ĆUVRES COMPLĂTES DE PĂTRONE AVEC LA TRADUCTION FRANĂAISE DE LA COLLECTION PANCKOUCKE PAR M. HĂGUIN DE GUERLE Ancien inspecteur de lâAcadĂ©mie de Lyon ET PRĂCĂDĂES DES RECHERCHES SCEPTIQUES SUR LE SATYRICON ET SON AUTEUR PAR J. N. M. DE GUERLE Ancien censeur au collĂšge Louis-le-Grand NOUVELLE ĂDITION TRĂS-SOIGNEUSEMENT REVUE PARIS GARNIER FRĂRES, LIBRAIRES-ĂDITEURS 6, RUE DES SAINTS-PĂRES. ET PALAIS-ROYAL, 215 1861 AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR Les amis des lettres classiques connaissent la traduction en vers du poĂ«me de la Guerre civile de PĂ©trone, par M. de Guerle, mon beau-pĂšre, et ses imitations des autres morceaux de poĂ©sie que renferme le Satyricon. Ces jolies piĂšces perdaient beaucoup de leur prix Ă ĂȘtre ainsi isolĂ©es du roman satirique oĂč PĂ©trone les a si heureusement semĂ©es, et oĂč elles rĂ©pandent tant de charme et de variĂ©tĂ©. Le dĂ©sir de les replacer dans leur cadre naturel est ce qui mâa engagĂ© Ă faire cette traduction. Ce qui, surtout, mâencourageait dans cette entreprise, câest la mĂ©diocritĂ© de toutes les traductions du Satyricon publiĂ©es jusquâĂ ce jour. En effet, sans parler de celle que lâon doit Ă la plume infatigable de lâabbĂ© de Marolles, la plus mauvaise, peut-ĂȘtre, de toutes celles quâil a faites, et ce nâest pas peu dire, Nodot et Lavaur, tous les deux bons latinistes, en sâimposant une fidĂ©litĂ© trop scrupuleuse, ont bien rendu la lettre, mais non lâesprit de PĂ©trone ; ils semblent avoir oubliĂ© quâils avaient Ă reproduire un des Ă©crivains les plus dĂ©licats et les plus ingĂ©nieux de lâantiquitĂ© toutes les grĂąces du modĂšle, toute la vivacitĂ© de son coloris, disparaissent sous leur pinceau lourd et blafard. Dâautres, comme BoisprĂ©aux Desjardins et M. Durand, ont voulu donner Ă leur version une allure leste et dĂ©gagĂ©e ; mais, par une erreur encore plus grande, en habillant PĂ©trone Ă la française, ils lui ont ĂŽtĂ© sa physionomie originale, et lâont rendu mĂ©connaissable. PlacĂ© entre ces deux Ă©cueils, jâai tĂąchĂ©, tout en suivant dâassez prĂšs le texte, que ma fidĂ©litĂ© nâeĂ»t rien de servile. Si je nâai pu rendre tout lâĂ©clat des morceaux saillants, jâai quelquefois palliĂ© les dĂ©fauts de lâoriginal. Sans doute cette version nâest quâune bien pĂąle copie dâun brillant tableau ; mais je prie le lecteur de considĂ©rer que, si jâai souvent Ă©chouĂ© dans mes efforts, câest que jâavais Ă lutter contre des obstacles presque insurmontables. La premiĂšre difficultĂ© qui se prĂ©sentait, câĂ©tait le choix dâun texte lâouvrage de PĂ©trone a tellement souffert de lâinjure des temps et de lâignorance des copistes, quâil offre Ă chaque instant des passages mutilĂ©s ou corrompus, dont il est impossible de fixer le vĂ©ritable sens, malgrĂ© les doctes et laborieuses Ă©lucubrations des Reinesius, des Douza, des Gonsalle de Salas, des Barthius, des Heinsius, des Pithou, des Bourdelot, des Bouhier, des Burmann, et dâune foule dâautres savants illustres. Le texte de Burmann Amsterdam, 1733, lâĂ©dition Bipontine de 1790, et celle que M. Renouard a publiĂ©e en 1797, sous le format in-18, ont servi de base Ă mon travail. Lorsque je mâen suis Ă©cartĂ©, câest que jâavais, pour le faire, dâimposantes autoritĂ©s. Tout en reconnaissant, avec Burmann et BreugiĂšre de Barante, pour apocryphes les prĂ©tendus fragments du Satyricon trouvĂ©s Ă Belgrade en 1688, et publiĂ©s par Nodot en 1692, je nâai pas laissĂ© de les admettre dans mon texte, en les plaçant toutefois entre deux crochets, pour les distinguer de ce qui est entiĂšrement conforme aux manuscrits. Jâai suivi en cela lâĂ©dition Bipontine et lâopinion de Basnage ce critique cĂ©lĂšbre pense que ces fragments, qui remplissent dâĂ©normes lacunes, donnent de la liaison et de la suite Ă un ouvrage qui nâen avait pas, et rendent la lecture du Satyricon plus facile et plus agrĂ©able. Quant aux notes, je ne me suis fait aucun scrupule dâemprunter, soit aux commentateurs, soit aux traducteurs mes devanciers, tout ce qui, dans leurs remarques, se trouvait Ă ma convenance jâai surtout mis Ă profit celles de Lavaur, qui se distinguent par une solide Ă©rudition. Jâavais dâabord eu lâintention de faire prĂ©cĂ©der cette traduction dâune notice historique et littĂ©raire sur PĂ©trone la prĂ©face de Bourdelot mâoffrait dâexcellents matĂ©riaux pour ce travail ; mais, au moment de les mettre en Ćuvre, je me suis rappelĂ© que mon beau-pĂšre avait publiĂ©, Ă la suite de sa traduction de la Guerre civile, des Remarques sceptiques sur le Satyricon et sur son auteur, qui atteignaient parfaitement le but que je me proposais. Jâai donc pensĂ© que câĂ©tait la meilleure introduction que je pusse placer en tĂȘte de cet ouvrage. JâespĂšre que le lecteur sera de mon avis, et quâil me saura grĂ© de reproduire ici cette ingĂ©nieuse dissertation, oĂč lâĂ©rudition la plus variĂ©e sâunit Ă une critique fine et spirituelle. Le seul reproche que lâon pourrait faire Ă lâauteur de ces Remarques, câest de laisser le lecteur dans le doute, et de ne rien conclure ; mais le titre de sceptiques, quâil leur a donnĂ©, rĂ©pond dâavance Ă cette objection. Si jâosais, aprĂšs tant de savants qui se sont Ă©puisĂ©s en conjectures sur cet ouvrage, Ă©mettre mon opinion personnelle, je dirais Non, le Satyricon nâest pas la diatribe contre NĂ©ron, que PĂ©trone composa Ă lâarticle de la mort, tandis que sa vie sâĂ©coulait avec son sang la longueur de cette Satyre ne permet pas de le croire ; mais il est trĂšs-probable que quelque compilateur du moyen Ăąge aura rĂ©uni sous ce titre gĂ©nĂ©ral de Satyricon ou plutĂŽt de SatyricĂŽn, comme le veulent Rollin, Baillet et Burmann, tous les fragments Ă©pars des diffĂ©rents Ă©crits de PĂ©trone, tels que lâAlbutia, lâEustion et la diatribe en question, pour en former un corps dâouvrage dĂšs lors, le dĂ©faut de plan et de suite dans ce roman serait facile Ă expliquer. Non, ce nâest pas lâempereur NĂ©ron que PĂ©trone a reprĂ©sentĂ© sous le personnage de Trimalchion, mais bien plutĂŽt Tigellin, lâinfĂąme Tigellin, cet homme sorti de la lie du peuple, qui, par la corruption de ses mĆurs et ses lĂąches adulations, prit en peu de temps un grand ascendant sur lâesprit de lâempereur, et fut le principal auteur de la disgrĂące de PĂ©trone. Celui-ci sâen vengea sans doute en homme dâesprit, et peignit cet ignoble favori du prince sous les traits dâun amphitryon fastueux et ridicule ; peut-ĂȘtre aussi le festin de Trimalchion est-il la parodie de cette fameuse orgie que NĂ©ron donna sur lâĂ©tang dâAgrippa, par les soins et sous la direction de Tigellin[1]. Dans tous les cas, il nâest pas douteux, selon moi, que le Satyricon ne soit, du moins en grande partie, lâouvrage de ce mĂȘme PĂ©trone dont parle Tacite[2], et qui fut, Ă la cour de NĂ©ron, lâarbitre du goĂ»t, arbiter elegantiarum, ce qui lui fit donner le surnom dâArbiter, non pas comme une simple Ă©pithĂšte, mais comme un de ces surnoms si communs chez les Romains, et quâon employait indiffĂ©remment en place du nom propre. Il ne me reste plus quâun mot Ă dire sur les fragments qui viennent Ă la suite du Satyricon. Parmi tous ceux que lâon attribue Ă PĂ©trone, je nâai traduit que ceux qui mâont paru prĂ©senter quelque intĂ©rĂȘt, sans mâoccuper de leur plus ou moins dâauthenticitĂ©. La plupart sont extraits du recueil intitulĂ© Veterum poetarum catalecta, publiĂ© par Joseph Scaliger en 1573, et que lâon a joint depuis Ă presque toutes les Ă©ditions de PĂ©trone. HĂGUIN DE GUERLE. RECHERCHES SCEPTIQUES SUR LE SATYRICON ET SON AUTEUR __________________ PREMIĂRE PARTIE Si lâon en croit plusieurs savants, onze auteurs cĂ©lĂšbres ont portĂ© le nom de PĂ©trone malheureusement, il ne nous reste de chacun dâeux que des fragments. Parmi ces diffĂ©rents PĂ©trones, le plus illustre est distinguĂ© par le surnom dâArbiter câest Ă lui quâon doit le Satyricon, monument de littĂ©rature autrefois prĂ©cieux sans doute par son Ă©lĂ©gance et sa lĂ©gĂšretĂ©, puisque ses ruines mĂȘme ont encore de quoi plaire ; mais dont la clef, depuis longtemps perdue, ne se retrouvera probablement jamais, quoi quâen aient dit quelques modernes antiquaires. Nul Ă©crivain, si lâon en excepte Aristote, nâa trouvĂ© peut-ĂȘtre autant dâinterprĂštes[3] ; cependant il nâen est ni mieux compris, ni plus connu. De graves auteurs, qui ne doutent jamais, nous ont donnĂ© la vie de PĂ©trone bien circonstanciĂ©e. Le temps oĂč il vĂ©cut, la citĂ© qui le vit naĂźtre, les charges dont il fut honorĂ©, les ouvrages quâil composa, le caractĂšre qui lui fut propre, la maniĂšre dont il mourut, rien nâest oubliĂ© ils connaissent PĂ©trone comme sâils eussent Ă©tĂ© ses contemporains, ses compatriotes, ses amis. Et tout cela se trouve, selon eux, dans une page de Tacite ! Il sâagit ici dâun passage des Annales[4], relatif Ă la mort du consul PĂ©trone. CâĂ©tait, dit Tacite, un courtisan voluptueux, passant avec aisance des plaisirs aux affaires, et des affaires aux plaisirs. HabituĂ© Ă donner le jour au sommeil, il partageait la nuit entre ses devoirs, la table et ses maĂźtresses. Idole dâune cour corrompue, quâil charmait par son esprit, ses grĂąces et ses dĂ©penses, il y fut longtemps lâarbitre du goĂ»t, le modĂšle du bon ton, le favori du prince. Mais enfin, supplantĂ© par Tigellin son rival, il prĂ©vint, par une mort volontaire, la cruautĂ© de NĂ©ron. FidĂšle Ă©picurien, mĂȘme Ă son dernier soupir, il regardait en souriant la vie sâĂ©chapper avec son sang de ses veines entrâouvertes. Quelquefois il les faisait fermer un instant, pour sâentretenir quelques minutes de plus avec ses amis, non de lâimmortalitĂ© de lâĂąme ou des opinions des philosophes, mais de poĂ©sies badines, de vers lĂ©gers et galants. Loin dâimiter ces lĂąches victimes du tyran, qui baisaient en mourant la main de leur bourreau, et lĂ©guaient leurs biens Ă leur avare assassin, il sâamusa dans ses derniers moments Ă tracer un rĂ©cit abrĂ©gĂ© des dĂ©bauches de NĂ©ron ; il le peignit outrageant Ă la fois la pudeur et la nature dans les bras de ses mignons et de ses prostituĂ©es. AprĂšs avoir adressĂ© Ă NĂ©ron lui-mĂȘme ce testament accusateur, scellĂ© de lâanneau consulaire, il se laissa tranquillement expirer, et sembla sâendormir dâune mort naturelle. » Rien de plus beau que ce morceau de Tacite pour en sentir tout le mĂ©rite, il faut le lire dans lâoriginal. Mais peut-il sâappliquer Ă lâauteur du Satyricon ? VoilĂ le point Ă rĂ©soudre. On peut dire en faveur de lâaffirmative 1° Sâil est vrai que tout Ă©crivain se peigne dans ses ouvrages, la ressemblance est parfaite entre le courtisan et lâauteur. Lâun donne le jour au sommeil et la nuit aux plaisirs ; lâautre prĂȘte Ă ses acteurs cette maxime dâAristippe Vivamus, dum licet esse, bene. Le premier ne disserte point comme Socrate, Ă son dernier soupir, sur lâimmortalitĂ© de lâĂąme ; mais il rĂ©cite nonchalamment Ă ses amis quelques strophes dâAnacrĂ©on ou dâHorace, et, sur le bord mĂȘme de la tombe, il semble jouer avec la mort ; le second nous peint de jeunes dĂ©bauchĂ©s, calmes sur un navire battu par lâorage, raillant, au milieu dâune mer en courroux, la piĂ©tĂ© tardive des matelots, et sâĂ©criant au sein dâune orgie La crainte a fait les dieux. . . . . .Le favori disgraciĂ© adresse Ă NĂ©ron, pour dernier adieu, une diatribe sanglante oĂč sont livrĂ©s Ă lâopprobre, et ce tyran sans pudeur, et ses infĂąmes complices ; or, dans les scĂšnes symboliques du Satyricon, qui ne reconnaĂźt les nuits du Sardanapale romain et le scandale de sa cour ? 2° Pline et Plutarque confirment ce quâavance Tacite touchant le luxe dĂ©licat de PĂ©trone et la satire dont il flĂ©trit en mourant les vices de NĂ©ron. Ils nous apprennent aussi quâun moment avant dâexpirer, PĂ©trone, pour dĂ©rober une coupe prĂ©cieuse Ă lâaviditĂ© du tyran, la fit briser en sa prĂ©sence. 3° Terentianus Maurus cite PĂ©trone comme faisant un usage familier du vers ĂŻambe, et la lecture de PĂ©trone justifie la remarque de Terentianus or, ce poĂ«te Ă©crivait, dit-on, sous Domitien. PĂ©trone est donc antĂ©rieur Ă ce prince. 4° Enfin, entre les rĂšgnes de NĂ©ron et de Domitien, nul auteur connu nâa portĂ© le nom de PĂ©trone ; car on ne peut citer Petronius aristocrates de MagnĂ©sie, philosophe contemporain de Perse, mais duquel il ne nous reste aucun ouvrage. Donc Terentianus, Tacite, Pline et Plutarque ont, sous le nom de PĂ©trone, dĂ©signĂ© un seul et mĂȘme homme ; donc lâauteur du Satyricon vĂ©cut dans le premier siĂšcle de lâĂšre vulgaire ; donc il fut un personnage cĂ©lĂšbre Ă la cour des empereurs, oĂč il se vit dĂ©corer des honneurs du consulat ; donc sa mort coĂŻncide avec la douziĂšme annĂ©e du rĂšgne de NĂ©ron ; donc le Satyricon est la peinture des vices de ce prince. Ce qui pourrait donner quelque poids Ă cette opinion, câest quâelle fut celle de P. Pithou, justement surnommĂ© le Varron français dans le XVIe siĂšcle. Mais, dâabord, on peut opposer Ă ce savant des savants non moins respectables, un Juste Lipse, un Petit, les deux Valois, puis Voltaire et beaucoup dâautres. Viennent ensuite quelques objections assez fortes contre le sentiment commun. Les voici jâen attends la solution. 1° Câest en vain quâon invoquerait dans les deux PĂ©trones la ressemblance des noms. Le seul PĂ©trone qui se vit honorer du consulat sous NĂ©ron fut CaĂŻus Petronius Turpillianus ; Tacite et les fastes consulaires sont dâaccord sur ce point. Or, lâauteur du Satyricon est Titus Petronius Arbiter. Cette double diffĂ©rence et de prĂ©noms et de surnoms suffirait seule pour dĂ©truire lâidentitĂ© des personnes. Mais, dira-t-on, Tacite nâappelle-t-il pas son PĂ©trone elegantiĂŠ arbiter ? Oui, mais ces deux mots doivent ĂȘtre traduits par ceux-ci Arbitre du goĂ»t ; » ils ne forment donc lĂ quâune Ă©pithĂšte. SĂ©parez lâattribut du sujet, il ne vous restera quâune abstraction. Sâagit-il, au contraire, du Satyricon ? le mot seul Arbiter prĂ©sente lâidĂ©e complĂšte de son auteur ; il fait lâoffice de nom propre ; Arbiter et PĂ©trone sont alors synonymes. Aussi voyons-nous ces deux mots employĂ©s indiffĂ©remment lâun pour lâautre par Planciades Fulgence, DiomĂšde, Servius Honoratus, Macrobe, Victorin, Sidoine Apollinaire, saint JĂ©rĂŽme, et Terentianus Maurus lui-mĂȘme. Câest pour nâavoir pas fait cette remarque, que plusieurs savants ont errĂ©. 2° Il nâexiste pas plus de paritĂ© entre les ouvrages quâentre les personnes. La diatribe dont parle Tacite fut composĂ©e un instant avant la mort de son auteur. Elle Ă©tait donc fort courte, et contenait au plus quelques pages. Au moment oĂč ses forces et son gĂ©nie sâĂ©coulaient avec son sang, restait-il au consul assez de verve pour improviser sur la guerre civile un poĂ«me de trois cents vers, qui, selon quelques Ă©crivains, valent seuls toute la Pharsale ? Lâimpromptu, sans doute, eĂ»t Ă©tĂ© merveilleux ; mais il serait venu Ă contre-temps Lucain en eĂ»t Ă©tĂ© plus piquĂ© que NĂ©ron, et ce nâĂ©tait pas Lucain que PĂ©trone voulait punir. Quoi quâil en soit, si lâon en croit Douza, nous avons Ă peine aujourdâhui la dixiĂšme partie du Satyricon ; cependant ce faible dĂ©bris, Ă©chappĂ© aux injures du temps, forme encore un volume assez considĂ©rable. Or, Ă qui persuadera-t-on quâun ouvrage de si longue haleine ait Ă©tĂ© conçu et dictĂ© en un seul jour, et par un homme Ă lâagonie ? 3° La diatribe du favori disgraciĂ© Ă©tait la chronique du jour ; chronique scandaleuse, mais vĂ©ridique et basĂ©e sur des faits trop certains. Elle dĂ©nonçait Ă lâindignation publique les turpitudes confiĂ©es au secret de la nuit. Les agents du crime et ses complices, leurs noms, leur sexe, leur Ăąge, les lieux qui le virent commettre, tout sây trouvait dĂ©crit en peu de mots comme sans emblĂšme. Ainsi lâexigeait la vengeance le voile de lâĂ©nigme en eĂ»t Ă©moussĂ© les traits, et le raccourci du tableau donnait un jeu plus fort aux figures. Mais que voit-on dans le Satyricon ? LĂ , chaque acteur, sous un nom supposĂ©, voyage dans le pays des fables, raconte quelque aventure galante, fait tour Ă tour, Ă lâaide de rĂ©cits imaginaires, la satire de quelque vice, et jette le ridicule Ă pleines mains sur les objets qui lui dĂ©plaisent. TantĂŽt on y dĂ©plore la corruption du goĂ»t, lâavilissement des beaux-arts, la chute de lâĂ©loquence on y donne parfois dâexcellents prĂ©ceptes de morale et de poĂ©sie. TantĂŽt lâauteur nous promĂšne sur les mers, Ă travers les Ă©cueils ou les querelles des passagers ; puis tout Ă coup, interrompant son rĂ©cit, il repose agrĂ©ablement lâesprit du lecteur sur lâĂ©pisode de la matrone dâĂphĂšse, et donne aux prudes une leçon utile. Plus loin, il embouche fiĂšrement la trompette de Mars, dĂ©crit en vers ĂŻambes lâembrasement de Troie, ou consacre Ă peindre les fureurs de la guerre civile la majestĂ© de lâhexamĂštre. Enfin son vol sâabaisse, et sa derniĂšre scĂšne nous prĂ©sente un fripon dupe de sa propre fourberie. En vĂ©ritĂ©, voir, dans ces jeux dâun esprit qui sâamuse, les dĂ©bauches dâun tyran et la vengeance dâune de ses victimes, câest avoir lâĆil bien pĂ©nĂ©trant ! 4° Sous quel personnage du Satyricon NĂ©ron serait-il donc cachĂ© ? Encolpe et son cher Ascylte nâont ni feu ni lieu ; ils sont rĂ©duits Ă voler pour vivre. NĂ©ron est maĂźtre de lâunivers ; le monde met en tremblant ses richesses aux pieds de ce tyran. Eumolpe est un pauvre poĂ«te maltraitĂ© de la fortune ; il fait dâassez bons vers quâon bafoue NĂ©ron, bel esprit couronnĂ©, voit partout ses mĂ©chants vers applaudis [5] . Pour Trimalchion, câest un vieillard cassĂ©, chauve, difforme, cacochyme, du reste assez bon homme. NĂ©ron est dans la fleur de lâĂąge ; mais, sous les grĂąces extĂ©rieures de la jeunesse [6] , il cache un cĆur fĂ©roce. Trimalchion fut autrefois esclave en Asie ; le commerce a fait sa fortune NĂ©ron, nĂ© dâun sang illustre, petit-fils de Germanicus, fils adoptif dâun empereur, doit Ă sa naissance, et non point Ă son industrie, le pouvoir suprĂȘme dont il abuse. De plus, si le Satyricon est la peinture des nuits de NĂ©ron, si Trimalchion est NĂ©ron lui-mĂȘme, comme quelques-uns le prĂ©tendent, pourquoi lâouvrage entier ne nous offre-t-il quâune seule orgie nocturne ? Pourquoi Trimalchion nây prĂ©side-t-il pas en personne ? Pourquoi nâen est-il pas mĂȘme un des acteurs subalternes ? Serait-ce lĂ une finesse de lâart ? Mais, dans ce cas, comment lâempereur se serait-il reconnu dans ces hiĂ©roglyphes perpĂ©tuels ? Dâailleurs, pour couvrir dâopprobre NĂ©ron, le consul avait-il besoin de ces dĂ©tours ? et puisquâil ne devait pas survivre Ă son ouvrage, pouvait-il craindre de faire briller aux yeux du tyran lâĂ©clat terrible de la vĂ©ritĂ© nue ? 5° Favori de la fortune et du prince, le consul se vit combler de richesses et dâhonneurs ; mais, parmi les anciens Ă©crivains, nul nâa fait de notre PĂ©trone un magistrat romain, un second Lucullus, un courtisan de NĂ©ron, une victime de ses fureurs. Ce qui est bien plus dĂ©cisif encore, câest le silence absolu des auteurs jusquâau troisiĂšme siĂšcle. Martial, SuĂ©tone, Pline, JuvĂ©nal, Quintilien mĂȘme, qui a parlĂ© de presque tous ceux qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©, ne disent pas un mot du Satyricon, ni de Petronius Arbiter. Les premiers qui en aient fait mention sont DiomĂšde, Priscien, Victorin, Macrobe et saint JĂ©rĂŽme. 6° LâautoritĂ© du poĂ«te Terentianus Maurus ne prouve rien en fait dâĂ©poque, puisquâon ignore quand il vĂ©cut lui-mĂȘme. 7° Lactance-Placide [7] accuse T. PĂ©trone dâavoir dĂ©robĂ© au troisiĂšme livre de la ThĂ©baĂŻde cet hĂ©mistiche fameux que nous y lisons encore aujourdâhui Primus in orbe deos fecit ce fut sous Trajan que mourut Stace son prĂ©tendu plagiaire lui est nĂ©cessairement postĂ©rieur ; il nâest donc pas le PĂ©trone dont Tacite a parlĂ©. 8° Les regrets de notre PĂ©trone sur la triste situation de la peinture, disparue, dit-il, jusquâĂ la derniĂšre trace, au temps oĂč il vivait, picturĂŠ ne vestigium quidem reliquum, ne dĂ©montrent-ils pas jusquâĂ lâĂ©vidence combien il est plus rĂ©cent que NĂ©ron, puisque Rome possĂ©dait encore des chefs-dâĆuvre de peinture et de sculpture sous le rĂšgne mĂȘme de Commode ? 9° Henri Valois fait vivre lâauteur du Satyricon sous Marc-AurĂšle ; Adrien, son frĂšre, sous Gallien ; Statilius, Bourdelot et Jean Leclerc, sous Constantin ; Lylio Giraldi, sous Julien ; dâautres, par une mĂ©prise assez plaisante, en ont fait un Ă©vĂȘque de Bologne, mort dans le cinquiĂšme siĂšcle, et quâil plut au pape de canoniser. Le chantre un peu profane du plaisir ne sâattendait guĂšre, apparemment, que les dĂ©votes lui crieraient un jour Saint PĂ©trone, priez pour nous ! » Quoi quâil en soit, Henri Valois, qui lui donne le plus dâantiquitĂ©, le place, comme on voit, environ un siĂšcle aprĂšs NĂ©ron. Il est bon de remarquer combien est moderne lâopinion qui le recule vers le milieu du premier siĂšcle. Avant P. Pithou, personne ne sâĂ©tait avisĂ© dâappliquer le passage de Tacite Ă lâauteur du Satyricon. Du moins, ce savant modeste ne lâa fait quâen hĂ©sitant ; il donne son sentiment pour une simple conjecture. Si je ne me trompe, dit-il, lâauteur du Satyricon est le PĂ©trone dont Tacite a parlĂ©. » Ainsi ses premiers mots expriment lâincertitude. Ceux qui depuis ont dâabord partagĂ© son doute, ont trouvĂ© bientĂŽt plus commode de trancher que dâexaminer ; ils ont jurĂ©, par paresse, in verba magistri. Mais, quoique les adversaires de cette opinion ne sâaccordent point entre eux sur lâĂ©poque oĂč vĂ©cut T. PĂ©trone, le consentement unanime de ces derniers Ă le faire postĂ©rieur aux douze CĂ©sars sar, nâen est pas moins par lui-mĂȘme une rĂ©futation suffisante du systĂšme opposĂ© ; et tout ce qui rĂ©sulte, en saine logique, de tant de variations, câest quâon ignore Ă quel siĂšcle T. PĂ©trone appartient. 10° Ceux qui font de lâauteur du Satyricon un seigneur romain, nâont pas mĂȘme daignĂ© motiver leur assertion, tant la chose leur paraĂźt claire. Sidoine Apollinaire nâest pourtant pas de leur avis. Il semble indiquer Marseille pour la patrie de notre PĂ©trone, ou du moins pour le lieu de sa rĂ©sidence ordinaire. Cette opinion paraĂźtrait plus probable encore, si, comme lâatteste Servius Maurus, il faut compter parmi les ouvrages de T. PĂ©trone, qui ne sont pas venus jusquâĂ nous, une histoire des Marseillais. Elle est dâailleurs soutenue par plusieurs savants estimables, tels que Lylio Giraldi, et Conrad Gesner, le Pline de lâAllemagne. MalgrĂ© ces considĂ©rations, Bouche attribue lâhonneur dâavoir vu naĂźtre notre PĂ©trone au village de PĂ©truis, assez voisin de Sisteron et des rives de la Durance. Il se fonde sur ce que le nom latin de ce village est Vicus Petronii ; ce quâil prouve en citant une inscription trouvĂ©e en 1560, et qui, en parlant dâun prĂ©fet du prĂ©toire assassinĂ© Ă PĂ©truis, sâexprime en ces termes A sicariis nefandum facinus in vico Petronii, ad ripam DruentiĂŠ. DâaprĂšs cet exposĂ© impartial, voici, je crois, tout ce quâon peut raisonnablement conclure 1° Nous nâavons rien de certain sur la personne de T. PĂ©trone. 2° Peut-ĂȘtre son berceau doit-il ĂȘtre placĂ© dans lâancienne Provence, et câest le sentiment quâont adoptĂ© les savants compilateurs de notre Histoire littĂ©raire[8]. 3o Le silence absolu des auteurs des deux premiers siĂšcles semble prouver quâil leur est postĂ©rieur. 4o Les diffĂ©rents passages de T. PĂ©trone, rapportĂ©s par quelques Ă©crivains du troisiĂšme siĂšcle, dĂ©fendent, Ă mon avis, de le placer au-dessous de DioclĂ©tien. 5o On se tromperait probablement fort peu en le faisant contemporain du philosophe Longin, ministre de la cĂ©lĂšbre ZĂ©nobie, et mis Ă mort, lâan 273, par lâordre du superbe AurĂ©lien. 6o Dans aucun cas, le Satyricon, dont quelques parties seulement sont parvenues jusquâĂ nous, sous le nom de T. Petronius Arbiter, ne peut ĂȘtre le testament de mort du consul CaĂŻus Petronius Turpillianus, ni lâhistoire secrĂšte de NĂ©ron [9]. Si lâon me reprochait dâavoir dĂ©truit sans réédifier Quelle nĂ©cessitĂ©, rĂ©pondrais-je, de bĂątir des systĂšmes ? Ne peut-on montrer au doigt lâerreur, parce quâon ne se flatte point de tenir la vĂ©ritĂ© ? ____________ DEUXIĂME PARTIE AprĂšs avoir principalement cherchĂ© lâhomme dans PĂ©trone, occupons-nous plus spĂ©cialement de son ouvrage. Ici, la mĂȘme incertitude va prĂ©sider, malgrĂ© nous, Ă ce nouvel examen. ConsidĂ©rons attentivement les fragments de PĂ©trone sous leurs trois principaux rapports lâobjet, la forme et le style. Au milieu des opinions contradictoires qui dĂ©jĂ nous assiĂ©gent, nous saurons nous borner aux fonctions modestes de rapporteur ; câest aux lecteurs Ă©clairĂ©s par la discussion quâil appartient dâĂȘtre juges. I OBJET DU SATYRICON Jâai rĂ©futĂ©, dans la premiĂšre partie, ceux qui regardent lâouvrage de PĂ©trone comme la satire de NĂ©ron ; nâen parlons plus. Dâautres ont cru reconnaĂźtre le vieux Claude dans Trimalchion, Agrippine dans Fortunata, Lucain dans Eumolpe, SĂ©nĂšque dans Agamemnon Tiraboski, Burmann et Dotteville semblent pencher de ce cĂŽtĂ©. Selon les deux Valois, le Satyricon nâest que le tableau ordinaire de la vie humaine, une vĂ©ritable MĂ©nippĂ©e, mĂȘlĂ©e de prose et de vers, dans le goĂ»t de Varron, une satire gĂ©nĂ©rale des ridicules et des vices qui appartiennent Ă tous les peuples, Ă tous les temps. Quelques-uns ont presque fait de PĂ©trone un casuiste ; ils y voient Ă chaque page des sermons trĂšs-Ă©difiants, et le Satyricon est, Ă leur avis, un traitĂ© complet de morale, qui vaut bien celui de Nicole câest, du moins, ce que semble insinuer Burmann, quand il appelle PĂ©trone virum sanctissimum. LâingĂ©nieux Saint-Ăvremond a rĂ©futĂ© dâune maniĂšre agrĂ©able ce dernier sentiment. Ă lâappui de cet Ă©crivain, Leclerc, toujours caustique, ajoute avec un peu dâhumeur Que dirait-on dâun peintre qui, pour inspirer lâhorreur du vice, tracerait avec toute la dĂ©licatesse possible les postures de lâArĂ©tin ? » Enfin, si lâon en croit Macrobe, le Satyricon est un pur roman, dont lâunique but est de plaire. Je ne vois pas trop ce quâon pourrait opposer Ă lâautoritĂ© de Macrobe. Il fut lâĂ©crivain du quatriĂšme siĂšcle le plus versĂ© dans la connaissance de lâantiquitĂ© ; sa sagacitĂ© dans la critique Ă©galait sa vaste Ă©rudition. Il vivait dans un temps oĂč lâon ne pouvait encore avoir perdu le secret du Satyricon, sâil eĂ»t renfermĂ© quelque mystĂšre. Son opinion individuelle peut donc ici passer pour celle de ses contemporains ; et, dans le cas oĂč lâune eĂ»t diffĂ©rĂ© de lâautre, un auteur aussi judicieux aurait-il manquĂ© dâexposer au lecteur les motifs qui lâengageaient Ă sâĂ©carter du sentiment gĂ©nĂ©ral ? Parmi les modernes, Huet, Leclerc, Basnage se sont rangĂ©s Ă lâavis de Macrobe. DĂ©fions-nous de ces esprits systĂ©matiques ou malins, qui se plaisent Ă torturer un auteur pour lui faire penser ce quâils eussent dit leur pupitre est, en fait de critique, le lit de fer de Procuste. La BruyĂšre riait sous cape des prĂ©tendues clefs ajustĂ©es Ă ses CaractĂšres par des devins en dĂ©faut. Peut-ĂȘtre, un jour, tirant ArtamĂšne ou ClĂ©lie de la poussiĂšre, quelques savants en us les publieront tour Ă tour, grossis de nouveaux tomes ; et, pour prouver que Louis XIV est Cyrus ou Porsenna, ils joindront aux fadeurs de ScudĂ©ry, avec leurs propres visions, les variorum des commentateurs. II FORME DU SATYRICON. LâEspagnol Joseph-Antoine-Gonsalle de Salas a fait jadis une belle dissertation sur ce seul mot Satyricon. Son Ă©tymologie est-elle grecque ou latine ? grande question parmi les Ă©rudits. Voici ce quâHeinsius, Scaliger, et plusieurs autres, allĂšguent en faveur de la premiĂšre opinion. Les Grecs appelaient satyriques certains drames, moitiĂ© sĂ©rieux, moitiĂ© bouffons, dans lesquels les acteurs, le visage barbouillĂ© de lie, imitaient les danses grotesques, ainsi que les propos un peu lestes des divinitĂ©s des bois, et tournaient en ridicule, dans la personne des magistrats et des riches, les vĂ©ritables dieux de la terre. Ces drames eurent cours longtemps encore aprĂšs Thespis il nous en reste un modĂšle dans le PolyphĂšme dâEuripide. DâaprĂšs cette hypothĂšse, notre mot satyre vient du grec áœ°Ï ÏÎżÏ, Faune ou Satyre ; il doit alors sâĂ©crire par un y. Casaubon, Spanheim et Dacier ne manquent point dâarguments pour combattre Heinsius et Scaliger. Ils dĂ©rivent satire du latin satura plat rempli de diffĂ©rents mets. Si vous demandez quelle analogie peut exister entre un plat rempli de diffĂ©rents mets et les satires dâHorace, par exemple, on vous rĂ©pond que ce genre de poĂ©sie est farci, pour ainsi dire, de quantitĂ© de choses diverses, comme sâexprime Ă©lĂ©gamment Porphyrion Multis et variis rebus hoc carmen refertum est. Ce raisonnement est fort ! Au compte de ces messieurs, que dâauteurs qui ne sâen doutent guĂšre sont des JuvĂ©nals ! que de satires sont des pots-pourris ! Quoi quâil en soit, selon cette doctrine, de satura lâon a fait satira, comme on a fait optimus dâoptumus, et maximus de maxumus. Vous voyez bien que, dans ce cas, on doit Ă©crire satire ; et que lây est chassĂ© par lâi [10]. Le vulgaire des Ă©crivains, assez dĂ©nuĂ© dâĂ©rudition, a simplement distinguĂ© la satire en deux espĂšces. Lâune, a-t-on dit, tend directement Ă rĂ©former les mĆurs, ou Ă ridiculiser les travers de lâesprit humain ; ceux qui la craignent lâaccusent de misanthropie ou de malignitĂ©. Câest sans doute pour adoucir lâaustĂ©ritĂ© du prĂ©cepte ou lâacerbe du sarcasme quâelle emprunte Ă la poĂ©sie les grĂąces de son langage. SĆur cadette de la comĂ©die, elle nâen diffĂšre que dans la forme. Elle est plus courte, et nâest pas essentiellement dramatique. Horace, JuvĂ©nal et Perse ont portĂ© dans Rome cette espĂšce de satire Ă sa perfection ; elle nâa point dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en France sous la plume des Regnier, des Boileau, des Gilbert. La seconde espĂšce de satire est celle quâon nomme MĂ©nippĂ©e. Le plus savant des Romains, Varron, la mit en honneur chez ses concitoyens. Si son but est Ă©galement dâinstruire, elle y vise par des dĂ©tours plus cachĂ©s plaire est son premier dĂ©sir ; lâinstruction chez elle nâest que secondaire. Ses tableaux plus variĂ©s embrassent toutes les scĂšnes de la vie, comme toutes les branches de la littĂ©rature. Son caractĂšre distinctif est un mĂ©lange agrĂ©able de prose et de vers. La fiction est son arme favorite ; sa marche approche de celle du roman, dont elle usurpe impunĂ©ment lâĂ©tendue. Elle caresse plus souvent quâelle nâĂ©gratigne ; et, pour faire aimer la vertu, elle lâaffuble quelquefois des livrĂ©es de la Folie. LâApokolokyntosis de SĂ©nĂšque, le Misopogon de lâempereur Julien, la Consolation de BoĂ«ce sont autant de MĂ©nippĂ©es. La France peut leur comparer sans honte le Pantagruel de Rabelais, le Catholicon dâEspagne, la Pompe funĂšbre de Voiture, par Sarrazin. Aux yeux de ceux pour qui les disputes de mots ne sont que de doctes Ăąneries, Rome paraĂźtra peut-ĂȘtre redevable Ă la GrĂšce de ces deux espĂšces de satires. Varron, de son aveu mĂȘme [11] , avait imitĂ© MĂ©nippe le Cynique ; et les satires du second genre sâappellent encore aujourdâhui MĂ©nippĂ©es, du nom du philosophe grec. Pour la satire du premier genre, elle fut Ă©videmment chez les Romains, dans son origine, une copie informe de ces tragi-comĂ©dies grecques, que les acteurs de Thespis allaient reprĂ©sentant de ville en ville sur des tombereaux. Avant quâĂpicharme de MĂ©gare eĂ»t inventĂ© la bonne comĂ©die, la Sicile, qui servait de lien commun entre la GrĂšce et lâItalie, avait portĂ© dans la seconde les satyriques de la premiĂšre. Elles succĂ©dĂšrent sur le théùtre des Romains aux danses des Ătrusques, que des histrions toscans avaient jusquâalors exĂ©cutĂ©es au son de la flĂ»te, mais sans les accompagner dâaucune piĂšce rĂ©glĂ©e qui reprĂ©sentĂąt une action. La satyre grecque, ainsi naturalisĂ©e chez les Romains, y fut encore longtemps mĂȘlĂ©e, comme dans son pays natal, de chants bouffons, de danses burlesques, de postures lascives, de railleries grossiĂšres. BientĂŽt Ennius essaya de la faire descendre du théùtre, pour la rendre plus dĂ©cente. Il la restreignit Ă de simples discours en vers, destinĂ©s Ă ĂȘtre lus dans des cercles dâamis. Mais, sous sa plume, elle ne changea que de forme ; Ă lâexception du chant et de la danse, elle retint son nom, son fiel et sa gaietĂ©. Pacuvius, neveu dâEnnius, imita son oncle par complaisance ou par goĂ»t. Enfin parut Lucilius en faveur du sel et de la politesse quâil rĂ©pandit dans cette composition nouvelle, il mĂ©rita dâen ĂȘtre appelĂ© lâinventeur. Ce nâest que dans ce sens quâil faut entendre le GrĂŠcis intactum carmen dâHorace, et ces paroles de Quintilien Satira quidem tota nostra est, in qua primus insignem laudem ademptus est Lucilius ; la satire appartient tout entiĂšre Ă Rome ; Lucilius sây distingua le premier. » Au reste, les Grecs avaient aussi cette espĂšce de satire dont parle Quintilien ; ils lui avaient donnĂ© le nom de Silles ; et les fragments des Silles de Timon le Phliasien, sceptique cĂ©lĂšbre par ses vers mordants contre les dogmatiques, prouvent assez que la GrĂšce avait ses Lucile et ses Horace. NâĂ©taient-ce donc pas une satire, ces ĂŻambes lancĂ©s par le Grec Sotade contre PtolĂ©mĂ©e-Philadelphe, ces ĂŻambes que Suidas appelle ϰÏΜαÎčÎŽÎżÎč cyniques, sans pudeur ces ĂŻambes cruels qui mirent en fureur leur royale victime, et firent enfin prĂ©cipiter dans le Nil leur malheureux auteur ? Personne nâignore que Lucile, Pacuvius, Ennius mĂȘme, ne parurent quâaprĂšs PtolĂ©mĂ©e-Philadelphe ; or, Timon et Sotade florissaient sous ce prince. Les Grecs connurent donc la satire proprement dite ; ils la connurent donc mĂȘme avant les Romains. Ainsi la satire fut dâabord Ă Rome ce quâelle avait Ă©tĂ© dans AthĂšnes la seule diffĂ©rence qui la distingua par la suite chez ces deux peuples, câest quâen changeant de forme, elle retint en Italie son nom primitif, tandis quâelle prenait tour Ă tour chez les Grecs celui de Silles ou de MĂ©nippĂ©e. Les mots ne tiennent pas toujours ce que leur Ă©tymologie promet ; lâusage, ce tyran des langues, est plus fort que les grammairiens, et souvent lâexpression est la mĂȘme, quand la chose a changĂ©. CharmĂ©s de la marche libre et facile que donnait Ă la MĂ©nippĂ©e le mĂ©lange des vers et de la prose, les Romains sâaccoutumĂšrent insensiblement Ă dĂ©signer par son nom les Ă©crits revĂȘtus de la mĂȘme forme, quoique Ă©loignĂ©s de son caractĂšre original. Histoire, romans, philosophie, morale, tout fut bientĂŽt de son ressort. On oublia quâelle Ă©tait nĂ©e caustique, pour ne plus voir en elle quâune ingĂ©nieuse babillarde. Pourvu que, dans un mĂȘme ouvrage, elle semĂąt avec esprit et les vers et la prose, on lui pardonna de ne plus mĂ©dire ; en dĂ©pit de son changement, elle resta MĂ©nippĂ©e. Cette satire nâest donc point essentiellement mordante. Celle mĂȘme de Varron, quoique plus proche de son origine, montre rarement le vice couvert de ridicule ou dâopprobre. Sa philosophie badine plus quâelle ne dogmatise ; elle cache sous les fleurs les Ă©pines de lâĂ©rudition ; et ses leçons de morale, elle ne les donne quâen se jouant. La satire, chez PĂ©trone, est encore plus indulgente. Ne cherchez pas en elle un pĂ©dagogue enfant gĂątĂ© dâĂpicure, sa malignitĂ© sâendort auprĂšs du vice aimable ; craignez quâelle ne sâĂ©veille aux sermons de la sagesse. PrĂšs de PĂ©trone, lâĂąne dâApulĂ©e est un Caton. Il censura fort bien les travers de son siĂšcle ; cependant il nâa pas lâhonneur de siĂ©ger parmi les satiriques. Cet Ăąne, content de parler mieux que certains hommes, nĂ©gligea dâemployer le langage des dieux ; et, je lâai dĂ©jĂ dit, il nâest point de MĂ©nippĂ©es sans le mĂ©lange de la prose et des vers. PĂ©trone ne pouvait choisir pour son roman une forme de composition plus variĂ©e, plus agrĂ©able que celle de la MĂ©nippĂ©e ; aussi nây manqua-t-il point, et voilĂ sans doute tout le mystĂšre du Satyricon. Quant Ă la dĂ©sinence du mot, les Latins, selon Gonsalle de Salas, ont fait satyricon de satyra, comme ils faisaient epigrammation dâepigramma, elegidarion dâelegia le diminutif ne changeait rien dâessentiel dans lâobjet principal de lâexpression ; il annonçait seulement dans le dĂ©rivĂ© moins de prĂ©tention et plus dâenjouement. Peut-ĂȘtre aimerez-vous mieux la leçon de Rollin, Baillet, Burmann et autres ils font longue la derniĂšre syllabe de satyricĂŽn, et la prononcent comme lâomĂ©ga des Grecs. Dans cette hypothĂšse, le SatyricĂŽn serait un recueil de satires. Mais lâomicron nâen fait quâun innocent badinage ; je suis pour lâomicron. III STYLE DU SATYRICON. Le style de PĂ©trone a trouvĂ© des censeurs, mĂȘme parmi les meilleurs juges en cette matiĂšre. Quoique PĂ©trone, dit Huet, paraisse avoir Ă©tĂ© un grand critique, et dâun goĂ»t exquis, son style pourtant ne rĂ©pond pas tout Ă fait Ă la dĂ©licatesse de son jugement. On y remarque quelque affectation ; il est un peu trop peint et trop Ă©tudiĂ© ; il dĂ©gĂ©nĂšre de cette simplicitĂ© naturelle et majestueuse, de lâheureux siĂšcle dâAuguste. Peut-ĂȘtre doit-il une partie de sa rĂ©putation Ă la libertĂ© de ses portraits ; il aurait Ă©tĂ© moins lu, sâil avait Ă©tĂ© plus modeste. » Rollin porte Ă peu prĂšs le mĂȘme jugement[12] ; et Rapin assure[13] que PĂ©trone, sâil donne quelquefois dâexcellents prĂ©ceptes dâĂ©loquence, ne les suit pas toujours. Valois [14] croyait remarquer dans son style un air un peu Ă©tranger ; il se servait mĂȘme de cet argument, pour prouver que notre auteur Ă©tait Gaulois, et quâil vĂ©cut aprĂšs SuĂ©tone. Saumaise ne trouve dans les fragments de PĂ©trone que des extraits faits sans goĂ»t par quelques libertins obscurs du Bas-Empire. PĂ©trone, dit Bayle [15] , est moins dangereux dans ses tableaux trop nus, que dans les dĂ©licatesses dont Bussy-Rabutin les a revĂȘtus ; et la galanterie se prĂ©sente, dans les Amours des Gaules, sous des formes bien plus aimables que dans le Satyricon. » Aux yeux de Voltaire [16] , cet ouvrage nâest pas plus un modĂšle de style quâil nâest lâhistoire secrĂšte de NĂ©ron ; les suppĂŽts de nos tavernes tiennent, Ă lâentendre, des discours plus honnĂȘtes que les convives de Trimalchion ; Ă lâexception de quelques vers heureux, de deux ou trois contes agrĂ©ables, tout le livre nâest quâun amas confus dâimages ampoulĂ©es ou lascives, dâĂ©rudition ou de dĂ©bauches. Selon Baillet et Tiraboski, on y rencontre des tours ingĂ©nieux et de jolies pensĂ©es ; mais ces beautĂ©s sont obscurcies par lâinĂ©galitĂ© du style, par des mots barbares, par des rĂ©cits oĂč lâon ne comprend rien. Câest peut-ĂȘtre, ajoutent-ils, la faute des copistes ; mais lâouvrage, en somme, ne mĂ©ritait pas les peines quâon sâest donnĂ©es pour en rechercher et recoudre les lambeaux. Leclerc maltraite encore plus PĂ©trone. Mais câest trop longtemps parler de ses dĂ©tracteurs ; Ă©coutons enfin ses panĂ©gyristes. Ă la tĂȘte des nombreux admirateurs de PĂ©trone, marchent Vossius et Douza, TurnĂšbe et Pithou, Briet et Ronsin. Les censures mĂȘme, hasardĂ©es contre PĂ©trone, sont mĂȘlĂ©es, disent-ils, dâĂ©loges arrachĂ©s par la force de la vĂ©ritĂ© ; et, dans la bouche dâun ennemi, la louange est dâun bien plus grand poids que les reproches. Cette barbarie mĂȘme et cette bassesse dâexpressions, qui paraissent dĂ©figurer quelquefois le style de PĂ©trone, sont, aux yeux de MĂ©nage, le chef-dâĆuvre de lâart ; il ne les a placĂ©es que dans la bouche des valets et des dĂ©bauchĂ©s sans dĂ©licatesse. Voyez, au contraire, avec quelle Ă©lĂ©gance il fait parler les gens de la bonne compagnie. PĂ©trone donne Ă chacun de ses acteurs le langage qui lui convient. Ce mĂ©rite est dâautant plus prĂ©cieux, quâil est plus rare ; et les ombres quâun peintre habile rĂ©pand dans ses tableaux, en rendent les beautĂ©s plus saillantes. Barthius trouve rĂ©unies dans PĂ©trone seul, quand il nâest pas dĂ©figurĂ© par lâignorance des copistes, toutes les finesses de Plaute, toutes les grĂąces de CicĂ©ron ; et Juste Lipse lâappelle auctor purissimĂŠ impuritatis. Telle Ă©tait lâadmiration du vainqueur de Rocroi pour PĂ©trone, quâil pensionnait un lecteur, uniquement chargĂ© de lui rĂ©citer le Satyricon. En parlant du poĂ«me de la Guerre civile, dans lequel PĂ©trone, dit-on, prĂ©tendit lutter contre Lucain, lâabbĂ© Desfontaines sâĂ©crie Quelle finesse dans la peinture des vices des Romains et des dĂ©fauts de leur gouvernement ! que dâesprit dans ses fictions ! Ces beautĂ©s sont relevĂ©es par un style mĂąle et nerveux, en faveur duquel on doit pardonner au poĂ«te quelques fautes contre lâĂ©locution, et certains traits qui sentent le rhĂ©teur. » FrĂ©ron, dont le goĂ»t fut presque toujours dâaccord avec la raison, quand il ne jugea que les anciens, parle de PĂ©trone dans le sens de Desfontaines Il est riant, dit-il, dans ses descriptions, coulant, net et facile dans sa narration, admirable dans ses vers ; et, ce qui le caractĂ©rise plus particuliĂšrement, il est toujours fin et dĂ©licat en fait de galanterie, quand il parle de celle que la nature avoue. » Je fais grĂące des Ă©loges prodiguĂ©s Ă PĂ©trone par ses diffĂ©rents traducteurs ils pourraient paraĂźtre suspects ; mais on me permettra, du moins, dâopposer Ă ses censeurs le suffrage de Saint-Ăvremond. De tous les panĂ©gyristes de PĂ©trone, aucun nâeut plus de ressemblances morales avec son hĂ©ros que cet ingĂ©nieux Ă©picurien ; et comme nul nâapprĂ©cia notre auteur avec plus de connaissance de cause, nul aussi ne lâa vantĂ© avec plus dâesprit. Quâon me permette de citer ce passage, malgrĂ© son Ă©tendue PĂ©trone est admirable partout, dans la puretĂ© de son style, dans la dĂ©licatesse de ses sentiments. Ce qui me surprend davantage est cette grande facilitĂ© Ă nous donner ingĂ©nieusement toutes sortes de caractĂšres. TĂ©rence est peut-ĂȘtre lâauteur de lâantiquitĂ© qui entre le mieux dans le naturel des personnes jây trouve cela Ă redire, quâil a trop peu dâĂ©tendue ; et tout son talent est bornĂ© Ă faire bien parler des valets et des vieillards, un pĂšre avare, un fils dĂ©bauchĂ© voilĂ oĂč sâĂ©tend la capacitĂ© de TĂ©rence. Nâattendez de lui ni galanterie, ni passion, ni les sentiments, ni les discours dâun honnĂȘte homme. PĂ©trone, dâun esprit universel, trouve le gĂ©nie de toutes les professions, et se forme, comme il lui plaĂźt, Ă mille naturels diffĂ©rents. Sâil introduit un dĂ©clamateur, il en prend si bien lâair et le style, quâon dirait quâil a dĂ©clamĂ© toute sa vie. Rien nâexprime plus naĂŻvement le dĂ©sordre dâune vie dĂ©bauchĂ©e, que les querelles dâEncolpe et dâAscylte sur le sujet de Giton. Quartilla ne reprĂ©sente-t-elle pas admirablement ces femmes prostituĂ©es, quarum sic accensa libido, ut sĂŠpius peterent viros quam a viris peterentur ? Les noces du petit Giton et de lâinnocente Pannychis ne nous donnent-elles pas lâimage dâune impudicitĂ© accomplie ? Tout ce que peut faire un faux dĂ©licat, un impertinent, vous lâavez sans doute au festin de Trimalchion. Quoi de mieux touchĂ©, dans le portrait dâEumolpe, que la vanitĂ© des poĂ«tes, et cette manie de rĂ©citer leurs vers Ă tout venant ? Est-il rien de plus naturel que le personnage de Chrysis ? toutes nos confidentes nâen approchent pas. Sans parler de sa premiĂšre conversation avec PolyĆnos, ce quâelle lui dit de sa maĂźtresse sur lâaffront quâelle a reçu est dâune naĂŻvetĂ© inimitable. Quiconque a lu JuvĂ©nal, connaĂźt assez impotentiam matronarum, et leur mĂ©chante humeur, si quando vir aut familiaris infelicius cum ipsis rem habuerit. Mais il nây a que PĂ©trone qui ait pu nous dĂ©crire CircĂ© si belle, si voluptueuse et si galante. EnothĂ©a, la prĂȘtresse de Priape, me ravit avec les miracles quâelle promet, avec ses enchantements, ses sacrifices, sa dĂ©solation sur la mort de lâoie sacrĂ©e, et la maniĂšre dont elle sâapaise, quand PolyĆnos lui fait un prĂ©sent dont elle peut acheter une oie et des dieux, si bon lui semble. PhilumĂšne, cette honnĂȘte dame, nâest pas moins bonne, qui, aprĂšs avoir escroquĂ© plusieurs hĂ©ritages, dans la fleur de sa jeunesse et de sa beautĂ©, devenue vieille, et par consĂ©quent inutile Ă tout plaisir, tĂąchait de continuer ce bel art par le moyen de ses enfants, quâavec mille beaux discours elle introduisait auprĂšs des vieillards qui nâen avaient point ; enfin, il nây a profession dont PĂ©trone ne suive admirablement le gĂ©nie. Il est poĂ«te, il est orateur, il est philosophe, quand il lui plaĂźt. Pour ses vers, jây trouve une force agrĂ©able, une beautĂ© naturelle naturali pulchritudine carmen exsurgit ; en sorte que Douza ne saurait plus souffrir la fougue et lâimpĂ©tuositĂ© de Lucain, quand il a lu la prise de Troie Jam decuma mĆstos, etc., ou lâessai sur la guerre civile Orbem jam totum, etc. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que LucrĂšce nâa pas traitĂ© si agrĂ©ablement la matiĂšre des songes Somnia quĂŠ mentes, etc. Et que peut-on comparer Ă cette nuit voluptueuse, dont lâimage remplit lâĂąme de telle sorte, quâon a besoin dâun peu de vertu pour sâen tenir aux simples impressions quâelle fait sur lâesprit Qualis nox fuit illa, dii ! etc. Quoique le style de dĂ©clamateur semble ridicule Ă PĂ©trone, il ne laisse pas de montrer beaucoup dâĂ©loquence en ses dĂ©clamations ; et, pour faire voir que les plus dĂ©bauchĂ©s ne sont pas incapables de mĂ©ditations et de retour, la morale nâa rien de plus sĂ©rieux ni de mieux touchĂ© que les rĂ©flexions dâEncolpe sur lâinconstance des choses humaines et sur lâincertitude de la mort. Quelque sujet qui se prĂ©sente, on ne peut ni penser plus dĂ©licatement, ni sâexprimer avec plus de nettetĂ©. Souvent, en ses narrations, il se laisse aller au simple naturel, et se contente des grĂąces de la naĂŻvetĂ© ; quelquefois, il met la derniĂšre main Ă son ouvrage, et il nây a rien de si poli. Catulle et Martial traitent les mĂȘmes choses grossiĂšrement ; et si quelquâun pouvait trouver le secret dâenvelopper les ordures avec un langage pareil au sien, je rĂ©ponds pour les dames quâelles donneraient des louanges Ă sa discrĂ©tion. Mais ce que PĂ©trone a de plus particulier, câest quâĂ la rĂ©serve dâHorace, en quelques odes, il est peut-ĂȘtre le seul de lâantiquitĂ© qui ait su parler de galanterie. Virgile est touchant dans les passions ; les amours de Didon, les amours dâOrphĂ©e et dâEurydice, ont du charme et de la tendresse ; toutefois il nâa rien de galant ; et la pauvre Didon, tant elle a lâĂąme pitoyable, devient amoureuse du pieux ĂnĂ©e, au rĂ©cit de ses malheurs. Ovide est spirituel et facile, Tibulle dĂ©licat ; cependant il fallait que leurs maĂźtresses fussent plus savantes que mademoiselle de ScudĂ©ry ; car ils allĂšguent sans cesse les dieux, les fables, et des exemples tirĂ©s de lâantiquitĂ© la plus Ă©loignĂ©e ; ils promettent toujours des sacrifices, et je pense que Chapelain a pris dâeux la maniĂšre de brĂ»ler les cĆurs en holocauste. Lucien, tout ingĂ©nieux quâil est, devient grossier, sitĂŽt quâil parle dâamour ; ses courtisanes ont plutĂŽt le langage des lieux publics que les discours des ruelles. Autant que les autres nations nous le cĂšdent en galanterie, autant PĂ©trone lâemporte sur nous dans ce genre de mĂ©rite. Nous nâavons point de roman qui nous fournisse une histoire si agrĂ©able que la matrone dâĂphĂšse ; rien de si dĂ©licat que les poulets de CircĂ© Ă PolyĆnos. Toute leur aventure, soit dans lâentretien, soit dans les descriptions, a un caractĂšre fort au-dessus de la politesse de notre siĂšcle. Jugez cependant sâil eĂ»t traitĂ© dĂ©licatement une belle passion, puisque câĂ©tait une affaire de deux personnes qui, Ă la premiĂšre vue, devaient goĂ»ter les derniers plaisirs. » Ce nâest pourtant pas sans quelque injustice peut-ĂȘtre, ou du moins sans un peu de prĂ©vention, que Saint-Ăvremond, aprĂšs Douza, semble Ă©lever au-dessus de la Pharsale lâEssai de PĂ©trone sur la Guerre civile, et mĂȘme son Fragment de la guerre de Troie. Mais, si le premier de ces morceaux, Ă peine composĂ© de trois cents vers, ne peut ĂȘtre mis en parallĂšle avec un poĂ«me en dix chants, il nâen Ă©tincelle pas moins de beautĂ©s sublimes. Quant au fragment de la prise de Troie, son seul dĂ©faut peut-ĂȘtre est de rappeler un des plus beaux Ă©pisodes de lâEnĂ©ide sans le Laocoon de Virgile, celui de PĂ©trone pourrait passer pour un chef-dâĆuvre. VoilĂ sans doute de quoi contre-balancer les reproches quâon a pu faire au style de PĂ©trone. Je nâai parlĂ© que de ses vers ; sa prose est peut-ĂȘtre plus Ă©lĂ©gante encore. Qui ne sait que La Fontaine lui doit son joli conte de la Matrone dâEphĂšse ? et Bussy-Rabutin, en transportant dans les Amours des Gaules lâĂ©pisode piquant de PolyĆnos et de CircĂ©, nâa changĂ© que le nom des acteurs. RĂ©sumons-nous 1° PĂ©trone, sans doute, nâa voulu faire quâun roman ; 2° Le Satyricon peut ĂȘtre classĂ© parmi les MĂ©nippĂ©es ; 3° Son style est mĂȘlĂ© de beautĂ©s et de dĂ©fauts ; mais risquerait-on beaucoup, en attribuant les beautĂ©s Ă PĂ©trone, et les dĂ©fauts Ă ses copistes ? TROISIĂME PARTIE Nous venons de traiter, en quelque sorte, lâhistoire ancienne du roman de PĂ©trone ; traçons maintenant en peu de mots lâhistoire moderne de ses fragments. I DES PRINCIPALES ĂDITIONS DE PĂTRONE. Parmi les livres qui nâont pu soustraire quâune partie dâeux-mĂȘmes aux outrages du temps, le Satyricon est un de ceux qui ont le plus souffert. Ce qui nous en reste nâest, comme nous lâavons dĂ©jĂ dit, quâun mince dĂ©bris de cet ingĂ©nieux ouvrage. Il contenait plusieurs livres, divisĂ©s en plusieurs chapitres on peut citer, pour preuve de cette assertion, lâautoritĂ© des anciens glossaires et le tĂ©moignage des savants Daniel, Douza, Gonsalle, Saumaise, Burmann, etc. Encore le peu que nous avons du Satyricon ne nous est-il parvenu que par lambeaux. La premiĂšre antiquitĂ© ne nous en avait transmis, jusquâen 1476, que des fragments successifs. Ătait-ce, comme le croit Nodot, des collections quâun homme studieux avait faites de quelques lieux choisis de cette satire ? Dans cette supposition, ne peut-on pas dire, avec Huet, que ce recueil eut le sort de tant dâautres, celui de faire nĂ©gliger dâabord, puis bientĂŽt perdre entiĂšrement lâoriginal, comme il est arrivĂ©, par exemple, Ă Justin, abrĂ©viateur de Trogue-PompĂ©e ? Faut-il, comme dâautres le veulent, accuser les moines, si longtemps possesseurs exclusifs des dĂ©bris littĂ©raires de Rome et dâAthĂšnes, dâavoir mutilĂ© PĂ©trone dans les endroits que leur pudeur nâosait regarder sans rougir ? Saumaise ne le pense pas. Enfin, de ce que Jean de SarisbĂ©ry, Ă©vĂȘque de Chartres au XIIe siĂšcle, rapporte quelques fragments de PĂ©trone qui ne se trouvent dans aucune Ă©dition du Satyricon, peut-on conjecturer avec lâĂ©vĂȘque dâAvranches, ou que lâouvrage de PĂ©trone subsistait encore Ă cette Ă©poque en son entier, ou quâil en existait du moins alors une collection manuscrite plus ample que celle que nous en avons ? Quoi quâil en soit, la premiĂšre Ă©dition connue, et lâune des plus estimĂ©es de PĂ©trone, est celle publiĂ©e Ă Milan, en 1477. Les deux Pithou, Ă qui lâon doit la dĂ©couverte des fables de PhĂšdre, publiĂšrent, en 1587, quelques additions trouvĂ©es dans un manuscrit, pris Ă Budes par Mathias Corvin. Soixante-seize ans aprĂšs, câest-Ă -dire en 1663, Pierre Petit dĂ©terra Ă Trau, en Dalmatie, dans la bibliothĂšque de Nicolas Cippius un manuscrit in-folio, dans lequel, Ă la suite des poĂ©sies de Catulle, Tibulle et Properce, se trouvait un fragment considĂ©rable de PĂ©trone, contenant la suite du festin de Trimalchion. Il commence par ces mots Venerat jam tertius dies, et finit par ceux-ci ex incendio fugimus. La date du manuscrit Ă©tait du 20 novembre 1423 en tĂȘte du fragment, on lisait Petronii Arbitri fragmenta ex libro quintodecimo et decimo sexto. Les premiers mots de chaque chapitre Ă©taient Ă©crits avec de lâencre rouge, et les caractĂšres en Ă©taient bien lisibles. Ă peine ces fragments eurent-ils paru, imprimĂ©s pour la premiĂšre fois Ă Padoue, en 1664, et lâannĂ©e suivante Ă Paris, que soudain Ă©clata, dans la rĂ©publique des lettres, une espĂšce de guerre civile. On vit les Schaefer, en SuĂšde, les Reinesius et les Wagenseil, en Allemagne, les deux Valois et les Petit, en France, inonder, coup sur coup, le public de dissertations. Selon les uns, le fragment nâĂ©tait quâun enfant supposĂ© on ne pouvait, selon les autres, lui contester son adoption. Mantel, Lucius et Gradi sâen dĂ©clarĂšrent les premiers champions. Lâauteur de la dĂ©couverte, cachĂ© sous le nom de Statilius, en dĂ©fendit Ă©loquemment lâauthenticitĂ© dans une apologie latine ; il fit plus, il envoya le manuscrit du Fragment Ă Grimani, ambassadeur de Venise Ă Rome, et le pria de le soumettre Ă lâexamen des connaisseurs. Le 28 aoĂ»t 1668, une assemblĂ©e nombreuse de savants se rĂ©unit, Ă ce sujet, dans le palais de lâambassadeur. Lâavis unanime fut que le manuscrit comptait au moins deux cents ans dâanciennetĂ© ; la date de sa transcription devait ĂȘtre Ă peu prĂšs celle du temps oĂč fleurit PĂ©trarque, et la nature des caractĂšres et du vĂ©lin parut ĂȘtre une preuve incontestable de son authenticitĂ©. Le manuscrit, revenu en France, y excita de nouvelles contestations. De nouvelles confĂ©rences, tenues chez le grand CondĂ©, produisirent le mĂȘme rĂ©sultat. Lâouvrage fut alors dĂ©posĂ© dans la bibliothĂšque du roi ; et, malgrĂ© les doutes affectĂ©s de certains critiques obstinĂ©s qui se rendent difficilement Ă lâĂ©vidence, il passa, dĂšs cette Ă©poque, pour ĂȘtre de PĂ©trone. On lâa constamment imprimĂ© depuis, comme tel, dans toutes les Ă©ditions du Satyricon. Cependant, plus de vingt ans aprĂšs cette dĂ©cision solennelle, la conviction, sâil faut en croire un critique cĂ©lĂšbre [17], nâĂ©tait pas gĂ©nĂ©rale. LâarrĂȘt de partage, Ă©crivait-il en 1692, subsiste encore aujourdâhui peut-ĂȘtre subsistera-t-il jusquâĂ la fin du monde, car la rĂ©publique des lettres nâa point de tribunal souverain qui prononce sans appel. » En cette mĂȘme annĂ©e, 1692, Nodot, officier français, fit imprimer Ă Rotterdam, chez Leers, une Ă©dition de PĂ©trone, augmentĂ©e de nouveaux fragments. Ils avaient Ă©tĂ©, disait-il, trouvĂ©s Ă Belgrade en 1688 un heureux hasard lui en avait procurĂ©, en 1690, une copie trĂšs-exacte ; et lâEurope, ajoutait-il, pouvait se glorifier dĂ©sormais de possĂ©der PĂ©trone tout entier. On avait rĂ©clamĂ© contre lâoriginal de Trau jugez si la copie de Belgrade trouva des incrĂ©dules ! MalgrĂ© les lettres flatteuses des acadĂ©mies dâArles et de NĂźmes, ainsi que de Charpentier, alors directeur de lâAcadĂ©mie française, malgrĂ© les petits vers de quelques poĂ«tes enthousiastes dont Nodot nâavait pas manquĂ© dâenfler son Ă©dition, les nouveaux fragments ne passĂšrent point pour un rare trĂ©sor, comme Nodot se plaisait Ă les qualifier ; et, quoi quâen ait dit Charpentier dans une missive latine que peu de personnes sâempressĂšrent de lire, la France, dont les armes victorieuses faisaient alors trembler lâAllemagne, sâhonora beaucoup plus par la brillante campagne de 1690, que par la prĂ©tendue dĂ©couverte dont Nodot revendiquait la gloire. Lâadversaire le plus obstinĂ© des nouveaux fragments fut BreugiĂšre de Barante, cĂ©lĂšbre avocat de Riom. Dans des observations publiĂ©es en 1694, il prĂ©tendit prouver que ces fragments nâĂ©taient que de maladroites interpolations, ouvrage dâun moderne sans goĂ»t, et facilement reconnaissables Ă de frĂ©quents gallicismes. Pourquoi dâailleurs, si le Satyricon de Belgrade Ă©tait entier, nây retrouvait-on pas, par exemple, le non bene semper olet qui bene semper olet, citĂ© par saint JĂ©rĂŽme comme appartenant Ă PĂ©trone ? Burmann ne fut pas plus sensible au prĂ©sent que Nodot croyait avoir fait Ă lâEurope. Il gourmanda mĂȘme assez rudement, sans respect pour les acadĂ©mies, ceux de leurs membres qui sâĂ©taient laissĂ©, disait-il, trop grossiĂšrement surprendre Ă de trompeuses apparences. Nodot rĂ©pondit en savant courroucĂ© on remarqua dans sa Contre-critique plus de prĂ©somption que de politesse, plus de pĂ©dantisme que de savoir, plus dâinjures que de raisons. Câest ainsi que madame Dacier, mais dans une cause meilleure sans doute, avait dĂ©fendu contre Lamotte lâhonneur dâHomĂšre, attaquĂ© par les modernes. Il faut avouer pourtant que la derniĂšre objection de BreugiĂšre de Barante nâĂ©tait pas trop solide. Le pentamĂštre citĂ© par saint JĂ©rĂŽme ne pouvait-il pas avoir fait partie, non du Satyricon, mais de lâEustion ou de lâAlbutia, deux des ouvrages de PĂ©trone mentionnĂ©s par Planciade Fulgence, mais qui ne sont pas venus jusquâĂ nous ? Câest aussi la solution quâen donna Nodot. Quant aux gallicismes, nâen avait-on pas aussi reprochĂ© au fragment de Dalmatie, et nâavait-il pas nĂ©anmoins Ă©tĂ© reconnu pour antique ? Au reste, câest toujours un mĂ©rite aux yeux de plus dâun lecteur que dâavoir rempli des lacunes. Câest du moins le sentiment de Basnage GrĂące Ă Nodot, dit-il, la lecture de PĂ©trone est devenue plus commode on ne sây trouve plus de temps Ă autre, comme auparavant, dans un pays perdu. La liaison et la suite qui rĂšgnent dĂ©sormais dans le Satyricon, si elles ne sont pas lâouvrage de son auteur, rendent du moins intelligible ce qui ne lâĂ©tait pas. » Peu de personnes seront ici de lâavis de Basnage. MalgrĂ© les recherches des savants, PĂ©trone est encore incomplet [18] . Parmi ceux dont lâĂ©rudition a consacrĂ© quelques veilles Ă fixer le vĂ©ritable sens de notre auteur dans les endroits difficiles ou corrompus, on distingue TornĂ©sius, Sambucus, Richard, Muret, Scioppius, Brassican, Junius, Vouwer, Pontanus, Pulman, Barthius, Arnaud, Lundorpius, Binet, Passerat, Lotichius, Goldast, Gonsalle, Hermann, les deux Daniel, les deux Douza, les deux Pithou, Bourdelot, Burmann et Bouhier. PostĂ©rieurement Ă la plupart de ces commentateurs, lâabbĂ© SĂ©vin a rĂ©tabli un passage de PĂ©trone visiblement altĂ©rĂ© par lâignorance des copistes, et sur lequel les meilleurs critiques semblent avoir errĂ©. Voici ce quâon lit Ă ce sujet dans les MĂ©moires de lâAcadĂ©mie des inscriptions et belles-lettres PĂ©trone, aprĂšs avoir donnĂ© de grands Ă©loges Ă ces hommes illustres qui avaient consacrĂ© leurs veilles au bien de la sociĂ©tĂ©, ajoute Itaque, Hercula, omnium herbarum succos Democritus expressit ; et ne lapidum virgultorumque vis lateret, Ćtatem inter experimenta consumpsit. La difficultĂ© roule sur Hercula. On ne rapporte point ici les diffĂ©rentes conjectures que ce mot a fait naĂźtre ; la plupart ne paraissent appuyĂ©es que sur des fondements peu solides. Dans le dessein de rehausser le prix de tant de dĂ©couvertes dues aux soins de DĂ©mocrite, PĂ©trone insinue que les travaux de ce fameux philosophe, dans lâart de la mĂ©decine, pouvaient entrer en parallĂšle avec ceux qui avaient rendu le nom dâHercule si cĂ©lĂšbre dans la GrĂšce ; et par une comparaison fort Ă la mode parmi les anciens, PĂ©trone nâaura pas cru pouvoir mieux exprimer sa pensĂ©e quâen disant, pour dĂ©signer DĂ©mocrite, Hercules alter. Câest lĂ sans doute ce quâil faut lire, au lieu dâHercula, qui ne signifie rien. » LâabbĂ© SĂ©vin appuie son sentiment sur divers passages de Plutarque, de CicĂ©ron et de Pline ; ils prouvent quâen effet DĂ©mocrite fut souvent assimilĂ© Ă Hercule. Il est Ă©tonnant quâune restitution si naturelle et si facile en apparence, nâait pas Ă©tĂ© proposĂ©e plus tĂŽt. Mais combien de secrets merveilleux ressemblent Ă lâĆuf de Christophe Colomb ! Outre le Satyricon, Scaliger, Daniel et dom Rivet attribuent Ă notre PĂ©trone lâEustion, lâAlbutia, et les petits poĂ«mes connus sous le nom de PriapĂ©es Lusus in Priapum, ainsi que les Ă©pigrammes revendiquĂ©es par les diffĂ©rents PĂ©trone, et dont Lotichius a grossi son recueil. Cependant Tillemont fait auteur de la plupart dâentre elles le poĂ«te Optatien Porphyre, quâil ne faut pas confondre avec Porphyre le philosophe. Selon RaphaĂ«l de Volterre, on doit aussi faire honneur Ă PĂ©trone dâun grand nombre de Fragments poĂ©tiques sur la mĂ©decine ; mais, comme lâobserve Conrad Gesner, il est Ă©vident que lâon confond ici PĂ©trone avec Petrichius, qui, au rapport de Pline, a Ă©crit en vers sur les matiĂšres mĂ©dicales. Enfin, La Monnoie donne, sans hĂ©siter, Ă PĂ©trone, la jolie Ă©pigramme latine de la Boule de neige, quâAntoine Govea sâest appropriĂ©e, page 11 de son Recueil, imprimĂ© Ă Lyon en 1540, chez SĂ©bastien Gryphius. Les bibliomanes, qui dĂ©sireraient avoir sous les yeux une nomenclature plus Ă©tendue des diverses Ă©ditions de PĂ©trone, peuvent consulter lâHistoire de la littĂ©rature française, par Labastide et dâUssieux. II DES PRINCIPALES TRADUCTIONS FRANĂAISES DE PĂTRONE. Il semble quâun auteur aussi galant que PĂ©trone ne pouvait manquer de trouver en France beaucoup de traducteurs ou dâimitateurs. Cependant nous ne sommes pas trĂšs riches de ce cĂŽtĂ©. Le premier morceau du Satyricon que lâon ait fait passer en notre langue est la Matrone dâĂphĂšse, et câest un moine qui sâen avisa. On la trouve sous le titre de Fable du chevalier et de la femme veuve, dans celles dâĂsope, dâAvianus et du Poge, publiĂ©es en français, lâan 1475, par frĂšre Julien des Augustins de Lyon, docteur en thĂ©ologie. Comme il nâexiste point dâĂ©dition de PĂ©trone qui date de si loin, frĂšre Julien avait probablement tirĂ© cette fable de quelque manuscrit du Satyricon, enseveli dans la bibliothĂšque de son couvent ; mais il nâen dit rien. Câest sur le mĂȘme Ă©pisode que Brinon de Baumartin bĂątit, en 1614, sa tragi-comĂ©die de lâĂphĂ©sienne. On en trouve aussi une imitation dans le QuatriĂšme discours de BrantĂŽme sur les femmes galantes ; une autre dans la trente-quatriĂšme lettre du Recueil Ă©pistolaire de MĂ©rĂ©. Tout le monde sait que La Fontaine a fait de la Matrone dâĂphĂšse lâun de ses plus jolis contes. Saint-Ăvremond sâest Ă©galement amusĂ© Ă traduire ce passage cĂ©lĂšbre sa traduction, assez littĂ©rale, est en prose, et suit immĂ©diatement sa Dissertation sur PĂ©trone. Elle a trouvĂ© un nouveau traducteur dans Lavaleterie [19] . On doit encore Ă ce dernier une imitation du dĂ©but de PĂ©trone contre les dĂ©clamateurs. FrĂ©ron, dans ses Opuscules, a traduit le mĂȘme fragment. PrĂ©pĂ©tit de Grammont a mis en vers français ceux que dĂ©clame Agamemnon sur la poĂ©sie latine. Ces diffĂ©rents essais sont agrĂ©ables Ă lire ; mais ils sont loin de soutenir la comparaison avec lâoriginal, dont ils ne sont quâune faible copie ; jâen excepte le conte de La Fontaine. Dans son Histoire amoureuse des Gaules, Bussy-Rabutin introduit le comte de Guiche racontant sa dolente aventure avec la comtesse dâOlonne. Ses rendez-vous, ses dĂ©sirs, son impatience amoureuse cruellement trompĂ©e par ses sens en dĂ©faut, ses serments de rĂ©parer sa faute, sa rechute involontaire, lâemportement de sa maĂźtresse, tout, jusquâaux lettres des deux amants, est une traduction littĂ©rale des Amours de PolyĆnos et de CircĂ©. Rabutin nâavait point indiquĂ© la source oĂč sa plume trop maligne avait puisĂ© les parties offensĂ©es ne prirent point la raillerie, comme Joconde, en vĂ©ritables gens de cour. Lâindiscret plagiaire pouvait acheter sa grĂące, en dĂ©celant dans PĂ©trone le principal et le premier coupable ; mais lâamour-propre du bel-esprit lâemporta ; il ne dit rien, et son silence lui valut la Bastille et lâexil. Nul peut-ĂȘtre nâĂ©tait plus capable de faire parler PĂ©trone en français que Bussy-Rabutin. On assure quâil lâavait entrepris de concert avec le marĂ©chal de Vivonne et le cĂ©lĂšbre abbĂ© de la Trappe ; mais les scrupules tardifs du dernier firent Ă©chouer ce projet. Il nâest personne qui ne connaisse la traduction en vers du poĂ«me de la Guerre civile, donnĂ©e en 1737 par le prĂ©sident Bouhier. Le public applaudit alors Ă son Ă©lĂ©gance ; on y voudrait aujourdâhui plus de chaleur ; mais la critique la plus sĂ©vĂšre ne contestera jamais aux notes qui lâaccompagnent le mĂ©rite du goĂ»t le plus pur et de lâĂ©rudition sans faste. Parmi les mille et une traductions dont lâinfatigable abbĂ© de Marolles fit gĂ©mir les presses de son siĂšcle, on compte une version en prose du festin de Trimalchion, publiĂ©e en 1677, et non moins plate quâinfidĂšle. Goujet attribue encore Ă lâabbĂ© de Marolles le PĂ©trone en vers français, imprimĂ© chez Barbin en 1667, dâaprĂšs lâĂ©dition latine de GabbĂ©ma. Marolles, dont la modestie nâĂ©tait pas la vertu favorite, et qui se vantait avec complaisance dâavoir enfantĂ© cent trente trois mille cent vingt-quatre vers, se dĂ©guisa pourtant, dans ce recueil, sous les lettres M. L. D. B. ; mais il aurait dĂ» condamner ses vers maussades Ă lâoubli, comme alors il y condamna son nom. On prĂ©tend, ajoute Goujet, que François Galaup de Chasteuil, Provençal, homme de beaucoup dâesprit, mort en 1678, avait traduit tout ce qui nous reste de PĂ©trone ; et Gui-Patin parle, dans ses Lettres, dâun savant qui, aprĂšs avoir rempli les lacunes du Satyricon, ne put obtenir la permission dâen publier une Ă©dition latine et française. Les Ă©diteurs des poĂ©sies de Lainez attribuent Ă cet aimable Ă©picurien une traduction complĂšte du Satyricon ; elle sâest perdue manuscrite, et lâon ne peut que regretter cette perte. Les Fragments dâhistoire et de littĂ©rature, imprimĂ©s Ă la Haye, en 1706, parlent dâune autre traduction anonyme de la premiĂšre partie du Festin de Trimalchion, publiĂ©e en 1687. Le traducteur, dit-on dans ces Fragments, a trouvĂ© le secret de changer un auteur trĂšs-impur en un poĂ«te trĂšs-chaste, qui peut ĂȘtre lu par les dĂ©votes mĂȘmes dans leurs moments de loisir. » Beau service rendu Ă PĂ©trone ! Fabricius, dans sa BibliothĂšque latine, fait mention dâune traduction plus complĂšte par Venette, auteur du Tableau de lâamour conjugal. Elle parut Ă Amsterdam en 1697 ; mais elle Ă©tait dĂ©jĂ devenue si rare au bout de quelques annĂ©es, que les compilateurs de lâHistoire littĂ©raire de France, malgrĂ© toutes leurs recherches, ne purent, de leur aveu mĂȘme, sâen procurer un seul exemplaire. Ce savant mĂ©decin avait aussi composĂ© un dictionnaire raisonnĂ© du Satyricon, pour en faciliter lâintelligence il est restĂ© manuscrit. Il est plus aisĂ© de se procurer la traduction du Festin de Trimalchion [20] , donnĂ©e par Lavaur, en 1726, sous le titre dâHistoire secrĂšte de NĂ©ron. Les notes et la prĂ©face en sont la partie la plus estimable. Nodot, dĂ©jĂ connu par ses Fragments de Belgrade, voulut avoir lâhonneur dâenrichir le public de ce quâil appelait une traduction entiĂšre du Satyricon. Sa premiĂšre Ă©dition parut, en 1694, Ă Cologne ; la seconde, plus estimĂ©e, est de 1713, Ă Paris. On ne peut nier quâil nâait assez fidĂšlement rendu les pensĂ©es de lâoriginal ; mais sa prose dĂ©nuĂ©e de grĂące et ses vers prosaĂŻques nâont fait de PĂ©trone quâun squelette pour ceux qui ne peuvent lâadmirer dans sa langue. Ses notes historiques et critiques supposent plus de connaissance des usages antiques que dâhabitude Ă sentir les beautĂ©s des anciens. Son Ă©dition a du moins cela de recommandable pour les esprits superficiels, quâelle est la seule qui rĂ©unisse Ă un texte sans lacune apparente une traduction assez exacte, quoique fort maussade. En 1742 parut Ă Londres, chez Nourse, une traduction nouvelle de PĂ©trone, par Dujardin, cachĂ© sous le nom de BoisprĂ©aux. Il a suivi, comme Nodot, le texte de Belgrade ; mais il sâest dispensĂ© de le joindre Ă sa traduction. Elle est plus Ă©lĂ©gante, plus vive, plus enjouĂ©e que celle de son prĂ©dĂ©cesseur ; mais BoisprĂ©aux, moins fidĂšle que lui, tronque souvent lâoriginal, mĂȘme dans sa prose, ce qui ne peut sâexcuser. Sa plume, quâil croit lâĂ©pĂ©e dâAlexandre, coupe le nĆud gordien quâil eĂ»t fallu dĂ©lier. Est-ce pour se dĂ©rober au dĂ©savantage de la comparaison que BoisprĂ©aux a privĂ© du texte les admirateurs de PĂ©trone [21] ? Ce qui me plairait le plus dans son ouvrage serait la prĂ©face, si elle ne pouvait passer pour un plagiat de Saint-Ăvremond, quâil ne daigne pas nommer. La derniĂšre traduction de PĂ©trone que je connaisse est celle de Durand, publiĂ©e par GĂ©rard, Paris, 1803 ; elle nâest pas plus exacte que celle de BoisprĂ©aux comme lui, le nouveau traducteur allonge, tronque lâoriginal Ă sa fantaisie, au point de le rendre quelquefois mĂ©connaissable. Jâallais augmenter cette dissertation dâun beau chapitre sur la morale de PĂ©trone ; mais, me suis-je dit, ce titre seul menacerait dâun sermon, et ce siĂšcle nâaime pas les sermons. Jâai donc dĂ©chirĂ© mon chapitre. T. PĂTRONE LE SATYRICON DE T. PĂTRONE CHEVALIER ROMAIN __________ CHAPITRE I. Il y a bien longtemps que je vous promets le