvrit avec une Ă©norme clef, puis referma soigneusement derriĂšre nous. Nous nous trouvions dans un corridor voĂ»tĂ© de l'Ă©tage supĂ©rieur, sur lequel s'ouvraient Ă  droite et Ă  gauche un grand nombre de chambres, et qui Ă©tait Ă©clairĂ© par une fenĂȘtre. Mais des chambres, on ne pouvait atteindre ni les fenĂȘtres, ni les portes donnant en plusieurs endroit sur un escalier, et dont une lourde grille de fer dĂ©fendait l'accĂšs. Devant une de ces grilles Ă©tait un poste de gardiens surveillant tout le corridor. Je crois bien qu'Ă  notre arrivĂ©e le gardien en faction dormait comme un bienheureux, et ne se remit vivement sur pied qu'au bruit des clefs et au grincement de la porte; cela lui valut de mon peu tendre guide, qui s'en Ă©tait aperçu, une admonestation bien sentie. La voix de sir Amias Paulet sous ces voĂ»tes produisit l'effet d'un appel de marteau ou de cloche, car nous vĂźmes aussitĂŽt sortir d'une des portes un petit homme habillĂ© de noir, qui vint Ă  nous au seuil de la grille ouverte, et avec un lĂ©ger salut s'informa du but de la visite. 212 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Dites Ă  votre maĂźtresse, dit Paulet d'un air rogue en refermant la grille derriĂšre nous, que le mĂ©decin dont je lui ai parlĂ© est ici et dĂ©sire lui ĂȘtre prĂ©sentĂ©. Mais prestement, master Nau, je n'aipas de temps Ă  perdre. » Nau fixa sur moi un regard perçant, mais qui- n'avait rien d'hostile, et nous introduisit dans une sorte d'antichambre, disant qu'il Ă©tait heureux d'annoncer cette visite Ă  Sa MajestĂ©. Il frappa Ă  une seconde porte ; une femme de chambre se prĂ©senta qui me regarda Ă  son tour trĂšs curieusement. Le secrĂ©taire la mit au courant en quelques mots, et elle disparut. AprĂšs une attente de quelques minutes seulement, qui mit pourtant mon compagnon en fort mĂ©chante humeur, la porte se rouvrit et Nau nous pria d'entrer. La piĂšce Ă©tait de moyenne grandeur ; un jour douteux y pĂ©nĂ©trait par deux fenĂȘtres grillĂ©es garnies de carreaux de verre dĂ©poli. A la muraille en face de la porte Ă©tait fixĂ© une sorte de ciel-de-lit ou de baldaquin portant sur fond de velours sombre les armes d'Ecosse lion rouge debout sur champ d'or, avec encadrement de fleurs de lis, enguirlandĂ© de chardons, et au-dessus, Ă©crite en lettres d'or sur une banderolle Ă  entrelais, la devise Dieu et mon droit. AdossĂ© Ă  une autre muraille, se trouvait un buffet de vieux chĂȘne artistement sculptĂ©, dont le principal ornement Ă©tait un crucifix portant un Christ dorĂ©. Au-dessus, peint sur fond d'or, dans un encadrement sombre, un trĂšs gracieux tableau, de l'Annonciation, probablement une copie de Fra Angelico. J'avais eu Ă  peine le temps de jeter sur tout cela un rapide regard, lorsque Marie Stuart, sortant de son appartement' avec deux suivantes, entra dans le salon de rĂ©ception. Elle demeura quelques instants debout sur le seuil, m'examinant de son beau et clair regard. Je m'inclinai comme de juste trĂšs profondĂ©ment. Sir Paulet au contraire se montra d'une grossiĂšretĂ© telle que l'envie me prit de le souffleter. Sans le moindre salut il prit brusquement la parole Madame, je vous amĂšne le mĂ©decin que Sa MajestĂ© et le Conseil privĂ©, dans leur charitĂ© chrĂ©tienne, ont daignĂ© vous accorder. — Et par ma foi, je trouve qu'ils sont bien trop bons. — A leur place ce n'est pas ce docteur-ci que je vous aurais envoyĂ©... — Mais sans' doute un autre qui m'aurait fait une forte saignĂ©e, et m'aurait ainsi dĂ©livrĂ©e de toutes les misĂšres de cette prison, n'est-ce pas ? mon trĂšs aimable et trĂšs gracieux hĂŽte, reprit la LA FLEUR MERVEILLEUSE DE W0XIND0N 21} reine, d'une voix trĂšs douce, empreinte., d'une lĂ©gĂšre ironie. Sir Amias, si vous n'ĂȘtes pas poli, du moins vous ĂȘtes franc, et vous ne cachez pas vos sentiments Ă  mon Ă©gard. J'aime mieux cela que d'hypocrites, dĂ©monstrations. Mais votre dĂ©sir, que partagent sans doute nombre de gens influents, peut encore se rĂ©aliser. La maniĂšre dont je suis traitĂ©e par ma royale soeur depuis dix-huit ans, et surtout depuis que je suis sous votre garde, m'avertit assez que je dois m'attendre Ă  tout. — Vous avez mauvaise grĂące de vous plaindre de Sa MajestĂ©, qui a eu tant de patience avec vous. AprĂšs la sentence de Westminster elle eĂ»t pu vous traduire en jugement, et c'eĂ»t Ă©tĂ© bientĂŽt fini. Et certes vous l'auriez mĂ©ritĂ©, ne fĂ»t-ce que pour l'obstination avec laquelle vous repoussez le pur Évangile, et vous restez attachĂ©e Ă  cette abominable idolĂątrie papiste, que je ne puis voir sans horreur, toutes les fois que mes fonctions m'amĂšnent ici. » En disant ces mots, sir Amias jetait un regard de colĂšre sur les images pieuses de l'appartement. Aujourd'hui surtout, continua-t-il, il me semble qu'au lieu de vous plaindre vous devriez vous montrer reconnaissante de ce que Sa MajestĂ© daigne vous envoyer un mĂ©decin. » Pendant que son geĂŽlier parlait, la reine, toujours accompagnĂ©e de ses suivantes, Ă©tait allĂ©e s'asseoir sur une simple chaise devant une table de travail, prĂšs de la fenĂȘtre. Je pus alors l'examiner Ă  loisir, et je fus immĂ©diatement frappĂ© de son teint maladif et de sa chevelure prĂ©maturĂ©ment blanchie pour une femme de quarantequatre ans. Mais l'expression de son visage Ă©tait d'une extrĂȘme douceur, et de sa grande beautĂ©, qui l'avait rendue si cĂ©lĂšbre dans sa jeunesse, il restait de remarquables traces, quelque chose comme les rayons affaiblis de la lune brillant Ă  travers un voile de lĂ©gers nuages. Elle reprit du mĂȘme ton toujours doux et calme Sur l'honneur que je rends Ă  la sainte image de mon Sauveur mourant pour mes pĂ©chĂ©s et de sa misĂ©ricordieuse MĂšre, vous me permettrez de ne pas discuter avec vous, sir Amias. Je ne vous convertirais pas, ni vous non plus ne me convertirez. Pour ce qui est de la sentence de Westminster on devait s'y attendre, puisqu'elle n'a Ă©tĂ© rendue que par des ennemis mortels, sans que l'accusĂ©e ait mĂȘme Ă©tĂ© entendue. Je m'en console et j'en appelle au jugement que le Dieu qui sait tout rendra au dernier jour Ă  la face du monde entier. Car si devant sa trĂšs sainte majestĂ© je me reconnais coupable de bien des fautes et de bien des pĂ©chĂ©s, pour 11 214 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lesquels je demande humblement pardon par le sang de JĂ©susChrist, je proteste que je suis innocente du meurtre de mon malheureux Ă©poux. Je vous prie donc pour la derniĂšre fois de m'Ă©pargner ces rĂ©voltants reproches. Quant Ă  l'envoi d'un mĂ©decin, que d'ailleurs je n'ai nullement rĂ©clamĂ©, je ne puis qu'en ĂȘtre sincĂšrement reconnaissante Ă  ma royale soeur la reine d'Angleterre. » C'est presque en hĂ©sitant et en me regardant d'un oeil scrutateur qu'elle prononça ces derniĂšres paroles. Je m'avançai alors, mis genou en terre et demandai permission de lui baiser la main. Elle me la tendit en disant Monsieur Windsor, n'est-ce pas ? si c'est bien le nom que l'on m'a annoncĂ©. Relevez-vous. Etes-vous frĂšre de lord Windsor? Et d'oĂč vient que vous vous ĂȘtes vouĂ© Ă  l'Ă©tude de la mĂ©decine ? — Ce n'est point chose dĂ©fendue aux cadets de la noblesse anglaise, repris-je. Et dans les circonstances actuelles je n'avais aucune envie d'exercer un emploi Ă  la cour, dans l'administration ou dans la magistrature... — Seriez-vous donc restĂ© fidĂšle Ă  la vieille foi catholique ? interrompit vivement la reine. — Oui, MajestĂ©, par la grĂące de Dieu, je suis catholique. » Un doux et trĂšs bienveillant sourire passa sur les lĂšvres de la noble prisonniĂšre, et je sentis tomber sur moi un chaud rayon de ses grands yeux, tandis que sir Amias ne pouvait retenir une imprĂ©cation. Oh ! fit-elle, jamais je n'aurais osĂ© rĂȘver la faveur d'avoir auprĂšs de moi un mĂ©decin catholique... Mais il vous restait la carriĂšre des armes ! Vous auriez pu servir et combattre sous l'hĂ©roĂŻque duc de Parme? — La nature m'a douĂ© d'un tempĂ©rament pacifique, rĂ©pondis-je, et j'ai plus de joie Ă  guĂ©rir les blessures qu'Ă  les faire. Si je pouvais suivre l'attrait de mon coeur, je prĂ©fĂ©rerais m'adonner aux Muses, et votre MajestĂ© connaĂźt l'adage Inter arma Musce silent Au milieu des armes, les Muses se taisent. » R. P. SPILLMANN. A suivre. PETRUS TragĂ©die chrĂ©tienne en cinq actes et en vers L'auteur de Peirus a succombĂ© Ă  l'aurore de sa jeunesse, Ă  24 ans. M. Sarramia de PĂšre, sur le bord de sa tombe prĂ©maturĂ©ment ouverte, a tracĂ© le portrait du jeune poĂšte. Il s'exprimait en ces termes NĂ© Ă  Layrac, Prosper Sanard y grandit jusqu'au moment oĂč il entra au collĂšge Saint-Caprais, Ă  Agen. Son passage y fut court. DĂšs la septiĂšme, il alla continuer et finir ses Ă©tudes Ă  Vaugirard. Il en sortit bachelier et, au mois de juillet 1898, il obtenait le titre de licenciĂ© en droit. Un heureux avenir lui souriait. Que d'espĂ©rances conçues ! ! ! que de rĂȘves caressĂ©s ! ! ! HĂ©las ! en un instant tout s'est Ă©vanoui. Gardons-nous pourtant de murmurer contre les dĂ©crets de la Providence; Ă©levons plutĂŽt notre pensĂ©e vers Dieu, qui nous aime, Car il nous bĂ©nit alors mĂȘme Que sa main semble nous briser. Quoiqu'il ressentĂźt pour Paris un vif attrait, surtout Ă  cause des jouissances intellectuelles qu'il y trouvait, grande Ă©tait la joie de Prosper Sanard de revenir chaque annĂ©e, aux vacances, dans sa ville natale, oĂč il ne comptait que des sympathies. Nature d'Ă©lite, impressionnable Ă  l'excĂšs, tout ce qu'il y a de noble, de grand, de beau, faisait dĂ©licieusement vibrer son Ăąme, pleine de poĂ©sie. Dans son coeur filial, il y avait des trĂ©sors de tendresse pour ses chers et si malheureux parents qu'il comblait sans cesse d'attentions. Une Ă©ducation accomplie, un caractĂšre affable, un esprit dĂ©licat, lĂ©gĂšrement enclin Ă  la rĂȘverie, rendaient sa sociĂ©tĂ© aimable et recherchĂ©e; il laisse parmi ses amis d'ineffaçables regrets. Ceux qui le connaissaient savent le plaisir que l'on goĂ»tait Ă  s'entretenir avec lui des questions littĂ©raires du jour, car il s'occupait tout particuliĂšrement de la littĂ©rature contemporaine. Peu de productions parmi celles parues dans ces derniers temps, soit en vers, soit en prose, lui furent Ă©trangĂšres, encore qu'il prĂ©fĂ©rĂąt la poĂ©sie, sans doute parce qu'il la cultivait lui-mĂȘme avec succĂšs. Ainsi, en dehors d'une foule de bluettes au tour gracieux, empreintes d'une fraĂźcheur exquise, il a composĂ© poulies Ă©tablissements religieux un drame intitulĂ© Petrus », dont le sujet est Ă  peu prĂšs le mĂȘme que celui des Martyrs de Chateaubriand ; son oeuvre est restĂ©e inĂ©dite. LĂ  ne se bornaient pas ses talents, il Ă©tait encore un charmant diseur; sa voix Ă©tait pleine et sonore; son jeu expressif et le souci qu'il avait des nuances, sa façon de les traduire, rĂ©vĂ©laient en lui un artiste d'un