rĂ©cit de mes aventures ; je veux tenir aujourdâhui ma parole. Puisque nous voici rĂ©unis, moins pour nous livrer Ă des dissertations savantes, que pour ranimer par des contes plaisants la gaietĂ© de nos entretiens, profitons, mes amis, de lâheureuse occasion qui nous rassemble. Fabricius VĂ©jento vient de vous entretenir, en homme dâesprit, des impostures sacerdotales. Il vous a peint les prĂȘtres prĂ©parant Ă loisir leurs fureurs prophĂ©tiques, ou commentant avec impudence des mystĂšres quâils ne comprennent point. Mais[1] est-elle moins plaisante, la manie des dĂ©clamateurs ? Entendez-les sâĂ©crier â Ces blessures honorables, câest pour la libertĂ© que je les ai reçues ! Cet Ćil qui me manque, câest pour vous que je lâai perdu ! Qui me donnera un guide pour me conduire vers mes enfants ? mes genoux cicatrisĂ©s[2] flĂ©chissent sous le poids de mon corps ! â Tant dâemphase serait supportable, si elle ouvrait Ă leurs Ă©lĂšves la route de lâĂ©loquence ; mais cette enflure de style, ce jargon sentencieux, Ă quoi servent-ils ? Les jeunes gens, lorsquâils dĂ©butent au barreau, se croient transportĂ©s dans un nouveau monde. Ce qui fait de nos Ă©coliers autant de maĂźtres sots, câest que tout ce quâils voient et entendent dans les Ă©coles ne leur offre aucune image de la sociĂ©tĂ©. Sans cesse on y rebat leurs oreilles de pirates en embuscade sur le rivage et prĂ©parant des chaĂźnes Ă leurs captifs ; de tyrans dont les barbares arrĂȘts condamnent des fils Ă dĂ©capiter leurs propres pĂšres ; dâoracles dĂ©vouant Ă la mort trois jeunes vierges, et quelquefois plus, pour le salut des villes dĂ©peuplĂ©es par la peste. Câest un dĂ©luge de pĂ©riodes mielleuses agrĂ©ablement arrondies actions et discours, tout est saupoudrĂ© de sĂ©same et de pavot. CHAPITRE II. Nourri de pareilles fadaises, comment leur goĂ»t pourrait-il se former ? un cuistre sent toujours sa cuisine[1]. Ne vous en dĂ©plaise, Ă rhĂ©teurs, câest de vous que date la chute de lâĂ©loquence. En rĂ©duisant le discours Ă une harmonie puĂ©rile, Ă de vains jeux de mots, vous en avez fait un corps sans Ăąme, un squelette. On nâexerçait pas encore la jeunesse Ă ces dĂ©clamations, quand le gĂ©nie des Sophocle et des Euripide crĂ©a pour la scĂšne un nouveau langage. Un pĂ©dant, croupi dans la poussiĂšre des classes, nâĂ©touffait point encore le talent dans son germe, quand la muse de Pindare et de ses neuf rivaux osa faire entendre des chants dignes dâHomĂšre[2]. Et, sans citer les poĂ«tes, je ne vois point que Platon ni DĂ©mosthĂšne se soient exercĂ©s dans ce genre de composition. Semblable Ă une vierge pudique, la vĂ©ritable Ă©loquence ne connaĂźt point le fard. Simple et modeste, elle sâĂ©lĂšve naturellement, et nâest belle que de sa propre beautĂ©. Câest depuis peu que ce dĂ©bordement dâexpressions boursouflĂ©es a refluĂ© de lâAsie dans AthĂšnes. Astre malin, son influence meurtriĂšre a comprimĂ© chez la jeunesse les Ă©lans du gĂ©nie, et dĂšs lors les sources de la vĂ©ritable Ă©loquence se sont taries. Ă dater de cette Ă©poque, quel historien approcha de la perfection de Thucydide, de la renommĂ©e dâHypĂ©ride ? Citez-moi un seul vers oĂč le bon goĂ»t Ă©tincelle tous ces avortons littĂ©raires ressemblent Ă ces insectes quâun seul jour voit naĂźtre et mourir. La peinture a eu le mĂȘme sort, depuis que la prĂ©somptueuse Ăgypte abrĂ©gea les procĂ©dĂ©s et les rĂšgles de cet art sublime. â Je tenais un jour Ă peu prĂšs ce langage, quand Agamemnon sâapprocha de nous, et, dâun Ćil curieux, chercha Ă savoir quel Ă©tait lâorateur que la foule Ă©coutait avec tant dâattention. CHAPITRE III. Impatient de mâentendre pĂ©rorer si longtemps sous le portique, tandis quâil venait de sâenrouer sans succĂšs dans sa classe, Agamemnon mâadressa ainsi la parole â Jeune homme, vos expressions ne sont pas dans le goĂ»t du jour. Vous avez du bon sens, qualitĂ© rare Ă votre Ăąge ; je veux vous dĂ©voiler les secrets de mon art. Le vice de nos leçons nâest point la faute des professeurs. Devant des tĂȘtes sans cervelle, il faut bien quâon dĂ©raisonne. Comme lâa dit CicĂ©ron, si lâenseignement nâest point agrĂ©able Ă lâĂ©lĂšve, le maĂźtre reste bientĂŽt sans auditeurs. » Ainsi lâadroit parasite, qui veut ĂȘtre admis Ă la table du riche, prĂ©pare dâavance un choix de contes agrĂ©ables pour les convives il ne peut parvenir Ă son but sans tendre un piĂšge aux oreilles de ses auditeurs. Autrement, il en est du maĂźtre dâĂ©loquence comme du pĂȘcheur qui, faute dâattacher Ă ses hameçons lâappĂąt le plus propre Ă attirer le poisson, se morfond sur un rocher, sans espoir de butin. CHAPITRE IV. Ainsi donc le blĂąme doit retomber sur les parents seuls, eux qui redoutent pour leurs enfants une Ă©ducation mĂąle et sĂ©vĂšre. Ils commencent par sacrifier, comme le reste, leur espĂ©rance mĂȘme Ă lâambition ; ensuite, pour arriver plus promptement au but de leurs dĂ©sirs, ils lancent dans le barreau ces apprentis orateurs ; et lâĂ©loquence dont lâhomme mĂ»r peut Ă peine, de leur propre aveu, atteindre la hauteur, ils la rapetissent Ă la taille dâun marmot. Avec plus de patience, les Ă©tudes seraient mieux graduĂ©es ; on verrait une jeunesse studieuse Ă©purer insensiblement son goĂ»t par la mĂ©ditation des bons livres, plier peu Ă peu son Ăąme au joug de la sagesse, corriger impitoyablement son style, et Ă©couter avec une attention soutenue les modĂšles quâelle veut imiter ; enfin, on la verrait refuser son admiration Ă tout ce qui sĂ©duit ordinairement lâenfance. Câest alors que lâĂ©loquence reprendrait et sa noblesse et son imposante majestĂ©. Mais aujourdâhui ces mĂȘmes hommes qui, dans leur enfance, traitent lâĂ©tude comme un jeu, dans leur adolescence sont la fable du barreau, et, pour comble de folie, parvenus Ă la vieillesse, ne veulent point convenir du vice de leur premiĂšre Ă©ducation. Ce nâest pas que jâimprouve tout Ă fait cet art facile dâimproviser, dont Lucilius est le pĂšre[1] ; je vais moi-mĂȘme vous en donner un exemple de ma façon CHAPITRE V. Le gĂ©nie est enfant de la frugalitĂ©. Toi dont lâorgueil aspire Ă lâimmortalitĂ©, De la table des grands fuis le luxe perfide. Les vapeurs de Bacchus offusquent la raison, _______Et la vertu rigide Devant le vice heureux, craint de courber son front. On ne doit point te voir assis sur un théùtre, ____CouronnĂ© de honteuses fleurs, Aux applaudissements dâune foule idolĂątre ____MĂȘler dâindĂ©centes clameurs. Lâhonneur tâappelle Ă Naple ou dans le sein dâAthĂšne LĂ , ton premier encens fume pour Apollon, Et tu bois Ă longs traits lâonde castalienne. Vers Socrate bientĂŽt la sagesse tâentraĂźne ;____Et dĂ©jĂ ta main plus certaine, Saisit avec succĂšs la plume de Platon,____Ou les foudres de DĂ©mosthĂšne. Ă ton goĂ»t Ă©purĂ© le Parnasse latin Peut offrir Ă son tour les plus parfaits modĂšles, Soit que ta lyre chante ou les guerres cruelles, Ou des fils de PĂ©lops le tragique festin. Virgile des hĂ©ros Ă©ternisa la gloire ; LucrĂšce Ă la nature arracha son bandeau ;____CicĂ©ron tonnait au barreau ; Tacite des tyrans a flĂ©tri la mĂ©moireâŠ. Pour Ă©galer un jour ces Ă©crivains ; câest la source fĂ©conde DâoĂč tes vers, Ă plein bord, couleront comme lâonde____Dâun fleuve impĂ©tueux. CHAPITRE VI. Tandis que jâĂ©coutais avidement Agamemnon, Ascylte mâavait quittĂ© sans que je mâen aperçusse. Tout en rĂ©flĂ©chissant sur cette longue tirade, je vis le portique subitement inondĂ© dâune troupe de jeunes Ă©tudiants. Ils venaient sans doute dâassister Ă je ne sais quelle harangue quâavait improvisĂ©e certain rhĂ©teur, en rĂ©ponse Ă celle dâAgamemnon. Lâun en critiquait les pensĂ©es, lâautre en tournait le style en ridicule, un troisiĂšme nây trouvait ni plan, ni mĂ©thode. Moi, profitant de lâoccasion, je mâesquive parmi la foule ; et me voilĂ Ă la poursuite de mon fugitif. Grand Ă©tait mon embarras ; les chemins mâĂ©taient peu connus, et jâignorais oĂč Ă©tait situĂ©e notre auberge. AprĂšs bien des dĂ©tours, je revenais toujours au point dâoĂč jâĂ©tais parti. Enfin, extĂ©nuĂ© de fatigue, inondĂ© de sueur, jâaborde une petite vieille qui vendait de grossiers lĂ©gumes. CHAPITRE VII. â Bonne mĂšre, lui dis-je, ne sauriez-vous point oĂč je demeure ? â Cette naĂŻvetĂ© la fit sourire. â Pourquoi non ? rĂ©pond-elle gaiement. â AussitĂŽt elle se lĂšve et marche devant moi. Je la suis, tentĂ© de la croire inspirĂ©e. ArrivĂ©s ensemble vers une ruelle obscure, la vieille leva le rideau dâune porte ; puis â VoilĂ sans doute votre logis. â Je mâen dĂ©fendis, comme on pense. Pendant notre altercation, jâaperçois entre deux rangs dâĂ©criteaux, et, au milieu de femmes nues, des promeneurs mystĂ©rieux. Trop tard alors je reconnus le piĂšge jâĂ©tais dans une maison de prostitution. Furieux contre la maudite vieille, je me couvre la tĂȘte dâun pan de ma robe ; et me voilĂ courant de toute ma force Ă travers cette infĂąme demeure, jusquâĂ lâissue opposĂ©e. Je touchais au seuil de la porte, quand tout Ă coup je donne du nez contre Ascylte. Le malheureux Ă©tait non moins fatiguĂ©, non moins mourant que moi. On eĂ»t dit que la vieille sorciĂšre avait pris Ă tĂąche de nous rassembler lĂ tous les deux. Je ne pus mâempĂȘcher de lâaborder en riant. â Eh ! bonjour, mâĂ©criai-je ; que fais-tu donc dans cette honnĂȘte maison ? CHAPITRE VIII. â HĂ©las ! rĂ©pondit-il, en essuyant la sueur de son visage, si tu savais ce qui mâest arrivĂ© ! â Bon ! rĂ©pliquai-je, quây a-t-il de nouveau ? â Ascylte, dâune voix presque Ă©teinte, reprit en ces termes jâerrais de rue en rue sans pouvoir retrouver mon gĂźte. Un vieillard dâun extĂ©rieur vĂ©nĂ©rable mâaborde, et, voyant mon inquiĂ©tude, sâoffre obligeamment Ă me remettre sur la voie. Jâaccepte ; nous traversons plusieurs rues dĂ©tournĂ©es, et nous voilĂ dans cette maison. Ă peine arrivĂ©s, cet homme tire sa bourse dâune main, et de lâautreâŠ. LâinfĂąme ! il ose marchander mon dĂ©shonneur au poids de lâor. DĂ©jĂ la digne hĂŽtesse de ce lieu avait reçu le prix dâun cabinet ; dĂ©jĂ notre satyre me pressait dâun bras impudique. Sans la vigueur de ma rĂ©sistance, mon cher Encolpe, vous mâentendezâŠ. ! â Pendant ce rĂ©cit dâAscylte, survient prĂ©cisĂ©ment le vieillard en question, accompagnĂ© dâune femme assez jolie. Sâadressant Ă Ascylte â Dans cette chambre, dit-il, le plaisir vous attend ; rassurez-vous sur le genre du combat, le choix du rĂŽle est Ă votre disposition. â La jeune femme, de son cĂŽtĂ©, me pressait Ă©galement de consentir Ă la suivre. Nous nous laissĂąmes tenter ; et, sur les pas de nos guides, nous traversĂąmes plusieurs salles, théùtres lubriques des jeux de la voluptĂ©. Ă la fureur des combattants, on les eĂ»t crus ivres de satyrion[1]. Ă notre aspect, ils redoublĂšrent de postures lascives, pour nous engager Ă les imiter. Tout Ă coup lâun dâeux retrousse sa robe jusquâĂ la ceinture, et, se prĂ©cipitant sur Ascylte, le renverse sur un lit voisin, et veut lui faire violence. Je vole au secours du pauvre patient, et nos efforts rĂ©unis triomphent sans peine de ce brutal assaillant. Ascylte gagne aussitĂŽt la porte et sâenfuit, me laissant seul en butte aux attaques de leur dĂ©bauche effrĂ©nĂ©e ; mais, supĂ©rieur en force et en courage, je sortis sain et sauf de ce nouvel assaut. CHAPITRE IX. Je parcourus presque toute la ville avant de retrouver mon gĂźte. Enfin, comme Ă travers un Ă©pais brouillard, jâaperçus au coin dâune rue Giton debout sur la porte dâune auberge câĂ©tait la nĂŽtre. Jâentre, il me suit. â Mon ami, lui dis-je, quâavons-nous pour dĂźner ? â Pour toute rĂ©ponse, Giton sâassied sur le lit ; et ses larmes, quâil essuie vainement, coulent en abondance. Ămu de sa douleur, jâen veux connaĂźtre le sujet il sâobstine au silence ; jâinsiste ; aux priĂšres je mĂȘle les menaces ; il se rend enfin ; et montrant Ascylte â Cet ami si fidĂšle[1], dit-il, ce compagnon de vos plaisirs, Ascylte a devancĂ© ici votre venue. Me trouvant seul, il a voulu faire outrage par la force Ă ma pudeur. Jâai criĂ© Ă la violence ; mais lui, tirant son Ă©pĂ©e Si tu fais la LucrĂšce, mâa-t-il dit, tu as trouvĂ© ton Tarquin. » â Ă ces mots, peu sâen fallut que je nâarrachasse les yeux au perfide. â Que rĂ©pondras-tu, mâĂ©criai-je, infĂąme dĂ©bauchĂ©, plus vil que les plus viles courtisanes ! toi dont la bouche mĂȘme ne craint point de se souiller de la façon la plus honteuse ! â Ascylte affecte alors une indignation quâil ne sentait guĂšre ; et, agitant ses bras dâune maniĂšre menaçante, il le prend sur un ton beaucoup plus haut que le mien â Oses-tu parler, vil gladiateur ! sâĂ©crie-t-il Ă son tour ; toi, lĂąche assassin de ton hĂŽte ! qui nâes Ă©chappĂ© que par miracles aux charniers de lâamphithéùtre ! Oses-tu parler, toi, voleur de nuit, qui, mĂȘme lorsque tu nâĂ©tais pas encore rĂ©duit Ă lâimpuissance, nâas jamais Ă©tĂ© aux prises avec une femme honnĂȘte ! toi qui, dans certain bosquet, mâas fait servir un jour de GanymĂšde Ă ta lubricitĂ©, comme cet enfant tâen sert aujourdâhui dans ce cabaret. â Mais, repris-je, pourquoi tâesquiver pendant mon entretien avec Agamemnon ? CHAPITRE X. â ImbĂ©cile ! que voulais-tu que je fisse lĂ ? Je mourais de faim ; pouvais-je mâarrĂȘter Ă Ă©couter les sornettes dâun pĂ©dant, les rĂȘves dâun visionnaire ? Le scrupule te sied bien, quand, pour escroquer un souper, tu tâes fait le prĂŽneur dâun mĂ©chant poĂ«te. â Peu Ă peu cette ridicule dispute se tourna en plaisanterie. Nous commençùmes Ă parler plus doucement dâautres choses. Au fond pourtant la perfidie dâAscylte ne me laissait pas sans rancune. â Tiens, lui dis-je, toute rĂ©flexion faite, nos humeurs ne sympathisent point. Partant, faisons deux lots de notre petit bagage, et que chacun de nous aille tenter fortune de son cĂŽtĂ©. Nous pouvons nous flatter lâun et lâautre de quelque mĂ©rite littĂ©raire ; mais, pour ne pas aller sur tes brisĂ©es, je chercherai quelque autre profession ; autrement, ce serait entre nous chaque jour de nouveaux dĂ©bats, et nous serions bientĂŽt la fable de toute la ville. â Soit, rĂ©pond Ascylte. Mais nous sommes invitĂ©s ce soir Ă un grand souper en notre qualitĂ© de savants ; ne perdons pas une soirĂ©e si agrĂ©able, et demain, puisque vous le voulez, je saurai me pourvoir dâun gĂźte et dâun mignon. â Pourquoi remettre Ă demain, rĂ©pliquai-je, cet arrangement qui nous convient Ă tous deux ? â Câest lâamour qui me faisait dĂ©sirer si ardemment cette sĂ©paration. Depuis longtemps jâaspirais Ă me dĂ©barrasser dâun tĂ©moin importun pour me livrer sans contrainte Ă ma passion pour Giton. â Ascylte, piquĂ© au vif, sortit brusquement sans dire mot. Son dĂ©part prĂ©cipitĂ© Ă©tait dâun sinistre augure. Connaissant lâemportement de ce jeune homme, et la fougue de ses passions, je le suivis pour observer ses dĂ©marches et dĂ©jouer ses projets ; mais il se dĂ©roba bientĂŽt Ă ma vue, et toutes mes recherches furent inutiles. CHAPITRE XI. AprĂšs avoir furetĂ© dans tous les quartiers de la ville, je rentrai au logis, et je me consolai dans les bras de Giton. Je lâenlaçai des plus Ă©troits embrassements, et mon bonheur, Ă©gal Ă mes dĂ©sirs, fut vĂ©ritablement digne dâenvie. Nous prĂ©ludions Ă de nouveaux plaisirs, quand, arrivant Ă pas de loup, Ascylte enfonce la porte avec fracas, et nous surprend, Giton et moi, au milieu de nos plus vives caresses. AussitĂŽt, remplissant notre Ă©troite demeure de ses Ă©clats de rire et de ses applaudissements, le perfide lĂšve gravement le manteau qui nous couvrait â Ah ! ah ! dit-il, que faisiez-vous lĂ , homme de bien[1] ? Quoi ! logĂ©s Ă deux sous la mĂȘme couverture ! â Non content de ces sarcasmes, le coquin dĂ©tache sa ceinture de cuir, et le voilĂ qui mâĂ©trille, non de main morte, en ajoutant insolemment â Cela tâapprendra une autre fois Ă ne pas rompre avec Ascylte ! â Tant dâaudace mâatterra. Il fallut bien digĂ©rer en silence les Ă©pigrammes et les coups. Je pris donc la chose en plaisanterie câĂ©tait le plus prudent ; sans cela il eĂ»t fallu en venir Ă un combat sĂ©rieux avec mon rival. Ma fausse gaietĂ© lâapaisa. â Encolpe, me dit-il en souriant, tu tâendors dans la mollesse, et tu ne songes pas que lâargent nous manque ! Ce qui nous reste est peu de chose. La ville nâoffre aucune ressource dans les beaux jours ; la campagne nous sera, jâespĂšre, plus propice ; allons voir nos amis. â Quelque dur quâil me fĂ»t dâavaler ainsi la pilule, je fis de nĂ©cessitĂ© vertu. Giton se chargea de notre mince bagage ; nous sortĂźmes de la ville, et nous nous dirigeĂąmes vers le chĂąteau de Lycurgue, chevalier romain. Ascylte avait eu jadis des bontĂ©s pour lui ; il nous reçut dâune maniĂšre affable ; nous trouvĂąmes bonne compagnie, et nous y passĂąmes le temps trĂšs-agrĂ©ablement. Parmi les femmes rĂ©unies en ce lieu, TryphĂšne Ă©tait la plus jolie. Elle Ă©tait venue avec un patron de vaisseau nommĂ© Lycas, possesseur de quelques domaines sur le bord de la mer. Si la table de Lycurgue nâĂ©tait pas splendide, sa maison de campagne, en rĂ©compense, nous offrit Ă profusion tous les autres plaisirs. Vous saurez dâabord que lâamour prit soin de nous assortir par couples. TryphĂšne Ă©tait belle elle me plut, et ne se montra pas rebelle Ă mes vĆux. Mais, Ă peine goĂ»tions-nous ensemble les premiers plaisirs, quand Lycas, sâĂ©criant que je lui volais sa maĂźtresse, sâavisa dâexiger que je la remplaçasse auprĂšs de lui. Leur intrigue commençait Ă vieillir, et il me proposa gaiement de lâindemniser par cet Ă©change. BientĂŽt son caprice pour moi devint une vĂ©ritable persĂ©cution ; mais mon cĆur brĂ»lait pour TryphĂšne, et je fermais lâoreille aux propositions de Lycas. Le refus irritant ses dĂ©sirs, il me suivait partout. Une nuit, il pĂ©nĂštre dans ma chambre ; se voyant rebutĂ©, il passe des priĂšres Ă la violence mes cris furent si aigus, quâils rĂ©veillĂšrent les valets ; et, grĂące au secours de Lycurgue, jâĂ©chappai sain et sauf aux attaques de ce brutal. Voyant que la maison de Lycurgue opposait trop dâobstacles Ă ses desseins, Lycas voulut mâattirer chez lui. Sur mon refus, il mâen fit de nouveau prier par TryphĂšne. Cette complaisance coĂ»ta dâautant moins Ă la belle, quâelle se flattait de trouver chez Lycas plus de libertĂ©. Je suivis enfin lâimpulsion de lâamour, et voici ce que nous dĂ©cidĂąmes Lycurgue gardait Ascylte son ancien goĂ»t pour lui sâĂ©tait rĂ©veillĂ© ; Giton et moi nous devions suivre Lycas. Il fut en outre convenu, entre Ascylte et moi, que le butin que chacun de nous pourrait faire dans lâoccasion appartiendrait de droit Ă la masse commune. Ravi de cet arrangement, lâimpatient Lycas hĂąta notre dĂ©part. Nous prĂźmes donc sur le champ congĂ© de nos amis, et nous arrivĂąmes le mĂȘme jour chez Lycas. Il avait si bien pris ses mesures quâil Ă©tait placĂ© Ă cĂŽtĂ© de moi dans la route, et TryphĂšne, prĂšs de Giton. Il connaissait lâinconstance de cette femme ; câĂ©tait un piĂ©ge quâil lui tendait ; elle y fut prise. PrĂšs de cet aimable enfant, le cĆur de TryphĂšne fut bientĂŽt en feu. Je ne tardai point Ă mâen apercevoir ; et Lycas, comme on peut le croire, ne cherchait point Ă mâen dissuader. Cette circonstance introduisit dans notre commerce moins de froideur de ma part, ce qui le combla de joie. Il espĂ©rait que le dĂ©pit me ferait oublier lâinfidĂšle, et quâil gagnerait sur mon cĆur ce quâelle y perdait de son empire. Telle Ă©tait notre situation rĂ©ciproque chez Lycas. Si TryphĂšne se consumait dâamour pour Giton, Giton le lui rendait de son mieux, et leur flamme mutuelle Ă©tait un double tourment pour moi. Cependant Lycas, pour me plaire, inventait chaque jour de nouveaux plaisirs. Sa jeune Ă©pouse, lâaimable Doris, les embellissait en les partageant ; et ses grĂąces chassĂšrent enfin TryphĂšne de mon cĆur. Mes yeux languissants firent bientĂŽt Ă Doris lâaveu de mon amour ; et ses regards plus animĂ©s me promirent un doux retour. Cette Ă©loquence muette, plus rapide, plus expressive que la parole, fut seule pendant quelque temps lâinterprĂšte discret de nos dĂ©sirs. La jalousie de Lycas ne mâavait point Ă©chappĂ©, et lâamoureuse Doris ne pouvait ĂȘtre la dupe des attentions de son mari pour moi ; câest ce qui nous forçait au silence. DĂšs notre premiĂšre entrevue, elle me communiqua ses soupçons. En avouant de bonne foi ce quâil en Ă©tait, je fis adroitement valoir auprĂšs dâelle la rĂ©sistance sĂ©vĂšre que jâavais toujours opposĂ©e Ă son mari. Mais, admirez les ressources de lâesprit fĂ©minin ! â Usons de ruse, me dit-elle ; et, pour possĂ©der Doris, souffrez que Lycas vous possĂšde. â Je suivis ce conseil, et je mâen trouvai bien. Cependant Giton, Ă©puisĂ© par TryphĂšne, tĂąchait de rĂ©parer ses forces par un peu de repos. Lâinconstante alors revint Ă moi. Mes rebuts changĂšrent son amour en fureur. Sans cesse attachĂ©e Ă mes pas, elle eut bientĂŽt dĂ©couvert ma double intrigue avec les deux Ă©poux. Le goĂ»t du mari pour moi ne la sevrait de rien ; elle sâen inquiĂ©ta peu, mais elle rĂ©solut de troubler mes amours furtifs avec Doris. Elle court chez Lycas, et lui dĂ©voile tout le mystĂšre. DĂ©jĂ la jalousie de cet homme, plus forte que son amour, mĂ©ditait une vengeance Ă©clatante. Heureusement Doris fut prĂ©venue Ă temps par lâune des femmes de sa rivale, et, pour conjurer lâorage, nous suspendĂźmes nos rendez-vous et nos plaisirs. IndignĂ© de la perfidie de TryphĂšne et de lâingratitude de Lycas, je rĂ©solus de quitter la place. Lâoccasion Ă©tait dâautant plus favorable que, la veille, un vaisseau richement chargĂ© dâoffrandes pour la fĂȘte dâIsis avait Ă©chouĂ© sur la cĂŽte voisine. Je tins lĂ -dessus conseil avec Giton. Mon dessein ne pouvait que lui plaire ; car son Ă©tat de faiblesse ne lui valait plus auprĂšs de TryphĂšne que des dĂ©dains. Le lendemain donc, dĂšs la pointe du jour, nous gagnĂąmes le rivage de la mer. Nous montĂąmes Ă bord dâautant plus aisĂ©ment que nous Ă©tions dĂ©jĂ connus des gens prĂ©posĂ©s par Lycas Ă la garde du navire. Pour mieux nous en faire les honneurs, ils se crurent obligĂ©s de nous accompagner partout. Tant de politesse ne faisait pas notre compte ; elle nous liait les mains. Aussi, laissant Giton avec eux, je mâesquive adroitement. Dans une chambre voisine de la poupe Ă©tait la statue de la dĂ©esse ; je mây glisse. Une robe prĂ©cieuse la couvrait, et sa main portait un sistre dâargent ; jâenlĂšve le sistre et la robe. De lĂ , passant dans la cabine du pilote, je fais un paquet des meilleures nippes, puis, Ă lâaide dâun cĂąble officieux, je mâĂ©lance hors du vaisseau. Giton seul avait observĂ© mes dĂ©marches ; il se dĂ©barrasse adroitement de ses gardes, et me rejoint un moment aprĂšs. DĂšs que je lâaperçus, je lui montrai ma proie, et nous convĂźnmes dâaller trouver Ascylte au plus tĂŽt ; mais nous ne pĂ»mes arriver que le lendemain Ă la maison de Lycurgue. En abordant Ascylte, je le mis en peu de mots au fait de notre heureux larcin et des revers que nous avions Ă©prouvĂ©s dans nos amours. DâaprĂšs son conseil, je courus prĂ©venir lâesprit de Lycurgue en notre faveur ; je lâassurai que les nouvelles importunitĂ©s de Lycas avaient seules motivĂ© le secret et la promptitude de notre dĂ©part. Lycurgue, persuadĂ© par mon discours, jura de nous dĂ©fendre envers et contre tous. Ce ne fut quâau rĂ©veil de TryphĂšne et de Doris quâon sâaperçut de notre disparition. Chaque matin, nous assistions galamment Ă la toilette de ces dames, et notre absence inattendue devait sembler Ă©trange. AussitĂŽt Lycas met ses gens en campagne ; les recherches se dirigent surtout vers la cĂŽte on apprend notre tournĂ©e sur le tillac du navire ; mais du vol point de nouvelles, car la poupe tournait le dos au rivage, et le pilote Ă©tait encore Ă terre. Trop assurĂ© de notre Ă©vasion, Lycas, furieux, sâen prit Ă Doris, quâil crut en ĂȘtre la cause. Injures, menaces, coups mĂȘme, sans doute le brutal ne mĂ©nagea rien ; mais jâignore les dĂ©tails je dirai seulement que lâauteur de tout ce vacarme, TryphĂšne, persuada Ă Lycas de chercher ses fugitifs chez Lycurgue, oĂč nous aurions probablement trouvĂ© un asile elle sâoffrit mĂȘme de lâaccompagner dans cette poursuite, pour nous accabler dâoutrages et jouir de notre confusion bien mĂ©ritĂ©e. DĂšs le lendemain, ils se mettent en route et arrivent au chĂąteau de Lycurgue. Nous venions dâen sortir avec notre hĂŽte, qui nous avait conduits Ă la fĂȘte dâHercule, quâon cĂ©lĂ©brait dans un bourg voisin. Ă cette nouvelle, ils prennent la mĂȘme route, et nous nous rencontrons sous le portique du temple. Leur abord nous dĂ©concerta. Lycas querellait dĂ©jĂ Lycurgue au sujet de notre fuite, mais une rĂ©ponse fiĂšre et menaçante lui ferma bientĂŽt la bouche. Fort de lâappui de Lycurgue, jâĂ©lĂšve la voix Ă mon tour ; je reproche hautement Ă Lycas les assauts scandaleux livrĂ©s Ă ma pudeur par sa lubricitĂ©, tantĂŽt chez lui, tantĂŽt chez Lycurgue. TryphĂšne veut dĂ©fendre Lycas ; elle en fut bien punie ! Le bruit de notre querelle avait arrĂȘtĂ© les passants je dĂ©voile en leur prĂ©sence la turpitude de cette femme ; puis, montrant successivement et Giton et moi-mĂȘme â Vous le voyez, mâĂ©criai-je ; sa pĂąleur et la mienne ne dĂ©posent que trop contre cette Messaline ! â AtterrĂ©s de voir que les rieurs Ă©taient pour nous, nos ennemis se retirent confus, mais jurant tout bas de se venger. Ne pouvant plus douter de la prĂ©vention de Lycurgue en notre faveur, Lycas et TryphĂšne rĂ©solurent de lâattendre chez lui, pour le dĂ©tromper de son erreur. La fĂȘte dura jusquâau soir il Ă©tait trop tard pour aller coucher au chĂąteau. Lycurgue nous mena donc dans une petite maison de campagne, situĂ©e Ă moitiĂ© chemin. Le lendemain, obligĂ© de retourner chez lui pour ses affaires, il partit sans nous Ă©veiller. En arrivant au chĂąteau, il y trouva Lycas et TryphĂšne qui lâattendaient ; ils surent le circonvenir avec tant dâadresse, quâils lui arrachĂšrent une promesse de nous livrer entre leurs mains. Naturellement cruel et sans foi, Lycurgue ne songea plus quâaux moyens dâexĂ©cuter son perfide projet. Il fut arrĂȘtĂ© que Lycas irait chercher main-forte, tandis que Lycurgue nous ferait garder Ă vue dans sa maison de campagne. Ă peine arrivĂ©, il nous aborde avec autant de sĂ©vĂ©ritĂ© que Lycas lui-mĂȘme ; ensuite, croisant gravement les bras, il nous accuse dâavoir impudemment calomniĂ© son ami ; puis, sans vouloir mĂȘme entendre son cher Ascylte en notre faveur, il le pousse hors de la chambre oĂč nous Ă©tions couchĂ©s, nous y renferme Ă double tour, reprend avec Ascylte la route du chĂąteau, et nous laisse lĂ sous bonne garde jusquâĂ son retour. Pendant la route, Ascylte essaya vainement de flĂ©chir lâĂąme de Lycurgue priĂšres, larmes, caresses, rien ne peut lâĂ©mouvoir. Il rĂȘve alors aux moyens de briser nos fers. OutrĂ© de la duretĂ© de Lycurgue, il refuse dĂšs le soir mĂȘme de partager son lit, et parvient ainsi Ă exĂ©cuter plus aisĂ©ment le projet quâil avait mĂ©ditĂ©. Voyant les gens de Lycurgue ensevelis dans leur premier sommeil, Ascylte charge notre bagage sur ses Ă©paules, sâĂ©chappe par une brĂšche de mur quâil avait remarquĂ©e, arrive avec lâaube du jour au pied-Ă -terre qui nous servait de prison, y pĂ©nĂštre sans obstacle, et le voilĂ dans notre chambre. Les gardes avaient eu soin dâen fermer la porte ; mais la serrure nâĂ©tait que de bois, et nâoffrait que peu de rĂ©sistance un morceau de fer quâil y introduisit suffit pour lâouvrir. En dĂ©pit de notre mauvaise fortune, nous dormions sur lâune et lâautre oreilles, et il ne fallut pas moins que la chute des verrous pour nous rĂ©veiller. Heureusement ce bruit ne fut entendu que de nous fatiguĂ©s dâavoir veillĂ© toute la nuit, nos Argus continuĂšrent de ronfler comme auparavant. AprĂšs un court rĂ©cit de ce quâil avait fait en notre faveur, Ascylte nâeut pas besoin de nous montrer la porte. Tout en nous habillant Ă la hĂąte, il me vint en idĂ©e de tuer nos gardes et de piller la maison. Ascylte, Ă qui jâen fis part, approuva le pillage â Mais point de sang, dit-il, si lâon peut sortir dâici sans en rĂ©pandre. Je connais les ĂȘtres du logis, suivez-moi. â Ă ces mots, il nous conduit vers un riche garde-meuble dont il nous ouvre les portes, et nous dĂ©valisons Ă lâenvi les effets les plus prĂ©cieux. Le jour qui commençait Ă poindre nous avertit de dĂ©camper ; nous prĂźmes un chemin dĂ©tournĂ© ; et quand nous fĂźmes halte, nous Ă©tions hors de toute atteinte. Reprenant enfin haleine, Ascylte nous fit part de la joie quâil avait Ă©prouvĂ©e Ă piller la maison de Lycurgue, le plus avare des mortels. Il nâavait pas tort de maudire ce ladre. Mauvais vin et maigre chĂšre, jamais le moindre cadeau, voilĂ comme les complaisances dâAscylte avaient Ă©tĂ© payĂ©es telle Ă©tait la lĂ©sine du personnage, quâau milieu de ses richesses immenses, il se refusait mĂȘme le nĂ©cessaire Vers une eau dĂ©sirĂ©e, ou sur un fruit voisin, Toujours Tantale avance ou la bouche ou la main Toujours le fruit, rebelle Ă la main qui le touche, Recule, et lâeau perfide a fui loin de sa est lâavare entourĂ© dâ des yeux seuls quâil boit, quâil mangeâŠ. Pauvre insensĂ© ! pour prix de ce repas Ă©trange,____Meurs de faim sur ton coffre-fort ! Ascylte voulait rentrer le mĂȘme jour Ă Naples. Je lui fis sentir son imprudence la justice probablement y serait bientĂŽt sur nos traces ; mais quelques jours dâabsence dĂ©payseraient nos espions, et nos fonds nous permettaient de courir la campagne. Il revint Ă mon avis. Dans le voisinage, sâĂ©levait un hameau peuplĂ© de jolies maisons de plaisance, oĂč plusieurs de nos amis Ă©taient venus passer la belle saison ; mais, Ă moitiĂ© chemin, surpris tout Ă coup par une grosse pluie, nous courĂ»mes nous rĂ©fugier dans une auberge de village qui se trouvait sur la route, et dans laquelle un grand nombre de passants Ă©taient venus chercher un abri contre lâorage. Confondus dans la foule, personne ne prenait garde Ă nous. Tandis que nous guettions lâoccasion de faire un coup de main, Ascylte aperçoit Ă terre un petit sac qui le tente ; il le ramasse sans ĂȘtre vu de personne, et y trouve plusieurs piĂšces dâor. Joyeux dâun si bon augure, mais craignant les rĂ©clamations, nous gagnons une porte de derriĂšre. Un valet y sellait des chevaux ; ayant apparemment oubliĂ© quelque chose, il les quitta pour retourner Ă lâĂ©curie. Profitant de son absence, je dĂ©tache dâune des selles un superbe manteau ; puis, filant le long des masures jusquâĂ la forĂȘt prochaine, nous disparaissons tout Ă coup. RassurĂ©s enfin par lâĂ©paisseur du bois, nous songeĂąmes Ă cacher notre or, tant dans la crainte des voleurs, que de peur de passer pour tels. Nous nous dĂ©terminĂąmes Ă le coudre dans la doublure dâune vieille robe, et je la mis sur mes Ă©paules. Ascylte se chargea du manteau que jâavais dĂ©robĂ©, et, par des routes dĂ©tournĂ©es, nous nous acheminĂąmes vers la ville. Mais, au sortir du bois, une voix sinistre frappe nos oreilles â Ils ne peuvent, disait-on, nous Ă©chapper ; ils sont entrĂ©s dans la forĂȘt ; partageons-nous, nous les prendrons plus aisĂ©ment. â Ces mots furent pour nous un coup de foudre. Soudain, Ascylte et Giton de fuir vers la ville Ă travers les buissons, et moi de rebrousser chemin. La peur me donnait des ailes. Dans la chaleur de la course, ma chĂšre robe, dĂ©positaire de mon or, avait glissĂ© de dessus mes Ă©paules, sans que je mâen aperçusse. BientĂŽt, rendu, hors dâhaleine, je mâĂ©tends au pied dâun arbre, pour respirer un peu. Alors seulement mes yeux sâouvrent sur ma perte la douleur me rend mes forces ; je me lĂšve pour chercher mon trĂ©sor. Temps perdu ! peine inutile ! le corps brisĂ©, le dĂ©sespoir dans lâĂąme, je mâenfonce au plus fort du bois. LĂ , quatre heures entiĂšres, je reste seul, absorbĂ© dans ma mĂ©lancolie. Cependant, pour mâarracher aux sombres pensĂ©es que mâinspirait cette affreuse solitude, je cherche une issue pour en sortir. Ă quelques pas de lĂ , un campagnard sâoffre Ă ma rencontre. Jâeus besoin alors de tout mon courage, et, par bonheur, il ne fut point en dĂ©faut. Jâaborde mon homme dâun air ferme â Depuis tantĂŽt, lui dis-je, Ă©garĂ© dans cette forĂȘt, je cherche vainement le chemin de la ville ; voulez-vous bien me lâenseigner ? â JâĂ©tais plus pĂąle que la mort, et crottĂ© jusquâĂ lâĂ©chine. Mon Ă©tat lui fit pitiĂ©. AprĂšs mâavoir demandĂ© si je nâavais rencontrĂ© personne dans la forĂȘt, il se contenta de ma rĂ©ponse nĂ©gative, et me remit obligeamment sur la grande route. Nous allions nous quitter, quand deux de ses camarades vinrent lui faire ce rapport â Nous avons en vain battu le bois jusquâen ses derniers recoins ; nous nâavons rien dĂ©couvert, si ce nâest cette mĂ©chante tunique que voici. â On se figure sans peine que je nâeus pas lâaudace de la rĂ©clamer, quoique jâen connusse le prix mieux que personne. Quâon juge cependant de mon dĂ©pit secret, Ă lâaspect de ces rustres, possesseurs de mon trĂ©sor dont ils ignoraient la valeur ! Ma lassitude allait toujours croissant, et je repris lentement le chemin de la ville. Il Ă©tait tard, quand jây arrivai. EntrĂ© dans la premiĂšre auberge, je trouve Ascylte, plus mort que vif, Ă©tendu sur un mauvais grabat ; je tombe moi-mĂȘme sur un autre lit, sans pouvoir profĂ©rer un seul mot. Ascylte cherche en vain sur mes Ă©paules le prĂ©cieux fardeau dont je mâĂ©tais chargĂ© ; il se trouble â Quâas-tu fait de notre robe ? â sâĂ©crie-t-il avec prĂ©cipitation. La voix me manqua, et un regard douloureux fut dâabord toute ma rĂ©ponse. BientĂŽt pourtant, un peu rĂ©confortĂ©, je lui fis, comme je pus, le rĂ©cit de mon triste accident. Il le prit pour un pur badinage. En vain je jure par tous les dieux, en vain un torrent de larmes vient appuyer mes serments ; il sâobstine Ă nâen rien croire, sâimaginant que je voulais lui escroquer sa part du trĂ©sor. PrĂ©sent Ă cette scĂšne, Giton pleurait, et sa tristesse augmentait la mienne. Pour surcroĂźt de malheur, je pensais Ă la justice qui nous talonnait. Je parlai de mes craintes ; Ascylte sâen moqua, parce quâil sâĂ©tait heureusement tirĂ© dâaffaire â Dâailleurs, disait-il, inconnus dans cette ville, qui viendrait nous y dĂ©terrer ? nous nâavons Ă©tĂ© vus de personne. â NĂ©anmoins, pour avoir un prĂ©texte de garder la chambre, nous jugeĂąmes prudent de feindre une maladie ; mais, les fonds venant Ă manquer, il fallut dĂ©loger plus tĂŽt que nous ne lâavions rĂ©solu, et vendre quelques nippes pour subsister. CHAPITRE XII. Dans ce dessein, nous prĂźmes, vers le soir, le chemin du marchĂ©. Il Ă©tait abondamment fourni de marchandises pour la plupart dâassez mince valeur, mais dont lâobscuritĂ© couvrait la coupable origine de son voile officieux. Nous avions eu soin dâapporter le manteau que nous avions volĂ©. Lâoccasion ne pouvant ĂȘtre plus favorable, nous nous Ă©tablĂźmes dans un coin ; et lĂ , nous Ă©talĂąmes un pan de notre marchandise, espĂ©rant que son Ă©clat pourrait attirer les chalands. En effet, bientĂŽt sâapproche un campagnard dont les traits ne mâĂ©taient pas inconnus ; une jeune femme lâaccompagnait. Tandis quâils Ă©taient occupĂ©s Ă considĂ©rer attentivement notre manteau, Ascylte jette par hasard les yeux sur les Ă©paules de cet homme, et reste muet de surprise. De mon cĂŽtĂ©, je nâĂ©tais pas sans Ă©motion ; plus jâenvisageais lâindividu, plus il mâoffrait de ressemblance avec celui qui avait trouvĂ© ma robe dans le bois. Je ne me trompais pas, câĂ©tait lui-mĂȘme. Ascylte ne savait sâil devait en croire ses yeux. Pour ne rien hasarder, il accoste le campagnard ; et, sous prĂ©texte de marchander cette robe, il la lui tire doucement de dessus les Ă©paules, et lâexamine attentivement. CHAPITRE XIII. O fortunĂ© hasard ! le bonhomme ne sâĂ©tait pas mĂȘme avisĂ© dâen visiter les coutures ; et ce nâĂ©tait que par maniĂšre dâacquit quâil se dĂ©terminait Ă la mettre en vente, comme une guenille de mendiant. Voyant que notre trĂ©sor Ă©tait intact et que le marchand nâavait pas une mine bien redoutable, Ascylte me tire Ă part â Bonne nouvelle ! me dit-il Ă lâoreille ; le trĂ©sor est retrouvĂ© cette robe, si je ne me trompe, a fidĂšlement conservĂ© nos espĂšces. Que ferons-nous ? Ă quel titre revendiquer notre bien ? â Ă ces mots, double fut ma joie si, dâun cĂŽtĂ©, nous ressaisissions notre proie, de lâautre, jâĂ©tais lavĂ© dâun honteux soupçon. â Point de mĂ©nagements ! rĂ©pondis-je ; que la justice en dĂ©cide ; et si cet homme refuse de restituer de bon grĂ© ce qui ne lui appartient pas, il faut le faire assigner. CHAPITRE XIV. Ascylte ne fut pas de cet avis. â La voie de la justice nâest pas trop sĂ»re, me dit-il. Qui nous connaĂźt ici ? qui voudrait ajouter foi Ă notre dĂ©position ? Il est dur de racheter son bien quâon reconnaĂźt entre les mains dâautrui ; mais quand nous pouvons, Ă peu de frais, recouvrer notre trĂ©sor, faut-il nous embarquer dans un procĂšs douteux ? OĂč lâor est tout-puissant, Ă quoi servent les lois ? Faute dâargent, hĂ©las ! le pauvre perd ses droits. Ă sa table frugale, en public, si sĂ©vĂšre, Le cynique, en secret, met sa voix Ă lâenchĂšre[1] ; ThĂ©mis mĂȘme se vend, et sur son tribunal Fait pencher sa balance au grĂ© dâun vil mĂ©tal. â Dâailleurs Ă lâexception de quelque menue monnaie, Ă peine suffisante pour acheter des lupins et des pois chiches, notre bourse Ă©tait vide. Ainsi donc, de peur que notre proie ne vĂźnt Ă nous Ă©chapper, nous consentĂźmes Ă lĂącher la main sur le prix du manteau, sĂ»rs de gagner dâun cĂŽtĂ© beaucoup plus que nous ne perdions de lâautre. Nous voilĂ donc Ă dĂ©ployer notre marchandise. La jeune femme qui, couverte dâun voile, accompagnait le campagnard, aprĂšs avoir examinĂ© le manteau Ă loisir, le saisit Ă deux mains, puis sâĂ©crie de toutes ses forces â Je tiens mes voleurs ! â Ătourdis de cette apostrophe, nous, Ă notre tour, de faire main basse sur le haillon sale et dĂ©chirĂ©, et de nous Ă©crier aussi â Cette robe que vous tenez lĂ nous appartient. â Mais la partie nâĂ©tait pas Ă©gale ; la foule, attirĂ©e par nos cris, riait de nos prĂ©tentions rĂ©ciproques ; car câĂ©tait un vĂȘtement superbe que notre partie adverse revendiquait, et nous ne rĂ©clamions quâune misĂ©rable guenille qui ne mĂ©ritait pas mĂȘme dâĂȘtre rapiĂ©cĂ©e. Mais Ascylte vint Ă bout de faire cesser les rires, et obtint enfin du silence. CHAPITRE XV. â Ăvidemment, dit-il, lâexpĂ©rience nous apprend que chacun tient Ă ce quâil a quâils nous rendent notre robe, et quâils reprennent leur manteau. â Le manant et sa compagne Ă©taient prĂšs dâagrĂ©er lâĂ©change, quand deux officiers de justice, qui ressemblaient Ă des voleurs de nuit, voulant sâapproprier le manteau, demandent Ă haute voix quâon dĂ©pose provisoirement entre leurs mains les objets en litige. La justice, disaient-ils, prononcera demain sur ce diffĂ©rend. Il importait peu, selon ces messieurs, de connaĂźtre la partie lĂ©sĂ©e ; il fallait, avant tout, dĂ©terrer les vĂ©ritables voleurs. Lâavis du sĂ©questre allait passer ; mais voici que, du milieu de la foule, sort un homme au front chauve et garni dâexcroissances charnues, une espĂšce de solliciteur de procĂšs, qui, sâemparant du manteau, promet de le reprĂ©senter le lendemain. Le but de ces coquins Ă©tait Ă©videmment, une fois que le manteau serait entre leurs mains, de le faire disparaĂźtre et de nous empĂȘcher, par la crainte dâune accusation de vol, de comparaĂźtre Ă lâassignation. CâĂ©tait bien aussi ce que nous voulions Ă©viter le hasard servit les deux parties Ă souhait. OutrĂ© de nous voir faire tant de bruit pour un mĂ©chant haillon, le campagnard jette la robe au nez dâAscylte ; et, pour mettre fin aux dĂ©bats, il demande le dĂ©pĂŽt, en main tierce, du manteau, cause unique du procĂšs. Nous, certains dâavoir ressaisi notre petit trĂ©sor, nous gagnons lâauberge Ă toutes jambes. LĂ , quâon juge de notre joie ! nous pĂ»mes gloser Ă notre aise, Ă huis clos, sur la finesse et des gens de justice et de notre partie adverse ils avaient Ă©tĂ© si ingĂ©nieux Ă nous rendre notre argent ! Nous dĂ©cousions la robe, pour en tirer notre or, quand nous entendĂźmes quelquâun demander Ă notre hĂŽte quels Ă©taient les gens qui venaient dâentrer chez lui. Cette question ne me plut guĂšre Ă peine son auteur fut-il sorti, que je courus mâinformer de lâobjet de sa visite. â Câest, me rĂ©pondit notre hĂŽte, un huissier du prĂ©teur ; sa charge consiste Ă inscrire sur les registres publics les noms des Ă©trangers il vient dâen voir entrer deux chez moi, dont il nâa point encore pris les noms ; câest pourquoi il venait sâinformer du lieu de leur naissance et de leur profession. â Cette explication que lâhĂŽte me donna sans avoir lâair dây mettre aucune importance, me fit naĂźtre des inquiĂ©tudes sur le peu de sĂ»retĂ© de notre gĂźte. Pour prĂ©venir toute fĂącheuse aventure, nous rĂ©solĂ»mes de sortir aussitĂŽt de lâauberge, et de nây rentrer quâĂ la nuit. En notre absence, nous laissĂąmes Ă Giton le soin de prĂ©parer notre souper. Nous voilĂ donc en marche, Ă©vitant avec soin les rues frĂ©quentĂ©es, et cherchant les quartiers dĂ©serts. ArrivĂ©s vers le soir dans un endroit Ă©cartĂ©, nous rencontrĂąmes deux femmes voilĂ©es, dâassez bonne tournure ; les ayant suivies de loin, Ă pas de loup, nous les vĂźmes entrer dans une espĂšce de petit temple dâoĂč partait un bruit confus de voix qui semblaient sortir du fond dâun antre. La curiositĂ© nous y fit entrer aprĂšs elles. LĂ , nous vĂźmes un troupeau de femmes qui, pareilles Ă des Bacchantes, couraient, agitant dans leurs mains droites de petites figures de Priape. Nous ne pĂ»mes en voir davantage. Ă notre aspect inattendu, le bataillon femelle poussa un cri si Ă©pouvantable, que la voĂ»te du temple en trembla. Elles voulaient nous saisir ; mais, rapides comme lâĂ©clair, nous prĂźmes la fuite vers notre auberge. CHAPITRE XVI. Nous soupions tranquillement, grĂące aux soins de Giton. Tout Ă coup la porte retentit de coups redoublĂ©s. â Qui frappe ? demandĂąmes-nous en tremblant. â Ouvrez, rĂ©pondit-on, vous le saurez. â Pendant ce dialogue, la serrure tomba dâelle-mĂȘme, et la porte, en sâouvrant, offrit Ă nos regards une femme voilĂ©e. Elle entre câĂ©tait prĂ©cisĂ©ment la compagne de lâhomme au manteau. â Vous pensiez donc vous jouer de moi ? nous dit-elle. Je suis la suivante de Quartilla vous avez profanĂ© le sanctuaire oĂč elle cĂ©lĂ©brait les mystĂšres de Priape ; elle vient en personne vous demander un moment dâentretien. Ne craignez rien, pourtant loin de vouloir vous accuser et vous punir dâune erreur involontaire, elle remercie les dieux dâavoir conduit dans cette contrĂ©e des jeunes gens aussi bien Ă©levĂ©s. CHAPITRE XVII. Nous gardions encore le silence, ne sachant que penser de lâaventure, quand nous vĂźmes entrer Quartilla elle-mĂȘme, accompagnĂ©e dâune jeune fille. Elle sâassied sur mon lit, et verse un torrent de pleurs. Nous, stupĂ©faits de ce dĂ©sespoir mĂ©thodique, nous attendions, sans mot dire, quel en serait le rĂ©sultat. Enfin sâarrĂȘte le dĂ©bordement de ses larmes. Elle lĂšve son voile, nous regarde dâun Ćil sĂ©vĂšre, et, joignant les mains avec tant de force que ses doigts en craquĂšrent â Audacieux mortels ! sâĂ©crie-t-elle, qui vous a donc si bien appris le mĂ©tier de fourbes et de fripons ? En vĂ©ritĂ©, jâai pitiĂ© de vous ! on nâose point impunĂ©ment porter un regard curieux sur nos mystĂšres impĂ©nĂ©trables ; il y a dans ce pays tant de divinitĂ©s protectrices, que les hommes y sont plus rares que les dieux. Ce nâest pas nĂ©anmoins la vengeance qui mâamĂšne jâoublie mon injure en faveur de votre Ăąge, et jâaime Ă ne voir de votre part quâune imprudence excusable dans un crime irrĂ©missible. TourmentĂ©e, cette nuit, dâun frisson mortel, et craignant un accĂšs de fiĂšvre tierce je cherchai dans le sommeil un remĂšde Ă mon mal. Les dieux mâont ordonnĂ© en songe de mâadresser Ă vous ; vous possĂ©dez la recette qui convient Ă ma guĂ©rison. Ma santĂ© nâest pas cependant ce qui mâinquiĂšte davantage un plus grand chagrin me dĂ©vore ; si vous ne le calmez, il faudra que jâen meure. Je tremble que lâindiscrĂ©tion naturelle Ă votre age ne vous pousse Ă rĂ©vĂ©ler ce que vos yeux ont vu dans le sanctuaire de Priape, et ne vous fasse initier un vulgaire profane dans les secrets des dieux. Jâembrasse vos genoux ! Ă©coutez ma voix suppliante ! Que nos cĂ©rĂ©monies nocturnes ne deviennent point, par votre faute, la fable du public ! ne portez point le jour dans lâombre de nos antiques mystĂšres[1], de ces mystĂšres inconnus mĂȘme Ă plusieurs de nos initiĂ©s. CHAPITRE XVIII. AprĂšs cette fervente supplication, les larmes de Quartilla recommencent Ă couler ; de longs soupirs sâĂ©chappent de sa poitrine ; elle se jette sur mon lit, quâelle presse contre son sein et contre son visage. Moi, tour Ă tour Ă©mu de compassion et de crainte â Rassurez-vous, lui dis-je ; vous nâavez rien Ă redouter. Aucun de nous ne divulguera le secret de votre culte ; et notre courtoisie, dâaccord avec les dieux, saura guĂ©rir, mĂȘme au pĂ©ril de notre vie, le mal qui vous tourmente. â Ă cette promesse, Quartilla reprit un peu de gaietĂ©. Elle me couvre de baisers, et, passant des larmes Ă la joie la plus vive, elle promĂšne une main folĂątre dans les boucles de ma chevelure â MĂ©chants, dit-elle, je fais la paix avec vous ; entre nous, plus de procĂšs. Malheur Ă vous, si vous eussiez refusĂ© dâĂȘtre mes mĂ©decins ! mes vengeurs Ă©taient prĂȘts, et demain votre chĂątiment eĂ»t expiĂ© lâinjure des dieux et la mienne. _____Il est beau de donner la loi, _____La recevoir est un outrage,_____Et jâaime Ă nâobĂ©ir quâĂ mĂ©pris est lâarme du sage Ă lâoubli dâune offense on connait un grand cĆur Le vainqueur qui pardonne est doublement vainqueur. â Tout Ă coup, Ă cet accĂšs poĂ©tique, succĂšdent des battements de mains et des Ă©clats de rire si immodĂ©rĂ©s, quâils nous effrayĂšrent. La servante, qui Ă©tait arrivĂ©e la premiĂšre, imita sa maĂźtresse ; la jeune fille, qui Ă©tait entrĂ©e avec Quartilla, en fit autant. CHAPITRE XIX. Tandis que tout retentissait des accĂšs de leur bruyante gaietĂ©, nous cherchions Ă deviner la cause dâun si brusque changement. Nos regards incertains se portaient tantĂŽt sur ces trois femmes, et tantĂŽt sur nous-mĂȘmes. Quartilla reprend enfin la parole â Mes ordres sont donnĂ©s, dit-elle de tout le jour, personne nâentrera dans cette auberge, et vous pouvez, sans crainte des importuns, mâadministrer le fĂ©brifuge que vous mâavez promis. â Ă ces mots, quâon se peigne lâembarras dâAscylte pour moi, je sentis circuler dans mes veines toutes les glaces du nord, et je ne pus prononcer une seule parole. Ce qui pourtant me rassurait un peu sur les tristes suites de cette aventure, câĂ©tait notre nombre quelque mal intentionnĂ©es quâelles fussent, que pouvaient trois femmelettes contre trois hommes qui, sans ĂȘtre des Hercules, avaient du moins lâavantage du sexe. Certes, nous nous prĂ©sentions au combat avec des forces supĂ©rieures[1], et jâavais dĂ©jĂ ainsi formĂ© mon ordre de bataille, en cas dâhostilitĂ©s jâopposais Ascylte Ă la suivante, Giton Ă la jeune fille, Ă Quartilla moi-mĂȘme. Tandis que je faisais ces rĂ©flexions, Quartilla sâapproche de moi, et rĂ©clame le remĂšde que je lui avais promis ; mais, trompĂ©e dans son attente, elle sort furieuse ; un instant aprĂšs elle rentre, et, par son ordre, des inconnus nous saisissent et nous transportent dans un palais magnifique. Pour le coup, muets dâĂ©tonnement, nous perdimes entiĂšrement courage, et, dans notre malheur, nous crĂ»mes notre mort rĂ©solue. CHAPITRE XX.â Au nom des dieux, madame ! mâĂ©criai-je, si lâon en veut Ă notre vie, quâon nous lâarrache dâun seul coup ! Quelque coupables que nous puissions paraĂźtre, nous ne mĂ©ritons pas de pĂ©rir dans de pareilles tortures. â Pour toute rĂ©ponse, PsychĂ© câĂ©tait la suivante Ă©tend sur le parquet un Ă©lĂ©gant tapis, et, par ses caresses, tente de rĂ©chauffer mes sens mortellement engourdis. Pendant ce temps, Ascylte se tenait la tĂȘte cachĂ©e dans son manteau. Le malheureux nâavait que trop appris Ă ses dĂ©pens ce quâil en coĂ»te parfois aux curieux ! BientĂŽt, tirant de son sein deux rubans, PsychĂ© nous en attache tour Ă tour et les pieds et les mains. â Ă quoi bon, lui dis-je, me garrotter ainsi ? Pour arriver Ă ses fins, votre maitresse choisit mal ses moyens. â Dâaccord, rĂ©pondit-elle ; mais jâai sous la main un spĂ©cifique plus prompt et plus sĂ»r. â Ă ces mots, elle apporte un vase plein de satyrion. Tout en folĂątrant et en dĂ©bitant mille contes plaisants, elle mâen fait avaler les trois quarts ; puis, se rappelant la froideur dâAscylte Ă toutes ses avances, elle lui jette le reste sur le dos, sans quâil sâen aperçoive. Ascylte, voyant que la conversation languissait â Et moi ? dit-il ; me trouvez-vous donc indigne de boire Ă cette coupe ? â Trahie par un sourire qui mâĂ©chappa, PsychĂ© rĂ©pond en battant des mains â Jeune homme ! le vase Ă©tait Ă ta portĂ©e ; tu lâas vidĂ© seul jusquâĂ la derniĂšre goutte ! â Bon ! reprit Quartilla ; Encolpe nâa-t-il pas bu toute la dose ? â Cette plaisanterie nous fit rire par son Ă -propos, et Giton lui-mĂȘme ne put tenir plus longtemps son sĂ©rieux. La petite fille, se jetant alors au cou de cet aimable enfant, lâaccabla de baisers quâil reçut de fort bonne grĂące. CHAPITRE XXI. Encore si, dans notre malheur, il nous eĂ»t Ă©tĂ© libre dâappeler du secours ! Mais, dâabord, personne nâĂ©tait lĂ pour nous dĂ©fendre ; et puis, dĂšs que je faisais mine de vouloir crier, PsychĂ©, saisissant lâaiguille qui soutenait sa coiffure, mâen piquait impitoyablement les joues, tandis quâarmĂ©e dâun pinceau imbibĂ© de satyrion, la petite fille en barbouillait le pauvre Ascylte. Pour nous achever, entre un de ces baladins qui se prostituent pour de lâargent. Sa robe, dâun vert foncĂ©, Ă©tait relevĂ©e jusquâĂ la ceinture ; tantĂŽt ses reins, agitĂ©s de lascives contorsions, nous heurtaient violemment ; tantĂŽt sa bouche infecte nous souillait dâaffreux baisers. Enfin Quartilla, qui prĂ©sidait Ă notre supplice, une verge de baleine Ă la main, et la robe retroussĂ©e, touchĂ©e de nos souffrances, fit signe quâon nous donnĂąt quartier. Nous jurĂąmes, par tout ce quâil y a de plus saint, de ne jamais rĂ©vĂ©ler cet horrible secret. Ensuite parurent plusieurs courtisanes qui nous frottĂšrent le corps dâune huile parfumĂ©e. Oubliant alors notre fatigue, nous endossons des robes de festin, et nous passons dans la salle voisine, oĂč trois lits Ă©taient dressĂ©s autour dâune table servie avec la plus grande magnificence. InvitĂ©s Ă prendre place, nous dĂ©butons par dâexcellentes entrĂ©es, que nous arrosons largement dâun falerne dĂ©licieux. Ensuite diffĂ©rents services se succĂšdent avec profusion ; et dĂ©jĂ nos yeux, appesantis par le sommeil, commençaient Ă se fermer â Quâest-ce Ă dire ? sâĂ©crie Quartilla, croyez-vous ĂȘtre ici pour dormir ? cette nuit est due tout entiĂšre au culte de Priape. CHAPITRE XXII. Toujours piquĂ©e des rebuts dâAscylte, et le voyant tout Ă fait assoupi, accablĂ© quâil Ă©tait de tant de fatigues, PsychĂ© sâamuse Ă lui barbouiller les lĂšvres et les Ă©paules avec du charbon, et lui couvre la figure dâun masque de suie ; mais il nâen sentit rien. Moi-mĂȘme, harassĂ© des persĂ©cutions que jâavais souffertes, je commençais Ă goĂ»ter les douceurs du sommeil. Toute la valetaille, tant dans lâintĂ©rieur quâau dehors de la salle, en faisait autant. Vous eussiez vu lâun Ă©tendu sous les pieds des convives, lâautre adossĂ© contre un mur, un troisiĂšme couchĂ© sur le seuil de la porte, tous pĂȘle-mĂȘle, tĂȘte contre tĂȘte. Les lampes, Ă©puisĂ©es, ne donnaient plus quâune lueur pĂąle et mourante, lorsque deux fripons de Syriens se glissĂšrent Ă tĂątons dans la salle, pour escamoter une bouteille de vin tandis quâils se la disputent avec acharnement prĂšs dâune table couverte dâargenterie, elle Ă©clate dans leurs mains. Table, vaisselle, tout est renversĂ© ; et une coupe, en tombant dâassez haut, va briser la tĂȘte dâune servante qui dormait sur un lit voisin. La douleur du coup lui arrache un cri subit. Une partie de nos ivrognes se rĂ©veillent, et voilĂ les deux larrons dĂ©couverts ! Se voyant pris sur le fait, les rusĂ©s Syriens se laissent adroitement tomber au pied dâun lit. Ă les entendre ronfler, on eĂ»t dit quâils dormaient lĂ depuis deux heures. DĂ©jĂ , rĂ©veillĂ© par ce vacarme, le maĂźtre dâhĂŽtel avait ranimĂ© les lampes expirantes ; dĂ©jĂ les valets, frottant leurs yeux encore appesantis par le sommeil, reprenaient leur service, lorsquâune joueuse de cymbales achĂšve, avec sa bruyante musique, de rĂ©veiller les plus paresseux. CHAPITRE XXIII. On se remet donc Ă table de plus belle Quartilla porte de nouvelles santĂ©s ; le son des cymbales excite la gaietĂ© des convives. Alors survint un baladin, le plus insipide de tous les hommes, et digne commensal dâun pareil logis. AprĂšs avoir battu des mains pour marquer la mesure, il entonne la chanson suivante Aimables impudiques, GanymĂšdes nouveaux, Audacieux cyniques, Complaisantes Saphos ! Le plaisir nous rassemble ; Aimons en libertĂ© Par tous les sens ensemble, Buvons la voluptĂ© ! En achevant ces vers, lâeffrontĂ© mâapplique un immonde baiser ; bientĂŽt mĂȘme, usurpant une moitiĂ© de mon lit, il Ă©carte, malgrĂ© moi, le vĂȘtement qui me couvrait, et sâefforce longtemps, mais en vain, de mâexciter au plaisir. De son front coulaient des ruisseaux de sueur mĂȘlĂ©e de fard ; et ses joues, dont le blanc remplissait les rides, semblaient un vieux mur dont le plĂątre fond Ă la pluie. CHAPITRE XXIV. Je ne pus retenir plus longtemps mes larmes ; et, le cĆur navrĂ© de tristesse â Madame, dis-je Ă Quartilla, est-ce bien lĂ lâEmbasicĂšte que vous mâaviez promis ? â 0 lâhabile homme ! rĂ©pondit-elle en frappant doucement des mains ; la question est spirituelle ! EmbasicĂšte ne veut-il pas dire incube. Cela vous Ă©tonne ? â Du moins, rĂ©pliquai-je, jaloux de voir mon camarade plus heureux que moi, souffrirez-vous quâAscylte, bien tranquille sur son lit, savoure seul en paix les douceurs du repos ? â Ă la bonne heure ! dit-elle, quâAscylte y passe Ă son tour[1]. â AussitĂŽt fait que dit mon Ă©cuyer change de monture, et le voilĂ qui, sous le poids de ses impures caresses, broie les membres de mon pauvre compagnon. TĂ©moin de cette scĂšne, Giton riait aux Ă©clats. Quartilla nâavait pas manquĂ© de le considĂ©rer avec attention â Ă qui appartient, dit-elle, ce jeune Adonis ? â Câest mon frĂšre, lui rĂ©pondis-je. â Pourquoi donc, reprit-elle, nâest-il pas encore venu mâembrasser ? â Ă ces mots, elle le fait approcher, le baise tendrement ; et, glissant sa main sous la robe de Giton, elle parcourt ses attraits novices, puis elle ajoute â Ce bijou servira demain Ă me donner lâavant-goĂ»t du plaisir. Pour aujourdâhui, servie par un hercule, je ne me rabats point sur un pygmĂ©e. CHAPITRE XXV. Ă ces mots, PsychĂ©, sâĂ©tant approchĂ©e de sa maĂźtresse, lui dit en riant je ne sais quels mots Ă lâoreille â Oui ! oui ! sâĂ©crie tout Ă coup Quartilla ; lâidĂ©e est heureuse. Pourquoi pas ? Quelle plus belle occasion peut sâoffrir de dĂ©livrer Pannychis du fardeau de sa virginitĂ© ? â Sans plus attendre, on introduit une jeune fille assez jolie, qui ne paraissait pas avoir plus de sept ans la mĂȘme qui Ă©tait venue Ă notre auberge avec Quartilla. AussitĂŽt tous les assistants dâapplaudir et de presser lâaccomplissement de ce mariage. Moi, frappĂ© de stupeur, jâallĂ©guai, dâune part, la timiditĂ© de Giton ; de lâautre, lâĂąge trop tendre de Pannychis. â Lui, disais-je, nâosera tenter le combat ; elle, ne pourra le soutenir â Bon ! rĂ©pondit Quartilla, Ă©tais-je donc plus formĂ©e quand, pour la premiĂšre fois, je reçus les caresses dâun homme ? Je veux mourir, si je me souviens dâavoir jamais Ă©tĂ© vierge ! Enfant, je folĂątrais avec des marmots de ma taille ; un peu plus grande, jâeus des amants plus hommes ; câest ainsi que je suis parvenue Ă lâĂąge oĂč vous me voyez. VoilĂ , sans doute, lâorigine du proverbe Qui lâa bien portĂ© veau Peut le porter taureau[1]. â Craignant donc quâen mon absence il nâarrivĂąt pis Ă Giton, je me levai pour assister Ă la cĂ©rĂ©monie. CHAPITRE XXVI. DĂ©jĂ , par les soins de PsychĂ©, sâavançait Pannychis, le front couvert du voile de lâhymen ; dĂ©jĂ notre baladin ouvrait la marche, un flambeau Ă la main, et une longue file de femmes ivres marchait derriĂšre lui en battant des mains ; dĂ©jĂ la couche nuptiale, ornĂ©e par elles, nâattendait plus que les deux Ă©poux. ĂchauffĂ©e par lâimage du plaisir, Quartilla se lĂšve brusquement, saisit Giton dans ses bras, et lâentraĂźne vers la chambre Ă coucher. Le fripon sây prĂȘtait de fort bonne grĂące ; la jeune fille nâĂ©tait rien moins que triste elle avait entendu sans pĂąlir le mot dâhymen. Pour laisser le champ libre aux combattants, nous restĂąmes sur le seuil de la porte. La curieuse Quartilla lâavait laissĂ©e malicieusement entrâouverte, et son Ćil libertin contemplait avec aviditĂ© les Ă©bats du couple novice. BientĂŽt, pour me faire jouir du mĂȘme spectacle, elle mâattire doucement Ă elle ; or, comme dans cette attitude nos joues se touchaient, cela lui donnait de frĂ©quentes distractions, et de temps en temps elle tournait la bouche de mon cĂŽtĂ© pour me dĂ©rober un baiser furtivement. Las des importunitĂ©s de cette femme, je songeais Ă mâen dĂ©livrer par la fuite. Ascylte, informĂ© de mon dessein, lâapprouva beaucoup ; câĂ©tait aussi sa seule ressource contre les persĂ©cutions de PsychĂ©. Rien nâĂ©tait plus facile, si Giton nâeĂ»t Ă©tĂ© enfermĂ© avec Pannychis ; mais nous voulions lâemmener pour le soustraire Ă la lubricitĂ© de ces Messalines. Pendant que nous cherchions quelque expĂ©dient, Pannychis tombe du lit ; entraĂźnĂ©e par son poids, Giton la suit dans sa chute. Heureusement, il en fut quitte pour la peur ; mais, blessĂ©e lĂ©gĂšrement Ă la tĂȘte, Pannychis jette les hauts cris. Quartilla, effrayĂ©e, vole Ă son secours ; nous de dĂ©taler aussitĂŽt vers notre auberge ; et bientĂŽt, Ă©tendus dans nos lits, nous passĂąmes Ă bien dormir le reste de la nuit. Le lendemain, au sortir du logis, nous rencontrĂąmes deux de nos ravisseurs Ascylte en attaque un avec fureur, et lâĂ©tend Ă terre griĂšvement blessĂ© ; puis il vient aussitĂŽt mâaider Ă presser le second ; mais il se dĂ©fendait si bravement, quâil nous blessa lâun et lâautre, lĂ©gĂšrement Ă la vĂ©ritĂ©, et parvint Ă sâĂ©chapper sans la moindre Ă©gratignure. Nous touchions au jour marquĂ© par Trimalchion, jour oĂč, dans un souper splendide, il devait affranchir un grand nombre dâesclaves. Mais, Ă©charpĂ©s comme nous lâĂ©tions, nous trouvĂąmes plus Ă propos de fuir que de rester tranquilles en ce lieu. Rentrant donc au plus tĂŽt Ă lâauberge, nous nous mĂźmes au lit, et nous pansĂąmes avec du vin et de lâhuile nos blessures, heureusement peu profondes. Cependant, nous avions laissĂ© un de nos ravisseurs sur le carreau ; la crainte dâĂȘtre reconnus nous donnait de mortelles inquiĂ©tudes. Tandis que, tout pensifs, nous rĂȘvions aux moyens de conjurer lâorage, un valet dâAgamemnon vint interrompre nos tristes rĂ©flexions â Eh bien ! nous dit-il, ignorez-vous chez qui lâon dĂźne aujourdâhui ? câest chez Trimalchion[1], chez cet homme opulent dont la salle Ă manger est ornĂ©e dâune horloge prĂšs de laquelle un esclave, la trompette Ă la main, lâavertit de la fuite du temps et de la vie. â AussitĂŽt, oubliant tous nos maux passĂ©s, nous nous habillons Ă la hĂąte ; et Giton, qui jusquâalors avait bien voulu nous servir de valet, reçoit lâordre de nous suivre au bain. CHAPITRE XXVII. DĂšs que nous fĂ»mes sortis, nous commençùmes Ă rĂŽder de tous cĂŽtĂ©s, ou plutĂŽt Ă folĂątrer. Des joueurs Ă©taient rĂ©unis en cercle nous nous en approchons, et le premier objet qui frappe notre vue est un vieillard au front chauve, vĂȘtu dâune tunique rousse, et jouant Ă la paume avec de jeunes esclaves aux cheveux longs et flottants[1]. Nous ne savions quâadmirer le plus, ou la beautĂ© de ces enfants, ou la mollesse de ce vieux bouc, qui jouait en pantoufles avec des balles vertes. DĂšs quâune de ces balles avait touchĂ© la terre, on la jetait au rebut un de ses gens, postĂ© prĂšs des joueurs avec une corbeille bien garnie, leur en fournissait sans cesse de nouvelles. Entre autres choses bizarres, nous vĂźmes, aux deux extrĂ©mitĂ©s du jeu, deux eunuques, dont lâun portait un pot de nuit dâargent, lâautre comptait les balles, non pas celles que les joueurs se renvoyaient les uns aux autres, mais celles qui tombaient Ă terre. Tandis que nous admirions cette magnificence, MĂ©nĂ©las vint Ă nous â VoilĂ , nous dit-il, en dĂ©signant Trimalchion, voilĂ celui qui vous traite aujourdâhui ; ce que vous voyez nâest que le prĂ©lude du souper. â Il allait en dire davantage, quand Trimalchion fait craquer ses doigts[2]. Ă ce signal du maĂźtre, lâun des eunuques approche, le bassin Ă la main. Trimalchion soulage sa vessie, fait signe quâon lui serve de lâeau, en mouille lĂ©gĂšrement lâextrĂ©mitĂ© de ses doigts, et les essuie aux cheveux dâun esclave[3]. CHAPITRE XXVIII. On ne finirait pas de raconter toutes les singularitĂ©s qui nous frappĂšrent. Enfin, nous nous rendĂźmes aux Thermes, et lĂ , nous passĂąmes promptement du bain chaud au rafraĂźchissoir. On venait de parfumer Trimalchion, et les frottoirs dont on lâessuyait Ă©taient, non pas de lin, mais du molleton le plus doux. Trois garçons Ă©tuvistes sablaient le falerne en sa prĂ©sence ; et comme, en se disputant Ă qui boirait le plus, ils en rĂ©pandaient beaucoup Ă terre â Buvez, buvez Ă ma santĂ©, leur dit Trimalchion, il est de mon cru[1] ! â BientĂŽt on lâenveloppa dâune peluche Ă©carlate, puis on le plaça dans une litiĂšre prĂ©cĂ©dĂ©e de quatre valets de pied Ă livrĂ©es magnifiques, et dâune chaise Ă porteurs[2] oĂč figuraient les dĂ©lices de Trimalchion câĂ©tait un petit vieillard prĂ©coce, chassieux, plus laid que Trimalchion lui-mĂȘme. Tandis quâon lâemportait, un musicien sâapprocha de lui avec une petite flĂ»te ; et, penchĂ© Ă son oreille, comme sâil lui eĂ»t confiĂ© quelque secret, il ne cessa dâen jouer pendant toute la route. DĂ©jĂ rassasiĂ©s dâadmiration, nous suivĂźmes en silence, et nous arrivĂąmes avec Agamemnon Ă la porte du palais, sur le fronton duquel Ă©tait placĂ© un Ă©criteau avec cette inscription TOUT ESCLAVE QUI SORTIRA SANS LâAUTORISATION DU MAĂTRE RECEVRA CENT COUPS DE FOUET. Sous le vestibule mĂȘme se tenait le portier, habillĂ© de vert, avec une ceinture couleur cerise il Ă©cossait des pois dans un plat dâargent. Au-dessus du seuil Ă©tait suspendue une cage dâor renfermant une pie au plumage bigarrĂ©, qui saluait de ses cris ceux qui entraient. CHAPITRE XXIX. Pour moi, bouche bĂ©ante, jâadmirais tout cela, quand, Ă la gauche de lâentrĂ©e, prĂšs de la loge du portier, jâaperçus un Ă©norme dogue enchaĂźnĂ©, au-dessus duquel Ă©tait Ă©crit, en lettres capitales gare, gare le chien[1] ! Ce nâĂ©tait un dogue quâen peinture ; mais sa vue me causa un tel effroi, que je faillis tomber Ă la renverse et me casser les jambes ; et mes compagnons de rire. Cependant, je recouvrai mes esprits, et je continuai lâexamen des sujets peints Ă fresque sur la muraille. On y voyait un marchĂ© dâesclaves qui portaient leurs titres suspendus Ă leur cou[2], et Trimalchion lui-mĂȘme qui, les cheveux flottants, et un caducĂ©e Ă la main, entrait dans Rome, conduit par Minerve. Plus loin, il Ă©tait reprĂ©sentĂ© prenant des leçons de calcul, puis devenant trĂ©sorier le peintre avait eu soin dâaider, par des inscriptions trĂšs dĂ©taillĂ©es, lâintelligence des spectateurs. Ă lâextrĂ©mitĂ© de ce portique, Mercure enlevait notre hĂ©ros par le menton, et le plaçait sur le siĂšge le plus Ă©levĂ© dâun tribunal. PrĂšs de lui sâempressait la Fortune avec une Ă©norme corne dâabondance ; et les trois Parques filaient ses destins avec des fils dâor. Je remarquai aussi une troupe dâesclaves qui, sous la conduite dâun maĂźtre, sâexerçaient Ă la course. Dans un angle du portique, je vis encore une vaste armoire qui renfermait un reliquaire oĂč Ă©taient placĂ©s des Lares dâargent, une statue de VĂ©nus en marbre, et une boĂźte dâor dâassez grande dimension[3], qui, disait-on, renfermait la premiĂšre barbe de Trimalchion. Alors, je me mis Ă interroger le concierge. â Quelles sont, lui dis-je, ces peintures que je vois au centre du portique ? â LâIliade et lâOdyssĂ©e, me rĂ©pondit-il ; sur la gauche, vous voyez un combat de gladiateurs. CHAPITRE XXX. Nous nâavions pas le temps dâexaminer Ă loisir toutes ces curiositĂ©s. DĂ©jĂ nous Ă©tions arrivĂ©s Ă la salle du festin, Ă lâentrĂ©e de laquelle se tenait lâintendant de la maison, recevant des comptes ce qui mâĂ©tonna le plus, ce fut dâapercevoir, sur le chambranle de la porte, des faisceaux surmontĂ©s de haches, et dont lâextrĂ©mitĂ© infĂ©rieure se terminait par une espĂšce dâĂ©peron de galĂšre en airain, sur lequel Ă©tait Ă©crit Ă GAĂUS POMPĂE TRIMALCHION SĂVIR AUGUSTAL CINNAME SON TRĂSORIER. Cette inscription Ă©tait Ă©clairĂ©e par une double lampe suspendue Ă la voĂ»te. Jâaperçus aussi deux tablettes attachĂ©es aux deux battants de la porte ; lâune, si jâai bonne mĂ©moire, portait ces mots LE III, ET LA VEILLE DES CALENDES DE JANVIER, GAĂUS NOTRE MAĂTRE SOUPE EN VILLE. lâautre reprĂ©sentait le cours de la lune, les sept planĂštes, les jours fastes et nĂ©fastes, indiquĂ©s par des points de diffĂ©rentes couleurs. Au moment oĂč, enivrĂ©s de tant de merveilles, nous nous disposions Ă entrer dans la salle du banquet, un esclave, spĂ©cialement chargĂ© de cet emploi, nous cria â Du pied droit ! â Il y eut parmi nous un moment de confusion, dans la crainte que quelquâun des convives ne franchĂźt le seuil sans prendre le pas dâordonnance. Enfin, nous partions tous ensemble du pied droit, quand tout Ă coup un autre esclave, dĂ©pouillĂ© de ses vĂȘtements, tombe Ă nos pieds, et nous supplie de le soustraire au chĂątiment dont il est menacĂ© sa faute, Ă lâentendre, Ă©tait trĂšs lĂ©gĂšre tandis que le trĂ©sorier Ă©tait au bain, chargĂ© de la garde de ses habits, il les avait laissĂ© prendre ; mais ils valaient Ă peine dix sesterces, nous dit-il. Faisant donc volte-face, et toujours partant du pied droit, nous allons vers le trĂ©sorier ; nous le trouvons Ă son bureau, qui comptait de lâor, et nous le supplions instamment de faire grĂące Ă ce pauvre esclave. â Câest moins la perte que jâai faite, nous dit-il, en jetant sur nous un regard orgueilleux, que la nĂ©gligence de ce misĂ©rable qui mâirrite. Le vĂȘtement quâil mâa laissĂ© prendre Ă©tait une robe de banquet[1] elle mâavait Ă©tĂ© donnĂ©e par un de mes clients, le jour anniversaire de ma naissance ; elle Ă©tait assurĂ©ment de pourpre Tyrienne ; mais elle avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© lavĂ©e une fois. Quoi quâil en soit, je vous accorde la grĂące du coupable. CHAPITRE XXXI. Reconnaissants dâune si grande clĂ©mence, nous Ă©tions Ă peine entrĂ©s dans la salle du festin, quand ce mĂȘme esclave, pour lequel nous venions dâintercĂ©der, se prĂ©cipite vers nous, et, pour nous remercier de cet acte dâhumanitĂ©, nous applique tant et de si vigoureux baisers, que nous ne savions oĂč nous en Ă©tions. â Du reste, nous dit-il, vous allez bientĂŽt connaĂźtre que vous nâavez pas obligĂ© un ingrat câest moi qui sers le vin du maĂźtre, et jâen dispose Ă mon grĂ©. â Lorsque, aprĂšs tous ces retards, nous fĂ»mes enfin placĂ©s Ă table, des esclaves Ă©gyptiens[1] nous versĂšrent sur les mains de lâeau de neige[2], et furent bientĂŽt remplacĂ©s par dâautres qui nous lavĂšrent les pieds et nous nettoyĂšrent les ongles avec une admirable dextĂ©ritĂ© ce que faisant, ils ne gardaient pas le silence, mais ils chantaient, tout en sâacquittant dâun si triste office. Curieux de savoir si les autres esclaves faisaient ainsi leur service en chantant, je demande Ă boire aussitĂŽt un esclave empressĂ© mâapporte une coupe, en accompagnant cette action dâun chant aigre et discordant ainsi faisaient tous les gens de la maison lorsquâon leur demandait quelque chose. Vous eussiez cru ĂȘtre au milieu dâun chĆur de pantomimes plutĂŽt quâĂ la table dâun pĂšre de famille. Cependant, on apporte le premier service, qui Ă©tait on ne peut plus splendide ; car dĂ©jĂ tout le monde Ă©tait Ă table, Ă lâexception de Trimalchion, Ă qui, contre lâusage, on avait rĂ©servĂ© la place dâhonneur. Sur un plateau destinĂ© aux hors-dâĆuvre Ă©tait un petit Ăąne en bronze de Corinthe, portant un bissac qui contenait dâun cĂŽtĂ© des olives blanches, de lâautre des noires. Sur le dos de lâanimal Ă©taient deux plats dâargent sur le bord desquels Ă©taient gravĂ©s le nom de Trimalchion et le poids du mĂ©tal[3]. Des arceaux en