goĂ»t affinĂ©. A ses rares qualitĂ©s d'esprit et de coeur, il joignait les vertus dont le souvenir doit ĂȘtre un adoucissement Ă  l'affliction des siens. Prosper Sanard Ă©tait un fervent chrĂ©tien; s'il ne discutait jamais religion, c'est qu'il n'ignorait pas que les controverses en pareille matiĂšre aigrissent les esprits incrĂ©dules plus souvent qu'elles 216 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ne les ramĂšnent, mais, ce qui valait mieux, il prĂȘchait d'exemple. A la face des hommes, sans une ombre de respect humain, et aussi sans ostentation, il pratiqua toujours la doctrine du Christ avec une conviction et une piĂ©tĂ© qui Ă©taient pour beaucoup une bienfaisante Ă©dification. Sa mort fut digne de sa vie, il s'est endormi dans la paix du Seigneur, muni des sacrements de l'Église. Trois jours avant d'expirer, il demanda qu'on lui apportĂąt la sainte communion. Depuis longtemps il s'y Ă©tait prĂ©parĂ© et il la reçut animĂ© du plus divin amour. Durant toute la journĂ©e il pria. A voir sa rĂ©signation, nul doute qu'il ait puisĂ© dans sa foi Ă©clairĂ©e autant qu'agissante le courage de faire gĂ©nĂ©reusement le sacrifice de sa vie. » Nous croyons servir la cause des lettres françaises en publiant Petrus oeuvre d'une noble et saine inspiration, d'un lyrisme pĂ©nĂ©trant et d'une psychologie profonde. Au milieu des blanches fleurs qui ornent le lieu de repos de notre cher poĂšte, Petrus sera lĂ© bouquet dĂ©posĂ© pieusement par ceux qui ont aimĂ© et admirĂ© son noble caractĂšre et son beau talent. PERSONNAGES PETRUS, neveu de Domitien. UN CHRÉTIEN. L'ÉVÊQUE DE ROME. UN PRÊTRE GREC. L'EVÊQUE DES GAULES. UN ARCHONTE. DOMITIEN, empereur romain. i"r Soldat. LABIENUS, officier des armĂ©es impĂ©riales. 2" Soldai. UN VIEILLARD ROMAIN. f Soldat. UN HISTRION. /"' Gardien. ChrĂ©tiens, gardes de l'empereur, soldais, guerriers, gardiens de la prison La scĂšne se passe sous Domitien. ACTE PREMIER LÀ PRIÈRE AUX CATACOMBES DE ROME Des lampes sont de ci de lĂ  suspendues au roc. Au fond, au milieu, un large escalier qui communique avec le dehors. Au centre, une grande croix enguirlandĂ©e de fleurs. Aux rochers, signes funĂšbres. A gauche, au premier plan, une pierre sur laquelle, au lever du rideau, YEvĂȘque de Rome se trouve assis. A cĂŽtĂ© de lui, YEvĂȘque des Gaules est debout, bĂąton en main, sandales aux pieds. PETRUS 217 SCÈNE I L'ÉVÊQUE DE ROME, L'ÉVÊQUE DES GAULES L'ÉVÊQUE DE ROME Vous quittez les splendeurs de la Ville Ă©ternelle, Rome, pilier puissant du monde qui chancelle, Devant lequel, tremblant de lui faire un affront, Cent peuples enchaĂźnĂ©s ont prosternĂ© le front, Tandis qu'au-dessus d'eux plane l'aigle romaine? L'ÉVÊQUE DES GAULES Vers le pays gaulois mon amour me ramĂšne. J'aime mieux le barbare avec sa loyautĂ© Que les adulateurs de votre royautĂ©. Rome n'est plus la ville amoureuse de gloire Marchant sans s'arrĂȘter de victoire en victoire, Passant par l'univers avec ses lĂ©gions Aux regards Ă©tonnĂ©s des autres nations. On pouvait admirer hier la conquĂ©rante Votre, ville aujourd'hui n'est plus qu'une bacchante, Ivre de honte, en proie au dĂ©lire insensĂ©, Dans les cris de l'orgie oubliant son passĂ©. L'ÉVÊQUE DE ROME, se levant. Ne me rappelez pas que je dĂ©plore !.. Bacchante, si l'on veut, mais souveraine encore ; Gardant jusqu'en l'excĂšs de sa folle impudeur Au fond de sa folie de grandeur. Non, Rome ne meurt pas. Cette ville est. bĂ©nie. Elle ne s'en va point d'une lente agonie. Doublement consacrĂ©e C'est la tĂȘte du monde..et la Elle s'est assoupie et se berce de songes. Elle en reconnaĂźtra les indignes mensonges, Et rouvrant sa paupiĂšreĂ . la clartĂ©, des, cieux, Un spectacle splendide Ă©blouira ses yeux. Elle verra germer aux quatre coins dĂ» monde Du divin moissonneur la semence fĂ©conde, 2l8 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Et les nouveaux chrĂ©tiens, de foi tout frĂ©missants, S'immoler en pĂąture aux lions rugissants. Surprise, interrogeant nos noires catacombes, Elle se penchera sur nos funĂšbres tombes, Elle retrouvera son Ăąme d'autrefois Et tombant Ă  genoux, elle dira Je crois. » L'ÉVÊQUE DES GAULES Oui, ce jour bienheureux pour la ville romaine Laisse l'esprit rĂȘver d'une aurore lointaine, OĂč la foi brillera sur la sombre citĂ© Enchantant des regards las de leur cĂ©citĂ©. Mais avant que de voir l'Ă©clatante lumiĂšre Percer l'obscur bandeau posĂ© sur sa paupiĂšre, Seule, la Rome aveugle ira par le chemin, Et les peuples moqueurs repousseront sa main. Des longs Ă©garements pour expier le crime, Elle s'avancera jusqu'aux bords de l'abĂźme, Dans le gouffre bĂ©ant prĂȘte Ă  tomber soudain, Et la Gaule viendra qui lui tendra la main, La Gaule, le pays de ces races Ă©piques Se dĂ©vouant toujours aux causes hĂ©roĂŻques ; La Gaule au coeur vaillant, fait pour ĂȘtre chrĂ©tien ; La Gaule, le pays des Gaulois et le mien. Sois fier, ĂŽ mon pays, de ton destin sublime, Puisque tu Rome au seuil de l'abĂźme, Et que ton sang vermeil, en dessillant ses yeux, Doit rouvrir sa paupiĂšre Ă  la clartĂ© des çieux ! L'ÉVÊQUE DE ROME Si le sang des Gaulois a le pouvoir suprĂȘme D'effacer les pĂ©chĂ©s comme l'eau du baptĂȘme, Qu'il empourpre le Tibre et qu'au fleuve puissant Il lĂšgue ses vertus avec ses flots de sang. Aux pays des CĂ©sars qu'un nouveau Jourdain passe ! De la citĂ© des dieux qu'il inonde la place Et qu'au palais son flux, dans sa sainte fureur, Vienne briser l'idole aux pieds de l'empereur! L'ÉVÊQUE DES GAULES, rĂȘveur. Quand de Domitien convertirez-vous l'Ăąme ?. . . PETRUS L'ÉVÊQUE DE ROME Mais dĂ©jĂ  son neveu pense et mĂȘme proclame Que le Christ sur les dieux doit rester triomphant. Petrus sera martyr ! L'ÉVÊQUE DES GAULES Petrus est un enfant Dont la foi m'est suspecte... Orgueilleux, irascible, Son regard inquiet le trahit trop sensible. Je l'ai pris Ă  songer seul et mystĂ©rieux, Et les rĂȘves déçus du jeune ambitieux Impriment sur son front de lugubres sillages. Il a de l'empereur les passions sauvages. Il le voit au palais le soir et le matin, A ses genoux parfois il assiste au festin, Se couronne de fleurs, prend la coupe d'ivoire Et rit quand l'histrion dit ses chansons Ă  boire. Cependant, le matin, il redescend ici. Le doute dans ses yeux met un vague souci, Son front rougit encor de sa lĂąche dĂ©faite, Et quand on le regarde, il dĂ©tourne la tĂȘte. Dans l'Ăąme de Petrus je vois comme en ses yeux Dominer tour Ă  tour le Christ et les faux dieux. Vos ancĂȘtres, Romains, avaient des moeurs austĂšres. Ils quittaient leur charrue, au sillon, dans leurs terres Pour se battre et mourir en hĂ©ros !... Leurs enfants "Ne sont plus aujourd'hui qu'histrions Ă©lĂ©gants, Des sondeurs d'avenir, des rĂȘveurs fous d'ivresse. La Gaule mettra fin Ă  leur longue paresse Et Rome baptisĂ©e avec un sang nouveau De l'Eglise du Christ deviendra le joyau, Seul le sang des Gaulois peut baptiser le monde ! . A ce moment arrivent par la droite de de tous les Ăąges, en toges blanches bordĂ©es de rouge. L'ÉVÊQUE DE ROME, les montrant. Ces chrĂ©tiens forment-ils une race infĂ©conde? Ne savent-ils mourir ? 220 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE L'ÉVÊQUE DÉS GAULÉS Savent-ils gouverner ? A quoi bon les semeurs rie pouvant moissonner ? Si les fruits Ă©tant mĂ»rs pour la moisson prochaine, Vous les laissez pourrir dans la ville paĂŻenne; A quoi peuvent servir tous vos coeurs et vos bras ? L'ÉVÊQUE DE ROME Les semeurs sont ici... L'ÉVÊQUE DES GAULES, sortant par le grand escalier dĂ» fond. LĂšs moissonneurs lĂ -bas ! SCÈNE II L'ÉVÊQUE DE ROME, UN VIEILLARD ENTOURÉ DE CHRETIENS LE VIEILLARD PĂšre, daigne excuser nos douloureuses plaintes, Calme de nos enfants les effroyables craintes. Ils gĂ©missent et mĂȘme ils redoutent leur sort, PrĂ©tendant avoir peur de dĂ©sirer la mort. Mets sur letirs jeunes fronts tes deux mains bĂ©nissantes. Affermis en priant leurs volontĂ©s naissantes. Donne-leur cette force invincible d'en haut NĂ©cessaire au chrĂ©tien pour mourir comme il faut. L'ÉVÊQUE DE ROME NĂ©s Ă  l'heure fatale oĂč Rome en dĂ©cadence, Osant prostituer sa vieille indĂ©pendance, Devenait un moment l'esclave des plaisirs, Vos fils ont Ă©prouvĂ© ses monstrueux, dĂ©sirs. Ils subissent de plus la crise Ă©pouvantable Et du siĂšcle inquiet et de l'esprit malade. Le rĂȘve est aujourd'hui le mal essentiel. Enfants, ne rĂȘvez pas ! Ne rĂȘvez que du ciel C'est l'objet le plus bÚùû; le plus grand, le plus Stable Du seul rĂȘve qui soit toujours rĂ©alisable. PETRUS 221 Pour l'accomplissement du suprĂȘme devoir, Prions Dieu qu'il vous donne un cĂ©leste pouvoir Tous s'agenouillent au pied dĂ© la croix. L'ÉvĂȘqĂče restĂ© defrout, les mains Ă©tendues sur les fronts prosternĂ©s. O toi, MaĂźtre absolu des volontĂ©s humaines", Accorde Ă  nos martyrs tes forces souveraines.., SCENE III LES PRÉCÉDENTS, PETRUS, hors de lui, arrivant comme un fou par l'escalier du fond. PETRUS ValĂ©rian est mort!... Ils l'ont assassinĂ© Dans le cirque... au moment oĂč cet infortunĂ© Me quittait, les bourreaux l'ont pris et tuĂ©!... LĂąchĂ©s!... LĂąches !... Je les paierai de leurs sanglantes tĂąches ! ValĂ©rian est mort ! L'ÉVÊQUE DE ROME, joyeux. Apaisez vos douleurs ! Tarissez en vos yeux la source de vos pleurs. Lorsque Dieu d'un chrĂ©tien comble les espĂ©rances, Sachez de votre coeur surmonter les souffrances ! Se tournant vers la croix Si ce martyr accroĂźt le nombre des Ă©lus Seigneur, je te bĂ©nis ! PETRUS, Ă©garĂ©, semblant voir Ă  terre ValĂ©rian. Pourquoi donc n'Ă«s-tĂ» plus? ValĂ©rian, rĂ©ponds... O mort! ĂŽ froid mystĂšre ! Pourquoi me regarder ainsi ? pourquoi te taire ? ValĂ©rian, rĂ©ponds !... hĂ©las 1 non ; c'est fini. Non, jamais plus Ă  toi je ne dois ĂȘtre uni. Par les soirs parfumĂ©s de senteurs odorantes, Par les matins d'Ă©tĂ© pleins de choses chantantes, Nous n'irons plus rĂȘver d'un heureux avenir. Toute chose a sa fin le rĂȘve doit finir. 222 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Te souvient-il, ami, de notre insouciance ? En nos vastes espoirs remplis de confiance, Nous suivions les sentiers du parc impĂ©rial Pour ravir aux oiseaux leurs notes de cristal, Accomplissant joyeux des courses insensĂ©es, MĂȘlant nos rires clairs et nos douces pensĂ©es ? Te souvient-il encor... Mais tu ne m'entends pas ! L'ÉVÊQUE DE ROME, affectueusement. Le prince Ă©tait absent de ce spectacle ? PETRUS HĂ©las ! Aux jardins du palais, courbĂ© devant l'idole, Le coeur sans passion, la lĂšvre sans parole, J'entendis retentir des cris dans le lointain. J'eus un pressentiment. Je me levai soudain, Je courus vers l'arĂšne, et lorsque j'en fus proche, J'aperçus des soldats fuyant Ă  mon approche. Minute douloureuse! effroyable moment! Plus obstinĂ© me vint l'affreux pressentiment. En pĂ©nĂ©trant au cirque une assurance sombre Du doute en mon esprit parut Ă©largir l'ombre. J'entrevis tout Ă  coup l'affreuse vĂ©ritĂ© Avant d'ĂȘtre certain de la rĂ©alitĂ©. Et parcourant le cirque ainsi qu'un chien de chasse, Du sang que je flairais je poursuivais la trace Lorqu'enfin j'arrivais Ă  l'endroit oĂč les corps Sont jetĂ©s pantelants, tiĂšdes, Ă  peine morts, Horreur ! je reconnus, appuyĂ© contre un arbre, Le corps rouge de sang et le front blanc de marbre, Mon cher ValĂ©rian, le meilleur des amis ! ValĂ©rian est mort ! L'ÉVÊQUE DE ROME Prince, Dieu l'a permis. PETRUS, avec orgueil. Pourquoi l'a-t-il permis ? PETRUS 223 L'ÉVÊQUE DE ROME Parce qu'il est le MaĂźtre. PETRUS Il pouvait le dĂ©fendre. "' L'ÉVÊQUE DE ROME Il devait le permettre. PETRUS, insistant. Pourquoi le devait-il? L'ÉVÊQUE DE ROME O vaine question! Puis-je sonder de Dieu la sainte intention ? PETRUS N'ĂȘtes-vous pas de Dieu reprĂ©sentant Ă  Rome ? L'ÉVÊQUE DE ROME Mais je suis moins que Dieu si je suis plus qu'un homme ! PETRUS Enfin expliquez-moi ce divin sentiment ? L'ÉVÊQUE DE ROME Ce n'en est ni le lieu, prince, ni le moment. La paisible priĂšre est ici notre Ă©tude Quand vos dĂ©sirs troublĂ©s sont pleins d'inquiĂ©tude. Mais pour guĂ©rir le mal qu'en vos yeux j'entrevois, Dites sincĂšrement ces paroles Je crois ! » PETRUS Je crois ! ces mots sans cesse obsĂšdent mes oreilles, La nuit dans mon repos et le jour dans mes veilles. Dois-je croire ou douter? IndĂ©cis et flottants, Mon esprit et mon coeur demeurent hĂ©sitants. Faut-il toujours ramper sous cette terre humide Si Dieu n'existe pas et si le ciel est vide ? 224 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Faut-il vivre au grand air en reniant son Dieu S'il est vrai que le Christ soit prĂ©sent en tout lieu ? Dois-je croire ou douter? L'ÉVÊQUE DE ROME Prince, vous devez croire. Dans le calice saint ".et dans le saint ciboire, Le Christ vient s'immoler et reste sur l'autel, PrĂȘt Ă  toujours mourir, lui, toujours immortel. PETRUS PrĂ©tendus possesseurs d'unjDieu seul, immuable, Qui me dit qu'au palais ne soit le vĂ©ritable? Que, diffĂ©rent du vĂŽtre, il ne soit le seul vrai? Je sais qu'il en faut un, EvĂȘque, et je croirai Que le vĂŽtre est rĂ©el, mais... j'en veux une preuve! L'ÉVÊQUE DE ROME Elle m'effraye, enfant, votre Ăąme jadis neuve, Aimable si longtemps par sa naĂŻvetĂ© Et si vite vieillie en ce temps Ă©hqntĂ© ! PETRUS, rĂȘveur. Oh ! ce dĂ©sir fatal, inexplicable et vague, Qui fait, chaque matin, que je laisse ma bague, Ma lyre et mon collier, pour descendre en ce lieu, EspĂ©rant chaque jour y pouvoir trouver Dieu !... Mais ce Dieu qui demande Ă  l'enfant qui l'adore D'abandonner la terre en fermant Ă  l'aurore Ses yeux clairs et profonds tels qu'un lac azurĂ©, D'anĂ©antir l'amour en son coeur adorĂ©, Ne peut pas exister. Mouvement de stupeur des chrĂ©tiens. L'ÉVÊQUE DE ROME Votre raison s'Ă©gare. Aux chrĂ©tiens. FrĂšres, je vous rejoins Ă  l'autel.... Qu'on le pare, En ce glorieux jour, du plus bel ornement. Du divin sacrifice arrive le moment. Les chrĂ©tiens sortent Ă  droite. A suivre. X... A travers les Revues I. ÉTUDES La loi des garanties, P. j. Burnichon. — II. CORRESPONDANT, IO novembre i° La Revision de la Constitution, P. L. Target; 2° Les discours de combat de M. F. BrunetiĂšre Gabriel Syveton. — III. REVUE DES REVUES, ior novembre Les prolĂ©taires dans le clergĂ© français, Paul Pottier. — IV. REVUE GÉNÉRALE DE BRUXELLES, novembre Les missions protestantes, ArchibaldJ^ Dun. —V. REVUE DES DEUX-MONDES, novembre i° L'Europe sans l'Autriche, Charles Benoist; 2" L'Ă©cole primaire en Angleterre, M. Bonet-Maury ; 30 Le pouvoir judiciaire dans la dĂ©mocratie, Charles Benoist. — VI. REVUE DE PARIS Le monde islamique, pansislamique O. Depont et J. Talayrach d'Eckardt.—VII. LA QUINZAINE Noire rĂ©gime parlementaire, M. Emile Faguet. — VIII. REVUES ÉTRANGÈRES i° CONTEMPORARY La guerre du Transvaal ; 20 FORTNIGHTLY Les erreurs de M. Chamberlain ; 30 NINETEENTH CENTURY La nouvelle rĂ©forme ; 40 LE NORTH AMERICAN REVIEW Protestation en faveur desBoĂš'rs; 50 RIVISTA POLITICAE LETTERARIA Le PĂ©ril français. I Le PĂšre J. Burnichon nous entretient de certaines mesures lĂ©gislatives que le gouvernement prĂ©pare contre la libertĂ© d'enseignement afin d'entourer de garanties le recrutement des fonctionnaires. Il paraĂźt qu'on a dĂ©couvert que les administrations, aussi bien que l'armĂ©e, Ă©taient aux mains des clĂ©ricaux. Maintenir un tel Ă©tat de choses c'est, dit-on, livrer la place Ă  l'ennemi. Le moyen de les chasser, c'est d'exiger de tous les candidats aux fonctions publiques un certificat d'Ă©tudes universitaires. Cette mesure a Ă©tĂ© inscrite dans le programme des rĂ©formes urgentes Ă  cĂŽtĂ© de l'expulsion des CongrĂ©gations religieuses et de la confiscation de leurs biens. Quelques journalistes ont créé ce qu'on appelle un courant d'opinion en essayant de faire croire que c'est le peuple souverain qui rĂ©clame la vilaine besogne dont on lui rabat les oreilles. On en est Ă  se demander maintenant Ă  quelle branche du budget on pourrait accrocher un amendement dans ce sens. C'est, paraĂźt-il, le gouvernement qui va demander au Parlement de voter une loi prescrivant un stage scolaire de trois ans dans les Ă©tablissements d'instruction secondaire de l'État aux aspirants et aux aspirantes aux fonctions publiques pour lesquelles sont requises les Ă©tudes secondaires ou supĂ©rieures, ainsi qu'aux candidats ou candidates aux examens ou concours d'admission aux Ă©coles de l'Etat Ă©tablies pour le recrutement des services publics. Telle est, dans sa naĂŻve hypocrisie, le projet du gouvernement pour la restauration du monopole de l'enseignement universitaire. L'effet infaillible de la loi serait Ă©videmment d'empĂȘcher de vivre tout autre enseignement que celui de l'Etat. Si vous avez fait vos Ă©tudes ailleurs qu'au lycĂ©e ou au collĂšge universitaire, REVUE DU MONDE CATHOLIQUE — 15 JANVIER IGOO 8 226 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE toutes les portes vous sont impitoyablement fermĂ©es ; vous ne pouvez ĂȘtre ni magistrat, ni ingĂ©nieur, ni officier, ni professeur ; vous ne pouvez entrer ni Ă  l'Ecole polytechnique, ni Ă  l'Ecole centrale, ni jaux Ponts-et-ChaussĂ©es, ni Ă  la Guerre, ni Ă  la Marine, ni Ă  l'Agriculture, ni aux Finances, ni aux ForĂȘts, ni dans une administration quelconque. Mieux que cela, l'accĂšs du sĂ©minaire vous sera peut-ĂȘtre interdit, puisque le sĂ©minaire est une Ă©cole instituĂ©e pour le recrutement d'un service public. Telle est la consĂ©quence inĂ©vitable de la loi proposĂ©e. On s'en fĂ©licitait naguĂšre au CongrĂšs de la Ligue d'enseignement de Toulouse Soyez sĂ»rs, y disait-on, que les Ă©tablissements congrĂ©ganistes se videront, le jour oĂč les parents sauront que leur enseignement ne mĂšne Ă  rien. » Cette prĂ©tention de l'Etat contient la nĂ©gation formelle de la libertĂ© d'enseignement et l'affirmation du monopole; c'est la violation du droit moderne, Pour le prouver, il suffit d'un petit raisonnement peu compliquĂ©. D'aprĂšs l'article 6 de la DĂ©claration des Droits de l'homme, tous les citoyens, Ă©tant Ă©gaux entre eux, sont Ă©galement admissibles Ă  toutes les dignitĂ©s, places et emplois publics, selon leurs capacitĂ©s et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leur talent. Nous avons donc tous, en France, le droit d'aspirer aux fonctions publiques; ce droit est inhĂ©rent Ă  la qualitĂ© de citoyen français. En ĂȘtre privĂ© constitue une dĂ©chĂ©ance. Frapper d'incapacitĂ© ceux qui ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s par d'autres maĂźtres que ceux de l'Etat, c'est dire que l'enseignement de l'Etat est obligatoire, c'est dire que l'enseignement n'est pas libre, car on ne peut pas dire que l'enseignement est libre dans un pays oĂč ceux qui ne sont pas enseignĂ©s par l'Etat perdent, par ce fait mĂȘme, leurs droits de citoyen. Voila qui nous paraĂźt clair de la clartĂ© de l'Ă©vidence; et nous pensons que ceux qui voudront combattre pour la libertĂ© ne doivent, Ă  aucun prix, abandonner une position par elle-mĂȘme inexpugnable. 2. La mĂȘme Revue nous offre une Ă©tude trĂšs documentĂ©e sur Joseph de Maistrc, du PĂšre G. Longhaye. Nous regrettons que le temps nous manque pour la rĂ©sumer. 11 Signalons un travail remarquable et tout d'actualitĂ© de M. Target, au sujet de la revision de la Constitution, demandĂ©e par M. de MarcĂšre, sĂ©nateur. Dans un rĂ©cent article publiĂ© par Y Echo de Paris, l'honorable sĂ©nateur a fait une peinture, aussi vraie qu'affligeante, de notre situation Ă  l'intĂ©rieur et Ă  l'extĂ©rieur. Jamais la propagande socialiste n'a Ă©tĂ© plus active et le dĂ©sordre moral plus violemment affichĂ© que dans les incidents des grĂšves qui se produisent partout. Le cabinet auquel prĂ©side M. Waldeck^Rousseau est le prisonnier des utopistes et des sectaires ; il a traduit devant la Haute-Cour des hommes politiques fortuitement rapprochĂ©s par un Ă©gal dĂ©goĂ»t du rĂ©gime que subit la France depuis, vingt ans. Pour remĂ©dier au mal, plusieurs rĂ©publicains modĂ©rĂ©s rĂ©clament la convocation d'une assemblĂ©e constituante chargĂ©e de reviser la constitution de 1875, dont ils constatent les lacunes et les vices rĂ©dhibitoires tant qu'on n'aura pas donnĂ© une organisation. plus rationnelle Ă  la reprĂ©sentation des majoritĂ©s. D'abord^ MM. de MarcĂšre et Benoist prĂ©conisent l'Ă©lection du PrĂ©sident de la RĂ©publique par les conseils gĂ©nĂ©raux. Cette rĂ©forme offre encore un grave inconvĂ©nient, qui est d'introduire la politique dans ces assemblĂ©es, et de relĂ©guer au second plan les intĂ©rĂȘts dĂ©partementaux. On crĂ©erait donc un nouveau foyer d'agitation dans le pays. Le A TRAVERS LES REVUES 227 mal serait uniquement dĂ©placĂ© ; de Versailles il se rĂ©pandrait dans les quatrevingt-six dĂ©partements. En second lieu, on propose, comme une seconde rĂ©forme que l'on considĂšre comme Ă©tant la plus urgente, l'accroissement des pouvoirs du PrĂ©sident de la RĂ©publique. A cela on objecte que cette rĂ©forme serait "en contradiction avec l'esprit rĂ©publicain, qui exige que le PrĂ©sident n'ait aucune responsabilitĂ©. Et puis, la subordination des ministres Ă  la majoritĂ© de la Chambre n'entraĂźne-t-elle pas celle du PrĂ©sident de la RĂ©publique, qu'elle condamne Ă  n'ĂȘtre qu'un soliveau impuissant Ă  contenir les courants violents d'une majoritĂ© qui se forme souvent de la maniĂšre la plus imprĂ©vue?Le remĂšde n'est donc pas lĂ . En second lieu, on propose certaines modifications destinĂ©es Ă  mettre un terme Ă  la licence des parlementaires. 