forme de ponts soutenaient des loirs assaisonnĂ©s avec du miel et des pavots[4]. Plus loin, des saucisses brĂ»lantes sur un gril dâargent ; et, au-dessous du gril, des prunes de Syrie et des grains de grenade. CHAPITRE XXXII. Nous Ă©tions plongĂ©s dans cet ocĂ©an de dĂ©lices, lorsquâaux accents dâune symphonie parut Trimalchion lui-mĂȘme, portĂ© par des esclaves qui le posĂšrent bien mollement sur un lit garni de petits coussins. Ă cet aspect imprĂ©vu, nous ne pĂ»mes nous empĂȘcher de rire Ă©tourdiment. Il fallait voir sa tĂȘte chauve sâĂ©chappant dâun voile de pourpre[1], et son cou affublĂ© dâune vaste serviette, en forme de laticlave, qui sâĂ©tendait sur tous les vĂȘtements dont il Ă©tait chargĂ©, et retombait en franges des deux cĂŽtĂ©s. Il portait aussi, au petit doigt de la main gauche, un grand anneau dorĂ©, et, Ă lâextrĂ©mitĂ© du doigt suivant, un anneau de plus petite dimension, mais dâor pur, Ă ce quâil me parut, et parsemĂ© dâĂ©toiles dâacier. Ce nâest pas tout pour nous Ă©blouir de lâĂ©clat de ses richesses, il dĂ©couvrit son bras droit, ornĂ© dâun bracelet dâor, Ă©maillĂ© de lames de lâivoire le plus brillant. CHAPITRE XXXIII. â Amis, nous dit-il, en se nettoyant la bouche avec un cure-dent dâargent[1], si je nâavais suivi que mon goĂ»t, je ne serais pas venu si tĂŽt vous rejoindre ; mais, pour ne pas retarder plus longtemps vos plaisirs par mon absence, je me suis arrachĂ© volontairement Ă un jeu qui mâamusait beaucoup permettez-moi donc, je vous prie, de finir ma partie. â En effet, il Ă©tait suivi dâun esclave portant un damier de bois de tĂ©rĂ©binthe et des dĂ©s de cristal ; et, ce qui me parut le comble du raffinement, au lieu de dames blanches et noires, il se servait de piĂšces dâor et dâargent. Tandis quâen jouant il enlevait tous les pions de son adversaire, on nous sert, sur un plateau, une corbeille dans laquelle Ă©tait une poule de bois sculptĂ©, qui, les ailes ouvertes et Ă©tendues en cercle, semblait rĂ©ellement couver des Ćufs. AussitĂŽt deux esclaves sâen approchĂšrent, aux accords de lâĂ©ternelle symphonie ; et, fouillant dans la paille, en retirĂšrent des Ćufs de paon quâils distribuĂšrent aux convives. Cette scĂšne attira les regards de Trimalchion â Amis, nous dit-il ; câest par mon ordre quâon a mis des Ćufs de paon sous cette poule. Et, certes, jâai lieu de craindre quâils ne soient dĂ©jĂ couvis ; essayons toutefois sâils sont encore mangeables. â On nous servit, Ă cet effet, des cuillers qui ne pesaient pas moins dâune demi-livre, et nous brisĂąmes ces Ćufs, recouverts dâune pĂąte lĂ©gĂšre, qui imitait parfaitement la coquille. JâĂ©tais sur le point de jeter celui quâon mâavait servi, car je croyais y voir remuer un poulet, lorsquâun vieux parasite mâarrĂȘta â Il y a lĂ dedans, me dit-il, je ne sais quoi dâexcellent. â Je cherche donc dans la coquille, et jây trouve un becfigue bien gras, enseveli dans des jaunes dâĆufs poivrĂ©s. CHAPITRE XXXIV. Cependant Trimalchion, interrompant sa partie, se fit apporter successivement tous les mets quâon nous avait servis. Il venait de nous annoncer Ă haute voix que, si quelquâun de nous dĂ©sirait retourner au vin miellĂ©[1], il nâavait quâĂ parler ; lorsquâĂ un nouveau signal donnĂ© par lâorchestre, un chĆur dâesclaves enleva en cadence les entrĂ©es. Au milieu du tumulte que causa le service, un plat dâargent vint Ă tomber ; un esclave, croyant bien faire, le ramasse. Trimalchion, qui sâen aperçoit, fait appliquer Ă lâofficieux serviteur de vigoureux soufflets, pour punir sa gaucherie, et ordonne que lâon rejette Ă terre ce mĂȘme plat dâargent[2], quâun valet vient balayer avec les autres ordures. Alors entrĂšrent deux Ăthiopiens Ă longue chevelure, portant deux petites outres pareilles Ă celles dont on se sert pour arroser lâamphithéùtre, et, au lieu dâeau, ils nous versĂšrent du vin sur les mains. Comme on sâextasiait sur cet excĂšs de luxe, notre hĂŽte sâĂ©cria â Mars aime lâĂ©galitĂ©. â En consĂ©quence, il exige que chacun des convives ait sa table Ă lui seul â Par ce moyen, ajouta-t-il, ces esclaves puants, nâĂ©tant plus entassĂ©s, nous suffoqueront moins. â AussitĂŽt on apporte des flacons de cristal soigneusement cachetĂ©s[3] ; au cou de chacun dâeux Ă©tait suspendue une Ă©tiquette ainsi conçue FALERNE OPIMIEN DE CENT ANS. Tandis que nous parcourions des yeux les Ă©tiquettes, Trimalchion battant des mains â HĂ©las ! sâĂ©cria-t-il, hĂ©las ! il est donc vrai, le vin vit plus longtemps que lâhomme ! Buvons donc comme des Ă©ponges ; le vin, câest la vie celui que je vous offre est du vĂ©ritable opimien hier, jâavais Ă souper meilleure compagnie, et le vin quâon servit Ă©tait moins bon. â Tandis que, tout en buvant, nous admirions en dĂ©tail la somptuositĂ© du festin, un esclave posa sur la table un squelette dâargent[4], si bien imitĂ©, que les vertĂšbres et les articulations se mouvaient avec facilitĂ© dans tous les sens. Lorsque lâesclave eut fait jouer deux ou trois fois les ressorts de cet automate, et lui eut fait prendre plusieurs attitudes, Trimalchion se mit Ă dĂ©clamer Que lâhomme est peu de chose, hĂ©las ! et de ses ans____Que la trame est courte et fragile ! La tombe est sous nos pas ; mais, dans leur vol agile, Sachons, par le plaisir, embellir nos instants. CHAPITRE XXXV. Cette espĂšce dâĂ©lĂ©gie fut interrompue par lâarrivĂ©e du second service, dont la magnificence ne rĂ©pondit pas Ă notre attente. Cependant, un nouveau prodige attira bientĂŽt tous les regards câĂ©tait un surtout en forme de globe, autour duquel Ă©taient reprĂ©sentĂ©s les douze signes du zodiaque, rangĂ©s en cercle[1]. Au-dessus de chacun dâeux, le maĂźtre dâhĂŽtel avait placĂ© des mets qui, par leur forme ou leur nature, avaient quelque rapport avec ces constellations sur le BĂ©lier, des pois chiches ; sur le Taureau, une piĂšce de bĆuf ; sur les GĂ©meaux, des rognons et des testicules ; sur le Cancer, une simple couronne ; sur le Lion, des figues dâAfrique ; sur la Vierge, une matrice de truie ; au-dessus de la Balance, un peson qui, dâun cĂŽtĂ©, soutenait une tourte, de lâautre, un gĂąteau ; au-dessus du Scorpion, un petit poisson de mer ; au-dessus du Sagittaire, un liĂšvre ; une langouste sur le Capricorne ; sur le Verseau, une oie ; deux surmulets sur les Poissons. Au centre de ce beau globe, une touffe de gazon artistement ciselĂ©e supportait un rayon de miel. Un esclave Ă©gyptien nous prĂ©sentait Ă la ronde du pain chaud dans un petit four dâargent ; et, chemin faisant, ce mĂȘme esclave tirait de son rauque gosier un hymne en lâhonneur de je ne sais quelle infusion de laser et de vin. Nous nous disposions tristement Ă attaquer des mets aussi grossiers, quand Trimalchion â Si vous voulez mâen croire, mangeons[2], nous dit-il ; vous avez devant vous le plus succulent du repas. CHAPITRE XXXVI. Il dit ; et, au son des instruments, quatre esclaves sâĂ©lancent vers la table, et enlĂšvent, en dansant, la partie supĂ©rieure de ce globe. Soudain se dĂ©couvre Ă nos yeux un nouveau service des volailles engraissĂ©es[1], une tĂ©tine de truie, un liĂšvre avec des ailes sur le dos, qui figurait PĂ©gase. Nous remarquĂąmes aussi, dans les angles de ce surtout, quatre satyres qui portaient de petites outres dâoĂč sâĂ©coulait une saumure poivrĂ©e[2], dont les flots allaient grossir lâeuripe oĂč nageaient des poissons tout accommodĂ©s[3]. Ă cette vue, tous les valets dâapplaudir, et nous de les imiter. Ce fut alors avec un rire de satisfaction que nous attaquĂąmes ces mets exquis. Trimalchion, enchantĂ© comme nous de cette surprise mĂ©nagĂ©e par le cuisinier â Coupez ! sâĂ©cria-t-il. â AussitĂŽt sâavance un Ă©cuyer tranchant qui se met Ă dĂ©couper les viandes, en observant dans tous ses gestes la mesure de lâorchestre[4], avec une telle exactitude, que lâon eĂ»t dit un conducteur de chars parcourant lâarĂšne aux sons de lâorgue hydraulique. Cependant Trimalchion disait toujours avec les plus douces inflexions de voix â Coupez, coupez. â Soupçonnant quelque fine plaisanterie dans ce mot si souvent rĂ©pĂ©tĂ©, je nâhĂ©sitai pas Ă demander Ă mon plus proche voisin le sens de cette Ă©nigme. Il avait Ă©tĂ© souvent tĂ©moin de semblables scĂšnes â Vous voyez bien, me rĂ©pondit-il, cet esclave chargĂ© de dĂ©couper ? CoupĂ© est son nom. Ainsi toutes les fois que notre hĂŽte lui dit Coupez ! du mĂȘme mot il appelle et il commande. CHAPITRE XXXVII. Mon appĂ©tit Ă©tant complĂštement satisfait, je me tournai tout Ă fait vers mon voisin, pour entendre plus aisĂ©ment ses rĂ©ponses ; et, aprĂšs une foule de questions qui nâavaient pour but que dâengager la conversation â Quelle est, lui dis-je, cette femme que je vois sans cesse aller et venir de tous cĂŽtĂ©s ? â Câest la femme de Trimalchion[1] on lâappelle Fortunata, et jamais nom ne fut mieux mĂ©ritĂ©, car elle mesure lâor au boisseau. â QuâĂ©tait-elle avant son mariage ? â Sauf votre respect[2], vous nâeussiez pas voulu recevoir de sa main un morceau de pain. Mais je ne sais ni pourquoi ni comment elle est parvenue Ă cette Ă©lĂ©vation Trimalchion ne voit que par ses yeux, Ă un tel point, que, si elle lui disait quâil fait nuit Ă midi, il le croirait. Ce CrĂ©sus est si riche, quâil ne connaĂźt pas toute lâĂ©tendue de ses biens ; mais cette bonne mĂ©nagĂšre veille Ă tous les dĂ©tails de sa fortune vous la trouvez toujours oĂč vous lâattendiez le moins. Elle est sobre, tempĂ©rante, de bon conseil ; mais câest une langue de vipĂšre, une vĂ©ritable pie domestique[3]. Quand elle aime, elle aime bien ; mais aussi quand elle hait, câest de toute son Ăąme[4]. Trimalchion possĂšde de si vastes domaines, quâils lasseraient les ailes dâun milan. Il entasse les intĂ©rĂȘts des intĂ©rĂȘts, et lâon voit plus dâargent dans la loge de son portier, que personne de nos jours nâen possĂšde pour tout patrimoine. Quant Ă ses esclaves, oh ! oh ! par ma foi, je ne crois pas que la dixiĂšme partie dâentre eux connaisse son maĂźtre. Mais la crainte quâil leur inspire est telle, quâavec une simple houssine il les ferait tous entrer dans un trou de souris. CHAPITRE XXXVIII. Mais gardez-vous de croire quâil ait besoin de rien acheter ; il trouve dans ses domaines tout ce quâil lui faut la laine, la cire, le poivre ; vous demanderiez chez lui du lait de poule quâon vous en servirait aussitĂŽt. Ses brebis ne lui donnaient quâune laine de mĂ©diocre qualitĂ© ; il a fait acheter des bĂ©liers Ă Tarente[1] pour renouveler ses troupeaux. Pour avoir dans ses ruches du miel attique ; il a fait venir du mont Hymette des essaims, et il espĂšre que les abeilles du pays deviendront meilleures par leur croisement avec celles de la GrĂšce. Ces jours derniers ne sâest-il pas avisĂ© dâĂ©crire quâon lui envoyĂąt des Indes de la graine de champignons[2] ! Bien plus, il nây a pas, dans ses haras, une seule mule qui nâait pour pĂšre un onagre[3]. Vous voyez bien tous ces lits ? il nây en a pas un dont la laine ne soit teinte en pourpre ou en Ă©carlate. Est-il un mortel plus heureux ! Quant Ă ces affranchis, ses anciens compagnons de servitude[4], nâallez pas les mĂ©priser ils nagent dans lâopulence. Remarquez celui qui occupe la derniĂšre place au bas cĂŽtĂ© de la table il possĂšde aujourdâhui huit cents grands sesterces ; naguĂšre câĂ©tait moins que rien ; il Ă©tait obligĂ© de porter du bois pour vivre. On assure pour moi jâignore si le fait est vrai, mais je lâai entendu dire quâayant eu derniĂšrement lâadresse de sâemparer du chapeau dâun incube, il a trouvĂ© un trĂ©sor. Si, en effet, quelque dieu lui a fait ce prĂ©sent, je ne lui porte pas envie. Il nâen est pas moins un affranchi de fraĂźche date ; mais il ne sâen trouve pas plus mal. Aussi, derniĂšrement, a-t-il fait mettre cette inscription sur sa porte C. POMPĂE DIOGĂNE, DEPUIS LES CALENDES DE JUILLET, A MIS EN LOCATION LA CHAMBRE QUâIL HABITAIT, PARCE QUâIL VIENT DâACHETER UNE MAISON POUR LUI-MĂME. Quel est, continuai-je, celui qui occupe la place destinĂ©e aux affranchis ? comme il se soigne, le gaillard ! â Je ne lui en fais pas reproche ; il avait dĂ©cuplĂ© son patrimoine ; mais ses affaires ont mal tournĂ© il nâa pas sur la tĂȘte un cheveu qui lui appartienne ; et cependant ce nâest pas sa faute, car il nây a pas sur la terre un plus honnĂȘte homme, mais bien celle de quelques fripons dâaffranchis qui lâont dĂ©pouillĂ© jusquâau dernier sou. Car dĂšs que la marmite est renversĂ©e[5], et que la fortune dĂ©cline, les amis disparaissent aussitĂŽt. â Et par quel honnĂȘte mĂ©tier est-il parvenu au rang quâil occupe maintenant ? â Le voici il Ă©tait entrepreneur de funĂ©railles. Sa table Ă©tait servie comme celle dâun roi on y voyait des sangliers entiers encore couverts de leurs soies[6], des piĂšces de pĂątisserie, des oiseaux rares, des cerfs, des poissons, des liĂšvres. On rĂ©pandait chez lui plus de vin sous la table que bien dâautres nâen ont dans leurs celliers. â Mais câest un rĂȘve quâune pareille extravagance. â Aussi, lorsquâil vit son crĂ©dit chanceler, de peur que ses crĂ©anciers ne sâimaginassent quâil en Ă©tait aux expĂ©dients, il fit afficher cet avis JULIUS PROCULUS VENDRA A LâENCAN LE SUPERFLU DE SON MOBILIER. CHAPITRE XXXIX. Trimalchion interrompit cet agrĂ©able entretien[1]. On avait dĂ©jĂ enlevĂ© le second service, et, le vin excitant la gaietĂ© des convives, la conversation Ă©tait devenue gĂ©nĂ©rale. Alors notre hĂŽte, les coudes appuyĂ©s sur la table[2] â Ăgayons notre vin, mes amis, et buvons assez pour mettre Ă la nage les poissons que nous avons mangĂ©s. Pensez-vous, dites-moi, que je me contente des mets quâon nous a servis dans les compartiments de ce surtout que vous avez vu ? Quâest-ce Ă dire ? Connaissez-vous si peu les ruses dâUlysse[3] ? Mais sachons cependant entremĂȘler aux plaisirs de la table les dissertations savantes[4]. Que la cendre de mon bienfaiteur repose en paix ! câest Ă lui que je dois de jouer le rĂŽle dâun homme parmi mes semblables. Aussi lâon ne peut rien me servir qui mâĂ©tonne par sa nouveautĂ© par exemple, je puis, mes chers amis, vous expliquer lâallĂ©gorie de ce globe. Le ciel est le sĂ©jour de douze divinitĂ©s dont il prend tour Ă tour les diffĂ©rentes figures[5]. TantĂŽt il est sous lâinfluence du BĂ©lier, et tous ceux qui reçoivent le jour sous cette constellation possĂšdent de nombreux troupeaux et de la laine en abondance. Ils sont, en outre, entĂȘtĂ©s, sans pudeur ; ils aiment Ă heurter les gens[6]. Ce signe prĂ©side Ă la naissance de la plupart des Ă©tudiants et des dĂ©clamateurs. â Nous applaudĂźmes Ă la fine plaisanterie de notre astrologue[7] ; aussi sâempressa-t-il dâajouter â Le Taureau vient ensuite rĂ©gner sur les cieux alors naissent les gens hargneux, les bouviers et ceux qui nâont dâautre occupation que de paĂźtre comme des brutes. Ceux qui naissent sous le signe des GĂ©meaux aiment Ă sâaccoupler comme les deux chevaux dâun char, les deux taureaux dâune charrue et les deux organes de la gĂ©nĂ©ration ; ils brĂ»lent Ă©galement pour les deux sexes. Pour moi, jâai reçu le jour sous le signe du Cancer ; comme cet animal amphibie, je marche sur plusieurs pieds, et mes possessions sâĂ©tendent sur lâun et lâautre Ă©lĂ©ment aussi, je nâai placĂ© sur ce signe quâune couronne, pour ne pas dĂ©figurer mon horoscope[8]. Sous le Lion naissent les grands mangeurs et ceux qui aiment Ă dominer ; sous la Vierge, les hommes effĂ©minĂ©s, poltrons et destinĂ©s Ă porter des fers ; sous la Balance, les bouchers, les parfumeurs, et tous ceux qui vendent leurs marchandises au poids ; sous le Scorpion, les empoisonneurs et les meurtriers ; sous le Sagittaire, ces gens Ă lâĆil louche, qui semblent regarder les lĂ©gumes et dĂ©crochent le lard ; sous le Capricorne, les portefaix, dont la peau devient calleuse Ă force de travail ; sous le Verseau, les cabaretiers et les gens Ă tĂȘte de citrouille[9] ; sous les Poissons enfin, les cuisiniers et les rhĂ©teurs[10]. Ainsi tourne le monde, comme une meule, et ce mouvement de rotation nous apporte toujours quelque malheur, soit quâil nous fasse naĂźtre ou mourir. Quant au gazon que vous voyez au milieu du globe, et au rayon de miel dont il est couvert, ce nâest pas sans raison ; car la terre, notre commune mĂšre, arrondie comme un Ćuf, occupe le centre de lâunivers et elle renferme dans son sein tous les biens dĂ©sirables, dont le miel est lâemblĂšme. CHAPITRE XL. Admirable ! sâĂ©criĂšrent Ă la fois tous les convives, en levant les mains au ciel chacun de nous jurait quâHipparque ni Aratus ne mĂ©ritaient dâĂȘtre comparĂ©s Ă Trimalchion. Ce concert dâĂ©loges fut interrompu par lâentrĂ©e de valets qui Ă©tendirent sur nos lits des tapis oĂč Ă©taient reprĂ©sentĂ©s en broderie des filets, des piqueurs avec leurs Ă©pieux, enfin, tout lâattirail de la chasse. Nous ne savions encore ce que cela signifiait, lorsque tout Ă coup un grand bruit se fait entendre au dehors, et des chiens de Laconie, sâĂ©lançant dans la salle, se mettent Ă courir autour de la table. Ils Ă©taient suivis dâun plateau sur lequel on portait un sanglier de la plus haute taille. Sa hure Ă©tait coiffĂ©e dâun bonnet dâaffranchi ; Ă ses dĂ©fenses Ă©taient suspendues deux corbeilles tissues de petites branches de palmier, lâune remplie de dattes de Syrie, lâautre de dattes de la ThĂ©baĂŻde[1]. Des marcassins faits de pĂąte cuite au four entouraient lâanimal, comme sâils eussent voulu se suspendre Ă ses mamelles, et nous indiquaient assez que câĂ©tait une laie les convives Ă qui on les offrit eurent la permission de les emporter. Cette fois, ce ne fut pas ce mĂȘme CoupĂ©, que nous avions vu dĂ©pecer les autres piĂšces, qui se prĂ©senta pour faire la dissection du sanglier, mais un grand estafier, Ă longue barbe, dont les jambes Ă©taient enveloppĂ©es de bandelettes, et qui portait un habit de chasseur. Tirant son couteau de chasse, il en donne un grand coup dans le ventre du sanglier soudain, de son flanc entrâouvert, sâĂ©chappe une volĂ©e de grives. En vain les pauvres oiseaux cherchent Ă sâĂ©chapper en voltigeant autour de la salle ; des oiseleurs, armĂ©s de roseaux enduits de glu, les rattrapent Ă lâinstant, et, par lâordre de leur maĂźtre, en offrent un Ă chacun des convives. Alors Trimalchion â Voyez un peu si ce glouton de sanglier nâa pas avalĂ© tout le gland de la forĂȘt. â AussitĂŽt les esclaves courent aux corbeilles suspendues Ă ses dĂ©fenses, et nous distribuent, par portions Ă©gales, les dattes de Syrie et de ThĂ©baĂŻde. CHAPITRE XLI. Au milieu de tout ce mouvement, comme jâavais une place un peu sĂ©parĂ©e des autres, je me livrais Ă une foule de rĂ©flexions sur ce sanglier que lâon avait servi coiffĂ© dâun bonnet dâaffranchi. AprĂšs avoir Ă©puisĂ© toutes les conjectures les plus ridicules, je me hasardai Ă interroger de nouveau ce mĂȘme voisin qui mâavait dĂ©jĂ servi dâinterprĂšte, et Ă lui exposer la cause de mon embarras â Comment ! me dit-il ; mais votre esclave pourrait sans peine vous expliquer cela ; car ce nâest pas une Ă©nigme. Rien de plus simple, en effet. Ce sanglier fut servi hier sur la fin du repas ; les convives rassasiĂ©s le renvoyĂšrent sans y toucher ; câĂ©tait lui rendre sa libertĂ© aussi le voyez-vous reparaĂźtre aujourdâhui sur la table avec les attributs dâun affranchi. â Honteux de mon ignorance, je bornai lĂ mes questions, dans la crainte de passer pour un homme qui nâavait jamais mangĂ© en bonne compagnie. Pendant cet entretien, un jeune esclave dâune grande beautĂ©, couronnĂ© de pampre et de lierre, faisait le tour de la table avec une corbeille de raisins quâil prĂ©sentait aux convives. Se donnant tour Ă tour les noms de Bromius, de LyĂŠus et dâEvius, il chantait dâune voie aiguĂ« des vers que son maĂźtre avait composĂ©s. Ă ces accents, Trimalchion se tournant vers lui â Bacchus, lui dit-il, sois libre[1]. â Lâesclave aussitĂŽt dĂ©coiffe le sanglier de son bonnet, et le pose sur sa tĂȘte. â Alors Trimalchion ajouta â Vous avouerez que, chez moi, Bacchus est le pĂšre de la libertĂ©, puisque je viens de lâaffranchir. â Nous applaudĂźmes Ă ce bon mot du patron, et chacun Ă la ronde couvrit de baisers le jeune esclave. PressĂ© de satisfaire un besoin secret, Trimalchion quitta la table. Son dĂ©part, en nous dĂ©livrant dâun tyran importun, ranima la conversation des convives. Lâun dâentre eux, le premier, ayant demandĂ© des raisins Ă Bacchus â Quâest-ce quâun jour ? sâĂ©cria-t-il, un espace insensible Ă peine a-t-on le temps de se retourner, que dĂ©jĂ la nuit vient. Ainsi donc rien de plus sage que de passer directement du lit Ă la table. On nâa pas encore eu le temps de se refroidir, et lâon nâa pas besoin dâun bain pour se rĂ©chauffer toutefois, une boisson chaude est le meilleur des manteaux. Jâai bu comme un Thrace, aussi je ne sais plus ce que je dis, et le vin mâa brouillĂ© la cervelle. CHAPITRE XLII. Seleucus, lâinterrompant, prit la parole en ces termes â Ni moi non plus, je ne me baigne pas tous les jours ; câest lĂ un mĂ©tier de foulon. Lâeau a des dents invisibles qui rongent chaque jour notre corps et le minent insensiblement ; mais quand je me suis garni lâestomac dâune coupe de vin miellĂ©, je me moque du froid. Dâailleurs, je nâai pas pu me baigner aujourdâhui, car jâai assistĂ© Ă des funĂ©railles, Ă celles dâun homme aimable[1], de cet excellent Chrysanthe, qui vient de rendre lâĂąme. Il mâappelait encore il nây a quâun instant ; il me semble quâil est lĂ et que je lui parle. HĂ©las ! hĂ©las ! lâhomme nâest quâune outre enflĂ©e de vent ! câest moins quâune mouche car cet insecte a du moins quelques propriĂ©tĂ©s ; mais nous, nous ne sommes que des bulles dâeau. Que dirait-on, si Chrysanthe nâeĂ»t pas observĂ© un rĂ©gime sĂ©vĂšre ? Pendant cinq jours, il nâest pas entrĂ© dans sa bouche une goutte dâeau, pas une miette de pain, et cependant il sâen est allĂ© ! Mais il a eu un trop grand nombre de mĂ©decins, ou, plutĂŽt, il a succombĂ© Ă son mauvais destin car un mĂ©decin ne peut que soulager lâesprit[2]. Quoi quâil en soit, il a Ă©tĂ© enterrĂ©, on peut le dire, avec les plus grands honneurs, sur son lit de festin, enveloppĂ© de belles couvertures il y avait un grand nombre de pleureuses Ă son convoi. Il a affranchi quelques esclaves ; eh bien, son Ă©pouse a fait Ă peine semblant de verser quelques larmes. Quâaurait-elle fait, sâil ne lâavait pas si bien traitĂ©e ? Mais les femmes ! quâest-ce que les femmes ? elles sont de la nature du milan leur faire le moindre bien, câest comme si lâon le jetait dans un puits. Un vieil attachement devient pour elles une prison insupportable. CHAPITRE XLIII. Il y eut alors un certain PhilĂ©ros qui sâĂ©cria â Ne pensons quâaux vivants ! Chrysanthe a eu le sort quâil mĂ©ritait il a vĂ©cu honorablement, on lâa traitĂ© honorablement aprĂšs sa mort quâa-t-il Ă se plaindre ? Il nâavait pas un sou Ă son dĂ©but, et il eĂ»t ramassĂ© avec ses dents une obole dans un tas de fumier aussi, sâest-il arrondi peu Ă peu, et sâest accru comme un rayon de miel. Je crois, sur ma foi ! quâil laisse cent mille sesterces, et le tout en argent comptant. Cependant je vous dirai toute la vĂ©ritĂ© sur son compte, car je suis la franchise mĂȘme[1]. Il avait la parole dure ; il Ă©tait grand bavard, et câĂ©tait la discorde en personne[2]. Son frĂšre Ă©tait un homme de cĆur, tout Ă ses amis ; sa main Ă©tait libĂ©rale, et sa table ouverte Ă tout le monde. Ă son dĂ©but, il nâĂ©tait pas bien solide sur ses jambes ; mais il prit un maintien plus ferme Ă la premiĂšre vendange il vendit son vin au prix quâil voulut ; et, ce qui le fit surtout marcher la tĂȘte haute, câest quâil fit un hĂ©ritage dont il sut sâapproprier une part plus considĂ©rable que celle qui lui avait Ă©tĂ© laissĂ©e. Alors Chrysanthe, furieux contre son frĂšre, nâa-t-il pas fait la sottise de lĂ©guer son patrimoine Ă je ne sais quel intrigant, venu je ne sais dâoĂč ! Fuir ses parents, câest sâexpatrier soi-mĂȘme ; mais aussi il Ă©coutait ses affranchis comme des oracles ce sont eux qui lâont engagĂ© dans cette mauvaise voie. On ne peut rien faire de raisonnable quand on se laisse trop facilement persuader, surtout un homme qui est dans le commerce toutefois, il est vrai de dire quâil a fait de grands gains pendant sa vie, car il a reçu ce qui ne lui Ă©tait pas mĂȘme destinĂ©. Ce fut un vrai fils de la fortune. Dans ses mains le plomb se changeait en or ; mais rien nâest difficile aux personnes Ă qui tout vient Ă souhait. Ă quel Ăąge croyez-vous quâil soit mort ? Ă soixante-dix ans et plus. Mais il avait une santĂ© de fer, et portait son Ăąge Ă merveille il avait le poil noir comme un corbeau. Je lâavais connu autrefois fort dĂ©bauchĂ© ; et vieux, câĂ©tait encore un fier gaillard ; il ne respectait ni lâĂąge, ni le sexe ; tout lui Ă©tait bon, fĂ»t-ce un chien coiffĂ©. Qui pourrait lâen blĂąmer ? Le plaisir dâavoir joui, câest tout ce quâil emporte avec lui dans la tombe. CHAPITRE XLIV. Ainsi parla PhilĂ©ros ; GanymĂšde reprit en ces mots â Tous ces vains propos nâintĂ©ressent ni le ciel ni la terre ; et personne de vous ne songe Ă la famine qui nous menace. Je vous jure que, de toute la journĂ©e, je nâai pu trouver Ă me procurer une bouchĂ©e de pain. Quelle en est la cause ? la sĂ©cheresse qui dure toujours il me semble que je suis Ă jeun depuis un an. Malheur aux Ă©diles qui sâentendent avec les boulangers ! Aide-moi, je tâaiderai, voilĂ ce quâils se disent entre eux aussi le menu peuple souffre, pendant que ces sangsues nagent dans lâabondance. Oh ! si nous avions encore parmi nous de ces hommes dĂ©terminĂ©s que je trouvai ici Ă mon retour dâAsie ! Câest alors quâil faisait bon vivre ! La Sicile intĂ©rieure avait Ă©prouvĂ© la mĂȘme disette la sĂ©cheresse avait brĂ»lĂ© les moissons de cette contrĂ©e, quâon eĂ»t dite en butte au courroux de Jupiter. Mais Ă cette Ă©poque vivait Safinius je mâen souviens, quoique je fusse bien jeune alors il demeurait auprĂšs du vieil aqueduc. Ce nâĂ©tait point un homme, mais un vĂ©ritable tonnerre partout oĂč il passait, il mettait tout en combustion. Dâailleurs, cĆur droit, dâun commerce sĂ»r, ami dĂ©vouĂ© ; vous eussiez pu, sans crainte, jouer Ă la mourre avec lui les yeux fermĂ©s[1]. Câest au forum quâil fallait le voir ! il vous pilait ses adversaires comme dans un mortier. Il nâusait pas de dĂ©tours en parlant, mais il allait droit son chemin. Lorsquâil plaidait au barreau, sa voix grossissait peu Ă peu comme le son du clairon ; et jamais cependant on ne lâa vu ni suer ni cracher il avait le tempĂ©rament sec des Asiatiques[2]. Et comme il Ă©tait affable ! il rendait toujours un salut et appelait chacun par son nom on lâeĂ»t pris pour un simple citoyen comme nous. Aussi, pendant son Ă©dilitĂ©, les vivres Ă©taient pour rien. Ă cette Ă©poque, deux hommes affamĂ©s nâauraient pu manger un pain dâun sou ; aujourdâhui, ceux quâon nous vend au mĂȘme prix ne sont pas gros comme lâĆil dâun bĆuf. HĂ©las ! hĂ©las ! tout va de mal en pire dans ce pays ; tout y croĂźt comme la queue dâun veau, en rĂ©trĂ©cissant. Peut-on sâen Ă©tonner ? Nous avons pour Ă©dile un homme de nĂ©ant qui donnerait notre vie pour une obole. Aussi fait-il bombance chez lui, et reçoit-il plus dâargent en un jour quâun autre nâen possĂšde pour tout son patrimoine. Je pourrais citer telle affaire qui lui a valu mille deniers dâor. Oh ! si nous avions un peu de sang dans les veines, il ne nous mĂšnerait pas de la sorte ! Mais tel est le peuple aujourdâhui brave comme un lion au logis, timide, au dehors, comme un renard. Quant Ă moi, jâai dĂ©jĂ mangĂ© le prix de mes habits ; et, si la disette continue, je serai forcĂ©, pour vivre, de vendre ma pauvre bicoque. Que devenir en effet, si ni les dieux ni les hommes ne prennent pitiĂ© de cette colonie ? Le ciel me soit en aide ! je crois que tout cela arrive par la volontĂ© des immortels ; car, de nos jours, personne ne pense quâil y ait un dieu au ciel plus de jeĂ»nes ; on estime Jupiter moins que rien ; mais tous, les yeux tournĂ©s vers la terre, ne songent quâĂ compter leur or. Autrefois, les femmes, pieds nus, les cheveux Ă©pars, le front voilĂ©, et surtout lâĂąme pure, allaient, sur les coteaux, implorer Jupiter Pluvieux. AussitĂŽt la pluie tombait par torrents[3], et tout le monde se livrait Ă la joie. Mais maintenant il nâen est pas ainsi oubliĂ©s dans leurs temples, les dieux ont toujours les pieds enveloppĂ©s de laine comme des souris ; aussi, pour prix de notre impiĂ©tĂ©, nos champs restent stĂ©riles. CHAPITRE XLV. Parle mieux, je te prie, dit Ăchion, homme de pauvre apparence[1] tout nâest quâheur et malheur, comme disait ce paysan qui avait perdu un cochon bigarrĂ© ce qui nâarrive pas aujourdâhui arrivera demain ; ainsi va le monde. Certes, il nây aurait pas de meilleur pays que le nĂŽtre, sâil Ă©tait habitĂ© par dâhonnĂȘtes gens ; il souffre en ce moment, mais il nâest pas le seul. Il ne faut pas nous montrer si difficiles le soleil luit pour tout le monde. Si tu Ă©tais ailleurs, tu dirais quâici les cochons se promĂšnent tout rĂŽtis. Nâallons-nous pas avoir, dans trois jours, un spectacle magnifique ? un combat, non pas de simples gladiateurs, mais oĂč lâon verra figurer un grand nombre dâaffranchis[2] ! Titus, mon maĂźtre, est un homme magnanime ; il a la tĂȘte chaude, et vous verrez quelque chose dâextraordinaire dâune maniĂšre ou de lâautre je le connais mieux que personne, moi qui suis de sa maison. Ce ne sera pas un combat pour rire[3] ; mais il donnera aux combattants du fer bien trempĂ© ; ils nâauront pas la facultĂ© de fuir, et les spectateurs verront un vĂ©ritable carnage au milieu de lâarĂšne. Il a de quoi fournir Ă de pareilles dĂ©penses son pĂšre, en mourant, lui a laissĂ© plus de trente millions de sesterces. Quand bien mĂȘme il en dĂ©penserait quatre cent mille mal Ă propos, sa fortune nâen souffrira pas, et il se fera une rĂ©putation impĂ©rissable de gĂ©nĂ©rositĂ©. Il a dĂ©jĂ quelques petits chevaux barbes et une conductrice de chars Ă la gauloise[4] ; il a pris Ă son service le trĂ©sorier de Glycon qui sâest laissĂ© surprendre dans les bras de sa maĂźtresse[5]. Vous rirez bien de voir le peuple prendre parti dans cette affaire, les uns pour le mari jaloux, les autres pour lâamant favorisĂ©. Quant Ă Glycon, qui ne vaut pas un sesterce, il a fait jeter aux bĂȘtes son trĂ©sorier[6]. Câest se livrer au ridicule. En quoi cet esclave est-il coupable ? il a dĂ» obĂ©ir aux volontĂ©s de sa maĂźtresse. CâĂ©tait plutĂŽt cette femme impudique qui mĂ©ritait dâĂȘtre mise en piĂšces par les taureaux[7] ; mais quand on ne peut frapper lâĂąne, on frappe le bĂąt. Comment, dâailleurs, Glycon pouvait-il espĂ©rer que la fille dâHermogĂšne fĂźt jamais une bonne fin ? cela Ă©tait aussi impossible que de couper les ongles dâun milan au plus haut de son vol ; tel pĂšre, tel fils, dit le proverbe[8]. Glycon ! Glycon ! tu as tendu la joue ; aussi, tant que tu vivras, on y verra une tache que la mort seule peut effacer du reste, les fautes sont personnelles. Je flaire dâavance le festin que Mammea doit nous donner ; il y aura, jâespĂšre, deux deniers dâor pour moi et pour les miens. Si Mammea nous fait cette gĂ©nĂ©rositĂ©, puisse-t-il supplanter entiĂšrement Norbanus dans la faveur publique ! Vous le verrez, jâen suis certain, voler Ă pleines voiles vers la fortune. Et, de bonne foi, quel bien nous a fait ce Norbanus ? Il nous a offert en spectacle de misĂ©rables gladiateurs louĂ©s Ă vil prix, et dĂ©jĂ si vieux, si dĂ©crĂ©pits, quâun souffle les eĂ»t renversĂ©s. Jâai vu des athlĂštes plus redoutables pĂ©rir en combattant contre les bĂȘtes, Ă la clartĂ© des flambeaux ici lâon semblait assister Ă un combat de coqs. Lâun Ă©tait si lourd, quâil ne pouvait se traĂźner ; lâautre avait les pieds tortus ; un troisiĂšme[9], qui remplaça celui qui venait de pĂ©rir, Ă©tait lui-mĂȘme Ă moitiĂ© mort, car il avait dĂ©jĂ les nerfs coupĂ©s. Il nây en eut quâun seul, Thrace de nation, qui fit assez bonne contenance ; encore ce gladiateur novice semblait-il rĂ©pĂ©ter la leçon de son maĂźtre. Ă la fin, ils se firent tous quelque blessure[10] pour terminer le combat. Ce nâĂ©tait, en effet, que des gladiateurs Ă la douzaine, des poltrons, sâil en fut jamais. Cependant Norbanus me dit, en sortant Je vous ai donnĂ© un beau spectacle ! » â Et moi, je vous ai applaudi. Comptons maintenant, et vous verrez que je vous ai donnĂ© plus que je nâai reçu. Une main lave lâautre. CHAPITRE XLVI. Il me semble, Agamemnon, vous entendre dire Que nous dĂ©bite lĂ ce bavard importun ? » Mais pourquoi vous, qui parlez si bien, gardez-vous le silence ? Vous avez plus dâĂ©ducation que nous, et vous riez de nos discours, Ă nous autres pauvres ignorants. Je nâignore pas que vous ĂȘtes trĂšs fier de votre savoir. Mais quoi ? ne pourrai-je pas quelque jour vous persuader de venir Ă la campagne visiter notre humble chaumiĂšre ? nous y trouverons, jâespĂšre, de quoi manger des poulets, des Ćufs. Nous y passerons agrĂ©ablement le temps, quoique, cette annĂ©e, lâintempĂ©rie de la saison ait ruinĂ© toutes les rĂ©coltes. Il y aura toujours de quoi satisfaire notre appĂ©tit. Ă propos, je vous Ă©lĂšve un futur disciple dans mon petit Cicaro[1] il sait dĂ©jĂ quatre parties de lâoraison ; sâil vit, il sera sans cesse Ă vos cĂŽtĂ©s comme un petit esclave car, dĂšs quâil a un moment de loisir, il ne lĂšve pas la tĂȘte de dessus son livre. Il est trĂšs intelligent et dâun bon caractĂšre je nâai Ă lui reprocher quâun goĂ»t trop vif pour les oiseaux. Je lui ai dĂ©jĂ tuĂ© trois chardonnerets, et je lui ai dit que la belette les avait mangĂ©s il en a cependant trouvĂ© dâautres. Il se plaĂźt aussi beaucoup Ă faire des vers. Au reste, il a dĂ©jĂ laissĂ© de cĂŽtĂ© le grec, et il commence Ă se livrer avec beaucoup dâardeur au latin, quoique son maĂźtre soit un pĂ©dant qui sâen fait trop accroire, et qui ne sait se fixer Ă rien il ne manque pas assurĂ©ment de connaissances, mais il ne travaille pas assez. Mon fils a aussi un autre maĂźtre, qui nâest pas un grand docteur sans doute, mais qui enseigne avec beaucoup de soin ce quâil ne sait pas. Il vient ordinairement chez moi les jours de fĂȘte, et se contente du moindre salaire. Jâai achetĂ© depuis peu pour ce cher enfant des livres de chicane[2], parce que je veux quâil ait quelque teinture du droit, pour diriger les affaires de la maison. Câest lĂ un vĂ©ritable gagne-pain ! Quant aux belles-lettres, il nâen a dĂ©jĂ la tĂȘte que trop farcie. Sâil regimbe, eh bien ! jâai rĂ©solu de lui faire apprendre quelque profession utile, comme celle de barbier ou de crieur public, ou tout au moins dâavocat[3] ; un mĂ©tier enfin quâil ne puisse perdre quâavec la vie. Aussi je lui rĂ©pĂšte chaque jour Mon fils aĂźnĂ©, crois-moi, tout ce que tu apprends nâest que pour toi seul. Regarde lâavocat PhilĂ©ros sâil nâavait pas Ă©tudiĂ©, il mourrait de faim aujourdâhui. NaguĂšre encore, ce nâĂ©tait quâun pauvre portefaix ; maintenant, il lutte de richesses avec Norbanus lui-mĂȘme. La science est un vrai trĂ©sor, et un mĂ©tier nourrit toujours son maĂźtre. » CHAPITRE XLVII. Tels Ă©taient les contes en lâair quâils dĂ©bitaient tour Ă tour, lorsque Trimalchion rentra. AprĂšs avoir essuyĂ© les parfums qui coulaient de son front, il se lava les mains, et, lâinstant dâaprĂšs â Excusez-moi, dit-il, mes amis ; depuis plusieurs jours mon ventre ne fait pas bien ses fonctions, et les mĂ©decins nây connaissent rien. Cependant jâai reçu quelque soulagement dâune infusion dâĂ©corce de grenade et de sapin dans du vinaigre. JâespĂšre toutefois que lâorage qui grondait dans mes entrailles va se calmer ; autrement mon estomac retentirait dâun bruit semblable aux mugissements dâun taureau. Au reste, si quelquâun de vous Ă©prouve un pareil besoin, il aurait tort de se gĂȘner personne de nous nâest exempt de cette infirmitĂ©. Pour moi, je ne crois pas quâil y ait un plus grand tourment que celui de se contraindre en pareil cas. Jupiter lui-mĂȘme nous ordonnerait en vain cet effort. Vous riez, Fortunata ! vous, dont les bruyantes dĂ©tonations mâempĂȘchent toutes les nuits de fermer lâĆil. Jamais je nâai empĂȘchĂ© mes convives de prendre Ă table toutes les libertĂ©s qui pouvaient les soulager. Les mĂ©decins dĂ©fendent aussi de se retenir ; et si lâun de vous se sentait pressĂ© par un besoin plus urgent, il trouvera dehors de lâeau, une chaise, enfin une garde-robe complĂšte. Croyez-mâen, lorsque les flatuositĂ©s de lâestomac remontent au cerveau, tout le corps sâen ressent. Jâai vu plusieurs personnes mourir ainsi, faute de parler, par une fausse modestie. â Nous remerciĂąmes notre amphitryon de sa gĂ©nĂ©rositĂ© et de son indulgence extrĂȘmes ; et, pour ne pas Ă©touffer de rire, nous eĂ»mes recours Ă de frĂ©quentes rasades. Mais, hĂ©las ! nous ne savions pas que nous nâĂ©tions encore parvenus quâĂ la moitiĂ© de ce splendide et interminable festin. En effet, lorsque lâon eut desservi les tables au son des instruments, nous vĂźmes entrer dans la salle trois cochons blancs, muselĂ©s et ornĂ©s de clochettes. Lâesclave qui les conduisait nous apprit que lâun avait deux ans, lâautre trois, et que le dernier Ă©tait dĂ©jĂ vieux. Pour moi, je pensais que ces animaux quâon venait dâintroduire Ă©taient de ces porcs acrobates[1] quâon voit figurer dans les cirques, et quâils allaient nous faire voir quelques tours merveilleux. Mais Trimalchion, dissipant notre incertitude â Lequel des trois, nous dit-il, voulez-vous manger ? on va vous lâapprĂȘter sur-le-champ. Des cuisiniers de campagne font cuire un poulet, un faisan ou dâautres bagatelles ; mais les miens font bouillir Ă la fois un veau tout entier[2]. Quâon appelle le cuisinier ! â et, sans nous laisser lâembarras du choix, il lui ordonne de tuer le porc le plus vieux. Puis, Ă©levant la voix â De quelle dĂ©curie es-tu[3] ? lui dit-il. â De la quarantiĂšme. â Es-tu nĂ© chez moi ou achetĂ© ? â Ni lâun, ni lâautre. Je vous ai Ă©tĂ© lĂ©guĂ© par le testament de Pansa. â Fais donc en sorte de me servir promptement ce cochon ; sinon, je te fais relĂ©guer dans la dĂ©curie des valets de basse-cour. â Le cuisinier nâeut pas plutĂŽt entendu cette menace dâun maĂźtre dont il connaissait le pouvoir, quâil partit, entraĂźnant le porc vers sa cuisine. CHAPITRE XLVIII. Trimalchion, jetant alors sur nous un regard paternel â Si ce vin nâest pas de votre goĂ»t, je vais le faire remplacer par dâautre. Ou bien, prouvez-moi que vous le trouvez bon, en y faisant honneur. GrĂące au ciel, je ne lâachĂšte pas ; car tout ce qui flatte ici votre goĂ»t, je le rĂ©colte dans une de mes mĂ©tairies que je nâai pas encore visitĂ©e. On dit quâelle est situĂ©e dans les environs de Terracine et de Tarente[1]. Ă propos, jâai envie de joindre la Sicile Ă quelques terres que jâai de ce cĂŽtĂ©, afin que, lorsquâil me prendra fantaisie de passer en Afrique, je puisse y aller sans sortir de mes domaines. Mais vous, Agamemnon, dites-moi quelle est la dĂ©clamation que vous avez prononcĂ©e aujourdâhui ? Tel que vous me voyez, si je ne plaide pas au barreau, jâai cependant appris les belles-lettres par principes. Et nâallez pas croire que jâaie perdu le goĂ»t de lâĂ©tude au contraire, jâai trois bibliothĂšques, une grecque, et deux latines. Faites-moi donc lâamitiĂ© de me donner lâanalyse de votre dĂ©clamation. â Agamemnon avait Ă peine prononcĂ© ces mots Un pauvre et un riche Ă©taient ennemis, » quand Trimalchion, lâinterrompant â Quâest-ce quâun pauvre ? lui dit-il. â Excellente plaisanterie ! reprit Agamemnon ; â et il lui dĂ©bita je ne sais quelle discussion savante ; Ă quoi Trimalchion rĂ©pliqua sur-le-champ â Si câest un fait rĂ©el, ce nâest pas une matiĂšre Ă discuter ; et si ce nâest pas un fait rĂ©el, ce nâest rien du tout. â Voyant que nous nous rĂ©pandions en Ă©loges sur ce raisonnement et dâautres de la mĂȘme force â Je vous prie, poursuivit-il, mon cher Agamemnon, vous souvenez-vous des douze travaux dâHercule ? savez-vous la fable dâUlysse ? comment le Cyclope lui abattit le pouce avec une baguette ? Que de fois jâai lu tout cela dans HomĂšre, quand jâĂ©tais tout petit ! Croiriez-vous que, moi qui vous parle, jâai vu de mes propres yeux la sibylle de Cumes suspendue dans une fiole ; et lorsque les enfants lui disaient Sibylle, que veux-tu ? » elle rĂ©pondait Je veux mourir. » CHAPITRE XLIX. Trimalchion nâavait pas encore dĂ©bitĂ© toutes ses extravagances, lorsquâon servit un Ă©norme porc sur un plateau qui couvrit une grande partie de la table. La compagnie aussitĂŽt de se rĂ©crier sur la diligence du cuisinier ; chacun jurait quâil aurait fallu plus de temps Ă un autre pour cuire un poulet ; et ce qui augmentait encore notre surprise, câest que ce cochon nous paraissait beaucoup plus gros que le sanglier quâon nous avait servi un peu auparavant. Cependant, Trimalchion lâexaminant avec une attention toujours croissante â Que vois-je ? dit-il ; ce porc nâest pas vidĂ© ! non, certes, il ne lâest pas. Courez, et faites-moi venir ici le cuisinier. â Le pauvre diable sâapproche de la table, et, en tremblant, confesse quâil lâa oubliĂ©. â Comment, oubliĂ© ! sâĂ©crie Trimalchion en fureur. Ne dirait-on pas, Ă lâentendre, quâil a seulement nĂ©gligĂ© de lâassaisonner de poivre et de cumin ? Allons, drĂŽle, habit bas ! â AussitĂŽt le coupable est dĂ©pouillĂ© de ses vĂȘtements et placĂ© entre deux bourreaux. Sa mine triste et piteuse attendrit lâassemblĂ©e, et chacun sâempresse dâimplorer sa grĂące â Ce nâest pas, disait-on, la premiĂšre fois que pareille chose arrive ; veuillez, nous vous en prions, lui pardonner pour aujourdâhui ; mais, si jamais il y retombe, personne de nous nâintercĂ©dera en sa faveur. â Je ne pus me dĂ©fendre de traiter avec une sĂ©vĂ©ritĂ© beaucoup plus grande un pareil oubli ; et me penchant vers Agamemnon, je lui dis Ă lâoreille â Cet esclave doit ĂȘtre un grand drĂŽle. Oublier de vider un cochon ! par tous les dieux ! je ne lui pardonnerais pas mĂȘme dâoublier de vider un poisson. â Il nâen fut pas de mĂȘme de Trimalchion ; car, se dĂ©ridant tout Ă coup â Eh bien ! lui dit-il en riant, puisque tu as si peu de mĂ©moire, vide Ă lâinstant ce porc devant nous. â Le cuisinier remet sa tunique, se saisit dâun couteau, et, dâune main tremblante, ouvre en plusieurs endroits le ventre de lâanimal. Soudain, entraĂźnĂ©s par leur propre poids, des monceaux de boudins et de saucisses se font jour Ă travers ces ouvertures quâils Ă©largissent en sortant. CHAPITRE L. Ă la vue de ce prodige inattendu, tous les esclaves dâapplaudir et de sâĂ©crier Vive Gaius ! Le cuisinier eut lâhonneur de boire en notre prĂ©sence ; de plus, il reçut une couronne dâargent. Or, comme la coupe dans laquelle il buvait Ă©tait dâairain de Corinthe, et quâAgamemnon en examinait de prĂšs le mĂ©tal, Trimalchion lui dit â Je suis le seul au monde qui possĂšde du vĂ©ritable Corinthe. â DâaprĂšs son impertinence ordinaire, je mâattendais quâil allait affirmer quâon lui apportait tout exprĂšs de Corinthe des vases pour son usage ; mais il sâen tira mieux que je ne pensais. â Vous allez peut-ĂȘtre, dit-il, me demander comment il se fait que je possĂšde seul de vĂ©ritables vases de Corinthe ? rien de plus simple câest que lâouvrier qui me les fabrique sâappelle Corinthe or, qui peut se vanter dâavoir des ouvrages de Corinthe, si ce nâest celui qui a Corinthe au nombre de ses esclaves ? Mais nâallez pas toutefois me prendre pour un ignorant. Je sais tout aussi bien que vous lâorigine premiĂšre de ce mĂ©tal. AprĂšs la prise de Troie, Annibal[1], homme rusĂ© et fieffĂ© voleur, fit main basse sur toutes les statues dâairain, dâor et dâargent quâil put trouver, les fit jeter pĂȘle-mĂȘle sur un vaste bĂ»cher, et y mit le feu de leur fonte naquit ce mĂ©tal mĂ©langĂ©. Ce fut une mine que les orfĂšvres exploitĂšrent pour faire des plats, des bassins et des figurines. Ainsi lâairain de Corinthe est nĂ© de lâalliage de ces trois mĂ©taux, et nâest pourtant ni or, ni argent, ni cuivre. Permettez-moi de vous dire que jâaimerais mieux pour mon usage des vases de verre ; je sais que ce nâest pas lâopinion gĂ©nĂ©rale. Si le verre Ă©tait mallĂ©able, je le prĂ©fĂ©rerais Ă lâor mĂȘme tel quâil est, on le mĂ©prise aujourdâhui. CHAPITRE LI. Il y eut cependant autrefois un ouvrier qui fabriqua un vase de verre[1] que lâon ne pouvait briser. Il fut admis Ă lâhonneur de lâoffrir en don Ă CĂ©sar. Ensuite, lâayant repris des mains de lâempereur, il le jeta sur le pavĂ©. Le prince, Ă cette vue, fut effrayĂ© au delĂ de toute expression ; mais, lorsque lâouvrier ramassa le vase, il nâĂ©tait que lĂ©gĂšrement bossuĂ©, comme lâeĂ»t Ă©tĂ© un vase dâairain. Tirant alors un petit marteau de sa ceinture, notre homme, sans se presser, le rĂ©pare avec adresse et lui rend sa forme premiĂšre. Cela fait, il crut voir lâOlympe sâouvrir devant lui, surtout lorsque lâempereur lui dit Quelque autre que toi sait-il lâart de fabriquer du verre semblable ? Prends bien garde Ă ce que tu vas dire ! » Lâouvrier ayant rĂ©pondu que lui seul possĂ©dait ce secret, CĂ©sar lui fit trancher la tĂȘte sous prĂ©texte que, si cet art venait Ă se rĂ©pandre, lâor perdrait toute sa valeur. CHAPITRE LII. Pour moi, je suis trĂšs curieux dâouvrages dâargent ; jâai de ce mĂ©tal des coupes qui contiennent environ une urne, plus ou moins le ciseau y a gravĂ© Cassandre Ă©gorgeant ses fils[1] ; les cadavres de ces enfants sont dâune si grande vĂ©ritĂ©, quâon dirait la nature. Je possĂšde une aiguiĂšre que le cĂ©lĂšbre Mys a lĂ©guĂ©e Ă mon patron on y voit DĂ©dale enfermant NiobĂ© dans le cheval de Troie. Jâai aussi des coupes reprĂ©sentant les combats dâHermĂ©ros et de PĂ©tracte, toutes du plus grand poids ; car, voyez-vous, ce que jâai une fois achetĂ©, je ne le cĂšde Ă aucun prix. â Tandis quâil divaguait de la sorte, un valet laisse tomber une coupe ; Trimalchion se tournant vers lui â Allons, vite, punis-toi toi-mĂȘme de ton Ă©tourderie. â DĂ©jĂ lâesclave ouvrait la bouche pour implorer sa clĂ©mence, quand Trimalchion â Quelle grĂące me demandes-tu ? ne dirait-on pas que je te veux du mal ? Je te conseille seulement de prendre garde Ă ne plus ĂȘtre si Ă©tourdi. â Enfin, cĂ©dant Ă nos priĂšres, il lui pardonna. Lâesclave ne fut pas plutĂŽt parti, que Trimalchion se mit Ă courir autour de la table en criant â Plus dâeau ! plus dâeau ! le vin seul doit entrer cĂ©ans ! â Nous accueillĂźmes par des applaudissements cette plaisante saillie de notre hĂŽte, surtout Agamemnon, qui savait comment il fallait sây prendre pour ĂȘtre invitĂ© de nouveau Ă sa table. EncouragĂ© par nos Ă©loges, Trimalchion se mit gaiement Ă boire de plus belle ; et bientĂŽt, Ă moitiĂ© ivre â Aucun de vous, dit-il, nâinvite ma chĂšre Fortunata Ă danser ; personne cependant ne figure la cordace avec plus de grĂące[2]. â Puis le voilĂ lui-mĂȘme qui, levant les bras au-dessus de sa tĂȘte, contrefait les gestes du bouffon Syrus, et toute la valetaille de chanter en chĆur â Par Jupiter, câest admirable ! par Jupiter, rien nâest plus beau ! » â Et notre homme allait se donner en spectacle Ă toute la compagnie, si Fortunata, sâapprochant de son oreille, ne lui eĂ»t reprĂ©sentĂ© sans doute que de pareilles niaiseries Ă©taient indignes dâun homme de son importance. Je nâai jamais vu dâhumeur plus inĂ©gale tantĂŽt il se contenait par respect pour Fortunata, tantĂŽt il revenait Ă ses ignobles penchants. CHAPITRE LIII. Mais, au moment oĂč il allait se livrer Ă sa passion pour la danse, il fut interrompu par lâentrĂ©e dâun greffier qui, du mĂȘme ton dont il aurait dĂ©bitĂ© les actes de Rome, lut ce qui suit â Le VII des calendes de juillet, il est nĂ© dans le domaine de Cumes, qui appartient Ă Trimalchion, trente garçons et quarante filles. On a transportĂ© des granges dans les greniers cinq cent mille boisseaux de froment ; on a accouplĂ© cinq cents bĆufs. Le mĂȘme jour lâesclave Mithridate a Ă©tĂ© mis en croix pour avoir blasphĂ©mĂ© contre le gĂ©nie tutĂ©laire de GaĂŻus, notre maĂźtre. Le mĂȘme jour, on a reportĂ© dans la caisse dix millions de sesterces dont il nâa pas Ă©tĂ© possible de faire emploi. Le mĂȘme jour, il y a eu dans les jardins de PompĂ©e un incendie qui a pris naissance chez le fermier Nasta. â Quâest-ce Ă dire ? demanda Trimalchion ; depuis quand mâa-t-on achetĂ© les jardins de PompĂ©e ? â Depuis lâannĂ©e derniĂšre, rĂ©pondit le greffier, et câest pour cela quâon ne les a pas encore portĂ©s en compte. â Trimalchion, bouillant de colĂšre, sâĂ©cria â Quels que soient Ă lâavenir les domaines que lâon mâachĂšte, si lâon ne mâen donne pas avis dans les six mois, je dĂ©fends quâon me les porte en compte. â Alors, on lut les ordonnances des Ă©diles et les testaments des gardes des forĂȘts[1], qui dĂ©shĂ©ritaient Trimalchion, en sâexcusant de le faire[2]. Ensuite venaient le rĂŽle de ses fermiers, et lâhistoire dâune affranchie rĂ©pudiĂ©e par lâinspecteur des domaines qui lâavait surprise en flagrant dĂ©lit avec un garçon de bains â il Ă©tait dit pourquoi le majordome avait Ă©tĂ© exilĂ© Ă BaĂŻes ; comment le trĂ©sorier avait Ă©tĂ© convaincu de malversation ; â suivait le jugement intervenu entre les valets de chambre. Au beau milieu de cette lecture, entrĂšrent des danseurs de corde. Un de ces insipides baladins dressa une Ă©chelle, et ordonna Ă un jeune enfant dâen grimper tous les Ă©chelons, jusquâau dernier, en dansant et en chantant ; de passer Ă travers des cercles enflammĂ©s, et de soutenir une cruche avec ses dents. Trimalchion seul admirait ces tours de force, en regrettant quâun si bel art fĂ»t si mal rĂ©compensĂ©. â Il nây a, dans la vie, disait-il, que deux sortes de spectacles que jâaie plaisir Ă voir les voltigeurs et les combats de cailles ; quant Ă tous les autres animaux et bouffons, ce sont de vĂ©ritables attrape-nigauds. â Jâai fait une fois la folie dâacheter une troupe de comĂ©diens ; mais jâai voulu quâils se bornassent Ă reprĂ©senter des farces atellanes, et jâai donnĂ© lâordre Ă mon chef dâorchestre de ne jouer que des airs latins. CHAPITRE LIV. Au moment oĂč Trimalchion dĂ©bitait ces niaiseries, lâenfant du baladin tomba sur lui. AussitĂŽt toute la valetaille de jeter de grands cris, et les convives de lâimiter, non quâils fussent touchĂ©s de la souffrance dâun ĂȘtre aussi dĂ©goĂ»tant, car chacun dâeux eĂ»t Ă©tĂ© ravi de lui voir rompre le cou ; mais ils craignaient que le festin ne finĂźt tristement, et quâils ne fussent obligĂ©s de pleurer aux funĂ©railles dâun Ă©tranger[1]. Cependant Trimalchion poussait de longs gĂ©missements, et se penchait sur son bras, comme sâil y eĂ»t reçu une blessure grave. Les mĂ©decins accoururent ; mais la plus empressĂ©e Ă©tait Fortunata, qui, les cheveux Ă©pars et une potion Ă la main, sâĂ©criait quâelle Ă©tait la plus misĂ©rable, la plus infortunĂ©e des femmes. Quant Ă lâenfant dont la chute avait causĂ© cet accident, il se traĂźnait Ă nos genoux en implorant son pardon loin dâĂȘtre Ă©mu de ses priĂšres, je craignais seulement que ce ne fĂ»t encore une comĂ©die dont le dĂ©nouement amĂšnerait quelque pĂ©ripĂ©tie ridicule ; car je nâavais pas encore oubliĂ© lâhistoire du cuisinier qui avait oubliĂ© de vider le porc. Aussi je parcourais des yeux toute la salle pour voir si les murs nâallaient pas sâentrâouvrir pour livrer passage Ă quelque apparition inattendue. Ce qui me confirma dans cette opinion, ce fut de voir chĂątier un esclave parce que, pour bander le bras malade de son maĂźtre, il sâĂ©tait servi de laine blanche, et non de laine Ă©carlate. Je ne me trompais guĂšre ; car, au lieu de punir cet enfant, Trimalchion rendit un arrĂȘt par lequel il lui rendait la libertĂ©, pour quâil ne fĂ»t pas dit quâun personnage de son importance eĂ»t Ă©tĂ© blessĂ© par un esclave. CHAPITRE LV. Nous applaudĂźmes Ă cet acte de clĂ©mence, et nous fĂźmes des raisonnements Ă perte de vue sur lâinstabilitĂ© des choses humaines. â Cela est vrai, dit Trimalchion ; et un pareil accident ne se passera pas sans donner lieu Ă quelque impromptu. â AussitĂŽt il demanda ses tablettes, et, sans trop se torturer lâesprit, il nous rĂ©cita les vers suivants â Les biens, les maux sont incertains. Comme le sort qui nous gouverne. Buvons ! dans les flots de falerne, Esclaves, noyez nos chagrins. â Cette Ă©pigramme amena la conversation sur les poĂ«tes, et depuis longtemps on sâaccordait Ă donner la palme Ă Marsus de Thrace[1], lorsque Trimalchion sâadressant Ă Agamemnon â Dites-moi, je vous prie, mon maĂźtre, quelle diffĂ©rence vous trouvez entre CicĂ©ron et Publius[2] ? Le premier, selon moi, est plus Ă©loquent ; mais lâautre est plus moral. Que peut-on, par exemple, dire de mieux que ces vers ? Le luxe a vaincu Rome, et, sous dâindignes lois, La mollesse asservit la maĂźtresse des rois. Jadis, sous lâhumble chaume, en des vases dâargile, La faim assaisonnait un mets simple et facile. Sous des lambris dorĂ©s, et dans un seul repas, Lâun dĂ©vore aujourdâhui les fruits de vingt climats. Pour lui Chio[3] mĂ»rit sa liqueur purpurine ; La poule numidique enrichit sa cuisine ; Lâoiseau cher Ă Junon, si fier de son Ă©clat, Sâengraisse pour flatter son palais dĂ©licat ; Que dis-je ? la cigogne, aimable voyageuse, Vient orner Ă son tour sa table somptueuse. Lâautre voit sans courroux, chez vingt adorateurs, Sa femme promener ses lubriques ardeurs. Le digne Ă©poux ! aussi, voyez comme elle brille ! La perle orne son front, lâĂ©meraude y scintille ; Un voile transparent, de ses secrets appas, Dessine les contours, et ne les cache pas. Mais ces tissus, PhrynĂ©, gĂȘnent encore la vue[4] Ose enfin au public te montrer toute nue ! CHAPITRE LVI. Quel est, selon vous, ajouta-t-il, le mĂ©tier le plus difficile de tous, aprĂšs celui des lettres ? Pour moi, je pense que câest la mĂ©decine et la banque en effet, le mĂ©decin sait ce que lâhomme a dans ses entrailles, et quand la fiĂšvre doit se dĂ©clarer ; ce qui ne mâempĂȘche pas de haĂŻr ces docteurs qui me prescrivent trop souvent le bouillon de canard le banquier, Ă travers lâargent, sait dĂ©couvrir lâalliage du cuivre. Il y a deux espĂšces dâanimaux muets trĂšs laborieux, le bĆuf et la brebis le bĆuf, Ă qui nous sommes redevables du pain que nous mangeons ; la brebis, dont la laine nous donne ces habits dont nous sommes si fiers. Et cependant, ĂŽ comble de lâingratitude ! lâhomme nâhĂ©site pas Ă manger la brebis, oubliant quâil lui doit sa tunique. Je pense aussi quâelles ont un instinct divin, ces abeilles qui Ă©laborent le miel, bien quâon prĂ©tende quâelles le reçoivent de Jupiter. Mais aussi font-elles de violentes piqĂ»res ce qui prouve que la plus grande douceur est toujours accompagnĂ©e de quelque amertume. â DĂ©jĂ Trimalchion tranchait du philosophe, lorsque lâon fit circuler autour de la table un vase qui contenait des billets de loterie. Un esclave, chargĂ© de cet emploi, lisait Ă haute voix les lots qui Ă©taient Ă©chus Ă chacun des convives[1] Argent, cause de tous les crimes[2] ! on apporta un jambon sur lequel il y avait un huilier ; Cravate ! on apporta une corde de potence ; Absinthe et Affronts ! on apporta des fraises sauvages, un croc et une pomme[3]. Pour un billet ainsi conçu Poireaux et PĂšches, un convive reçut un fouet et un couteau ; pour un autre Passereaux et Chasse-mouche, des raisins secs et du miel attique ; pour un autre Robe de festin et Robe de ville, un gĂąteau, et des tablettes ; pour un autre Canal et mesure dâun pied, on apporta un liĂšvre et une pantoufle ; pour un autre enfin MurĂšne et Lettre, un rat dâeau liĂ© avec une grenouille, et un paquet de poirĂ©e. Nous rĂźmes longtemps de ces lots bizarres, et de mille autres semblables, dont jâai perdu la mĂ©moire. CHAPITRE LVII. Cependant Ascylte, levant les mains au ciel, se moquait, sans contrainte, de toutes ces niaiseries, dont il riait Ă gorge dĂ©ployĂ©e. Cette conduite irrita un des affranchis de Trimalchion, celui-lĂ mĂȘme qui Ă©tait Ă table au-dessus de moi â Quâas-tu donc Ă rire, pĂ©core ? sâĂ©cria-t-il. Est-ce que la magnificence de mon maĂźtre nâest point de ton goĂ»t ? Sans doute tu es plus riche que lui, et tu fais meilleure chĂšre ? Que les lares protecteurs de cette maison me soient en aide ! si jâĂ©tais auprĂšs de lui, je lâaurais dĂ©jĂ empĂȘchĂ© de braire. Voyez un peu le bel avorton, pour se moquer des autres ! il mâa tout lâair dâun vagabond de nuit, qui ne vaut pas la corde qui servira Ă le pendre ! Si je lĂąchais autour de lui le superflu de ma boisson, il ne saurait par oĂč sâenfuir. Certes, je ne me mets pas aisĂ©ment en colĂšre ; mais quand on se fait brebis, le loup vous mange. Il rit ! quâa-t-il Ă rire ? On ne se choisit pas un pĂšre. Je vois Ă ta robe que tu es chevalier romain, et moi je suis le fils dâun roi. Pourquoi donc, diras-tu, as-tu Ă©tĂ© au service dâautrui ? Parce quâil mâa plu de me mettre en servitude, et que jâai mieux aimĂ© ĂȘtre citoyen romain que roi tributaire. Mais je compte maintenant vivre de telle sorte, que je ne serai plus le jouet de personne. Je suis un homme parmi les hommes, et je marche tĂȘte levĂ©e, je ne dois pas un sou Ă qui que ce soit. Je nâai jamais reçu dâassignation ; jamais un crĂ©ancier ne mâa dit au forum Rends-moi ce que tu me dois. Jâai achetĂ© des terres ; jâai des lingots dans mon coffre-fort ; je nourris vingt bouches chaque jour sans compter mon chien. Jâai rachetĂ© ma femme, afin quâun maĂźtre nâeĂ»t plus le droit de prendre sa gorge pour essuie main on mâa confĂ©rĂ© gratuitement la dignitĂ© de sĂ©vir, et jâespĂšre nâavoir pas Ă rougir, aprĂšs ma mort, de ma conduite en ce monde. Mais toi, tu as de si mauvaises affaires, que tu nâoses pas regarder derriĂšre toi. Tu vois un pou sur ton voisin, et tu ne vois pas un scorpion sur toi. Il nây a quâun homme de ta trempe qui puisse nous trouver ridicules. Voici Agamemnon, ton maĂźtre, homme plus ĂągĂ© que toi, qui cependant se plaĂźt dans notre sociĂ©tĂ© va, tu nâes quâun bambin ; et si lâon te pressait le bout du nez, il en sortirait encore du lait. Veux-tu te taire, cruche fĂȘlĂ©e, cuir mouillĂ©, qui, pour ĂȘtre plus souple, nâen es pas meilleur. Si tu es plus riche que les autres, dĂźne deux fois, soupe deux fois. Pour moi, jâestime plus ma conscience que tous les trĂ©sors du monde. Mâa-t-on jamais rĂ©clamĂ© deux fois une chose due ? Jâai servi quarante ans ; mais qui pourrait dire si jâĂ©tais esclave ou libre ? Je nâĂ©tais encore quâun enfant, et jâavais une longue chevelure, quand je vins dans cette colonie Ă cette Ă©poque, la basilique nâĂ©tait pas encore bĂątie. Je fis tous mes efforts pour contenter mon maĂźtre, homme puissant et Ă©levĂ© en dignitĂ©, qui valait mieux dans son petit doigt que toi dans toute ta personne je ne manquais pas dâennemis dans sa maison qui cherchaient Ă me supplanter ; mais, grĂące Ă mon bon gĂ©nie, jâai surnagĂ©, et jâai recueilli le prix de mes efforts car il est plus facile de naĂźtre dans une condition libre, que dây arriver par son mĂ©rite. Eh bien ! pourquoi restes-tu la bouche bĂ©ante comme un bouc devant une statue de Mercure ? CHAPITRE LVIII. Lorsquâil eut fini de parler, Giton, placĂ© Ă table au-dessous de lui, et qui depuis longtemps se mourait dâenvie de rire, Ă©clata tout Ă coup si bruyamment, que lâantagoniste dâAscylte, lâayant aperçu, tourna contre cet enfant toute sa colĂšre â Et toi aussi, lui-dit-il, tu ris, petite pie huppĂ©e ? Voici les Saturnales ! Sommes-nous donc, je te prie, au mois de dĂ©cembre ? Quand as-tu payĂ© lâimpĂŽt du vingtiĂšme pour ĂȘtre libre ? Voyez un peu lâaudace de ce gibier de potence, vraie pĂąture de corbeaux ! Puisse Jupiter faire tomber tout son courroux sur toi et sur ton maĂźtre qui ne sait pas te faire taire ! puissĂ©-je perdre le goĂ»t du pain, si je ne tâĂ©pargne par respect pour notre hĂŽte, mon ancien camarade ! sans sa prĂ©sence, je tâaurais chĂątiĂ© sur-le-champ. Nous nous trouvons bien traitĂ©s ici ; mais il nâen est pas de mĂȘme de ton dĂ©bauchĂ© de maĂźtre, qui ne sait pas te faire rentrer dans ton devoir. On a bien raison de dire tel maĂźtre, tel valet. Jâai peine Ă me contenir ; car, de ma nature, jâai la tĂȘte chaude, et quand je suis une fois lancĂ©, je ne connais personne, pas mĂȘme ma propre mĂšre. Câest bien ! je te rencontrerai ailleurs, reptile ! ver de terre ! PuissĂ©-je voir ma fortune renversĂ©e de fond en comble, si je ne force ton maĂźtre Ă se cacher dans un trou de souris ! et je ne tâĂ©pargnerai pas non plus oui, certes, quand bien mĂȘme tu appellerais Ă ton secours le grand Jupiter, je tâallongerai encore ta chevelure dâune aune toi et ton digne maĂźtre, vous tomberez tous deux sous ma griffe. Ou je ne me connais pas, ou tu perdras pour longtemps lâenvie de me railler, quand tu aurais une barbe dâor, comme nos dieux. Jâattirerai les malĂ©fices de la sorciĂšre Sagana sur toi et sur celui qui le premier a pris soin de ton Ă©ducation. Je nâai pas appris, moi, la gĂ©omĂ©trie, la critique, et autres bagatelles semblables ; mais je connais le style lapidaire, et je sais faire la division en cent parties, selon le mĂ©tal, le poids, la monnaie. Enfin, si tu veux, nous ferons, toi et moi, une gageure. Voyons, je tâabandonne le choix du sujet. Je veux te convaincre que ton pĂšre a perdu son argent Ă te faire Ă©tudier, quoique tu saches la rhĂ©torique. Dis-moi quel est celui de nous qui vient lentement et qui va loin. Paye-moi, et je te le dirai. Quel est celui qui court et qui ne bouge pas de place ? quel est celui qui croĂźt et devient plus petit ? Tu tâagites, tu restes la bouche bĂ©ante, tu te dĂ©mĂšnes comme une souris dans un pot de nuit. Tais-toi donc, ou ne moleste pas un homme qui vaut mieux que toi, et qui ne sâĂ©tait pas aperçu que tu fusses au monde. Crois-tu donc mâen imposer avec tes bagues couleur de buis, que tu as sans doute volĂ©es Ă ta maĂźtresse ? Que Mercure nous soit en aide ! allons tous deux sur la place, et empruntons de lâargent tu verras si cet anneau de fer que je porte a quelque crĂ©dit. Ah ! le joli garçon ! il est confus comme un renard mouillĂ© ! PuissĂ©-je gagner tant dâargent et mourir en si bonne rĂ©putation, que le peuple bĂ©nisse ma mĂ©moire, comme il est vrai que je te poursuivrai partout, jusquâĂ ce que je tâaie fait condamner par les magistrats. Câest aussi un joli garçon, que celui qui tâa si bien appris Ă vivre ! Mufrius, notre maĂźtre, nous disait car nous aussi, nous avons Ă©tudiĂ© ; Mufrius nous disait Votre devoir est-il fini ? allez tout droit Ă la maison, sans regarder autour de vous, sans injurier ceux qui sont plus ĂągĂ©s que vous, sans compter les Ă©choppes autrement, on ne parvient Ă rien. » Pour moi, je rends grĂąces aux dieux du savoir-faire qui mâa Ă©levĂ© au rang que jâoccupe. CHAPITRE LIX. Ascylte commençait Ă rĂ©pondre Ă ces invectives, quand Trimalchion, charmĂ© de lâĂ©loquence de son affranchi â Laissez lĂ , leur dit-il, les injures, et ne songez quâĂ vous rĂ©jouir. Toi, HermĂ©ros, tu devrais Ă©pargner ce jeune homme le sang lui bout dans les veines ; montre-toi le plus raisonnable dans ces sortes de combats, tout lâavantage est pour celui qui cĂšde lorsque tu venais dâĂȘtre chaponnĂ©, cocorico, tu nâĂ©tais pas plus raisonnable que lui. Nous ferons bien mieux de reprendre notre humeur facile et joyeuse, en attendant les HomĂ©ristes. â Au mĂȘme instant, une troupe de ces comĂ©diens entra, en faisant retentir les boucliers du choc des lances Trimalchion, pour les Ă©couter, sâassied sur un carreau ; mais Ă peine les HomĂ©ristes eurent-ils commencĂ© Ă dĂ©clamer des vers grecs, selon leur coutume, que, par un nouveau caprice, il se mit Ă lire Ă haute voix un livre latin. Puis bientĂŽt, faisant faire silence â Savez-vous, nous dit-il, quelle est la fable quâils reprĂ©sentent ? DiomĂšde et GanymĂšde Ă©taient deux frĂšres ; HĂ©lĂšne Ă©tait leur sĆur. Agamemnon lâenleva, et lui substitua une biche, pour ĂȘtre immolĂ©e Ă Diane. Ainsi HomĂšre, dans ce poĂ«me, nous raconte les combats des Troyens et des Parentins. Agamemnon fut vainqueur, et donna sa fille IphigĂ©nie en mariage Ă Achille. Cette union fut cause quâAjax perdit la raison, comme on va vous lâexpliquer tout Ă lâheure. â Trimalchion parlait encore, quand les HomĂ©ristes jetĂšrent un grand cri, et des valets accoururent, portant sur un plat immense un veau bouilli, qui avait un casque sur la tĂȘte. DerriĂšre venait Ajax, qui, lâĂ©pĂ©e nue, et imitant les gestes dâun furieux, le dĂ©coupa dans tous les sens ; puis, avec la pointe de son Ă©pĂ©e, en distribua successivement tous les morceaux aux convives Ă©merveillĂ©s. CHAPITRE LX. Nous eĂ»mes Ă peine le temps dâadmirer sa dextĂ©ritĂ© ; car tout Ă coup le plancher supĂ©rieur vint Ă craquer avec un si grand bruit[1], que toute la salle du festin en trembla. ĂpouvantĂ©, je me levai, dans la crainte que quelque danseur de corde ne tombĂąt sur moi du plafond les autres convives, non moins surpris, levĂšrent les yeux en lâair, pour voir quelle nouvelle apparition leur venait du ciel. Soudain, le lambris sâentrâouvre, et un vaste cercle, se dĂ©tachant de la coupole, descend sur nos tĂȘtes, et nous offre, dans son contour, des couronnes dâor, et des vases dâalbĂątre remplis de parfums[2]. InvitĂ©s Ă accepter ces prĂ©sents, nous jetons les yeux sur la table, et nous la voyons couverte, comme par enchantement, dâun plateau garni de gĂąteaux une figure de Priape, en pĂątisserie[3], en occupait le centre ; selon lâusage, il portait une grande corbeille pleine de raisins et de fruits de toute espĂšce. DĂ©jĂ nous Ă©tendions une main avide vers ce splendide dessert, quand un nouveau divertissement vint ranimer notre gaietĂ© languissante au plus lĂ©ger toucher, de tous ces gĂąteaux, de tous ces fruits jaillissaient des flots de safran[4] qui, nous sautant au visage, nous inondaient dâune liqueur incommode. PersuadĂ©s que ce Priape avait quelque chose de sacrĂ©, nous fĂźmes dĂ©votement les libations dâusage, et, nous levant sur notre sĂ©ant, nous criĂąmes Le ciel protĂšge lâempereur, pĂšre de la patrie ! AprĂšs cet acte de religion, voyant quelques-uns des convives faire main basse sur les fruits, nous suivĂźmes leur exemple, moi surtout qui pensais ne pouvoir jamais en donner assez Ă mon cher Giton. Sur ces entrefaites, trois esclaves, vĂȘtus de tuniques blanches, entrĂšrent dans la salle deux dâentre eux posĂšrent sur la table des dieux Lares, qui avaient des bulles dâor suspendues Ă leur cou ; le troisiĂšme, portant dans sa main une coupe pleine de vin, fit le tour de la table, et prononça Ă haute voix ces mots Aux dieux propices ! Or ces dieux, disait-il, sâappelaient Cerdon, FĂ©licion et Lucron[5]. On fit ensuite circuler une image trĂšs-ressemblante de Trimalchion ; et voyant que chacun la baisait Ă la ronde, nous nâosĂąmes nous dispenser dâen faire autant. CHAPITRE LXI. DĂšs que tous les convives se furent souhaitĂ© mutuellement la santĂ© du corps et celle de lâesprit, Trimalchion, se tournant vers NicĂ©ros, lui dit â Vous que jâai toujours vu Ă table un vĂ©ritable boute-en-train, je ne sais pourquoi vous vous taisez aujourdâhui, et ne parlez pas mĂȘme Ă voix basse. Voyons, pour me faire plaisir, racontez-nous quelquâune de vos aventures. â CharmĂ© de ce compliment amical, NicĂ©ros rĂ©pondit â Que jamais je nâobtienne un sourire de la Fortune, si depuis longtemps je ne tressaille de joie Ă la vue du bonheur dont vous semblez jouir ! Livrons-nous donc sans contrainte Ă la gaietĂ©. Je vais vous raconter une histoire, bien que je craigne dâĂȘtre en butte aux sarcasmes de ces savants. Ă eux permis ; ils peuvent rire, cela ne mâĂŽtera pas une obole mieux vaut laisser rire de soi que de rire des autres. Ayant ainsi parlĂ©. . . . . il commença son rĂ©cit en ces termes â JâĂ©tais encore en service, et nous habitions cette petite rue oĂč est maintenant la maison de Gaville. LĂ , par la volontĂ© des dieux, je tombai amoureux de la femme de TĂ©rence, le cabaretier. Vous avez tous connu MĂ©lisse de Tarente ; câĂ©tait bien le plus joli nid de baisers qui fĂ»t au monde. Toutefois, sur mon honneur, ce nâĂ©tait point un amour charnel ou lâattrait du plaisir qui mâattachait Ă elle ; câĂ©taient plutĂŽt ses bonnes qualitĂ©s. Jamais elle ne me refusait rien ; elle allait au-devant de tous mes vĆux. Je lui confiais mes petites Ă©conomies, et je nâeus jamais Ă me repentir de ma confiance. Son mari mourut Ă la campagne. Alors, je me mis lâesprit Ă la torture pour inventer quelque moyen dâaller la rejoindre. Câest dans les circonstances critiques que lâon connaĂźt ses vĂ©ritables amis. CHAPITRE LXII. Par un heureux hasard, mon maĂźtre Ă©tait allĂ© Ă Capoue vendre quelques nippes dâassez bon dĂ©bit. Profitant de cette occasion, je persuadai Ă notre hĂŽte de mâaccompagner jusquâĂ cinq milles de lĂ . CâĂ©tait un soldat, brave comme Pluton. Nous nous mettons en route au premier chant du coq la lune brillait, et on y voyait clair comme en plein midi. Chemin faisant, nous nous trouvĂąmes parmi des tombeaux. Soudain, voilĂ mon homme qui se met Ă conjurer les astres ; moi, je mâassieds, et je fredonne un air, en comptant les Ă©toiles. Puis, mâĂ©tant retournĂ© vers mon compagnon, je le vis se dĂ©pouiller de tous ses habits, quâil dĂ©posa sur le bord de la route. Alors, la mort sur les lĂšvres, je restai immobile comme un cadavre. Mais jugez de mon effroi, quand je le vis pisser tout autour de ses habits, et, au mĂȘme instant, se transformer en loup. Ne croyez pas que je plaisante ; je ne mentirais pas pour tout lâor du monde. Mais oĂč donc en suis-je de mon rĂ©cit ? mây voici. Lorsquâil fut loup, il se mit Ă hurler, et sâenfuit dans les bois. Dâabord, je ne savais oĂč jâĂ©tais ; ensuite, je mâapprochai de ses habits pour les emporter ils Ă©taient changĂ©s en pierres. Si jamais homme dut mourir de frayeur, câĂ©tait moi. Cependant, jâeus le courage de tirer mon Ă©pĂ©e, et jâen frappai lâair de toute ma force, pour Ă©carter les malins esprits tout le long du chemin, jusquâĂ la maison de ma maĂźtresse. DĂšs que jâen eus franchi le seuil, je faillis rendre lâĂąme une sueur froide me coulait de tous les membres ; mes yeux Ă©taient morts, et lâon eut toutes les peines du monde Ă me faire revenir. Ma chĂšre MĂ©lisse me tĂ©moigna son Ă©tonnement de me voir arriver Ă une heure si avancĂ©e Si vous Ă©tiez venu plus tĂŽt, me dit-elle, vous nous auriez Ă©tĂ© dâun grand secours ; un loup a pĂ©nĂ©trĂ© dans la bergerie, et a Ă©gorgĂ© tous nos moutons câĂ©tait une vĂ©ritable boucherie. Mais, bien quâil se soit Ă©chappĂ©, il nâa pas eu Ă sâapplaudir de son expĂ©dition ; car un de nos valets lui a passĂ© sa lance Ă travers le cou. » Ă ce rĂ©cit, je vous laisse Ă penser si jâouvris de grands yeux ; et, comme le jour venait de paraĂźtre, je courus Ă toutes jambes vers notre maison, comme un marchand dĂ©troussĂ© par des voleurs. Lorsque jâarrivai Ă lâendroit oĂč jâavais laissĂ© les vĂȘtements changĂ©s en pierres, je nây trouvai que du sang. Mais, en entrant au logis, je trouvai mon soldat Ă©tendu sur un lit il saignait comme un bĆuf, et un mĂ©decin Ă©tait occupĂ© Ă lui panser le cou. Je reconnus alors que câĂ©tait un loup-garou[1] ; et, Ă dater de ce jour, on mâaurait assommĂ© plutĂŽt que de me faire manger un morceau de pain avec lui. Libre Ă ceux qui ne veulent pas me croire dâen penser ce quâils voudront ; mais, si je mens, que les gĂ©nies qui veillent sur vous mâaccablent de leur colĂšre ! CHAPITRE LXIII. Ce rĂ©cit nous laissa tous saisis dâĂ©tonnement â Je vous crois, dit Trimalchion, et votre histoire mâa tellement frappĂ©, que les cheveux mâen ont dressĂ© sur la tĂȘte. Je connais NicĂ©ros, mes amis ; il ne sâamuserait point Ă nous dĂ©biter des sornettes ; ce nâest point un hĂąbleur, et il mĂ©rite toute votre confiance. Je vais moi-mĂȘme vous raconter quelque chose dâhorrible et dâaussi extraordinaire que de voir un Ăąne marcher sur un toit[1]. Je portais encore une longue chevelure car, dĂšs mon enfance, jâai toujours menĂ© une vie voluptueuse[2], quand Iphis, mes plus chĂšres dĂ©lices, vint Ă mourir câĂ©tait, sur ma parole, un vrai bijou, un enfant charmant, ayant tout pour lui. Tandis que sa pauvre mĂšre sâabandonnait Ă sa douleur, et que nous Ă©tions plusieurs auprĂšs dâelle occupĂ©s Ă la consoler, tout Ă coup des sorciĂšres[3] firent entendre au dehors un bruit semblable Ă celui de chiens qui poursuivent un liĂšvre. Nous avions alors parmi nous un Cappadocien, homme de haute taille et dâun courage Ă toute Ă©preuve il eĂ»t attaquĂ© Jupiter, armĂ© de sa foudre. Tirant donc son sabre dâun air rĂ©solu, et roulant avec soin son manteau autour de son bras gauche, il sort en courant de la maison, rencontre une de ces sorciĂšres, et lui passe son Ă©pĂ©e au travers du corps, comme qui dirait ici que les dieux prĂ©servent ce que je touche[4] !. Un gĂ©missement frappa nos oreilles ; mais, pour ne pas mentir, nous ne vĂźmes pas les sorciĂšres. En rentrant, notre brave se jeta sur un lit tout son corps Ă©tait couvert de taches livides, comme sâil eĂ»t Ă©tĂ© battu de verges ; câest quâil avait Ă©tĂ© touchĂ© par une mauvaise main. Nous fermons la porte, et nous reprenons auprĂšs du dĂ©funt nos tristes fonctions ; mais, au moment oĂč la mĂšre se jetait sur le corps de son fils pour lâembrasser, ĂŽ surprise ! elle ne voit, elle ne touche quâune espĂšce de mannequin rempli de paille, qui nâavait ni cĆur ni entrailles, enfin rien dâhumain. Sans doute les sorciĂšres avaient emportĂ© lâenfant, et lui avaient substituĂ© ce vain simulacre. Dites-moi, je vous prie, si lâon peut, dâaprĂšs cela, nier lâexistence de ces femmes habiles dans les malĂ©fices, qui, pendant la nuit, mettent tout sens dessus dessous. Cependant notre grand Cappadocien ne recouvra jamais sa couleur naturelle ; et mĂȘme, Ă quelques jours de lĂ , il mourut frĂ©nĂ©tique. CHAPITRE LXIV. Notre Ă©tonnement redouble avec notre crĂ©dulitĂ© ; et, baisant religieusement la table, nous conjurons les sorciĂšres de rester chez elles, et de ne pas nous troubler dans notre retour au logis. DĂ©jĂ , tant jâĂ©tais ivre, je voyais se multiplier Ă lâinfini le nombre des lumiĂšres, et toute la salle du festin changer dâaspect, lorsque Trimalchion dit Ă Plocrime â En vĂ©ritĂ©, je ne te conçois pas, tu ne nous racontes rien ; tu ne dis rien pour nous amuser. Cependant, je tâai connu un aimable convive ; tu chantais Ă ravir, tu nous dĂ©clamais des dialogues en vers ! hĂ©las ! le charme de nos desserts sâen est allĂ©. â Il est vrai, rĂ©pondit Plocrime, que jâai bien enrayĂ© depuis que je suis devenu goutteux. Autrefois, quand jâĂ©tais jeune, je chantais jusquâĂ mâen rendre poitrinaire ! Et la danse ! et les scĂšnes de comĂ©die ! et les tours de force ! je nâavais pas mon pareil pour tout cela, si ce nâest ApellĂšte[1]. â Ă ces mots, mettant sa main sur sa bouche, il nous fit entendre un horrible sifflement, quâil nous dit ensuite ĂȘtre une imitation des Grecs. Trimalchion, Ă son tour, aprĂšs avoir essayĂ© de contrefaire les joueurs de flĂ»te, se tourna vers lâobjet de ses amours, quâil appelait CrĂ©sus. CâĂ©tait un petit esclave chassieux, qui avait les dents toutes sales ; il sâamusait alors Ă envelopper dâun ruban vert une petite chienne noire, et grasse Ă faire peur. Ayant posĂ© sur son lit un pain dâune demi-livre, il le faisait avaler, bon grĂ© mal grĂ©, Ă la pauvre bĂȘte. Cela fut cause que Trimalchion, se souvenant de Scylax, le gardien de sa maison et de sa famille, ordonna de lâamener. Lâinstant dâaprĂšs, nous vĂźmes entrer un chien dâune taille Ă©norme il Ă©tait enchaĂźnĂ© ; mais un coup de pied du portier lâavertit de se coucher, et il sâĂ©tendit devant la table. Trimalchion lui jeta du pain blanc en disant â Il nây a personne dans ma maison qui mâaime plus que cet animal. â CrĂ©sus, piquĂ© des louanges prodiguĂ©es Ă Scylax, pose sa chienne Ă terre, et lâagace de toutes ses forces contre lui. Alors Scylax, selon lâinstinct de sa race, remplit toute la salle du bruit de ses horribles aboiements, et faillit mettre en piĂšces la Perle câĂ©tait le nom de la chienne de CrĂ©sus ; mais le tumulte ne se borna pas Ă cette querelle, car un des lustres tomba sur la table, et, brisant tous les vases qui sây trouvaient, couvrit dâhuile bouillante quelques-uns des convives. Trimalchion, pour ne pas paraĂźtre affectĂ© de cette perte, embrassa son mignon, et lui ordonna de grimper sur son dos. AussitĂŽt fait que dit CrĂ©sus enfourche sa monture, et lui frappe du plat de la main sur les Ă©paules ; puis, ouvrant les doigts de lâautre main, il sâĂ©crie en riant â Cornes ! cornes ! combien sont-elles[2] ? â Trimalchion, aprĂšs avoir subi pendant quelque temps cette espĂšce de pĂ©nitence, donna lâordre de remplir de vin un grand vase, et dâen verser Ă tous les esclaves qui Ă©taient assis Ă nos pieds, avec cette restriction â Si quelquâun dâentre eux, dit-il, refusait de boire, quâon lui jette le vin sur la tĂȘte je suis sĂ©vĂšre pendant le jour ; mais maintenant, vive la joie ! CHAPITRE LXV. AprĂšs cet acte de familiaritĂ©, on servit les mattĂ©es[1], dont le souvenir seul, vous pouvez mâen croire, me soulĂšve encore le cĆur car, au lieu de grives, on offrit Ă chacun de nous une poularde grasse, des Ćufs dâoie chaperonnĂ©s ; et Trimalchion nous pria avec beaucoup dâinstances dây goĂ»ter, assurant que les poulardes Ă©taient dĂ©sossĂ©es. Nous en Ă©tions lĂ du festin, lorsquâun licteur frappa Ă la porte, et un nouveau convive, vĂȘtu dâune robe blanche, entra dans la salle, suivi dâun nombreux cortĂšge. Saisi dâune crainte respectueuse Ă lâaspect de ce personnage, je crus que câĂ©tait le prĂ©teur. Dans cette pensĂ©e, jâallais me lever et descendre pieds nus sur le carreau[2]. Mais Agamemnon, riant de mon empressement â Fou que vous ĂȘtes, me dit-il, ne vous dĂ©rangez pas ; ce nâest rien ; câest le sĂ©vir Habinnas, marbrier de son mĂ©tier, et qui passe pour un habile ouvrier en fait de tombeaux. â RassurĂ© par ces paroles, je me remis les coudes sur la table, non sans toutefois admirer lâentrĂ©e majestueuse du sĂ©vir. Il Ă©tait dĂ©jĂ entre deux vins, et, pour se soutenir, sâappuyait sur lâĂ©paule de sa femme ; de son front, ornĂ© de plusieurs couronnes, coulaient des ruisseaux de parfums qui lui tombaient sur les yeux. Il se mit sans façon Ă la place dâhonneur, et sur-le-champ demanda du vin et de lâeau chaude. CharmĂ© de son bachique enjouement, Trimalchion demanda aussi une plus grande coupe, et sâinforma dâHabinnas comment on lâavait traitĂ© dans la maison dâoĂč il sortait. â Nous avons eu tout Ă souhait, rĂ©pondit-il il ne nous manquait que vous ; car mon cĆur Ă©tait ici. Du reste, je vous jure, tout sâest trĂšs bien passĂ©. Scissa cĂ©lĂ©brait avec magnificence la neuvaine de Misellus[3], un de ses esclaves, quâil nâavait affranchi quâĂ lâarticle de la mort[4] outre lâimpĂŽt du vingtiĂšme quâil y gagne, il a trouvĂ©, je pense, une bonne succession ; car on nâestime pas Ă moins de cinquante mille Ă©cus les biens du dĂ©funt. Toutefois, nous avons fait un repas trĂšs agrĂ©able, quoiquâil nous ait fallu verser sur ses os la moitiĂ© de notre vin[5]. CHAPITRE LXVI. Mais enfin que vous a-t-on servi ? reprit Trimalchion. â Je vais vous le dire, si je puis ; car jâai si bonne mĂ©moire quâil mâarrive souvent dâoublier mon propre nom. Nous avons eu dâabord, au premier service, un porc couronnĂ© de boudins, et entourĂ© de saucisses, des gĂ©siers trĂšs-bien accommodĂ©s, des citrouilles, et du pain bis de mĂ©nage, que je prĂ©fĂšre au pain blanc, parce quâil est fortifiant, laxatif, et me fait aller oĂč vous savez sans douleur. Le second service se composait dâune tarte froide[1], arrosĂ©e dâun miel dâEspagne chaud et dĂ©licieux aussi je nâai pas touchĂ© Ă la tarte ; quant au miel, je mâen suis lĂ©chĂ© les doigts. Alentour Ă©taient des pois chiches, des lupins, des noix Ă foison, mais seulement une pomme pour chaque convive ; cependant jâen ai pris deux ; et, tenez, les voici roulĂ©es dans ma serviette car si je nâapportais quelque petit cadeau de ce genre Ă mon esclave favori, il y aurait du bruit Ă la maison. Mais ma femme me fait souvenir dâun mets que jâallais oublier. On servit devant nous un morceau dâourson, et Scintilla en ayant goĂ»tĂ© sans savoir ce que câĂ©tait, faillit vomir jusquâĂ ses entrailles pour moi, jâen ai mangĂ© plus dâune livre, car il avait un fumet de sanglier Ă sây mĂ©prendre. En effet, me disais-je, si les ours mangent les hommes, Ă plus forte raison les hommes doivent manger les ours. Enfin, nous avons eu un fromage mou, du vin cuit, quelques escargots, des tripes hachĂ©es, des foies en caisses, des Ćufs chaperonnĂ©s, des raves, de la moutarde, un petit plat de coquillages, des biscuits, une couple de jeunes thons ; on fit aussi circuler, dans une petite nacelle, des olives marinĂ©es, que quelques convives nous disputĂšrent grossiĂšrement Ă coups de poing quant au jambon, nous le renvoyĂąmes sans y toucher. CHAPITRE LXVII. Mais dites-moi, GaĂŻus, je vous prie, pourquoi Fortunata nâest-elle pas des nĂŽtres ? â Pourquoi ? ne la connaissez-vous pas ? Elle ne boirait pas mĂȘme un verre dâeau avant dâavoir serrĂ© lâargenterie et distribuĂ© aux esclaves la desserte du repas. â Je le sais ; mais si elle ne se met pas Ă table, je vais me retirer. â Et, en effet, il faisait dĂ©jĂ le geste de se lever, lorsquâĂ un signal donnĂ© par leur maĂźtre, tous les esclaves se mirent Ă appeler Fortunata Ă trois et quatre reprises. Elle arriva enfin. Sa robe, retroussĂ©e par une ceinture vert-pĂąle, laissait apercevoir en dessous sa tunique couleur cerise, ses jarretiĂšres en torsade dâor et ses mules ornĂ©es de broderies du mĂȘme mĂ©tal. AprĂšs avoir essuyĂ© ses mains au mouchoir quâelle portait autour du cou, elle se plaça sur le mĂȘme lit quâoccupait lâĂ©pouse dâHabinnas, Scintilla, qui lui en tĂ©moigna sa satisfaction. Fortunata lâembrassa et lui dit â Quel bonheur de vous voir ! â Ensuite elles en vinrent Ă un tel degrĂ© dâintimitĂ©, que Fortunata, dĂ©tachant de ses gros bras les bracelets dont ils Ă©taient ornĂ©s, les offrit Ă lâadmiration de Scintilla. Enfin elle ĂŽta jusquâĂ ses jarretiĂšres ; elle ĂŽta mĂȘme le rĂ©seau de sa coiffure quâelle assura ĂȘtre filĂ© de lâor le plus pur. Trimalchion, qui le remarqua, fit apporter tous les bijoux de sa femme. â Voyez, dit-il, quel est lâattirail dâune femme ! câest ainsi que nous nous dĂ©pouillons pour elles, sots que nous sommes ! Ces bracelets doivent peser six livres et demie ; jâen ai moi-mĂȘme un de dix livres que jâai fait faire avec les milliĂšmes vouĂ©s Ă Mercure. â Et, pour nous montrer quâil nâen imposait pas, il fit apporter une balance, et tous les convives furent forcĂ©s de vĂ©rifier le poids de chacun de ces bracelets. Scintilla, non moins vaine, dĂ©tache de son cou une cassolette dâor, Ă laquelle elle donnait le nom de Felicion, et en tire deux pendants dâoreille, quâelle fait Ă son tour admirer Ă Fortunata. â GrĂące Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© de mon mari, personne, dit-elle, nâen a de plus beaux. â Parbleu ! dit Habinnas, ne mâas-tu pas ruinĂ© de fond en comble pour tâacheter ces babioles de verre ? Certes, si jâavais une fille, je lui ferais couper les oreilles. Sâil nây avait pas de femmes au monde, nous mĂ©priserions tout cela comme de la boue ; mais toutes nos remontrances nây font que de lâeau claire. â Cependant, les deux amies, dĂ©jĂ Ă©tourdies par le vin, se mettent Ă rire entre elles, et, dans leur ivresse, se jettent au cou lâune de lâautre. Scintilla vante les soins diligents que Fortunata donne Ă son mĂ©nage ; Fortunata, le bonheur de Scintilla et les bons procĂ©dĂ©s de son mari. Mais, tandis quâelles se tiennent ainsi Ă©troitement embrassĂ©es, Habinnas se lĂšve en tapinois ; et, saisissant Fortunata par les pieds, lui fait faire la culbute sur le lit. â Ah ! ah ! sâĂ©cria-t-elle, en voyant ses jupons retroussĂ©s par-dessus ses genoux. Soudain elle se rajuste ; et, se jetant dans les bras de Scintilla, cache sous son mouchoir un visage que la rougeur rendait encore plus laid. CHAPITRE LXVIII. Quelques instants aprĂšs, Trimalchion ordonna de servir le dessert. Les esclaves enlevĂšrent aussitĂŽt toutes les tables, et en apportĂšrent de nouvelles ; ensuite, ils rĂ©pandirent sur le plancher de la sciure de bois teinte avec du safran et du vermillon, et, ce que je nâavais encore vu nulle part, de la pierre spĂ©culaire rĂ©duite en poudre. Alors Trimalchion â Jâaurais pu, nous dit-il, me contenter de ce service, car vous avez devant vous les secondes tables ; mais sâil y a quelques friandises, quâon nous les apporte. â Sur ces entrefaites, un esclave Ă©gyptien qui servait de lâeau chaude se mit Ă imiter le chant du rossignol ; mais bientĂŽt Trimalchion ayant criĂ© â Un autre ! â la scĂšne change. â Un esclave qui Ă©tait couchĂ© aux pieds dâHabinnas, sans doute par lâordre de son maĂźtre, dĂ©clama dâune voix de Stentor les vers suivants La flotte des Troyens, sur la plaine liquide, Suit le chemin tracĂ© par le ciel qui la guide. Jamais sons plus aigres nâĂ©corchĂšrent mes oreilles ; car, outre que le barbare haussait ou baissait de ton, toujours Ă contretemps, il mĂȘlait Ă son rĂ©cit des vers empruntĂ©s aux farces atellanes ; si bien que, grĂące Ă lui, Virgile me dĂ©plut pour la premiĂšre fois. Enfin, nâen pouvant plus, il sâarrĂȘta. â Et cependant, nous dit Habinnas, croiriez-vous quâil nâa jamais rien appris ? seulement je lâai envoyĂ© quelquefois entendre les bateleurs ; câest ainsi quâil sâest formĂ©. Aussi nâa-t-il pas son pareil, quand il veut contrefaire les muletiers ou les charlatans. Mais câest surtout dans les cas urgents que brille son gĂ©nie. Il est Ă la fois cordonnier, cuisinier, pĂątissier ; enfin câest un homme universel. Il nâa que deux petits dĂ©fauts, et câest bien dommage, car sans cela ce serait un garçon accompli il est circoncis, et il ronfle comme un sabot ; il est vrai quâil louche aussi un peu. Mais quâimporte ? câest le regard de VĂ©nus ; câest pour cela quâil me plaĂźt. En considĂ©ration de ce prĂ©tendu dĂ©faut dans la vue, je ne lâai payĂ© que trois cents deniers. CHAPITRE LXIX. Scintilla, interrompant son mari â Vous ne nous parlez pas de tous les mĂ©tiers que fait ce scĂ©lĂ©rat dâesclave il est aussi votre mignon ; mais je ferai en sorte quâil porte la marque de son infamie. â Trimalchion se prit Ă rire. â Je reconnais bien lĂ , dit-il, le Cappadocien il ne se refuse rien ; et, certes, ce nâest pas moi qui lâen blĂąmerai, car il nâa pas son pareil. Pour vous, Scintilla, ne vous montrez pas si jalouse. Croyez-en un vieux renard qui vous connaĂźt bien, vous autres femmes. Puissiez-vous me voir toujours sain et sauf, comme il est vrai que je mâescrimais souvent avec MammĂ©a, la femme de mon maĂźtre ; au point que celui-ci, qui en eut soupçon, me relĂ©gua dans une de ses mĂ©tairies. Mais chut ! jâen ai dĂ©jĂ trop dit. â Prenant cela pour un Ă©loge, le maraud de valet tira de sa robe une espĂšce de cornet Ă bouquin, et, pendant plus dâune demi-heure, il imita les joueurs de flĂ»te. Habinnas, la main posĂ©e sur sa lĂšvre infĂ©rieure, lâaccompagnait en sifflant. Enfin cet esclave en vint Ă ce point dâimpertinence, que, sâavançant au milieu de la salle, tantĂŽt, avec des roseaux fendus, il parodiait les musiciens ; tantĂŽt, couvert dâune casaque et le fouet Ă la main, Ă ses discours, Ă ses gestes, on eĂ»t dit un muletier. Cela dura jusquâau moment oĂč Habinnas, lâappelant auprĂšs de lui, lâembrassa et lui offrit Ă boire, en disant â De mieux en mieux, Massa ! je te fais prĂ©sent dâune paire de bottines. â Nous nâeussions pas vu le terme de toutes ces pauvretĂ©s, si lâon nâeĂ»t enfin apportĂ© le dernier service, composĂ© dâun pĂątĂ© de grives, de raisins secs et de noix confites. Ensuite vinrent des coings lardĂ©s de clous de girofle qui ressemblaient Ă des hĂ©rissons. Tout cela Ă©tait encore supportable ; mais voilĂ quâon nous sert un nouveau plat si monstrueux, que nous eussions mieux aimĂ© mourir de faim que dây goĂ»ter. Chacun de nous eĂ»t jurĂ© que câĂ©tait une oie grasse entourĂ©e de poissons et dâoiseaux de toute espĂšce. Trimalchion nous dĂ©trompa en disant â Tout ce que vous voyez dans ce plat est fait de la chair dâun seul animal. â Pour moi, en homme expĂ©rimentĂ©, je crus deviner sur-le-champ ce que câĂ©tait ; et me tournant vers Agamemnon â Je suis bien trompĂ©, si tout cela nâest pas artificiel, ou fait de terre cuite jâai vu Ă Rome, pendant les Saturnales, des festins entiers reprĂ©sentĂ©s de la mĂȘme maniĂšre. CHAPITRE LXX. Je nâavais pas fini de parler, quand Trimalchion ajouta â PuissĂ©-je voir sâaugmenter, non pas mon embonpoint, mais mon patrimoine, comme il est vrai que mon cuisinier a fait tout cela avec de la chair de porc ! Je ne crois pas quâil existe au monde un homme plus prĂ©cieux. Voulez-vous quâil vous fasse du ventre dâune truie un poisson, une colombe avec le lard, une tourterelle avec le jambon, une poule avec les intestins ? vous nâavez quâĂ parler. Aussi, jâai imaginĂ© pour lui un nom superbe je lâai appelĂ© DĂ©dale. Et pour rĂ©compenser son mĂ©rite, je lui ai fait venir de Rome des couteaux dâacier de Norique. â Et sur-le-champ il se fit apporter ces couteaux, les contempla avec admiration, et nous donna la permission dâen essayer le tranchant sur nos joues. Dans le mĂȘme instant, entrĂšrent deux esclaves qui faisaient semblant de sâĂȘtre pris de querelle Ă la fontaine ; en effet, ils portaient encore des cruches suspendues Ă leur cou. Ce fut en vain que Trimalchion voulut prononcer sur leur diffĂ©rend, ils refusĂšrent de se soumettre Ă sa sentence ; mais chacun dâeux frappa de son bĂąton la cruche de son adversaire. StupĂ©faits de lâinsolence de ces ivrognes, nous regardions attentivement leur combat, lorsque nous vĂźmes tomber de leurs cruches brisĂ©es des huĂźtres et des pĂ©toncles quâun esclave recueillit sur un plat et nous offrit Ă la ronde. Lâhabile cuisinier, pour Ă©galer cette ingĂ©nieuse magnificence, nous apporta des escargots sur un gril dâargent, en accompagnant cette action des sons affreux de sa voix chevrotante. Jâai honte de rapporter les dĂ©tails suivants. Par un raffinement inouĂŻ jusquâalors, des esclaves Ă longue chevelure apportĂšrent des parfums dans un bassin dâargent, en frottĂšrent les pieds des convives, aprĂšs leur avoir dâabord entrelacĂ© les jambes de guirlandes depuis la cuisse jusquâau talon. Ensuite ils versĂšrent le surplus de ces parfums liquides dans les amphores Ă vin et dans les lampes. DĂ©jĂ Fortunata avait commencĂ© Ă figurer quelques danses, et Scintilla, trop ivre pour parler, lâapplaudissait du geste, lorsque Trimalchion sâĂ©cria â Philargyre, et toi, Carrion, qui es un des plus fameux champions de la faction verte, je vous permets de vous mettre Ă table. Minophile, dis Ă ta femme quâelle sây mette aussi. â Il dit ; et soudain toute la valetaille de la maison envahit la salle du festin ; peu sâen fallut quâils ne nous renversassent de nos lits pour sâen emparer. Ce mĂȘme cuisinier, qui dâun porc avait fait une oie, sâĂ©tait placĂ© au-dessus de moi ; je le reconnus aussitĂŽt Ă lâodeur fĂ©tide de saumure et de sauce quâil exhalait. Non content dâĂȘtre Ă table, il se mit aussitĂŽt Ă parodier le tragĂ©dien ĂphĂ©sus, et voulut ensuite gager contre son maĂźtre que, sâil Ă©tait de la faction verte, il remporterait le premier prix Ă la prochaine course du cirque. CHAPITRE LXXI. CharmĂ© de ce dĂ©fi, Trimalchion nous dit â Mes amis, les esclaves sont des hommes comme nous ; ils ont sucĂ© le mĂȘme lait, quoique la Fortune les ait traitĂ©s en marĂątre. Cependant, je veux que, bientĂŽt et de mon vivant, ils goĂ»tent lâeau des hommes libres. Enfin, je les affranchis tous par mon testament. Je lĂšgue en outre Ă Philargyre un fonds de terre et sa femme ; Ă Carrion, un pĂątĂ© de maisons avec le produit du vingtiĂšme et un lit garni. Quant Ă ma chĂšre Fortunata, je lâinstitue ma lĂ©gataire universelle, et je la recommande Ă tous mes amis. Et, si je publie Ă lâavance mes derniĂšres volontĂ©s, câest afin que toutes les personnes de ma maison me chĂ©rissent dĂšs Ă prĂ©sent comme si jâĂ©tais mort. â Tous les esclaves aussitĂŽt de rendre grĂące Ă la gĂ©nĂ©reuse bontĂ© de leur maĂźtre ; mais lui, prenant la chose au sĂ©rieux, fit apporter son testament, et le lut dâun bout Ă lâautre, au milieu des gĂ©missements de tous ses domestiques. Ensuite, se tournant vers Habinnas â Quâen dites-vous, mon cher ami ? HĂ© bien, bĂątissez-vous mon tombeau dâaprĂšs le plan que je vous ai donnĂ© ? je vous recommande surtout de mettre lâimage de ma petite chienne aux pieds de ma statue, puis des couronnes, des vases de parfums, et tous les combats que jâai livrĂ©s, afin que je doive Ă votre habile ciseau la gloire de vivre aprĂšs ma mort. Je veux en outre que le terrain oĂč je serai inhumĂ© ait cent pieds de long sur la voie publique, et deux cents sur la campagne car je prĂ©tends que lâon plante autour de ma sĂ©pulture toutes sortes dâarbres Ă fruits, et surtout beaucoup de vignes. En effet, rien nâest plus absurde que dâavoir de notre vivant des maisons trĂšs-soignĂ©es, et de nĂ©gliger celles oĂč nous devons demeurer bien plus longtemps. Mais, avant toute chose, je veux que lâon y grave cette inscription MON HĂRITIER NâA AUCUN DROIT SUR CE MONUMENT. Au reste, je mettrai bon ordre, par mon testament, Ă ce quâil ne soit fait aucune injure Ă mes restes. Un de mes affranchis sera prĂ©posĂ© Ă la garde de mon tombeau, pour empĂȘcher les passants de venir y faire leurs ordures. Je vous prie, Habinnas, quâon y voie figurer des vaisseaux voguant Ă pleines voiles, et moi-mĂȘme, assis sur un tribunal et vĂȘtu de la robe prĂ©texte, avec cinq anneaux dâor aux doigts, et distribuant au peuple un sac dâargent ; car vous savez que jâai donnĂ© un repas public et deux deniers dâor Ă chaque convive. ReprĂ©sentez-y, si bon vous semble, des salles Ă manger, et le peuple en foule se livrant au plaisir. Ă ma droite, vous placerez la statue de Fortunata, tenant une colombe, et conduisant en laisse une petite chienne ; puis mon cher Cicaron ; puis de larges amphores hermĂ©tiquement bouchĂ©es, de peur que le vin ne se rĂ©pande. Vous pouvez aussi y sculpter une urne brisĂ©e, sur laquelle un enfant versera des pleurs. Au centre du monument, vous tracerez un cadran solaire, disposĂ© de telle sorte que tous ceux qui regarderont lâheure soient forcĂ©s, bon grĂ©, mal grĂ©, de lire mon nom. Quant Ă lâĂ©pitaphe, examinez soigneusement si celle-ci vous semble convenable ICI REPOSE C. POMPEIUS TRIMALCHION, DIGNE ĂMULE DE MĂCĂNE ; EN SON ABSENCE, IL FUT NOMMĂ SĂVIR ; BIEN QUâIL PUT OCCUPER UN RANG DANS TOUTES LES DĂCURIES, IL REFUSA CET HONNEUR ; PIEUX, VAILLANT, FIDĂLE, NĂ PAUVRE, IL SâĂLEVA Ă UNE GRANDE FORTUNE ; IL A LAISSĂ TRENTE MILLIONS DE SESTERCES, ET NâA JAMAIS ASSISTĂ AUX LEĂONS DES PHILOSOPHES. PASSANT, JE TE SOUHAITE LE MĂME SORT. CHAPITRE LXX. En achevant cette lecture, Trimalchion se mit Ă verser un torrent de larmes ; Fortunata pleurait aussi, Habinnas de mĂȘme ; enfin tous les esclaves, comme sâils eussent assistĂ© au convoi de leur maĂźtre, remplissaient la salle de leurs lamentations. Je commençais moi-mĂȘme Ă mâattendrir, lorsque Trimalchion reprit tout Ă coup â Eh bien donc, mes amis, convaincus que nous devons tous mourir, que ne jouissons-nous de la vie ? Maintenant, pour mettre le comble Ă nos plaisirs, allons nous jeter dans le bain. Jâen ai fait lâessai, et vous nâaurez pas Ă vous en repentir, car il est chaud comme un four. â Bravo ! bravo ! rĂ©pondit Habinnas, dâun jour en faire deux, voila ce que jâaime. â Et, se levant pieds nus, il suivit Trimalchion enchantĂ©. Pour moi, regardant Ascylte â Que ferons-nous ? lui dis-je ; la vue seule du bain est capable de me faire mourir sur le coup. â Dites comme eux, rĂ©pondit Ascylte ; et, tandis quâils se rendent au bain, Ă©chappons-nous dans la foule. â Jâapprouve son idĂ©e, et, conduits par Giton, nous traversons le vestibule, et nous gagnons la porte. Nous allions sortir, lorsquâun Ă©norme chien, quoique enchaĂźnĂ©, nous causa une telle frayeur par ses aboiements, quâAscylte, en sâenfuyant, tomba dans un vivier ; et moi, qui, mĂȘme Ă jeun, avais eu peur dâun dogue en peinture, non moins ivre que mon compagnon, en voulant le secourir, je tombai dans lâeau avec lui. Heureusement, le concierge vint nous dĂ©livrer de ce pĂ©ril ; sa prĂ©sence suffit pour faire taire le chien, et il nous tira tout tremblants du vivier. Giton, plus avisĂ© que nous, avait trouvĂ© un admirable expĂ©dient pour se garantir des attaques du chien il lui avait jetĂ© tous les bons morceaux que nous lui avions donnĂ©s pendant le repas ; aussi lâanimal, occupĂ© Ă dĂ©vorer la pĂąture quâil lui offrait, sâĂ©tait-il calmĂ© sur-le-champ. Cependant, transis de froid, nous demandĂąmes Ă notre libĂ©rateur de nous ouvrir la porte. â Vous vous trompez beaucoup, nous dit-il, si vous croyez sortir par oĂč vous ĂȘtes entrĂ©s. Jamais les convives ne repassent deux fois par la mĂȘme porte on entre par un cĂŽtĂ©, on sort par lâautre. CHAPITRE LXXIII. Que faire ? comment trouver lâissue de ce labyrinthe oĂč, pour notre malheur, nous Ă©tions enfermĂ©s ? Nous venions dĂ©jĂ de nous baigner malgrĂ© nous prenant donc notre parti, nous prions le concierge de nous conduire au bain nous quittons nos habits, que Giton fait sĂ©cher Ă lâentrĂ©e, et lâon nous introduit dans une Ă©tuve fort Ă©troite, espĂšce de citerne Ă rafraĂźchir, oĂč Trimalchion se tenait debout, tout nu, et, dans cette posture, dĂ©bitait, avec sa forfanterie ordinaire, dâinsipides discours que nous fĂ»mes forcĂ©s dâĂ©couter. Il disait que rien nâĂ©tait plus agrĂ©able que de se baigner loin dâune foule importune ; que cette Ă©tuve avait Ă©tĂ© jadis une boulangerie. Enfin, las de rester sur ses jambes, il sâassit ; mais, par malheur, cette salle avait un Ă©cho qui lui donna lâidĂ©e de chanter le voilĂ donc qui fait trembler la voĂ»te de ses hurlements entrecoupĂ©s des hoquets de lâivresse, et Ă Ă©corcher des airs qui, au dire de ceux qui y comprenaient quelque chose, Ă©taient des chansons de MĂ©nĂ©crate. Quelques-uns des convives couraient autour de sa baignoire en se tenant par la main ; dâautres se chatouillaient mutuellement, et poussaient des cris Ă fendre le crĂąne. Ceux-ci, les mains liĂ©es, tĂąchaient de ramasser Ă terre des anneaux ; ceux-lĂ , un genou en terre, se renversaient la tĂȘte en arriĂšre, et sâefforçaient de toucher lâextrĂ©mitĂ© de leurs orteils. Laissant donc tous ces ivrognes se divertir Ă leur maniĂšre, nous descendĂźmes dans la cuve que lâon prĂ©parait pour Trimalchion. Lorsque les fumĂ©es du vin furent dissipĂ©es, on nous conduisit dans une autre salle, oĂč Fortunata avait fait disposer tous les apprĂȘts dâun splendide repas. Les lustres qui ornaient le plafond Ă©taient soutenus par de petites figures de pĂȘcheurs en bronze ; les tables Ă©taient dâargent massif, les coupes dâargile dorĂ©e ; et devant nous Ă©tait une outre dâoĂč le vin coulait en abondance. â Amis, nous dit Trimalchion, câest aujourdâhui que lâon coupe la premiĂšre barbe de mon esclave favori ; câest un garçon de bonne conduite et que jâaime beaucoup, soit dit sans offenser personne. Buvons donc comme des Ă©ponges, et que le jour nous trouve encore Ă table. CHAPITRE LXXIV. Comme il disait ces mots, un coq vint Ă chanter. Tout dĂ©concertĂ©, Trimalchion ordonna aussitĂŽt aux esclaves de rĂ©pandre du vin sous la table, et dâen arroser aussi les lampes ; il passa mĂȘme son anneau de la main gauche Ă la droite â Ce nâest pas sans raison, dit-il, que ce hĂ©raut du jour nous donne lâalarme ; il y a, jâen suis certain, quelque incendie prĂȘt Ă Ă©clater dans les environs, ou quelquâun qui va rendre lâĂąme. Loin de nous ce prĂ©sage ! Je promets une rĂ©compense au premier qui mâapportera ce prophĂšte de malheur. â Ă peine il achevait, quâon lui apporta un coq du voisinage. Trimalchion le condamne Ă ĂȘtre fricassĂ©. DĂ©dale, cet habile cuisinier qui naguĂšre dâun porc avait fait des oiseaux et des poissons, le coupe en morceaux, le jette dans un chaudron ; et, tandis quâil lâarrose dâeau bouillante, Fortunata broie du poivre dans un mortier de buis. Ce service Ă©tant terminĂ©, Trimalchion se tourna vers les esclaves â Eh quoi ! leur dit-il, vous nâavez pas encore soupĂ© ? allez, et que dâautres viennent vous remplacer. â Une nouvelle troupe dâesclaves se prĂ©sente aussitĂŽt ; les uns, en se retirant, criaient â Adieu, GaĂŻus ! â Les autres, en entrant â Bonjour, GaĂŻus ! â DĂšs ce moment, adieu tous nos plaisirs ! Parmi les nouveaux venus se trouvait un esclave dâune figure assez agrĂ©able Trimalchion sâen empare et le couvre de mille baisers. Fortunata, rĂ©clamant alors ses droits dâĂ©pouse, accable dâinjures son mari, et crie Ă haute voix quâil est bien ordurier, bien infĂąme, de se livrer ainsi sans contrainte Ă ses honteux penchants. Enfin, Ă tous ces noms elle ajoute celui de â Chien ! â Trimalchion, confus, exaspĂ©rĂ© de cet outrage, lance une coupe Ă la tĂȘte de Fortunata. Celle-ci se met Ă crier, comme sâil lui eĂ»t crevĂ© un Ćil, et se cache le visage dans ses mains tremblantes. Scintilla, consternĂ©e de cet accident, la reçoit dans ses bras, et la couvre de son corps. Un esclave obligeant sâempresse dâapprocher de sa joue malade un vase dâeau glacĂ©e ; Fortunata, la tĂȘte penchĂ©e sur ce vase, gĂ©mit et verse un torrent de larmes. Mais Trimalchion, loin dâen ĂȘtre Ă©mu â Eh quoi ! dit-il, cette coureuse ne se souvient-elle plus que je lâai tirĂ©e de la huche Ă pĂ©trir ? que je lui ai donnĂ© un rang dans le monde ? La voilĂ qui sâenfle comme une grenouille ! elle crache en lâair, et cela lui retombe sur le nez. Câest une bĂ»che, et non pas une femme. On sent toujours la fange oĂč lâon est nĂ©. Le ciel me soit en aide ! je rabattrai le caquet de cette Cassandre qui veut porter les chausses. Elle oublie sans doute que lorsque je nâavais pas encore un sou vaillant, jâai pu trouver des partis de dix millions de sesterces. Vous savez, Habinnas, que câest la vĂ©ritĂ©. Hier encore, Agathon, le parfumeur, me tirant Ă lâĂ©cart, me dit Je vous conseille de ne pas laisser pĂ©rir votre race. » Et moi, par une dĂ©licatesse outrĂ©e, pour ne pas paraĂźtre volage, je me coupe ainsi bras et jambes. Câest bien je ferai en sorte quâaprĂšs ma mort tu gratteras la terre avec tes ongles pour me ravoir ; et pour que, dĂšs aujourdâhui, tu saches tout le tort que tu tâes fait Ă toi-mĂȘme, je vous dĂ©fends, Habinnas, de placer sa statue sur mon tombeau, car je veux reposer en paix dans mon dernier asile. Bien plus, pour lui prouver que jâai le pouvoir de punir qui mâoffense, je ne veux pas quâelle mâembrasse aprĂšs ma mort. CHAPITRE LXXV. Lorsquâil eut ainsi fulminĂ© contre sa femme, Habinnas le conjura de se calmer. â Personne de nous, lui dit-il, nâest exempt de commettre des fautes ; nous ne sommes pas des dieux, mais des hommes. â Scintilla lui adressait en pleurant la mĂȘme priĂšre â Au nom de votre gĂ©nie tutĂ©laire, mon cher GaĂŻus, lui disait-elle tendrement, laissez-vous flĂ©chir ! â Trimalchion ne pouvant plus retenir ses larmes â Habinnas, dit-il, par tous les vĆux que je forme pour votre fortune, crachez-moi au visage, je vous en supplie, si jâai tort dans cette affaire ! Jâai embrassĂ©, il est vrai, cet excellent jeune homme, mais ce nâest pas pour sa beautĂ©, câest pour ses bonnes qualitĂ©s. Il sait les dix parties de lâoraison ; il lit Ă livre ouvert. Avec ce quâil Ă©pargne chaque jour sur sa nourriture, il a amassĂ© de quoi payer sa libertĂ©, et de ses Ă©conomies il sâest achetĂ© une armoire et deux coupes nâest-il pas digne de mon affection ? Mais madame sây oppose. Câest lĂ ton dernier mot, pendarde ! Crois-moi, ronge en paix lâos que je te jette, oiseau de proie ; et ne me fais pas trop enrager, ma mignonne, ou je pourrais bien faire quelque coup de ma tĂȘte ! Tu me connais, quand jâai une fois rĂ©solu quelque chose, cela tient comme un clou dans une poutre. Mais pensons plutĂŽt Ă jouir de la vie. Allons, mes amis, vive la joie ! Je nâĂ©tais Ă mon dĂ©but quâun simple affranchi comme vous ; mon mĂ©rite seul mâa conduit oĂč vous voyez. Câest le cĆur qui fait lâhomme ; je ne donnerais pas un fĂ©tu de tout le reste. JâachĂšte loyalement, je vends de mĂȘme. Je laisse Ă dâautres le soin de faire mon Ă©loge. Lorsque je suis au comble du bonheur, pourquoi viens-tu encore mâĂ©tourdir de tes pleurnicheries, ivrognesse ? je te ferai pleurer pour quelque chose. Mais, comme je vous le disais, câest ma bonne conduite qui mâa fait parvenir Ă la fortune. Quand jâarrivai dâAsie, je nâĂ©tais pas plus haut que ce chandelier auquel je me mesurais chaque jour ; et, pour faire pousser plus promptement ma barbe, je me frottais les lĂšvres avec lâhuile dâune lampe. Cependant jâai fait pendant quatorze ans les dĂ©lices de mon maĂźtre, et je nâen rougis pas, car mon devoir Ă©tait de lui obĂ©ir. JâĂ©tais en mĂȘme temps le favori de ma maĂźtresse. Vous comprenez ce que cela veut dire. Je me tais, car je nâaime pas Ă me faire valoir. CHAPITRE LXXVI. Enfin, par la volontĂ© des dieux, je devins maĂźtre dans la maison ; alors, je commençai Ă vivre Ă ma fantaisie. Que vous dirai-je ? mon maĂźtre me fit son hĂ©ritier conjointement avec CĂ©sar, et je recueillis un patrimoine de sĂ©nateur. Mais lâhomme ne sait jamais borner son ambition. Je me mis alors en tĂȘte de faire du commerce. Pour abrĂ©ger, vous saurez que je fis construire cinq vaisseaux que je chargeai de vin ; câĂ©tait, Ă cette Ă©poque, de lâor en barre. Je les expĂ©diai pour Rome ; mais, comme si câeĂ»t Ă©tĂ© un fait exprĂšs, ils firent tous naufrage. Ce nâest point un conte, mais la pure vĂ©ritĂ© ; la mer, en un seul jour, mâengloutit pour trente millions de sesterces. Vous croyez peut-ĂȘtre que je perdis courage ; non, ma foi ! cette perte me mit en goĂ»t de tenter encore la fortune ; et malgrĂ© cet Ă©chec rĂ©cent, jâĂ©quipai de nouveaux vaisseaux, plus grands, plus solides que les premiers, et qui partirent sous de meilleurs auspices ; si bien que chacun vanta mon intrĂ©piditĂ©. Vous savez que les plus gros vaisseaux sont ceux qui luttent avec le plus dâavantage contre les flots. Je chargeai donc ma nouvelle flotte de vin, de lard, de fĂšves, de parfums de Capoue et dâesclaves. Dans cette circonstance, Fortunata me donna une grande preuve de dĂ©vouement elle vendit tous ses bijoux, toutes ses robes, et de leur produit me mit dans la main cent piĂšces dâor qui furent la source de ma nouvelle fortune. On va vite en affaires, lorsque le ciel vous aide en une seule course, je gagnai, de compte rond, dix millions de sesterces. Je commençai par racheter toutes les terres qui avaient appartenu Ă mon maĂźtre, je bĂątis ensuite un palais, et jâachetai des bĂȘtes de somme pour les revendre. Tout ce que jâentrepris me rĂ©ussit Ă souhait. DĂšs que je me vis plus riche Ă moi seul que tout le pays ensemble, laissant lĂ mes registres, je quittai le commerce, et je me contentai de prĂȘter de lâargent Ă intĂ©rĂȘt aux nouveaux affranchis. JâĂ©tais mĂȘme sur le point de renoncer entiĂšrement aux affaires, lorsque jâen fus dĂ©tournĂ© par un astrologue qui vint par hasard dans cette colonie. Il Ă©tait Grec de naissance, et se nommait SĂ©rapa il semblait inspirĂ© par les dieux. Il me rappela mĂȘme plusieurs circonstances de ma vie que jâavais oubliĂ©es, et quâil me raconta de fil en aiguille. Jâaurais cru quâil lisait dans mes entrailles, sâil avait pu me dire ce que jâavais mangĂ© la veille Ă souper. En un mot, on eĂ»t jurĂ© quâil ne mâavait pas quittĂ© de sa vie. CHAPITRE LXXVII. Mais, Habinnas, vous Ă©tiez prĂ©sent, je pense, lorsquâil me dit De moins que rien vous ĂȘtes devenu un riche propriĂ©taire vous nâĂȘtes pas heureux en amis ; vous nâobligez que des ingrats ; vous possĂ©dez de vastes domaines ; vous nourrissez une vipĂšre dans votre sein. » Que vous dirai-je enfin ? Il assura que jâavais encore Ă vivre trente ans, quatre mois et deux jours il ajouta que je recueillerais bientĂŽt un hĂ©ritage. VoilĂ ce que jâai appris de ma destinĂ©e ; et, si jâai le bonheur de joindre lâApulie Ă mes domaines, je croirai avoir bien employĂ© ma vie. En attendant, par la protection de Mercure, jâai fait bĂątir ce palais. Jadis, vous le savez, ce nâĂ©tait quâune baraque, maintenant câest un temple. Il renferme quatre salles Ă manger, vingt chambres Ă coucher, deux portiques de marbre ; et, dans lâĂ©tage supĂ©rieur, un autre appartement ; la chambre oĂč je couche ; celle de cette mĂ©gĂšre on y trouve en outre une trĂšs-belle loge de concierge, et cent chambres dâamis. Enfin, lorsque Scaurus vient dans ce pays, il aime mieux descendre chez moi que partout ailleurs ; et pourtant il a sur le bord de la mer un logement chez son pĂšre. Il y a encore dans ma maison plusieurs autres piĂšces que je vais vous faire voir tout Ă lâheure. Croyez-moi, mes amis, on ne vaut que ce que lâon a ; soyez riches, on vous estimera. Câest ainsi que moi, votre ami, qui nâĂ©tais naguĂšre quâune grenouille je suis maintenant aussi puissant quâun roi. Cependant, Stichus, apporte ici les vĂȘtements funĂ©raires dans lesquels je veux ĂȘtre enseveli ; apporte aussi les parfums, et un Ă©chantillon de cette amphore de vin dont je veux quâon arrose mes os. CHAPITRE LXXVIII. Stichus ne se fit pas attendre, et rentra bientĂŽt dans la salle avec une couverture blanche et une robe prĂ©texte. Trimalchion nous les fit manier pour voir si elles Ă©taient tissues de bonne laine ; puis il ajouta en souriant â Prends bien garde, Stichus, que les rats ou les vers ne sây mettent ; car je te ferais brĂ»ler vif. Je veux ĂȘtre inhumĂ© avec pompe, afin que le peuple bĂ©nisse ma mĂ©moire. â Ayant ainsi parlĂ©, il dĂ©boucha une fiole de nard, et nous en fit tous frictionner. â JâespĂšre, nous dit-il, que ce parfum me fera autant de plaisir aprĂšs ma mort que jâen Ă©prouve maintenant Ă le sentir. â Ensuite, il fit verser du vin dans un grand vase, et nous dit â Figurez-vous que vous ĂȘtes invitĂ©s au repas de mes funĂ©railles. â Ces dĂ©goĂ»tantes libations nous soulevaient le cĆur, quand Trimalchion, qui Ă©tait ivre mort, sâavisa, pour nous procurer un nouveau plaisir, de faire entrer dans la salle des joueurs de cor ; puis, se plaçant sur un lit de parade, la tĂȘte appuyĂ©e sur une pile de coussins â Supposez, dit-il, que je suis mort, et faites-moi une belle oraison funĂšbre. â Soudain les cors sonnĂšrent un air lugubre. Un entre autres, le valet de cet entrepreneur de convois, qui Ă©tait le plus honnĂȘte homme de la bande, fit entendre des sons si aigus, quâil mit en rumeur tout le voisinage ; de sorte que les gardes du quartier, croyant que le feu Ă©tait Ă la maison de Trimalchion, en brisĂšrent tout Ă coup les portes, et, pleins de zĂšle, se prĂ©cipitĂšrent en tumulte dans lâintĂ©rieur avec de lâeau et des haches. Pour nous, profitant de cette occasion favorable, et, sous un prĂ©texte frivole, prenant congĂ© dâAgamemnon, nous nous sauvĂąmes Ă toutes jambes, comme dâun vĂ©ritable incendie. CHAPITRE LXXIX. Nâayant pas de flambeaux pour nous guider, nous errions Ă lâaventure. Il Ă©tait minuit, et le silence qui rĂ©gnait partout ne nous laissait aucun espoir de rencontrer quelquâun qui nous procurĂąt de la lumiĂšre. Pour surcroĂźt de malheur, nous Ă©tions ivres, et nous ignorions les chemins qui, en cet endroit, sont difficiles Ă trouver, mĂȘme en plein jour. Aussi ne fut-ce quâaprĂšs avoir marchĂ© pendant prĂšs dâune heure, Ă travers les gravois et les cailloux qui nous mirent les pieds en sang, que lâadresse de Giton nous tira enfin de ce mauvais pas. En effet, la veille, en plein midi, craignant de sâĂ©garer, il avait eu la sage prĂ©caution de marquer, chemin faisant, tous les piliers et toutes les colonnes avec de la craie dont la blancheur, victorieuse des plus Ă©paisses tĂ©nĂšbres, nous indiqua la route que nous cherchions. ArrivĂ©s au logis, nouvel embarras. Notre vieille hĂŽtesse, qui avait passĂ© la nuit Ă boire avec des voyageurs, dormait si profondĂ©ment, quâon aurait pu la brĂ»ler vive sans la rĂ©veiller. Nous courions donc grand risque de coucher Ă la porte, si le hasard nâeĂ»t conduit en ce lieu un des messagers de Trimalchion. Cet homme, riche pour son Ă©tat il possĂ©dait dix chariots, se lassa bientĂŽt dâappeler en vain, et, brisant la porte de lâauberge, il nous fit entrer avec lui par la brĂšche. Je ne fus pas plutĂŽt dans ma chambre, que je me mis au lit avec mon cher Giton. Le repas succulent que je venais de faire avait allumĂ© dans mes veines un feu dĂ©vorant que je ne pus Ă©teindre quâen me plongeant dans un ocĂ©an de voluptĂ©s Dieu dâamour, quelle nuit ! quels transports ravissants ! Rien ne pouvait calmer la fiĂšvre de nos sens ; Nos lĂšvres sâunissaient dans des baisers de flamme, __Et, pour jouir, nous ne formions quâune Ăąme. Ah ! que ne puis-je encore, au grĂ© de mon dĂ©sir, ______Dans les bras de ce que jâaime, ______GoĂ»ter ce bonheur suprĂȘme, ______Et mourir Ă lâinstant mĂȘme, ______Mais y mourir de plaisir ! Jâavais tort, cependant, de me fĂ©liciter de mon sort ; car, profitant du sommeil lĂ©thargique oĂč le vin mâavait plongĂ©, Ascylte, toujours fertile en inventions pour me nuire, enleva Giton dâentre mes bras engourdis par lâivresse, et le porta dans son lit. LĂ , foulant aux pieds tous les droits humains, il usurpa sans scrupule des plaisirs qui nâĂ©taient dus quâĂ moi, et sâendormit sur le sein de Giton, qui ne sentit pas, ou peut-ĂȘtre feignit de ne pas sentir lâinjure quâAscylte me faisait. Ă mon rĂ©veil, je cherchai vainement dans ma couche solitaire lâobjet de mon amour pour me venger des deux parjures, je fus tentĂ© de leur passer mon Ă©pĂ©e au travers du corps, et de les envoyer du sommeil Ă la mort ; mais enfin, prenant le plus sage parti, je rĂ©veillai Giton Ă coups de houssine ; puis, jetant sur Ascylte un regard farouche â ScĂ©lĂ©rat, lui dis-je, puisque, par un lĂąche attentat, tu as violĂ© les lois de lâamitiĂ©, prends ce qui tâappartient, pars, et cesse de souiller ces lieux de ta prĂ©sence. â Ascylte parut y consentir ; mais dĂšs que nous eĂ»mes partagĂ© nos nippes de bonne foi â Maintenant, dit-il, partageons aussi cet enfant. CHAPITRE LXXX. Je crus dâabord que câĂ©tait une plaisanterie, et quâil allait partir ; mais lui, tirant son Ă©pĂ©e dâune main fratricide â Tu ne jouiras pas seul, sâĂ©cria-t-il, de ce trĂ©sor que tu prĂ©tends tâapproprier. Il faut que jâen aie aussi ma part, et ce glaive va sur-le-champ me la donner. â Je saute aussi sur mon Ă©pĂ©e, et, roulant mon manteau autour de mon bras[1], je me mets en garde. Pendant ces transports furieux, le malheureux enfant embrassait nos genoux, et, baignĂ© de larmes, nous suppliait de ne pas faire de cette mĂ©chante auberge le théùtre dâune nouvelle ThĂ©baĂŻde, de ne pas souiller du sang dâun frĂšre nos mains quâunissait naguĂšre la plus tendre intimitĂ©. â Oui, sâĂ©cria-t-il, si la mort dâun de nous est nĂ©cessaire, voici ma gorge, frappez, plongez-y vos Ă©pĂ©es ; câest Ă moi de mourir, Ă moi qui ai brisĂ© les liens de votre amitiĂ© mutuelle. â DĂ©sarmĂ©s par ces priĂšres, nous remĂźmes nos Ă©pĂ©es dans le fourreau. Ascylte, prenant alors lâinitiative â Jâai trouvĂ©, dit-il, un expĂ©dient pour nous mettre dâaccord. Que Giton soit Ă celui quâil prĂ©fĂ©rera ; laissons-le, du moins, choisir librement celui de nous deux quâil veut pour son frĂšre. â Plein de confiance dans lâanciennetĂ© de mes liaisons avec cet enfant, qui semblaient mâunir Ă lui par une sorte de parentĂ©, jâacceptai avec empressement le parti quâAscylte me proposait, et je mâen rapportai au jugement de Giton ; mais lui, sans balancer, sans paraĂźtre hĂ©siter un seul instant, choisit Ascylte pour son frĂšre. FoudroyĂ© par cet arrĂȘt, je nâeus pas mĂȘme lâidĂ©e de disputer Giton par la voie des armes, et, tombant sur mon lit, je me serais donnĂ© la mort, si je nâeusse craint dâaugmenter le triomphe de mon rival. Fier du succĂšs, Ascylte sort avec le trophĂ©e de sa victoire, laissant un ancien camarade, le compagnon de sa bonne comme de sa mauvaise fortune, quâhier encore il appelait son ami, seul et sans secours dans un pays Ă©tranger. LâamitiĂ© nâa dâattraits quâautant quâelle est utile. Comme au jeu lâĂ©chec quitte ou suit lâĂ©chec mobile, Tel, lâami quâĂ son grĂ© la fortune conduit, Nous sourit avec elle, avec elle nous fuit. Telle encor, sur la scĂšne affichant la sagesse[2], La plus vile PhrynĂ© parle, agit en LucrĂšce Mais baissez le rideau, le rĂŽle est terminĂ© LucrĂšce disparaĂźt, et fait place Ă PhrynĂ©. CHAPITRE LXXXI. Cependant je sĂ©chai bientĂŽt mes larmes ; et craignant que, pour comble de malheur, MĂ©nĂ©las, notre rĂ©pĂ©titeur[1], ne me trouvĂąt seul dans cette auberge, je fis un paquet de mes hardes, et jâallai tristement me loger dans un quartier peu frĂ©quentĂ©, sur le bord de la mer. LĂ , je restai trois jours sans sortir le souvenir de mon abandon et des mĂ©pris de Giton me revenait sans cesse Ă lâesprit ; je me frappais la poitrine en poussant des sanglots dĂ©chirants ; et, dans mon violent dĂ©sespoir, je mâĂ©criais souvent Pourquoi la terre ne sâest-elle pas ouverte pour mâengloutir ? pourquoi la mer, si funeste mĂȘme aux innocents, mâa-t-elle Ă©pargnĂ© ? Jâai tuĂ© mon hĂŽte, et cependant jâai Ă©chappĂ© au chĂątiment ; je me suis sauvĂ© de lâarĂšne oĂč lâon me croyait mort, et, pour prix de tant dâaudace, me voilĂ seul, abandonnĂ© comme un mendiant, comme un exilĂ©, dans cette mĂ©chante auberge dâune ville grecque ! Et quel est celui qui me plonge dans cette horrible solitude ? un jeune homme souillĂ© de toute espĂšce de dĂ©bauches, qui, de son propre aveu, a mĂ©ritĂ© dâĂȘtre banni de son pays ; qui nâa dĂ» sa libertĂ© et son affranchissement quâaux plus honteuses complaisances ; dont les faveurs furent vendues Ă lâencan, et que lâon acheta, le sachant homme, pour sâen servir comme dâune fille. Et que dirai-je, grands dieux ! de cet autre, de ce Giton, qui prit la robe de femme Ă lâĂ©poque oĂč lâon prend la toge virile ; qui, dĂšs sa plus tendre enfance, renonça aux attributs de son sexe ; qui, dans une prison, sâabandonna aux caresses des plus vils esclaves ; qui, aprĂšs avoir passĂ© de mes bras dans ceux dâun rival, abandonne tout Ă coup un ancien ami, et, comme une vile prostituĂ©e, ĂŽ honte ! dans lâespace dâune seule nuit, sacrifie tout Ă sa nouvelle passion ? Maintenant, couple heureux, ils passent les nuits entiĂšres dans les plus douces Ă©treintes. Peut-ĂȘtre mĂȘme quâen ce moment, Ă©puisĂ©s par lâexcĂšs du plaisir, ils se raillent de mon triste abandon. Les lĂąches ! ils ne jouiront pas impunĂ©ment de leur trahison. Ou je ne suis pas un homme, et un homme libre, ou je laverai mon outrage dans leur sang infĂąme. CHAPITRE LXXXII. A ces mots, je ceins mon Ă©pĂ©e, et, de peur que mes forces ne trahissent mon ardeur belliqueuse, pour augmenter ma vigueur je fais un repas plus copieux que de coutume ; puis, prenant mon essor, je mâĂ©lance hors du logis, et, comme un furieux, je parcours Ă grands pas tous les portiques. Je marchais dâun air effarĂ©, avec des gestes menaçants ; je ne respirais que sang, que carnage ; Ă chaque instant je portais la main Ă la garde de mon Ă©pĂ©e, de cette Ă©pĂ©e vouĂ©e aux furies vengeresses. Un soldat me remarqua ; jâignore si câĂ©tait un vagabond ou un voleur de nuit â Qui es-tu, camarade ? me dit-il ; quelle est ta lĂ©gion, ta centurie ? â Moi, sans me troubler, je me forgeai sur-le-champ une lĂ©gion et un centurion. â Allons donc, rĂ©pondit-il, est-ce que dans votre troupe les soldats portent des souliers de baladin ?[1] â La rougeur de mon visage et le tremblement de tous mes membres trahirent bientĂŽt mon imposture. â Bas les armes ! et prends garde Ă toi, me cria le soldat. â Me voyant ainsi dĂ©sarmĂ© et privĂ© de tout moyen de vengeance, je rebroussai chemin vers mon auberge ; ma colĂšre se calma peu Ă peu, et je ne tardai pas Ă savoir bon grĂ© Ă ce coupe-jarret de son audace. CHAPITRE LXXXIII. Ce ne fut toutefois quâavec peine que je triomphai du dĂ©sir de me venger, et je passai une partie de la nuit dans une grande agitation. Vers le point du jour, pour chasser ma tristesse et le souvenir de mon injure, je sortis et je parcourus de nouveau tous les portiques. Jâentrai dans une galerie ornĂ©e de divers tableaux trĂšs-remarquables. Jâen vis, de la main de Zeuxis, qui rĂ©sistaient encore Ă lâinjure du temps, et je remarquai des Ă©bauches de ProtogĂšne, qui disputaient de vĂ©ritĂ© avec la nature elle-mĂȘme, et que je nâosai toucher quâavec un frissonnement religieux. Je me prosternai devant des grisailles dâApelles espĂšce de peinture que les Grecs appellent monochrome. Les contours des figures Ă©taient dessinĂ©s avec tant dâart et de naturel, que lâon eĂ»t cru que le peintre avait trouvĂ© le secret de les animer[1]. Ici, sur les ailes dâun aigle, on voyait un dieu sâĂ©lever au plus haut des airs. LĂ , lâinnocent Hylas repoussait les caresses dâune lascive NaĂŻade. Plus loin, Apollon dĂ©plorait le meurtre commis par sa main, et dĂ©corait sa lyre dĂ©tendue dâune fleur dâhyacinthe nouvellement Ă©close. Au milieu de toutes ces peintures de lâamour, oubliant que jâĂ©tais dans un lieu public, je mâĂ©criai Ainsi donc lâamour nâĂ©pargne pas mĂȘme les dieux ! Jupiter, ne trouvant dans les cieux aucune beautĂ© digne de son choix, descend sur la terre pour satisfaire ses caprices ; mais du moins il nâenlĂšve Ă personne un objet aimĂ©. La Nymphe qui ravit Hylas eĂ»t sans doute imposĂ© silence Ă sa passion, si elle eĂ»t pensĂ© quâHercule viendrait le rĂ©clamer. Apollon fit revivre dans une fleur lâenfant quâil adorait ; enfin toutes les fables sont pleines dâamoureuses liaisons qui ne sont point traversĂ©es par des rivaux ; mais moi, jâai admis dans mon intimitĂ© un hĂŽte plus cruel encore que Lycurgue. Tandis que je prodiguais aux vents mes plaintes inutiles, je vis entrer dans la galerie un vieillard Ă cheveux blancs, dont le visage annonçait la rĂ©flexion et semblait promettre quelque chose de grand, mais dont la mise nâĂ©tait pas trĂšs-soignĂ©e tout dans son extĂ©rieur trahissait au premier abord un de ces hommes de lettres qui, pour lâordinaire, sont en butte Ă la haine des gens riches. Il sâarrĂȘta prĂšs de moi â Je suis poĂ«te, me dit-il, et, je me flatte, poĂ«te de quelque mĂ©rite, sâil faut en croire ceux qui mâont dĂ©cernĂ© des couronnes publiques[2] il est vrai quâon les accorde souvent par faveur Ă des ignorants. Pourquoi donc, me direz-vous, ĂȘtes-vous si mal vĂȘtu[3] ? Par cela mĂȘme que je suis poĂ«te ; lâamour des lettres nâa jamais enrichi personne Le marchand qui brava les fureurs de Neptune, AprĂšs mille dangers, arrive Ă la fortune ; Mars de lâor des vaincus enrichit le vainqueur ; Aux frais dâun vil CrĂ©sus sâengraisse un vil flatteur ; Tandis que tour Ă tour, trafiquant du scandale, Un fat Ă vingt beautĂ©s vend sa flamme banale[4]. Seul, hĂ©las ! le savant, dans ce siĂšcle pervers, Ăbloui par lâappĂąt dâune gloire stĂ©rile, Mal nourri, mal vĂȘtu, sans patron, sans asile, Invoque les beaux-arts dans leurs temples dĂ©serts. CHAPITRE LXXXIV. Cela nâest que trop vrai quâun philosophe, ennemi du vice, marche droit son chemin dans le sentier de la vie, le contraste de ses mĆurs avec celles du siĂšcle lui attire aussitĂŽt la haine gĂ©nĂ©rale qui pourrait, en effet, approuver dans autrui les vertus quâil nâa pas ?. Ensuite, ceux qui sont uniquement occupĂ©s du soin dâamasser des richesses veulent persuader Ă tous les hommes que cet or quâils possĂšdent est le souverain bien. Quâon prĂŽne donc, disent-ils, tant quâon voudra, les hommes de lettres, pourvu que, dans lâopinion publique, ils cĂšdent le pas aux hommes dâargent. â Je ne sais comment il se fait que la pauvretĂ© soit sĆur du gĂ©nie, dis-je Ă Eumolpe en soupirant. â Vous avez raison, reprit le vieillard, de dĂ©plorer le sort des gens de lettres. â Ce nâest pas cela, rĂ©pliquai-je, qui me fait soupirer ; jâai bien dâautres sujets dâaffliction ! â Et, par ce penchant naturel qui nous porte Ă dĂ©poser nos chagrins dans le sein dâautrui, je lui fis sur-le-champ le rĂ©cit de ma triste aventure, et je lui peignis sous les plus odieuses couleurs la perfidie dâAscylte. â PlĂ»t au ciel ! ajoutai-je en gĂ©missant, que lâennemi cruel qui me force Ă la continence fĂ»t assez honnĂȘte homme pour se laisser attendrir ; mais câest un scĂ©lĂ©rat endurci qui en remontrerait aux dĂ©bauchĂ©s de profession ! â Ma franchise ingĂ©nue me gagna le cĆur de ce vieillard il se mit Ă me consoler ; et, pour faire diversion Ă mon chagrin, il me raconta en ces termes une aventure galante de sa jeunesse. CHAPITRE LXXXV. Dans un voyage que je fis en Asie Ă la suite dâun questeur[1], je logeai chez un habitant de Pergame. Je me plaisais beaucoup chez mon hĂŽte, moins Ă cause de lâĂ©lĂ©gance des appartements que de la beautĂ© merveilleuse de son fils. Jâeus recours Ă cet expĂ©dient, pour que le bon pĂšre ne soupçonnĂąt pas la vive passion que mâinspirait cet enfant. Toutes les fois quâil Ă©tait question Ă table de lâamour des jolis garçons, je me rĂ©pandais en invectives si violentes contre cet infĂąme usage, je dĂ©fendais dâun ton si sĂ©vĂšre que lâon tĂźnt devant moi ces discours obscĂšnes qui blessaient, disais-je, mes chastes oreilles, que tous, et surtout la mĂšre de mon Ă©lĂšve, me regardaient comme un des sept sages. Je fus donc bientĂŽt chargĂ© de le conduire au gymnase je rĂ©glais ses Ă©tudes, je lui donnais des leçons ; et je recommandais par-dessus toutes choses Ă ses parents de nâadmettre chez eux aucun sĂ©ducteur de la jeunesse. Un jour de fĂȘte, aprĂšs avoir terminĂ© nos travaux plus tĂŽt quâĂ lâordinaire, nous Ă©tions couchĂ©s dans la salle Ă manger car la nonchalance, suite ordinaire dâun long et joyeux festin, nous avait empĂȘchĂ©s de remonter dans notre chambre ; lorsque, vers le milieu de la nuit, je mâaperçus que mon Ă©lĂšve ne dormait pas. Je fis alors Ă voix basse cette priĂšre Ă VĂ©nus O dĂ©esse ! si je puis embrasser cet aimable enfant, sans quâil le sente, je fais vĆu de lui donner demain une paire de colombes ! LâespiĂšgle nâeut pas plutĂŽt entendu quel Ă©tait le prix de cette faveur, quâil se mit Ă ronfler. Pendant quâil feignait de dormir, je mâapprochai de lui, et je lui dĂ©robai plusieurs baisers. Content de cet essai, je me levai de bonne heure le lendemain, et, pour combler son attente, je lui apportai une belle paire de colombes. Câest ainsi que je mâacquittai de ma promesse. CHAPITRE LXXXVI. La nuit suivante, encouragĂ©s par sa facilitĂ©, mes vĆux changĂšrent de nature Si je puis, disais-je, promener sur son corps une main lascive, sans quâil le sente, pour rĂ©compense de sa docilitĂ©, je lui donnerai deux coqs gaulois des plus acharnĂ©s au combat. Ă cette promesse, le bel enfant sâapprocha de lui-mĂȘme il semblait, je crois, apprĂ©hender que je ne mâendormisse. Pour dissiper son inquiĂ©tude, je parcourus tout son corps avec un plaisir au delĂ de toute expression. Puis, dĂšs que le jour parut, je le comblai de joie en lui apportant ce que je lui avais promis. DĂšs que la troisiĂšme nuit vint ouvrir une nouvelle carriĂšre Ă mon audace, je mâapprochai de lâoreille du prĂ©tendu dormeur Dieux immortels ! mâĂ©criai-je, faites que je puisse, au grĂ© de mes vĆux, goĂ»ter dans ses bras une jouissance complĂšte, sans, toutefois, quâil en sente rien ; et, pour prix de tant de bonheur, je lui donnerai demain un beau bidet de MacĂ©doine. Jamais mon Ă©lĂšve ne dormit dâun sommeil plus profond. Dâabord je promenai mes mains avides sur son sein dâalbĂątre, puis je le couvris dâardents baisers ; enfin je concentrai tous mes vĆux dans le siĂ©ge mĂȘme du plaisir. Le lendemain, assis dans sa chambre, il attendait avec impatience mon offrande ordinaire. Il nâest pas aussi facile, vous le savez, dâacheter un bidet que des colombes et des coqs gaulois outre la dĂ©pense, je craignais quâun cadeau de cette importance ne rendit ma gĂ©nĂ©rositĂ© suspecte Ă ses parents. Donc, aprĂšs mâĂȘtre promenĂ© quelques heures, je rentrai chez mon hĂŽte les mains vides, et, pour tout prĂ©sent, je donnai un baiser Ă mon jeune ami ; mais lui me saute au cou pour mâembrasser, et, jetant de tous cĂŽtĂ©s des regards inquiets â Mon cher maĂźtre, dit-il, oĂč donc est le bidet ? â La difficultĂ© dâen trouver un beau mâa forcĂ©, lui rĂ©pondis-je, Ă diffĂ©rer cette emplette ; mais, dâici Ă peu de jours, je tiendrai ma parole. â Lâenfant comprit fort bien ce que cela voulait dire, et lâexpression de son visage trahit son secret mĂ©contentement. CHAPITRE LXXXVII. Bien que mon manque de foi mâeĂ»t fermĂ© ce cĆur oĂč jâavais su mâouvrir un accĂšs, je ne tardai pas cependant Ă reprendre les mĂȘmes libertĂ©s. En effet, quelques jours aprĂšs, un heureux hasard mâayant de nouveau procurĂ© lâoccasion que jâĂ©piais, dĂšs que je vis son pĂšre profondĂ©ment endormi, je priai ce cher enfant de faire sa paix avec moi, en me laissant lui procurer plaisir pour plaisir ; enfin jâemployai tous les arguments quâinspire une ardente passion ; mais, pour toute rĂ©ponse, il me dit du ton le plus courroucĂ© â Dormez, ou je vais appeler mon pĂšre. â Il nâest point dâobstacle dont ne triomphe une audace persĂ©vĂ©rante. Tandis quâil me menace dâĂ©veiller son pĂšre, je me glisse dans son lit ; il ne mâoppose quâune faible rĂ©sistance, et je lui arrache les plaisirs quâil me refusait. Il parut prendre goĂ»t Ă cette violence, et se plaignant, pour la forme, de ce que, par mon ingratitude, je lâavais exposĂ© aux railleries de ses camarades, auxquels il avait vantĂ© ma gĂ©nĂ©rositĂ© â Pour vous prouver, ajouta-t-il, que je ne vous ressemble pas, vous pouvez recommencer, si cela vous plaĂźt. â La paix Ă©tant faite et mon pardon obtenu, jâusai de la permission quâil mâaccordait, et je mâendormis dans ses bras. Mais lâadolescent, dĂ©jĂ mĂ»r pour lâamour, et que lâardeur de lâĂąge excitait au plaisir, ne se tint pas pour content de cette double Ă©preuve. Il mâĂ©veilla donc â Eh quoi ! me dit-il, vous ne demandez plus rien ? â Je me sentais encore un reste de vigueur ; je mâĂ©vertuai donc du mieux que je pus, et, couvert de sueur, hors dâhaleine, je parvins enfin Ă satisfaire son envie ; mais alors, Ă©puisĂ© par cette triple jouissance, je me rendormis. Une heure nâĂ©tait pas Ă©coulĂ©e, quâen me pinçant, il me dit â Est-ce que nous en restons lĂ ? â FatiguĂ© dâĂȘtre si souvent rĂ©veillĂ©, jâentrai dans un violent accĂšs de colĂšre, et, lui rendant la monnaie de sa piĂšce â Dormez, lui dis-je Ă mon tour, ou jâĂ©veille votre pĂšre. CHAPITRE LXXXVIII. RanimĂ© par ce rĂ©cit plaisant, je me mis Ă interroger le vieillard, plus instruit que moi, sur lâĂąge de chacun de ces tableaux et sur le sujet de quelques-uns dont je ne pouvais me rendre compte. Je lui demandai ensuite Ă quelles causes il attribuait la dĂ©cadence des beaux-arts dans notre siĂšcle, et surtout de la peinture qui a disparu jusquâĂ la derniĂšre trace. â Lâamour des richesses, me rĂ©pondit-il, a produit ce triste changement. Chez nos ancĂȘtres, lorsque le mĂ©rite seul Ă©tait en honneur, on voyait fleurir les beaux-arts, et les hommes se disputaient Ă lâenvi la gloire de transmettre aux siĂšcles suivants toutes les dĂ©couvertes utiles. Alors on vit DĂ©mocrite, lâHercule de la science, distiller le suc de toutes les plantes connues, et passer sa vie entiĂšre Ă faire des expĂ©riences pour connaĂźtre Ă fond les propriĂ©tĂ©s diverses des minĂ©raux et des vĂ©gĂ©taux. Eudoxe vieillit sur le sommet dâune haute montagne pour observer de plus prĂšs les mouvements du ciel et des astres ; et Chrysippe prit trois fois de lâellĂ©bore[1] pour purifier son esprit et le rendre plus apte Ă de nouvelles dĂ©couvertes. Mais, pour en revenir Ă lâart plastique, Lysippe[2] mourut de faim, en se bornant Ă perfectionner les contours dâune seule statue ; et Myron, qui fit, pour ainsi dire, passer dans le bronze lâĂąme humaine et lâinstinct des animaux, ne trouva personne qui voulĂ»t accepter son hĂ©ritage. Pour nous, plongĂ©s dans la dĂ©bauche et lâivrognerie, nous nâosons pas mĂȘme nous Ă©lever Ă la connaissance des arts inventĂ©s avant nous ; superbes dĂ©tracteurs de lâantiquitĂ©, nous ne professons que la science du vice dont nous offrons Ă la fois lâexemple et le prĂ©cepte. Quâest devenue la dialectique ? lâastronomie ? la morale, cette route certaine de la sagesse ? Qui voit-on aujourdâhui entrer dans un temple, et invoquer les dieux pour atteindre Ă la perfection de lâĂ©loquence, ou pour dĂ©couvrir les sources cachĂ©es de la philosophie ? On ne leur demande pas mĂȘme la santĂ©. Suivez cette foule qui monte au Capitole avant mĂȘme dâatteindre le seuil du temple, lâun promet une offrande, sâil a le bonheur dâenterrer un riche parent ; lâautre, sâil dĂ©couvre un trĂ©sor ; un troisiĂšme, sâil parvient, avant de mourir, Ă entasser trente millions de sesterces. Que dis-je ? nâa-t-on pas vu souvent le sĂ©nat lui-mĂȘme, le sĂ©nat, lâarbitre de lâhonneur et de la justice, vouer mille marcs dâor Ă Jupiter ? et ne semble-t-il pas encourager la cupiditĂ©, lorsquâil tĂąche ainsi, Ă prix dâargent, de se rendre le ciel favorable ? Cessez donc de vous Ă©tonner de la dĂ©cadence de la peinture, puisque les dieux et les hommes trouvent plus de charmes dans la vue dâun lingot dâor que dans tous les chefs-dâĆuvre dâApelles, de Phidias et de tous ces radoteurs de Grecs, comme ils les appellent. Mais je vois que ce tableau qui reprĂ©sente la prise de Troie absorbe toute votre attention je vais donc tĂącher de vous en donner lâexplication dans le langage des Muses. CHAPITRE LXXXIX. Pergame, aprĂšs dix ans de siĂ©ge, de carnage, Bravait encor des Grecs le superbe courage. Ces Grecs si fiers, armĂ©s sur la foi de Calchas, Comptaient en frĂ©missant leurs stĂ©riles combats, Mais lâoracle a parlĂ© sous la hache abattues, LâIda voit ses forĂȘts Ă ses pieds descendues. De leurs dĂ©bris formĂ©, terrible, menaçant, Un cheval monstrueux sâĂ©lĂšve ; et dans son flanc Mille guerriers cachĂ©s contre dix ans dâoffense MĂ©ditent sans honneur une lĂąche vengeance. DâAtride cependant la flotte a disparu. Ilion ! Ă la paix tu crus ton sol rendu. Fatal aveuglement ! ces voiles fugitives, Un perfide Ă dessein rejetĂ© sur tes rives, Ce coursier que des Grecs le repentir pieux, Pour les calmer, dit-il, offre enfin Ă tes dieux Tout flattait ta pensĂ©e ; et lâheureuse Phrygie Ressaisit en espoir le sceptre de lâAsie. DĂ©jĂ de ses remparts le peuple, Ă flots pressĂ©s, SâĂ©lance ; humide encor des pleurs quâil a versĂ©s, Son Ćil sur chaque objet librement se promĂšne Il sourit, mais son cĆur se rassure avec peine ; Et dans ce camp dĂ©sert, si longtemps redoutĂ©, Un reste de frayeur se mĂȘle Ă sa gaietĂ©. Laocoon paraĂźt. Pontife de Neptune, Vers ce cheval hideux dont lâaspect lâimportune, Il marche, tourmentĂ© dâun noir pressentiment. Ses cheveux sur son sein descendent tristement, Et la cendre a souillĂ© sa barbe vĂ©nĂ©rable. Fuyez, fuyez ! dit-il dâune voix lamentable, Ce prĂ©sent vient des Grecs, câest le don de la mort ! » Ă ces mots, de sa main, quâanime un noble effort, Un trait part⊠Mais quel dieu rend ce trait inutile ? Il tombe, et meurt au pied du colosse immobile Un vain peuple applaudit Ă cet arrĂȘt des cieux. La hache cependant porte un coup plus heureux Le monstre est Ă©branlĂ© ; ses entrailles mugissent ; Sous leur abri douteux les Grecs tremblants pĂąlissent Le cri quâen cet instant leur arrache la peur Redouble des Troyens la pieuse ferveur, Et, dans ses murs livrĂ©s, tout un peuple avec joie Introduit ces captifs qui vont conquĂ©rir Troie. La ruse a triomphĂ© ! mais un prodige affreux Vient alors de la foule Ă©pouvanter les yeux. Des bords oĂč TĂ©nĂ©dos sâĂ©lĂšve au sein de lâonde, Un bruit sourd est parti⊠la mer sâĂ©meut et gronde Le flot poursuit le flot qui murmure et sâenfuit Tel Neptune se plaint dans lâombre de la nuit, Quand la rame, docile Ă la main qui la guide, De ses coups redoublĂ©s fend la plaine liquide. Tout Ă coup, dĂ©ployant leurs immenses anneaux, Deux serpents monstrueux sâavancent sur les eaux Sous leurs bonds convulsifs, en temps Ă©gaux pressĂ©e, Lâonde Ă©cume, et jaillit jusquâaux cieux Ă©lancĂ©e Leurs yeux, rouges de sang, lancent dâaffreux Ă©clairs, Qui semblent de leurs feux incendier les mers, Leurs sifflements aigus font trembler le rivage. Tout tremble. Cependant, sur cette mĂȘme plage, Deux frĂšres, fruits jumeaux dâun hymen plein dâappas, Du pontife, leur pĂšre, avaient suivi les pas RevĂȘtus comme lui de la robe sacrĂ©e, Du bandeau phrygien leur tĂȘte Ă©tait parĂ©e. Mais les monstres dĂ©jĂ , sur leur proie Ă©lancĂ©s, Dâinextricables nĆuds les tiennent enlacĂ©s. Les enfants vainement, de leurs mains impuissantes, Repoussent des serpents les tĂȘtes menaçantes ; Et tous deux, sâoubliant en ce combat cruel, Se prĂȘtent lâun Ă lâautre un secours mutuel Ils succombent tous deux. Et toi, malheureux pĂšre ! Toi qui vois dĂ©chirer, par la dent meurtriĂšre, Le corps de ces enfants qui te doivent le jour, Pour les sauver, hĂ©las ! tu nâas que ton amour. Mais que peut ton courage et lâardeur qui tâanime ? Le pontife, Ă son tour, remplaçant la victime, Tombe, et, roulant aux pieds des autels profanĂ©s, Vers les murs dâIlion, des dieux abandonnĂ©s, Il tourne en gĂ©missant sa mourante paupiĂšre. PhĂ©bĂ© venait dâatteindre au haut de sa carriĂšre, Et son char, dans les cieux, sâavançait escortĂ© Des astres moins brillants quâĂ©clipsait sa clartĂ©. Dans le sommeil profond que procure lâivresse, Les Troyens