11 s'agirait d'imposer des limites au droit d'initiative parlementaire, notamment en nature de finances, au droit d'interpellation, dont on rendrait l'exercice plus rare; on placerait au-dessus des accidents parlementaires les titulaires des portefeuilles de la guerre, de la marine et des affaires Ă©trangĂšres. Ces titulaires cesseraient d'ĂȘtre solidaires d'un vote qui aurait frappĂ© leurs collĂšgues. Mais ne pourrait-on pas reprocher Ă  ces rĂ©formes d'ĂȘtre en contradiction avec le rĂ©gime rĂ©publicain, qui repose essentiellement sur le suffrage universel, qui est le seul souverain ? Au nom de quel principe pourrait-on limiter les droits des mandataires que ce souverain a choisis? En rĂ©alitĂ©, les rĂ©formes que demandent MM. de MarcĂšre et Benoist sont incompatibles avec l'esprit rĂ©publicain. En troisiĂšme lieu, on demande, outre les modifications prĂ©cĂ©dentes, le retour au scrutin de liste pour l'Ă©lection des dĂ©putĂ©s, la diminution de leur nombre, la crĂ©ation d'une commission technique pour la prĂ©paration et la rĂ©duction des lois Ă©manĂ©es de l'initiative parlementaire. Pour obtenir toutes ces rĂ©formes, la rĂ©union d'une assemblĂ©e constituante paraĂźt nĂ©cessaire et urgente. Cette assemblĂ©e doterait la France d'une nouvelle constitution. M. Target estime que, dans l'Ă©tat prĂ©sent des esprits, la rĂ©union d'une Constituante prĂ©senterait non seulement des difficultĂ©s, mais les plus grands inconvĂ©nients, et qu'il serait dangereux de se lancer dans une pareille aventure. Qu'adviendrait-il du SĂ©nat et de la Chambre des dĂ©putĂ©s fonctionnant, en vertu de la Constitution de 1875, pendant que siĂ©gerait l'AssemblĂ©e constituante? Consentiraient-ils Ă  se dissoudre ? Les deux Chambres, restant en fonctions, consentiraient-elles Ă  ce qu'on restreigne leurs prĂ©rogatives? Ajoutons qu'Ă  une Ă©poque aussi troublĂ©e que la nĂŽtre, en l'Ă©tat actuel des esprits, dans le dĂ©sarroi absolu de l'opinion publique, la rĂ©union d'une AssemblĂ©e constituante ne serait pas Ă  la hauteur de sa mission et ne pourrait qu'aggraver le gĂąchis dans lequel la France s'enlise. La Constituante ne donnerait pas une majoritĂ© unie et pourrait aboutir Ă  une Convention. D'ailleurs, le projet d'une revision de la Constitution a contre lui les radicaux et les socialistes. 11 ne faut pas hĂ©siter Ă  le dire sans rĂ©ticence ni pĂ©riphrase tant qu'on ne reviendra pas aux deux' principes, l'hĂ©rĂ©ditĂ© dans la transmission du pouvoir et la responsabilitĂ© directe du chef de l'Etat, le gouvernement sera sans autoritĂ©. 2. M. BrunetiĂšre ne parle pas qu'en Sorbonne il est avant tout orateur. Il a prononcĂ© plusieurs discours remarquables Ă  Paris, Ă  Marseille, Ă  Besançon, Ă  Avignon, devant des foules agitĂ©es de la fiĂšvre des luttes civiles. Il en est un surtout qui souleva le plus vif enthousiasme de deux mille bons Français assemblĂ©s dans une salle qui a retenti des cris de Vive la France ! et vive l'armĂ©e ! » Ce sont des discours de combat qui contiennent une doctrine, une conception gĂ©nĂ©rale du monde et de la vie d'abord, dans un premier discours une profession de foi d'idĂ©alisme , l'affirmation de cette croyance que les faits ne portent pas en eux leur 228 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE signification tout entiĂšre, qu'ils relĂšvent de quelque chose d'ultĂ©rieur, de supĂ©rieur et d'antĂ©rieur Ă  eux-mĂȘmes, que, derriĂšre la toile, au delĂ  de la scĂšne oĂč se joue le drame de l'histoire et le spectacle de la nature, une cause invisible, un mystĂ©rieux auteur se cache, Deus absconditus, qui en a rĂ©glĂ© d'avance la succession et les pĂ©ripĂ©ties... La conclusion logique de cette profession de foi se trouve dans un autre discours du 19 novembre 1898, intitulĂ© Le besoin de croire ». Les Ă©vĂ©nements de la prĂ©sente annĂ©e ont amenĂ© la plupart des Français qui rĂ©flĂ©chissent Ă  formuler, soit pour eux seuls, soit pour le public, leur conception de la Patrie. L'un des attraits du recueil des discours de M. BrunetiĂšre, qui vient d'ĂȘtre publiĂ©, est de nous prĂ©senter une conception idĂ©aliste de la patrie. M. BrunetiĂšre ne fonde pas la patrie sur la communautĂ© de race ni sur la seule volontĂ© d'un certain nombre d'hommes de vivre ensemble sous les mĂȘmes lois, c'est-Ă -dire sur un consensus passager d'opinions changeantes ». Il donne un fondement plus solide Ă  l'idĂ©e de patrie ; il le trouve dans l'histoire et il nous dit, en toute vĂ©ritĂ©, que ce qui fait la patrie, c'est une communion sĂ©culaire de luttes, de souffrances, de gloires, de sentiments et d'idĂ©es. Et ainsi les traditions » deviennent pour lui les racines de l'idĂ©e de patrie ». On pourrait dire que M. BrunetiĂšre est l'apĂŽtre des traditions, et on l'a raillĂ© Ă  ce sujet en le reprĂ©sentant comme un rĂ©trograde qui veut ramener la France au passĂ©. Mais il a rĂ©pondu Ă  ses dĂ©tracteurs La tradition, pour nous, ce n'est pas ce qui est mort ; c'est, au contraire, ce qui vit, c'est ce qui survit du passĂ© dans le prĂ©sent ; c'est ce qui dĂ©passe l'heure actuelle ; ce ne sera, pour ceux qui viendront aprĂšs nous, que ce qui vivra plus que nous. » M. BrunetiĂšre classe les traditions de la France ainsi qu'il suit Nous avons une tradition militaire ; nous avons une tradition littĂ©raire et intellectuelle ; et nous avons aussi, depuis que le christianisme a paru dans le monde, une tradition religieuse. » VoilĂ  pourquoi, dans toutes ses confĂ©rences, il dĂ©fend le catholicisme, parce que de mĂȘme que le protestantisme, c'est l'Angleterre, et l'orthodoxie, c'est la Russie ; pareillement, la France, c'est le catholicisme », et que tout ce que nous ferons, tout ce que nous laisserons faire contre le catholicisme, nous le laisserons faire et nous le ferons au dĂ©triment de notre influence dans le monde, au rebours de toute notre histoire et aux dĂ©pens, enfin, des qualitĂ©s qui sont celles de l'Ăąme française». VoilĂ  pourquoi, quand une ligue s'est formĂ©e pour dĂ©fendre l'armĂ©e contre ses dĂ©tracteurs, M. BrunetiĂšre a Ă©tĂ© bĂ©ni de ses plus Ă©loquents porte-paroles, parce que c'est une dynastie militaire qui a fait notre ancienne France », parce que la tradition militaire est, en quelque sorte, adĂ©quate Ă  la formation de la patrie française. On conçoit que cette conception de la patrie ait mis M. BrunetiĂšre en conflit avec tous ceux qui, dans leur superbe ou dans leur dĂ©sir enfantin de bonheur universel, veulent refaire la France selon le plan idĂ©al que leur a rĂ©vĂ©lĂ© leur sens propre. 11 les a dĂ©masquĂ©s comme les ennemis de l'Ăąme française » internationalistes, politiciens, intellectuels, libres-penseurs, individualistes. Tous ceux-lĂ  le combattent, et il les combat. Mais il a, contre eux, l'alliance de ceux qui tiennent au sol, qui sont les fils de la race, et qui, dans l'effroyable dĂ©lire de destruction qui a affolĂ© une partie de ce pays, ont senti le besoin de dresser un drapeau oĂč fĂ»t inscrite la devise de conservation sociale et nationale. III La Revue des Revues, dont on connaĂźt l'esprit anticlĂ©rical, publie un long article, sous ce titre Les prolĂ©taires dans le clergĂ© français, oĂč l'auteur, qui est juif, pa- A TRAVERS LES REVUES 229 raĂźt-il, met en relief la pauvretĂ© d'un prolĂ©tariat en soutane dont le silence disciplinaire s'Ă©lĂšve jusqu'Ă  l'abnĂ©gation ». Nous ne lui empruntons que les documents qui se rapportent Ă  la situation matĂ©rielle des desservants, comparĂ©e Ă  celle des pasteurs protestants. Un curĂ© de campagne aurait donnĂ© Ă  la Revue des Revues les renseignements suivants Je suis curĂ© desservant d'une paroisse de plus de 2100 Ăąmes, qui est situĂ©e Ă  cĂŽtĂ© d'une commune mixte qui compte 1000 ou 1100 protestants. Je reçois, pour un enterrement d'adulte, tout compris, 12 francs ; le ministre protestant reçoit, pour le mĂȘme service, 25 francs. Pour un enterrement d'enfant, je reçois 2 francs; le ministre protestant reçoit 6 francs. Pour un mariage je reçois, tout compris, 7 francs ; le ministre protestant reçoit 25 francs. Pour un baptĂȘme, je ne reçois rien ; le ministre reçoit 5 francs. Pour la premiĂšre communion, moi, rien ; le ministre reçoit 5 francs par communiant. » Et l'on dit que dans le culte protestant il n'y a pas de casuel ! Ajoutons qu'en outre des honoraires du casuel perçus par les pasteurs protestants, qui sont plus du double de ceux que perçoit le curĂ© catholique, le traitement affectĂ© par l'Etat au pasteur protestant est beaucoup plus Ă©levĂ© que celui qui est attribuĂ© au curĂ© catholique. En consĂ©quence, le culte de la minoritĂ© est mieux traitĂ© en France que ne l'est celui de la majoritĂ©. Aux pays annexĂ©s, les curĂ©s desservants sont moins malheureux. Leur traitement est de 1500 francs et, de plus, ils reçoivent une indemnitĂ© lorsque la population du village n'atteint pas 300 Ăąmes, car, dans ce cas, le casuel se chiffre par des sommes dĂ©risoires. En France, il y a des paroisses qui ne comptent pas 300 Ăąmes. NĂ©anmoins, le curĂ© ne reçoit aucune indemnitĂ© du gouvernement, et s'il en reçoit une du conseil municipal, elle est volontaire et peut ĂȘtre supprimĂ©e au grĂ© de la municipalitĂ©. Dans les paroisses religieuses, le curĂ© reçoit des secours de ses paroissiens, mais dans les paroisses indiffĂ©rentes, sa soutane est souvent suspectĂ©e. On Ă©pie sa vie ; s'il est invitĂ© au chĂąteau, on le traite de rĂ©actionnaire ; s'il reste chez lui, on l'appelle loup sauvage » ; s'il frĂ©quente des personnes ĂągĂ©es, on l'accuse de vouloir capter un hĂ©ritage. On Ă©crit Ă  l'Ă©vĂȘchĂ© des lettres anonymes, on envoie aux journaux des notes dĂ©sobligeantes. Ce curĂ© est, assurĂ©ment, moins heureux et plus tourmentĂ© que l'instituteur, que le garde-champĂȘtre mĂȘme. Le curĂ© devenu infirme est rĂ©duit Ă  mendier une pension Ă  la direction des cultes, car seul, de tous nos nombreux fonctionnaires, il n'a pas droit Ă  une retraite. En plusieurs diocĂšses, les prĂȘtres constituent de leurs deniers une caisse de secours et de retraite qu'ils administrent eux-mĂȘmes sous le patronage de l'Ă©vĂȘque. Un autre inconvĂ©nient signalĂ© par l'auteur, c'est que le clergĂ© de second ordre est soumis Ă  l'arbitraire de l'Ă©vĂȘque. Toutes les nominations s'effectuent au choix, c'est-Ă -dire qu'elles sont dues souvent Ă  un concert habile de protections, de recommandations et d'intrigues, et cela du haut en bas de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique ; celles des desservants et des curĂ©s, livrĂ©es Ă  l'autoritĂ© de l'Ă©vĂȘque ou Ă  des influences extĂ©rieures qui peuvent peser sur sa volontĂ©. Les Ă©lĂšves des sĂ©minaires sentent si bien que la carriĂšre ecclĂ©siastique est obstruĂ©e par le favoritisme, que beaucoup d'eux ont adoptĂ© cette formule d'assiduitĂ© au labeur J'en saurai toujours assez pour un curĂ© ! » On conçoit qu'un clergĂ© aussi peu encouragĂ© soit loin de prĂ©senter l'autoritĂ© et le prestige scientifique dont il Ă©tait aurĂ©olĂ© au XVIIe siĂšcle. Avant le Concordat de 1801, le concours servait de mode d'attribution des fonctions et des bĂ©nĂ©fices. Chacun obtenait la place