oubliaient leurs dangers et la GrĂšce. InsensĂ©s ! ils rĂȘvaient un heureux lendemain. Mais du cheval fĂ©cond le flanc sâouvre, et soudain, Libre de sa prison, une nombreuse Ă©lite Dans les murs de Priam court et se prĂ©cipite Tel, affranchi du mors, vole un coursier fougueux, LâĆil fier, et de ses crins battant ses flancs poudreux. DĂ©jĂ le sang ruisselle, et le glaive homicide Moissonne les Troyens comme un troupeau timide Engourdis par le vin, ils passent sans effort De la mort du sommeil au sommeil de la mort ; Et, sur lâautel de Troie, une torche allumĂ©e Fournit les feux vengeurs dont Troie est consumĂ©e. CHAPITRE XC. A peine Eumolpe achevait son rĂ©cit, que ceux qui se promenaient sous les portiques firent pleuvoir sur lui une grĂȘle de pierres[1]. AccoutumĂ© Ă de pareils suffrages, il se couvrit la tĂȘte, et sâenfuit hors du temple. Craignant quâon ne me prĂźt aussi pour un poĂ«te, je le suivis de loin jusquâau bord de la mer lĂ , dĂšs que je me vis hors de la portĂ©e des coups, je mâarrĂȘtai, et, apostrophant Eumolpe â DâoĂč vous vient, lui dis-je, cette manie ? il y a Ă peine deux heures que nous sommes ensemble, et, au lieu de parler comme tout le monde, vous ne mâavez dĂ©bitĂ© que des vers. Je ne mâĂ©tonne plus si le peuple vous poursuit Ă coups de pierres. Je vais faire aussi ma provision de cailloux, et, toutes les fois que cet accĂšs vous prendra, je vous tirerai du sang de la tĂȘte. â Il secoua les oreilles et rĂ©pondit â Jeune homme, ce nâest pas dâaujourdâhui seulement que lâon me traite de la sorte je ne parais jamais sur le théùtre, pour rĂ©citer quelques vers, sans recevoir un pareil accueil des spectateurs. Quoi quâil en soit, pour nâavoir pas aussi maille Ă partir avec vous, je consens Ă me sevrer de ce plaisir tout le reste du jour. â Et moi, rĂ©pliquai-je, si vous tenez en bride votre PĂ©gase, je vous promets un bon souper[2]. â Puis je confiai Ă la gardienne de mon chĂ©tif logis le soin de mon chĂ©tif repas, et je me rendis au bain avec Eumolpe. CHAPITRE XCI. En y entrant, jâaperçus Giton appuyĂ© contre la muraille et tenant dans ses mains des frottoirs et des racloirs dâĂ©tuviste[1]. Ă son air triste et abattu, on devinait sans peine que câĂ©tait contre son grĂ© quâil servait Ascylte. Tandis que je le regardais attentivement pour mâassurer que câĂ©tait bien lui, il mâaperçut, et, tournant vers moi son visage oĂč brillait la joie la plus vive â GrĂące, mon frĂšre ! sâĂ©cria-t-il ; ayez pitiĂ© de moi ! Ici, je ne vois plus briller les armes, et je puis vous faire connaĂźtre mes vrais sentiments. DĂ©livrez-moi de la tyrannie dâun brigand sanguinaire, et, pour me punir de lâarrĂȘt que jâai prononcĂ© contre vous, infligez-moi le plus sĂ©vĂšre chĂątiment ; mais nâest-ce pas dĂ©jĂ , pour le malheureux Giton, un supplice assez cruel que dâavoir perdu votre affection ? â Je lui ordonne de cesser ses plaintes, de peur dâattirer lâattention des curieux ; puis, laissant Eumolpe dans le bain oĂč il dĂ©clamait dĂ©jĂ un de ses poĂ«mes, jâentraĂźne Giton hors de ces lieux par une obscure et fĂ©tide issue ; et nous fuyons Ă toutes jambes vers mon auberge. LĂ , fermant la porte sur nous, je me prĂ©cipite dans ses bras, et, par dâardents baisers, je sĂšche les pleurs dont ses joues sont inondĂ©es. Nous restĂąmes longtemps sans pouvoir profĂ©rer une seule parole car cet aimable enfant se brisait la poitrine Ă force de sanglots. â Quelle honte pour moi, lui disais-je, de tâaimer encore aprĂšs ton lĂąche abandon ! je cherche en vain dans mon cĆur la profonde blessure que tu y as faite, et je nâen trouve plus mĂȘme la cicatrice. Comment te justifier de mâavoir ainsi quittĂ© pour voler Ă de nouvelles amours ? avais-je mĂ©ritĂ© un tel affront ? â Giton, voyant que je lâaimais encore, prit une contenance plus hardie. â Cependant, poursuivis-je, je nâai point cherchĂ© dâautre arbitre que toi pour juger qui, dâAscylte ou de moi, mĂ©ritait le mieux ton amour ; mais je supprime de justes plaintes, jâoublie tout, pourvu que ton repentir soit sincĂšre. â En prononçant ces mots, je gĂ©missais et je versais un torrent de larmes. Giton, mâessuyant le visage avec son manteau, me dit â Soyez juste, mon cher Encolpe ; jâen appelle Ă votre mĂ©moire. Est-ce moi qui vous ai abandonnĂ© ? et ne vous ĂȘtes-vous pas trahi vous-mĂȘme ? je lâavouerai franchement et sans dĂ©tour, quand je vous vis tous deux les armes Ă la main, je me rangeai du cĂŽtĂ© du plus fort. â Ă ces mots, je me jetai Ă son cou, et je baisai la bouche dâoĂč Ă©tait sortie une rĂ©ponse si sensĂ©e ; puis, pour mieux le convaincre que je lui pardonnais le passĂ©, et que mon amour pour lui Ă©tait aussi vif et aussi sincĂšre que jamais, je lui prodiguai les plus tendres caresses. CHAPITRE XCII. Il Ă©tait nuit close, et la femme avait ponctuellement exĂ©cutĂ© mes ordres pour le souper, lorsque Eumolpe vint frapper Ă ma porte. â Combien ĂȘtes-vous ? lui demandai-je. â Et, avant dâouvrir, je regardai par le trou de la serrure si Ascylte nâĂ©tait pas avec lui. Quand je vis quâil Ă©tait seul, je lui ouvris sur-le-champ. DĂšs quâil fut entrĂ©, il se jeta sur un lit de repos, et, apercevant Giton qui dressait la table, il me fit un signe de tĂȘte, et me dit â Je vous fais mon compliment de votre GanymĂšde il faut nous divertir ce soir. â Un dĂ©but si gaillard ne me plut nullement, et je craignis dâavoir reçu chez moi un second Ascylte. Eumolpe nâen resta pas lĂ ; car Giton lui ayant prĂ©sentĂ© Ă boire â Je tâaime plus, lui dit-il, que tous les mignons que jâai vus au bain. â Puis, vidant la coupe dâun seul trait â Je nâai jamais Ă©tĂ© si altĂ©rĂ©, poursuivit-il ; car, en me baignant, jâai failli ĂȘtre assommĂ©, parce que, pour distraire ceux qui Ă©taient assis autour du bassin, jâai essayĂ© de leur dĂ©clamer un de mes poĂ«mes. ChassĂ© du bain, comme je lâai si souvent Ă©tĂ© du théùtre, je vous cherchais dans tous les coins, et je criais Ă tue-tĂȘte Encolpe ! Encolpe ! quand du cĂŽtĂ© opposĂ©, un jeune homme tout nu et qui avait perdu ses habits se mit Ă crier aussi fort que moi, et dâune voix quâanimait la colĂšre Giton ! Giton ! Il y avait cependant cette diffĂ©rence entre nous, que les valets du bain se moquaient de moi comme dâun fou, et me contrefaisaient insolemment, tandis que la foule nombreuse qui lâentourait lui prodiguait les applaudissements et les tĂ©moignages dâune respectueuse admiration. Il faut vous dire que la nature lâa si richement dotĂ© des attributs de la virilitĂ©, quâĂ la grandeur de ses proportions on le prendrait pour Priape lui-mĂȘme[1]. O le vigoureux champion ! je crois quâil pourrait soutenir une lutte amoureuse deux jours entiers sans discontinuer. Aussi ne fut-il pas longtemps dans lâembarras ; car je ne sais quel chevalier romain, connu, mâa-t-on dit, pour un infĂąme dĂ©bauchĂ©, le voyant courir ainsi tout nu, le couvrit de son manteau et lâemmena chez lui, sans doute pour sâassurer le monopole de cette bonne fortune. Mais moi, je nâaurais pas mĂȘme pu retirer mes habits du vestiaire[2], si je nâeusse produit un tĂ©moin qui affirma quâils mâappartenaient. Tant il est vrai quâon fait plus de cas des dons du corps que de ceux de lâesprit[3] ! â A chaque mot que disait Eumolpe, je changeais de couleur car si lâaccident arrivĂ© Ă mon ennemi mâavait rĂ©joui dâabord, jâĂ©tais dĂ©solĂ© de le voir ainsi tourner Ă son avantage. Toutefois, comme si jâeusse Ă©tĂ© complĂštement Ă©tranger Ă cette aventure, je gardai le silence sur mes relations avec Ascylte, et je dĂ©taillai Ă Eumolpe le menu de notre souper, A peine avais-je cessĂ© de parler, quâon nous servit. Ce nâĂ©tait que des mets assez communs, mais substantiels et nutritifs notre poĂ«te famĂ©lique les dĂ©vora avec une effrayante aviditĂ©. Lorsquâil fut enfin rassasiĂ©, il se prit Ă moraliser, et se rĂ©pandit en invectives contre ces hommes qui dĂ©daignent tout ce qui est dâun usage commun et vulgaire, et nâestiment que ce qui est rare. CHAPITRE XCIII. Par une dĂ©pravation vraiment dĂ©plorable, dit-il, on mĂ©prise les jouissances faciles, et on se passionne avec entĂȘtement pour celles qui nous semblent interdites Je ne veux point dâune facile gloire Lâobstacle ajoute un lustre Ă la victoire. Aux bords du Phase habite le faisan VoilĂ son prix. La poule numidique A vu le jour dans les sables dâAfrique Pour un gourmet, câest un morceau friand. Pauvre canard, ta chair est fine et molle ; FidĂšle oison, des fureurs du Gaulois Ton cri jadis sauva le Capitole ; Mais humblement vous croissez sous nos toits Vous nâĂȘtes bons quâĂ nourrir des bourgeois. Du bout du monde, oĂč le sort lâa fait naĂźtre[1], La sargue accourt ; on lâachĂšte Ă grands frais ; Et le barbeau, de la table du maĂźtre, Ne fait quâun saut Ă celle des valets. La raretĂ© fait le prix de la chose Le cinnamome, enfant dâun sol lointain, Fait oublier les parfums dâune rose[3] ; Et pour lâamour on nĂ©glige lâhymen[2]. â Est-ce ainsi, dis-je Ă Eumolpe, que vous tenez votre promesse de faire, pour aujourdâhui, trĂȘve Ă la poĂ©sie ? De grĂące, Ă©pargnez nos oreilles, Ă nous qui ne vous avons jamais lapidĂ©. Car, si quelquâun de ceux qui boivent prĂšs de nous, dans cette auberge venait Ă flairer un poĂ«te, il mettrait tout le voisinage en rumeur ; et, nous prenant pour vos complices en Apollon, on nous assommerait tous trois en mĂȘme temps. Cessez, par pitiĂ©, et rappelez-vous ce qui vient de vous arriver aux bains et sous le portique. â Giton, dont le caractĂšre Ă©tait naturellement doux et compatissant, me gronda de parler de la sorte. â Ce nâest pas bien, me dit-il, dâinjurier un homme plus ĂągĂ© que vous. Outrager ainsi celui que vous avez invitĂ© Ă votre table, câest manquer aux lois de lâhospitalitĂ©, câest perdre tout le fruit de votre politesse. Ă cette remontrance il ajouta des discours pleins de modĂ©ration et de dĂ©cence, qui avaient une grĂące toute particuliĂšre dans la bouche de ce bel enfant. CHAPITRE XCIV. Trois fois heureuse, dit Eumolpe, la mĂšre qui tâa mis au monde ! Courage, mon garçon ! persĂ©vĂšre dans ces bons sentiments ; offre toujours le rare assemblage de la sagesse et de la beautĂ©[1]. Ce nâest pas en vain que tu as pris ma dĂ©fense tu as gagnĂ© mon cĆur ; je tâaime ; et je veux dĂ©sormais consacrer ma muse Ă chanter tes louanges. Je veux ĂȘtre ton prĂ©cepteur, ton gardien ; je te suivrai partout, bon grĂ©, mal grĂ© Encolpe nâen peut prendre ombrage, car je sais quâil aime ailleurs. â Fort heureusement pour notre poĂ«te, je nâavais plus lâĂ©pĂ©e que le soldat mâavait enlevĂ©e bien lui en prit ; car tout le courroux quâAscylte avait allumĂ© dans mon Ăąme, je lâaurais Ă©teint dans le sang dâEumolpe. Giton sâen aperçut, et, sous le prĂ©texte dâaller chercher de lâeau, il quitta la chambre. Son dĂ©part opportun apaisa mon ressentiment ; et, devenu plus calme â Jâaime encore mieux, dis-je Ă Eumolpe, vos vers que votre prose, quand vous exprimez de semblables dĂ©sirs. Vous ĂȘtes libertin ; moi, je suis violent ; certes, nos caractĂšres ne pourront jamais sympathiser. Je vous parais, sans doute, un insensĂ©, un furieux ; eh bien, soit ; Ă©vitez les accĂšs de ma folie, ou, pour parler clairement, dĂ©campez au plus vite. â Ătourdi de cette apostrophe, Eumolpe, sans mâen demander lâexplication, sort sur-le-champ, tire la porte sur lui, la ferme Ă double tour, met la clef dans sa poche, et court Ă la recherche de Giton. JâĂ©tais loin de mâattendre Ă une pareille ruse, et, me voyant ainsi renfermĂ©, dans mon dĂ©sespoir je rĂ©solus de me pendre. En consĂ©quence, je dressai le bois du lit contre la muraille, et jây attachai ma ceinture[2]. DĂ©jĂ je passais mon cou dans le nĆud fatal ; câen Ă©tait fait de moi⊠lorsque Eumolpe, accompagnĂ© de Giton, ouvre brusquement la porte et me rend Ă la vie. Giton, surtout, passant, Ă cette vue, de la douleur Ă la rage, pousse un grand cri, me prend dans ses deux bras, et, me jetant Ă la renverse sur le lit â Vous vous trompez, Encolpe, me dit-il, si vous pensez quâil vous soit possible de mourir avant moi. Je vous avais prĂ©venu dans ce dessein quand jâĂ©tais chez Ascylte, jâai vainement cherchĂ© une Ă©pĂ©e ; mais jâavais rĂ©solu, si je ne parvenais pas Ă vous rejoindre, de trouver la mort au fond dâun prĂ©cipice et, pour vous prouver que la mort ne se fait jamais attendre au malheureux qui la cherche, jouissez, Ă votre tour, du spectacle que vous me destiniez tout Ă lâheure. â A ces mots, il arrache un rasoir des mains du valet dâEumolpe[3], en passe deux fois le tranchant sur sa gorge, et tombe Ă nos pieds. Saisi dâĂ©pouvante, je jette de grands cris, et je me prĂ©cipite sur le corps de Giton armĂ© du mĂȘme rasoir, je veux moi-mĂȘme mourir avec lui. Mais lâespiĂšgle ne sâĂ©tait pas fait la moindre Ă©gratignure, et, comme lui, je ne sentais aucune douleur. CâĂ©tait, en effet, un de ces rasoirs Ă©moussĂ©s que lâon donne aux apprentis barbiers pour corriger leur maladresse, et pour leur faire la main. Aussi le valet, en voyant Giton le prendre dans sa trousse, nâavait pas tĂ©moignĂ© le plus lĂ©ger effroi, et Eumolpe avait considĂ©rĂ© de sang-froid cette tragĂ©die pour rire. CHAPITRE XCV. Au dĂ©noĂ»ment de cette farce, oĂč Giton et moi nous jouions les rĂŽles dâamoureux, survint le maĂźtre de lâauberge qui nous apportait le second service ; nous voyant ainsi Ă©tendus par terre dans le plus grand dĂ©sordre â Qui ĂȘtes-vous ? sâĂ©cria-t-il ; des ivrognes ou des vagabonds ?⊠peut-ĂȘtre lâun et lâautre ? Qui de vous a dressĂ© ce lit contre le mur ? quel secret dessein avez-vous machinĂ© ? Je crois, ma foi, que vous vouliez dĂ©loger cette nuit sans payer le loyer de votre chambre ; il nâen sera rien. Je vous ferai voir que cette maison isolĂ©e nâappartient pas Ă quelque pauvre veuve sans appui[1], mais Ă Marcus Manicius. â Tu oses nous menacer ! sâĂ©crie Eumolpe. â Et en mĂȘme temps il dĂ©tache Ă lâaubergiste un vigoureux soufflet ; mais celui-ci, Ă©chauffĂ© par les nombreuses libations quâil avait faites avec ses hĂŽtes, lance Ă la tĂȘte dâEumolpe une cruche de terre qui lui meurtrit le front[3], puis sâenfuit Ă toutes jambes. Notre poĂ«te, furieux dâun tel outrage, se saisit dâun grand chandelier de bois, poursuit le fuyard, et, lâen frappant Ă tour de bras, lui rend avec usure le coup quâil a reçu au front. Les valets de lâauberge et un grand nombre dâivrognes accourent Ă ce bruit. Quant Ă moi, profitant de cette occasion pour me venger dâEumolpe et rendre la pareille Ă ce brutal, je ferme la porte sur lui, bien rĂ©solu Ă jouir sans concurrent de ma chambre et des plaisirs que la nuit me promet. Cependant les marmitons et tous les habitants[2] de lâauberge tombent sur le pauvre diable dont jâai coupĂ© la retraite lâun, armĂ© dâune broche chargĂ©e de rĂŽtis frĂ©missants au feu, menace de lui crever les yeux ; un autre, saisissant un croc Ă suspendre les viandes, se place dans une attitude belliqueuse. Je remarquai surtout une servante vieille et chassieuse, qui, ceinte dâun torchon horriblement sale, et chaussĂ©e de sabots dĂ©pareillĂ©s[4], traĂźnait par la chaĂźne un Ă©norme dogue, et lâagaçait contre Eumolpe ; mais notre hĂ©ros parait adroitement avec son chandelier tous les coups quâon lui portait. CHAPITRE XCVI. Nous regardions toute cette bagarre Ă travers une fente quâEumolpe, un instant auparavant, avait faite Ă la porte, dont il avait brisĂ© le marteau. Jâapplaudissais aux coups quâil recevait ; mais Giton, toujours compatissant, Ă©tait dâavis quâil fallait lui ouvrir et le secourir dans ce pressant danger. Mon ressentiment nâĂ©tait pas encore apaisĂ©, et, pour punir Giton de sa pitiĂ© hors de saison, je ne pus mâempĂȘcher de lui donner sur la tĂȘte une chiquenaude bien appliquĂ©e[1]. Le pauvre enfant, fondant en larmes, alla se jeter sur le lit. Pour moi, je mettais, tantĂŽt un Ćil, tantĂŽt lâautre, au trou de la porte, et je jouissais de voir Eumolpe ainsi maltraitĂ© ; câĂ©tait un aliment dont se repaissait ma colĂšre ; quand tout Ă coup survint Bargate[2], le procurateur du quartier. Il avait quittĂ© son souper pour venir mettre le holĂ , et se faisait porter dans sa litiĂšre sur le champ de bataille, parce quâil Ă©tait perclus de ses deux jambes. Il dĂ©clama longtemps dâune voix terrible et courroucĂ©e contre les ivrognes et les vagabonds ; puis, reconnaissant Eumolpe â Quoi ! câest vous, lui dit-il, vous, la fleur de nos poĂ«tes ! et ces pendards de valets ne sâenfuient pas au plus vite ! et ils osent lever la main sur vous ! â Puis, sâapprochant dâEumolpe, il lui dit tout bas Ă lâoreille â Ma femme prend avec moi des airs dĂ©daigneux ; veuillez, pour lâamour de moi, faire une satire contre elle, afin quâelle rougisse de sa conduite. CHAPITRE XCVII. Pendant que Bargate Ă©tait en conversation secrĂšte avec Eumolpe, entra dans lâauberge un crieur public, suivi dâun valet de ville et dâune grande foule de curieux secouant un flambeau qui rĂ©pandait plus de fumĂ©e que de lumiĂšre, il lut Ă haute voix cette proclamation Un jeune homme dâenviron seize ans, nommĂ© Giton, aux cheveux frisĂ©s[1], dâune complexion dĂ©licate et dâun extĂ©rieur agrĂ©able, vient de sâĂ©garer au bain public mille Ă©cus de rĂ©compense Ă quiconque le ramĂšnera ou pourra indiquer le lieu de sa retraite. PrĂšs du crieur se tenait Ascylte, vĂȘtu dâune robe bigarrĂ©e de diverses couleurs[2], et portant dans un plat dâargent la rĂ©compense promise. Sans perdre un instant, jâordonnai Ă Giton de se fourrer sous le lit, et, comme autrefois Ulysse sâĂ©tait cachĂ© sous le ventre dâun bĂ©lier, dâentrelacer ses pieds et ses mains dans les sangles qui soutenaient le matelas[3], pour Ă©chapper aux perquisitions de ceux qui le cherchaient. Giton sâempressa de mâobĂ©ir, et se suspendit si bien aux sangles du lit, quâUlysse se serait avouĂ© vaincu par notre ruse. De mon cĂŽtĂ©, pour Ă©loigner tout soupçon, jâĂ©tendis mes vĂȘtements sur le lit, et, mây couchant, jây imprimai la forme dâun homme de ma taille. Cependant Ascylte, aprĂšs avoir visitĂ© toutes les chambres avec le valet du crieur, sâarrĂȘta devant la mienne voyant que la porte Ă©tait soigneusement fermĂ©e, il en conçut dâautant plus dâespoir. Mais le valet, introduisant sa hache entre la porte et son chambranle, en fit sauter les ferrures. Alors, me jetant aux pieds dâAscylte, je le conjurai, au nom de notre ancienne amitiĂ© et des mauvais jours que nous avions supportĂ©s ensemble, de me laisser voir pour la derniĂšre fois le frĂšre que je regrettais. Et, pour donner plus de vraisemblance Ă mes priĂšres hypocrites â Je sais, lui dis-je, Ascylte, que vous ĂȘtes venu dans lâintention de mâĂŽter la vie ne le vois-je pas Ă ces haches qui vous accompagnent ? Assouvissez donc vĂŽtre haine voilĂ ma tĂȘte ; versez mon sang dont vous ĂȘtes altĂ©rĂ©, car vos recherches ne sont quâun vain prĂ©texte. â Ascylte, indignĂ© dâun pareil soupçon, jura quâil nâavait dâautre but que de rattraper son fugitif ; quâil ne demandait la mort de personne, encore moins celle dâun suppliant dans lequel il ne pouvait, mĂȘme aprĂšs un fĂącheux dĂ©mĂȘlĂ©, mĂ©connaĂźtre le plus cher de ses amis. CHAPITRE XCVIII. Cependant le valet de ville se montrait plus actif armĂ© dâune canne quâil avait arrachĂ©e au cabaretier, il sondait le dessous du lit, et fouillait tous les coins et recoins de la chambre. Mais Giton Ă©vitait adroitement tous les coups, et retenait sa respiration, malgrĂ© les punaises qui lui couraient sur le visage. DĂšs quâils furent partis, Eumolpe, profitant de ce que la fracture de la porte ouvrait un libre accĂšs Ă tout le monde, se prĂ©cipita dans la chambre ; et, transportĂ© de joie, sâĂ©cria â Jâai gagnĂ© mille Ă©cus ! Je vais courir aprĂšs le crieur qui sâen va, et, pour vous punir du tour que vous mâavez jouĂ©, je lui dĂ©clarerai que Giton est entre vos mains. â Voyant quâil persistait dans sa rĂ©solution, jâembrasse ses genoux, et je le conjure de ne pas donner le dernier coup Ă des malheureux dĂ©jĂ plus quâĂ demi morts. â Vous auriez raison de vous venger, ajoutai-je, sâil Ă©tait en votre pouvoir de trouver celui que vous voulez livrer ; mais le pauvre enfant vient de sâĂ©chapper dans la foule, et je ne sais oĂč il est allĂ©. Au nom des dieux ! Eumolpe, tĂąchez de le retrouver, dussiez-vous mĂȘme le rendre Ă Ascylte. â Il commençait Ă ajouter foi Ă cette histoire, lorsque Giton, ne pouvant plus longtemps retenir son haleine, Ă©ternua trois fois de suite avec tant de force, que le lit en trembla. â Les dieux vous bĂ©nissent[1] ! â dit Eumolpe, se tournant du cĂŽtĂ© dâoĂč venait ce bruit ; et, soulevant le matelas, il aperçut notre Ulysse, quâun Cyclope mĂȘme Ă jeun eĂ»t Ă©pargnĂ©. Ă cette vue, il mâapostropha de la sorte â ScĂ©lĂ©rat ! pris sur le fait, tu as encore lâeffronterie de nier la vĂ©ritĂ© ! Que dis-je ? si la divinitĂ©, qui ne souffre pas que le crime reste impuni, nâeĂ»t forcĂ© cet enfant Ă me dĂ©couvrir sa retraite, dupe de tes artifices, je serais maintenant Ă courir tous les cabarets pour lây chercher. â Mais Giton, qui sâentendait bien mieux que moi Ă cajoler son monde, commença par panser avec des toiles dâaraignĂ©e trempĂ©es dans de lâhuile la blessure quâEumolpe avait reçue au front ; ensuite, Ă la robe dĂ©chirĂ©e du poĂ«te il substitua son petit manteau ; puis, voyant quâil commençait Ă se calmer, pour dernier lĂ©nitif il le prit dans ses bras et le couvrit de baisers â O mon pĂšre ! mon tendre pĂšre ! sâĂ©cria-t-il, notre sort est entre vos mains. Si vous aimez un peu votre petit Giton, commencez par le sauver. PlĂ»t au ciel, hĂ©las ! que je fusse dĂ©vorĂ© par les flammes ; plĂ»t au ciel que la mer orageuse mâengloutĂźt ! moi qui suis lâunique sujet, la seule cause de ces criminels dĂ©bats ; du moins, ma mort rapprocherait deux amis que jâai brouillĂ©s. â Eumolpe, touchĂ© de mes maux et de ceux de Giton, attendri surtout par les caresses que lui avait prodiguĂ©es cet aimable enfant â Fous que vous ĂȘtes, nous dit-il, avec le mĂ©rite que vous avez, vous pourriez vivre heureux, et cependant vous passez votre misĂ©rable existence dans des inquiĂ©tudes continuelles chaque jour vous vous crĂ©ez Ă vous-mĂȘmes de nouveaux chagrins. CHAPITRE XCIX. Pour moi, toujours et partout, jâai vĂ©cu comme si chaque jour dont je jouissais Ă©tait le dernier de mes jours et ne devait jamais revenir, câest-Ă -dire sans mâinquiĂ©ter du lendemain[1]. Suivez donc mon exemple, et narguez les soucis. Ascylte vous poursuit ici ; fuyez au plus tĂŽt. Je suis sur le point de faire un voyage dans un pays lointain ; venez avec moi le vaisseau sur lequel je dois mâembarquer mettra peut-ĂȘtre Ă la voile cette nuit je suis connu des gens de lâĂ©quipage, et nous serons bien reçus. Ce conseil me parut sage et utile ; il me dĂ©livrait des persĂ©cutions dâAscylte, et me promettait une existence plus heureuse. Vaincu par la gĂ©nĂ©rositĂ© dâEumolpe, je me repentais amĂšrement des mauvais procĂ©dĂ©s que je venais dâavoir Ă son Ă©gard, et je me reprochais la jalousie qui en avait Ă©tĂ© la cause. Je le conjurai donc, les larmes aux yeux, de me pardonner â Il nâest pas, lui dis-je, au pouvoir dâun homme qui aime de rĂ©primer ses transports jaloux ; mais je ferai en sorte de ne rien dire et de ne rien faire Ă lâavenir qui puisse vous dĂ©plaire. Vous devez donc, en vĂ©ritable philosophe, bannir de votre esprit le souvenir des diffĂ©rends qui se sont Ă©levĂ©s entre nous, de maniĂšre quâil nâen reste aucune trace. Les neiges sĂ©journent longtemps sur un sol inculte et raboteux ; mais, sur une terre unie et dompĂ©e par la charrue, elles se fondent aussitĂŽt, comme une gelĂ©e blanche. Il en est de mĂȘme de la colĂšre elle prend racine dans un esprit grossier, mais elle effleure Ă peine une Ăąme Ă©clairĂ©e. â Pour confirmer, rĂ©pondit Eumolpe, la vĂ©ritĂ© de ce que vous dites, tenez, je vous donne le baiser de paix. Maintenant, pour que tout aille Ă bien, faites au plus vite vos paquets, et suivez-moi ; ou, si vous le prĂ©fĂ©rez, soyez mes guides. â Il parlait encore, quand on heurta rudement Ă la porte, qui, en sâouvrant, offrit Ă nos regards un marin Ă la barbe touffue. â Qui vous arrĂȘte ? dit-il Ă Eumolpe ; ne savez-vous pas quâil faut se hĂąter[2] ? â Nous nous levons aussitĂŽt, et Eumolpe, rĂ©veillant son valet qui dormait depuis longtemps, lui ordonne de partir avec notre bagage. Moi et Giton, nous faisons un paquet de tout ce qui nous reste de vivres ; et, aprĂšs une fervente priĂšre aux astres[3] protecteurs de la navigation, nous montons Ă bord[4]. CHAPITRE C. Nous nous plaçùmes dans un endroit Ă©cartĂ©[1], prĂšs de la poupe ; et, comme il ne faisait pas encore jour, Eumolpe sâendormit. Quant Ă Giton et Ă moi, il nous fut impossible de fermer lâĆil. Je rĂ©flĂ©chissais tristement Ă lâimprudence que jâavais faite en recevant dans ma sociĂ©tĂ© Eumolpe, rival plus dangereux encore quâAscylte sa prĂ©sence mâinspirait les plus vives inquiĂ©tudes. Enfin, pour triompher de mon chagrin, jâappelai la raison Ă mon secours. â Il est fĂącheux, disais-je en moi-mĂȘme, que cet enfant plaise Ă Eumolpe. Mais, aprĂšs tout, la nature nâa-t-elle pas mis en commun, pour lâusage de tous, ses plus belles crĂ©ations ? Le soleil luit pour tout le monde. La lune, accompagnĂ©e dâun cortĂšge innombrable dâĂ©toiles, ne refuse pas mĂȘme sa lumiĂšre aux bĂȘtes sauvages qui cherchent leur pĂąture pendant la nuit. Quây a-t-il de plus beau que les eaux ? cependant elles coulent pour tous les habitants de la terre. Pourquoi donc lâamour seul serait-il le prix dâun larcin, plutĂŽt que la rĂ©compense du mĂ©rite ? et, toutefois, nous nâestimons que les biens dont les autres nous envient la possession. Mais, aprĂšs tout, je nâai plus quâun rival, et encore si vieux, que, sâil voulait prendre quelques libertĂ©s avec Giton, il perdrait sa peine et ses soins, faute dâhaleine â RassurĂ©e par le peu de vraisemblance dâune pareille tentative, mon humeur jalouse se calma, et, me couvrant la tĂȘte de mon manteau, je feignis de dormir. Mais, au mĂȘme instant, comme si la Fortune eĂ»t pris Ă tĂąche dâabattre ma constance, jâentendis, sur le tillac, ces paroles articulĂ©es dâun ton gĂ©missant â Câest donc ainsi quâil sâest jouĂ© de ma crĂ©dulitĂ© ? â Les sons mĂąles de cette voix, qui ne mâĂ©tait pas tout Ă fait inconnue, me frappĂšrent dâĂ©pouvante. Mais que devins-je, lorsquâune femme, qui paraissait Ă©galement irritĂ©e, sâĂ©cria dâun ton encore plus animĂ© â Si quelque divinitĂ© faisait tomber Giton entre mes mains, comme je recevrais ce fugitif ! â Cette rencontre imprĂ©vue nous glaça Ă tous deux le sang dans les veines. Moi, surtout, comme Ă©touffĂ© par un horrible cauchemar, je fus longtemps sans pouvoir profĂ©rer une seule parole. Enfin, dâune main tremblante, tirant Eumolpe, dĂ©jĂ endormi, par le pan de sa robe â Mon pĂšre, lui dis-je, au nom du ciel ! Ă qui appartient ce navire ? ne pourriez-vous mâapprendre quels passagers y sont embarquĂ©s ? â TroublĂ© dans son sommeil, il me rĂ©pondit avec humeur â Ătait-ce donc pour nous empĂȘcher de dormir quâil vous a plu de choisir lâendroit le plus Ă©cartĂ© du tillac ? En serez-vous plus avancĂ© quand je vous aurai dit que ce vaisseau appartient Ă Lycas de Tarente[2], qui ramĂšne dans cette ville une voyageuse nommĂ©e TryphĂšne ? CHAPITRE CI. Ces paroles furent pour moi un coup de foudre. Je frissonnai de tous mes membres, et, prĂ©sentant ma gorge Ă dĂ©couvert â Fortune, mâĂ©criai-je, tu lâemportes ! je suis perdu sans ressource. â Giton, renversĂ© sur mon sein, y resta longtemps sans connaissance. Enfin, lorsquâune abondante sueur nous eut rendu lâusage de nos sens, embrassant les genoux dâEumolpe â Ayez pitiĂ©, lui dis-je, de deux mourants. Au nom de cet enfant, nos communes amours, dĂ©livrez-nous de la vie[1] la mort est devant nous, et, si vous nây mettez obstacle, nous la recevrons comme un bienfait du ciel. â Ătourdi de cette violente apostrophe, Eumolpe jure ses grands dieux quâil ignore de quel Ă©vĂ©nement nous sommes menacĂ©s, quâil nâa eu aucun mauvais dessein, quâil ne nous a tendu aucun piĂšge, mais que câest de bonne foi et le plus innocemment du monde quâil nous a conduits sur ce navire, oĂč son passage Ă©tait arrĂȘtĂ© depuis longtemps. â Quelles sont donc, dit-il, les embĂ»ches que vous redoutez ici ? quel nouvel Annibal se trouve Ă bord parmi nous ? Lycas de Tarente, Ă la fois le pilote et le propriĂ©taire de ce vaisseau, est un fort honnĂȘte homme qui possĂšde, en outre, plusieurs domaines il a embarquĂ© une troupe dâesclaves quâil transporte Ă Tarente pour y ĂȘtre vendus[2]. VoilĂ le cyclope, le pirate auquel nous devons notre passage. Il y a aussi sur ce vaisseau TryphĂšne, la plus belle des femmes, qui aime Ă voyager de cĂŽtĂ© et dâautre pour son plaisir[3]. â Ce sont justement, reprit Giton, les ennemis que nous fuyons ! â Et, sur-le-champ, il raconta succinctement Ă Eumolpe, muet de surprise, les motifs de haine que ces gens avaient contre nous, et les pĂ©rils dont nous Ă©tions menacĂ©s. Interdit, et ne sachant quel parti prendre â Que chacun, dit le poĂ«te, expose son avis. Figurez-vous que nous sommes dans lâantre de PolyphĂšme ; il nous faut chercher quelque moyen dâen sortir, Ă moins que nous ne prĂ©fĂ©rions nous jeter Ă la mer, ce qui nous dĂ©livrerait Ă lâinstant de tout danger. â Il vaudrait mieux, reprit Giton, tĂącher dâobtenir du pilote, moyennant salaire, bien entendu, quâil nous dĂ©barquĂąt au port le plus voisin. Vous affirmerez que votre frĂšre, tourmentĂ© du mal de mer, est Ă toute extrĂ©mitĂ©. Pour donner a ce mensonge un air de vĂ©ritĂ©, vous vous prĂ©senterez au pilote les larmes aux yeux et le visage renversĂ©, afin quâĂ©mu de compassion il se rende Ă votre priĂšre. â Cela nâest pas possible, rĂ©pondit Eumolpe ; un grand vaisseau comme le nĂŽtre nâentre que bien difficilement dans un port ; et, dâailleurs, il ne serait pas vraisemblable que votre frĂšre eĂ»t pu perdre la santĂ© en si peu de temps. Ajoutez Ă cela que Lycas, par humanitĂ©, voudra peut-ĂȘtre visiter le moribond. Voyez maintenant sâil est de votre intĂ©rĂȘt dâattirer auprĂšs de vous ce mĂȘme capitaine que vous fuyez. Mais supposons quâil soit facile de dĂ©tourner le vaisseau de sa destination lointaine ; supposons mĂȘme que Lycas ne fera pas la visite et lâinspection de ses malades comment parviendrons-nous Ă descendre du vaisseau sans ĂȘtre vus de tout le monde ? Sortirons-nous la tĂȘte couverte, ou nue[4] ? Si nous nous couvrons la tĂȘte, tout le monde voudra prĂ©senter la main Ă de pauvres malades ; si nous allons tĂȘte nue, ce sera nous jeter dans la gueule du loup. CHAPITRE CII. TrĂȘve, mâĂ©criai-je, Ă ces timides conseils ! nâayons recours quâĂ lâaudace ; laissons-nous couler dans la chaloupe le long du cĂąble ; coupons-le, et abandonnons le reste au hasard. Cependant, cher Eumolpe, mon intention nâest pas de vous associer Ă nos pĂ©rils il nâest pas juste que lâinnocent sâexpose pour le coupable. Tous mes vĆux seront comblĂ©s, si la Fortune seconde notre fuite. â Excellent avis ! dit Eumolpe, sâil Ă©tait praticable. EspĂ©rez-vous donc que personne ne sâapercevra de votre dĂ©part ? Ăchapperez-vous aux regards du pilote, qui, toujours Ă©veillĂ©, passe la nuit Ă observer le cours des astres ? Et quand bien mĂȘme il viendrait Ă sâendormir, vous ne pourriez vous flatter de tromper sa vigilance quâen vous Ă©chappant par le cĂŽtĂ© du vaisseau opposĂ© Ă celui oĂč il se tient ; mais câest Ă la poupe, auprĂšs du gouvernail, quâest attachĂ© le cĂąble qui retient la chaloupe, et câest par lĂ quâil vous faut descendre. Je mâĂ©tonne dâailleurs, Encolpe, que vous nâayez pas songĂ© au matelot qui est de garde jour et nuit dans cette chaloupe, et que vous nâen pourrez chasser quâen le tuant ou en le jetant Ă la mer de vive force. Vous sentez-vous capable dâun coup si hardi ? Consultez votre courage. Quant Ă moi, je suis prĂȘt Ă vous suivre, et aucun danger ne mâarrĂȘtera, pourvu quâil y ait quelque chance de salut ; car je ne vous crois pas assez fou pour exposer votre vie de gaietĂ© de cĆur et sans aucun espoir de succĂšs. Voyez si vous prĂ©fĂ©rez lâexpĂ©dient que voici je vous mettrai avec mes habits dans deux valises, qui seront censĂ©es faire partie de mon bagage, et jâen fermerai les courroies, en y laissant seulement une petite ouverture, par laquelle vous puissiez respirer et recevoir des aliments ; puis, demain matin, je publierai que mes deux esclaves, craignant un chĂątiment encore plus rigoureux, se sont jetĂ©s Ă la mer pendant la nuit ; et lorsque le vent nous aura conduits au port, je vous ferai dĂ©barquer avec mes valises, sans exciter aucun soupçon. â A merveille ! mâĂ©criai-je ; nous prenez-vous pour des corps solides que lâon peut enfermer Ă volontĂ© ? Croyez-vous donc que nous soyons exempts des nĂ©cessitĂ©s ordinaires Ă tous les hommes ; que nous soyons habituĂ©s Ă rester immobiles, sans Ă©ternuer, sans ronfler ? Est-ce parce que ce stratagĂšme mâa rĂ©ussi une fois ? Mais je vous accorde que nous puissions rester tout un jour empaquetĂ©s de la sorte quâen rĂ©sultera-t-il ? Si le calme ou les vents contraires nous retiennent en mer, que deviendrons-nous ? nous moisirons comme des habits renfermĂ©s trop longtemps, ou nous serons comme des livres quâune forte pression rend illisibles. Jeunes comme nous le sommes, et peu faits Ă ce genre de fatigue, nous resterions emballĂ©s, emmaillottĂ©s comme des statues ! Cherchons donc, je vous prie, quelque autre moyen de salut. Que vous semble, par exemple, de cette invention ? Eumolpe, en sa qualitĂ© dâhomme de lettres, doit avoir avec lui sa provision dâencre[1] servons-nous-en pour nous teindre en noir de la tĂȘte aux pieds ; ainsi dĂ©guisĂ©s, nous passerons pour des esclaves Ă©thiopiens, nous vous servirons comme tels, trop heureux dâĂ©viter ainsi le chĂątiment dont nous sommes menacĂ©s ; et notre changement de couleur nous rendra mĂ©connaissables aux yeux mĂȘmes de nos ennemis. â Oui-da ? reprit Giton ; que ne nous proposez-vous aussi de nous circoncire, afin quâon nous prenne pour des Juifs[2] ; de nous percer les oreilles, pour ressembler Ă des Arabes ; ou de nous frotter le visage avec de la craie, pour paraĂźtre de vrais Gaulois ? comme si, en changeant notre couleur, nous pouvions aussi changer nos traits. Cela ne suffit pas ; il faut encore que tout concoure, que tout soit dâaccord pour soutenir un pareil rĂŽle. Supposons que la drogue dont on nous barbouillera soit longtemps sans sâeffacer ; que lâeau qui tombera par hasard sur notre corps nây fasse aucune tache ; que lâencre ne se collera pas Ă nos habits, ce qui arrive souvent, mĂȘme lorsquâon nây met point de gomme dites-moi, pourrons-nous aussi nous faire des lĂšvres dâune grosseur dĂ©mesurĂ©e comme les Ăthiopiens[3] ; friser nos cheveux comme les leurs, nous tatouer comme eux le visage, nous courber les jambes en cerceaux, marcher sur les talons[4], et imiter la laine qui leur couvre le menton ? croyez-moi, cette couleur artificielle nous salira le corps sans le changer. Ăcoutez lâavis que mâinspire le dĂ©sespoir enveloppons-nous la tĂȘte de nos robes, et jetons-nous Ă la mer. CHAPITRE CIII. Que les dieux et les hommes, sâĂ©crie Eumolpe, vous prĂ©servent dâune mort si misĂ©rable ! faites plutĂŽt ce que je vais vous dire. Mon valet est barbier, comme vous lâavez pu voir dĂ©jĂ eh bien ! il va vous raser sur-le-champ, Ă tous deux, non-seulement la tĂȘte, mais mĂȘme les sourcils[1] ; ensuite je tracerai adroitement sur vos fronts une inscription qui indiquera que vous avez Ă©tĂ© marquĂ©s pour dĂ©sertion ces stigmates dâun honteux supplice dĂ©guiseront votre visage, et mettront en dĂ©faut la sagacitĂ© de ceux qui vous cherchent. â Cet avis prĂ©valut, et lâon se mit sur-le-champ Ă lâĆuvre. Nous nous approchons Ă pas de loup du bord du vaisseau, et nous livrons notre tĂȘte au barbier, qui fait tomber sous son rasoir nos cheveux et nos sourcils ; alors Eumolpe, dâune main exercĂ©e, nous couvre Ă grands traits le visage entier des lettres dont on marque ordinairement les esclaves fugitifs[2]. Par malheur, un des passagers qui, penchĂ© sur le flanc du navire, soulageait son estomac travaillĂ© du mal de mer, aperçut, au clair de la lune, notre barbier en fonction Ă cette heure indue maudissant cette action comme un funeste prĂ©sage car ce nâest quâau moment du naufrage que les nautoniers font le sacrifice de leur chevelure, il se rejeta dans son lit. Pour nous, faisant semblant de ne pas entendre ses imprĂ©cations, nous reprĂźmes notre air triste ; et, gardant le plus profond silence, nous passĂąmes le reste de la nuit dans un sommeil agitĂ©. Le lendemain matin, dĂšs quâEumolpe apprit que Tryphene Ă©tait levĂ©e, il entra dans la chambre de Lycas. On sâentretint dâabord du beau temps et de lâheureuse navigation quâil nous promettait ; puis Lycas, sâadressant Ă Tryphene, lui parla en ces termes CHAPITRE CIV. Cette nuit, Priape mâest apparu en songe Apprends, mâa-t-il dit, que jâai conduit Ă bord de ton vaisseau cet Encolpe que tu cherches. â TryphĂšne tressaillit et sâĂ©cria â On dirait que nous avons dormi sur le mĂȘme oreiller ; car cette statue de Neptune, que jâavais remarquĂ©e sous le pĂ©ristyle du temple de BaĂŻes, mâest aussi apparue, et mâa dit â Tu trouveras Giton dans le navire de Lycas. â Cela vous prouve, reprit Eumolpe, combien le divin Ăpicure a eu raison de blĂąmer, dâune maniĂšre si plaisante, ceux qui ajoutent foi Ă ces vaines illusions Ces songes, lĂ©gers fils de lâombre et du sommeil, Que la nuit a formĂ©s, que dĂ©truit le rĂ©veil, Nâannoncent point du ciel les avis fatidiques Lâhomme Ă ses souvenirs doit leurs jeux fantastiques. DĂšs que ce dieu pesant qui donne le repos Sur nos sens engourdis a versĂ© ses pavots, Des entraves du corps lâĂąme dĂ©barrassĂ©e Des scĂšnes de la veille amuse la pensĂ©e, Et, de lâillusion empruntant le pinceau, Dâun objet qui nâest plus trace un vivant tableau. Voyez ce conquĂ©rant fĂ©cond en funĂ©railles, Son bras de vingt citĂ©s sape encor les murailles, Met les rois au tombeau, force leurs bataillons, Et de ruisseaux de sang inonde les sillons. Lâavocat, au barreau, dĂ©sarme la justice, Et sauve son client des rigueurs du supplice. Lâavare, ouvrant le sol pour enfouir son or, Dans son champ, tout Ă coup, trouve un nouveau trĂ©sor ; Et dans ses billets doux une Ă©pouse coquette RĂ©clame dâun galant les faveurs quâelle achĂšte. Le pilote englouti sâagite, et presse en vain La planche de salut qui se brise en sa main. Tandis que le chasseur, sur la plume immobile, DerriĂšre ses rideaux poursuit un cerf agile ; Par un rĂȘve emportĂ©, le chien, du liĂšvre absent, Dans un bois idĂ©al suit la piste en jappant. De lâhomme riche ainsi doublant les jouissances, La nuit du malheureux prolonge les souffrances. Cependant Lycas, aprĂšs avoir fait les ablutions nĂ©cessaires pour expier le songe de TryphĂšne[1] â Qui nous empĂȘche, dit-il, de faire la visite de ce navire, pour nâavoir point Ă nous reprocher de mĂ©priser ces avertissements du ciel ? â Le passager qui, pour notre malheur, avait Ă©tĂ© tĂ©moin de notre dĂ©guisement nocturne, HĂ©sus Ă©tait son nom, entre tout Ă coup chez Lycas, et sâĂ©crie â Quels sont donc les misĂ©rables qui se sont fait raser la tĂȘte cette nuit au clair de la lune ? Par Hercule ! ce sacrilĂšge est dâun trĂšs dangereux exemple ; car jâai ouĂŻ dire quâil nâest permis Ă personne de se couper les ongles ou les cheveux sur un vaisseau, Ă moins que le vent ne soit irritĂ© contre la mer. CHAPITRE CV. TroublĂ© par ces paroles, Lycas devint furieux. â Est-il possible, dit-il, que quelquâun des passagers ait eu lâaudace de se couper les cheveux sur mon navire, et cela par une si belle nuit ? Quâon amĂšne ici les coupables, afin que je sache quels sont ceux dont le sang doit purifier ce navire. â Câest par mon ordre, dit Eumolpe, que cela sâest fait. Comme je devais faire route avec eux sur le mĂȘme bĂątiment[1], jâai voulu par lĂ me rendre les auspices favorables. En punition de leurs crimes, ils portaient leur chevelure longue et en dĂ©sordre pour ne pas faire un bagne de ce navire, jâai ordonnĂ© Ă mon barbier de les nettoyer de leurs souillures ; jâai voulu, en outre, que les stigmates dâinfamie gravĂ©s sur leur front nâĂ©tant plus cachĂ©s sous lâampleur de leurs cheveux, tout le monde pĂ»t y lire leur faute et leur chĂątiment. Parmi leurs divers mĂ©faits, ils mangeaient chez une prostituĂ©e, quâils avaient en commun, lâargent quâils me volaient câest lĂ que je les ai surpris la nuit derniĂšre, parfumĂ©s dâessences et ivres-morts. Enfin, je crois que ces marauds flairent encore le reste de mon patrimoine. â NĂ©anmoins, Lycas, pour purifier son vaisseau, nous condamna lâun et lâautre Ă recevoir quarante coups de corde[3]. LâexĂ©cution suivit de prĂšs lâarrĂȘt. Les matelots, armĂ©s de cĂąbles, se jettent sur nous comme des furieux, et se disposent Ă apaiser leur divinitĂ© tutĂ©laire[2] par lâeffusion dâun sang abject. Pour moi, je digĂ©rai les trois premiers coups avec la fermetĂ© dâun Spartiate[4] ; mais Giton, dĂšs la premiĂšre dĂ©charge, jeta un cri si perçant, que TryphĂšne sâĂ©mut aux accents de cette voix connue ; ses femmes en furent frappĂ©es comme elle, et sâĂ©lancĂšrent aussitĂŽt vers le pauvre patient. Mais dĂ©jĂ lâextrĂȘme beautĂ© de Giton avait dĂ©sarmĂ© les matelots eux-mĂȘmes[5], et ses regards seuls, plus puissants que sa voix, plaidaient pour son pardon, lorsque les suivantes de TryphĂšne criĂšrent toutes Ă la fois â Câest Giton ! câest Giton ! Barbares ! suspendez ce cruel chĂątiment ! Câest Giton, madame ; venez Ă son secours ! â Ce nom nâeut pas plutĂŽt frappĂ© les oreilles de TryphĂšne on croit sans peine ce que lâon dĂ©sire, quâelle vole vers lâaimable enfant. Quant Ă Lycas, qui ne me connaissait que trop, il nâeut pas besoin dâentendre ma voix ; certain de ma prĂ©sence, il accourt ; et, sans sâarrĂȘter Ă examiner mes mains ou mon visage, il fixe ses regards plus bas que ma ceinture, et, par un simple attouchement, sâassure que câest bien moi. â Bonjour, Encolpe, me dit-il aussitĂŽt. â Quâon sâĂ©tonne maintenant que la nourrice du roi dâIthaque lâait reconnu, aprĂšs vingt ans dâabsence, Ă une cicatrice quâelle avait remarquĂ©e en lui, puisque cet habile homme[6], malgrĂ© la confusion des traits de mon visage et le dĂ©guisement de toute ma personne, reconnut sur-le-champ son fugitif Ă un si lĂ©ger indice ! TryphĂšne, trompĂ©e par lâapparence, prenait pour rĂ©els les stigmates gravĂ©s sur nos fronts, et nous demandait tout bas, en versant un torrent de larmes, quelle Ă©tait la prison oĂč lâon nous avait jetĂ©s comme vagabonds[7], quel Ă©tait le bourreau qui avait eu le courage de nous infliger ce cruel supplice. â Votre fuite, disait-elle, mĂ©ritait sans doute un chĂątiment, ingrats qui avez dĂ©daignĂ© les bienfaits dont vous comblait mon amour ! CHAPITRE CVI. â Pauvre femme ! reprit Lycas transportĂ© de fureur, vous ĂȘtes assez simple pour croire que ces lettres ont Ă©tĂ© imprimĂ©es sur leur front avec un fer chaud ! PlĂ»t aux dieux que ces marques dâinfamie fussent vĂ©ritables ! nous serions enfin vengĂ©s ! Mais en ce moment mĂȘme on cherche Ă nous abuser par cette comĂ©die, et cette inscription postiche est un nouveau tour quâon veut nous jouer. â TryphĂšne, heureuse de nâavoir pas entiĂšrement perdu son amant, penchait vers lâindulgence ; mais Lycas, qui conservait un vif ressentiment[1] de mes liaisons avec Doris, son Ă©pouse, et de lâaffront quâil avait reçu sous le portique dâHercule, sâanima de plus en plus, et, le visage enflammĂ©, sâĂ©cria â Ne voyez-vous pas, ĂŽ TryphĂšne ! dans cet Ă©vĂ©nement une preuve convaincante de la sollicitude des dieux pour les choses dâici-bas ? Câest conduits par eux que ces coupables sont venus, sans sâen douter, sur notre vaisseau ; ce sont eux qui, pour nous en avertir, nous ont envoyĂ© Ă tous deux le mĂȘme songe. Voyez maintenant sâil nous est permis de faire grĂące Ă des scĂ©lĂ©rats que les dieux mĂȘmes ont livrĂ©s Ă notre justice. Pour moi, je ne suis pas un barbare ; mais je craindrais, en leur pardonnant, dâattirer sur moi la vengeance cĂ©leste. â Ces paroles superstitieuses changĂšrent tellement les dispositions de TryphĂšne, que, bien loin de sâopposer Ă notre supplice, elle dĂ©clara quâelle consentait de grand cĆur Ă ce juste chĂątiment ; ajoutant quâelle avait essuyĂ© les mĂȘmes outrages que Lycas, et que nous lâavions aussi exposĂ©e Ă la risĂ©e publique par dâinfĂąmes propos contre son honneur. Lycas, voyant que TryphĂšne le secondait dans ses projets de vengeance, donna de nouveaux ordres pour rendre notre torture encore plus cruelle ce quâEumolpe ayant entendu, il sâefforça de le flĂ©chir par ces paroles CHAPITRE CVII. Ces infortunĂ©s, dont vous avez rĂ©solu la perte pour vous venger, implorent, ĂŽ Lycas ! votre pitiĂ©. Sachant que je ne vous Ă©tais pas inconnu, ils mâont choisi pour leur avocat auprĂšs de vous[1], et mâont priĂ© de les rĂ©concilier avec dâanciens amis qui leur sont toujours chers. Vous croyez peut-ĂȘtre que câest le hasard qui a conduit ces jeunes gens sur votre bord ; mais il nâest pas un seul passager qui ne sâinforme avant toutes choses du nom de celui Ă qui il va confier son existence. Cette dĂ©marche spontanĂ©e doit vous satisfaire et flĂ©chir votre courroux laissez donc des hommes libres naviguer en paix vers leur destination. Le maĂźtre le plus cruel, le plus implacable, oublie son ressentiment, dĂšs que le repentir amĂšne Ă ses pieds son esclave fugitif. Comment ne pas pardonner Ă un ennemi qui se livre Ă notre merci ? que voulez-vous, que prĂ©tendez-vous de plus ? Vous voyez, suppliants devant vous, des jeunes gens aimables, bien nĂ©s, et, ce qui doit surtout vous toucher, des jeunes gens avec lesquels vous avez vĂ©cu naguĂšre dans la plus Ă©troite intimitĂ©. Certes, sâils vous eussent volĂ© votre argent, sâils eussent rĂ©pondu Ă votre confiance par la plus lĂąche trahison, vous seriez assez vengĂ© par le chĂątiment que vous lisez sur leur front. NĂ©s libres, ils se sont volontairement infligĂ©, pour expier leur offense, ces marques de la servitude qui les isolent Ă jamais de la sociĂ©tĂ©. â Lycas, interrompant la dĂ©fense dâEumolpe â Nâembrouillez pas la question, dit-il, et rĂ©duisons chaque chose Ă sa juste valeur. Et dâabord, sâils sont venus ici de leur plein grĂ©, pourquoi se sont-ils fait raser la tĂȘte ? Quiconque se dĂ©guise a dessein de tromper, et non dâoffrir une satisfaction. En second lieu, sâils avaient lâintention dâobtenir leur grĂące par votre entremise, pourquoi tant dâefforts pour cacher vos clients Ă tous les yeux ? Il est donc clair que le hasard seul les a conduits dans nos filets, et quâensuite vous avez cherchĂ© par vos artifices Ă les soustraire aux transports de notre ressentiment. Quant Ă ce que vous affectez de dire, pour nous intimider, que ce sont des hommes libres et de bonne famille, prenez garde de gĂąter votre cause par cet argument qui vous inspire tant de confiance. Que doit faire un homme offensĂ©, lorsque le coupable court de lui-mĂȘme au-devant du chĂątiment ? Mais, dites-vous, ils ont Ă©tĂ© nos amis. Câest par cela mĂȘme quâils mĂ©ritent un traitement plus rigoureux. Offenser un inconnu, ce nâest quâun crime ordinaire ; mais outrager un ami, câest presque un parricide. â Eumolpe rĂ©torqua ainsi cette fausse argumentation â Je vois, dit-il, que ce qui fait le plus de tort Ă ces malheureux jeunes gens, câest de sâĂȘtre fait raser les cheveux pendant la nuit vous concluez de lĂ que le hasard, et non leur volontĂ©, les a conduits sur ce vaisseau. Je vais tĂącher dâexpliquer ce grief aussi simplement et avec autant de bonne foi quâil a Ă©tĂ© commis. Mes amis, avant de sâembarquer, voulaient dĂ©charger leur tĂȘte dâun fardeau incommode et inutile ; mais les vents, en prĂ©cipitant leur dĂ©part, les ont forcĂ©s Ă remettre Ă un autre temps lâexĂ©cution de ce projet. Ils ont cru quâils pouvaient le rĂ©aliser ici aussi bien quâailleurs, sans que cela tirĂąt Ă consĂ©quence ; car ils ignoraient le prĂ©sage funeste quâon en pouvait tirer, et les lois de la navigation. â Quâavaient-ils besoin, dit Lycas, de se raser la tĂȘte, pour sâoffrir Ă nous en suppliants ? depuis quand un front chauve est-il plus digne de compassion ? Mais Ă quoi bon mâarrĂȘter Ă chercher la vĂ©ritĂ© dans les paroles dâun interprĂšte ? Quâas-tu Ă dire, infĂąme voleur ? quelle salamandre[2] a fait tomber tes sourcils ? Ă quelle divinitĂ© as-tu fait le sacrifice de ta chevelure ? RĂ©ponds, misĂ©rable, rĂ©ponds. CHAPITRE CVIII. La crainte du supplice avait glacĂ© ma langue, et, convaincu par lâĂ©vidence, je ne trouvais pas une seule parole pour me justifier. TroublĂ©, confus de ma laideur, il me semblait quâavec une tĂȘte nue comme un genou, et des sourcils rasĂ©s au niveau du front, je ne pouvais rien dire ni rien faire qui ne me rendĂźt encore plus ridicule. Mais dĂšs que lâon eut passĂ© lâĂ©ponge sur mon visage baignĂ© de pleurs, lorsque lâencre, en se dĂ©layant, confondit tous les caractĂšres qui Ă©taient tracĂ©s, et me couvrit la figure dâun masque noir comme de la suie, alors la colĂšre qui mâanimait se changea en fureur. Cependant, Eumolpe proteste quâil ne souffrira pas quâau mĂ©pris des lois et du droit des gens on maltraite ainsi des hommes libres il repousse les menaces de nos bourreaux, non-seulement de la voix, mais du geste. Il est secondĂ© dans ses efforts par son valet Ă gages, et par un ou deux passagers, mais si faibles, quâils peuvent tout au plus nous offrir des consolations, sans augmenter la force de notre parti. Trop irritĂ© pour implorer la clĂ©mence de mes ennemis, je menace de mes ongles les yeux de TryphĂšne, criant Ă haute et intelligible voix que, si lâon fait le moindre mal Ă Giton pour cette prostituĂ©e, qui seule mĂ©rite dâĂȘtre fustigĂ©e aux yeux de tout lâĂ©quipage, je ferai contre elle usage de toutes mes forces. Mon audace redouble la rage de Lycas, qui sâindigne que jâoublie ma propre dĂ©fense pour embrasser celle dâautrui. TryphĂšne, non moins exaspĂ©rĂ©e de mes outrages, se livre aux mĂȘmes transports. Enfin, tout lâĂ©quipage se partage en deux camps. Dâun cĂŽtĂ©, le barbier dâEumolpe sâavance, armĂ© dâun rasoir, aprĂšs nous avoir distribuĂ© le reste de sa trousse. Du cĂŽtĂ© opposĂ©, les esclaves de TryphĂšne, retroussant leurs manches, se disposent Ă jouer des mains. Les servantes elles-mĂȘmes, Ă dĂ©faut dâautres armes, excitent par leurs cris lâardeur des combattants. Seul, tranquille Ă son poste, en vain le pilote dĂ©clare quâil va quitter le gouvernail, si lâon ne fait cesser ce vacarme excitĂ© par quelques dĂ©bauchĂ©s. La lutte se prolonge avec le mĂȘme acharnement Lycas et les siens combattent pour se venger ; nous, pour dĂ©fendre notre vie. DĂ©jĂ , de part et dâautre, plusieurs champions sont tombĂ©s demi-morts de frayeur[1] ; un plus grand nombre, couverts de sang et de blessures, se retirent de la mĂȘlĂ©e ; cependant la fureur des deux partis ne se ralentit point. Alors Giton, approchant bravement son rasoir des organes de sa virilitĂ©, menace de couper dans sa racine la cause de tant de dĂ©sordres ; mais TryphĂšne, en lui faisant espĂ©rer sa grĂące, sâoppose Ă la consommation dâun si grand sacrifice. Pour moi, jâavais dĂ©jĂ plusieurs fois appuyĂ© sur ma gorge le fer du barbier, sans avoir plus dâenvie de me tuer que Giton de se faire eunuque ; nĂ©anmoins, il jouait son rĂŽle plus hardiment que moi, car il savait que le rasoir quâil tenait Ă©tait le mĂȘme dont il avait feint dĂ©jĂ de vouloir se couper la gorge. Les deux armĂ©es Ă©taient toujours en prĂ©sence, et le combat Ă©tait sur le point de recommencer plus sĂ©rieux que jamais, quand le pilote obtint Ă grandâpeine que TryphĂšne ferait lâoffice de hĂ©raut, et proposerait une trĂȘve. AprĂšs avoir, selon la coutume, reçu le serment des deux partis, TryphĂšne, tenant Ă la main un rameau dâolivier dont elle a dĂ©pouillĂ© la divinitĂ© tutĂ©laire du vaisseau, sâavance hardiment au milieu des combattants, et leur adresse cette allocution Quelle fureur impie alluma cette guerre, Et du sein de la paix vous appelle aux combats ? A-t-on vu parmi nous une HĂ©lĂšne adultĂšre Oser flĂ©trir lâhonneur dâun nouveau MĂ©nĂ©las ? Ou MĂ©dĂ©e, en fuyant, pour arrĂȘter son pĂšre, Lui jeter de son fils les membres palpitants ? Non ; lâamour mĂ©prisĂ© veut venger son outrage. Eh bien ! dâun seul trĂ©pas, cruels, soyez contents[2] Puisse ma mort, du moins, assouvir votre rage ! Nâallez pas, surpassant Neptune en ses fureurs, Des flots de votre sang grossir ses flots vengeurs. CHAPITRE CIX. Ce discours, prononcĂ© dâun son de voix qui trahissait lâĂ©motion de TryphĂšne, parut calmer un peu lâardeur des deux armĂ©es, qui, ramenĂ©es Ă des sentiments plus pacifiques, sâarrĂȘtĂšrent et suspendirent les hostilitĂ©s. Eumolpe, comme chef de son parti, voyant que lâheure du repentir avait sonnĂ©, profita de lâoccasion ; et, aprĂšs avoir fait Ă Lycas une verte rĂ©primande, dressa les articles dâun traitĂ© dâalliance dont voici la teneur Vous, TryphĂšne, consentez, de votre plein grĂ©, Ă oublier tous les sujets de plainte que vous avez contre Giton, Ă ne jamais lui reprocher les torts quâil peut avoir eus envers vous jusquâĂ ce jour, Ă ne pas en tirer vengeance et Ă nâexercer envers lui aucune espĂšce de poursuite pour ce motif, comme aussi Ă ne rien exiger de lui par force, ni caresses, ni baisers, ni faveurs plus tendres le tout, sous peine de lui payer cent deniers comptants pour chaque contravention. De votre cĂŽtĂ©, Lycas, vous vous engagez volontairement Ă nâadresser Ă Encolpe aucune parole injurieuse, Ă ne pas lui faire mauvaise mine, Ă ne pas chercher Ă le surprendre dans son lit pendant la nuit ; ou, le cas Ă©chĂ©ant, Ă lui payer pour chaque violence deux cents deniers comptants. Le traitĂ© Ă©tant ainsi conclu, nous mĂźmes bas les armes ; et, pour quâaucun levain de haine ne fermentĂąt dans les Ăąmes aprĂšs ce serment, pour ratifier lâoubli complet du passĂ©, on se donna de part et dâautre le baiser de paix. Alors les haines se calment, et, Ă la demande gĂ©nĂ©rale, le champ de bataille se transforme en un banquet oĂč la gaietĂ© achĂšve de concilier les esprits. Tout le vaisseau retentit de chants joyeux ; et comme un calme subit Ă©tait venu suspendre notre navigation, les uns, armĂ©s de crocs, harponnent les poissons qui bondissent sur lâeau ; les autres, couvrant leurs hameçons dâun appĂąt perfide, enlĂšvent leur proie, qui se dĂ©bat en vain. Des oiseaux de mer Ă©taient venus se percher sur nos antennes un matelot les touche dâune claie de roseaux artistement prĂ©parĂ©e[1] les malheureux volatiles, retenus par la glu, se laissent prendre Ă la main lâair emporte leur lĂ©ger duvet ; leurs plumes, plus pesantes, tombent dans la mer et roulent avec lâĂ©cume des flots. DĂ©jĂ sâopĂ©rait un raccommodement entre Lycas et moi ; dĂ©jĂ TryphĂšne, folĂątrant avec Giton, lui aspergeait le visage des gouttes de vin qui restaient dans sa coupe[2] ; lorsque Eumolpe, Ă©chauffĂ© par lâivresse, se mit Ă plaisanter sur les chauves et les teigneux. AprĂšs sâĂȘtre Ă©puisĂ© en fades railleries sur ce sujet, son accĂšs poĂ©tique le reprit, et il nous dĂ©bita cette espĂšce dâĂ©lĂ©gie sur la perte des cheveux OĂč sont ces beaux cheveux dont ton front sâombrageait ? A travers leurs flots dâor le zĂ©phyr voltigeait. Les grĂąces avec eux ont quittĂ© ton visage Tel lâarbuste, en hiver, privĂ© de son feuillage, Languit seul Ă lâĂ©cart, et dans ses rameaux nus Appelle, mais en vain, le printemps qui nâest plus. Sort cruel ! en naissant vouĂ©s Ă la vieillesse, Nous mourons chaque jour la fleur de la jeunesse Compte peu de matins, comme la fleur des champs, Et les premiers Ă fuir sont nos premiers beaux ans ! Rival du blond PhĂ©bus, et conquĂ©rant des belles, Hier, tu dĂ©fiais lâorgueil des plus cruelles ; Leur vengeance aujourdâhui montre au doigt ta laideur. Tu crains, pauvre tondu, leur sourire moqueur. Cache de ses attraits la tĂȘte dĂ©pouillĂ©e ! La rose, par lâorage une fois effeuillĂ©e, Nâa quâun moment Ă vivre ; et la pĂąle Atropos, Sur le fil de tes jours a levĂ© ses ciseaux. CHAPITRE CX. Ce nâĂ©tait lĂ que le prĂ©lude, et il allait nous dĂ©biter de plus grandes inepties, quand une servante de TryphĂšne emmena Giton dans lâentre-pont du vaisseau, et orna la tĂȘte du pauvre enfant dâune perruque appartenant Ă sa maĂźtresse[1]. Elle tira aussi dâune boĂźte des sourcils postiches[2], et les ajusta avec tant dâadresse sur les endroits qui avaient Ă©tĂ© rasĂ©s, quâelle lui rendit tous ses charmes. Retrouvant alors en lui le vĂ©ritable Giton, TryphĂšne en fut Ă©mue jusquâaux larmes, et cette fois lâembrassa de tout son cĆur. Je nâĂ©tais pas moins enchantĂ© quâelle de revoir Giton dans tout lâĂ©clat de sa beautĂ© ; et cependant je me cachais le visage le plus que je pouvais ; car je comprenais sans peine tout ce que ma laideur avait de repoussant, puisque Lycas lui-mĂȘme dĂ©daignait de mâadresser la parole. Mais cette mĂȘme servante vint Ă mon secours et dissipa mon chagrin me prenant Ă part, elle me couvrit la tĂȘte dâune chevelure dâemprunt, non moins belle que celle de Giton. Mon visage en devint mĂȘme plus agrĂ©able, parce que cette perruque Ă©tait blonde. Cependant Eumolpe, notre dĂ©fenseur au moment du danger, et lâauteur de notre rĂ©conciliation, voulant entretenir notre gaietĂ© par des propos plaisants, se mit Ă dĂ©biter mille folies sur la lĂ©gĂšretĂ© des femmes, sur leur facilitĂ© Ă sâenflammer, sur leur promptitude Ă oublier leurs amants. â Il nây a pas, disait-il, de femme, quelque prude quâelle soit, quâune passion nouvelle ne puisse porter aux plus grands excĂšs. Je nâai pas besoin, pour prouver ce que jâavance, de recourir aux tragĂ©dies anciennes, et de citer des noms fameux dans les siĂšcles passĂ©s ; je vais, si vous daignez mâĂ©couter, vous raconter un fait arrivĂ© de nos jours. â Tout le monde se tourna aussitĂŽt vers lui, et, voyant quâon lui prĂȘtait une oreille attentive, il commença en ces termes CHAPITRE CXI. Il y avait Ă ĂphĂšse une dame en si grande rĂ©putation de chastetĂ©[1], que les femmes mĂȘmes des pays voisins venaient la voir par curiositĂ©, comme une merveille. Cette dame, ayant perdu son mari, ne se contenta pas des signes ordinaires de la douleur ; de marcher, les cheveux Ă©pars, Ă la suite du char funĂšbre ; de se meurtrir le sein devant tous les assistants elle voulut encore accompagner le dĂ©funt jusquâĂ sa derniĂšre demeure, le garder dans le caveau oĂč on lâavait dĂ©posĂ©, selon la coutume des Grecs, et pleurer nuit et jour auprĂšs de lui. Son affliction Ă©tait telle, que ni parents, ni amis ne purent la dĂ©tourner du dessein quâelle avait formĂ© de se laisser mourir de faim. Les magistrats eux-mĂȘmes, ayant voulu faire une derniĂšre tentative, se retirĂšrent sans avoir pu rien obtenir. Tout le monde pleurait comme morte une femme qui offrait un si rare modĂšle de fidĂ©litĂ©, et qui avait dĂ©jĂ passĂ© cinq jours sans prendre aucune nourriture. Une servante fidĂšle lâavait accompagnĂ©e dans sa triste retraite, mĂȘlant ses larmes Ă celles de sa maĂźtresse, et ranimant la lampe placĂ©e sur le cercueil, toutes les fois quâelle Ă©tait prĂȘte Ă sâĂ©teindre. Il nâĂ©tait bruit, dans la ville, que de ce sublime dĂ©vouement, et les hommes de toute classe le citaient comme un exemple vraiment unique de chastetĂ© et dâamour conjugal. Dans ce mĂȘme temps, il advint que le gouverneur de la province fit mettre en croix quelques voleurs, tout proche de ce mĂȘme caveau oĂč notre matrone pleurait la perte rĂ©cente de son Ă©poux. La nuit suivante, le soldat qui gardait ces croix, de peur que quelquâun ne vĂźnt enlever les corps de ces voleurs, pour leur donner la sĂ©pulture[2], aperçut une lumiĂšre qui brillait au milieu des tombeaux, et entendit les gĂ©missements de notre veuve. CĂ©dant Ă la curiositĂ© innĂ©e chez tous les hommes, il voulut savoir qui câĂ©tait, et ce quâon faisait en cet endroit. Il descend donc dans le caveau ; et, dâabord, Ă lâaspect de cette femme dâune beautĂ© plus quâhumaine, il sâarrĂȘte, immobile dâeffroi, comme sâil avait devant les yeux un fantĂŽme ou une apparition surnaturelle. Mais bientĂŽt ce cadavre Ă©tendu sur la pierre, ce visage baignĂ© de larmes, ces marques sanglantes que les ongles y ont creusĂ©es[3], tout ce quâil voit dissipe son illusion ; et il comprend enfin, comme cela Ă©tait vrai, que câĂ©tait une veuve qui ne pouvait se consoler de la mort de son Ă©poux. Il commença donc par apporter dans le caveau son pauvre souper de soldat, puis il exhorta la belle affligĂ©e Ă ne pas sâabandonner plus longtemps Ă une douleur inutile, Ă des gĂ©missements superflus. â La mort, lui dit-il, est le terme commun de tout ce qui existe ; le tombeau est pour tous le dernier asile. â Enfin il Ă©puisa tous les lieux communs quâon emploie pour guĂ©rir une Ăąme profondĂ©ment ulcĂ©rĂ©e. Mais ces consolations quâun inconnu ose lui offrir irritent encore plus la douleur de la dame elle se dĂ©chire le sein de plus belle, sâarrache les cheveux, et les jette sur le cadavre. Le soldat ne se rebute point pour cela ; il lui rĂ©itĂšre, avec de nouvelles instances, lâoffre de partager son souper. Enfin, la suivante, sĂ©duite sans doute par lâodeur du vin, ne put rĂ©sister Ă une invitation si obligeante, et tendit la main vers les aliments quâil lui prĂ©sentait ; puis, dĂšs quâun lĂ©ger repas eut restaurĂ© ses forces, elle se mit Ă battre en brĂšche lâopiniĂątretĂ© de sa maĂźtresse. â Et que vous servira, lui dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vivante, de rendre au destin une Ăąme quâil ne rĂ©clame pas encore ? Non, madame, des morts les insensibles restes Nâexigent point de nous des transports si funestes. Croyez-moi, revenez Ă lâexistence ; dĂ©faites-vous dâune erreur trop commune chez notre sexe ; et, tandis que vous le pouvez, jouissez de la lumiĂšre des cieux. Ce cadavre, ici prĂ©sent, vous dit assez quel est le prix de la vie. Comment fermer lâoreille aux discours dâun ami qui vous engage Ă prendre des aliments, et Ă ne pas vous laisser mourir ? La pauvre veuve, extĂ©nuĂ©e par une si longue abstinence, laissa vaincre son obstination elle but et mangea avec la mĂȘme aviditĂ© que la suivante, qui sâĂ©tait rendue la premiĂšre. CHAPITRE CXII. Vous savez quâun appĂ©tit satisfait Ă©veille bientĂŽt de nouveaux dĂ©sirs. Notre soldat, encouragĂ© par le succĂšs, employa, pour triompher de la vertu de la dame, les mĂȘmes arguments dont il sâĂ©tait servi pour lui persuader de vivre. Or, le jeune homme nâĂ©tait ni sans esprit, ni dâun extĂ©rieur dĂ©sagrĂ©able, et notre chaste veuve sâen Ă©tait aperçue ; la servante, pour lui gagner les bonnes grĂąces de sa maĂźtresse, rĂ©pĂ©tait souvent Pouvez-vous rĂ©sister Ă de si doux penchants, Et, dans ces tristes lieux, consumer vos beaux ans[1] ? Enfin, pour abrĂ©ger, vous saurez que la bonne dame, aprĂšs avoir cĂ©dĂ© aux besoins de son estomac, ne dĂ©fendit pas mieux son cĆur[2], et que notre heureux soldat obtint une double victoire. Ils dormirent donc ensemble, non-seulement cette nuit qui fut tĂ©moin de leurs noces impromptu, mais le lendemain et le jour suivant. Toutefois, ils eurent soin de fermer les portes du caveau, si bien que quiconque, parent ou ami, fĂ»t venu en cet endroit, eĂ»t pensĂ© que la fidĂšle veuve Ă©tait morte de douleur sur le corps de son mari. Le soldat, charmĂ© de la beautĂ© de sa maĂźtresse et du mystĂšre de leurs amours, achetait tout ce quâil pouvait se procurer de meilleur, selon ses moyens, et, dĂšs que le soir Ă©tait venu, le portait au tombeau. Cependant les parents dâun des voleurs, voyant quâil nâĂ©tait plus gardĂ©, enlevĂšrent son corps pendant la nuit, et lui rendirent les derniers devoirs. Mais que devint le pauvre soldat, qui, renfermĂ© dans le caveau, ne songeait quâĂ son plaisir, lorsque, le lendemain matin, il vit une des croix sans cadavre ? EffrayĂ© du supplice qui lâattend, il va trouver la veuve, et lui fait part de cet Ă©vĂ©nement â Non, lui dit-il, je nâattendrai point ma condamnation, et ce glaive, prĂ©venant la sentence du juge, va me punir de ma nĂ©gligence. Daignez seulement, quand je ne serai plus, mâaccorder un asile dans ce tombeau ; placez-y votre amant auprĂšs de votre Ă©poux. â Me prĂ©servent les dieux, rĂ©pondit la dame, non moins compatissante que chaste, dâavoir Ă pleurer en mĂȘme temps la perte de deux personnes si chĂšres ! Jâaime mieux pendre le mort que de laisser pĂ©rir le vivant. â AprĂšs ce beau discours, elle exige que lâon tire du cercueil le corps de son mari, et quâon lâattache Ă la croix vacante. Notre soldat sâempresse de suivre le conseil ingĂ©nieux de cette femme prudente ; et le lendemain le peuple criait miracle, ne pouvant concevoir comment un mort Ă©tait allĂ© de lui-mĂȘme au gibet. CHAPITRE CXIII. Cette histoire fit beaucoup rire les matelots ; et TryphĂšne, pour cacher la rougeur qui couvrait son visage[1], se penchait amoureusement sur le cou de Giton. Mais Lycas ne goĂ»ta point la plaisanterie ; et secouant la tĂȘte dâun air mĂ©content â Si le gouverneur dâĂphĂšse eĂ»t fait justice, il eĂ»t fait replacer dans sa tombe le corps du dĂ©funt et pendre la veuve Ă sa place. â Sans doute lâinjure que jâavais faite Ă sa couche, notre fuite et le pillage du vaisseau dâIsis lui revenaient en ce moment Ă lâesprit[2]. Mais les clauses du traitĂ© sâopposaient Ă toute rĂ©crimination de sa part, et la gaietĂ© qui sâĂ©tait emparĂ©e de tous les esprits lâempĂȘchait de donner un libre cours Ă sa colĂšre. Cependant TryphĂšne, toujours couchĂ©e sur Giton, couvrait son sein de baisers et rajustait, sur ce front chauve les boucles de la chevelure postiche. Pour moi, leur raccommodement me causait tant dâimpatience et de chagrin, que je ne pouvais ni boire ni manger. Je leur lançais Ă tous deux de farouches regards ; les baisers, les caresses de cette femme impudique Ă©taient pour moi autant de coups de poignard je ne savais contre lequel des deux devait se tourner ma fureur, ou contre Giton, qui mâenlevait ma maĂźtresse, ou contre TryphĂšne, qui me dĂ©bauchait ce bel enfant. Tous deux mâoffraient un spectacle odieux et plus triste encore que ma captivitĂ© passĂ©e. Pour surcroĂźt de chagrin, TryphĂšne Ă©vitait ma conversation et semblait mĂ©connaĂźtre en moi un ami, un amant qui, naguĂšre, lui Ă©tait si cher. Giton, de son cĂŽtĂ©, ne me trouvait pas digne quâil bĂ»t, comme dâusage, Ă ma santĂ©, ou que, du moins, il mâadressĂąt la parole comme Ă tout le monde il craignait, je pense, dans ces premiers moments de rĂ©conciliation, de rouvrir la plaie encore saignante dans le cĆur de TryphĂšne. NavrĂ© de douleur, jâinondais ma poitrine de larmes, et mes sanglots, que je cherchais Ă Ă©touffer, pensĂšrent me suffoquer. Cependant, malgrĂ© ma tristesse, la chevelure blonde dont on mâavait parĂ© prĂȘtait sans doute de nouveaux charmes Ă mon visage ; car Lycas, dont lâamour pour moi sâĂ©tait rallumĂ©, me lançait des regards passionnĂ©s, et tĂąchait de partager avec moi les plaisirs que TryphĂšne goĂ»tait avec Giton il ne prenait pas le ton dâun maĂźtre qui ordonne, mais celui dâun amant qui implore une faveur. Il me pressa longtemps sans succĂšs enfin, se voyant rebutĂ©, son amour se changea en fureur, et il voulait mâarracher de force ce que je refusais Ă ses priĂšres ; quand TryphĂšne, entrant tout Ă coup au moment oĂč il sây attendait le moins, fut tĂ©moin de sa brutalitĂ©. A son aspect, il se trouble, se rajuste Ă la hĂąte et sâenfuit. Cet incident ranime les dĂ©sirs de TryphĂšne â Quel Ă©tait, me dit-elle, le but des pĂ©tulantes attaques de Lycas ? â et elle me force Ă lui tout conter. Ce rĂ©cit allume encore plus sa passion, et, se rappelant nos anciennes liaisons, elle veut mâexciter Ă prendre avec elle les mĂȘmes libertĂ©s que par le passĂ©. Mais, fatiguĂ© de ces plaisirs quâon mâoffrait contre mon grĂ©, je repoussai dĂ©daigneusement ses avances. Alors sa passion devient une frĂ©nĂ©sie elle mâenlace dans ses bras, et me serre si fortement contre son sein, que la douleur mâarrache un cri. Une suivante accourt Ă ce bruit, et sâimaginant, avec vraisemblance, que je voulais ravir Ă sa maĂźtresse les faveurs que je lui refusais en rĂ©alitĂ©, elle sâĂ©lance sur nous et nous sĂ©pare. TryphĂšne, furieuse de mes refus et de nâavoir pu satisfaire sa lubricitĂ©, me charge dâinjures, et sort en me menaçant dâaller trouver Lycas, pour lâexciter encore plus contre moi, et mâaccabler sous le poids de leur commune vengeance. Or, vous saurez que la suivante avait pris un goĂ»t trĂšs-vif pour moi dans le temps de mes liaisons avec TryphĂšne affligĂ©e de mâavoir surpris avec sa maĂźtresse, elle poussait de gros soupirs ; je la pressai vivement de mâen apprendre la cause ; et, aprĂšs quelque rĂ©sistance, sa douleur sâexhala en ces termes â Sâil existe encore dans votre Ăąme quelques sentiments honnĂȘtes, vous ne devez pas faire plus de cas de TryphĂšne que dâune coureuse ; si vous ĂȘtes un homme, vous ne devez pas rechercher les caresses dâune prostituĂ©e. Tout cela me causait de vives inquiĂ©tudes ; mais ce que je redoutais le plus, câĂ©tait quâEumolpe nâen fĂ»t instruit, et que ce railleur impitoyable ne voulĂ»t me venger, par une satire, de lâaffront quâil prĂ©tendrait que jâavais reçu ; car son zĂšle aveugle mâeĂ»t couvert par lĂ dâun ridicule dont lâidĂ©e seule me faisait trembler. Je rĂ©flĂ©chissais, Ă part moi, aux moyens de lui tout cacher, quand je le vis entrer. Il Ă©tait dĂ©jĂ au fait de cette histoire, dont TryphĂšne avait fait confidence Ă Giton, aux dĂ©pens duquel elle avait voulu sâindemniser de mes refus ce qui excitait dâautant plus la colĂšre dâEumolpe, que ces coupables violences Ă©taient des contraventions manifestes au traitĂ© de paix que nous venions de conclure. Lâofficieux vieillard, sâapercevant de ma tristesse, parut compatir Ă mon sort, et mâordonna de lui raconter comment la chose sâĂ©tait passĂ©e. Voyant quâil Ă©tait instruit de tout, je lui avouai franchement les brutales attaques de Lycas et les lascifs emportements de TryphĂšne. Ă ce rĂ©cit, il jura formellement de nous venger, ajoutant que les dieux Ă©taient trop justes pour laisser tant de crimes impunis. CHAPITRE CXIV. Tandis quâil profĂ©rait ces imprĂ©cations, la mer sâenfle[1], les nuages sâĂ©paississent, et les tĂ©nĂšbres nous dĂ©robent la clartĂ© du jour. Les matelots tremblants courent Ă la manĆuvre, et dĂ©robent les voiles aux coups de la tempĂȘte. Mais le vent, qui changeait Ă chaque minute, agitait les flots dans tous les sens, et le pilote ne savait quelle route tenir. TantĂŽt nous Ă©tions poussĂ©s vers la Sicile ; tantĂŽt lâAquilon, qui rĂšgne en maĂźtre sur les cĂŽtes de lâItalie[2], chassait çà et lĂ notre navire, en butte Ă sa fureur ; et, pour comble de danger, lâobscuritĂ© Ă©tait si grande, que le pilote pouvait Ă peine entrevoir la proue du vaisseau. Mais lorsque la tempĂȘte fut Ă son comble, Lycas, Ă©pouvantĂ© et tendant vers moi ses mains suppliantes â Encolpe, sâĂ©cria-t-il, secourez-nous dans cette extrĂ©mitĂ© ; rendez le voile sacrĂ© et le sistre Ă la patronne de ce navire ! Au nom des dieux, daignez compatir Ă notre sort votre cĆur ne fut jamais sourd Ă la pitiĂ© ! â Il criait de toutes ses forces, quand un coup de vent le jeta dans la mer. Nous le vĂźmes reparaĂźtre un instant, tournoyer sur la vague, puis le gouffre bĂ©ant lâengloutit sans retour[3]. DĂ©jĂ des esclaves fidĂšles sâĂ©taient hĂątĂ©s dâenlever TryphĂšne ; et, la plaçant sur la chaloupe, avec la meilleure partie de son bagage, ils la sauvĂšrent dâune mort inĂ©vitable. Pour moi, penchĂ© sur Giton, je mâĂ©criais en pleurant â HĂ©las ! notre amour avait mĂ©ritĂ© des dieux quâun mĂȘme trĂ©pas nous unĂźt ; mais le sort jaloux nous refuse cette consolation. Vois ces flots prĂȘts Ă engloutir notre vaisseau ; vois ces ondes irritĂ©es qui bientĂŽt vont briser nos douces Ă©treintes. Giton, si tu as jamais eu quelque affection pour Encolpe, couvre-moi de baisers il en est temps encore, et dĂ©robons au moins ce dernier plaisir Ă la mort qui sâapproche. A peine eus-je achevĂ©, que Giton se dĂ©pouilla de sa robe, et, sâenveloppant dans la mienne, approcha de mes lĂšvres sa tĂȘte charmante ; puis, pour nous attacher si Ă©troitement que la fureur des flots ne pĂ»t nous sĂ©parer, il nous lia tous les deux de la mĂȘme ceinture â Si nul autre espoir ne nous reste, nous sommes certains maintenant que la mer nous portera longtemps unis de la sorte ; peut-ĂȘtre mĂȘme que, touchĂ©e de notre sort, elle nous jettera ensemble sur le mĂȘme rivage ; peut-ĂȘtre quâun passant, par un sentiment vulgaire dâhumanitĂ©, couvrira nos restes de quelques pierres[4], ou que du moins les flots, dans leur aveugle fureur, nous enseveliront sous un monceau de sable. Je laissai Giton serrer ces derniers nĆuds il me semblait que jâĂ©tais dĂ©jĂ Ă©tendu sur le lit funĂšbre, et jâattendais la mort sans la craindre. Cependant la tempĂȘte achevait dâexĂ©cuter les ordres du destin, et dispersait les dĂ©bris du vaisseau. Il ne restait plus de mĂąts, plus de gouvernail, plus de cĂąbles, plus de rames ; tout avait disparu ; et dĂ©sormais, semblable Ă une informe et grossiĂšre charpente, le navire roulait ballottĂ© par les flots. Des pĂȘcheurs, montĂ©s sur de petites barques, accoururent, animĂ©s de lâespoir du butin ; mais lorsquâils virent sur le pont quelques passagers prĂȘts Ă dĂ©fendre leurs biens, ils changĂšrent leurs projets de pillage en offres de service. CHAPITRE CXV. Tout Ă coup un bruit extraordinaire se fait entendre sous la chambre du pilote on eĂ»t dit les hurlements dâune bĂȘte fĂ©roce qui cherche Ă sortir de sa cage. Nous courons vers lâendroit dâoĂč les cris semblent partir quây trouvons-nous ? Eumolpe assis devant un immense parchemin quâil couvrait de ses vers. Chacun sâĂ©tonne de voir un homme, que la mort menace de si prĂšs, sâoccuper tranquillement dâun poĂ«me[1] ; et, malgrĂ© ses cris, nous le tirons de lĂ , et nous lâengageons Ă songer Ă son salut. Mais, furieux dâĂȘtre interrompu dans son Ćuvre â Laissez-moi, nous criait-il, achever ce passage ; mon poĂ«me est presque fini. â Je me saisis de ce frĂ©nĂ©tique, jâappelle Giton Ă mon aide, et nous traĂźnons jusquâau rivage le poĂ«te mugissant de colĂšre. AprĂšs cette pĂ©nible expĂ©dition, nous entrĂąmes, le cĆur navrĂ©, dans la cabane dâun pĂȘcheur ; nous y prĂźmes, tant bien que mal, un repas dont quelques vivres avariĂ©s firent tous les frais, et nous y passĂąmes la plus triste des nuits. Le lendemain, tandis que nous tenions conseil pour savoir vers quelle contrĂ©e nous tournerions nos pas, je vis tout Ă coup flotter sur lâeau un corps humain que les vagues portaient vers le rivage. Ă cet aspect, profondĂ©ment Ă©mu et les yeux humides, je mâarrĂȘtai et je rĂ©flĂ©chis aux dangers de confier Ă lâOcĂ©an son existence. HĂ©las ! mâĂ©criai-je, peut-ĂȘtre en ce moment une Ă©pouse, tranquille sur le sort de ce malheureux, lâattend dans quelque contrĂ©e lointaine ! peut-ĂȘtre a-t-il laissĂ© un fils qui ignore son naufrage, ou un pĂšre qui, Ă son dĂ©part, reçut ses derniers baisers ! VoilĂ donc oĂč aboutissent les projets des mortels ! voilĂ le rĂ©sultat de leurs dĂ©sirs ambitieux ! lâinfortunĂ© ! il semble encore nager comme sâil Ă©tait vivant ! â Jusquâalors je croyais mâattendrir sur le sort dâun inconnu, quand les flots, dĂ©posant le cadavre sur le rivage, me montrĂšrent ses traits qui nâĂ©taient point dĂ©figurĂ©s par la mort. O surprise ! câĂ©tait ce Lycas, naguĂšre encore si terrible, si implacable, que je voyais Ă©tendu Ă mes pieds ! Je ne pus retenir mes larmes, et, me frappant la poitrine Ă coups redoublĂ©s â Que sont devenus, disais-je, ce courroux, ces transports que rien ne pouvait calmer ? Te voilĂ exposĂ© en proie aux poissons et aux bĂȘtes fĂ©roces, toi qui, il nây a quâun instant, te montrais si fier de ton pouvoir ! de tout ce grand vaisseau que tu possĂ©dais, il ne tâest pas mĂȘme restĂ© une planche pour te sauver du naufrage ! Allez maintenant, mortels insensĂ©s, le cĆur gonflĂ© de projets ambitieux ! fiez-vous Ă lâavenir, et prĂ©parez-vous Ă jouir pendant des milliers dâannĂ©es de vos richesses acquises par la fraude ! Lui aussi, il supputait encore hier le produit de ses domaines que dis-je ? il fixait en idĂ©e le jour oĂč il reverrait sa patrie ! O ciel ! quâil est loin du but quâil se proposait ! Mais ce nâest pas seulement la mer qui se rit de lâaveugle confiance des hommes. Lâun, en combattant, se croit protĂ©gĂ© par ses armes qui le trahissent ; lâautre adresse des vĆux Ă ses dieux pĂ©nates, et pĂ©rit Ă©crasĂ© sous les ruines de sa maison ; celui-ci tombe haletant de son char et rend lâĂąme ; celui-lĂ , trop glouton, sâĂ©trangle en mangeant ; cet autre, trop frugal, meurt victime de son abstinence. Calculez bien toutes les chances de la vie vous trouverez partout un naufrage. Mais, dira-t-on, celui qui est englouti par les flots est privĂ© des honneurs de la sĂ©pulture. Et quâimporte, aprĂšs tout, quâun corps, nĂ© pour pĂ©rir, soit consumĂ© par le feu, par les flots ou par le temps ? quoi quâil arrive, le rĂ©sultat est toujours le mĂȘme. Cependant ce cadavre va ĂȘtre dĂ©chirĂ© par les bĂȘtes fĂ©roces. Croyez-vous donc quâil lui soit plus avantageux dâĂȘtre dĂ©vorĂ© par les flammes ? le feu nâest-il pas regardĂ© comme le supplice le plus rigoureux dont un maĂźtre irritĂ© puisse punir ses esclaves ? Quelle est donc notre folie de nous donner tant de soins pour quâaucune partie de nous-mĂȘmes ne reste sans sĂ©pulture ? les destins, malgrĂ© nous, nâen disposent-ils pas Ă leur grĂ© ? â AprĂšs ces rĂ©flexions, nous rendĂźmes les derniers devoirs Ă la dĂ©pouille mortelle de Lycas, qui fut brĂ»lĂ©e sur un bĂ»cher dressĂ© par les mains de ses ennemis[3], tandis quâEumolpe sâoccupait Ă faire lâĂ©pitaphe du dĂ©funt, et, les yeux fixĂ©s vers le ciel, semblait appeler lâinspiration. CHAPITRE CXVI. Quittes envers Lycas de ce pieux tribut, nous poursuivĂźmes notre route ; et, bientĂŽt aprĂšs, nous gravĂźmes, tout en sueur, une montagne dâoĂč nous aperçûmes, Ă peu de distance, une ville situĂ©e sur le sommet dâune hauteur. Marchant Ă lâaventure, nous ignorions quel en Ă©tait le nom, quand un paysan que nous rencontrĂąmes nous apprit que câĂ©tait Crotone, ville trĂšs-ancienne, et jadis la premiĂšre de lâItalie. Alors nous le questionnĂąmes en dĂ©tail sur les habitants de cette citĂ© cĂ©lĂšbre et sur le genre dâindustrie auquel ils sâadonnaient de prĂ©fĂ©rence, depuis les guerres frĂ©quentes qui avaient ruinĂ© leur puissance. â Mes braves Ă©trangers, nous dit-il, si vous ĂȘtes nĂ©gociants, cherchez fortune ailleurs, ou trouvez quelque autre moyen de gagner votre vie. Mais si vous ĂȘtes des personnes dâune classe plus distinguĂ©e, et que lâobligation de mentir du matin au soir ne vous effraye pas, vous ĂȘtes ici sur le chemin de la richesse. Car, dans cette ville, ou ne fait aucun cas des belles-lettres ; lâĂ©loquence en est bannie, la tempĂ©rance et les bonnes mĆurs nây obtiennent ni estime ni rĂ©compense. Tous ceux que vous rencontrerez dans Crotone se partagent en deux classes les testateurs et les coureurs de successions[1]. Personne ici ne prend soin dâĂ©lever des enfants[2], parce que tout homme qui a des hĂ©ritiers lĂ©gitimes nâest admis ni aux festins ni aux spectacles, et, privĂ© de tous les agrĂ©ments de la vie, se voit relĂ©guĂ© parmi la canaille. Mais ceux qui nâont jamais Ă©tĂ© mariĂ©s, et qui nâont point de proches parents, parviennent aux premiers honneurs. Au jugement des Crotoniates, eux seuls ont des talents militaires, eux seuls sont vertueux. Cette ville, en un mot, vous offrira lâimage dâune campagne ravagĂ©e par la peste[3] ; on nây voit que des cadavres Ă demi dĂ©vorĂ©s, et des corbeaux qui les dĂ©vorent. CHAPITRE CXVII. Eumolpe, qui avait de lâexpĂ©rience, se mit Ă rĂ©flĂ©chir sur cette spĂ©culation dâun nouveau genre, et nous avoua que cette maniĂšre de sâenrichir nâavait rien qui lui dĂ©plĂ»t. Je crus dâabord que câĂ©tait une plaisanterie, et que le vieillard parlait ainsi par licence poĂ©tique ; mais il ajouta â PlĂ»t au ciel que je pusse me produire sur un plus grand théùtre, câest-Ă -dire avoir des habits plus dĂ©cents pour donner crĂ©dit Ă la ruse que je mĂ©dite ! Certes, je ne porterais pas longtemps cette besace, et je vous ferais bientĂŽt faire une brillante fortune ! â Je lui promis, pourvu quâil consentĂźt Ă me mettre de moitiĂ© dans son gain, de lui fournir tout ce quâil voudrait, la robe dâIsis et tout ce que nous avions enlevĂ© de la maison de campagne de Lycurgue la mĂšre des dieux, ajoutai-je, ne manquera pas de nous procurer tout lâargent dont nous aurons besoin pour le moment. â Que tardons-nous, reprit Eumolpe, Ă faire le plan de notre comĂ©die ? Si lâaffaire vous convient, je remplirai le rĂŽle du maĂźtre. â Aucun de nous nâosa blĂąmer une entreprise oĂč nous nâavions rien Ă perdre. Aussi, pour que cette fourberie restĂąt entre nous un secret inviolable, nous prĂȘtĂąmes entre les mains dâEumolpe le serment, dont il nous dicta la formule, de souffrir le feu, lâesclavage, la bastonnade, la mort mĂȘme, en un mot tout ce quâil ordonnerait ; enfin nous jurĂąmes par tout ce quâil y a de plus sacrĂ© dâĂtre Ă lui, corps et Ăąme, comme des gladiateurs lĂ©galement engagĂ©s. â Cette formalitĂ© remplie, nous nous dĂ©guisons en esclaves, et nous saluons notre nouveau maĂźtre. Il fut aussi convenu entre nous quâEumolpe venait de perdre un fils, jeune homme trĂšs-Ă©loquent et dâune grande espĂ©rance ; que, depuis sa mort, le malheureux pĂšre sâĂ©tait exilĂ© de sa ville natale, pour ne pas avoir sans cesse devant ses yeux le tombeau, les clients et les amis de son fils, qui renouvelaient chaque jour la source de ses larmes ; que, pour surcroĂźt dâaffliction, il venait dâessuyer un naufrage dans lequel il avait perdu deux millions de sesterces ; mais que cette perte le touchait moins que celle de ses serviteurs, qui lâempĂȘchait de paraĂźtre avec lâĂ©clat convenable Ă son rang ; quâil possĂ©dait encore en Afrique trente millions de sesterces en biens-fonds et en argent placĂ©, et quâil avait une si grande quantitĂ© dâesclaves rĂ©pandus dans ses domaines de Numidie, quâon en formerait une armĂ©e assez nombreuse pour prendre Carthage. Notre plan ainsi arrĂȘtĂ©, nous conseillĂąmes Ă Eumolpe de tousser beaucoup, comme un homme attaquĂ© de la poitrine, dâaffecter en public un grand dĂ©goĂ»t pour tous les aliments, de ne parler que dâor et dâargent ; de se plaindre sans cesse de la stĂ©rilitĂ© continuelle des terres et de lâincertitude de leur revenu. Il devait encore sâenfermer tous les jours pour calculer, et changer Ă chaque instant quelques-unes des clauses de son testament. Enfin, pour que la comĂ©die fĂ»t complĂšte, il devait, lorsquâil appellerait quelquâun de nous, feindre de prendre un nom pour un autre, afin que lâon sâimaginĂąt quâil croyait avoir encore auprĂšs de lui ceux de ses esclaves qui Ă©taient absents. Lorsque tout fut rĂ©glĂ© de la sorte, nous priĂąmes les dieux de nous accorder un prompt et heureux succĂšs, et nous nous remĂźmes en route. Mais Giton succombait sous un fardeau au-dessus de ses forces ; et Corax, le valet de louage, pestant contre sa condition, posait frĂ©quemment Ă terre le bagage, et se rĂ©pandait en imprĂ©cations contre nous, qui marchions trop vite, jurant quâil allait tout jeter Ă terre ou sâenfuir avec sa charge. â Quoi donc ! disait-il, me prenez-vous pour une bĂȘte de somme, ou pour un vaisseau de transport ? Je me suis louĂ© pour faire le service dâun homme et non dâun mulet. Je suis nĂ© libre comme vous, quoique mon pĂšre mâait laissĂ© sans fortune. â Non content de ces plaintes, il levait de temps en temps la jambe, et, chemin faisant, se permettait des incongruitĂ©s qui blessaient Ă©galement notre oreille et notre odorat. Giton riait de tout son cĆur de lâaudace de ce valet, et, Ă chaque dĂ©tonation, rĂ©pondait, avec sa bouche, par un bruit semblable. CHAPITRE CXVIII. Mais Eumolpe, retombant alors dans sa manie ordinaire â Combien de gens, ĂŽ mes jeunes amis ! nous dit-il, se sont laissĂ© sĂ©duire par les attraits de la poĂ©sie ! A peine est-on parvenu Ă mettre un vers sur ses pieds, et Ă noyer quelques sentiments tendres dans un vain dĂ©luge de paroles, quâon se croit au sommet de lâHĂ©licon. Câest ainsi que, souvent, rebutĂ©, des fatigues du barreau, maint avocat cherche un asile dans le temple des Muses, comme dans un port plus tranquille et plus assurĂ© insensĂ© ! il se figure quâil est plus facile de bĂątir un poĂ«me que dâĂ©crire un plaidoyer enluminĂ© de petites sentences scintillantes ! Mais un esprit gĂ©nĂ©reux ne se flatte pas ainsi il sait que le gĂ©nie ne peut ni concevoir ni enfanter une grande production, sâil nâa Ă©tĂ© dâabord fĂ©condĂ© par de longues Ă©tudes. Il faut surtout Ă©viter toute expression basse et triviale, et nâemployer que les termes les plus Ă©loignĂ©s du langage de la populace câest le _______Loin de moi, profane vulgaire ! dâHorace. En outre, il faut que les pensĂ©es saillantes ne soient point des hors-dâĆuvre, mais quâenchĂąssĂ©es dans le corps de lâouvrage, elles y brillent comme formĂ©es dâun mĂȘme tissu. HomĂšre et les lyriques grecs ; Virgile, lâhonneur de la poĂ©sie romaine, et Horace, si heureux dans le choix de ses expressions, en sont la preuve. Les autres nâont point vu la route qui conduit au Parnasse, ou, sâils lâont vue, ils ont craint de sây engager. Quiconque, par exemple, entreprendra de traiter un sujet aussi important que celui de la guerre civile[1], succombera infailliblement sous le faix, sâil ne sây est prĂ©parĂ© par un grand fonds dâĂ©tudes. Il ne sâagit pas, en effet, de renfermer dans ses vers le rĂ©cit exact des Ă©vĂ©nements câest le, propre de lâhistoire, qui y rĂ©ussit beaucoup mieux ; mais il faut y arriver par de longs dĂ©tours, par lâintervention des dieux ; il faut que le gĂ©nie, toujours libre dans son essor, se prĂ©cipite Ă travers le torrent des fictions de la fable ; en un mot, que son inspiration ressemble plutĂŽt aux oracles de la Pythie sâagitant, dans son dĂ©lire prophĂ©tique, sur son trĂ©pied, quâĂ un rĂ©cit fidĂšle, appuyĂ© sur des tĂ©moignages incontestables. Voyez, par exemple, si cette Ă©bauche, Ă laquelle je nâai pas encore mis la derniĂšre main, est de votre goĂ»t CHAPITRE CXIX. LA GUERRE CIVILE, POĂME. Rome au monde tremblant avait donnĂ© des fers[1] ; Mais les trĂ©sors des rois, mais les tributs des mers Nâont point assouvi Rome, et, de nouveau, les oncles Ont gĂ©mi sous le poids de ses nefs vagabondes[2]. Tout sol oĂč germe lâor Ă©veille sa fureur Le butin, non la gloire, est le prix du vainqueur. Plus dâattraits pour lâorgueil dans un Ă©clat vulgaire[3] ; Le soldat resplendit dâune pourpre Ă©trangĂšre ; Sa tente est un palais oĂč luit, au sein des camps, PrĂšs du glaive Ă©tonnĂ© le feu des diamants ; OĂč dort, sur le duvet, la valeur assoupie ; OĂč, pour embaumer lâair, sâĂ©puise lâArabie[4]. La paix, comme la guerre, accuse nos excĂšs. Dans les forĂȘts du Maure, achetĂ©s Ă grands frais, Ses tigres, en grondant, accourent Ă nos fĂȘtes, Et dans des cages dâor, affrontant les tempĂȘtes, Vont boire, aux cris dâun peuple atroce en ses plaisirs, Le sang humain coulant pour charmer nos loisirs[5]. O crime, avant-coureur de la chute de Rome[6] ! Dans lâhomme en son printemps le fer dĂ©truisant lâhomme Veut fixer, mais en vain, de fugitifs appas La nature sây cherche, et ne sây trouve pas. Brillant effĂ©minĂ© ! compose ton sourire ; Livre tes longs cheveux aux baisers du zĂ©phyre Adonis et VĂ©nus, dâun impudique amour, A tes autels douteux vont brĂ»ler tour Ă tour. HĂŽte odorant des bois dont lâAtlas se couronne, Le citronnier, pour nous, en tables se façonne ; Et, sur ses veines dâor appelant lâĆil surpris, Du mĂ©tal quâil imite, il usurpe le prix[7]. Cornus, en ses festins, ne connaĂźt plus dâentraves[8] ; Le front parĂ© de fleurs[9], environnĂ© dâesclaves, Il parle ; et, moissonnĂ©e en cent climats divers, La pompe dâun seul jour appauvrit lâunivers[10]. Le scare aux larges flancs du fond des mers arrive[11] ; LâhuĂźtre, enfant du Lucrin, abandonne sa rive[12] Tes bords muets, ĂŽ Phase ! ont perdu leurs oiseaux, Et le vent seul murmure Ă travers tes roseaux. Entrons au Champ-de-Mars lâor prĂ©side aux comices ; Lâor prĂȘte aux candidats des vertus ou des vices ; Dâun suffrage vĂ©nal lâor dispose en tyran ; Le peuple et le sĂ©nat se vendent Ă lâencan. Aux lieux mĂȘme oĂč du monde on voit siĂ©ger la reine, Rampe aux pieds de Plutus la majestĂ© romaine. LĂ , Caton outragĂ© brigue en vain les faisceaux[13] ; Les faisceaux et lâopprobre attendent ses rivaux. Quâils subissent en paix lâaffront de la victoire. Caton, vaincu, sâĂ©loigne escortĂ© de sa gloire ; Et chassĂ©s devant lui, la libertĂ©, lâhonneur, Laissent les lois sans force, et lâĂtat sans vengeur. Plus loin, riche dâemprunts, lâopulence factice, Dans lâantre de lâusure implore lâavarice ; Trop heureux si, bientĂŽt, lâinsolvable CrĂ©sus Nâest vendu pour sa dette, et ne meurt comme Irus ! Tel quâun venin perfide errant de veine en veine, Le luxe, dans ton sein, couve ta mort prochaine, O Rome ! Enfin, la guerre est ton unique espoir[14] Quand on a tout perdu, la guerre est un devoir. Sors du lĂąche sommeil oĂč ta fiertĂ© sâoublie ; Mars accourt dans ton sang retremper ton gĂ©nie. CHAPITRE CXX. Mais dĂ©jĂ ne sont plus tes bouillants triumvirs. LâEuphrate de Crassus voit les derniers soupirs. PompĂ©e au Nil en deuil a lĂ©guĂ© sa poussiĂšre ; CĂ©sar en plein sĂ©nat expire... Ainsi la terre, Nâosant les rapprocher, disperse leurs tombeaux[1] Digne prix dont la gloire Honore ses hĂ©ros ! Aux champs de ParthĂ©nope il est un vaste gouffre, Impur amas de feux, de bitume et de soufre ; Le Cocyte y bouillonne, et dâun fatal poison La vapeur quâil exhale infecte lâhorizon. Tout est morne Ă lâentour. Jamais Flore ou Pomone Nây sourit au printemps, nây fait mĂ»rir lâautomne ; Jamais le doux zĂ©phyr, agitant ses rameaux, Nây mĂȘla ses soupirs aux doux chants des oiseaux Le noir chaos y rĂšgne ; et les cyprĂšs funĂšbres Du sombre soupirail bordent seuls les tĂ©nĂšbres... Les cheveux de fumĂ©e et de cendre couverts[2], Par lĂ Pluton, un jour, sâĂ©lance des enfers. â Des mortels et des dieux souveraine volage, O Fortune ! dit-il, quâun long bonheur outrage, Toi pour qui lâinconstance a de constants attraits[3], Rome triomphe donc ! Tremblante sous le faix,[4] Nâoses-tu de sa gloire Ă©branler lâĂ©difice[5] ? Oui, Rome doit Ă Rome un sanglant sacrifice. Sous ses trĂ©sors, dĂ©jĂ , sa mollesse a flĂ©chi. Des dĂ©pouilles des rois vois son faste enrichi Ălever jusquâaux cieux lâorgueil de ses portiques[6] ; LĂ , repousser les mers de leurs rives antiques ; Ici, creuser des lacs oĂč dominaient des monts, Dompter les Ă©lĂ©ments et vaincre les saisons. Que dis-je ? jusquâĂ moi perçant de longs abĂźmes Pour exhumer cet or, pĂšre de tous les crimes, Des coups de ses marteaux il fait gĂ©mir ma cour[7], Et menace les morts de la clartĂ© du jour. Quâattends-tu ? trop longtemps a dormi ta colĂšre, DĂ©esse ! vengeons-nous ; souffle aux Romains la guerre Mon cĆur est altĂ©rĂ© de leur sang odieux ; Et Tisiphone, oisive, atteste en vain les dieux, Depuis que Rome, en deuil de tant de funĂ©railles, Vit, par deux fiers proscrits, dĂ©chirer ses entrailles. CHAPITRE CXXI. Il dit, Ă©tend son sceptre, et, dâun front redoutĂ© TempĂšre, en sâinclinant, la noire majestĂ©. La Fortune rĂ©pond â MaĂźtre du sombre empire, O Pluton ! dans les temps sâil mâest permis de lire, Tes vĆux seront comblĂ©s. Va, dâune mĂȘme ardeur, Le courroux qui tâanime a pĂ©nĂ©trĂ© mon cĆur. De mes nombreux bienfaits Rome est trop orgueilleuse ; Jâai regret Ă mes dons Rome mâest odieuse. Mais je puis renverser lâouvrage de mes mains. Oui, je prĂ©tends armer Romains contre Romains[1], Me baigner dans leur sang[2]. Je vois, en Ămathie, Dans un double combat sâacharner leur furie ; Je vois lâEspagne en deuil[3], la Thessalie en feux. DâoĂč viennent dans les airs ces accents belliqueux ? La Libye et le Nil sont en proie aux alarmes[4] Du vainqueur dâActium ils redoutent les armes. Ouvre, dieu des enfers, tes avides manoirs ! Pour passer tant de morts sur tes rivages noirs, Caron, cherche une flotte, au lieu de ta nacelle[5] [6]. Et toi, pĂąle Ărinnys, repais ta faim cruelle ; Ma main, pour tâassouvir, arme tous les flĂ©aux, Et livre Ă tes serpents lâunivers en lambeaux. CHAPITRE CXXII. Ă ces mots, lâĂ©clair luit, le ciel gronde, la foudre Vole, et dâun roc voisin rĂ©duit la cime en poudre. Aux coups de Jupiter, Pluton, saisi dâeffroi, Sâenfuit⊠Lâenfer tressaille en revoyant son roi. BientĂŽt des dieux vengeurs les sinistres augures[1] Annoncent aux mortels nos discordes futures ; Lâastre du jour, dans lâombre Ă©clipsant sa clartĂ©, Voile son front brillant dâun crĂȘpe ensanglantĂ© ; La lune Ă©teint ses feux. Des montagnes tremblantes Se fendent, Ă grand bruit, les cimes mugissantes⊠De ces fleuves taris oĂč sont les flots fougueux ? Le clairon des combats retentit dans les cieux OĂč semblent se heurter dâinvisibles armĂ©es. LâEtna sâouvre, et vomit des laves enflammĂ©es. On vit pleuvoir du sang ; on vit sur leurs tombeaux Des spectres se dresser, poussant de longs sanglots ; Et la comĂšte en feu, promenant lâĂ©pouvante, Secoua dans les cieux sa chevelure ardente. Câen est fait ; et dĂ©jĂ lâimpatient CĂ©sar, De la guerre civile arborant lâĂ©tendard, Loin du Gaulois vaincu, vers les Alpes sâavance. Le premier, sur ces monts tĂ©moins de sa puissance, Hercule osa frayer une route aux mortels, Et leur encens toujours y fume Ă ses autels. Leur front, blanchi de neige, est cachĂ© dans la nue ; Le ciel semble sâasseoir sur leur tĂȘte chenue. LĂ , jamais nâa fleuri la rose du printemps ; LĂ , PhĂ©bus est armĂ© de rayons impuissants ; Et ces rocs, des frimas antiques tributaires, Opposent aux Ă©tĂ©s leurs glaces sĂ©culaires. CĂ©sar aime Ă fouler ces sommets sourcilleux. Rome, de ces hauteurs, nâest quâun point Ă ses yeux. MalgrĂ© lui, cependant, il soupire, il sâĂ©crie â Dieux immortels ! et vous, ĂŽ champs de lâHespĂ©rie, Pleins encor de mon nom, fameux par mes combats[2], Je vous atteste ! Rome a seule armĂ© mon bras. A regret ma fiertĂ© court venger son injure[3]. Et pourquoi mâa-t-on vu dompter le Rhin parjure, A lâorgueil dâAlbion dicter de justes lois, Et, loin du Capitole, enchaĂźner les Gaulois ? Câest pour toi, peuple ingrat, que fatigue ma gloire Pour toi, qui me proscris !⊠HĂ©las ! Ă la victoire Cinquante fois CĂ©sar a conduit tes guerriers ; Deux fois jâai vu mon sang arroser mes lauriers. Les voilĂ , mes forfaits ! Quels sont donc ces pygmĂ©es Qui prĂ©parent des fers Ă mes mains dĂ©sarmĂ©es ? Ătrangers sans vertus, vil ramas de brigands, Citoyens nĂ©s dâhier, vendus aux plus offrants. Et, de ces fils nouveaux follement idolĂątre, Rome les traite en mĂšre, et me traite en marĂątre ! Non, de ma gloire ainsi je ne descendrai pas ; Non. Lâhonneur ou la mort ! Et vous, braves soldats, Compagnons de CĂ©sar, notre cause est commune, De nos communs succĂšs on punit ma fortune ; Je nâai pas vaincu seul⊠Puisquâun choix sans pudeur Couronne la bassesse et flĂ©trit la valeur, Le sort en est jetĂ© que le glaive en dĂ©cide ; Marchons ! fort de vos bras, CĂ©sar est un Alcide. â A peine il a parlĂ© ; trois fois, prĂ©sage heureux ! Sur son front se balance un aigle audacieux ; Des bois muets trois fois lâombre antique murmure, Trois fois un feu lĂ©ger sillonne leur verdure. Tu vis croĂźtre, ĂŽ Soleil[4] ! ton disque Ă©tincelant, Et dans les cieux ton char rayonna plus brillant. CHAPITRE CXXIII. Tout sâĂ©branle, tout part ; bien mieux que les prĂ©sages. Lâexemple du hĂ©ros enflamme les courages. Le roc, dâabord docile, aux bataillons pressĂ©s Laisse gravir ses lianes de frimas hĂ©rissĂ©s ; Mais sous le poids bientĂŽt, fumantes et fendues, Et la neige et la glace, eu torrents Ă©pandues, Tombent du haut des monts armes, coursiers, soldats, Lâun sur lâautre entassĂ©s, roulent avec fracas ; Puis tout Ă coup, fixant sa course interrompue, Lâonde, en blocs de cristal, sâarrĂȘte suspendue, Et, rebelle Ă lâeffort de lâacier qui la fend, SĂšme encor de pĂ©rils un passage glissant. Ăole dans les airs a dĂ©ployĂ© sa rage Il mugit ; et soudain, dĂ©chirant le nuage, Fondent sur les Romains, quâen vain cache le fer, Et la grĂȘle et la pluie, et la foudre, et lâĂ©clair Ses feux sillonnent seuls la nuit de la tempĂȘte. Le roc fuit sous leurs pieds, ou menace leur tĂȘte, Et ce conflit des cieux, de la terre et des eaux, Fait craindre Ă lâunivers le retour du chaos. Jule est calme. Debout, appuyĂ© sur sa lance, A travers les Ă©cueils, dâun pas ferme il sâĂ©lance. Tel jadis du Caucase Hercule descendit ; Tel, tremblant sous tes pas, lâOlympe sâaplanit, Roi des dieux, quand sa cime, aux Ă©clats du tonnerre, Vit les GĂ©ants vaincus mordre enfin la poussiĂšre. Cependant, du hĂ©ros devançant les exploits, Dans son rapide vol, la dĂ©esse aux cent voix Jusquâaux remparts de Mars a semĂ© lâĂ©pouvante. Sous la rame elle a vu lâonde au loin blanchissante. DĂ©jĂ paraĂźt CĂ©sar. Teint du sang des Germains[1], Terrible, il marche, il touche aux portes des Romains. » Elle dit ; Rome en pleurs, dans ses murs au pillage, Croit voir courir la flamme et fumer le carnage. Quel parti prendre ? oĂč fuir en ces moments affreux ? Lâun poursuit sur les flots un asile douteux ; Lâautre implore lâabri dâune terre lointaine. Lâavare, chargĂ© dâor, chancelant, hors dâhaleine, Porte, sans le savoir, ses trĂ©sors au vainqueur. Le pĂ©ril du guerrier ranime la valeur Il veut tenter encor la fortune des armes. Relie de son dĂ©sordre autant que de ses charmes, LâĂ©pouse de la veille embrasse son Ă©poux. Contemplez cet enfant le regard triste et doux, Il caresse le sein de sa mĂšre Ă©plorĂ©e La douleur par lâamour est du moins tempĂ©rĂ©e. Plus loin, cet autre ĂnĂ©e, au toit de ses aĂŻeux, Arrache en soupirant et son pĂšre et ses dieux ; Et du ciel, dans ses vĆux, vaine et faible, dĂ©fense ! Contre CĂ©sar absent invoque la vengeance. Ainsi quand lâouragan, dĂ©chaĂźnĂ© sur les flots, Bat les flancs dâun navire, en vain les matelots Ont recours Ă leur art. Au plus prochain rivage Lâun cherche un port tranquille, Ă lâabri de lâorage ; Lâautre assure ses mĂąts ; lâautre, bravant la mort, Livre la voile au vent, et sâabandonne au sort. Et toi, PompĂ©e ! et toi, lâeffroi de Mithridate, La terreur de lâHydaspe et recueil du pirate ; Toi devant qui lâEuxin humilia ses flots, Dont le Bosphore Ă©mu craint encor les vaisseaux, Dont Rome a vu trois fois la pompe triomphale ; 0 honte ! Ă fuir ainsi ta fiertĂ© se ravale ! Et, flĂ©trissant lâhonneur dâun triple consulat, Tu livres au vainqueur le peuple et le sĂ©nat. CHAPITRE CXXIV. Le grand PompĂ©e a fui[1]... Tremblants Ă son exemple, Les dieux amis du calme ont dĂ©sertĂ© leur temple ; Et, dĂ©testant de Mars les tragiques horreurs, Ils abandonnent Rome Ă ses propres fureurs. Le front ceint dâun cyprĂšs, errante, mĂ©prisĂ©e[2], La douce Paix sâenvole au tranquille ĂlysĂ©e ; La Justice et la Foi la suivent lâĆil en pleurs, Et la Concorde en deuil accompagne ses sĆurs. Soudain lâĂrĂšbe sâouvre, et sa bouche bĂ©ante Vomit tous les flĂ©aux la Guerre menaçante, Ărinnys, Alecton, le Meurtre sans remord, La noire Trahison, la Mort, la pĂąle Mort, Et la Terreur, que suit lâimpitoyable Rage ; Son front cicatrisĂ© respire le carnage Dâun vaste bouclier, chargĂ© de mille traits, Sa gauche, sans flĂ©chir, soutient lâĂ©norme faix ; Et le brandon fumant dont sa droite est armĂ©e Apporte lâincendie Ă la terre alarmĂ©e. Deux mortels dans lâOlympe ont divisĂ© les dieux En faveur de CĂ©sar, VĂ©nus quitte les cieux ; Mars a saisi son glaive et Pallas son Ă©gide. Contre Jule Apollon tend son arc homicide ; PhĆbĂ©, Mercure, Hercule, entraĂźnĂ©s tour Ă tour, Sâunissent, pour PompĂ©e, au brillant roi du jour. La trompette a sonnĂ© soudain, impatiente, Les cheveux hĂ©rissĂ©s et la bouche Ă©cumante, La Discorde rugit. Ă son souffle empestĂ© PĂąlit lâĂ©clat des cieux ; lâair en est infectĂ©. Son Ćil louche et meurtri cherche et fuit la lumiĂšre Sur sa tĂȘte se dresse une horrible vipĂšre ; Un tartre impur et noir ronge ses dents dâairain ; De sa langue distille un fĂ©tide venin ; Sa robe est en lambeaux ; et sa main menaçante Agite dans les airs une torche sanglante. Sur le froid Apennin le monstre sâest assis. DĂ©jĂ dans sa pensĂ©e, entourĂ© de dĂ©bris, Il compte les Ătats qui vont ĂȘtre sa proie Il les compte et sourit. Dans sa barbare joie â Aux armes ! a-t-il dit ; aux armes ! levez-vous, Peuples, enfants, vieillards, femmes, accourez tous ! Qui se cache est vaincu. Que le fer, que la flamme DĂ©vorent les citĂ©s que ma fureur rĂ©clame ! Vole, fier Marcellus, dĂ©fends la libertĂ©[3] ! SoulĂšve, ĂŽ Curion, le peuple rĂ©voltĂ©[4] ! Lentulus, aux combats anime tes cohortes ! Que tardes-tu, CĂ©sar ? ose enfoncer ces portes ! Pour sâĂ©crouler, ces murs attendent tes regards Lâor de Rome tâappelle[5]. Et toi, rival de Mars, Invincible PompĂ©e ! oĂč donc est ton courage ? Viens ! Bellone Ă Pharsale apprĂȘte le carnage LĂ , du sang des humains doit sâabreuver un dieu. â La Discorde a parlĂ© lâunivers est en feu. Eumolpe, dans ces vers, avait ainsi Ă©panchĂ© sa bile Ă grands flots, lorsque nous entrĂąmes enfin dans Crotone, oĂč nous nous arrĂȘtĂąmes, pour nous restaurer, dans une assez mĂ©chante auberge. Le lendemain, Ă©tant sortis pour chercher un meilleur gĂźte, nous rencontrĂąmes une bande de ces coureurs de successions, qui nous demandĂšrent qui nous Ă©tions et dâoĂč nous venions. ConformĂ©ment au plan que nous avions arrĂȘtĂ© en commun, nous rĂ©pondĂźmes Ă cette double question avec tant dâassurance et une telle volubilitĂ© de paroles, quâils donnĂšrent tĂȘte baissĂ©e dans le panneau. Ils sâempressĂšrent donc Ă lâenvi dâoffrir leurs richesses Ă Eumolpe ; et tous, Ă qui mieux mieux, cherchĂšrent Ă obtenir ses bonnes grĂąces en le comblant de prĂ©sents. CHAPITRE CXXV. Il y avait dĂ©jĂ longtemps que nous vivions ainsi Ă Crotone, et Eumolpe, enivrĂ© de son bonheur, oubliait tellement sa premiĂšre condition, quâil se vantait Ă ceux qui lâentouraient, que rien dans Crotone nâĂ©tait impossible Ă son crĂ©dit ; et que, si lâun dâentre eux commettait quelque dĂ©lit dans la ville, il pourrait le soustraire au chĂątiment par la protection de ses amis. Pour moi, bien que jâengraissasse Ă vue dâĆil au sein de lâabondance dont nous jouissions, et que jâeusse lieu de croire que la fortune se lassait de me poursuivre, je ne laissais pas de rĂ©flĂ©chir souvent tant Ă ma position prĂ©sente quâĂ la cause qui lâavait produite. Que deviendrions-nous, me disais-je, si un de ces rusĂ©s intrigants sâavisait dâenvoyer prendre des informations en Afrique, et dĂ©couvrait notre fourberie ? si le valet dâEumolpe, las de son bonheur prĂ©sent, allait donner lâĂ©veil Ă nos amis, et, par jalousie, leur rĂ©vĂ©lait tout le mystĂšre ? Il nous faudrait donc de nouveau, errants et fugitifs, aprĂšs avoir triomphĂ© de la pauvretĂ©, mendier pour soutenir notre existence ! Grands dieux ! Ă combien de dangers sont exposĂ©s ceux qui vivent en dehors des lois[1] ? Ils craignent sans cesse les chĂątiments quâils ont mĂ©ritĂ©s. Tout en faisant ces tristes rĂ©flexions, je sortis de la maison pour prendre lâair et pour me distraire lâesprit. Mais Ă peine avais-je fait quelques pas sur la promenade publique, quâune jeune fille dâun extĂ©rieur agrĂ©able vint Ă ma rencontre, et, me saluant du nom supposĂ© de Polyaenos, que jâavais pris depuis ma mĂ©tamorphose, mâannonça que sa maĂźtresse me priait de lui accorder un moment dâentretien. â Vous vous trompez, lui rĂ©pondis-je tout troublĂ©, je ne suis quâun esclave Ă©tranger, tout Ă fait indigne dâune telle faveur. CHAPITRE CXXVI. Non, reprit-elle, câest bien vous que lâon mâa dĂ©signĂ©. Mais, fier de votre beautĂ© dont vous savez le prix, vous vendez vos caresses et ne les prĂȘtez pas[1]. Pourquoi vos cheveux sont-ils si artistement bouclĂ©s ? pourquoi votre visage emprunte-t-il au fard son Ă©clat[2] ? Ă quoi bon ces Ćillades tendres et lascives[3], cette dĂ©marche compassĂ©e et ces pas qui ne sâĂ©cartent jamais de la mĂȘme mesure[4], si ce nâest pour mettre votre beautĂ© Ă lâenchĂšre et en faire commerce ? Regardez-moi bien je nâentends rien aux augures ni aux calculs astronomiques ; mais je lis sur le visage dâun homme ses habitudes, et, en vous voyant marcher ainsi, jâai devinĂ© ce que vous aviez dans lâĂąme. Si donc vous vendez la denrĂ©e que nous cherchons, lâacheteur est tout prĂȘt ; si vous la prĂȘtez, ce qui est plus honnĂȘte, consentez Ă ce que nous vous soyons redevables de nos plaisirs. Quant Ă votre humble condition dâesclave que vous mâobjectez, elle ne peut quâaiguillonner encore plus la vivacitĂ© de nos dĂ©sirs. Il est des femmes quâenflamme lâodeur des haillons ; rien nâexcite leur passion comme la vue dâun esclave ou dâun valet de pied Ă la robe retroussĂ©e ; dâautres, dont un gladiateur, un muletier couvert de poussiĂšre, ou un histrion prostituĂ© aux plaisirs du public, allument lâappĂ©tit. Ma maĂźtresse est de ce goĂ»t elle franchirait quatorze gradins au delĂ de lâorchestre, pour aller chercher lâobjet de ses dĂ©sirs dans les derniers rangs de la populace. â CharmĂ© du gracieux babil de lâaimable messagĂšre â Et ne seriez-vous pas, lui dis-je, celle Ă qui jâai le bonheur de plaire ? â Cette mauvaise plaisanterie la fit rire aux Ă©clats â Pas tant de prĂ©somption, je vous prie ; apprenez que je ne me suis jamais livrĂ©e Ă un esclave me prĂ©servent les dieux de voir lâobjet de mes affections exposĂ© Ă ĂȘtre mis en croix ! Câest bon pour les femmes de condition qui baisent les cicatrices que le fouet a creusĂ©es sur les Ă©paules de leurs amants. Je ne suis quâune servante ; mais je ne fraye quâavec des chevaliers[5]. â Je ne pouvais me lasser dâadmirer le contraste qui existait entre ces deux femmes nâest-ce pas le monde renversĂ©, me disais-je, que de trouver dans une servante la fiertĂ© dâune dame de premier rang, et dans une dame de qualitĂ© les goĂ»ts abjects dâune servante ? Cet entretien plaisant se prolongea longtemps ; enfin je priai cette fille dâamener sa maĂźtresse sous les platanes voisins. Elle approuva cet avis, et, relevant sa robe, elle disparut dans un bosquet de lauriers qui joignait la promenade. Elle ne me fit pas longtemps attendre, et sortit bientĂŽt de ce mystĂ©rieux asile avec sa maĂźtresse, qui vint sâasseoir Ă cĂŽtĂ© de moi. Jamais la sculpture ne produisit rien de plus parfait les paroles me manquent pour faire la description de tant de charmes, et tout ce que jâen pourrais dire serait trop peu. Ses cheveux, naturellement frisĂ©s et relevĂ©s sur un front Ă©troit[6], retombaient en boucles innombrables sur ses Ă©paules ; ses sourcils fuyaient en arc jusquâĂ ses tempes, et se croisaient presque ; le tout avec une grĂące infinie. Ses yeux Ă©taient plus brillants que les Ă©toiles dans une nuit obscure ; son nez Ă©tait lĂ©gĂšrement recourbĂ©, et sa bouche mignonne ressemblait Ă celle que PraxitĂšle donnait Ă sa VĂ©nus. Puis son gracieux menton, son cou, ses mains, ses pieds, emprisonnĂ©s dans un mince rĂ©seau dâor, tout cela eĂ»t effacĂ© par sa blancheur le marbre de Paros. Oh ! dĂšs lors, Doris, mes anciennes amours, ne fut plus rien pour moi Quâas-tu fait de ta foudre, ĂŽ souverain des cieux ?___PrĂšs de Junon, lĂ -haut tu te reposes ___Ton sot amour est la fable des dieux. As-tu donc oubliĂ© tant de mĂ©tamorphoses ?___Câest maintenant quâil faut, galant taureau,___Armer ton front de cornes menaçantes ; Ou bien, cygne amoureux, dâun plumage nouveau Couvrir de tes cheveux les boucles belle fut ta DanaĂ©. Touche de ce beau corps les formes bondissantes, Et soudain, de dĂ©sirs et dâamour consumĂ©, Le tien Ă©prouvera le sort de SĂ©mĂ©lĂ©. CHAPITRE CXXVII. Cette apostrophe me valut un sourire si aimable, que je crus voir Diane montrant son disque argentĂ© Ă travers un nuage[1]. BientĂŽt accompagnant sa voix dâun geste gracieux[2] â Jeune homme, me dit-elle, si vous ne dĂ©daignez pas une femme de quelque distinction, et qui, il y a un an, Ă©tait encore vierge[3], acceptez-moi pour votre sĆur. Vous avez un frĂšre, je le sais, et je ne rougis point des informations que jâai prises Ă cet Ă©gard ; mais qui vous empĂȘche dâavoir aussi une sĆur ? câest Ă ce titre que je me prĂ©sente, et vous pourrez, quand il vous plaira, sceller par un baiser les liens de notre parentĂ©. â Câest plutĂŽt moi, lui rĂ©pondis-je, qui vous conjure par vos divins attraits de vouloir bien admettre un pauvre Ă©tranger au nombre de vos adorateurs. Permettez-moi de vous aimer, et je voue Ă vos appas un culte religieux ; mais gardez-vous de croire que je me prĂ©sente sans offrande Ă votre autel je vous abandonne ce frĂšre dont vous me parlez. â Qui, moi, rĂ©pliqua-t-elle, exiger de vous le sacrifice de celui sans qui vous ne pouvez vivre, dont les caresses font tout votre bonheur, et pour qui vous avez tout lâamour que je voudrais vous inspirer ? â Elle prononça ces paroles avec tant de charme, sa voix Ă©tait si douce, que je crus entendre le concert des SirĂšnes[4]. JâĂ©tais en extase, et, croyant voir rayonner autour dâelle une clartĂ© plus brillante que celle des cieux, je la pris pour une dĂ©esse, et lui demandai quel Ă©tait son nom dans lâOlympe. â Eh quoi ! me dit-elle, ma suivante ne vous a-t-elle pas dit que je mâappelais CircĂ© ? Toutefois, je ne suis pas la fille du Soleil, et jamais ma mĂšre nâeut le pouvoir dâarrĂȘter Ă sa volontĂ© lâastre du jour ; cependant je me croirais Ă©gale aux dieux, si les destins nous unissaient lâun Ă lâautre. Oui, je ne puis mĂ©connaĂźtre dans tout ceci lâinfluence secrĂšte dâune divinitĂ© favorable ; et ce nâest pas sans motif quâune nouvelle CircĂ© aime un autre PolyĆnos toujours une tendre sympathie unit ces deux noms. Venez sur mon sein, si vous mâaimez, et ne redoutez pas les regards indiscrets votre frĂšre est loin dâici. â Elle dit, et, mâenlaçant dans ses bras plus doux que le duvet, elle mâentraĂźna sur un gazon Ă©maillĂ© de mille fleurs Tel quâautrefois lâIda de fleurs couvrit sa cime, Quand Jupiter, brĂ»lant dâun amour lĂ©gitime, Dans les bras de Junon oubliait lâunivers ; Les roses du printemps, les myrtes toujours verts, Les lis encor baignĂ©s des larmes de lâaurore, Autour des deux Ă©poux sâempressĂšrent dâĂ©clore Telle, et non moins propice Ă nos bridants dĂ©sirs, La terre se couvrit dâune herbe plus Ă©paisse, Le jour brilla plus pur, et, par son allĂ©gresse, La nature sembla sourire Ă nos plaisirs. Ătendus sur le gazon, nous prĂ©ludions par mille baisers Ă des jouissances plus solides ; mais, trahi par une faiblesse subite, je trompai lâattente de CircĂ©. CHAPITRE CXXVIII. Eh quoi ! sâĂ©cria-t-elle, indignĂ©e de cet affront, mes caresses sont-elles pour vous un objet de dĂ©goĂ»t ? mon haleine, aigrie par le jeĂ»ne, est-elle fĂ©tide[1], ou quelque nĂ©gligence de toilette offense-t-elle en moi votre odorat[2] ? ou plutĂŽt ne dois-je pas attribuer votre Ă©tat Ă la crainte que Giton vous inspire ? â La rougeur me couvrait le visage, et la honte acheva de mâĂŽter le peu de forces qui me restait jâĂ©tais comme un homme perclus de tous ses membres. â O ma reine, mâĂ©criai-je, je vous en supplie, nâaccablez pas un malheureux en butte Ă quelque malĂ©fice ! â Une excuse si frivole ne pouvait calmer la colĂšre de CircĂ© elle jeta sur moi un coup dâĆil de mĂ©pris, et, se tournant vers sa suivante â Chrysis, lui dit-elle, parle-moi franchement ; suis-je donc repoussante ? suis-je mal mise ? ou quelque difformitĂ© naturelle obscurcit-elle lâĂ©clat de ma beautĂ© ? Ne dĂ©guise rien Ă ta maĂźtresse ; car jâignore quel dĂ©faut lâon peut me reprocher. â Voyant que Chrysis se taisait, elle lui arrache un miroir quâelle tenait[3] ; elle le promĂšne sur toutes les parties de son visage, et, secouant sa robe un peu fripĂ©e, mais non pas chiffonnĂ©e, comme de coutume, par une lutte amoureuse, elle gagna brusquement un temple voisin, consacrĂ© Ă VĂ©nus. Pour moi, semblable Ă un condamnĂ©, et comme Ă©pouvantĂ© dâune horrible apparition, je me demandais si les plaisirs dont je venais dâĂȘtre privĂ© pouvaient avoir quelque chose de rĂ©el. La nuit, jouet dâun doux mensonge, Dans un jardin quâil bĂȘche en songe, Lâindigent dĂ©couvre un trĂ©sor. Muet de surprise et de joie, Il tourne et retourne sa proie, Lâemporte, fuit et court encor. Mais dans sa fuite un rien lâombrage Si le volĂ©, sur son passage, Allait dĂ©trousser le voleur ! Le pauvre diable, Ă cette image, Se trouble ; une froide sueur Sillonne Ă longs flots son visage. Il se rĂ©veille au mĂȘme instant DĂ©trompĂ© dâune erreur trop chĂšre, Notre CrĂ©sus imaginaire, LĂ©ger de soucis et dâargent, MalgrĂ© lui regarde en arriĂšre, Et caresse encor la chimĂšre Qui fit sa joie et son tourment. Tout concourait Ă me faire croire que ma triste aventure nâĂ©tait quâun songe, une vĂ©ritable hallucination ; cependant ma faiblesse Ă©tait si grande, quâil me fut longtemps impossible de me lever. Mais, Ă mesure que lâaccablement de mon esprit se dissipa, la force me revint peu Ă peu, et je pus enfin retourner au logis. DĂšs que jây fus, prĂ©textant une indisposition, je me jetai sur mon lit. BientĂŽt aprĂšs, Giton, qui avait appris que jâĂ©tais malade, entra fort triste dans ma chambre. Pour calmer ses inquiĂ©tudes, je lui assurai que je ne mâĂ©tais mis au lit que pour prendre un peu de repos dont jâavais besoin. Je lui fis Ă ce sujet mille contes en lâair ; mais de ma mĂ©saventure, pas un mot, car je craignais fort sa jalousie. Bien plus, pour dissiper tout soupçon Ă cet Ă©gard, je le fis coucher auprĂšs de moi, et jâessayai de lui donner des preuves de mon amour. Mais, voyant que toutes mes tentatives, tous mes efforts Ă©taient inutiles, il se leva furieux et me reprocha cette infirmitĂ©, qui, selon lui, provenait du refroidissement de ma tendresse. Il ajouta que, depuis longtemps, il avait acquis la certitude que je portais ailleurs mes feux et mes hommages. â Que dis-tu, frĂšre ? mâĂ©criais-je ; mon amour pour toi est toujours le mĂȘme ; mais la raison, croissant avec lâĂąge, modĂšre ma passion et mes transports. â En ce cas, rĂ©pliqua-t-il dâun ton railleur, jâai de grands remercĂźments Ă vous faire ! vous mâaimez Ă la maniĂšre de Socrate jamais Alcibiade ne sortit plus pur du lit de son maĂźtre[4]. CHAPITRE CXXIX. Ce fut en vain que jâajoutai â Crois-moi, frĂšre, je ne me reconnais plus ; je nâai plus dâun homme que le nom elle est morte cette partie de moi-mĂȘme qui naguĂšre faisait de moi un Achille. â Convaincu de mon impuissance, et craignant que, sâil Ă©tait surpris en tĂȘte Ă tĂȘte avec moi, cela ne donnĂąt, sans motif, carriĂšre Ă la mĂ©disance, Giton sâarracha de mes bras et sâenfuit dans lâintĂ©rieur de la maison. Ă peine Ă©tait-il sorti de ma chambre, que Chrysis y entra, et me remit, de la part de sa maĂźtresse, une lettre ainsi conçue CIRCĂ Ă POLYAENOS, SALUT. Si jâĂ©tais une dĂ©vergondĂ©e, je me plaindrais dâavoir Ă©tĂ© déçue ; mais, au contraire, je rends grĂące Ă votre impuissance elle a prolongĂ© pour moi lâillusion du plaisir. Mais quâĂȘtes-vous devenu, je vous prie ? vos jambes ont-elles pu vous porter jusque chez vous ? car les mĂ©decins assurent quâil faut des nerfs pour marcher. Jeune homme, prenez-y garde ! vous ĂȘtes menacĂ© de paralysie ; et jamais malade ne me parut eu plus grand danger. Certes, vous ĂȘtes Ă moitiĂ© mort. Si le mĂȘme froid vient Ă gagner vos genoux et vos mains, faites au plus tĂŽt les apprĂȘts de vos funĂ©railles[1]. Mais quâimporte ? quoique vous mâayez fait un sanglant affront, jâai pitiĂ© de votre misĂšre, et je consens Ă vous indiquer un remĂšde Ă votre mal. Si vous voulez recouvrer la santĂ©, sevrez-vous de Giton ; trois nuits passĂ©es sans lui vous rendront toutes vos forces. Quant Ă moi, je ne crains pas de manquer dâamants ; mon miroir et ma rĂ©putation me rassurent Ă cet Ă©gard. Adieu, tĂąchez de vous rĂ©tablir, si câest possible. DĂšs que Chrysis vit que jâavais lu en entier cette mordante satire â Votre aventure, me dit-elle, nâa rien dâextraordinaire, surtout dans cette ville oĂč il y a des sorciĂšres capables de faire descendre la lune du haut des cieux. Votre mal nâest donc pas sans remĂšde. TĂąchez seulement de faire une rĂ©ponse Ă ma maĂźtresse ; et regagnez ses bonnes grĂąces par un aveu sincĂšre de vos torts. Car, depuis quâelle a reçu cet affront, elle ne se possĂšde plus. â Je suivis de grand cĆur ce conseil, et je fis sur les mĂȘmes tablettes une rĂ©ponse en ces termes CHAPITRE CXXX. POLYĂNOS Ă CIRCĂ, SALUT. Je lâavouerai, madame, jâai fait bien des fautes en ma vie ; car je suis homme, et jeune encore cependant, jusquâĂ ce jour, je nâavais commis aucun forfait digne de la peine capitale. Je vous livre un coupable qui confesse volontairement son crime ; et, quel que soit le chĂątiment auquel vous me condamniez, je lâai mĂ©ritĂ©. Je suis un traĂźtre, un parricide, un sacrilĂšge inventez des supplices nouveaux pour de si grands attentats. Voulez-vous ma mort ? je cours vous offrir mon Ă©pĂ©e ou, si votre indulgence se borne Ă me condamner au fouet, jâirai nu mâoffrir Ă vos coups. Souvenez-vous seulement que ma volontĂ© nâeut aucune part Ă cette offense, et que la nature seule fut coupable. Soldat plein dâardeur, je nâai pu retrouver mes armes au moment du combat. Qui me les a dĂ©robĂ©es ? je lâignore. Peut-ĂȘtre mon imagination trop active a devancĂ© lâaction de mes organes ; peut-ĂȘtre, trop empressĂ© de jouir de tant dâappas, jâai tari dans mes veines les sources de la voluptĂ©. Je cherche en vain quelle est la cause de mon impuissance. Cependant, je dois, dites-vous, craindre la paralysie ; ah ! peut-il en ĂȘtre une plus complĂšte que celle qui mâa privĂ© du bonheur de vous possĂ©der ? Au reste, voici ma meilleure et derniĂšre excuse permettez-moi de rĂ©parer ma faute, et jâose me flatter que vous serez satisfaite. Adieu. â DĂšs que jâeus congĂ©diĂ© Chrysis avec ces belles promesses, je songeai sĂ©rieusement aux remĂšdes qui pouvaient rendre la vigueur Ă la partie malade. Je remis le bain Ă un autre jour, et je me bornai cette fois Ă quelques frictions lĂ©gĂšres. Je pris une nourriture plus stimulante, telle que les Ă©chalotes et les huĂźtres crues[1] ; je bus aussi du vin, mais en petite quantitĂ©[2]. Puis, prĂ©parĂ© au sommeil par une courte promenade, je me mis au lit sans Giton. Jâavais un si grand dĂ©sir de faire ma paix avec CircĂ©, que je craignais jusquâau moindre contact de mon ami. CHAPITRE CXXXI. Le lendemain, mâĂ©tant levĂ© parfaitement sain de corps et dâesprit, je me rendis au mĂȘme bois de platanes je nây entrai quâen tremblant il mâavait Ă©tĂ© si funeste ! et jâattendis sous les arbres que Chrysis vĂźnt me conduire auprĂšs de sa maĂźtresse. AprĂšs mâĂȘtre promenĂ© quelque temps, je venais de mâasseoir au mĂȘme endroit que la veille, lorsque je la vis venir, accompagnĂ©e dâune petite vieille. â Eh bien, me dit-elle en me saluant, dĂ©goĂ»tĂ© personnage, commencez-vous Ă ĂȘtre plus vaillant ? â Ă ces mots, la vieille tire de son sein un rĂ©seau formĂ© de fils de diffĂ©rentes couleurs, lâattache autour de mon cou. Ensuite, pĂ©trissant de la poussiĂšre avec sa salive, elle prend ce mĂ©lange avec le doigt du milieu[1], et mâen signe le front malgrĂ© ma rĂ©pugnance Si lâon te compte encore au nombre des vivants,_____Mortel, conserve lâespĂ©rance Et toi, dieu des jardins et des exploits galants, O Priape ! aide-nous de toute ta puissance. AprĂšs cette invocation, la magicienne mâordonna de cracher trois fois[2], et de jeter par trois fois dans ma robe de petits cailloux constellĂ©s quâelle avait enveloppĂ©s dans des bandes de pourpre. Alors elle porta la main sur la partie malade, pour sâassurer du retour de mes forces. Jamais charme nâopĂ©ra plus promptement le coupable redressa la tĂȘte et repoussa la main de la vieille, stupĂ©faite de lâĂ©normitĂ© du prodige. TransportĂ©e de joie Ă cet aspect â Voyez, Chrysis, sâĂ©cria-t-elle, quel liĂšvre je viens de lever pour dâautres que pour moi[3] ! â La cure Ă©tait complĂšte, et lâopĂ©ratrice me remit Ă Chrysis, qui parut ravie de rendre Ă sa maĂźtresse le trĂ©sor quâelle avait perdu elle me conduisit donc en toute hĂąte auprĂšs dâelle, et mâintroduisit dans une retraite dĂ©licieuse, oĂč la nature semblait avoir dĂ©ployĂ© tous ses trĂ©sors pour charmer la vue. LĂ , du plane touffu la cime se balance[4] ; LĂ , du pin dans les airs le front lĂ©ger sâĂ©lance ; LĂ , le cyprĂšs tremblant, dĂ©fiant les hivers, Au laurier balsamique unit ses rameaux verts ; LĂ , sur un sable dâor, sous des bosquets errante, Gazouille, en se jouant, une onde blanchissante. PhilomĂšle et PrognĂ© chĂ©rissent ce sĂ©jour, OĂč le parfum des fleurs se mĂȘle aux chants dâamour. Je trouvai CircĂ© couchĂ©e sur un lit dâor, oĂč sâappuyait son cou dâalbĂątre ; sa main agitait un rameau de myrte fleuri. En me voyant, elle rougit un peu, sans doute au souvenir de lâaffront de la veille ; mais, lorsquâelle eut fait retirer toutes ses femmes, et, quâobĂ©issant Ă son invitation, je me fus assis auprĂšs dâelle, elle me mit devant les yeux la branche quâelle tenait Ă la main ; et, comme rassurĂ©e par ce rempart qui nous sĂ©parait â Eh bien, paralytique, me dit-elle, venez-vous aujourdâhui tout entier ? â Pourquoi cette question, lui rĂ©pondis-je, quand la preuve est sous votre main ? â Ă ces mots, je me prĂ©cipite dans ses bras, et, ne trouvant aucune rĂ©sistance, je me rassasie Ă mon aise des baisers les plus enivrants. CHAPITRE CXXXII. La vue de tant de charmes mâexcitait Ă de plus doux plaisirs. DĂ©jĂ du choc de nos lĂšvres sâĂ©chappaient mille baisers sonores ; dĂ©jĂ nos mains entrelacĂ©es avaient interrogĂ© tous les organes du plaisir ; dĂ©jĂ nos corps, unis par les plus douces Ă©treintes, allaient rĂ©aliser la fusion complĂšte de nos Ăąmes, quand tout Ă coup, au milieu de ces dĂ©licieux prĂ©ludes de la jouissance, les forces mâabandonnent de nouveau ; et je ne puis atteindre au ternie du plaisir. ExaspĂ©rĂ©e dâun affront dĂ©sormais sans excuse, CircĂ© ne songe plus quâĂ se venger elle appelle ses valets de chambre, et leur ordonne de me fustiger[1]. Mais bientĂŽt ce chĂątiment lui paraĂźt trop doux ; elle rassemble toutes ses servantes, et jusquâĂ la valetaille chargĂ©e des plus vils emplois, et me livre aux insultes de cette canaille. Je me bornais, pour toute dĂ©fense, Ă mettre mes mains devant mes yeux ; et, sans recourir aux priĂšres, car je sentais que jâavais mĂ©ritĂ© un pareil traitement, je me laissai jeter Ă la porte rouĂ© de coups et couvert de crachats. La vieille ProsĂ©lĂ©nos fut aussi chassĂ©e de la maison, et Chrysis fut battue. Tous les domestiques affligĂ©s se demandaient Ă lâoreille quelle Ă©tait la cause de la mauvaise humeur de leur maĂźtresse. Je rentrai chez moi le corps couvert de contusions et la peau plus bigarrĂ©e que celle dâune panthĂšre. Je me hĂątai de dĂ©guiser adroitement les marques des coups que jâavais reçus, de peur dâexciter, par ma triste aventure, les railleries dâEumolpe, et de causer des chagrins Ă Giton. Jâeus donc recours au seul expĂ©dient qui pĂ»t sauver ma rĂ©putation je feignis dâĂȘtre malade. EnfoncĂ© dans mon lit, je tournai toute ma fureur contre lâunique cause de tous mes maux[2]. Trois fois ma main saisit un fer Ă deux tranchants ; Trois fois le fer Ă©chappe Ă ma main dĂ©faillante Tel quâun roseau, pliant sur sa tige mouvante, Sâincline Vers la terre au grĂ© des moindres vents ; Tel, et plus humble encor, lâauteur de ma disgrĂące. Le front baissĂ©, plus froid que la plus froide glace, Se dĂ©robant aux coups de lâhomicide acier, Va jusque dans mon sein se cacher tout entier. Ne pouvant le saisir dans ce dernier asile, Jâexhale en vains discours ma colĂšre stĂ©rile. AppuyĂ© sur le coude, jâapostrophai en ces mots lâinvisible contumax Eh bien ! que diras-tu, opprobre de la nature ! car ce serait folie de te nommer parmi les choses sĂ©rieuses. Parle, que tâai-je fait pour me prĂ©cipiter au fond des enfers, quand je touchais Ă lâOlympe ? que tâai-je fait pour flĂ©trir les fleurs brillantes de mon printemps sous les glaces de la vieillesse la plus dĂ©crĂ©pite ? Quâattends-tu donc pour me donner mon congĂ©[3] ? Ainsi sâexhalait mon courroux Mais insensible, hĂ©las ! Ă ma douleur amĂšre, Le malheureux sâobstine Ă regarder la terre. Ainsi penche, accablĂ© du poids de la chaleur, Le pavot languissant ou le saule pleureur. DĂšs que je pus rĂ©flĂ©chir sur lâindĂ©cence de cette invective, je me repentis de lâavoir faite, et jâĂ©prouvai une secrĂšte confusion dâavoir oubliĂ© les lois de la pudeur, au point de mâentretenir avec cette partie de mon corps Ă laquelle les hommes qui se respectent nâosent pas mĂȘme penser. Je me frottai longtemps le front avec dĂ©pit â AprĂšs tout, mâĂ©criai-je, quel mal ai-je fait en soulageant ma douleur par des reproches si naturels ? Ne fait-on pas tous les jours des imprĂ©cations contre toutes les autres parties du corps humain, contre son ventre, sa bouche, sa tĂȘte, lorsquâils vous causent de frĂ©quentes douleurs ? Le sage Ulysse lui-mĂȘme nâa-t-il pas un dĂ©mĂȘlĂ© avec son cĆur ? Et les hĂ©ros de tragĂ©dies ne gourmandent-ils pas leurs yeux, comme sâils pouvaient entendre leurs reproches ? Le goutteux peste contre ses pieds ou ses mains, le chassieux contre ses yeux ; et, lorsque nous nous blessons aux doigts de la main, nous nous en prenons Ă nos pieds, en les frappant contre terre. Froids Catons ! dĂ©ridez votre front magistral ; Le plaisir, dans mon livre, il la raison sâallie Dâun discours sĂ©rieux la tristesse mâennuie. Jâai peint les mĆurs du peuple ; et mon original_____Dut respirer dans ma copie. Qui ne connaĂźt lâamour et ses transports charmants ? Qui, dans un lit bien chaud, ne chĂ©rit la paresse ? Croyons-en Ăpicure et sa haute sagesse, Quand il nous peint les dieux livrĂ©s il nos penchants,_____Et, comme nous, bercĂ©s par la mollesse. Rien nâest plus absurde que de sots prĂ©jugĂ©s, rien nâest plus ridicule quâune sĂ©vĂ©ritĂ© hypocrite. CHAPITRE CXXXIII. AprĂšs ces rĂ©flexions, jâappelai Giton, et je lui dis â Raconte-moi, mon ami, mais bien franchement, quelle fut Ă ton Ă©gard la conduite dâAscylte, dans cette nuit oĂč il te ravit Ă mon amour. Nâa-t-il point poussĂ© lâoutrage jusquâaux derniers excĂšs, ou sâest-il bornĂ© Ă passer chastement la nuit dans une continence absolue ? â Lâaimable enfant, portant la main Ă ses yeux, jura en termes formels quâAscylte ne lui avait fait aucune violence. JâĂ©tais si accablĂ© des Ă©vĂ©nements de la journĂ©e, que je nâavais pas la tĂȘte Ă moi, et que je ne savais ce que je disais. Ă quel propos, par exemple, allais-je chercher dans le passĂ© de nouveaux sujets dâaffliction ? Enfin, devenu plus raisonnable, je ne nĂ©gligeai rien pour rĂ©tablir mes forces. Je voulus mĂȘme me vouer aux dieux je sortis, en effet, pour aller invoquer Priape ; et, Ă tout Ă©vĂ©nement, feignant sur mon visage un espoir que je nâavais guĂšre, je mâagenouillai sur le seuil de son temple, et lui adressai cette priĂšre Fils de Bacchus et de VĂ©nus la belle, FolĂątre dieu des jardins et des bois, Si MitylĂšne Ă ton culte est fidĂšle, Et si le Tmole, oĂč lâaurore Ă©tincelle, TâĂ©lĂšve un temple et reconnaĂźt tes lois, Priape ! entends ma dĂ©vote priĂšre ! Je ne viens point, souillĂ© du sang dâun pĂšre, Ou des autels sacrilĂšge agresseur, Tâoffrir lâaspect dâun front profanateur. PrĂšs dâimmoler mon heureuse victime, Tout mon courage Ă lâinstant sâest glacĂ©, Et dans mes mains le poignard Ă©moussĂ© Ne consomma que la moitiĂ© du crime. Je fus coupable, hĂ©las ! bien malgrĂ© moi ! Si jâai pĂ©chĂ©, câĂ©tait par impuissance. Accorde-moi, pour rĂ©parer lâoffense, Ces dons heureux quâon voit briller en toi. Ah ! du plaisir si lâheure mâest rendue, Je veux quâun bouc, lâorgueil de mon troupeau, En ton honneur tombe sous le couteau. La coupe en main, aux pieds de ta statue, Je veux trois fois rĂ©pandre un vin nouveau ; Et cependant une aimable jeunesse, Ivre de joie, et de vin, et dâamour, Dans les transports dâune vive allĂ©gresse, De tes autels fera trois fois le tour. Tandis que je faisais cette invocation, sans quitter de lâĆil la partie dĂ©funte, entra la vieille ProsĂ©lĂ©nos, les cheveux en dĂ©sordre, et vĂȘtue dâune robe noire qui la rendait hideuse. Elle me prit par le bras et mâentraĂźna, tout tremblant, hors du portique. CHAPITRE CXXXIV. Quels vampires, me dit-elle, ont rongĂ© tes nerfs ? aurais-tu, en passant lĂ nuit dans un carrefour, mis le pied sur quelque ordure[1] ou sur un cadavre[2] ? Je sais que tu nâas pas pu en venir Ă ton honneur, mĂȘme avec Giton ; et que mou, languissant, haletant comme un vieux cheval sur le penchant dâun coteau, tu tâes Ă©puisĂ© en efforts inutiles. Que dis-je ? non content de te rendre coupable, tu as attirĂ© sur moi la colĂšre des dieux ; et tu crois que je nâen tirerai pas vengeance ! â LĂ -dessus elle mâentraĂźne dans la cellule de la prĂȘtresse, sans que jâoppose aucune rĂ©sistance, me pousse sur le lit, prend un bĂąton derriĂšre la porte, et mâen frappe Ă tour de bras. Je nâosais pas profĂ©rer une seule parole, et, si le bĂąton, en se rompant au premier coup, nâeĂ»t ralenti lâĂ©lan de sa fureur, elle mâaurait, je crois, brisĂ© les bras et la tĂȘte. Je ne pus cependant retenir mes gĂ©missements, lorsque sa main dĂ©charnĂ©e voulut rĂ©veiller en moi la nature engourdie ; versant alors un torrent de larmes, je me renversai sur lâoreiller, et je cachai ma tĂȘte sous mon bras droit. La vieille, de son cĂŽtĂ©, sâassit sur le pied du lit, et se mit Ă pleurer Ă chaudes larmes, accusant dâune voix tremblante le destin de prolonger son inutile existence. AttirĂ©e par nos cris, survint la prĂȘtresse â Que venez-vous faire ici ? nous dit-elle ; croyez-vous ĂȘtre ici devant un bĂ»cher ? et cela dans un jour de fĂȘte, oĂč les plus affligĂ©s doivent sâĂ©gayer ! â O ĆnothĂ©e ! lui rĂ©pondit la vieille, ce jeune homme que vous voyez est nĂ© sous un mauvaise Ă©toile ni filles ni garçons ne peuvent tirer parti de sa marchandise. Jamais vieillard plus impotent ne sâoffrit Ă vos yeux. Ce nâest pas un homme, câest un morceau de cuir dĂ©trempĂ© dans lâeau[3]. En un mot, que pensez-vous dâun galant qui sort du lit de CircĂ© sans avoir pu goĂ»ter aucun plaisir ? â Ă ces mots, ĆnothĂ©e vint sâasseoir entre nous deux, et, branlant la tĂȘte dâun air capable â Il nây a que moi, dit-elle qui sache guĂ©rir ces sortes dâinfirmitĂ©s. Et ne croyez pas que je me vante mal Ă propos que ce jeune homme couche seulement une nuit avec moi, et je vous le rends plus dur quâune corne. Lâunivers mâobĂ©it. Je parle, et la nature Se couvre dâun long deuil, ou revĂȘt sa parure ; Neptune me soumet ses flots humiliĂ©s ; Le tigre sâadoucit ; des flancs dâun roc aride_____Jaillit une source limpide ; LâAquilon vole et gronde, ou sâendort Ă mes pieds. Dans lâombre de la nuit, par mes charmes vaincue, De son trĂŽne sanglant la Lune est descendue[4] ; La terre, en gouffre ouverte, a frĂ©mi de terreur, Et le char du Soleil a reculĂ© dâhorreur. QuâĂ la voix de MĂ©dĂ©e un dragon sâassoupisse, Et retienne les feux que soufflaient ses naseaux ; Quâen vil troupeau CircĂ© change les Grecs dâUlysse ; Que ProtĂ©e, Ă son aide appelant lâartifice, Se transforme Ă nos yeux en cent monstres nouveaux, Moi, jâĂ©tends sur les monts lâeau des mers dessĂ©chĂ©es,_____Et, du sol natal arrachĂ©es, Les forĂȘts verdiront oĂč voguaient les vaisseaux. CHAPITRE CXXXV. Je frĂ©missais dâhorreur au rĂ©cit de tant de merveilles, et je regardais de tous mes yeux la vieille prĂȘtresse, lorsquâelle sâĂ©cria â PrĂ©parez-vous Ă mâobĂ©ir ! â Elle dit ; et, se lavant les mains avec le plus grand soin, elle se penche sur le lit et mâapplique deux gros baisers. Ensuite, elle pose une vieille table au milieu de lâautel, et la couvre de charbons ardents. Une Ă©cuelle de bois, toute fendue par le temps, pendait Ă la muraille elle lâen dĂ©tache ; mais le clou qui la supportait lui reste dans la main elle raccommode lâĂ©cuelle avec de la poix tiĂ©die, et renfonce le clou dans la muraille enfumĂ©e. Puis, ceignant ses reins dâune espĂšce de tablier carrĂ©, elle place sur le feu un grand coquemar, et dĂ©croche avec une fourche un sac suspendu dans son garde-manger, et qui, outre des fĂšves pour son usage personnel, contenait un vieux reste de bajoue de porc percĂ© de tous cĂŽtĂ©s. Elle dĂ©lie ce sac, et rĂ©pand sur la table une partie des fĂšves, quâelle mâordonne dâĂ©plucher prompte-ment. JâobĂ©is, et je mets soigneusement Ă part toutes celles dont la cosse est moisie. Mais ĆnothĂ©e, impatiente de ma len-teur, sâempare des fĂšves que jâavais mises au rebut, et, avec ses dents, les dĂ©pouille adroitement de leurs enveloppes quâelle crache sur le plancher, drues comme mouches. La pauvretĂ© est la mĂšre de lâindustrie, et lâinvention de plusieurs arts doit son origine Ă la faim. La prĂȘtresse Ă©tait un admirable modĂšle de tempĂ©rance, et tout chez elle respirait la plus stricte Ă©conomie sa demeure, en un mot, Ă©tait le vĂ©ritable sanctuaire de lâindigence. LĂ , Lâivoire incrustĂ© dâor nâĂ©blouit point la vue ; Le pied ne foule point le marbre de Paros LâhĂŽtesse de ces lieux a pour lit de repos____Un amas de paille battue, Que sa main Ă©tendit sur un grabat dâ paniers, des pots de quelques vieux tessons de verre Encor tachĂ©s de vin, forment son torchis de chaume et dâargile Recouvre les parois de ce champĂȘtre asile, Dont le comble est tressĂ© de joncs et de roseaux. Dans le taudis fumeux on voit, aux soliveaux,____Pendre en festons le thym, la sarriette,____Les raisins secs, les cormes dĂ©jĂ mĂ»rs. Telle fut, HĂ©calĂšs, ta paisible retraite,____Qui jadis, dans ses humbles murs, Reçut le grand ThĂ©sĂ©e ; HĂ©calĂšs, dont lâhistoire____CĂ©lĂ©bra lâhospitalitĂ©,____Et dont le nom, couvert de gloire, Fut transmis par la muse Ă la postĂ©ritĂ©[1]. CHAPITRE CXXXVI. ĆnothĂ©e, ayant achevĂ© dâĂ©plucher les fĂšves, se met Ă ronger un peu de la chair du crĂąne de porc ; puis, voulant replacer avec sa fourche, dans le garde-manger, cette tĂȘte aussi vieille et aussi dĂ©charnĂ©e que la sienne, elle monte, pour y atteindre, sur une chaise vermoulue qui se brise la vieille, entraĂźnĂ©e par son poids, tombe sur le foyer, casse le haut du coquemar, et Ă©teint le feu qui commençait Ă se rallumer. Elle se brĂ»la mĂȘme le coude Ă un tison ardent, et se couvrit le visage dâun nuage de cendre chaude. EffrayĂ©, je me lĂšve, et je la remets sur ses jambes, non, toutefois, sans rire de sa chute. Mais, craignant que le sacrifice ne fĂ»t retardĂ© par cet accident, elle courut aussitĂŽt chercher du feu chez une voisine. Elle venait de sortir, quand trois oies sacrĂ©es, qui, sans doute, recevaient au milieu du jour leur nourriture des mains de la vieille, sâĂ©lancent sur moi, et mâentourent en poussant des cris affreux, des cris de rage qui me font trembler lâune dĂ©chire ma robe ; lâautre dĂ©noue les cordons de mes sandales ; une troisiĂšme, qui semblait ĂȘtre leur chef et leur donnait lâexemple de la voracitĂ©, pousse lâaudace jusquâĂ me mordre la jambe de son bec aussi dur que des tenailles. Sans mâamuser Ă la bagatelle, jâarrache un des pieds de la table, et, armĂ© de cette massue, je mâescrime de mon mieux contre la belliqueuse volatile je nây allais pas de main morte, et, dâun coup bien assĂ©nĂ©, jâĂ©tendis mort Ă mes pieds mon fĂ©roce agresseur. Tel le Stymphale a vu, dâun vol rapide[1],____Ses oiseaux regagner les du vaillant Alcide____Le stratagĂšme ingĂ©nieux ; Des sĆurs de CĂ©lĂ©no telle la troupe avide,____Du venin de son souffle infect,____Souillait le banquet de PhinĂ©e, Quand CalaĂŻs parut. . . . Ă son aspect, Les trois monstres ont fui la table empoisonnĂ©e Lâair retentit au loin de leurs longs hurlements, Et lâOlympe en trembla jusquâen ses fondements. Les deux oies, qui avaient survĂ©cu au combat, avalĂšrent toutes les fĂšves rĂ©pandues sur le plancher ; et la mort de leur chef fut sans doute le motif qui les dĂ©cida Ă se retirer dans le temple. Pour moi, ravi tout Ă la fois de ma victoire et du butin quâelle me procurait, je jette lâoie morte derriĂšre le lit, et jâĂ©tuve avec du vinaigre la blessure lĂ©gĂšre quâelle mâa faite Ă la jambe. Puis, craignant les reproches de la vieille, je forme le projet de me sauver. En consĂ©quence, je ramasse mes hardes, et je me dirige vers lâa porte. Ă peine jâen touchais le seuil, quand jâaperçois ĆnothĂ©e qui revenait au logis portant du feu sur un vieux tesson. Je battis donc en retraite, et, quittant mon manteau, je me mis sur la porte dans lâattitude dâun homme qui attend avec impatience. La prĂȘtresse pose son feu sur un tas de roseaux secs, y ajoute plusieurs morceaux de bois, et, tout en rallumant son foyer, sâexcuse dâavoir tardĂ© si longtemps son amie, disait-elle, nâavait pas voulu la laisser partir avant dâavoir bu, comme de coutume, une triple rasade[2] â Et vous, ajouta-t-elle, quâavez-vous fait pendant mon absence ? oĂč sont les fĂšves ? â Moi, qui croyais avoir fait la plus belle chose du monde, je lui racontai tous les dĂ©tails du combat ; et, pour la consoler de la perte de son oie, je lui offris de lui en acheter une autre. Ă la vue de la victime, la vieille poussa des cris si Ă©pouvantables, quâon eĂ»t cru que les