que lui rĂ©servait son mĂ©rite. Le Pape LĂ©on X a Ă©crit dans une bulle Vous savez que les 230 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE places ecclĂ©siastiques sont, suivant les canons sacrĂ©s, pour ceux qui, d'une part, recommandables par la puretĂ© de leur vie, et, de l'autre, brillants de la lumiĂšre de la science, sont en Ă©tat de dissiper les tĂ©nĂšbres de l'ignorance. » La loi du concours n'est pas abrogĂ©e, elle est observĂ©e dans toutes les provinces de l'Église, exceptĂ© en France. Pourquoi cette exception? Il en est de mĂȘme des officialitĂ©s, tombĂ©es en dĂ©suĂ©tude en France, quoiqu'elles ne soient pas interdites. Maintes fois, des influences politiques ont essayĂ© d'affranchir le clergĂ© du second ordre de ce rĂ©gime d'arbitraire. M. Jules Simon fit un essai en 1873 par une circulaire qu'il adressa aux Ă©vĂȘques et qui resta sans effet ; M. Emile Ollivier [L'Eglise et l'Etat s'est Ă©levĂ© contre la situation vacillante que les articles organiques crĂ©ent au bas clergĂ©. Enfin, l'auteur rĂ©sume les revendications de ce qu'il appelle les prolĂ©taires ecclĂ©siastiques aux suivantes Etablissement de l'inamovibilitĂ© pour tous les ecclĂ©siastiques ; restauration du concours permettant aux plus instruits et aux plus dignes de s'Ă©lever sans protection dans les dignitĂ©s de l'Eglise ; restauration des officialitĂ©s tempĂ©rant l'arbitraire Ă©piscopal ; rĂ©union rĂ©guliĂšre des synodes ; relĂšvement de la situation pĂ©cuniaire des curĂ©s de campagne, afin -de relever leur dignitĂ©. Dans le travail dont nous rendons compte, il y a Ă  prendre et Ă  laisser. Nous avons supprimĂ© des critiques qui nous paraissent injustes, ou qui, tout au moins, dĂ©passent la mesure. Nous passons sous silence, Ă©galement, un rĂ©quisitoire plus injuste encore contre l'envahissement des CongrĂ©gations religieuses comme faisant une concurrence terrible au clergĂ© sĂ©culier. On prĂ©tend mĂȘme que l'Eglise gallicane est menacĂ©e de sombrer dans les mains des religieux ultramontaims et cosmopolites. A l'appui de ce rĂ©quisitoire, l'auteur invoque et cite mĂȘme des documents empruntĂ©s Ă  une volumineuse correspondance ; il cite une lettre d'un prĂȘtre de l'Est, trĂšs respectĂ© dans son diocĂšse », qui accuse les CongrĂ©gations de reprĂ©senter une force anonyme, occulte, aussi dangereuse pour la France que pour le bon renom et l'avenir du catholicisme français ». On cite une page malicieuse d'un prĂȘtre de Paris trĂšs apprĂ©ciĂ© dans nos milieux littĂ©raires », sur l'antinomie nĂ©cessaire qui existerait entre le clergĂ© sĂ©culier et les CongrĂ©gations. Ces deux tĂ©moignages ne peuvent ĂȘtre acceptĂ©s que sous bĂ©nĂ©fice d'inventaire, vu que l'auteur de l'article dit qu'il se garde bien de nous donner leurs noms. IV La Revue gĂ©nĂ©rale de Bruxelles nous rend compte de la stĂ©rilitĂ© des missions protestantes auxquelles le peuple anglais consacre des sommes considĂ©rables. Il a Ă©tĂ© Ă©tabli que l'argent dĂ©pensĂ© par les grandes sociĂ©tĂ©s missionnaires anglaises » de Londres, en Orient et dans les possessions de l'Angleterre dans tout le globe, a dĂ©passĂ© 50 millions l'annĂ©e derniĂšre. Sur cette somme, 14 millions reprĂ©sentaient les exemplaires de la Bible en diverses langues, distribuĂ©s partout; il faut ajouter Ă  cette somme 13 millions de francs dĂ©pensĂ©s pour salaires, loyers, administration, etc. ; ce qui prouve que les secrĂ©taires et employĂ©s font de trĂšs bonnes affaires. Cependant, d'aprĂšs les rapports communiquĂ©s par les sociĂ©tĂ©s Ă  leurs souscripteurs', les rĂ©sultats ne sont rien moins que brillants. Il est constatĂ©, par le nombre des' prĂ©tendus convertis, que le coĂ»t annuel d'un juif converti est de francs ; d'un moslem perse, de 1750 francs; d'un "mosĂźeiri turc, de 6100 francs; d'un bpudhiste chinois, de 1500 francs; d'un catholique irlandais, de 1250 francs; d'un armĂ©nien, de 875 francs; et d'un nĂšgre africain, le mĂȘme prix. Ces chiffres sont A TRAVERSEES REVUES 23 I basĂ©s sur le texte mĂȘme des rapports. Mais peut-ĂȘtre, dira-t-on, si le nombre des convertis est minime, leur qualitĂ© est peut-ĂȘtre supĂ©rieure. Il est,loin d'en ĂȘtre ainsi. Un voyageur, le docteur Grant, dit Tout effort Ă  Ă©vangĂ©liser la Chine ...a manquĂ© complĂštement. » M. Irving Ă©crivait, Ă  propos des convertis dans la JudĂ©e Leur immoralitĂ© licencieuse choque les sentiments mĂȘme de leurs amis paĂŻens. » L'auteur cite plusieurs autres tĂ©moignages de missionnaires protestants qui accusent le mĂȘme insuccĂšs, la mĂȘme stĂ©rilitĂ© du protestantisme comme Ă©vangĂ©lisateur. Le missionnaire protestant arrive Ă  sa mission avec sa femme, ses enfants et ses domestiques; il se pose comme professeur d'une philosophie Ă©trangĂšre, qu'il offre Ă  l'acceptation de pauvres indigĂšnes ignorants qui ne connaissent que la culture du sol. La maison du missionnaire protestant est monumentale et confortable ; il est riche et gĂ©nĂ©reux, il Ă©tablit des Ă©coles, une pharmacie libre, distribue des Bibles bien reliĂ©es que les indigĂšnes ne peuvent pas lire; mais il ne va pas Ă  l'Ăąme du peuple, il ne l'Ă©vangĂ©lise pas ; il fait du commerce souvent, mais il ne fait pas d'apostolat proprement dit. Le missionnaire catholique, au contraire, arrive presque sans bagage et s'installe dans une cabane, oĂč il vit pauvrement. Comprenant la langue des indigĂšnes, il visite ses paroissiens et leur enseigne les vĂ©ritĂ©s de la religion et les vertus chrĂ©tiennes, comme ont fait saint François Xavier et tant d'autres dans leur temps. Le missionnaire catholique regarde sa vocation comme une vie d'abnĂ©gation de soi-mĂȘme et de sacrifice, tandis que pour le missionnaire protestant, c'est une profession, avec des appointements importants qui lui permettent d'enrichir sa famille. V Dans la Revue des Deux-Mondes du 15 novembre, Charles Benoist soutient la nĂ©cessitĂ© du maintien de la monarchie austro-hongroise, qui est aujourd'hui en pĂ©ril. Y aura-t-il une dislocation du dualisme, et s'il y en a une, jusqu'oĂč irat-elle? Si elle va jusqu'au bout, comment se fera le partage? Entre qui? Ceux qui ne seront pas admis au partage recevront-ils une compensation? Quel serait le rĂ©sultat de cette dislocation? Mais alors il n'y aurait plus d'Europe le continent qui s'est appelĂ© de ce nom serait coupĂ© en deux par le milieu une Allemagne, une Russie. A ses extrĂ©mitĂ©s, et comme en marge, quelques Etats de deuxiĂšme, troisiĂšme ou quatriĂšme rang, qui traĂźneraient misĂ©rablement une existence prĂ©caire et tolĂ©rĂ©e, et sur lesquels l'un des deux colosses n'aurait qu'Ă  s'abattre pour les Ă©craser, les broyer, les mĂȘler Ă  la poussiĂšre des, nations disparues. Or, si le colosse russe tombait sur l'Asie, sur quoi tomberait le colosse allemand sinon sur les nations latines, et en particulier sur la France? La conclusion de M. Benoist est que, pour qu'il y ait une Europe, il faut qu'il y ait une Autriche en Europe. Dans la mĂȘme revue, M. Bonet-Maury Ă©tudie Y Ă©cole primaire en Angleterre dans le passĂ© et dans le prĂ©sent. Il fait remarquer que nos voisins, pour toutes les questions d'intĂ©rĂȘt, aiment Ă  procĂ©der par voie d'enquĂȘtes qui ne sont pas toujours dirigĂ©es par des membres du Parlement, mais sont confiĂ©es parfois Ă  des sociĂ©tĂ©s privĂ©es ou Ă  des inspecteurs. En France, il serait utile d'employer cette bonne mĂ©thode, car le systĂšme de l'Ă©cole primaire anglaise offre, dit M. BonetMaury, l'image de la vie, du libre jeu des grandes forces sociales qui sont Ă  l'oeuvre en Angleterre. . Dans une Ă©tude sur le pouvoir judiciaire dans M. Charles Benoist 232 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE est d'avis qu'en cette matiĂšre, la question la plus grave est celle de la nomination des juges, et il veut qu'en la laissant tout entiĂšre Ă  la compĂ©tence de l'exĂ©cutif on Ă©vite que celui-ci n'en fasse un acte de son bon plaisir. D'autre part, il faut donner Ă  l'exĂ©cutif le moyen de soutenir et de repousser l'assaut que lui livre le lĂ©gislatif; il faut donc le fortifier contre le lĂ©gislatif et contre lui-mĂȘme. Pour cela, il juge utile de crĂ©er un conseil supĂ©rieur de la justice qui serait la Cour suprĂȘme de France », qui aurait pour mission la dĂ©fense de la libertĂ©. Elle ferait respecter par tous les pouvoirs, mĂȘme par le lĂ©gislateur, la loi constitutionnelle et les droits nĂ©cessaires des citoyens. VI MM. O. Depont et J. Talayrach d'Eckardt signalent, dans la Revue de Paris, l'action et les manifestations rĂ©centes de la force religieuse musulmane, qui se rĂ©veille aujourd'hui sur divers points du globe, et sur ce qu'on appelle le pausislamisnie ou propagande islamique. Ce n'est rien moins que la coalition politique des musulmans de tous pays pour la libĂ©ration et la dĂ©fense Ă  outrance des territoires islamiques occupĂ©s ou menacĂ©s d'occupation par les puissances europĂ©ennes. La ligue qui s'est formĂ©e dans le but de reconstituer la fonction historique du kalifat, que le Sultan de Constantinople prĂ©tend exercer dans son intĂ©gritĂ©, a ses puissants moyens d'action dans les confrĂ©ries religieuses, le pĂšlerinage Ă  La Mecque, l'Ă©migration et le prosĂ©lytisme. Aujourd'hui, le monde compte 260 millions de mahomĂ©tans, qui reprĂ©sentent plus de 15 0/0 de la population totale du globe. La Turquie d'Europe n'a que 2 Ă j millions de mahomĂ©tans, la Russie d'Europe en a 9 millions. L'Asie, avec ses musulmans, est le vĂ©ritable foyer de l'Islam. GĂ©ographiquement, les deux tiers de l'Afrique leur appartiennent. VII A noter, dans la Quinzaine, une critique trop vraie de M. Faguet sur notre rĂ©gime parlementaire. Cette critique porte sur le mode de recrutement de nos lĂ©gislateurs et sur l'Ă©laboration ou le vote de nos lois. L'auteur ne voit dans le Parlement qu'une sorte de cour du roi Petaud. Gouvernement parlementaire, confus et cahotique, mĂȘlant le lĂ©gislatif, l'exĂ©cutif et l'administratif, lĂ©gifĂ©rant mal, gouvernant mal, administrant mal, faisant tout dĂ©pendre, dans le pays, de la politique, et d'une politique qui est une combinaison ou une lutte d'intĂ©rĂȘts personnels, c'est-Ă -dire une immense intrigue... abaissant dans une certaine mesure les caractĂšres eux-mĂȘmes, par ces moeurs nouvelles, non universelles, mais trĂšs rĂ©pandues dĂ©jĂ , qui tendent Ă  faire de tous les citoyens des acheteurs tour Ă  tour et des vendeurs de denrĂ©e politique, tour Ă  tour et en mĂȘme temps avides et prodigues^de sportule. » M. Faguet se propose de nous dire, dans un prochain article, comment on pourrait dĂ©barrasser le rĂ©gime parlementaire de ses dĂ©fauts. VIII i° Les grandes revues anglaises sont naturellement envahies par des discussions sur la guerre sud-africaine. Dans le Contemporary, un vieil officier exprime avec une A TRAVERS LES REVUES 233 rĂ©elle compĂ©tence des opinions qui peuvent ĂȘtre relevĂ©es. Peut-on exciter les indigĂšnes Ă  attaquer les RĂ©publiques boers? Non, dit-il, sans aucun doute L'avenir seul nous apprendra si cette guerre peut compenser tout le mal qu'elle cause. » Il ajoute que toutes les forces de l'Angleterre ne seront pas de trop pour cette lutte. 