trois oies rentraient dans la chambre. Ătourdi de ce vacarme, et ne comprenant rien Ă ce crime dâun nouveau genre, je demandai Ă la vieille quelle Ă©tait la cause de son emportement, et pourquoi elle tĂ©moignait plus de chagrin de la perte de son oie que de ma blessure. CHAPITRE CXXXVII. Mais, faisant craquer ses mains â ScĂ©lĂ©rat, sâĂ©cria-t-elle, tu oses encore parler ! Ignores-tu donc lâĂ©normitĂ© du crime que tu viens de commettre ? tu viens de tuer le favori de Priape, une oie dont toutes nos dames raffolaient[1] ! Et ne crois pas que ta faute soit une bagatelle si les magistrats en Ă©taient instruits, ils tâenverraient au gibet. Par lâeffusion de ce sang, tu as profanĂ© ma demeure, pure, jusquâĂ ce jour, de toute souillure. Sais-tu Ă quoi tu mâexposes par ce sacrilĂšge ? quâun ennemi me dĂ©nonce, et me voila chassĂ©e du sacerdoce. â Elle dit ____Et de son front, blanchi par lâĂąge, Furieuse, elle arrache un reste de cheveux, De ses ongles crochus se meurtrit le visage ; Et deux ruisseaux de pleurs sâĂ©chappent de ses yeux. Tel, quand le tiĂšde Auster, au sommet des montagnes, Dissout la froide neige, un torrent orageux Roule son onde impure Ă travers les campagnes ____Ainsi les larmes Ă grands flots____Inondaient sa face ridĂ©e ;____Et sa poitrine soulevĂ©e____Exhalait de bruyants sanglots. ModĂ©rez vos cris, lui dis-je alors, et, pour une oie, je vous rendrai une autruche. â Tandis que je restais immobile de stupeur, la vieille, assise sur son lit, continuait Ă gĂ©mir sur la mort de son oie. ProsĂ©lĂ©nos survint, apportant lâargent nĂ©cessaire pour les frais du sacrifice. Elle sâinforma dâabord de la cause de notre tristesse ; mais, dĂšs quâelle aperçut lâoie que jâavais tuĂ©e, elle se mit Ă pleurer plus fort que la prĂȘtresse, et Ă sâapitoyer sur mon sort, comme si jâeusse tuĂ© mon pĂšre, et non une oie nourrie aux dĂ©pens du public. ExcĂ©dĂ© de ces ennuyeuses lamentations â De grĂące, leur dis-je, quand bien mĂȘme je vous aurais battues, quand bien mĂȘme jâaurais commis un homicide, ne pourrais-je pas expier mon crime Ă prix dâargent ? Eh bien, voici deux piĂšces dâor avec lesquelles vous pourrez acheter et des oies et des dieux. â A la vue de ce mĂ©tal â Pardonnez-moi, mon enfant, me dit ĆnothĂ©e ; je nâĂ©tais inquiĂšte que pour vous ; ne voyez dans tout ceci quâune preuve de lâintĂ©rĂȘt que je vous porte, et non lâintention de vous nuire. Je vais donc faire en sorte que cette affaire ne sâĂ©bruite pas. Pour vous, priez seulement les dieux quâils vous pardonnent. â Le riche ne craint point les fureurs de Neptune ; Il dirige Ă son grĂ© lâinconstante fortune. Si DanaĂ©, captive, est lâobjet de ses feux, Quâil fasse briller lâor soudain verrous et grille Tomberont devant lui ; complaisant de sa fille, Acrisius, alors, saura fermer les yeux. Il est tout ce quâil veut, dĂ©clamateur, poĂ«te, Philosophe, avocat ; enfin, Caton nouveau, Il dĂ©cide de tout, au sĂ©nat, au barreau[2]. Câest beaucoup ! dira-t-on. Non, chez nous tout sâachĂšte. Quiconque a des Ă©cus, tout sourit Ă ses vĆux ; Et le sceptre puissant du souverain des dieux, Câest, croyez-mâen, la clef dâune cassette. ĆnothĂ©e cependant dispose Ă la hĂąte les apprĂȘts du sacrifice elle place sous mes mains une gamelle pleine de vin, y trempe des poireaux et du persil, me fait Ă©tendre les doigts, et les arrose de cette liqueur en guise dâeau lustrale. Ensuite, elle plonge dans le vin des avelines, en prononçant des paroles magiques ; et, selon quâelles restent au fond du vase ou remontent Ă sa surface, elle en tire des pronostics. Mais je nâĂ©tais pas dupe de sa ruse je savais bien que celles qui Ă©taient vides et sans amandes surnageaient, tandis que celles qui Ă©taient pleines et dont le fruit Ă©tait intact retombaient au fond par leur propre poids. Alors, sâapprochant de lâoie, elle lâouvrit, et en tira le foie qui Ă©tait parfaitement sain[3] elle sâen servit pour me prĂ©dire mes destinĂ©es futures. Enfin, pour dĂ©truire jusquâau moindre vestige de mon crime, elle coupa lâoie en morceaux, et les mit Ă la broche pour en faire, disait-elle, un splendide rĂ©gal Ă celui que, lâinstant dâavant, elle vouait Ă la mort. Cependant, mes deux vieilles buvaient Ă qui mieux mieux, et, joyeuses, dĂ©voraient Ă belles dents cette oie, naguĂšre la cause de tant de chagrins. Lorsquâil nâen resta plus rien, ĆnothĂ©e, Ă moitiĂ© ivre, se tourna vers moi, et me dit â Il faut maintenant achever les mystĂšres qui doivent rendre Ă vos nerfs toute leur vigueur. CHAPITRE CXXXVIII. Ă ces mots, elle apporte un phallus de cuir, le saupoudre de poivre et de graine dâortie pilĂ©e, dĂ©trempĂ©s dâhuile, et me lâintroduit par degrĂ©s dans lâanus. Puis, lâimpitoyable vieille me bassine les cuisses de cette liqueur stimulante. MĂȘlant ensuite du cresson avec de lâaurone, elle mâen couvre la partie malade, et, saisissant une poignĂ©e dâorties vertes, mâen fouette Ă petits coups le bas-ventre. Cette opĂ©ration me causait de cuisantes douleurs pour mây soustraire, je prends la fuite. Furieuses, les vieilles courent Ă ma poursuite, et, bien quâĂ©tourdies par le vin et la dĂ©bauche, elles prennent la mĂȘme route que moi, et me suivent quelque temps dans les rues en criant â Au voleur ! arrĂȘtez le voleur ! â Je parvins cependant Ă leur Ă©chapper ; mais une course si rapide mâavait mis les pieds tout en sang. DĂšs que je pus regagner mon logis, Ă©puisĂ© de fatigue, je me jetai sur mon lit, mais je nây pus trouver le sommeil. Tous les maux qui mâavaient accablĂ© me revenaient Ă lâesprit ; et, me figurant que jamais existence nâavait Ă©tĂ© plus traversĂ©e que la mienne par les revers La Fortune, disais-je, ma constante ennemie, avait-elle besoin de sâunir Ă lâAmour pour augmenter mes tourments ? Malheureux que je suis ! ces deux divinitĂ©s, liguĂ©es contre moi, ont conjurĂ© ma perte. LâAmour surtout, lâimpitoyable Amour, ne mâa jamais Ă©pargnĂ© amant ou aimĂ©, je suis Ă©galement en butte Ă ses rigueurs. Et maintenant ne voilĂ -t-il pas que Chrysis mâaime Ă la fureur, et me poursuit en tous lieux ! cette Chrysis, qui naguĂšre fut auprĂšs de moi lâentremetteuse de sa maĂźtresse, et qui alors me dĂ©daignait comme un esclave, parce que jâen portais lâhabit ; oui, cette mĂȘme Chrysis qui avait tant dâĂ©loignement pour ma condition servile, veut maintenant me suivre au pĂ©ril de sa vie ; elle vient de me jurer, en me dĂ©voilant la violence de sa passion, quâelle sâattachait Ă moi comme mon ombre. Mais, elle a beau faire, je suis tout entier Ă CircĂ©, et je mĂ©prise toutes les autres femmes. Et nâest-elle pas, en effet, le chef-dâĆuvre de la nature ? Ariadne ou LĂ©da eurent-elles jamais rien de comparable Ă tant de charmes ? HĂ©lĂšne et VĂ©nus elle-mĂȘme peuvent-elles lui ĂȘtre comparĂ©es ? Paris, juge du diffĂ©rend des trois dĂ©esses[1], sâil lâeĂ»t vue paraĂźtre auprĂšs dâelles avec des yeux si resplendissants, lui eĂ»t sacrifiĂ© et son HĂ©lĂšne et les trois dĂ©esses. Oh ! que ne mâest-il permis du moins de lui ravir un baiser, de serrer dans mes bras ces formes cĂ©lestes et ravissantes ! Peut-ĂȘtre alors je retrouverais toute ma vigueur, et mes organes, assoupis sans doute par quelque malĂ©fice, se relĂšveraient brillants de force et de santĂ©. Ses outrages ne peuvent me rebuter ; je ne me souviens plus des coups que jâai reçus[2] elle mâa chassĂ© ; ce nâest quâun jeu. Que je puisse seulement mĂ©riter ma grĂące ! CHAPITRE CXXXIX. Ces rĂ©flexions, jointes aux appas de CircĂ© dont je jouissais en idĂ©e, avaient tellement Ă©chauffĂ© mon imagination, que je foulais mon lit avec fureur, comme si jâeusse tenu dans mes bras lâobjet de mes dĂ©sirs ; mais tous ces mouvements furent encore sans effet. Cet acharnement du sort mit enfin ma patience Ă bout, et je me livrai aux plus violents reproches contre le malin gĂ©nie qui sans doute mâavait ensorcelĂ©. Enfin, mon esprit se calma ; et, cherchant alors des motifs de consolation parmi les hĂ©ros de lâantiquitĂ©, qui, comme moi, avaient Ă©tĂ© en butte au courroux des dieux, je mâĂ©criai Je ne suis pas le seul quâun destin implacable De ses coups redoublĂ©s sans cesse opprime, accable. Avant moi, de Junon lâordre capricieux Força le grand Alcide Ă supporter les cieux ; Victime, comme lui, de la dĂ©esse altiĂšre, PĂ©lias Ă©prouva le poids de sa colĂšre ; Le vieux LaomĂ©don, vaincu dans les combats, Pour prix de son parjure, y trouve le trĂ©pas ; Et TĂ©lĂšphe, innocent du crime quâil expie[1], De deux divinitĂ©s assouvit la furie. PrĂšs dâatteindre le bord qui sans cesse le fuit, Ulysse, sur les mers, cherche en vain son Ithaque ; Moi, jouet de VĂ©nus et du dieu de Lampsaque, Partout leur bras vengeur sur moi sâappesantit. TorturĂ© dâinquiĂ©tudes, je passai toute la nuit dans cette agitation. Au point du jour, Giton, informĂ© que jâavais couchĂ© au logis, entra dans ma chambre, et se plaignit amĂšrement de mon libertinage. Ă lâentendre, il nâĂ©tait bruit dans toute la maison que du scandale de ma conduite. On ne me voyait, disait-il, que trĂšs-rarement Ă lâheure du service, et ce commerce clandestin finirait probablement par me porter malheur. Ces reproches me prouvĂšrent quâil Ă©tait instruit de mes affaires, et que quelquâun sans doute Ă©tait venu sâenquĂ©rir de moi pendant mon absence. Pour mâen assurer, je mâinformai de Giton si personne ne mâavait demandĂ© â Non, pas aujourdâhui, rĂ©pondit-il ; mais hier, une femme dâassez bonne mine est entrĂ©e chez nous aprĂšs sâĂȘtre entretenue longtemps avec moi et mâavoir fatiguĂ© de ses questions, elle finit par me dire que vous aviez mĂ©ritĂ© dâĂȘtre puni, et que vous subiriez le chĂątiment des esclaves, si la partie lĂ©sĂ©e persĂ©vĂ©rait dans sa plainte. â Cette nouvelle me mit au dĂ©sespoir, et je me rĂ©pandis de nouveau en imprĂ©cations contre la Fortune. Je nâĂ©tais pas au bout de mes invectives, lorsque Chrysis entra, et, me serrant dans ses bras avec la plus tendre effusion â Enfin je te tiens[2], me dit-elle ; je te trouve dans lâĂ©tat oĂč je te voulais ! PolyĂŠnos, mon Ăąme ! mon bonheur ! tu ne pourras Ă©teindre le feu qui me dĂ©vore quâavec le plus pur de ton sang. â Lâemportement de Chrysis me mettait dans le plus grand embarras ; et jâeus recours, pour lâĂ©loigner, aux plus douces protestations car je craignais que le bruit que faisait cette folle ne vĂźnt aux oreilles dâEumolpe, qui, depuis sa prospĂ©ritĂ©, nous traitait avec lâorgueil dâun maĂźtre. Je mis donc tous mes soins Ă calmer les transports de Chrysis je feignis de rĂ©pondre Ă son amour ; je lui tins les plus tendres propos ; enfin, je dissimulai si bien, quâelle me crut sĂ©rieusement Ă©pris de ses charmes. Alors je lui reprĂ©sentai les dangers auxquels nous serions exposĂ©s tous deux, si on la surprenait dans ma chambre ; je lui peignis Eumolpe comme un maĂźtre qui punissait avec rigueur la moindre peccadille. Ă ces mots, elle sâempressa de partir, et dâautant plus vite, quâelle vit revenir Giton, qui Ă©tait sorti de ma chambre un moment avant son arrivĂ©e. Elle venait de me quitter, lorsquâun des nouveaux valets dâEumolpe accourut, et mâapprit que son maĂźtre Ă©tait furieux de ce que je nâavais pas fait mon service depuis deux jours, ajoutant que je ferais sagement de prĂ©parer quelque excuse plausible pour me justifier car, disait-il, il est fort douteux que sa colĂšre se calme avant de vous avoir fait donner la bastonnade. Giton me trouva si triste, si consternĂ© de cette menace, quâil ne me dit pas un mot de Chrysis, et ne me parla que dâEumolpe il me conseilla de ne pas prendre avec lui lâaffaire au sĂ©rieux, mais de la tourner en plaisanterie. Je profitai de son avis, et jâabordai le patron avec un visage si riant, que son accueil, loin dâĂȘtre sĂ©vĂšre, fut on ne peut plus gai. Il me plaisanta sur mes bonnes fortunes, me fit des compliments sur ma bonne mine et sur ma tournure, dont toutes les dames raffolaient â Je nâignore pas, ajouta-t-il, quâune de nos beautĂ©s se meurt dâamour pour toi, mon cher Encolpe cela peut un jour nous ĂȘtre utile en temps et lieu. Courage ! joue bien ton rĂŽle dâamoureux ; de mon cĂŽtĂ©, je soutiendrai le mien jusquâau bout. CHAPITRE CXL. Il parlait encore, quand nous vĂźmes entrer une dame des plus respectables PhilumĂšne Ă©tait son nom. Dans sa jeunesse, elle avait spĂ©culĂ© sur ses charmes pour extorquer plusieurs successions[1] ; mais alors, vieille et fanĂ©e, elle introduisait son fils et sa fille auprĂšs des vieillards sans hĂ©ritiers, et, se succĂ©dant ainsi Ă elle-mĂȘme, elle continuait Ă exercer son honnĂȘte commerce. Elle vint donc trouver Eumolpe, et recommanda Ă sa prudâhomie et Ă sa bontĂ© ces enfants, son unique espĂ©rance. Ă lâentendre, Eumolpe Ă©tait lâhomme du monde le plus capable de donner sans cesse de sages instructions Ă la jeunesse. Elle finit en disant quâelle laissait ses enfants dans la maison dâEumolpe, pour quâils Ă©coutassent ses leçons, ajoutant que câĂ©tait le plus bel hĂ©ritage quâelle pĂ»t leur lĂ©guer. Ce qui fut dit fut fait elle laissa dans la chambre une fort belle fille et un jeune adolescent, son frĂšre, et sortit sous prĂ©texte dâaller au temple faire des vĆux pour son bienfaiteur. Eumolpe, si peu dĂ©licat sur cet article, que, malgrĂ© mon Ăąge, il eĂ»t fait de moi son mignon, ne perdit pas de temps, et invita la jeune fille Ă un combat amoureux. Mais, comme il sâĂ©tait donnĂ© Ă tout le monde pour un homme atteint de la goutte et dâune paralysie lombaire, il courait risque, sâil ne soutenait pas son imposture, de renverser notre plan de fond en comble. Pour ne pas se dĂ©mentir, il pria la jeune fille dâavoir la complaisance de jouer le rĂŽle de lâhomme, en se plaçant sur lui ; ensuite il ordonna Ă Corax de se glisser sous le lit oĂč il Ă©tait couchĂ©, de sâappuyer les deux mains contre terre, et de remuer son maĂźtre avec ses reins. Corax obĂ©it, et, par des secousses lentes et rĂ©guliĂšres, rĂ©pondit aux mouvements de la jeune fille. Mais, lorsque le moment de la jouissance approcha, Eumolpe cria de toutes ses forces Ă Corax de redoubler de vitesse. Ă voir le vieillard ainsi balancĂ© entre son valet et sa maĂźtresse, on eĂ»t dit quâil jouait Ă lâescarpolette. Nous Ă©clations de rire, et Eumolpe partageait notre gaĂźtĂ©, ce qui ne lâempĂȘcha pas de courir deux fois la mĂȘme carriĂšre. Quant Ă moi, ne voulant pas laisser mes facultĂ©s se rouiller, en restant tĂ©moin inactif dâun si doux jeu, jâavisai le frĂšre de cette jeune fille qui regardait avidement, Ă travers la cloison, lâexercice gymnastique de sa sĆur, et je mâapprochai de lui pour voir sâil Ă©tait disposĂ© Ă se laisser faire. En garçon bien appris, il se prĂȘta de bonne grĂące Ă toutes mes caresses ; mais un dieu jaloux sâopposait encore Ă mon bonheur. Cependant ce nouvel Ă©chec mâaffligea moins que les prĂ©cĂ©dents ; car, un instant aprĂšs, je sentis renaĂźtre ma vigueur. Fier de cette dĂ©couverte â Les dieux, mâĂ©criai-je, mâont restituĂ© toutes les puissances de mon ĂȘtre. Sans doute Mercure, qui conduit les Ăąmes au Tartare et les en ramĂšne, mâa, dans sa bontĂ©, rendu ce quâune main hostile mâavait ravi, pour vous convaincre que je suis plus heureusement partagĂ© que ProtĂ©silas ou tout autre hĂ©ros de lâantiquitĂ©[2]. â Ă ces mots, je relĂšve ma robe, et je me montre Ă Eumolpe dans toute ma gloire. Il en fut dâabord Ă©pouvantĂ© ; puis, pour sâassurer davantage de la rĂ©alitĂ©, il caressa de lâune et lâautre main ce prĂ©sent des dieux. Cette merveilleuse rĂ©surrection nous mit en belle humeur, et nous rĂźmes beaucoup du sage discernement[3] de PhilumĂšne, qui, dans lâespoir dâun riche hĂ©ritage, nous avait livrĂ© ses enfants, dont lâexpĂ©rience prĂ©coce dans cet honnĂȘte mĂ©tier ne devait cette fois lui ĂȘtre dâaucun profit. Cet infĂąme manĂšge pour sĂ©duire les vieillards me conduisit Ă rĂ©flĂ©chir sur notre situation prĂ©sente, et, trouvant lâoccasion propice pour en raisonner avec Eumolpe, je lui reprĂ©sentai que les trompeurs se prennent souvent dans leurs propres piĂšges â Toutes nos dĂ©marches, lui dis-je, doivent ĂȘtre rĂ©glĂ©es par la prudence. Socrate, le plus sage des mortels, au jugement des dieux et des hommes, se glorifiait souvent de nâavoir jamais jetĂ© les yeux dans une taverne, et de ne sâĂȘtre jamais hasardĂ© dans une assemblĂ©e trop nombreuse tant il est vrai que rien nâest plus utile que de consulter la sagesse en toute chose ! Cela est dâune vĂ©ritĂ© incontestable ; et ce qui ne lâest pas moins, câest quâil nây a personne qui coure plus promptement Ă sa perte que celui qui spĂ©cule sur le bien dâautrui. En effet, quels seraient les moyens dâexistence des vagabonds et des filous, sâils ne jetaient en guise dâhameçons, Ă la foule quâils veulent duper, des bourses et des sacs dâargent bien sonnants ? Les animaux se laissent amorcer par lâappĂąt de la nourriture, et les hommes par celui de lâespĂ©rance ; mais il faut pour cela quâils trouvent quelque chose Ă mordre. Ainsi les Crotoniates nous ont hĂ©bergĂ©s jusquâĂ ce jour de la maniĂšre la plus splendide. Mais on ne voit point arriver dâAfrique ce vaisseau chargĂ© dâargent et dâesclaves que vous leur aviez annoncĂ©. Les ressources de nos hĂ©ritiers sâĂ©puisent, leur libĂ©ralitĂ© se refroidit. Je me trompe fort, ou la Fortune commence Ă se lasser des faveurs dont elle nous a comblĂ©s. CHAPITRE CXLI. Jâai inventĂ©, dit Eumolpe, un expĂ©dient qui mettra dans un grand embarras ces coureurs dâhĂ©ritages. â En mĂȘme temps il tira de sa valise les tablettes oĂč Ă©taient consignĂ©es ses derniĂšres volontĂ©s, quâil nous lut en ces termes â Tous ceux qui sont couchĂ©s sur mon testament, Ă lâexception de mes affranchis, ne pourront toucher leurs legs que sous la condition expresse de couper mon corps en morceaux, et de le manger en prĂ©sence du peuple assemblĂ©. Cette clause nâa rien qui doive tant les effrayer ; car il est Ă notre connaissance quâune loi, encore en vigueur chez certains peuples, oblige les parents dâun dĂ©funt Ă manger son corps ; et cela est si vrai, que, dans ces pays, on reproche souvent aux moribonds de gĂąter leur chair par la longueur de leur maladie. Cet exemple doit engager mes amis Ă ne point se refuser Ă lâexĂ©cution de ce que jâordonne, mais Ă dĂ©vorer mon corps avec un zĂšle Ă©gal Ă celui quâils mettront Ă maudire mon Ăąme. â Tandis quâil lisait les premiers articles, quelques-uns de nos hĂ©ritiers, les plus assidus auprĂšs dâEumolpe, entrĂšrent dans la chambre, et, lui voyant son testament Ă la main, le priĂšrent instamment de leur permettre dâen entendre la lecture il y consentit aussitĂŽt, et le lut dâun bout Ă lâautre. Mais ils firent triste mine, lorsquâils entendirent la clause formelle qui les obligeait Ă manger son cadavre. Cependant la grande rĂ©putation de richesse dont jouissait Eumolpe aveuglait tellement ces misĂ©rables, et les tenait si rampants devant lui, quâils nâosĂšrent se rĂ©crier, contre cette condition inouĂŻe jusquâalors. Lâun dâeux, nommĂ© Gorgias, dĂ©clara mĂȘme quâil Ă©tait prĂȘt Ă sây soumettre, pourvu que le legs ne se fĂźt pas attendre longtemps. â Je ne doute pas, reprit Eumolpe, de la complaisance de votre estomac une heure de dĂ©goĂ»t, largement compensĂ©e par lâespoir dâune longue suite de bons repas, me rĂ©pond de sa docilitĂ© ; vous nâavez quâĂ bien fermer les yeux, et Ă vous figurer quâau lieu des entrailles dâun homme vous mangez un million de sesterces. Ajoutez Ă cela que nous trouverons quelque assaisonnement pour corriger le goĂ»t dâun pareil mets car il nây a pas de viandes qui, par elles-mĂȘmes ; excitent notre appĂ©tit ; mais la maniĂšre de les prĂ©parer les dĂ©guise si bien, que notre estomac sâen arrange. Pour prouver la vĂ©ritĂ© de cette assertion, je puis vous citer lâexemple des Sagontins, qui, assiĂ©gĂ©s par Annibal, se nourrirent de chair humaine ; et cependant ils nâavaient pas de succession Ă espĂ©rer. Les PĂ©rusiens, rĂ©duits Ă une extrĂȘme disette[1], en firent autant, sans autre but, en mangeant leurs compatriotes, que de sâempĂȘcher de mourir de faim. Lorsque Scipion prit Numance, on trouva dans cette ville des enfants Ă moitiĂ© dĂ©vorĂ©s sur le sein de leurs mĂšres. Enfin, comme le dĂ©goĂ»t quâinspire la chair humaine provient uniquement de lâimagination, vous ferez tous vos efforts pour triompher de cette rĂ©pugnance, afin de recueillir les legs immenses dont je dispose en votre faveur. â Eumolpe dĂ©bitait ces rĂ©voltantes nouveautĂ©s avec si peu dâordre et de suite, que nos hĂ©ritiers en herbe commencĂšrent Ă douter de la rĂ©alitĂ© de ses promesses. DĂšs ce moment, ils Ă©piĂšrent de plus prĂšs nos paroles et nos actions ; cet examen accrut leurs soupçons, et bientĂŽt ils furent convaincus que nous Ă©tions des vagabonds et des escrocs. Alors ceux qui sâĂ©taient mis le plus en dĂ©pense pour nous faire accueil rĂ©solurent de se saisir de nous et de nous punir selon nos mĂ©rites. Heureusement Chrysis, qui Ă©tait de toutes ces intrigues, mâavertit des intentions des Crotoniates Ă notre Ă©gard. Cette nouvelle mâeffraya tellement, que je mâenfuis sur-le-champ avec Giton, abandonnant Eumolpe Ă son mauvais destin. Ă quelques jours de lĂ , jâappris que les Crotoniates, indignĂ©s que ce vieux fourbe eĂ»t vĂ©cu si longtemps en prince Ă leurs dĂ©pens, le traitĂšrent Ă la mode de Marseille[2]. Pour comprendre ceci, vous saurez que toutes les fois que cette ville Ă©tait dĂ©solĂ©e par la peste, un de ses plus pauvres habitants se dĂ©vouait pour le salut de tous, Ă la condition dâĂȘtre nourri pendant une annĂ©e entiĂšre des mets les plus dĂ©licats aux frais du public. Ce terme expirĂ©, on lui faisait faire le tour de la ville, couronnĂ© de verveine et vĂȘtu de la robe sacrĂ©e ; on le chargeait de malĂ©dictions, pour faire retomber sur sa tĂȘte tous les maux de la ville, et, du haut dâun rocher, on le prĂ©cipitait dans la mer. ______ FRAGMENTS ATTRIBUĂS Ă T. PĂTRONE I. Ă SA MAĂTRESSE. Tes yeux Ă©tincellent de tout lâĂ©clat des astres ; lâincarnat des roses anime ton teint ; lâor est moins brillant que tes cheveux[1] ; tes lĂšvres, plus suaves que le miel, ont les vives couleurs de la pourpre, et lâazur des veines qui sillonnent ton sein en relĂšve la blancheur ; enfin, tous les attraits composent ton apanage ta taille est celle des dĂ©esses, et tes formes cĂ©lestes lâemportent sur celles de VĂ©nus. Lorsque ta blanche main et tes doigts dĂ©licats tressent la soie, ils semblent jouer avec son prĂ©cieux tissu. Ton pied mignon nâest point fait pour fouler les plus petits cailloux, et la terre se ferait un crime de le blesser ; si tu voulais marcher sur des lis[2], leur tige ne flĂ©chirait pas sous un poids si lĂ©ger. Que dâautres ornent leur cou de riches colliers, ou chargent leur tĂȘte de pierreries ; tu sais plaire par toi-mĂȘme, et sans le secours dâaucune parure. Nulle autre beautĂ© nâest parfaite dans son ensemble celui qui pourrait jouir de la vue de tous tes charmes serait forcĂ© de tout admirer en toi. Sans doute, les SirĂšnes suspendirent leurs concerts, et Thalie dĂ©posa sa lyre mĂ©lodieuse aux accents de ta voix, de ta voix dont la douceur contagieuse lance dans lâĂąme des malheureux qui tâĂ©coutent tous les traits de lâAmour. Mon cĆur, frappĂ© par toi, saigne dâune blessure profonde que lâacier mĂȘme ne peut guĂ©rir mais que tes lĂšvres calment par un baiser mes cruelles souffrances ; ce bienfaisant dictame est seul capable de dissiper les maux que jâendure. Cesse de dĂ©chirer avec tant de violence mes fibres Ă©branlĂ©es ; et je payerai de ma mort le crime de tâavoir aimĂ©e. Mais si cette faveur te paraĂźt trop grande, accorde au moins Ă ma priĂšre une derniĂšre grĂące lorsque jâaurai cessĂ© dâĂȘtre, entoure-moi de tes bras dâalbĂątre, et tu me rendras la vie. II. LâENVIE, VAUTOUR DE LâĂME. Le vautour qui dĂ©vore le foie, dĂ©chire les fibres et pĂ©nĂštre jusquâau fond des entrailles, ce nâest pas, comme le disent les poĂ«tes, le vautour de Tityus, mais lâenvie et le chagrin, ces maladies de lâĂąme. III. LâART DE PLAIRE. â Ă UNE BELLE. Ce nâest pas assez dâĂȘtre belle celle qui veut quâon la trouve aimable ne doit pas se contenter de ce qui suffit au vulgaire des femmes. Les bons mots, les fines plaisanteries, lâenjouement, la grĂące du langage, la gaietĂ© lâemportent sur les plus heureux dons de la nature. Les ressources de lâart relĂšvent encore la beautĂ© ; mais, sans le dĂ©sir de plaire, la beautĂ© perd tout son prix. IV. SUR LA CORRUPTION DES MĆURS. Nâest-ce donc pas assez quâune jeunesse furieuse nous perde et nous entraĂźne avec elle dans lâopprobre oĂč sa gloire est ensevelie[1] ? faut-il aussi que des valets, encore tachĂ©s de la lie oĂč ils sont nĂ©s, se gorgent de richesses enfouies dans lâargile ? Un vil esclave possĂšde tous les biens de lâempire ; et la loge dâun captif insulte par son luxe au temple de Jupiter et Ă lâantique demeure de Romulus. Aussi la vertu est plongĂ©e dans la fange, et le vice dĂ©ploie aux vents ses voiles triomphantes. V. LA CRAINTE, ORIGINE DES DIEUX. La crainte fut, dans lâunivers, lâorigine des dieux. Les mortels avaient vu la foudre, tombant du haut des cieux, renverser les murailles sous ses carreaux enflammĂ©s, et mettre en feu les sommets de lâAthos ; PhĂ©bus, aprĂšs avoir parcouru toute la terre, revenir vers son berceau ; la lune vieillir et dĂ©croĂźtre, puis reparaĂźtre dans toute sa splendeur dĂšs lors les images des dieux se rĂ©pandirent par toute la terre. Le changement des saisons qui divisent lâannĂ©e accrut encore la superstition le laboureur, dupe dâune erreur grossiĂšre, offrit Ă CĂ©rĂšs les prĂ©mices de sa moisson, et couronna Bacchus de grappes vermeilles PalĂšs fut dĂ©corĂ©e par la main des pasteurs ; Neptune eut pour empire toute lâĂ©tendue des mers, et Diane rĂ©clama les forĂȘts. Maintenant, celui qui est liĂ© par un vĆu, et celui mĂȘme qui a vendu lâunivers, se forgent Ă lâenvi des dieux propices Ă leurs dĂ©sirs. VI. LA VARIĂTĂ PRĂVIENT LâENNUI. Je ne voudrais pas toujours parfumer ma tĂȘte des mĂȘmes essences, ni toujours humecter mon palais du mĂȘme vin. Le taureau aime Ă changer de gazons et de pĂąturages les bĂȘtes fĂ©roces cherchent des aliments nouveaux pour aiguiser leur appĂ©tit ; et si la chaleur du soleil nous est agrĂ©able, câest que le soleil reparaĂźt chaque matin avec de nouveaux coursiers. VII. MA FEMME ET MON BIEN. On doit aimer son Ă©pouse comme un revenu lĂ©gitime ; et je ne voudrais pas ĂȘtre condamnĂ© Ă nâaimer que mon revenu. VIII. CHACUN SON GOĂT. Comment contenter tous les goĂ»ts[1] ? Le mĂȘme objet ne plaĂźt pas Ă tout le monde oĂč lâun cueille des roses, lâautre ne trouve que des Ă©pines. IX. RIEN NâEST Ă DĂDAIGNER. Il nây a rien qui ne puisse ĂȘtre utile aux mortels. Dans lâadversitĂ©, ce quâon mĂ©prisait devient prĂ©cieux. Ainsi, lorsquâun vaisseau est submergĂ©, lâor, entraĂźnĂ© par son poids, tombe au fond des eaux, et les rames lĂ©gĂšres servent de soutien aux naufragĂ©s. Lorsque le clairon sonne, le fer menace la gorge du riche ; mais le pauvre, sous ses haillons, nargue la fureur des combats. X. EXHORTATION Ă ULYSSE. Abandonne tes Ătats et vogue vers des bords Ă©trangers, jeune hĂ©ros. Une plus noble carriĂšre sâouvre devant toi. Brave tous les dangers. Visite tour Ă tour et les rives de lâIster, aux limites du monde, et les contrĂ©es glacĂ©es de BorĂ©e, et le paisible royaume de Canope, et les climats qui voient renaĂźtre PhĂ©bus, et ceux oĂč il termine sa carriĂšre. Roi dâIthaque, tu dois descendre plus grand sur ces plages lointaines. XI. LES OREILLES DE MIDAS. Les mortels tiendraient dans la bouche des charbons allumĂ©s, plutĂŽt que de garder un secret. Toutes les paroles qui vous Ă©chappent Ă la cour se rĂ©pandent aussitĂŽt, et le bruit en Ă©meut toute la ville. Mais câest peu de trahir votre confiance la perfidie dĂ©guise, exagĂšre vos paroles, et se plaĂźt Ă en grossir le scandale. Câest ainsi que ce barbier, qui craignait et qui brĂ»lait en mĂȘme temps de dĂ©couvrir ce quâon lui avait confiĂ©[1], fit un trou dans la terre, et y dĂ©posa le secret du monarque aux longues oreilles. La terre conserva fidĂšlement ses paroles, et les roseaux trouvĂšrent une voix pour chanter ce que le barbier dĂ©lateur avait racontĂ© de Midas. XII. LâILLUSION DES SENS. Nos yeux nous trompent souvent[1], et nos sens incertains nous abusent en imposant silence Ă notre raison. Cette tour, de prĂšs, se montre carrĂ©e ; vue de loin, ses angles disparaissent elle nous semble ronde. Lâhomme rassasiĂ© dĂ©daigne le miel de lâHybla, et notre odorat repousse souvent les parfums du romarin. Comment un objet pourrait-il nous plaire plus ou moins quâun autre, si la nature nâavait, Ă dessein, Ă©tabli cette lutte parmi nos sens ? XIII. LâAUTOMNE. DĂ©jĂ lâautomne avait rafraĂźchi lâombre des bois ; dĂ©jĂ PhĂ©bus dirigeait ses coursiers brĂ»lants vers sa station dâhiver ; dĂ©jĂ le platane sâenorgueillissait de son feuillage ; dĂ©jĂ la vigne, Ă©mondĂ©e du superflu de ses rameaux, se couvrait de grappes enfin, lâĆil ravi voyait se rĂ©aliser toutes les promesses de lâannĂ©e. XIV. GĂNĂRATION DIVERSE DES ANIMAUX. Câest au moment oĂč la nature dĂ©ploie ses plus riches dons, lorsque les fruits sont mĂ»rs, que le corbeau recommence sa couvĂ©e ; sitĂŽt que lâourse a mis bas ses petits, elle les façonne avec sa langue[1] ; les poissons frayent sans goĂ»ter les plaisirs de lâamour[2] ; la tortue, Ă peine sortie des entrailles de sa mĂšre, rĂ©chauffe de son haleine les organes de Lucine ; les abeilles, engendrĂ©es sans aucun accouplement, sortent Ă grand bruit de leurs alvĂ©oles, et remplissent les ruches de leurs belliqueuses phalanges. Ainsi la nature, loin de se borner Ă une marche uniforme, se plaĂźt Ă varier les moyens de reproduction. XV. LâAFFLICTION RAPPROCHE LES MALHEUREUX. Le naufragĂ© qui sâest Ă©chappĂ© nu de son vaisseau submergĂ©[1] en cherche un autre, frappĂ© du mĂȘme coup, auquel il puisse raconter son infortune. Celui dont la grĂȘle a dĂ©truit la moisson, fruit de toute une annĂ©e de labeur[2], dĂ©pose ses chagrins dans le sein dâun ami, victime du mĂȘme flĂ©au. Lâaffliction rapproche les malheureux ; les parents, privĂ©s de leurs enfants, unissent leurs gĂ©missements penchĂ©s sur la mĂȘme tombe, ils sont Ă©gaux. Et nous aussi, que les accents de notre douleur sâĂ©lĂšvent confondus vers les astres ; car on dit que, rĂ©unies, les priĂšres arrivent plus puissantes Ă lâoreille des dieux. XVI. LA NATURE NOUS DONNE LE NĂCESSAIRE. Une divinitĂ© propice a mis Ă la portĂ©e des mortels tout ce qui peut soulager leurs maux et faire cesser leurs plaintes. Les vĂ©gĂ©taux les plus communs et les mĂ»res suspendues aux buissons Ă©pineux suffisent pour apaiser la faim dâun estomac Ă jeun. Il nây a quâun sot qui puisse mourir de soif, quand un fleuve coule prĂšs de lui, ou trembler de froid, lorsquâil peut sâapprocher du foyer oĂč pĂ©tille un bois enflammĂ©. La loi, armĂ©e de son glaive, dĂ©fend le seuil redoutable de la femme mariĂ©e, et la jeune Ă©pouse goĂ»te sans crainte les douceurs dâun hymen lĂ©gitime. Ainsi la nature prodigue nous donne tout ce qui peut satisfaire nos besoins ; mais rien ne peut mettre un terme Ă lâamour effrĂ©nĂ© de la gloire. XVII. SUR LA CIRCONCISION DES JUIFS. Quoiquâil adore la divinitĂ© sous la forme dâun porc, et quâil invoque dans ses priĂšres lâanimal aux longues oreilles[1], un juif, sâil nâest pas circoncis, sâil ne sâest pas, dâune main habile, dĂ©gagĂ© le gland de son enveloppe, se verra retranchĂ© du peuple hĂ©breu, et forcĂ© de chercher un refuge dans quelque ville grecque, oĂč il sera dispensĂ© dâobserver le jeĂ»ne du sabbat. Ainsi, chez ce peuple, la seule noblesse, la seule preuve dâune condition libre, câest dâavoir eu le courage de se circoncire. XVIII. LE VRAI PLAISIR. Le plaisir de lâaccouplement est sale et de courte durĂ©e le dĂ©goĂ»t le suit aussitĂŽt. Nâallons donc pas tout dâabord nous y prĂ©cipiter en aveugles, comme des brutes lascives ; car, par lui, la flamme de lâamour languit et sâĂ©teint. Ah ! plutĂŽt, prolongeons, prolongeons sans fin ses doux prĂ©ludes ! Restons longtemps couchĂ©s dans les bras lâun de lâautre ! Plus de fatigue alors, plus de honte. Cette jouissance nous a plu, nous plaĂźt et nous plaira longtemps ; jamais elle ne finit, et se renouvelle sans cesse. XIX. LâILE DE DĂLOS. Cette DĂ©los[1], maintenant unie Ă la terre par des liens indissolubles, jadis nageait dans la mer azurĂ©e, et, poussĂ©e çà et lĂ par de lĂ©gers zĂ©phyrs, voguait ballottĂ©e sur la cime des flots[2]. BientĂŽt un dieu lâattacha par une double chaĂźne, dâun cĂŽtĂ© Ă la haute Gyare, de lâautre Ă lâimmobile Mycone. XX. APOLLON ET BACCHUS. Apollon et Bacchus rĂ©pandent tous deux la lumiĂšre ; tous deux, créés par les flammes, tous deux furent produits par une essence ignĂ©e. Tous deux lancent de leur chevelure, lâun par ses rayons, lâautre par les pampres dont il se couronne, une chaleur qui nous embrase lâun dissipe les tĂ©nĂšbres de la nuit, lâautre celles de lâĂąme. XXI. SUR UN CHIFFRE GRAVĂ SUR LâĂCORCE DâUN ARBRE. Quand je plantai, jeunes encore[1], ces pommiers et ces poiriers, je gravai sur leur tendre Ă©corce le nom de lâobjet de mes feux. Depuis ce jour, plus de fin, plus de repos pour mon amour. Lâarbre croĂźt, ma flamme augmente ; et de nouvelles branches ont rempli la trace des lettres. XXII. LES MĆURS DâOUTRE-MER. MĂ©prise les mĆurs dâoutre-mer elles sont pleines de fourberie. Personne dans lâunivers ne vit plus honnĂȘtement quâun vrai citoyen romain. Jâaimerais mieux un seul Caton que trois cents Socrates. XXIII. PRĂCEPTE DE SAGESSE. Il est aussi nuisible dâavoir beaucoup dâor que de nâen pas avoir du tout ; il est aussi nuisible dâoser toujours que dâavoir toujours peur ; il est aussi nuisible de trop se taire que de trop parler ; il est aussi nuisible dâavoir en ville une maĂźtresse que dâavoir au logis une Ă©pouse. Tout le monde avoue ces vĂ©ritĂ©s, et personne nâagit en consĂ©quence. XXIV. UN ROI ET UN POĂTE, OISEAUX RARES. On fait tous les ans des consuls et des proconsuls nouveaux ; mais on ne voit pas tous les jours naĂźtre un roi ou un poĂ«te. XXV. ĂPITHALAME. Courage, jeunes gens, redoublez dâardeur ; unissez tous vos efforts ! Que les colombes ne soupirent pas plus amoureusement que vous ; que vos bras sâentrelacent par des chaĂźnes plus Ă©troites que celles du lierre ; que les coquilles soient moins unies entre elles que vos lĂšvres. Courage ! amusez-vous ; mais nâĂ©teignez pas ces lampes vigilantes. TĂ©moins muets des mystĂšres de la nuit, elles nâen rĂ©vĂšlent rien au jour. XXVI. ALLOCUTION Ă UNE NOUVELLE MARIĂE. DĂ©liez, jeune Ă©pouse, ces voiles de lin qui tiennent vos appas captifs, et confiez-vous sans crainte Ă votre maĂźtre. Nâallez pas dĂ©chirer de vos ongles ce visage dâalbĂątre ; ne repoussez pas les caresses. Cette nuit qui vous effraye nâoffre pourtant aucun danger. Pourquoi vous dĂ©fendre ? lorsquâil aura vaincu, votre triomphe est certain. XXVII. LA FABLE DE PASIPHAĂ, SUR TOUS LES MĂTRES EMPLOYĂS PAR HORACE. La fille du Soleil brĂ»le dâun feu nouveau, et poursuit, Ă©garĂ©e par sa passion, un jeune taureau Ă travers les prairies. Les saints nĆuds de lâhymen ne la retiennent plus lâhonneur du rang suprĂȘme, la grandeur de son Ă©poux, elle a tout oubliĂ©. Elle voudrait ĂȘtre mĂ©tamorphosĂ©e en gĂ©nisse ; elle porte envie au bonheur des PrĂ©tides, et fait lâĂ©loge dâIo ; non pas parce quâon lâadore au ciel sous le nom dâIsis, mais Ă cause des cornes qui sâĂ©lĂšvent sur son front. Si rien ne sâoppose plus Ă sa malheureuse passion, elle serre dans ses bras le cou du farouche taureau, pare ses cornes des fleurs du printemps, et sâefforce de coller sa bouche Ă la sienne. Que lâAmour inspire dâaudace Ă ceux quâil frappe de ses traits ! Elle ne craint pas de renfermer son corps dans des planches de chĂȘne qui ont reçu la forme dâune gĂ©nisse elle se livre Ă tous les Ă©garements que lui inspire un amour infĂąme, et donne la vie⊠Î crime ! Ă un monstre ambiforme, immolĂ© par le bras de ce jeune descendant de CĂ©crops, quâun fil protecteur guidait Ă travers les dĂ©tours du labyrinthe de CrĂšte. XXVIII. LE DĂDOMMAGEMENT. IMITATION DE MĂNANDRE. Si je ne puis jouir, quâil me soit du moins permis dâaimer. Que dâautres jouissent, jây consens ; je ne leur porte point envie. Câest faire son propre supplice, que dâĂȘtre jaloux du bonheur dâautrui. VĂ©nus couronne les vĆux de ceux quâelle favorise. Cupidon mâa donnĂ© les dĂ©sirs, mais il me refuse la possession. Heureux mortels ! savourez des baisers de flamme ; froissez, par de douces morsures, des lĂšvres de rose ; collez une bouche amoureuse sur des joues quâanime le fard de la nature, sur des prunelles qui brillent comme des diamants ! Faites plus lorsque Ă©tendus prĂšs de votre belle, sur une couche moelleuse, vos membres, vos poitrines sâunissent, sâattachent par la glu du plaisir ; lorsque lâinstinct du dĂ©sir excite votre maĂźtresse Ă seconder vos efforts amoureux ; lorsquâelle gĂ©mit dâune voix Ă©teinte par le plaisir, pressez sa gorge dâalbĂątre, serrez-la plus Ă©troitement dans vos bras, tracez de nouveaux sillons dans le champ de VĂ©nus ; redoublez dâardeur ; et, parvenus au terme de la carriĂšre, les yeux Ă©garĂ©s, prĂȘts Ă rendre lâĂąme, Ă©puisĂ©s de plaisir, faites pleuvoir dans son sein une tiĂšde rosĂ©e. VoilĂ votre lot, Ă vous que VĂ©nus favorise. Mais laissez-moi, du moins, cette vaine consolation si je ne puis jouir, quâil me soit permis dâaimer. XXIX. LâINUTILITĂ DE LA PARURE. Cesse, je tâen supplie, aimable fille, de te montrer Ă moi si parĂ©e ; Ă©pargne un cĆur qui tâappartient tout entier ; ne lâaccable pas par ta beautĂ© ! Cesse de surcharger tes attraits dâornements superflus lâart ne peut rien ajouter Ă tant dâappas. Ă quoi bon arranger avec tant de soin ta tĂȘte et tes cheveux ? ta tĂȘte est si belle par elle-mĂȘme, tes cheveux en dĂ©sordre me plaisent tant ! Pourquoi ce ruban de soie qui tient captive ta blonde chevelure ? prĂšs de ses tresses dorĂ©es, pĂąlit la soie la plus brillante. Pourquoi multiplier les boucles qui couronnent ta tĂȘte ? abandonnĂ©s Ă la nature, tes cheveux ont tant de charmes Je ne puis concevoir pourquoi tu portes un voile dâor ton front nu a plus dâĂ©clat que lâor. Ton oreille est chargĂ©e dâor et de pierreries ; et cependant, nue, ton oreille est prĂ©fĂ©rable Ă la rose nouvelle. Tu empruntes au pastel un coloris Ă©blouissant, et cependant ton teint est, par lui-mĂȘme, plus brillant que le pastel. Un collier, en forme de croissant, Ă©tincelle sur ton cou de neige, et, sans cette parure, ton cou est ravissant. Tu couvres dâun voile jaloux ta gorge dâalbĂątre, et ta gorge repousse le voile qui la couvre. Pour empĂȘcher ta robe de flotter, tu emprisonnes ta taille dans les nĆuds dâune ceinture ta taille est lâobjet de ma vĂ©nĂ©ration, mĂȘme lorsque ta robe est flottante. Dis-moi pourquoi cet anneau et cette pierre prĂ©cieuse qui entourent tes doigts dĂ©licats, quand la pierre reçoit tout son prix du doigt qui la porte ? Il nâest point de parure qui puisse ajouter Ă tes charmes naturels, et tu nâes dĂ©jĂ que trop belle, pour mon malheur ! Cesse, par des agrĂ©ments dâemprunt, de vouloir paraĂźtre trop belle ne lâes-tu pas dĂ©jĂ par tes propres attraits ? Ce nâest pas pour moi que tu dois avoir recours Ă tant de soins comme si, pour tâaimer, jâavais besoin dây ĂȘtre contraint par la violence ! Mon penchant me porte Ă tâaimer, et je ne combats pas cette douce inclination. Je ne tâaimerais pas davantage, quand tu serais la dĂ©esse des fleurs. Tes yeux le disputent dâĂ©clat aux rayons qui entourent Jupiter, et les traits de sa foudre pĂąliraient aux feux que lancent tes prunelles. Rien dans lâunivers de plus brillant que le soleil ; et cependant, prĂšs de toi, le soleil est pĂąle et sans clartĂ©. Ton cou est plus blanc que la neige nouvellement tombĂ©e, que la neige dont le soleil nâa point encore altĂ©rĂ© la blancheur. Ton front, ta poitrine, ressemblent Ă du lait, au lait dâune chĂšvre quâon vient de traire, Ă son retour du pĂąturage. Les parfums balsamiques que rĂ©pand une forĂȘt au printemps sont moins doux que ton haleine, et le plus frais jardin nâa rien qui te soit prĂ©fĂ©rable. Les suaves couleurs dâune prairie, mĂȘme lorsquâelle est Ă©maillĂ©e de fleurs, nâapprochent pas de ta beautĂ©. Le blanc troĂšne ne peut tâĂ©galer ; le lis qui sâĂ©lĂšve sur un vert gazon sâavouerait vaincu par ton Ă©clat. La rose, avant mĂȘme dâĂȘtre dĂ©tachĂ©e de son buisson Ă©pineux, nâĂ©gale point lâincarnat de tes joues. La violette Ă©panouie et dans toute sa gloire, quand on ose la comparer Ă toi, nâa plus rien que de vulgaire. HĂ©lĂšne, et LĂ©da sa mĂšre, ne pourraient supporter le parallĂšle, quoique lâune ait sĂ©duit PĂąris, et lâautre Jupiter et pourtant LĂ©da força Jupiter Ă se dĂ©guiser sous le plumage dâun cygne ; HĂ©lĂšne fit prendre les armes Ă tous les rois de lâAsie ! LĂ©da, les cheveux flottants sur son cou dâalbĂątre, tressait des guirlandes de fleurs pour la dĂ©esse dâArgos ; Jupiter parcourait alors la voĂ»te cĂ©leste il lâaperçut du haut dâun nuage, et, pour elle, se mĂ©tamorphosa en oiseau. Quand tu joues au milieu de la foule de tes compagnes, dont tu sembles la reine, Ă©toile resplendissante au milieu de tes jeunes satellites, si, du haut des cieux, le puissant Jupiter tâapercevait, il ne rougirait pas de dĂ©poser Ă tes pieds sa divinitĂ©. La beautĂ© dâHĂ©lĂšne et ses puissants attraits furent la proie du Troyen PĂąris, qui lâemporta au delĂ des mers. La GrĂšce conjurĂ©e arma mille vaisseaux pour la reprendre ; mille voiles volĂšrent Ă sa poursuite. Si le ravisseur phrygien tâeĂ»t vue si belle, il tâeĂ»t enlevĂ©e, soit sur son navire, soit sur son coursier. La guerre de Troie dura dix ans entiers ; mais cette guerre, si on lâeĂ»t faite pour toi, un seul mois eĂ»t suffi pour la terminer. Ă mon avis, la fille de LĂ©da mĂ©ritait moins que toi quâIlion, pour la garder, devĂźnt la proie des flammes, et, pour toi, Priam eĂ»t eu plus de raison de ne pas regretter la perte de son empire. Si, la robe retroussĂ©e, les cheveux flottants, lâarc en main, les bras nus, comme Diane la chasseresse, et accompagnĂ©e dâun chĆur de dryades, tu poursuivais de tes traits les sangliers fougueux, et quâun dieu te rencontrĂąt errante au milieu des forĂȘts, il te prendrait pour une vĂ©ritable divinitĂ©. Lorsque trois dĂ©esses se disputĂšrent le prix de la beautĂ©, et prirent PĂąris pour leur juge, son choix prĂ©fĂ©ra VĂ©nus aux deux autres ; et, sur trois, deux se retirĂšrent vaincues. Ah ! si, te joignant alors Ă ces trois rivales, tu te fusses offerte la quatriĂšme Ă cette Ă©preuve, PĂąris eĂ»t adjugĂ© le prix Ă la quatriĂšme ; et si la pomme devait ĂȘtre la rĂ©compense de la plus belle, elle aurait Ă©tĂ© la tienne. Celui-lĂ porte un cĆur de fer, qui peut voir sans Ă©motion tes cĂ©lestes appas et lâincarnat brillant de tes joues. Sâil est un mortel insensible Ă tant de charmes, je le convaincrai sans peine dâĂȘtre nĂ© dâun chĂȘne ou dâun rocher. XXX. LA VIE HEUREUSE. Non, tu te trompes le bonheur de la vie nâest pas ce que, vous autres hommes, vous vous figurez. Ce nâest pas dâavoir les mains couvertes de pierreries, de reposer sur un lit incrustĂ© dâĂ©caille, dâensevelir ses flancs dans une plume moelleuse, de boire dans des vases dâor, ou de sâasseoir sur la pourpre, de couvrir sa table de mets dignes dâun roi, ou de serrer dans ses vastes greniers toutes les moissons de lâAfrique. Mais prĂ©senter un front calme Ă lâadversitĂ©, dĂ©daigner la vaine faveur du peuple, contempler, sans sâĂ©mouvoir, les Ă©pĂ©es nues quiconque est capable dâun tel effort peut se vanter de maĂźtriser la fortune. XXXI. LA GRENADE. Lesbie, la lumiĂšre de mon Ăąme, mâa envoyĂ© une grenade maintenant je nâai plus que du dĂ©goĂ»t pour tous les autres fruits. Je dĂ©daigne le coing que blanchit un lĂ©ger duvet ; je dĂ©daigne la chĂątaigne hĂ©rissĂ©e de dards ; je ne veux ni des noix, ni des prunes dorĂ©es quâaimait Amaryllis[1] ; je laisse le grossier Corydon mettre un grand prix Ă de tels prĂ©sents ! jâai en horreur les mĂ»res, que rougit la couleur du sang elles rappellent, hĂ©las ! un crime affreux, commis par lâAmour. Lesbie mâa aussi envoyĂ© des gĂąteaux oĂč elle a lĂ©gĂšrement imprimĂ© ses dents ; le miel de ses lĂšvres en a augmentĂ© la douceur. Son haleine, plus embaumĂ©e que le thym du mont Hymette, rĂ©pand sur tout ce qui lâapproche je ne sais quel parfum plus doux que celui du miel. XXXII. LA MĂTEMPSYCHOSE. IMITATION DE PLATON. Tandis que je cueillais un baiser suave sur les lĂšvres de mon jeune ami, et que jâaspirais sur sa bouche entrâouverte le doux parfum de son haleine, mon Ăąme, souffrante et blessĂ©e, se prĂ©cipitait sur mes lĂšvres, et, cherchant Ă se frayer un passage entre celles de cet aimable enfant, sâefforçait de mâĂ©chapper. Si ce tendre rapprochement de nos lĂšvres eĂ»t durĂ© un seul instant de plus, brĂ»lĂ©e des feux de lâamour, mon Ăąme passait dans la sienne et mâabandonnait. O prodigieuse mĂ©tamorphose ! mort par moi-mĂȘme, jâaurais continuĂ© de vivre dans le sein de mon ami ! XXXIII. LâHERMAPHRODITE. Lorsque ma mĂšre me portait encore dans son sein[1], elle consulta, dit-on, les dieux â Que dois-je mettre au jour ? â Apollon rĂ©pondit un fils ; â Mars une fille ; â Junon ni lâun ni lâautre. â Quand je fus nĂ©, jâĂ©tais hermaphrodite. â Quelle sera la cause de sa mort ? â Les armes, dit la dĂ©esse ; â Le gibet, dit Mars ; â Lâeau, dit Apollon. â Ces trois prĂ©dictions sâaccomplirent. Un arbre ombrageait lâonde voisine ; jây grimpe je portais une Ă©pĂ©e ; elle tombe ; et moi, par malheur, je tombe dessus ; mon pied sâarrĂȘte dans les branches, ma tĂȘte plonge dans lâeau. Ainsi donc, homme, femme, sans sexe, je meurs noyĂ©, percĂ©, pendu. XXXIV. LA BOULE DE NEIGE. Je ne pouvais croire que la neige renfermĂąt du feu[1] ; mais, lâautre jour, Julie me jeta une boule de neige cette neige Ă©tait de feu. Quoi de plus froid que la neige ? et pourtant, Julie, une boule de neige lancĂ©e par ta main a eu le pouvoir dâenflammer mon cĆur. OĂč trouverai-je maintenant un refuge assurĂ© contre les piĂšges de lâAmour, si mĂȘme une onde glacĂ©e recĂšle sa flamme ? Tu peux cependant, ĂŽ Julie, Ă©teindre lâardeur qui me consume, non pas avec la neige, non pas avec la glace, mais en brĂ»lant dâun feu pareil au mien. XXXV. ĂPITAPHE DE CLAUDIA HOMONĂA, ĂPOUSE DâATIMETUS. Voyageur qui poursuis tranquillement ta route, arrĂȘte un instant, je te prie, et lis ce peu de mots HOMONĂA. Moi, cette mĂȘme HomonĂ©a qui se vit prĂ©fĂ©rĂ©e aux jeunes filles les plus illustres ; moi qui reçus de VĂ©nus la beautĂ©, et des GrĂąces le talent de plaire ; moi qui fus instruite dans tous les arts par la docte Pallas ; je suis maintenant renfermĂ©e dans lâĂ©troit espace de ce tombeau. Et, cependant, Ă peine quatre lustres composaient mon Ăąge, lorsque le destin jaloux Ă©tendit sur moi sa fatale main. Jâen gĂ©mis, non pas pour moi, mais pour Atimetus, mon Ă©poux, dont la douleur est pour moi plus triste que la mort mĂȘme. ATIMETUS. Si le sort cruel consentait Ă faire lâĂ©change de nos Ăąmes, et que ton existence pĂ»t ĂȘtre rachetĂ©e par la mienne, quel que soit le peu de jours quâil me reste Ă vivre, jâen eusse volontiers fait le sacrifice pour toi, ĂŽ ma chĂšre HomonĂ©a ! HĂ©las ! tout ce que je puis faire, câest dâabandonner la lumiĂšre cĂ©leste, et, par une prompte mort, de te rejoindre bientĂŽt sur les rives du Styx. HOMONĂA. Cesse, ĂŽ mon Ă©poux ! de flĂ©trir ta jeunesse par la douleur, et de provoquer la mort par tes regrets ! Les larmes sont inutiles ; elles ne peuvent Ă©mouvoir le destin. Jâai vĂ©cu câest le sort commun de tous les mortels. Cesse tes plaintes. Puisses-tu ne jamais Ă©prouver encore une semblable douleur ! puisse le ciel couronner tous tes vĆux ! puisse-t-il ajouter Ă ton existence tout ce quâune mort prĂ©maturĂ©e a retranchĂ© de jours Ă ma jeunesse ! ATIMETUS. Que la terre te soit lĂ©gĂšre, ĂŽ femme si digne de vivre, et de jouir longtemps des biens dont la nature tâavait comblĂ©e ! XXXVI. ĂPITAPHE DâUNE CHIENNE DE CHASSE. La Gaule me vit naĂźtre ; la Conque me donna le nom de sa source fĂ©conde, nom dont jâĂ©tais digne par ma beautĂ©. Je savais courir, sans rien craindre, Ă travers les plus Ă©paisses forĂȘts, et poursuivre sur les collines le sanglier hĂ©rissĂ©. Jamais de pesants liens ne captivĂšrent ma libertĂ© ; jamais mon corps, blanc comme la neige, ne porta lâempreinte des coups. Je reposais, mollement Ă©tendue sur le sein de mon maĂźtre ou de ma maĂźtresse ; un lit dressĂ© pour moi dĂ©lassait mes membres fatiguĂ©s. Quoique privĂ©e du langage, je savais me faire comprendre mieux quâaucun de mes semblables ; cependant, jamais personne ne redouta mes aboiements. MĂšre infortunĂ©e ! je trouvai la mort en donnant le jour Ă mes petits ; et maintenant un marbre Ă©troit couvre la terre oĂč je repose. ______ NOTES CHAPITRE I. 1 Num alio furiarum genere declamatores inquietantur ? â Câest ici que commence, Ă proprement parler, le Satyricon ; tout ce qui prĂ©cĂšde est regardĂ© comme une interpolation par les meilleurs Ă©diteurs et commentateurs de PĂ©trone. 2 Succisi poplites membra non sustinent. â Allusion aux soldats vaincus, auxquels on coupait les nerfs des jarrets pour les empĂȘcher de fuir. CHAPITRE II. 1 Non magis sapere possunt quam bene olere qui in culina habitant. â On nous pardonnera dâavoir traduit ces mois par le proverbe trivial Un cuistre sent toujours sa cuisine. » Câest quâil rend parfaitement le sens du latin, et quâen outre le mot de cuistre sâapplique trĂšs-bien Ă ces pĂ©dants ridicules, Ă ces dĂ©clamateurs dont parle PĂ©trone, lesquels, au lieu de former lâesprit et le goĂ»t de leurs Ă©lĂšves, ne leur enseignent quâĂ couvrir des lieux communs dâun dĂ©luge de pĂ©riodes mielleuses et dâexpressions boursouflĂ©es, et rĂ©duisent lâĂ©loquence Ă une harmonie puĂ©rile, Ă de vaines antithĂšses. 2 Homericis versibus canere non timuerunt. â Toutes les Ă©ditions de PĂ©trone que nous avons sous les yeux portent simplement canere timuerunt ; mais nous pensons, avec Heinsius, quâil faut lire non timuerunt ; sans cette nĂ©gation, le passage nâa plus de sens. PĂ©trone vient de dire Nondum umbraticus doctor ingenia deleverat quum Pindarus et novem LyriciâŠ. canere timuerunt. Quel serait donc ce talent dans toute sa force, qui ne servirait quâĂ craindre dâimiter la sublimitĂ© dâHomĂšre ? CHAPITRE IV. 1 Improbasse schedium LucilianĂŠ improbitatis. â PĂ©trone parle ici du talent de lâimprovisation. Schedium est un canevas, une matiĂšre traitĂ©e sur-le-champ et sans prĂ©paration. Improbitas Luciliana est pris dans le mĂȘme sens que ce passage de Martial Improbos PhĂŠdri jocos, câest-Ă -dire les plaisanteries audacieuses de PhĂšdre. CHAPITRE VIII. 1 Omnes mihi videbantur satyrion bibisse. â Le satyrion, dit Pline, est un fort stimulant pour lâappĂ©tit charnel. Les Grecs prĂ©tendent que cette racine, en la tenant seulement dans la main, excite des dĂ©sirs amoureux, et beaucoup plus fortement encore si on en boit une infusion dans du vin ; et que câest pour cette raison quâon en fait boire aux bĂ©liers et aux boucs trop lents Ă saillir. On Ă©teint, ajoute-t-il, les ardeurs produites par le satyrion en buvant de lâeau de miel et une infusion de laitue. Les Grecs donnent en gĂ©nĂ©ral le nom de satyrion Ă toute espĂšce de boisson propre Ă exciter ou ranimer les dĂ©sirs. » Câest la mĂȘme plante quâApulĂ©e, le mĂ©decin, nomme priapiscon ou testiculum leporis. CHAPITRE IX. 1 Tuus inquit iste frater. â Le nom de frater, que lâon trouvera plusieurs fois rĂ©pĂ©tĂ© dans cet ouvrage, Ă©tait parfois un nom de dĂ©bauche chez les Romains il signifiait un mignon ; mais il est plus exactement rendu par le mot de giton, empruntĂ© Ă un des personnages de cette satire, et pris substantivement pour dĂ©signer celui qui se livre au vice honteux de la pĂ©dĂ©rastie. Nous verrons plus loin soror signifier une maĂźtresse. CHAPITRE XI. 1 Sic dividere cum fratre nolito, etc. â Ă partir de ces mots, tout ce qui suit, jusquâau chapitre XII, veniebamus in forum, etc., est une interpolation Ă©vidente, adoptĂ©e par Nodot, mais que Burmann a rejetĂ©e, avec raison, de son Ă©dition. Nous ne lâavons traduite que pour ne pas interrompre le fil de la narration ; mais nous ne donnerons aucune note sur ce passage, dâune latinitĂ© bien infĂ©rieure Ă celle de PĂ©trone, et qui, dâailleurs, ne prĂ©sente aucune difficultĂ© sĂ©rieuse. On y reconnaĂźt aisĂ©ment la main dâun Ă©crivain moderne, qui a cherchĂ© vainement Ă imiter les grĂąces et quelquefois mĂȘme jusquâaux incorrections de lâauteur quâil a voulu complĂ©ter. CHAPITRE XIV. 1 Ipsi qui cynica traducunt tempora cĆna. â La frugalitĂ© des philosophes cyniques qui, au rapport de Lucien, ne mangeaient que des lĂ©gumes, couvrait, sous lâapparence de la sĂ©vĂ©ritĂ©, la turpitude de leurs mĆurs. CHAPITRE XVII. 1 Neve traducere velitis tot annorum secreta. â Ces prĂ©tendus mystĂšres nâĂ©taient plus mĂȘme un secret du temps de JuvĂ©nal. Voici la description quâil nous en a laissĂ©e dans sa satire VI, Contre les femmes, v. 315. Nous empruntons cette citation Ă lâexcellente traduction de Dusaulx, voir la nouvelle Ă©dition publiĂ©e par MM. Garnier frĂšres. On sait Ă prĂ©sent ce qui se passe aux mystĂšres de la Bonne-DĂ©esse, quand la trompette agite ces autres mĂ©nades, et que, la musique et le vin excitant leurs transports, elles font voler en tourbillons leurs cheveux Ă©pars, et invoquent Priape Ă grands cris. Quelle ardeur, quels Ă©lans ! quels torrents de vin ruissellent sur leurs jambes ! Laufella, pour obtenir la couronne offerte Ă la lubricitĂ©, provoque de viles courtisanes, et remporte le prix. A son tour, elle rend hommage aux fureurs de MĂ©dulline. Celle qui triomphe dans ce conflit est regardĂ©e comme la plus noble. LĂ , rien nâest feint ; les attitudes sont dâune telle vĂ©ritĂ©, quâelles enflammeraient le vieux Priam et lâinfirme Nestor. DĂ©jĂ les dĂ©sirs exaltĂ©s veulent ĂȘtre assouvis ; dĂ©jĂ chaque femme reconnaĂźt quâelle ne tient dans ses bras quâune femme impuissante, et lâantre retentit de ces cris unanimes Introduisez les hommes ; la dĂ©esse le permet. Mon amant dormirait-il ? quâon lâĂ©veille. Point dâamant ? je me livre aux esclaves. Point dâesclaves ? quâon appelle un manĆuvre. A son dĂ©faut, si les hommes manquent, lâapproche dâun Ăąne ne lâeffrayerait pas. » CHAPITRE XIX. 1 Et prĆcincti certe altius eramus. â Allusion Ă la coutume quâavaient les soldats romains de relever leur robe avec leur ceinture, quand ils se disposaient Ă combattre. Câest pourquoi Virgile a dit Discinctos Afros, câest-Ă -direinhabiles militiĆ, parce que les soldats courageuxcincti erant. De lĂ vient aussicingulam militiĆ dare, qui, selon Rufin, signifie Dare jus militandi. CHAPITRE XXIV. 1 Ascylto embasicĆtas detur ; et, plus haut, non intellexeras cinĆdum embasicĆtam vocari ? Il y a ici un jeu de mots, intraduisible en français, qui roule sur ce mot, embasicĆtes, composĂ© de embainein, monter, et koitĂš, lit. On donnait ce nom Ă des dĂ©bauchĂ©s qui parcouraient les lits pour faire souffrir aux autres lâespĂšce de dĂ©bauche dont parle ici PĂ©trone. Câest ce qui fait dire Ă Catulle, dans sa trentiĂšme Ă©pigramme Perambulavit omnium cubilia. Nous avons traduit ce mot par celuidâincube, qui, en français, sâen rapproche le plus, et qui en donne une idĂ©e assez exacte. Il paraĂźt dâailleurs que ce dĂ©bauchĂ© sâappelait EmbasicĆtas, nom qui convenait parfaitement Ă ses fonctions, comme celui de CoupĂ© Ă lâĂ©cuyer tranchant dont il sera question plus loin. CHAPITRE XXV. 1 QuĆ tulerit vitulum, illa potest et tollere taurum. Ce proverbe, auquel Quartilla donne ici un sens obscĂšne, a cependant une autre origine que celle dont elle le fait dĂ©river. Il fait allusion Ă Milon de Crotone, qui, sâĂ©tant habituĂ© Ă porter un veau nouvellement nĂ© Ă une distance de plusieurs stades, finit, en continuant chaque jour cet exercice, par le porter de mĂȘme lorsquâil fut parvenu Ă la dimension dâun taureau. Quintilien rappelle ce trait, liv. Ier, chap. 9, de son Institution oratoire Milo, quem vitulum assueverat ferre, taurum ferebat. » Du reste, ce proverbe peut sâappliquer trĂšs-bien Ă cette femme, qui, par une habitude quotidienne du libertinage, finit par se livrer sans danger aux plus grands excĂšs. CHAPITRE XXVI. 1 Venerat jam dies⊠liberae cĆnĆ apud Trimalchionem. â Nous avons traduit, dâaprĂšs Nodot, Nous touchions au jour oĂč Trimalchion, dans un festin, devait affranchir un grand nombre dâesclaves. » Mais ce sens ne nous satisfait point. Selon Lavaur, libera cĆna Ă©tait un festin oĂč lâon nâĂ©lisait point de roi, au lieu quâordinairement on choisissait un roi des festins, qui les rĂ©glait Ă sa volontĂ©, et qui Ă©tait reconnu comme maĂźtre par tous les convives, ce quâattestent assez les Ă©crits des anciens. Le festin libre, dont il est ici question, sera donc sans rĂšgle, sans ordre ; tout sây passera dans la licence et le dĂ©rĂšglement. On peut aussi interprĂ©ter libera coena par un festin auquel tout le monde Ă©tait indistinctement admis, mĂȘme les esclaves de Trimalchion, comme nous le verrons plus loin. On peut encore prendre ici le mot libera cĆna dans le mĂȘme sens, que le libera vina dâHorace Art poĂ©tique, vers 85. CHAPITRE XXVII. 1 Inter pueros capillatos. â Il sera souvent question, dans le cours de cet ouvrage, de ces pueri capillati. Ce nâĂ©tait quâaux esclaves destinĂ©s aux plaisirs quâon laissait et entretenait une longue chevelure tous les autres portaient les cheveux courts. 2 Digitos concrepuit. â CâĂ©tait la coutume des grands dâappeler leurs esclaves en faisant craquer leurs doigts. Martial, sur lâinscription de Matella, dit, liv. xIv, Ă©pigr. 119 Dum poscor crepita digitorum. Lâaffranchi Pallas, Ă©tant accusĂ© dâune conspiration contre NĂ©ron, quand on lui nomma quelques-uns de ses affranchis comme ses complices, rĂ©pondit avec arrogance quâil ne leur avait jamais parlĂ© que par des gestes de la tĂȘte ou de la main, pour ne pas se familiariser avec eux Tac, Ann., xiii. 3 Digitos⊠in capite pueri tersit. â CâĂ©tait encore un raffinement qui annonçait lâopulence et la mollesse chez les anciens, que dâessuyer ses mains aux cheveux dâun de ces esclaves Ă longue chevelure. CHAPITRE XXVIII. 1 Hoc suum propinasse dicebat. â Ce passage nâest intelligible quâen sous-entendant le mot genium. Trimalchion voulait dire que ces Ă©tuvistes venaient de faire des libations Ă son bon gĂ©nie, ou plutĂŽt de boire Ă sa santĂ© ; car câest lĂ le vĂ©ritable sens de propinare. 2 Chiramaxio, in quo deliciĆ ejus vehebantur. â EspĂšce de chaise Ă porteur ; des deux mots grecs, keir, main, et amaxa, char. CHAPITRE XXIX. 1 Cave, cave canem ! â SĂ©nĂšque rapporte que, de son temps, il y avait aux portes des palais de gros chiens dâattache ; et ArtĂ©midore, que quelques-uns se contentaient dâen faire peindre lâimage sur la muraille, auprĂšs de la loge du portier, avec cette inscription Cave canem !ce qui fait dire Ă Vairon Cave canem inscribi jubeo câĂ©tait aussi une inscription assez ordinaire sur les grandes portes, pour avertir les Ă©trangers de ne pas entrer tĂ©mĂ©rairement. 2 Erat venalitium titulis pictum. â Chaque esclave, mis en vente dans un marchĂ© public, portait suspendu au cou un Ă©criteau qui indiquait son pays, son savoir-faire, ses dĂ©fauts cela Ă©tait ordonnĂ© par les Ă©diles. Voyez Aulu-Gelle, liv. IV, chap. 2 ; et ce distique de Properce, liv. IV, Ă©lĂ©gie 5 Aut quorum titulus per barbara colla pependit, CĆlati niedio quum saliere foro. 3 Et pixis aurea non pusilla, in qua barbam ejus conditam esse dicebant. â Les Romains gardaient leur premiĂšre barbe avec un soin superstitieux ; ils adoptĂšrent assez tard lâusage de se raser. Varron nous apprend que les premiers barbiers vinrent de Sicile en Italie, lâan 454 de la fondation de Rome, amenĂ©s par Publius Ticinus Mena ; avant cette Ă©poque, on ne sây rasait pas. CHAPITRE XXX. 1 Vestimenta mea cubitoria perdidit. â Les Romains avaient pour la table des habits particuliers quâils y portaient toujours, et quâils ne pouvaient porter ailleurs ; et, quand ils mangeaient hors de chez eux, ils envoyaient ces habits chez leur hĂŽte, Ă moins que celui-ci ne leur en fournĂźt. La couleur de ces habits nâĂ©tait point fixĂ©e, tandis que lâhabit de ville devait toujours ĂȘtre blanc. Ils appelaient cette robe de festin vestis cĆnatoria ou cubitoria ; celle des gens de qualitĂ© sâappelait synthesis. NĂ©ron portait quelquefois en public cette robe de festin, ce que SuĂ©tone, au chapitre II de la vie de cet empereur, lui reproche comme un manque de biensĂ©ance. CHAPITRE XXXI. 1 Pueris alexandrinis aquam in manus nivatam infundentibus. â Les esclaves dâAlexandrie Ă©taient les plus recherchĂ©s, non-seulement parce quâils venaient de loin, mais parce quâils Ă©taient particuliĂšrement propres aux plaisirs les plus effrĂ©nĂ©s, et que rien dâinfĂąme ni de vil ne les rebutait. Martial, Ă©pigr. 42 du liv. IV, dĂ©crivant les qualitĂ©s quâil veut trouver dans un esclave, exige dâabord quâil soit Ăgyptien Niliacis primum puer is nascatur in oris, Nequitias tellus scit dare nulla magis. 2 Aquam nivatam. â Cette eau se faisait avec de la neige fondue, puis filtrĂ©e, et plongĂ©e de nouveau dans la neige pour la frapper de glace. NĂ©ron lâaimait Ă un tel point, quâil en faisait mettre dans ses bains. Cette invention est dâailleurs fort ancienne. Pline liv. xxxi, chap. 3 dit que NĂ©ron sâavisa le premier de faire bouillir de lâeau, et de la mettre ensuite dans la neige, afin quâelle prĂźt mieux le froid et fĂ»t moins dangereuse. 3 In quarum marginibus nomen Trimalchionis inscriptum erat et argenti pondus. â Avant lâinvention des armes ou du blason, on gravait le nom des grands seigneurs sur leur vaisselle, ou des emblĂšmes qui leur convenaient ; et les piĂšces dâargenterie qui Ă©taient ainsi marquĂ©es se nommaient pocula litterata. Plaute dit, en parlant dâune urne HĆc litterata est ab se cantat cuja sit. PĂ©trone, pour tourner en ridicule lâostentation de Trimalchion, ajoute et argenti pondus. Ce nâĂ©tait point lâusage, chez les gens habituĂ©s Ă lâopulence, dâindiquer ainsi le poids de lâargent. 4 Glires, melle et papavere sparsos. Les anciens se servaient du miel comme nous faisons du sucre. Quant Ă papaver, il sâagit ici du pavot blanc on faisait des sauces avec le jus de sa graine broyĂ©e, aprĂšs lâavoir fait rissoler Pline, liv. xxIx, chap. 8. On lâemployait aussi quelquefois avec du lait, comme le prouve ce passage dâOvide, Fastes,liv. Iv, vers 149 Nec pigeat tritum niveo cum lacte papaver Sumere, et expressis mella liquata favis. Glires, les loirs Ă©taient fort estimĂ©s, chez les anciens, de ceux qui aimaient la bonne chĂšre. Martial, liv. XIII, dit, en faisant parler le loir Tota mihi dormitur hiems, et pinguior illo Tempore sum quo me nil nisi somnus alit. CHAPITRE XXXII. 1 Pallio enim coccineo adrasum excluserat caput. â CâĂ©tait une grande marque de luxe et de mollesse de porter la tĂȘte enveloppĂ©e dans son manteau. SĂ©nĂšque, lettre cxv, dĂ©crivant la mollesse de MĂ©cĂšne, lui reproche particuliĂšrement de sâĂȘtre montrĂ© en public ainsi vĂȘtu. CHAPITRE XXXIII. 1 Ut deinde spina argentea dentes perfodit. â Un cure-dents dâargent Ă©tait, chez les Romains, une marque de luxe, parce quâils ne se servaient ordinairement que de petits morceaux de bois ou de plume. CHAPITRE XXXIV. 1 Jam Trimalchio fecerat potestatem si quis nostrum iterum vellet mulsum sumere. â Ce que les Romains appelaient mulsum Ă©tait une espĂšce dâhypocras ou vin miellĂ© dont quatre parties Ă©taient de vin, et la cinquiĂšme de miel il en est souvent question dans les auteurs anciens ; et câest par lĂ quâon commençait le repas. Auguste, demandant Ă Pollion, alors ĂągĂ© de plus de cent ans, et encore vigoureux, par quels moyens il avait conservĂ© une si belle santĂ©, Pollion lui rĂ©pondit Intus mulso, foris oleo. 2 Argentumque inter reliqua purgamenta scopis cĆpit verrere. â SĂ©nĂšque, lettre lxvii du livre VI, raconte que pendant que les maĂźtres Ă©taient Ă table, un esclave Ă©tait obligĂ© de laver les crachats sur le parquet ; un autre recevait les vomissements de ceux qui Ă©taient ivres ; un autre balayait tout ce qui tombait de la table Alius sputa detegit, alius reli-quias temulentorum subditus colligit, etc. PĂ©trone, pour nous donner une idĂ©e de la magnificence extravagante de Trimalchion, dit que, par son ordre, un plat dâargent tombĂ© Ă terre est balayĂ© avec les ordures par un esclave. 3 Statim allatoe sunt amphoroe vitreoe diligenter gypsatĆ. â Ces bouteilles Ă©taient bouchĂ©es avec une espĂšce de mastic fait de plĂątre fin mĂȘlĂ© avec de la rĂ©sine on sâen sert encore aujourdâhui en Italie pour le mĂȘme usage, et câest lâĂ©quivalent de notre goudron. Les anciens plaçaient sur le cou ou goulot des bouteilles, cervicibus, des Ă©tiquettes, pittacia, qui indiquaient le nom du vin, son terroir, son Ăąge ; ce qui nous est confirmĂ© par JuvĂ©nal, en parlant dâun vin . . . . Cujus patriam titulumque senectus Delevit. 4 Larvam argenteam attulit servus. â CâĂ©tait, dit Plutarque, un usage que les Grecs avaient empruntĂ© des Ăgyptiens, et quâils avaient transmis aux Romains, de faire figurer dans les repas des tĂȘtes de mort, des squelettes. Le but de cette coutume, selon Scaliger, Ă©tait de porter les convives Ă goĂ»ter les douceurs de la vie pendant quâils jouissaient dâune bonne santĂ©, et Ă sâabandonner aux plaisirs que la mort devait bientĂŽt leur ravir. HĂ©rodote en parle liv. II, chap. 78. Les vers que PĂ©trone met dans la bouche de Trimalchion dĂ©veloppent cette pensĂ©e on les croirait inspirĂ©s par ce passage du livre de la Sagesse, oĂč Salomon fait dire Ă lâimpie Umbrae transitus est tempus nostrum, et non est reversio finis nostri. Venite ergo, et fruamur bonis quae sunt, et utamur creatura, tanquam in juventute celeriter. Vino pretioso et unguentis nos impleamus, et non prĆtereat nos flos temporis. Coronemus nos rosis antequam mar-cescant nullum pratum sit quod non pertranseat luxuria nostra. Nemo vestrum exsors sit luxuriĆ nostrae, ubique relinquamus signa lĆtitiĆ, quoniam haec est pars nostra, et hĆc est sors nostra. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© reproduite sous toutes les formes par les poĂ«tes anacrĂ©ontiques ; elle fait le sujet de cette chanson si connue Nous nâavons quâun temps Ă vivre ; Amis, passons-le gaiement, etc. CHAPITRE XXXV. 1 Repositorium enim rotundum duodecim habebat signa in orbe disposita. â Cette machine, qui avait la forme dâun globe, et qui contenait les douze signes du zodiaque, Ă©tait sans doute une chose singuliĂšre, mais non pas nouvelle. Alexis, de Thurium, poĂ«te comique, plus ancien que MĂ©nandre, dĂ©crit ainsi, au rapport de Suidas, une machine ou un surtout de table Ă peu prĂšs semblable AprĂšs quâon nous eut donnĂ© Ă laver, on dressa une table sur laquelle on servit, non du fromage, des olives, des ragoĂ»ts et dâautres mets ordinaires, mais un bassin magnifique qui reprĂ©sentait la moitiĂ© du ciel, et dans les divers compartiments duquel on avait enchĂąssĂ© tout ce que le firmament offre de plus beau des poissons, des chevreaux, des Ă©crevisses et tous les signes du zodiaque. Enfin nous portĂąmes les mains sur ces astres, et nous ne quittĂąmes le ciel quâaprĂšs lâavoir percĂ© comme un crible. » AthĂ©nĂ©e, liv. II, chap. 18. â DâaprĂšs ce passage du poĂ«te grec, on voit que lâinvention de ce globe nâĂ©tait point due Ă lâimaginative du maĂźtre dâhĂŽtel de Trimalchion, mais que câĂ©tait une nouveautĂ© renouvelĂ©e des Grecs. 2 Suadeo, inquit Trimalchio, cĆnemus ; hoc est jus cĆnĆ. â Je soupçonne fort Trimalchion de vouloir faire ici un calembour, et de jouer sur le mot jus, qui, comme chacun sait, a deux sens fort opposĂ©s jus, droit, et jus, sauce. Ainsi hoc est jus cĆnĆ signifierait Ă©galement câest le droit du festin, câest pour cela quâon est Ă table ; ou câest lâassaisonnement, la quintessence, le plus succulent du repas. Nous voyons de mĂȘme ces mots, in jus vocare, tour Ă tour traduits par appeler en justice, et par fricasser, mettre Ă lâĂ©tuvĂ©e, au court-bouillon. On connaĂźt dâailleurs le fameux calembour de CicĂ©ron Jure te adjuvabo. CHAPITRE XXXVI. 1 Altilia, et sumina ; â Altilia, toutes sortes de volailles engraissĂ©es ; sumina, sorte de ragoĂ»t fait des mamelles de la tĂ©tine dâune truie qui vient de mettre bas. Martial dit, livre XIII, Ă©pigramme 41 Esse potes nudum sumen, sic ubere largo Effluit, et vivo lacte papilla tumet. Le mot sumense prend aussi pour la poitrine dâune laie, que lâon appelle le bourbelieren termes de vĂ©nerie. 