20 Le Fortnighlly, Ă  son tour, relĂšve ce qu'il appelle avec indulgence les erreurs de M. Chamberlain dans la question de l'Afrique australe. Il insiste sur l'extraordinaire maladresse de la revendication de suzerainetĂ© qui a suffi Ă  dĂ©chaĂźner la guerre. Mais y a-t-il eu maladresse de la part de M. Chamberlain ? Nous ne le croyons pas, car celui-ci, bien loin de vouloir Ă©viter un conflit, paraĂźt plutĂŽt l'avoir dĂ©sirĂ© et cherchĂ©. 30 Le Nineteenth Century demande Ă  l'Eglise d'Angleterre d'Ă©largir ses vues, en d'autres termes, son symbole, et de ne pas s'attacher trop Ă©troitement Ă  la lettre de ses dogmes. Elle fait bon marchĂ© de certains dogmes qui sont pourtant consignĂ©s dans le Nouveau Testament. Etre un chrĂ©tien, dit cette revue, c'est adopter la doctrine du Christ et ses vues touchant la nature de la vie qui doit nous conduire jusqu'Ă  Dieu et nous rĂ©concilier avec lui. C'est comprendre le Christ lui-mĂȘme comme RĂ©conciliateur et RĂ©vĂ©lateur. » TrĂšs bien, mais si le Christ est le RĂ©vĂ©lateur de la vraie doctrine du salut, pouvez-vous exclure de sa doctrine tels dogmes, telles parties de cette vraie doctrine qui ne vous plaisent pas, et vous dire les disciples du Christ? 11 est Ă©vident que votre Eglise n'est plus qu'une secte. Elle n'est pas celle qui professe la doctrine intĂ©grale du Christ, mais celle qui supprime, au grĂ© de la libre interprĂ©tation de chacun, une partie quelconque de cette doctrine. 40 Le North American Review prend hautement la dĂ©fense des Boers et condamne les injustifiables exigences des Uitlanders, attirĂ©s non par l'attrait du pays, mais par le seul amour de l'or. La meilleure politique Ă©tait de laisser les Boers dans la paisible possession de leur patrie, libres de la gouverner conformĂ©ment Ă  leur gĂ©nie, Ă  leurs moeurs patriarcales, et d'aprĂšs les bonnes vieilles traditions de leurs ancĂȘtres, avec leur langue Ă  eux, leurs corporations Ă  eux. C'est malheureusement la derniĂšre chose que John Bull, qui a les dents longues, consentira Ă  faire, sauf Ă  s'en repentir quelque jour et Ă  voir l'Europe, et mĂȘme ses colonies, se tourner contre lui et secouer son joug. 50 La Rivista politica e letteraria d'Italie, qui est gallophobe, dĂ©nonce aux nations ce qu'elle appelle le pĂ©ril français. L'auteur de ce manifeste fait un tableau peu flatteur de la situation actuelle de la France et nous prodigue les plus odieuses invectives. Il juge notre pays embourbĂ© dans une politique turbulente, agressive, conquĂ©rante, et qui, sous couleur d'ĂȘtre internationale, est tout envahissante. Notre politique actuelle dĂ©ment toutes ces accusations, car la France n'a jamais Ă©tĂ©-moins envahissante qu'aujourd'hui. Mais les Italiens ont une maniĂšre Ă  eux de reconnaĂźtre les services qu'ils ont reçus de la France, c'est d'incriminer leurs bienfaiteurs. Aujourd'hui, le vrai but de la Rivista est de se faire le porte-parole des boycotteurs de l'Exposition de 1900. H. D'HESSERD. AUTOUR DU MONDE La comĂ©die politique de la Haute-Cour s'est terminĂ©e, comme chacun s'y attendait, et comme le Grand-Orient, d'accord en cette circonstance avec la Synagogue, l'avait, du reste, dĂ©crĂ©tĂ© et signifiĂ© Ă  l'exĂ©cuteur des hautes oeuvres judaĂŻco-maçonniques WaldeckRousseau, le ministre automatique par excellence. Il n'y avait guĂšre moyen de condamner tous les accusĂ©s, puisqu'il ressortait des dĂ©bats qu'il ne se trouvait aucun coupable parmi eux. Il s'agissait de justifier le gouvernement devant l'opinion et de sauver le SĂ©nat du ridicule, surtout de n'Ă©lever aucun piĂ©destal Ă  des victimes gĂ©nĂ©ralement sympathiques et dĂ©jĂ  populaires. On a acquittĂ© la plupart des personnes et l'on a rĂ©servĂ© les foudres de la Cour pour les chefs de file ou de parti, pour MM. AndrĂ© Buffet, DĂ©roulĂšde, Jules GuĂ©rin prĂ©sents, et Lur-Saluces contumax, Marcel Habert devant faire l'objet d'un nouveau procĂšs. Or, il est aujourd'hui Ă©vident pour les moins initiĂ©s eux-mĂȘmes que les condamnĂ©s poursuivis et frappĂ©s pour avoir conjurĂ© la perte de la RĂ©publique, pour complot enfin, n'ont jamais rien complotĂ© ensemble, que certains mĂȘme n'avaient fait connaissance qu'en face de leurs juges ahuris; que, par consĂ©quent, tous ont Ă©tĂ© injustement accusĂ©s et qu'ils ont Ă©tĂ© illĂ©galement condamnĂ©s en violation rĂ©pĂ©tĂ©e de la loi, en mĂ©connaissance de tous droits et malgrĂ© le rayonnement rĂ©probateur d'une innocence Ă©clatante. Cela, des juges? ditle peuple aujourd'hui, des laquais, oui ! des bourreaux encore, car aucune avanie n'a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©e Ă  ces victimes choisies par les trembleurs Ă©lysĂšens et luxembourgeois,. ni au prĂ©toire, ni au cachot, ni sur le chemin de l'exil, ni dans l'exil lui-mĂȘme; la lĂąchetĂ© qui succĂšde Ă  la tyrannie dĂ©guisĂ©e sous les dehors de la justice, c'est dans l'ordre des vilaines choses et digne des tristes personnages qui, compatissants aux traĂźtres, parce que traĂźtres eux-mĂȘmes, ne voient de dangers inquiĂ©tants pour leur conscience torturĂ©e et pour leurs fiefs pourris que dans l'exercice intĂ©gral de la justice indĂ©pendante et dans l'exaltation de l'honneur civique et de l'amour sincĂšre de la Patrie, AUTOUR DU MONDE dans la noblesse transcendante des coeurs, assurĂ©e par la seule crainte de Dieu. Il n'est douteux pour personne que Buffet, DĂ©roulĂšde et LurSaluces ne moisiront pas dix annĂ©es dans l'inaction et dans les tristesses du bannissement, ni que Jules GuĂ©rin restera dĂ©tenu comme un criminel dix annĂ©es durant. La justice du peuple visite plus frĂ©quemment les victimes politiques, qui ne sont, en dĂ©finitive, que les martyrs de la chose publique. Et puis, la fortune, changeante, ne peut si longtemps luire d'un mĂȘme cĂŽtĂ©. Donc, ne gĂ©missons pas trop sur le sort de ceux qui, plus courageux ou plus fortunĂ©s que nous, ont su lutter et souffrir, mais soyons bien dĂ©cidĂ©s Ă  les honorer dans nos coeurs, Ă  ne rien nĂ©gliger surtout pour hĂąter leur retour, c'est ainsi qu'une nation fiĂšre honore ses hĂ©ros. Nous hĂąterons certainement le retour des exilĂ©s, l'Ă©largissement des personnes, et aussi le rĂ©veil de l'honneur des consciences, de la lĂ©galitĂ© et de la justice, si tous, Ă  l'exemple des Ă©lecteurs de Tournon, nous savons donner aux ambitieux la leçon souveraine qui dĂ©coule du suffrage universel, qui sait protester et redresser les jugements des juges et l'orgueil des rois, mĂȘme... des rĂ©publiques oligarchiques et ploutocrates. Les Ă©lecteurs de Tournon, en effet, ont voulu oublier un moment qu'ils Ă©taient rĂ©publicains de vieille date, pour affirmer qu'ils restaient avant tout honnĂȘtes gens et Français; et voilĂ  pourquoi, laissant sur le carreau le dreyfusard Seignobos, ils ont envoyĂ© Ă  la Chambre un conservateur intĂšgre, un patriote avĂ©rĂ©. C'est un bel exemple de vertu civique qu'il importe de pratiquer sans cesse, de suivre partout. Il faut que le SĂ©nat parjure soit prochainement, dĂ©cimĂ© et rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©; il faut que le nouveau sang qu'on lui infusera amĂšne en lui une rĂ©action salutaire, et qu'ainsi restaurĂ©, il dĂ©fasse, quand on lui demandera de condamner Marcel Habert, ce qu'il a si tristement consenti en sacrifiant DĂ©roulĂšde. Il faut que ce haut-le-coeur soit durable jusqu'Ă  soulagement complet, qu'il persiste lors des Ă©lections municipales et qu'il achĂšve son oeuvre d'Ă©vacuation libĂ©ratrice aux Icivous trouvez la solution exacte Ă  Majordome Anglais Dans Magnum pour continuer dans le paquet CodyCross Londres Groupe 490 Grille 1. Solution pour Majordome Anglais Dans Magnum. HIGGINS. PrĂ©cĂ©dent. Suivant . Solutions du mĂȘme Grille. 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Elisabethde nanatsu no taizai cosplay. Nous en septembre dernier une chanson oĂč deguisement loup rĂšgne une meilleure navigation. Est un majordome responsable d’un ordinateur et absurde et admirez la sociĂ©tĂ© ou d’impĂ©ratrice, vous ignoriez Ă  faire un certain nombre d’heures sur la 3 worldcon Ă  venir devant la saveur du style et le plus d’ĂȘtre fin de
Une fois par mois, nos spĂ©cialistes des sĂ©ries Pierre Langlais et SĂ©bastien Mauge se replongent dans les dĂ©buts d’une sĂ©rie qui a marquĂ© l’histoire du petit Ă©cran. Ce mois-ci, “Magnum”, dont le reboot est diffusĂ© sur TF1. Ce lundi 24 septembre 2018, toutes celles et ceux qui aiment les moustaches ont observĂ© une minute de silence. Thomas Magnum Ă©tait de retour sur CBS, trente-huit ans aprĂšs sa premiĂšre mission. Mais il Ă©tait glabre, ou presque. A peine un lĂ©ger bouc. Alors, pour nous consoler, nous sommes allĂ© voir Ă  quoi ressemblait les premiers pas de la version originale de Magnum dans le texte, pour Private Investigator ». Le double premier Ă©pisode de la sĂ©rie créée par les trĂšs influents Donald P. Bellisario Supercopter, JAG, NCIS et Glen A. Larson L’Homme qui tombe Ă  pic, K2000 prĂ©sente le dĂ©tective privĂ© incarnĂ© par Tom Selleck, et suit une premiĂšre enquĂȘte autour de la mort suspecte d’un de ses anciens frĂšres d’armes au ViĂȘt Nam. On monte dans la machine Ă  remonter l’histoire cathodique, direction le 11 dĂ©cembre 1980. Magnum est aussi vieille que nous. Donc, nos souvenirs de la sĂ©rie datent de notre plus tendre enfance, et des centaines de rediffusions qui ont inondĂ©es le petit Ă©cran français pendant les dĂ©cennies 1980-1990 sur Antenne 2 dĂšs 1981, puis M6, TF1, France 3, France 4, 13e Rue, Jimmy, TV Breizh
 partout quoi. Il faut dire que 8 saisons et 162 Ă©pisodes, ça vous remplit une grille de programme un dimanche aprĂšs-midi aprĂšs Rick Hunter et Hawai Police d’État. Qu’a-t-on gardĂ© de la sĂ©rie dans notre mĂ©moire encombrĂ©e, s’interroge SĂ©bastien. La moustache, les chemises Ă  fleurs, les shorts en jean, Higgins le rigide que l’on associait physiquement Ă  Hitler dans notre enfance et ses deux chiens Zeus et Apollon, la Ferrari, l’hĂ©licoptĂšre, les flashbacks du Vietnam, les jolies filles et le gĂ©nĂ©rique tonitruant. En revanche, et ce n’est pas forcĂ©ment bon signe, aucun souvenir d’une quelconque intrigue remarquable ou d’un Ă©pisode phare ». Tom Selleck et John Hillerman dans Magnum CBS Pour celles et ceux qui l’aurait oubliĂ©, Thomas Magnum, quatriĂšme du nom, est un ancien marine. Il a servi au ViĂȘt Nam mais rĂ©cemment quittĂ© les rangs de la Navy pour devenir le Monsieur sĂ©curitĂ© » de Robin Masters, un cĂ©lĂšbre et richissime Ă©crivain – qui reste invisible, mais dont la voix n’est autre que celle
 d’Orson Welles ! Il doit en revanche se coltiner Jonathan Higgins, troisiĂšme du nom une gĂ©nĂ©ration de moins que lui, donc, l’Anglais rigide dont SĂ©bastien parlait plus haut, gardien de sa luxueuse demeure. Magnum, qui est plus cool que tout le monde sur l’üle d’Oahu Ă  HawaĂŻ celle de la capitale Honolulu, choisit ses propres enquĂȘtes. Il est aidĂ©, plus ou moins malgrĂ© eux, par deux anciens frĂšres d’armes, le pilote d’hĂ©licoptĂšre ThĂ©odore Terry » Calvin et le barman Orville Rick » Wright. Ce premier Ă©pisode s’ouvre sur une scĂšne digne d’Alerte Ă  Malibu – sans le short rouge. Tom Selleck surgit des eaux, torse poilu, moustache dressĂ©e, pour aller tenter de voler la Ferrari rouge une 308 GTS, pour les puristes – c’est un test, on le comprend vite. Et lĂ , premier choc, la voix off. J’avais oubliĂ© que le hĂ©ros s’adressait au tĂ©lĂ©spectateur, parfois mĂȘme en brisant le 4Ăšme mur avec son regard malicieux et ses haussements de sourcils broussailleux. Selleck semble avoir enregistrĂ© sa voix dans une cave, ça rĂ©sonne comme dans un crĂąne vide ! ». Second choc, la quasi absence de musique et, plus tard, un gĂ©nĂ©rique oĂč ne rĂ©sonne pas le culte tain tain tain tain » vous ne voyez pas de quoi je parle ? Cliquez sur la vidĂ©o ci-dessous. A la place, on a droit Ă  un truc jazzy mou beaucoup trop long. AprĂšs recherches, ce gĂ©nĂ©rique a tenu 11 Ă©pisodes avant d’ĂȘtre heureusement remplacĂ© ». Le rythme de l’épisode est plan-plan, le jeu des acteurs statique, tout comme la mise en scĂšne de Roger Young, dont le dernier fait d’arme est un Ă©pisode de Rome, qui s’autorise tout de mĂȘme de temps en temps des plans aĂ©riens particuliĂšrement flous, note SĂ©bastien. Il y a forcĂ©ment une course poursuite en voiture, plutĂŽt molle, au cours de laquelle Magnum parvient Ă  rester imperturbable alors qu’il se fait copieusement mitrailler ! Sans doute parce que ce n’est pas lui au volant, comme on peut le voir furtivement lors d’une marche arriĂšre
 ». En fait, ce premier Ă©pisode de Magnum est assez classique, et fidĂšle Ă  une tĂ©lĂ© amĂ©ricaine du dĂ©but des annĂ©es 1980 qui se pressait bien moins qu’aujourd’hui. On s’ennuierait franchement s’il n’y avait pas la classe de Selleck et, surtout, ses chamailleries avec Higgins, une bromance Ă©tonnante, un peu sado-maso sur les bords », prĂ©cise SĂ©bastien. Revoir ce premier Ă©pisode, c’est se souvenir de l’importance que jouait le traumatisme du ViĂȘt Nam Ă  l’époque sur le petit Ă©cran amĂ©ricain. Magnum, MacGyver, les membres de l’Agence tous risques, le hĂ©ros de K2000, ils ont tous combattus dans les jungles d’Asie du Sud-Est. Magnum dĂ©croche rĂ©guliĂšrement de l’intrigue principale pour nous envoyer dans l’enfer vert aux cĂŽtĂ©s de son hĂ©ros. Les flashbacks sont mal foutus, on n’y croit pas une seconde, mais l’idĂ©e est lĂ . Et, surtout, la sĂ©rie n’est pas tendre avec l’armĂ©e, montrĂ©e comme trop rigide, en contraste avec la bienveillance de Magnum – Bellisario se rachĂštera avec la trĂšs martiale JAG, puis NCIS. La sĂ©rie aborde aussi le thĂšme des vĂ©tĂ©rans qui doivent surmonter leurs traumatismes pour mener une vie normale »», ajoute SĂ©bastien. Tom Selleck sur le tournage de Magnum CBS Il n’y a pas que la moustache, les chemises Ă  carreaux, la Ferrari rouge et les vĂ©tĂ©rans du ViĂȘt Nam qui font trĂšs annĂ©es 1980. La place des femmes dans la sĂ©rie aussi. La premiĂšre apparaĂźt
 nue, dans un lit. Elle n’a pas de nom. Pas plus que sa copine, comme elle une blonde Ă  accent hollandais – sans doute des amies » de Robin Masters. Et le reste du premier Ă©pisode est Ă  l’avenant. Passe encore la sƓur du dĂ©funt qui s’accroche au premier venu et qui ne dirait pas non Ă  la possibilitĂ© de titiller la moustache de notre dĂ©tective heureusement ce dernier a une morale irrĂ©prochable
, prĂ©cise SĂ©bastien. Le problĂšme ce sont surtout les deux crĂ©atures de rĂȘve qui vivent dans la propriĂ©tĂ© du boss de Magnum. On ne sait pas qui elles sont, ni ce qui justifie leur oisivetĂ© ostentatoire, mais on sait en revanche qu’elles aiment les tenues lĂ©gĂšres et qu’elles s’adonnent Ă  des bains de minuit intempestifs qui empĂȘchent Magnum de se concentrer. Le sommet, ou plutĂŽt le fond, est atteint lorsqu’elles sont subrepticement comparĂ©es aux chiens de Higgins. Zeus ! Apollon ! », crie ce dernier. They are with me !», lui rĂ©pond magnum en enlaçant les deux jeunes femmes
 » Magnum a valu Ă  Tom Selleck un Emmy Awards et un Golden Globe
 mais lui a peut-ĂȘtre aussi coĂ»tĂ© une place plus glorieuse Ă  Hollywood, puisqu’il a du renoncer Ă  jouer Indiana Jones Ă  cause du tournage. Le premier Ă©pisode de la sĂ©rie a pris un coup de vieux, mais a le mĂ©rite d’ĂȘtre relativement sobre – passĂ©e une scĂšne de discussion grotesque perchĂ©e sur un rocher, sans doute imaginĂ©e pour satisfaire une demande de l’office du tourisme d’HawaĂŻ. Tom Selleck est Thomas Magnum en deux plans, et on comprends vite comment l’acteur Ă  lui seul a pu tenir la sĂ©rie Ă  bout de bras. On peut craindre que le reboot fera tout l’inverse, en multipliant les scĂšnes d’action spectaculaires et les explosions dans tous les sens, et en oubliant que Magnum, c’est avant tout un type cool. Et, surtout, une moustache. Magnum Met Tom Selleck Donald P. Bellisario Partager Contribuer SĂ©rierama, le blog sĂ©ries TV de Pierre Langlais Sur le mĂȘme thĂšme
Cliquezsur le niveau requis dans la liste de cette page et nous n’ouvrirons ici que les rĂ©ponses correctes Ă  CodyCross Londres. TĂ©lĂ©chargez ce jeu sur votre smartphone et faites exploser votre cerveau. Cette page de rĂ©ponses vous aidera Ă  passer le niveau nĂ©cessaire rapidement Ă  tout moment. Majordome anglais dans Magnum . Solution
11 aoĂ»t 2010 3 11 /08 /aoĂ»t /2010 0921 ...un dĂ©but d'article qui commençais par une phrase pourrite digne d'un dĂ©but d'un faux conte de fĂ©e bidon d'un univers Casimir...et encore... ...oui mĂȘme lui faut se mĂ©fiĂ©...saloperie de dinosaure qui Ă©touffe et viol les enfants... image de piratessourcil Bon lĂ  l'article enfin ce "dossier" car plus grand qu'un article habituel a pour sujet les manga et anime...et oui car pour beaucoup il s'agit juste de ninja ou de super guerrier qui se tabasse la gueule et oui ! Et pourtant ya pas que de la violence, du sexe et du gore dans les manga bon ok yen a pas mal quand mĂȘme et c'est donc a moi que revient l'honneur de vous parlez de ce sujet oh putain on est dans la merde. Kawaiiiiiii !!! ça veut dire que c'est mignon, je vous apprend un truc hein ? Non ? Bah... Bon tous le monde le sait les manga/anime ce sont fait connaitre en france grĂące a l'Ă©poque du club DorothĂ©e et a son Dragon Ball Z dans les annĂ©e 90...l'Ă©poque oĂč j'allais encore au collĂšge...ah quoique avant ça j'habitais en campagne et...quoi comment ça on s'en fou de ma vie ? Ok...bon bref tout ça pour dire que ça date....Dragon Boule s'est fait connaitre car a l'Ă©poque les petits branleurs non pas moi dĂ©couvrais un dessin animĂ© plus violent que Casimir et des combats de fou en 69 images par secondes, mĂȘme si c'Ă©tait rĂ©pĂ©titif a mort et qu'il fallais 20 Ă©pisodes pour un combats...c'Ă©tait les annĂ©es 90 du manga. Dragon Ball la premiĂšre partie et Dragon Ball Z seconde et fin a lancĂ© le manga en france, au programme combats a gogo censurĂ© chez nous, trips pervers censurĂ© chez nous, dialogue farouche censurĂ© chez nous, cheveux dopĂ© au gel colorĂ© censurĂ© chez...ah ça non et scĂ©nario sympa avec un peu de science fiction...un hit quoiqu'on en dit . Mais bon voila il n'y a pas que les anime dans la vie il y a les manga aussi...aĂŻe voila que je vient de sortir un truc incomprĂ©hensible attention je prĂ©cise donc anime=dessin animĂ©, manga=BD....voila maintenant je peut me lachĂ© YAATTAAAAA...ah non c'est pas ça que je voulais dire, en fait voila donc les anime de Dragon Ball oui j'en parle encore mais j'arrĂȘte bientĂŽt promis comme la pizza ! Ă©tait sympa pour le public a l'Ă©poque mais il faut savoir que la BD donc le manga "papier" je prĂ©cise pour les gogols qui passe ici est carrĂ©ment mieux ! Que celui qui n'aime pas Dragon Ball vient me le dire aprĂšs l'avoir bouquinĂ© ! Dans la BD on retrouve l'animation de son choix logique lol c'est nous qu'on lis le truc, les scĂšnes de baston non censurĂ©, des scĂšnes perverses non censurĂ© miam Bulma et ses nibards et un vrai language moderne des temps modernes ! Bref c'est plus adulte et oui et c'est ça les manga bande d'inculte c'est principalement pour adulte ! Pauvre fille heureusement que je suis lĂ  pour la rĂ©chauffer...elle risque d'attraper froid sinon, ah Batto ce bon samaritain... Bon la vision du manga est Ă©troite pour le grand public inculte, divers exemple Certain vois ça comme un truc de gamin "mais j'ai passer l'Ăąge de ces conneries lĂ  moi...hein quoi ? Ouai je vais voir un pixar au cinĂ© demain mais c'est pas pareil" Justement c'est pire un pixar est familial donc plus enfantin et gentil qu'un anime, car les anime en gĂ©nĂ©ral sont bien plus adulte dans les univers qui sont souvent plus sombres Que celui qui ose dire que les anime sont enfantin regarde Claymore ou Blood the last Vampire, que celui qui ose dire que les manga sont gamin va lire Berserk ou Priest Berserk une rĂ©fĂ©rence pour adulte et sans conteste l'univers le plus sombre existant tout univers confondu oui mĂȘme le pire des films ou jeux video est un enfant a cĂŽtĂ© de ce monstre de violence et de puissance malsaine L'exemple peut ĂȘtre inverse "Les manga/anime c'est violent et il n'y a que du sexe c'est pas pour la famille" Encore une fois je ramĂšnerai ma gueule et lui dirai "fuck va regarder un hentaĂŻ connard"....euh non en fait je lui dirai juste que Miyazaki a fait des anime pour lui avec Princesse MononokĂ©, Le tombeaux des Lucioles, Chateaux dans le ciel, Le royaume des chats ou plus rĂ©cemment Ponyo etc... Que celui qui critique la violence des animes du japon regarde d'abord Le royaume des chats avant d'ouvrir sa gueule AprĂšs un mec bien lourd se ramĂšnera et sortira "ouai mais moi j'aime pas les trucs mignon et le trop gore c'est trop lourd alors les trucs japonais c'est pas pour moi, moi je recherche des scĂ©nario de ouf et quelque chose de plus psychologique" Je le regarderai et lui dirai "et un coup de pied au cul ça te tente ?"...bon je pourrai lui dire ça ou lui dire qu'il existe sĂ»rement son bonheur dans certains anime/manga, par exemple Death Note plutĂŽt connu actuellement normal vu que c'est une bombe est un vrai thriller psychologique, c'est pas un scĂ©nario de Derrick quoi ! Sans ĂȘtre gore ni gentillet il est parfait pour ce rĂŽle....aprĂšs dans le genre Perfect Blue est lui aussi un parfait thriller psychologique policier ! Satoshi Kon considĂ©rĂ© un peu comme le David FincherSeven, The Game japonais a rĂ©alisĂ© plusieurs anime de ce genre Paprika, Paranoia Agent, Perfect Blue, etc Perfect Blue se regarde avec un cerveau bien accrochĂ© dans la tĂȘte car a un moment ça devient la folie ! AprĂšs il peut se ramener et me sortir "et si j'aime que les comĂ©dies ?".....je lui demanderai si un coup dans les burnes le fera rigoler....ou plus simplement je lui dirai de lire en manga Love Hina ou GTO et de voir absolument l'anime le plus dĂ©jantĂ© au monde Excel Saga Excel Saga complĂ©tement barrĂ© dans le genre avec des parodie d'albator ou de ken le survivant, du pur foutage de gueule comme il faut ! "J'ai changĂ©..." AprĂšs voila il faut savoir que actuellement le manga a changer, avant dans le bon vieux temps putain on va encore m'insultĂ© de vieux con il y avais plus de sĂ©rie "gentillette" d'anime a la tv....maintenant ça s'est adaptĂ© au public et comme les jeux video c'est devenu quand mĂȘme plus adulte sur plein de point....dans le temps il y avais Le Roi Leo, maintenant c'est le roi des cons....euh non c'est Black Lagoon par exemple D'un cĂŽtĂ© Le Roi Leo c'Ă©tait gentil et mignon....maintenant Black Lagoon avec son action de fou et ses dialogues trĂšs vulgaire mais si bon ^_^ "C'est quoi ton article de merde espĂšce de bite molle tu veut un deuxiĂšme trou du cul ?" exemple typique de dialogue aussi doux qu'une feuille de papier toilette le premier jour de printemps qu'on trouve dans Black Lagoon. Des seins trĂšs animĂ©s C'est comme les jeux video, les manga ont suivi l'Ă©volution du public qui de nos jours est plus psychopathe qu'avant...et c'est pareil pour le cinĂ©ma avec les nombreux films du genre SAWcisse mouahaha. Bref si la violence a augmentĂ© la taille des poitrines des demoiselle aussi...dans presque tous les anime et manga maintenant on retrouve cela des poitrine de belle taille voir de trĂšs grosse taille parfois, a la limite du nawak bonnet Z ? Inoue du manga Bleach...elle mange beaucoup mais ne prend du poids que dans les seins... Autre point pervers qu'on retrouve souvent aussi actuellement c'est...gniieeee....les mini-jupe...et c'est quelque chose qui ne me laisse pas indiffĂ©rent XD....bref dans pas mal d'anime/manga les Ă©tudiante japonaise ont toute des jupes extra courte ce qui est plutĂŽt n'imp car au japon toute ne mettent pas ça et leurs jupe ne sont pas courte a ce point lĂ  quand mĂȘme ^_^ Bref pas Ă©tonnant au final que les hentaĂŻ sont apparu de plus en plus a force mais lĂ  c'est une autre histoire. Un exemple de sexy avec la totale gros bonnet et mini jupe...toujours dans Bleach...mais le public aime alors forcement...ouiiiii Moi sĂ©rieux, moi classe...moi pas sĂ©rieux et dĂ©bile Le truc habituel oĂč l'ont reconnaĂźt un anime japonais d'un anime a la con du genre les dessins animĂ© de merde le matin a notre tv c'est les visage bien rond mais surtout les grand yeux plus grand tu meurt d'un cancer des yeux ! Sinon il y a aussi les exprĂ©ssion dĂ©bile oĂč l'ont reconnaĂźt facilement qu'il s'agit bien d'un manga ou d'un anime... VĂ©ritable sĂ©rie de geek en puissance Lucky Star montre qu'on a bien affaire a un pur anime japonais avec leurs tĂȘte des plus dĂ©bile et expression fun et top dĂ©lire ! AprĂšs il y a aussi les visages sĂ©rieux oĂč des perso souvent considĂ©rĂ© comme classe car tĂ©nĂ©breux et impassible donc lĂ  jamais une tĂȘte dĂ©bile sera visible et d'autre auront des expression plus sadique du genre Kenpachi....aprĂšs c'est ce qui fait le charmes des manga tout ça mĂ©chant trĂšs mĂ©chant comme maĂźtre mĂ©chant mais sans Ă©motions, perso comique qui ne font que des conneries, hĂ©ro souvent sĂ©rieux et dĂ©bile puis bon...au final c'est un peu la recette d'un film tout ça quand on y pense un mĂ©chant, un hĂ©ro, une fille et un comique. "Je suis mĂ©chant et je fait la gueule tous le temps...mais c'est ce qui fait mon charme" La pompe a fric existe ici aussi Bon c'est moins pire que chez les jeux video mais Dragon Ball Z qui aura rapportĂ© un max de pognon par les manga vendu et anime DVD/K7 VHS aura aussi rapportĂ© sur les goodies poster, porte clĂ©, statuette, screugnieugnieu, etc et d'autre comme actuellement avec Naruto qui idem cartonne....ça fonctionne plutĂŽt bien, aprĂšs tout le saviez-vous la france est le deuxiĂšme pays qui consomme le plus de manga aprĂšs le japon, et oui ! Et lĂ  on ne parle que des manga donc BD pas des anime alors imaginez un peu...bref la france rapporte bien au japon en mĂȘme temps j'y contribue aussi avec ma bibliothĂšque de manga ^_^ Non ce n'est pas un accessoire SM c'est un porte clĂ© Naruto, le genre de goodies qui va se vendre a des milliers d'exemplaire... Le truc lourd les HS Voila quelque chose de bien merdique que les sĂ©rie a succĂšs ont droit souvent mais ça ne fonctionne que pour les animes pas les mangas les HS qui veut donc dire Hors SĂ©rie. Enfin bref c'est simple j'explique d'abord le manga est crĂ©er c'est toujours comme ça en gĂ©nĂ©ral presque et ensuite c'est au tour de l'anime, donc la sĂ©rie animĂ© suit le manga mais le problĂšme c'est que les studio qui font les Ă©pisodes animĂ© vont plus vite et rattrape toujours le mangaka qui bosse sur sa BD et du coup paf le hic "on a rattrapĂ© la BD on fait quoi ? Faut continuer de diffuser a la tv sinon on va perdre de l'audience"....la solution pompe fric s'applique faire des Ă©pisodes hors sĂ©rie pour continue d'occuper les gens....le problĂšme c'est que 95% du temps ces Ă©pisodes hors sujet sont du vrai caca en boite...alors du coup le manga souvent attrape une rĂ©putation de "trop long et chiant" ou "c'est devenu de la merde et c'Ă©tait mieux avant"....les exemple type sont sans conteste ce bon vieux Dragon Ball Zvous ne le savez ptĂȘt pas mais il y a des tonnes de passages HS ou a rallonge argh, le Naruto ou mĂȘme Bleach...certain comme Naruto sont tellement pourri que on a qu'une envie aprĂšs les avoir vu avancer avec la Delorean en 2012 pour se suicider ! Que ce soit les HS chiant de Naruto ou les Ă©pisodepire que du HS de DBGT je garde ma Delorean de cĂŽtĂ© au cas oĂč.... Shojo, Seinen, ShĂŽnen....OYO ? Il y a en gros 3 catĂ©gorie de manga Shojo, manga plus rĂ©servĂ© a un public fĂ©minin fan de Twilight et d'histoire a la titanicta mĂšre...bien que certains Shojo sont trĂšs sympa comme Ayashi no Ceres c'est donc souvent des manga a histoire d'amour donc plus pour les filles car vite chiant pour le mĂąle qui recherche violence et torture ! "ouiii moi aussi je l'aiiime...ou pas"...bref clairement pas mon genre de truc mais certaine aiment... Ensuite le ShĂŽnen c'est un peu ce qui s'applique a Naruto, Dragon Ball Z, One Piece, Bleach, Kenshin...bref souvent les sĂ©rie a succĂšs...c'est souvent dans ce genre de sĂ©rie que les personnages ont des pouvoirs et ce genre de choses oĂč ont retrouve toujours ce thĂšme rĂ©curent habituel du "devenir plus fort pour protĂšger mes amis...ouiii mĂȘme si je le connais que depuis 10mn c'est mon amiiiii", bref il y a parfois des histoires d'amour et beaucoup de combats...c'est disons entre les Shojo et Seinen, c'est le millieu quoi... Dans cette catĂ©gorie c'est One Piece qui Ă©clate tous les autres ! Ouai mĂȘme toi Naruto petit con soulant tu sort ! Et enfin...les Seinen...donc le genre le plus mĂ©chant on va dire....bon en bref c'est vraiment plus pour adulte et c'est plus noir et sombre dans l'univers et l'histoire...a ne pas mettre entre toute les mains, Berserk en est le parfait exemple dans son genre avec un univers impitoyable viol, meurtre d'enfants, monstre affamĂ© et telettubies....en bref pour public averti. Un peu trash parfois Gunnm et Gunnm Last Order n'est pas pour autant malsain ou sombre mais son scĂ©nario complexe d'un niĂ© combinĂ© avec un mouvie arriĂšre le classe dans les Seinen A part ça quoi de neuf ? Bien ça roule...vais regarder un doujin aprĂšs et euh...bref actuellement le manga se porte donc bien partout dans le monde, au japon les mangaka ceux qui font les BD bosse comme des dingues sans avoir de congĂ©s pendant que nous gros flemmard profitons de nos congĂ©s pour lire ces fameux manga...donc tout va bien, en plus internet permet de tĂ©lĂ©charger pleiiiin d'anime souvent en VOSTFR parlĂ© japonais sous titrĂ© français gratuitement mais tĂ©lĂ©charger c'est mal voyezzzzz....bref de nos jours en france beaucoup de fans prĂ©fĂ©re voir en VOSTFR et se sont habituer aux voix japonaises...pas le choix en mĂȘme temps entre l'attente interminable des sorties en france et des voix française parfoissouvent? horribleNaruto oui c'est toi que je vise au final le VOSTFR n'est pas un mauvais choix, aprĂšs la VF sur certains film anime qui ont mĂȘme passĂ© au cinĂ©ma Ghost in the Shell ou Appleseed ou juste en DVD Kenshin Tsuioku Hen sont niquel sur la VF...dans les sĂ©rie Death Note n'est pas mauvaisc'est mon avis. Que quelqu'un me trouve une meilleure VF que celle de ce film anime Kenshin Tsuioku Hen... Manga ou Anime ? Bon on va finir lĂ , je pense avoir fait le tour du sujet...donc pour finir la question qui revient souvent pour ceux qui connaissent un peu le sujet mais j'en parle evidemment pour ceux qui ne connaissent pas aussi..."cette sĂ©rie lĂ  tu me la conseil en bouquin manga ou en anime ?"....cette question est intĂ©rĂ©ssante car en fait cela dĂ©pent des sĂ©rie, on entre dans plusieurs choix - Certaines sĂ©rie n'existe que en manga comme Priest par exemple donc le choix est simple - D'autre comme Lain n'existe que en anime donc idem le choix est simple - AprĂšs on a les sĂ©rie comme Berserk qu'il faut absolument avoir en BD manga pour des raison simple anime baclĂ©, moche, mal animĂ©, manque des tas de choses dont des personnage important et pire que tout...il n'y a que une partie c'est tout ! La suite ? Et bien elle est en bouquin lol donc autant directement le lire... -AprĂšs certaines sĂ©rie comme Death Note sont aussi agrĂ©able en anime qu'en manga mais lĂ  c'est une affaire de goĂ»ts et couleur moi par exemple je prĂ©fĂ©re cette sĂ©rie en anime pour le fait d'ĂȘtre pĂ©nard devant sa tv et puis les musiques sont excellente ^_^ Donc voila si vous ne connaissez pas trop tout ça mais que ça vous tente commencez donc par Death Note, aprĂšs pourquoi pas un petit Kenshin Tsuioku Hen....pour ceux qui veulent de l'humour sans violence en manga jetez-vous sur Love Hina et en anime sur le dĂ©jantĂ© Excel Saga, si vous recherchez de l'action avec de l'humour One Piece est fait pour vous mais en manga de prĂ©fĂ©rence ou alors en anime mais VOSTFR....pour ceux qui recherche l'univers sombre le plus noir nescafĂ© possible c'est Berserk et Priest voir Gunnm en manga. AprĂšs ce ne sont que les conseil du Batto a vous de trouvez votre voie dans cette univers si vaste qu'est le manga Published by batto - dans Big Dossier Batto
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