2 Garum piperatum. â Le garum Ă©tait la liqueur ou sauce que lâon lirait dâun poisson nommĂ© garon par les Grecs ; on a ensuite Ă©tendu ce nom a toutes sortes de sauces faites avec des poissons ou avec leur saumure, ce qui fait dire avec tant de raison Ă Manilius, liv. v, vers 671, en parlant de cette sauce Hinc sanies pretiosa fluit, floremque cruoris Evomit, et mixto gustum sale temperat oris. SĂ©nĂšque dit, lettre xcvi Garum, pretiosam malorum piscium saniem ; et Martial, liv. XIII, sur le mot Ostrea Ebria baiano veni modo concha Lucrino Nobile nunc silio luxuriosa garum. On faisait le garum avec des entrailles de poisson confites dans le vin et le vinaigre, ou bien dans lâeau et le sel, et souvent dans lâhuile ; on y mettait aussi du poivre, garum piperatum, comme le dit ici PĂ©trone, et quelquefois des fines herbes. Pline liv. XXXI, chap. 3 dit que le garum fait avec le maquereau seul Ă©tait le plus estimĂ© ; mais CĂ©lius Aurelianus donne le prix au garum fait avec un poisson du Nil appelĂ© silurus. CâĂ©tait en mĂȘme temps la meilleure sauce Ă servir avec les poissons. De nos jours on fait aussi diffĂ©rentes sauces avec des poissons, entre autres la sauce dâanchois dont les Anglais font un trĂšs-grand usage. 3 Pisces, qui in Euripo natabant. â LâEuripe, comme on sait, est ce bras de mer qui sĂ©pare lâĂźle dâEubĂ©e ou de NĂ©grepont de la GrĂšce, et qui est si resserrĂ© devant Chalcis, quâune galĂšre pouvait Ă peine y passer. Ce canal Ă©tait et est encore remarquable par lâirrĂ©gularitĂ© de ses marĂ©es. Les Romains avaient donnĂ©, par extension, le nom dâEuri-pes aux canaux par lesquels ils conduisaient et distribuaient les eaux pour lâembellissement de leurs maisons de campagne. Ductus aquarum quos Euripos vocant, dit CicĂ©ron de Legibus, lib. II. Ils appelaient aussi Euripes les fossĂ©s dont ils environnaient leurs cirques et leurs théùtres Civitas exstruxit theatrum, scena erat talis, et statuae super Euripum, etc. Voir Tertullien contre HermogĂšne. Sidonius Apollinaris, poĂ«me XXII, v. 208 Fusilis Euripus propter cadit unda superne Ante fores pendente lacu, venamque secuti Undosa inveniunt nantes cĆnacula pisces. PĂ©trone, par une hyperbole plaisante, donne ici le nom dâEuripe Ă ces flots de saumure ou de court-bouillon qui, coulant des outres portĂ©es par quatre satyres, placĂ©s aux angles du surtout, allaient se rĂ©unir au fond de cette machine, et y formaient une espĂšce de lac oĂč nageaient des poissons tout accommodĂ©s. 4 Scissor, et ad symphoniam ita gesticulatus laceravit obsonium. â Ce passage, et cent autres de ce festin, prouvent que les anciens Ă©taient Lien plus raffinĂ©s que nous dans les plaisirs de la table. Nous nâavons point, comme eux, de ces Ă©cuyers tranchants qui dĂ©coupaient les viandes en mesure, aux sons de lâorchestre. CHAPITRE XXXVII. 1 Uxor, inquit, Trimalchionis, etc. â Ce nâest plus PĂ©trone qui parle ici, câest un des affranchis de Trimalchion, ou plutĂŽt un de ses anciens compagnons dâesclavage. Nous allons, dans la suite de ce festin, voir plusieurs de ces affranchis prendre la parole un Seleucus, un PhilĂ©ros, un GanymĂšde, un Ăchion, etc. ; leurs locutions seront barbares et Ă©trangĂšres, fourmilleront de solĂ©cismes et de barbarismes, de mots bĂątards, formĂ©s du grec et du latin, de proverbes et de quolibets bas et grossiers, ce qui nous donnera une juste idĂ©e de lâĂ©ducation de ces parasites, et de la sociĂ©tĂ© que rassemble autour de lui ce Trimalchion, esclave parvenu, dont les goĂ»ts dĂ©pravĂ©s ne tarderont pas Ă se faire connaĂźtre. LâhĂŽte et les convives sont dignes les uns des autres, et peuvent aller de pair ; câest Ă quoi il faut bien prendre garde il nây a dans leurs discours ni justesse, ni suite, ni liaison, ni sens ce sont des maniĂšres de parler triviales, telles que Plaute, TĂ©rence et MoliĂšre en mettent dans la bouche des esclaves et des valets. Cet avertissement est nĂ©cessaire pour faire sentir et apprĂ©cier le mĂ©rite de cet ouvrage, oĂč les interlocuteurs sâexpriment avec une vĂ©ritĂ© et un naturel qui prouvent dans notre auteur une observation profonde des mĆurs et du langage des diffĂ©rentes classes de la sociĂ©tĂ©. 2 Ignoscet mihi genius tuus. âComme nous dirions en français sauf votre sait dâailleurs que les anciens croyaient que chacun avait son gĂ©nie particulier, ainsi que nous avons notre ange gardien, nos bons et nos mauvais anges. Lâauteur dit, dans un autre endroit genios vestros iratos habeam. 3 Pica pulvinaris. â Mot Ă mot, une pie dâoreiller ; parce que câest lorsquâelles sont au lit avec leurs maris que les commĂšres de lâespĂšce de Fortunata donnent carriĂšre Ă leur mĂ©disance, et cherchent Ă nuire Ă ceux quâelles nâaiment pas ; dâoĂč Martial . . . . . Sit non ditissima conjux, Sit nox cum somno, sit sine lite dies. 4 Quem amat, amat ; quem non amat, non amat. â Câest un proverbe vulgaire Aut amat, aut odit mulier, nihil est tertium, dit Publius Syrus, en parlant des femmes. CHAPITRE XXXVIII. 1 Arietes a Tarento emendos. â Le territoire de Tarente Ă©tait cĂ©lĂšbre pour ses bons vins et ses bonnes laines. Martial dit, livre XIII Nobilis et lanis, et felix vitibus, Aulon Det pretiosa tibi vellera, vina mihi. Aulon est une colline fertile en vins et en troupeaux, aux environs de Tarente. On trouve aussi dans Horace, ode 6 du livre II, lâĂ©loge des laines de Tarente Unde si Parcae prohibent iniquae, Dulce pellitis ovibus Galesi Flumen, et regnata petam Laconi ____Rura Phalantho. Varron de Re rustica, lib. II dit que les brebis de Tarente avaient de si bonne laine, quâon les couvrait de peaux, afin que leur toison ne se gĂątĂąt pas ; câest pour cela quâon les appelait oves pellitĆ. 2 Semen boletorum. â De la graine de champignons ou de morilles. Ainsi Trimalchion voulait faire venir de lâInde de la graine de champignons, quoique ces cryptogames nâen produisent point. Cela peint admirablement bien la dĂ©mence dâun de ces riches ignorants qui se figurent quâavec de lâor on peut tout se procurer, comme le financierde La Fontaine, qui se plaignait __Que les soins de la Providence Nâeussent point au marchĂ© fait vendre le dormir, __Comme le manger et le boire. 3 Ex onagro. â Lâonagre est une espĂšce dâĂąne sauvage. On le trouvait principalement en Phrygie et en Lycaonie. Pline liv. VIII, chap. 44 en parle ainsi Mula autem, ex equa et onagra mansuefacta, velox in cursu, duritia eximia pedum, verum strigoso corpore, indomito animo. Sed generator, onagro et asina genitus, omnes antecellit. Les riches faisaient de cet animal un objet de luxe, comme nous le prouve la lettre de CicĂ©ron Ă Atticus, livre VI Nec deerant onagri, dit-il en parlant du voyage fastueux de VĂ©dius Pollion. 4 Collibertos ejus. â Nous voyons par lĂ quâĂ lâexception dâun trĂšs-petit nombre de personnes, telles quâAscylte, Encolpe, Agamemnon, tous les autres convives de Trimalchion nâĂ©taient que des affranchis. 5 Quum olla male fervet⊠amici de medio. â Quand la marmite est renversĂ©e, adieu les amis ! Horace exprime la mĂȘme idĂ©e, ode 5 du livre Ier . . . . . . Diffugiunt cadis Cum fĆce siccatis amici. 6 Apros gausapatos. â LittĂ©ralement, des sangliers en capote velue, câest-Ă -dire encore couverts de leur peau, pour montrer quâon les servait tout entiers ; ce quâon ne voyait que sur les tables somptueuses. JuvĂ©nal, satire I, sâĂ©lĂšve avec su verve ordinaire contre ce luxe monstrueux . . . . Quanta est gula, quĆ sibi totos Ponit apros ! P. Servilius Rufus fut le premier, au tĂ©moignage de Pline liv. VIII, chap. 51, qui fit servir sur sa table un sanglier tout entier. CHAPITRE XXXIX. 1 Sermonibus publicatis signifie ici une conversation gĂ©nĂ©rale, par opposition aux entretiens particuliers et Ă voix basse. Câest lâeffet ordinaire du vin, que les convives commencent, dĂšs quâils sont ivres, Ă parler Ă haute voix, et souvent tous Ă la fois. 2 Is ergo reclinatus in cubitum. â CâĂ©tait un air dĂ©gagĂ©, et sans façon, fort opposĂ© Ă la biensĂ©ance et Ă la politesse, comme on dit parmi nous mettre les coudes sur la table. Un homme qui savait vivre se tenait droit de la ceinture en haut, sans ĂȘtre trop penchĂ© en avant sur la table, ni couchĂ© en arriĂšre ou sur le cĂŽtĂ©. 3 Sic notus Ulyxes ? â Trimalchion vient de faire un mauvais quolibet, en disant Ă ses convives de boire assez pour mettre Ă la nage les poissons quâils ont mangĂ©s, pisces nature oportet. Le voici maintenant qui fait de lâĂ©rudition Sic notus Ulyxes ? par allusion Ă ces vers du IIe livre de lâEnĂ©ide . . . . . . Aut ulla putatis Dona carere lotis Danaum ? sic notus Ulyxes ? 4 Oportet etiam inter cĆnandum philologiam nosse. â De plus fort en plus fort ! voici notre amphitryon qui sâĂ©lĂšve Ă la philologie, et Dieu sait quelle philologie ! Nous allons bientĂŽt le voir tomber de balourdise en balourdise. 5 In totidem se figuras convertit. â Nous ne nous arrĂȘterons pas sur lâexplication astronomique, ou plutĂŽt astrologique, de ce globe cĂ©leste inventĂ© par le cuisinier de Trimalchion. Il serait en effet impossible dâexpliquer toutes les absurditĂ©s que PĂ©trone met Ă dessein dans la bouche de cet ignorant prĂ©somptueux. 6 Cornu acutum. â Câest-Ă -dire des gens Ă se bien dĂ©fendre, et quâil ne fait pas bon attaquer, comme lâon dit, tollere cornua, cornu ferire. Ainsi Horace, ode 21 du livre III, pour dire que le vin donne des forces et du courage Viresque, et addis cornua pauperi. 7 Laudamus urbanitatem mathematici. â Le sens de mathematicus est ici astrologue, parce quâen effet la plupart des mathĂ©maticiens se livraient Ă lâĂ©tude de lâastrologie. 8 Ne genesim meam premerem. â Trimalchion avait fait mettre une simple couronne sur le signe du Cancer, comme nous lâavons vu prĂ©cĂ©demment, pour ne pas dĂ©figurer son horoscope par quelque mets ignoble, mais au contraire pour en relever la noblesse. 9 CucurbitĆ. â Des tĂȘtes de citrouille. Ce nâest pas dâaujourdâhui quâon a donnĂ© ce nom aux tĂȘtes vides et sans cervelle. JuvĂ©nal dit, satire XIV Quum facias pejora senex, vacuumque cerebro ampridem caput hoc ventosa cucurbita quĆrat. 10 Obsonatores, et rhetores. â PĂ©trone revient ici avec complaisance sur cette comparaison des rhĂ©teurs et des cuisiniers, que nous avons dĂ©jĂ vue au commencement de cette satire. CHAPITRE XL. 1 Altera caryotis, altera thebaicis repleta. â Ces dattes croissent en Syrie et en JudĂ©e, et surtout dans le territoire de JĂ©richo elles sont jaunes et noires, grosses, rondes comme des pommes, et trĂšs-douces. Quant aux autres, appelĂ©es thebaĂŻcĆ, elles se trouvent dans les dĂ©serts de la ThĂ©baĂŻde, voisins du Grand-Caire en Ăgypte, quâhabitaient anciennement ces fameux anachorĂštes qui ne vivaient que de ce fruit. Ces derniĂšres sont blanches et petites, mais fort nourrissantes. Pline compte quarante-neuf espĂšces de dattes ; et comme ce fruit croit dans les forĂȘts, on en avait suspendu des corbeilles aux dĂ©fenses du sanglier, en guise des glands dont il se nourrit, pour les distribuer aux convives, comme nous le verrons bientĂŽt. CHAPITRE XLI. 1 Dionyse⊠liber esto ! â Câest un jeu de mots quâil est impossible de rendre clairement en français. Trimalchion y revient encore quelques lignes plus loin, lorsquâil dit aux convives Non negabitis me habere Liberum patrem. Les anciens donnaient le nom de Pater Ă presque tous les dieux, et celui de Mater aux dĂ©esses, comme le prouve le nom de Jupiter, composĂ© de Zeus et de Pater, ou, selon dâautres Ă©tymologistes, de Juvans Pater ; on trouve partout, dans les poĂ«tes, le nom de MaterdonnĂ© Ă Junon, Ă CĂ©rĂšs, etc. Nous rappellerons, Ă propos de ces divers noms donnĂ©s Ă Bacchus, quâAntoine eut la fantaisie, en traversant la GrĂšce, de se faire appeler Liber ou Bacchus ; il prit le costume de ce dieu, et, comme lui, montĂ© sur un char traĂźnĂ© par des tigres, il se fit accompagner dâhommes et de femmes vĂȘtus en satyres et en bacchantes. Les AthĂ©niens allĂšrent Ă sa rencontre en lâinvoquant comme Bacchus ; et, pour se moquer de lui, lui offrirent en mariage la dĂ©esse Minerve, protectrice de leur ville. Antoine prit fort bien la plaisanterie ; mais, pour les payer de la mĂȘme monnaie, il accepta la fiancĂ©e quâils lui offraient, et leur fit payer mille talents pour sa dot. CHAPITRE XLII. 1 Homo bellus. â Cette Ă©pithĂšte bellus est parfaitement placĂ©e dans la bouche de celui qui parle, et nous apprend lâusage que lâon doit faire de ce mot, quâon applique souvent mal Ă propos, et qui ne peut convenir Ă un personnage de quelque importance. Il se prenait tantĂŽt en bonne, tantĂŽt en mauvaise part. Martial raille plusieurs personnes qui, de son temps, abusaient de ce mot, dont il dĂ©termine le vĂ©ritable sens dans les Ă©pigrammes 7 du livre II et 63 du livre III, oĂč il dit Un joli homme sait et fait joliment une foule de jolies petites bagatelles inutiles ; et tout son mĂ©rite se borne lĂ ; bien diffĂ©rent en cela dâun honnĂȘte homme, etc. » Aussi, dans le passage qui nous occupe, Seleucus, aprĂšs avoir dit que Chrysante Ă©tait un homme aimable, un joli homme, ajoute et tam bonus, comme pour corriger la faiblesse du premier Ă©loge. 2 Medicus enim nihil aliud est quam animi consolatio. â Cet axiome de PĂ©trone, quoique placĂ© dans la bouche dâun fou, est admirable. En effet, le mĂ©decin doit commencer sa cure par consoler son patient, par guĂ©rir son esprit toujours affectĂ© par la maladie. Câest ce que nĂ©gligent trop de docteurs dont lâaspect triste, la figure sĂ©vĂšre, le ton brusque et tranchant, sont plus propres Ă intimider le malade quâĂ lui donner le courage dont il a besoin. CHAPITRE XLIII. 1 Qui linguam caninam comedi. â Scheffer sâimagine Ă tort quâil est question ici de cette herbe quâon appelle cynoglosse, ou langue de chien, plante borraginĂ©e, narcotique et anodine, qui nâa nullement la vertu de rendre les gens hardis Ă parler. Linguam caninam est plutĂŽt, selon moi, une allusion Ă lâeffronterie si connue des cyniques. Câest ainsi que Quintilien dit canina eloquentia, style mordant. Dans HomĂšre, Achille irritĂ© appelle Agamemnon Ćil de chien, et la Fable rapporte quâHĂ©cube, captive, fut changĂ©e en chienne, et le lieu de sa sĂ©pulture, prĂšs dâAbydos, fut appelĂ© le Tombeau de la chienne, parce que, comme cet animal, HĂ©cube aboyait continuellement contre les Grecs. Cependant lingua canina ne doit pas se prendre ici en mauvaise part, car PhilĂ©ros ne dirait pas du mal de lui-mĂȘme, mais dans le mĂȘme sens que, chez nous, un saint Jean bouche dâor, un homme franc, qui ne dĂ©guise en rien sa pensĂ©e. 2 Discordia, non homo. â La discorde incarnĂ©e, la discorde en personne. Nous verrons plus loin piper, non homo. CHAPITRE XLIV. 1 Cum quo audacter posses in tenebris micare. â Expression proverbiale chez les anciens pour dĂ©signer un homme de bien. Vous auriez pu sans crainte jouer Ă la mourre avec lui dans les tĂ©nĂšbres. » La mourre est un jeu qui consiste Ă lever autant de doigts que lâindique celui qui commande il exige une grande vivacitĂ© dans lâexĂ©cution, et en mĂȘme temps celui qui commande a besoin de ses yeux pour voir si on lui prĂ©sente le nombre de doigts indiquĂ©. Mais GanymĂšde dit ici que Safinius Ă©tait de si bonne foi, quâon pouvait jouer Ă ce jeu avec lui au milieu des tĂ©nĂšbres, sans crainte quâil accusĂąt faux. Ce jeu est trĂšs-ancien ; CicĂ©ron en parle presque dans les mĂȘmes termes que PĂ©trone Dignus est quieum in tenebris mices ; et livre III, chapitre 3 des Offices Nullum erit certamen, sed quasi forte, aut micando victus, alleri cedat aller. Calpurnius en fait mention dans sa 2e Ă©glogue Et nunc alternos magis ut distinguere cantus Possitis, ter quisque manus jactate micantes. Nec mora, discernunt digitis prior incipit Idas. Saint Augustin rapporte aussi ce proverbe, livre VIII, chapitre 5 de Trin. Nam ubi id volumus, facile habemus, ut alia omittam, vel micando digitis tribus. Porro cum quo micas in tenebris, ei liberum est, si velit, fallere. Ce jeu est encore fort en usage aujourdâhui en Italie et en Hollande parmi le menu peuple, qui joue Ă la mourre dans les rues avec des Ă©clats de voix surprenants. 2 Nescio quid asiatici habuisse. â Ce GanymĂšde qui parle ici Ă©tait probablement originaire dâAsie, et il profite de cette occasion pour vanter lâinĂ©puisable faconde des orateurs de son pays. Les Asiatiques passaient Ă Rome pour de grands diseurs de riens sonores, comme le prouve ce passage du chapitre 2 de notre auteur Nuper ventosa isthaec et enormis loquacitas Athenas ex Asia commigravit. Or, en Asie on exerçait les chanteurs, les comĂ©diens et toutes sortes dâacteurs, Ă ne point suer ni cracher, pendant quâils Ă©taient en scĂšne. Câest Ă cette coutume que GanymĂšde fait allusion ; et ce quâil trouve surtout dâadmirable dans Safinius, câest quâon ne le voyait jamais ni suer ni cracher, lorsquâil parlait au barreau. 3 Urceatim pluebat. â Comme nous disons en français, il pleut Ă seaux. CHAPITRE XLV. 1 Echion centonarius. â La plupart des Ă©ditions portent centenarius on appelait ainsi les affranchis qui avaient cent mille petits sesterces de rente ; mais jâai prĂ©fĂ©rĂ© mâen tenir au manuscrit de Trau, qui porte centonarius, qui signifie ravaudeur, chiffonnier, marchand de haillons. Les discours que va tenir Ăchion, par exemple son allusion au paysan qui avait perdu un porc bigarrĂ©, me semblent convenir parfaitement Ă un homme de cette profession. Cependant on donnait aussi le nom de centonarii Ă ceux qui fournissaient dans les villes et dans les camps les objets propres Ă Ă©teindre les incendies ; dans ce dernier sens, Ăchion serait une espĂšce de pompier. Ceux qui adoptent centenarius allĂšguent pour motif, que notre homme paraĂźt trĂšs-content de son sort, comme le prouvent ces mots Non, me Hercules ! patria melior dici posset ; ⊠non debemus delicati esse ubique melius caelus est... Tu, si aliubi fueris, dices, hic porcos coctos ambulare, etc. ; mais lâexpĂ©rience prouve que les hommes les plus pauvres ne sont pas toujours ceux qui se plaignent le plus de leur condition. 2 Familia non lanistitia, sed plurimi liberti. â Les maĂźtres qui instruisaient les gladiateurs portaient le nom de lanistae ; ils achetaient des esclaves ou prenaient des enfants trouvĂ©s quâils Ă©levaient pour cette profession. On appelait une troupe de ces gladiateurs familia lanistitia, câest-Ă -dire cui lanista prĆerat. Auguste les chassa de Rome, au rapport de SuĂ©tone, dans la vie de cet empereur, chapitre 42 ; SĂ©nĂšque en parle aussi, de Beneficiis. Les Romains en vinrent Ă un tel excĂšs de cruautĂ© au sujet des combats de gladiateurs, quâoutre les esclaves sans nombre quâils faisaient Ă©gorger dans ces affreux spectacles, ils y engageaient encore des affranchis et des citoyens qui jouissaient dâune pleine libertĂ©. SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, dit que ce prince poussa encore plus loin la barbarie, et quâil fit paraĂźtre dans un amphithéùtre quâil fit bĂątir exprĂšs, non pas des gladiateurs ordinaires ni mĂȘme des affranchis, mais des chevaliers et des sĂ©nateurs romains, au nombre de mille ; et que, non content de cela, il en contraignit quelques-uns des plus considĂ©rables Ă combattre contre les bĂȘtes fĂ©roces il y fit mĂȘme combattre des femmes. Caligula Ă©gala et surpassa mĂȘme la cruautĂ© de NĂ©ron. Claude, lâimbĂ©cile Ă©poux de Messaline, ayant vu avec un extrĂȘme plaisir deux gladiateurs se tuer lâun lâautre en mĂȘme temps, se fit apporter leurs Ă©pĂ©es pour en faire deux couteaux de table ! Voyezle mĂȘme SuĂ©tone, Vies de Caligula et de Claude. 3 Non est mixcix. â Jâignore quel est le sens et lâĂ©tymologie de ce mot ; peut-ĂȘtre faudrait-il Ă©crire mittix de mittere, câest-Ă -dire missio-tiem dare gladiatoribus ; non est mittix, il nâest point homme Ă mĂ©nager ses esclaves, il veut quâon se batte sans quartier, sine fuga, ut amphitheatrum videat carnarium in medio, pour que les spectateurs jouissent dâun vĂ©ritable carnage au milieu du Cirque ; ferrum optimum daturus est, il donnera aux gladiateurs du fer bien trempĂ©, et non pas de ces Ă©pĂ©es au tranchant Ă©moussĂ© comme celles dont on se sert au théùtre. Peut-ĂȘtre faut-il lire simplement mitis au lieu de mixcix ou mittix. 4 Mulierem essedarium. â Juste-Lipse, dans ses Saturnales, traite amplement de ces espĂšces dâamazones qui montaient des chars armĂ©s en guerre. Essedaria de esseda, chariot dont se servaient les Gaulois et les Bretons, et qui avait Ă©tĂ© inventĂ© chez les Belges. 5 Qui deprehensus est, quum dominam suam delectaretur. â Deprehensus est le terme propre pour dire surpris en adultĂšre. Horace, satire 2 du livre I Deprendi miserum est. . . . . . . Par la loi Julia de lâempereur Auguste, la peine de ce crime nâĂ©tait que lâexil. Cependant, sous ce mĂȘme prince et sous ses successeurs, les adultĂšres furent souvent condamnĂ©s Ă mort par plusieurs dĂ©crets particuliers, jusquâĂ ce que, par les constitutions gĂ©nĂ©rales de lâempereur ThĂ©odose et ensuite de Justinien, les peines contre tous les adultĂšres fussent rendues capitales. Outre cela, il avait Ă©tĂ© permis de tout temps au mari qui surprenait un coupable en flagrant dĂ©lit de le tuer, si câĂ©tait un esclave, comme celui dont parle PĂ©trone. 6 Glyco autem, sestertiarius homo, dispensatorem ad bestias dedit. â Sestertiarius homo, un homme de quatre sous, un homme de rien. Pour comprendre ce passage, il faut bien faire attention Ă ces mots ad bestias dedit. Cela ne veut pas dire que Glycon a fait jeter aux bĂȘtes son trĂ©sorier, mais simplement quâil lâa condamnĂ© aux bĂȘtes. Ce Glycon, cet homme de rien, nâayant probablement ni bĂȘtes fĂ©roces, ni amphithéùtre pour faire exĂ©cuter sa condamnation, a donnĂ©, peut-ĂȘtrc mĂȘme vendu cet esclave Ă Titus, pour que celui-ci le fit dĂ©chirer par les bĂȘtes dans le spectacle de gladiateurs quâil est sur le point dâoffrir au public. Ce qui prouve que la sentence nâest pas encore exĂ©cutĂ©e, câest quâĂchion ajoute Ridebis populi rixam inter zelotypos, et amasiunculos. Vous rirez de voir les spectateurs prendre parti les uns pour le mari jaloux, les autres pour le galant favorisĂ©. » Ce motridebisindique clairement que le supplice nâa pas encore eu lieu. Câest ainsi que nous voyons dans le Martyre de sainte PerpĂ©tue Quia sciebam me ad bestius datam esse, mirabar quod non mitterentur mihi bestiĆ. Dans ce passage, datam esse ad bestias ne signifie pas jetĂ©e aux bĂȘtes, mais condamnĂ©e aux bĂȘtes, et a le mĂȘme sens que pronunciare ad bestias que nous trouvons dans Tertullien, de Resurre-ctione carnis ; de mĂȘme, dare ad remum, dans SuĂ©tone, condamner aux galĂšres. 7 Magis illa matella digna fuit, quam taurus jactaret. â Matella, un pot de nuit, câest-Ă -dire une femme impudique ; quam taurus jactaret, quâun taureau la fĂźt sauter en lâair. CâĂ©tait le supplice des adultĂšres. Nodot prĂ©tend quâon les exposait ainsi Ă la fureur des cornes dâun taureau pour en avoir fait pousser sur le front de leurs maris. » Ce quâil y a de certain, câest que, pour entretenir les taureaux dans cet exercice, on plaçait, dans les amphithéùtres, de gros rouleaux de bois quâils ramassaient avec leurs cornes, et quâils lançaient, en lâair avec une grande vigueur. Martial, Ă©pigramme 21, sur les Spectacles de Domitien Namque gravem gemino cornu sic excutit ursum, Jactat ut inipositas taurus in astra pilas. Nous trouvons encore dans le Martyre de sainte PerpĂ©tue Puellis ferocissimam vaccam prĆparavit prior Perpetua jactata est ; et Rufin dit, dans son Histoire ecclĂ©siastique Quum a tauro ferociter instigata fuisset, innumeris ictibus lacessita, et toto arenae ambitu jactata, nihil lĆditur. 8 Colubra restem non parit. â Une couleuvre nâengendre pas une corde. Câest un proverbe qui a le mĂȘme sens que cet autre quâon trouve dans un ancien poĂ«te E vipera rursum vipera nascitur. Câest lâĂ©quivalent, de celui-ci Bon chien chasse de race. 9 Tertiarius mortuus pro mortuo. â Les anciens, Ă un gladiateur vaincu, en substituaient, jusquâĂ trois lâun aprĂšs lâautre, pour combattre contre le vainqueur ; on les appelai subdititii ou snpposititii ou tertiarii, en grec ephedroi. Ici PĂ©trone dit que le gladiateur quâon substitua Ă un autre, qui venait de mourir, Ă©tait lui-mĂȘme un mort, un cadavre, mortuus pro mortuo, car il avait les nerfs coupĂ©s, nervia prĂŠcisa. Caracalla, au rapport de Dion dans la Vie de cet empereur, prenait un si grand plaisir Ă voir rĂ©pandre le sang des gladiateurs, quâil en obligea un, nommĂ© Baton, Ă combattre dans un mĂȘme jour contre trois autres successivement, jusquâĂ ce quâil lâeĂ»t fait tuer ; aprĂšs quoi il lui fit faire des obsĂšques magnifiques. 10 Ad summam, omnes postea secti sunt. â La loi des gladiateurs les contraignant Ă combattre jusquâĂ la mort, ceux qui nâavaient pas de cĆur, aprĂšs un combat dâun moment, se blessaient eux-mĂȘmes, et se coupaient quelquefois un bras pour Ă©mouvoir la compassion des spectateurs et obtenir quâon leur sauvĂąt la vie. Câest lĂ le sens de secti sunt Ils se firent quelques blessures pour terminer le combat. » JuvĂ©nal, dans sa deuxiĂšme satire, dit en parlant dâun de ces poltrons . . . . . Sergiolus jam radere guttur CĂŠperat, et secto requiem sperare lacerto. CHAPITRE XLVI. 1 Cicaro meus. â Câest un terme de tendresse, comme nous disons en français mon poupon, mon poulet. Horace, satire 3 du livre II, en parlant dâun enfant, lâappelle catellus. Ce qui prouve que Cicaro nâest pas ici un nom propre, mais un surnom dâamitiĂ©, câest que Trimalchion sâen sert dans la suite de cette satire, chapitre 7-1, pour dĂ©signer son fils, ou du moins un enfant quâil affectionnait beaucoup Ad dexteram pones statuam FortunatĂŠ meĂŠ, et catellam cingulo alligatam, et Cicaronem meum. Selon Heinsius et Burmann, Cicaro serait mis ici, par corruption, pour Cicero, nom que les anciens donnaient Ă tous les enfants qui annonçaient de grandes dispositions, comme nous dirions dâun enfant bornĂ© Ce nâest pas un Voltaire. Quintilien, livre X, dit en parlant de CicĂ©ron Apud posteros id consequutus est, ut Cicero non jam hominis nomen, sed eloquentiĂŠ habeatur. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ lâorigine du nom de cicerone que lâon donne, en Italie, Ă ceux qui se louent aux Ă©trangers pour leur montrer et leur expliquer les antiquitĂ©s de cette contrĂ©e. 2 Libra rubricata. â Pour libros rubricutos ; barbarisme grossier, qui indique assez lâignorance de celui qui parle. Câest ainsi que lâon appelait les livres de droit, parce que les titres en Ă©taient Ă©crits en lettres rouges, ce qui leur fit donner le titre de rubriques. Perse, satire cinquiĂšme, dit, en parlant dâun livre renfermant les rĂ©ponses dâun cĂ©lĂšbre jurisconsulte Excepto, si quid Mazuri rubrica vetavit. Ce mot est passĂ© de la jurisprudence dans le langage ordinaire, pour signifier des ruses, des finesses, des dĂ©tours. 3 Destinavi illum artificium aut tonsorium doceri, aut prĆconem, aut certe causidicum. â Admirez la progression dans laquelle cet affranchi place les diverses professions auxquelles son fils peut prĂ©tendre, sâil apprend bien le droit Jâai rĂ©solu, dit-il, de lui faire apprendre quelque profession utile, comme celle de barbier, de crieur public, ou tout au moins dâavocat. Et ce nâest pas sans raison quâil place en premiĂšre ligne le mĂ©tier de barbier ; car, sous NĂ©ron et ses successeurs, on vit souvent les premiĂšres charges de la cour occupĂ©es par des gens qui avaient Ă©tĂ© barbiers ou baigneurs. Ce qui motive encore son estime particuliĂšre pour les barbiers, câest quâon en vit plusieurs qui lâemportaient en crĂ©dit et eu richesses sur tous les patriciens ; comme celui dont parle JuvĂ©nal dans sa premiĂšre satire Patricios omnes opibus quum provocet unus Quo tondente gravis juveni mihi barba sonabat. Il juge, en outre, que faire de son fils un barbier ou un crieur public, câest plus que dâen faire un avocat. Il avait vu sans doute plus de gens de cette sorte, que dâavocats, faire fortune Ă la cour. Ainsi, le mĂȘme JuvĂ©nal dit, satire VII, que si lâempereur ne relevait pas la fortune et lâespĂ©rance des poĂ«tes, les plus cĂ©lĂšbres allaient se faire ou baigneurs, ou boulangers, ou crieurs publics . . . . . Quum jam celebres notique poetae Balneolum Gabiis, Romae conducere furnos Tentarent ; nec fĆdum alii, nec turpe putarent PrĆcones fieri. Martial, livre V, Ă©pigramme 50, donnant des conseils Ă un de ses amis sur lâĂ©ducation de son fils, lui recommande de lââĂ©loigner de lâĂ©tude de lâĂ©loquence, de la poĂ©sie, du droit et de toutes les sciences ; et il ajoute Veut-il apprendre quelque chose dâutile, quâil se fasse musicien ou joueur dâinstruments Fac, discat citharĆdus, aut choraules ; ou, sâil nâa pas assez dâesprit pour ces arts, faites-le crieur public ou architecte, » Et livre VI, Ă©pigramme 8, il raconte quâun vieillard avait refusĂ© sa fille Ă deux prĂ©teurs, quatre tribuns, sept avocats et dix poĂ«tes, PrĆtores duos, quatuor tribuni, Septem causidici, decem poetĆ, pour la donner Ă un crieur public. CHAPITRE XLVII. 1 Petauristarios. â Il paraĂźt, dâaprĂšs ce passage, que les anciens Ă©taient parvenus Ă dresser des porcs Ă diffĂ©rents exercices de voltige et Ă certains tours dâadresse, ce qui est prodigieux, vu la lourdeur et le peu dâintelligence de ces animaux. 2 Vitulos, aeno coctos. â On servait sur la table, des veaux, des porcs, des sangliers tout entiers. Ărasme rapporte le proverbe Solidos e clibano boves ; et le poĂ«te comique Antiphane, au rapport dâAthĂ©nĂ©e, livre IV, dit, dans sa piĂšce intitulĂ©e PĂ©lops Nos pĂšres faisaient rĂŽtir un bĆuf entier, un mouton, un cerf. On dit mĂȘme, ajoute-t-il, quâun cuisinier ce qui est monstrueux fit rĂŽtir et servit au grand roi le roi des Perses un chameau tout entier ! 3 Ex quota decuria es ? â Chaque corps de mĂ©tier avait, chez les anciens, ses chefs, quâon appelait dĂ©curions, et chacun dâeux avait plusieurs ouvriers et artisans dans sa dĂ©curie, câest-Ă -dire sous sa direction. Ces dĂ©curies Ă©taient plus ou moins honorables, selon la profession ou lâemploi de ceux dont elles Ă©taient composĂ©es ; ce qui faisait que lâon tirait quelquefois un homme dâune dĂ©curie pour le placer dans une autre plus distinguĂ©e, pour rĂ©compenser son mĂ©rite ; et quelquefois aussi quâon le faisait descendre dans une dĂ©curie infĂ©rieure pour le punir. Ex quota decuria es ? Ces paroles sont pleines de vanitĂ© et dâostentation par lĂ Trimalchion indique quâil avait tant dâesclaves, quâil Ă©tait obligĂ© de les distinguer par dĂ©curies. Or, les Romains avaient trois sortes de valets les principaux se nommaient atrienses, et ils servaient dans le palais ; viatores Ă©taient les valets de pied, quâon envoyait de cĂŽtĂ© et dâautre, et quâon appelait aussi cursores ; les moins estimĂ©s Ă©taient les villici,' 'ou valets de basse-cour. CHAPITRE XLVIII. 1 Dicitur confine esse Tarracinensibus et Tarentinis. â La premiĂšre de ces villes est dans la campagne de Rome, et la seconde aux extrĂ©mitĂ©s du royaume de Naples. Ce passage suffirait seul pour prouver que ce nâest pas NĂ©ron que PĂ©trone a eu en vue sous le nom de Trimalchion cet empereur nâĂ©tait pas sans doute un Ă©rudit, mais il nâĂ©tait pas non plus dâune ignorance assez grossiĂšre pour commettre dâaussi lourdes bĂ©vues. Il est donc beaucoup plus probable que notre auteur a voulu peindre ici Tigellin, cet homme sorti de la lie du peuple, qui, Ă force de bassesses et dâintrigues, parvint Ă supplanter PĂ©trone dans la faveur de NĂ©ron, et bientĂŽt aprĂšs Ă le perdre. CHAPITRE L. 1 Quum Ilium cuptum est, Annibal, homo vafer, etc. â Cette histoire, ou plutĂŽt ce conte de Trimalchion sur lâorigine de lâairain de Corinthe, est parfaitement conforme Ă son Ă©ducation, et offre un trait dâexcellent comique. Personne nâignore combien Annibal fut postĂ©rieur Ă la guerre de Troie. Ce fut lâan de Rome 608, cinquante-sept ans aprĂšs quâAnnibal eut quittĂ© lâItalie, que les Romains prirent Corinthe et la livrĂšrent aux flammes. On prĂ©tend que, du mĂ©lange des mĂ©taux qui se fondirent dans lâembrasement de cette ville, se forma le bronze de Corinthe. CHAPITRE LI. 1 Fuit tamen faber, qui fecit phialam vitream, quĂŠ non frangebatur. â Parmi les dĂ©couvertes que nous devons aux anciens, il en est peu de plus utiles pour les commoditĂ©s et les agrĂ©ments de la vie que lâinvention du verre. Cette dĂ©couverte est due au hasard, et remonte Ă mille ans environ avant lâĂšre chrĂ©tienne. Pline dit que des marchands de nitre, qui traversaient la PhĂ©nicie, sâĂ©tant arrĂȘtĂ©s sur les bords du fleuve BĂ©los pour y faire cuire leur nourriture, mirent, Ă dĂ©faut de pierres, des morceaux de nitre pour soutenir leurs vases, et que ce nitre, mĂȘlĂ© avec le sable, se fondit Ă la chaleur du feu, et forma une liqueur claire et transparente qui, sâĂ©tant figĂ©e, donna la premiĂšre idĂ©e de la façon du verre. Il est dâautant plus Ă©tonnant que les anciens nâaient pas connu plus tĂŽt lâart de rendre le verre propre Ă transmettre la lumiĂšre dans leurs maisons, et Ă conserver la reprĂ©sentation des objets, en appliquant lâĂ©tain derriĂšre les glaces, que les progrĂšs de la dĂ©couverte du verre furent chez eux portĂ©s fort loin. En effet, quels beaux ouvrages nâont-ils pas faits avec cette matiĂšre ! Quoi de plus superbe, par exemple, que ces colonnes de verre, dâune hauteur et dâune grosseur prodigieuses qui dĂ©coraient le temple de LâĂźle dâAradus ? Mais le plus fameux ouvrage en verre est le théùtre que Seaurus fit construire, pendant quâil Ă©tait Ă©dile ce théùtre avait trois Ă©tages ornĂ©s de trois cent soixante colonnes. Le premier Ă©tage Ă©tait tout de marbre ; le deuxiĂšme, tout incrustĂ© de verre en mosaĂŻque, ornement jusquâalors inconnu, et qui nâa jamais Ă©tĂ© imitĂ© depuis ; le troisiĂšme Ă©tait de bois dorĂ©. Les colonnes du premier Ă©tage avaient 13 mĂštres environ de hauteur ; trois mille statues de bronze, placĂ©es entre les piliers, rendaient ce théùtre le plus noble et le plus somptueux que lâon ait jamais vu. Quant Ă lâhistoire racontĂ©e par Trimalchion au sujet du verre mallĂ©able, elle ne mĂ©rite aucune croyance. CâĂ©tait un conte dĂ©jĂ usĂ© chez les anciens, et dont les hommes instruits se moquaient. Cependant, il paraĂźt quâon y croyait encore du temps de Pline lâAncien, qui place cette invention sous le rĂšgne de TibĂšre. Voyez livre xxxvi, chapitre 26, oĂč il assure quâon se contenta de ruiner la boutique et les instruments de lâouvrier. Dâautres auteurs, comme Dion, livre LVII, et Isidore, livre XVI, chapitre 15. prĂ©tendent quâon fit mourir lâinventeur. CHAPITRE LII. 1 Quemadmodum Cassandra occidit filios suos. â Cette histoire de Cassandre qui tue ses enfants, et de NiobĂ© enfermĂ©e dans le cheval de Troie, est une nouvelle preuve de lâignorance de Trimalchion, qui, voulant expliquer Ă ses convives les sujets ciselĂ©s sur ses amphores dâargent, brouille, confond les faits et les Ă©poques. Quâest-ce encore que ces combats dâHermĂ©ros et de PĂ©tracte ? Je pense que notre Midas veut parler du combat dâHector et de Patrocle. On voit tous les jours des gens sans Ă©ducation commettre de pareilles bĂ©vues, lorsquâils veulent faire preuve dâĂ©rudition. Ce serait donc peine perdue que de chercher Ă expliquer sĂ©rieusement les discours de cet ivrogne. 2 Credite mihi, cordacem nemo melius ducit. â La cordace, danse lascive des Grecs. AthĂ©nĂ©e, livres IX et XIV, dit quâil nây avait que des personnes sans pudeur qui osassent la danser elle Ă©tait probablement du genre des boleros espagnols et de la chahut de nos guinguettes. Meursius, dans son Orchestrum, prodigue lâĂ©rudition sur cette danse, et cite une multitude de passages empruntĂ©s dâauteurs grecs et latins qui en ont parlĂ© ; mais nous nâavons pu faire aucun usage des lambeaux quâil entasse sans choix et sans ordre, malgrĂ© lâextrĂȘme envie que nous avions dâoffrir Ă nos lecteurs une description dĂ©taillĂ©e de cette danse. Quoi quâil en soit, elle devait ĂȘtre dâune indĂ©cence rare ; puisque Trimalchion veut en amuser lâivresse de ses convives et la sienne ; et nous croyons pouvoir, sans nous tromper, la ranger dans la classe des danses obscĂšnes. Les Grecs en firent leurs dĂ©lices, et les Romains lâadoptĂšrent avec une espĂšce de fureur, lorsquâils eurent pris les mĆurs, les arts et les vices de la GrĂšce. Câest probablement la cordace qui donna aux Romains lâidĂ©e de la danse nuptiale qui offrait la peinture la plus dissolue de toutes les actions secrĂštes du mariage. La licence de cet exercice fut poussĂ©e si loin sous le rĂšgne de TibĂšre, que le sĂ©nat fut forcĂ© de chasser de Rome, par un dĂ©cret solennel, tous les danseurs et tous les maĂźtres de danse ; mais le mal Ă©tait trop grand, lorsquâon y appliqua ce remĂšde extrĂȘme, et la dĂ©fense ne servit quâĂ rendre ce plaisir plus piquant. Qui le croirait ? la jeunesse romaine prit la place des danseurs Ă gages quâon avait chassĂ©s. Le peuple imita la noblesse ; et les sĂ©nateurs eux-mĂȘmes nâeurent pas honte de se livrer Ă cet indigne exercice. Il nây eut plus de distinction sur ce point entre les plus grands noms et la plus vile canaille de Rome. Enfin lâempereur Domitien, qui nâĂ©tait rien moins que dĂ©licat sur les mĆurs, se vit obligĂ© dâexclure du sĂ©nat des pĂšres conscrits qui sâĂ©taient avilis au point, dâexĂ©cuter en public ces sortes de danses. Cette frĂ©nĂ©sie de danser Ă©tait bien Ă©loignĂ©e de la modestie des mĆurs romaines du temps de CicĂ©ron, qui, dans lâoraison pro Murena, dit que lâon ne pouvait faire Ă un homme une injure plus grave que de lâappeler danseur Un homme, ajoute-t-il, ne peut danser, sâil nâest ivre ou fou. CHAPITRE LIII. 1 Saltuariorum testumenta. â Saltuarii, ceux qui Ă©taient chargĂ©s de la garde des forĂȘts et des fruits. 2 Trimalchio cum elogio exheredabatur. â Tel Ă©tait le malheur de ces temps-lĂ , que les empereurs cassaient souvent, les testaments des particuliers pour sâemparer de leurs biens. DĂšs lors, ceux qui voulaient en conserver une partie Ă leur famille Ă©taient obligĂ©s de faire un legs considĂ©rable Ă lâempereur, pour lâintĂ©resser Ă maintenir leurs dispositions testamentaires. Quelques-uns sâen excusaient dans leurs testaments, et y expliquaient les raisons quâils avaient de ne rien laisser Ă lâempereur. Câest le sens du mot elogium, qui, dans le droit, se prend ordinairement en mauvaise part, et sâapplique aux motifs quâon allĂ©guait pour exhĂ©rĂ©der quelquâun. Ainsi saint Augustin in Sermone de vita et moribus clericorum dit Ambos exheredavit, illum cum laude, istum cum elogio. CHAPITRE LIV. 1 Alienum mortuum plorare. â Allusion au mĂ©tier de ces femmes quâon louait pour pleurer aux funĂ©railles. Lucilius, satire XXII, dit Ă ce sujet CouductĆ flent alieno in funere ; Stace, livre V des Silves, vers 245 Non sua funera plorant ; et SĂ©nĂšque, de Clementia, livre X, chapitre 6 Qui a sapiente exigit ut lamentationem exigat et in alienis funeribus gemitus. CHAPITRE LV. 1 Summa carminis penes Nursum Thracem commorata est. â Quelques critiques veulent que ce Marsus soit le poĂ«te de ce nom auquel Martial liv. IV, Ă©pigr. 29 attribue un poĂ«me sur les Amazones, et dont les ouvrages nâexistent plus, Ă lâexception du quatrain suivant sur la mort de Tibulle, dont il Ă©tait contemporain, et qui mourut apparemment peu de jours aprĂšs Virgile Te quoque Virgilio comitem non Ćqua, Tibulle, Mors juvenem campos misit in Elysios, Ne foret, aut Elegis molles qui fleret amores, Aut caneret forti regia bella manu. Dâautres critiques ont substituĂ© Mopsus, poĂ«te tragique, Ă Marsus. Mais, dit Burmann, on ne voit nulle part que ni lâun ni lâautre soient nĂ©s dans la Thrace. Dâailleurs, il est vraisemblable que les convives de Trimalchion, beaux esprits, qui affectaient la grĂ©comanie, qui faisaient Ă lâenvi parade de leur Ă©rudition, ont imaginĂ© de citer plutĂŽt quelque poĂ«te ancien de la GrĂšce, quâun poĂ«te latin moderne ; et comme lâintention de PĂ©trone Ă©tait de les tourner en ridicule, et de mettre dans tout son jour la bĂȘtise de ces fanfarons de science, il nâest pas Ă©tonnant quâils aient nommĂ© prĂ©cisĂ©ment le plus mauvais. Jâaime donc mieux croire, ajoute Burmann, que les copistes, pour abrĂ©ger le mot, ont Ă©crit Morsum pour Morsimum. Morsimus Ă©tait effectivement un poĂ«te tragique, que Suidas reprĂ©sente comme le plus mĂ©prisable des Pradons de la GrĂšce, et dont Aristophane se moque dans sa comĂ©die des Grenouilles. 2 Quid putes inter Ciceronem et Publium interesse. â Publius Syrus, ainsi nommĂ© parce quâil Ă©tait nĂ© en Syrie, fut conduit comme esclave Ă Rome, y acquit dans la suite beaucoup de cĂ©lĂ©britĂ© par ses comĂ©dies, qui lui valurent lâestime et la protection de Jules CĂ©sar. Decius Laberius, qui excellait dans ce genre, appelĂ© mimique par les anciens, venait de mourir. Publius, qui avait Ă©tĂ© quelque temps son rival, lui succĂ©da, et obtint des succĂšs plus Ă©clatants encore que son prĂ©dĂ©cesseur. Quelques anciens ont mis les piĂšces de ce mimographe au-dessus de tout ce que les poĂ«tes tragiques et comiques avaient produit de meilleur. Jules CĂ©sar en faisait un cas infini ; et, aprĂšs lui, Cassius Severus et SĂ©nĂšque le Philosophe en jugĂšrent trĂšs-favorablement. NĂ©anmoins ses piĂšces nâeurent pas le mĂȘme succĂšs dans tous les temps lâempereur Claude en raffolait ; mais, Ă cette Ă©poque, le peuple jadis roi ne partageait pas lâengouement du prince, et frondait au théùtre lâadmiration de lâauguste protecteur. Claude prit le parti dâuser de rigueur ; et, tandis que Messaline remplissait Rome et lâunivers du scandale de ses dĂ©bauches, plus soigneux de la gloire de Publius que de lâhonneur du lit impĂ©rial, il ordonnait au censeur de prendre les prĂ©cautions nĂ©cessaires pour forcer les Romains Ă rire aux comĂ©dies de son poĂ«te favori. Quoi quâil en soit, CicĂ©ron, trĂšs-bon juge en littĂ©rature, ou nâaimait pas le genre de Publius, ou mĂ©prisait ses talens ; car il Ă©crit Ă lâun de ses amis quâil a su se faire assez de violence pour assister sans ennui, pendant les jeux cĂ©lĂ©brĂ©s par CĂ©sar, aux piĂšces de Publius et de Laberius. Mais, pensĂąt-on diffĂ©remment sur le compte de ce poĂ«te, le parallĂšle que fait Trimalchion nâen paraĂźtra sĂ»rement pas moins absurde au lecteur sensĂ© car lâauteur des Offices, des Tusculanes, et de tant dâautres ouvrages sĂ©rieux et sublimes, ne peut avoir aucun Irait de ressemblance avec un poĂ«te comique, quelles que soient les saillies aimables et spirituelles que celui-ci ait semĂ©es dans ses piĂšces. 3 Ciconia etiam grata, peregrina, hospita. â Avant le rĂšgne dâAuguste, on ne sâĂ©tait pas encore avisĂ© de manger des cigognes ; dâoĂč Horace dit, satire 2 du livre II Tutus erat rhombus, tutoque ciconia nido, Donec vos auctor docuit praetorius. Ce fut un certain Acinius Rufus qui, le premier, fit servir des cigognes sur sa table, et les mit Ă la mode ; et comme ensuite il brigua la prĂ©ture qui lui fut refusĂ©e, on fit Ă ce propos une chanson dont voici le sens Si ce galant Rufus, qui apprĂȘte si bien les cigognes, nâa pas eu les suffrages en sa faveur, câest que le peuple a voulu venger la mort de ces oiseaux. Les cigognes, dâailleurs, nâĂ©taient pas bonnes Ă manger leur raretĂ© en faisait tout le prix. 4 Ăquum est, induere nuptam ventum textilem. â SĂ©nĂšque, de Beneficiis, lib. VII, dit Je vois des vĂȘtements de soie, si lâon peut appeler vĂȘtements ces Ă©toffes qui ne mettent Ă couvert ni le corps ni la pudeur, et avec lesquelles une femme ne peut dire, sans mentir, quâelle nâest pas nue. Câest ce quâon va chercher Ă grands frais chez des nations inconnues, afin que nos femmes fassent voir au public tout ce quâelles peuvent faire voir en particulier Ă leurs galants. » Il nâest pas nĂ©cessaire de faire sentir le rapport qui existe entre le passage de SĂ©nĂšque et les vers de PĂ©trone Ăquum est, induere nuptam ventum textilem, Palam prostare nudam in nebula linea. Varron appelle ces habits vitreas togas, des robes de verre. Saint JĂ©rĂŽme, Ă©crivant Ă LĂ©ta sur lâĂ©ducation de sa fille, veut quâelle porte des habits qui la garantissent du froid, et qui ne la laissent pas nue en la couvrant Non quibus vestita corpora nudentur. Horace, satire 2 du livre I . . . . . Cois tibi paene videre est, Ut nudam. . . . Coae vestes Ă©taient des habits dâune gaze trĂšs-fine quâon faisait dans lâĂźle de Cos, oĂč il y avait une grande quantitĂ© de vers Ă soie Pline, liv. II, chap. 23. CHAPITRE LVI. 1 Puerque, super hoc positus officium, apophoreta recitavit. â Les Romains, pendant les Saturnales, et lorsquâils donnaient des festins, faisaient des espĂšces de loteries oĂč lâon tirait des billets qui contenaient toutes sortes de choses dont le maĂźtre de la maison faisait prĂ©sent aux convives. Pour rendre ces loteries plus divertissantes, au lieu de billets blancs, comme dans les nĂŽtres, on y mettait des sentences extravagantes ou des choses de nulle valeur, pour se moquer de ceux Ă qui ces billets tombaient en partage. SuĂ©tone, dans la Vie dâAuguste, chapitre 75, en donne des exemples Aux Saturnales, dit-il, et mĂȘme en dâautres occasions oĂč il voulait se divertir, cet empereur faisait des loteries oĂč il mettait des habits magnifiques, de lâor, de lâargent, quelquefois des mĂ©dailles ; puis des Ă©ponges, des pelles Ă feu, des pincettes, des tuniques de poil de chĂšvre, et des lots encore plus bizarres. » Le mĂȘme historien dit que NĂ©ron faisait en particulier de semblables loteries, et que dans les fĂȘtes quâil cĂ©lĂ©bra pro Ćternitate imperii, pour lâĂ©ternelle durĂ©e de lâempire, il en ouvrit de publiques, oĂč il fut, selon sa coutume dans ces sortes dâoccasions, gĂ©nĂ©reux et prodigue Ă lâexcĂšs. Il faisait jeter au peuple mille billets par jour, dont quelques-uns renfermaient des lots assez considĂ©rables pour faire tout dâun coup la fortune de ceux entre les mains desquels ils tombaient. Louis XIV donna quelquefois le mĂȘme divertissement Ă sa cour ; mais la dignitĂ© naturelle du prince nây admettait que des accessoires convenables Ă la majestĂ© du trĂŽne. 2 Argentum sceleratum ! â Lâargent est appelĂ© ici sceleratum, câest-Ă -dire causa omnium scelerum. . . . . . Quid non mortalia pectora cogis Auri sacra fames ? a dit Virgile. On donnait Ă Rome le nom de sceleratus, non-seulement aux personnes qui commettaient des crimes, mais aux choses inanimĂ©es. Câest ainsi quâon appelait porte ScĂ©lĂ©rate la porte Carmentale, par oĂč Ă©taient sortis les trois cent six Fabiens qui furent tous tuĂ©s par les Ătruriens ; et rueScĂ©lĂ©rate,celle dans laquelle la femme de Tarquin fit passer son char sur le corps de son pĂšre. 3 Seriphia et contumelia ! â Il y a dans ce passage une foule de jeux de mots et de mauvaises plaisanteries dont le sens est souvent inintelligible. Cependant nous avons quelquefois rĂ©ussi Ă les comprendre tel est, par exemple, le rapport de son, intraduisible en français, qui existe entre contumelia, des outrages, et contus cum malo, un croc et une pomme ; le rapport de forme entre porri, des poireaux, et flagellum, un fouet ; entre canalem et pedalem un canal et une mesure dâun pied, et lepus et solea, un liĂšvre et une pantoufle. Mais entre les mots murĆnam et litteram, et murem cum rana alligatum et fascem betĆ, le jeu de mots est encore plus facile Ă saisir murĆna, en effet, renferme, Ă une lettre prĂšs, mus et rana. Pour comprendre lâanalogie qui existe entre litteram et betĆ, il faut se rappeler que beta, B, est la seconde lettre de lâalphabet grec. Ces niaiseries sont bien dignes de Trimalchion et de ses convives. CHAPITRE LX. 1 Repente lacunaria sonare caeperunt. â Les Romains Ă©taient si somptueux dans leurs festins, que les lambris de leurs salles Ă manger se changeaient quelquefois Ă chaque service, soit en tournant sur eux-mĂȘmes, soit en sâentrâouvrant. SĂ©nĂšque, Ă©pĂźtre 91 Qui versatilia coenationum laquearia ita coaginentat, ut subinde alia facies atque alia succedat, et toties tecta quoties fercula mutentur, etc. SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, chapitre 31, dĂ©crit de semblables lambris pratiquĂ©s dans le palais de cet empereur, et dâoĂč lâon rĂ©pandait sur les convives des fleurs et des parfums. 2 CoronĆ aureĆ, cum alabastris unguenti, pendebant. â AthĂ©nĂ©e, livre xv, nous apprend quâon apportait pour chacun des convives des couronnes et des parfums, avant de servir le fruit les Grecs les faisaient descendre du plafond Ă lâaide dâune machine. Le poĂ«te Alexis raconte que lâon vit paraĂźtre dans les banquets des colombes frottĂ©es dâessences quâelles rĂ©pandaient, en volant, sur la table et sur les convives. Horace, odes 4 et 38 du livre I, demande des couronnes de myrte Ă lâesclave qui lui verse Ă boire il est aussi question, au chapitre 28 dâIsaĂŻe, de ces couronnes dont les buveurs se paraient Ă la fin des repas, et lorsque le vin les faisait chanceler. Presque toutes ces habitudes de luxe avaient passĂ© des Assyriens aux Grecs, soit par les Ăgyptiens, soit par les PhĂ©niciens, et sâĂ©taient transmises des Grecs aux Romains. Les couronnes ordinaires des festins Ă©taient de fleurs ou de myrte ; mais celles que Trimalchion fait donner Ă ses convives sont dâor, ou tout au moins dorĂ©es, pour montrer la richesse et la magnificence du maĂźtre de la maison. 3 Priapus, a pistore factus. â Comme Priape Ă©tait le dieu des jardins, il Ă©tait tout naturel quâil prĂ©sidĂąt au dessert. Les pĂątissiers faisaient pour ce service des figures de Priape qui, dans le devant de leur robe, car tel est le vĂ©ritable sens de ces mots sinu satis amplo, offraient aux convives toutes sortes de fruits et de raisins omnis generis poma et uvas sustinebat. Ces Priapes Ă©taient de pĂąte cuite, et on pouvait les manger, comme le dit Martial dans lâĂ©pigramme 69 du livre XIV Si vis esse satur, nostrum potes esse Priapum. 4 CĆperunt effundere crocum. â SĂ©nĂšque, dans lâĂ©pĂźtre 91, rapporte que lâon faisait jaillir du safran dans les salles de festin par des tuyaux cachĂ©s. On sâen servait surtout dans les fĂȘtes sacrĂ©es, et on en parfumait les coussins sur lesquels on posait les statues des dieux. 5 Unum Cerdonem, alterum Felicionem, tertium Lucronem. â Ce sont des noms de divinitĂ©s, comme celles que saint Augustin tourne en ridicule au commencement de son ouvrage intitulĂ© la CitĂ© de Dieu. Les anciens avaient fini par Ă©tablir une divinitĂ© spĂ©ciale pour chaque action et pour chaque objet. â Cerdonem, kerdos, signifie gain, lucre, profit, dâoĂč lâon tire lâĂ©tymologie du vieux mot français guerdon, qui veut dire la rĂ©compense ou le profit de quelque travail ou service. PolĂ©mon, ancien et cĂ©lĂšbre historien, Ă©crit, au rapport dâAthĂ©nĂ©e, livre V, que les habitants de Sparte adoraient un dieu quâils appelaient Kerdon. JuvĂ©nal appelle cerdones des artisans, des gagne-petit, satire IV, avant-dernier vers. â Felicionem de felix, le dieu du bonheur. â Lucronem de lucrum, le dieu du gain ; le mĂȘme probablement que Cerdon ce nâĂ©tait pas trop de deux divinitĂ©s de cette nature pour un homme qui avait fait sa fortune par des gains qui nâĂ©taient probablement pas trĂšs-lĂ©gitimes. Arnobe, livre IV, Contre les gentils, leur reproche des dieux quâils adoraient sous le mĂȘme nom, Lucrios deos, qui prĂ©sidaient aux gains mĂȘme les plus dĂ©shonnĂȘtes et les plus injustes CHAPITRE LXII. 1 Intellexi illum versipellem esse. â Les Latins nommaient varios et versipelles ceux qui, comme ProtĂ©e, changeaient de forme quand il leur plaisait. Plaute, dans Amphitryon, dit en parlant de Jupiter, tantĂŽt taureau, tantĂŽt cygne, tantĂŽt corbeau Ita versipellem se facit quando lubet. Ce mot rĂ©pond Ă peu prĂšs Ă notre loup-garou et, au lycanthrope. des Grecs. Pline dit Ă ce sujet, livre VIII, chapitre 22 Homines in lupos verti, rursumque restitui sibi, falsum esse, confidenter existimare de-bemus. Unde tamen ista vulgo infixa sit fama in tantum, ut in maledictis versipelles habeat, indicabitur. CHAPITRE LXIII. 1 Asinus in tegulis. â Câest une expression, proverbiale, pour dire une chose surprenante et incroyable. 2 Nam a puero vitam chiam gessi. â Car, dĂšs mon enfance, jâai toujours menĂ© une vie voluptueuse. » Vitam chiam, ainsi appelĂ©e de Chio, une des Ăźles de la mer EgĂ©e, renommĂ©e pour la mollesse de ses habitants. AthĂ©nĂ©e, livre I, nous apprend que la vie voluptueuse de ce peuple Ă©tait, passĂ©e en proverbe, comme celle des PhĂ©aciens, leurs voisins. HomĂšre, dans lâOdyssĂ©e, Horace, Ă©pĂźtre 15 du livre I, et Junius, dans ses proverbes, font mention de cette Ăźle, oĂč les concerts dâinstruments, les danses et les festins Ă©taient continuels. 3 Subito strigĆ cĆperunt. â StrigĆ ou striges Ă©taient des oiseaux de nuit qui, disait-on, enlevaient les enfants au berceau et leur suçaient le sang câest cette espĂšce de grande chauve-souris que nous appelons vampire. Ovide explique ainsi lâorigine de leur nom au livre VI des Fastes Nocte volant, puerosque petunt nutricis egentes, ............ Est illis strigibus nomen, sed nominis hujus Causa, quod horrenda stridere nocte solent. On a ensuite donnĂ© ce nom aux sorciĂšres, parce quâelles choisissent la nuit pour faire leurs malĂ©fices. Robert Southey, dans une de ses ballades, fait parler ainsi la SorciĂšre de Berkeley I have suckâd the breath of sleeping babes, The fiends have been my slaves ; I have ânointed myself with infantsâ fat, And feasted on rifled graves. Jâai sucĂ© le souffle des nouveau-nĂ©s pendant leur sommeil ; les dĂ©mons ont Ă©tĂ© mes esclaves ; je me suis parfumĂ©e de la graisse des enfants, et je me suis rĂ©galĂ©e de la chair des cadavres sur les tombeaux profanĂ©s. » ApulĂ©e, dans lâAne dâor, livre I, parle amplement de ces sorciĂšres, et dit quâelles sont surtout friandes de chair humaine. Les lois saliques ordonnent que si-une sorciĂšre a mangĂ© un homme, et quâelle en soit convaincue, elle payera 200 Ă©cus, » ce qui Ă©tait une grande somme pour ce temps-lĂ . Câest pour cette raison quâon gardait anciennement les corps morts avec tant de soin. 4 Salvum sit, quod tango. â Câest une formule de priĂšre pour Ă©carter un fĂącheux Ă©vĂ©nement. Le narrateur vient de dire que le Cappadocien perça de son Ă©pĂ©e une sorciĂšre dans lâendroit quâil indique sur son propre corps ou sur celui dâun de ses voisins de table, comme le marquent ces mots, hoc loco ; et, pour effacer la fĂącheuse impression de son rĂ©cit, ou la crainte superstitieuse que le geste quâil vient de faire a pu faire naĂźtre soit dans son esprit, soit dans celui du convive quâil a touchĂ©, il ajoute Salvum sit quod tango Que les dieux prĂ©servent dâun pareil accident lâendroit que je touche ! » CHAPITRE Unum Apelletem. â ApellĂšte Ă©tait un tragĂ©dien qui avait une trĂšs-belle voix ; Caligula le fit dĂ©chirer Ă coups de verges, pour avoir balancĂ© Ă rĂ©pondre lequel il trouvait le plus grand, de Jupiter ou de lui ; et, tandis quâIl expirait sous les coups, ce prince, en lâentendant gĂ©mir, eut la fĂ©rocitĂ© de dire quâil lui trouvait la voix charmante en cet instant.. VoyezSuĂ©tone, dans laViede cet empereur, chapitre 33. 2 Buccae ! buccĆ ! quot sunt hic ? â Câest une espĂšce de jeu puĂ©ril que Lavaur dĂ©crit ainsi Lâun monte Ă califourchon sur le dos de lâautre ; il le frappe dâune main et lĂšve quelques-uns des doigts de lâautre main, comme ceux qui jouent Ă la mourre ; puis il demande Ă celui qui est sous lui combien il a levĂ© de doigts, et continue Ă le frapper jusquâĂ ce quâil ait devinĂ©. » Chaque pays a un mot particulier pour dĂ©signer le patient. Peut-ĂȘtre, au lieu de buccĆ, serait-il prĂ©fĂ©rable de lire bucco, sot, imbĂ©cile, reproche qui semblerait sâadresser Ă la lenteur dâesprit de celui qui ne peut pas deviner combien de doigts on lui prĂ©sente. CHAPITRE LXV. 1 InsecutĆ sunt matteĆ. â Les mattĂ©es Ă©taient un service composĂ© de mets dĂ©licats, hachĂ©s et assaisonnĂ©s dâĂ©piceries, enfin tel que notre auteur va les dĂ©crire ; ce mot est tirĂ© du grec mattun qui vient de mattĂŽ, ou massĂŽ, pĂ©trir ; hacher. AthĂ©nĂ©e, vers la fin de son livre XIV, enseigne la maniĂšre de faire les mattĂ©es ; sa prescription est digne de figurer dans le Cuisinier royal ou le Cordon-Bleu Hachez et mĂȘlez ensemble, dit-il, une perdrix, des pigeons gras, des petits poulets gras, et arrosez le tout de vinaigre ou de verjus ; » et, livre iv, il y ajoute des oisons, des tourterelles, des grives, des merles, des liĂšvres, des agneaux, des chevreaux. Câest une espĂšce de salmis, ou plutĂŽt dâolla podrida, quâon mettait ordinairement sur table avant le dernier service. SĂ©nĂšque, Ă©pĂźtre 95 ; dit Ă ce sujet Piget esse singula, coguntur in unum sapores, in cĆna fit quod fieri debet saturo in ventre ; exspecto jam ut manducata ponantur On ne se contente plus de manger les mets sĂ©parĂ©s, on rassemble tous les goĂ»ts en un seul ; on fait Ă table ce qui doit se faire dans lâestomac rassasiĂ© ; on en viendra bientĂŽt, jâespĂšre, Ă servir des viandes toutes mĂąchĂ©es. » 2 Nudos pedes in terram deferre.â On devait cet hommage aux premiers magistrats du pays, et surtout au prĂ©teur qui rendait et faisait rendre la justice, de se lever sur ses pieds, lorsquâil entrait dans le lieu oĂč lâon Ă©tait ; et câest ce quâEncolpe se disposait Ă faire, prenant Habinnas pour le prĂ©teur, lorsquâAgamemnon lâavertit de son erreur. Ce passage prouve dâailleurs Ă©videmment que les anciens se mettaient Ă table les pieds nus, comme nous lâavons dit prĂ©cĂ©demment. Quand ils passaient dans la salle du festin, ils prenaient des mules de chambre, quâils quittaient au bas des lits, et quâils reprenaient en se levant. Ainsi Horace, satire 2 du livre II, dit que le maĂźtre de la maison, voulant se lever pour donner quelques ordres, demande ses pantoufles soleas poposcit. 3 Scissa lautam novemdialem servo suo Misello faciebat. â On nommait sacrum novemdiale le sacrifice que lâon faisait pour un mort, neuf jours aprĂšs son dĂ©cĂšs, et qui Ă©tait suivi dâun festin, auquel on invitait tous les amis du dĂ©funt. Cette solennitĂ© est indiquĂ©e dans la novelle 115 de Justinien, chapitre v, et dans saint Augustin, Questions sur la GenĂšse, oĂč il se plaint que les chrĂ©tiens imitent cette coutume des paĂŻens, quod apud Latinos novemdiale appellatur. Les jeux de lâanniversaire de la mort dâAnchise se font au jour de la neuvaine, EnĂ©ide, livre V Exspectata dies aderat, nonamque serena Auroram Phaethontis equi jam luce vehebant. Dans lâIliade chant XXIV, Priam demande Ă Achille neuf jours pour pleurer Hector. Ordinairement on gardait pendant sept jours le corps du dĂ©funt ; on le brĂ»lait le huitiĂšme jour, et le neuviĂšme on lâensevelissait. 4 Quem mortuum manumiserat. â CâĂ©tait un caprice, dont il est difficile de concevoir la raison, dâaffranchir un esclave Ă lâarticle de sa mort, Ă moins que ce ne fĂ»t pour ne pas perdre le prix de sa libertĂ© ; câest ce que les anciens appelaient moribundum manumittere, et non pas mortuum, comme le dit ici PĂ©trone pour outrer la plaisanterie. Les jurisconsultes ont Ă©tĂ© plusieurs fois consultĂ©s pour savoir si cet affranchissement Ă©tait valable, et la loi derniĂšre Digest. de manum. testam. dit positivement Quosdam scribere solitos, stichus quum morietur, liber esto. 5 Coacti sumus dimidias potiones super ossicula ejus effundere. â CâĂ©tait lâusage chez les anciens de verser du vin sur les bĂ»chers et sur les tombeaux des morts ; ainsi aux funĂ©railles de MisĂšne, livre VI de lâĂnĂ©ide Postquam coliapsi cineres, et flamma quievit, Relliquias vino et bibulam lavere favillam. Selon Festus, on appelait ces libations vinum respersum. Le religieux Numa avait cependant dĂ©fendu de rĂ©pandre du vin sur les bĂ»chers, par la loi Postumia, qui rĂ©glait les funĂ©railles Vino rogum ne adspergito Pline, liv. XIV, chap. 2. . CHAPITRE LXVI. 1 Scriblita frigida. â Habinnas se moque ici de Scissa, quand il parle de la tarte froide quâil a fait servir Ă ses convives les tartes, chez les anciens, ne se servaient que chaudes, comme le prouve ce passage de Martial, livre III, Ă©pigramme 17 Circumlata diu mensis scriblita secundis, Urebat nimio sĆva calore manus. CHAPITRE LXXX. 1 Intorto circa brachium pallio.â Ferrarius de Re vestiaria, liv. I, ch. 5 nous apprend que câĂ©tait la coutume des Romains, lorsquâils se prĂ©paraient Ă un combat imprĂ©vu, ou lorsquâils nâavaient pas eu le temps de prendre leurs armes dĂ©fensives, de sâentourer le bras gauche de leur manteau, en guise de bouclier. On en voit un exemple dans CĂ©sar, Guerre civile, livre I Reliqui coeunt inter se, et, repentino periculo exterriti, sinistras sagis involvunt, gladios distringunt, atque ita se a cetratis equitibusque defendunt, castrorum propinquitate confisi ; et dans Valerius Flaccus ; livre III, vers 118 Linquit et undantes mensas infectaque pernox Sacra Medon, chlamys imbelli circumvenit ostro Torta manum, strictoque vias praefulgurat ense. 2 Grex agit in scena mimum. â Que diraient les artistes dramatiques de notre siĂšcle remarquez bien que je ne me sers pas du mot de comĂ©diens, sâils venaient, ce qui nâest pas probable, Ă jeter les yeux sur ce passage oĂč PĂ©trone, en parlant des acteurs de son temps, se sert de lâexpression grossiĂšre grex, troupe, troupeau il y aurait de quoi faire jeter les hauts cris, mĂȘme aux artistes funambules. Il est bien vrai que, sous Louis XIV, on disait la troupe de MoliĂšre, et que lâauteur du Tartufe, qui Ă©tait comĂ©dien lui-mĂȘme, ne sâen offensait pas. Mais nous avons changĂ© tout cela ; et maintenant on dit une compagnie, une sociĂ©tĂ© dâartistes dramatiques ce qui ne veut pas dire que ces messieurs et ces dames aient plus de mĂ©rite que les comĂ©diens du temps de MoliĂšre. Non, sans doute, mais ils ont gagnĂ© en considĂ©ration ce quâils ont perdu en talent câest encore un perfectionnement. A propos de ce passage Grex agit in scena mimum, nous croyons devoir relever lâerreur oĂč sont tombĂ©s plusieurs interprĂštes dâHorace, qui prĂ©tendent que les mimes de lâantiquitĂ© Ă©taient une espĂšce de comĂ©die jouĂ©e par un seul acteur. Si ces mots de PĂ©trone Grex agit mimum, ne suffisaient pas pour prouver le contraire, nous pourrions citer plusieurs autres autoritĂ©s non moins imposantes, et entre autres ce vers dâHorace lui-mĂȘme, livre I, Ă©pĂźtre 18 . . . . . Vel partes mimum tractare secundas. CHAPITRE LXXXI. 1 Menelaus etiam antescholanus. â Les savants sont divisĂ©s sur la vĂ©ritable signification de ce mot antescholanus les uns en font une espĂšce de sous-maĂźtre, de rĂ©pĂ©titeur ; dâautres, et Gonsallo de Salas est de ce nombre, nây voient quâun inspecteur, un gardien du proscholium, vestibule des Ă©coles publiques, qui nâĂ©tait sĂ©parĂ© que par un rideau du lieu oĂč se tenait lâauditoire. Les Ă©lĂšves, avant de se prĂ©senter devant le professeur, devaient sây arrĂȘter pour composer leur visage et leur maintien, ce dont ils Ă©taient avertis par leproscholuschargĂ© de ce soin. CHAPITRE LXXXII. 1 In exercitu vestro phĆcasiati milites ambulant ? â Le phĆcasion Ă©tait un soulier blanc, dont la mode Ă©tait venue des Grecs, et que portaient les prĂȘtres, les courtisans et les baladins. Du reste, cette scĂšne, entre Encolpe et ce soldat matamore, est dâun naturel exquis. Il est impossible de peindre dâune maniĂšre plus vraie les transes dâun poltron qui veut faire le brave. CHAPITRE LXXXIII. 1 Etiam animorum esse picturam. â Le plus grand mĂ©rite de la peinture et de la sculpture a toujours Ă©tĂ©, non pas simplement de rendre exactement la forme des objets, mais dâanimer les personnages que lâon reprĂ©sente de façon Ă faire croire Ă leur existence rĂ©elle. Câest ce qui a fait dire Ă Virgile, en parlant des statues de bronze, spirantia Ćra. Pline rapporte un exemple remarquable dâun peintre qui excellait Ă donner lâexpression de la nature Ă ses figures Ăqualis ejus fuit Aristides Thebanus. Is omnium primus animum pinxit, et sensus omnes expressit, quos vocant GrĂŠci ebĂš ; item perturbationes, durior paulo in coloribus. Hujus pictura est, oppido capto ad matris mo-rientis e vulnere mammam adrepens infans intelligitur sentire mater et timere ne, emortuo lacte, sanguinem infans lambat, etc. 2 Si modo coronis aliquid credendum est. â On nâa jamais donnĂ© de couronnes publiques aux poĂ«tes, pour prix de leurs ouvrages, avec plus de magnificence que du temps de Domitien et de NĂ©ron. Ce dernier prince les briguait avec beaucoup dâaviditĂ©, au rapport de Tacite et de SuĂ©tone. On comptait jusquâĂ sept sortes de ces couronnes. La premiĂšre se nommait querna, de chĂȘne ; elle se donnait in Capitolino certamine, parce que le chĂȘne Ă©tait consacrĂ© Ă Jupiter Capitolin. Martial, livre IV, Ă©pigramme 45, sâĂ©crie O cui tarpeias licuit contingere quercus, Et meritas prima cingere fronde comas ! La deuxiĂšme, oleacea, qui fut instituĂ©e en lâhonneur de Minerve, Ă qui lâolivier Ă©tait dĂ©diĂ© on la recevait in Albano certamine. Voyez SuĂ©tone, dans la Vie de Domitien. La troisiĂšme, palmea, Ă©tait composĂ©e de branches de palmier, nouĂ©es avec des rubans de diverses couleurs ; ce qui lui faisait donner lâĂ©pithĂšte de lemniscata. Ausone dit Ă ce sujet Et quĂŠ jam dudum tibi palma poetica pollet Lemnisco ornata est, quo mea palma caret, La quatriĂšme, laurea on en couronnait aussi les empereurs ; ce qui a inspirĂ© Ă Stace cette pensĂ©e ingĂ©nieuse pour flatter Domitien At tu, quem longe primum stupet itala virtus Graiaque, cui geminae florent vatumque ducumque Certatim laurus, olim dolet altera vinci. ___________Achilleidoslib. 1, v. 14. La cinquiĂšme, ex edera. Pline en parle, livre XVI, chapitre 62 Alicui et semen nigrum, alii crocatum cujus coronis poetĆ utuntur, foliis minus nigris. DâoĂč Ovide Art dâaimer,liv. III, v. 411, se plaignant que les Muses sont dĂ©laissĂ©es et sans honneur Nunc ederae sine honore jacent. . . . . . La sixiĂšme, myrtea. CâĂ©tait avec raison quâon couronnait les poĂ«tes Ă©lĂ©giaques et lyriques du myrte consacrĂ© Ă VĂ©nus ; ce qui a fait dire Ă Stace, livre I, silve 2 . . . . . .Mitisque incedere vates Maluit, et nostra laurum subtexere myrto. Enfin la septiĂšme, ex apio, dâache, espĂšce de grand persil. Dans son commentaire sur ces vers de 15 sixiĂšme Ă©glogue de Virgile Ut linus haec illi divino carmine pastor, Floribus atque apio crines ornatus amaro, Dixerit. . . . Servius nous apprend quâon dĂ©cernait cette couronne dans les jeux NĂ©mĂ©ens, qui furent instituĂ©s en lâhonneur du poĂ«te Archemorus. Ju-vĂ©nal sat. VIII, v. 224 adresse Ă NĂ©ron le reproche dâavoir briguĂ© la couronne dâache Quid Nero tam saeva crudaque tyrannide fecit ? Haec opera atque hae sunt generosi principis artes, Gaudentis faedo peregrina ad pulpita saltu Prostitui, graiaeque apium meruisse coronae. Dans les jeux publics, le mĂȘme poĂ«te pouvait remporter plusieurs cou-ronnes ; Stace en obtint trois aux jeux Albins. Une ancienne inscription, recueillie par Gruter, nous apprend quâun enfant de treize ans obtint la couronne dĂ©cernĂ©e aux poĂ«tes dans les jeux Capitolins. Voici cette inscription L. VALERIO. PUDENT. HIC. QUUM. ESSET. ANNORUM. XIII. ROMAE. CERTAMINE. JOVIS. CAPITOLINI. LUSTRO. SEXTO. CLARITATE. INGENII. CORONATUS. EST INTER. POETAS. LATINOS. OMNIBUS. SENTENTIIS. JUDICUM. 3 Quare ergo, inquis, tam male vestitus es ? â On trouve un passage semblable dans Martial, livre VI, Ă©pigramme 82 Subrisi modice, levique nutu ; Me, quem dixerat esse, non negavi. Cur ergo, inquit, habes malas lacernas ? Respondi Quia sum malus poeta. Ces plaisanteries sur la misĂšre des gens de lettres sont maintenant usĂ©es et rebattues, et ne trouvent plus guĂšre dâapplications dans notre siĂšcle, oĂč tout homme douĂ© dâun talent, mĂȘme mĂ©diocre, tire presque toujours un parti avantageux de son travail. On a dâailleurs justement blĂąmĂ© dans Boileau ce sarcasme cruel sur la pauvretĂ© dâun mauvais poĂ«te Tandis que Colletet, crottĂ© jusquâĂ lâĂ©chine, Sâen va chercher son pain de cuisine en cuisine. 4 Et qui sollicitat nuptas, ad praemia peccat. âComme lâadultĂšre Ă©tait puni de mort chez les Romains, les femmes mariĂ©es payaient souvent leurs amants pour les engager au secret. Cette loi est encore en usage chez plusieurs peuples modernes. Du reste, il nây avait que lâadultĂšre et le viol qui fussent si sĂ©vĂšrement punis ; tout autre genre de prostitution Ă©tait tolĂ©rĂ©, on pourrait presque dire encouragĂ©, comme le montre ce passage de saint JĂ©rĂŽme Apud illos viris impudicitiĆ frena laxan-tur, et solo stupro atque adulterio condemnato, passim per lupanaria, et ancillulas libido permittitur, quasi culpam faciat dignitas, non sâĂ©lĂšve encore plus loin contre cet infĂąme commerce des hommes qui faisaient payer leurs caresses Scribit amatori meretrix ; dat adultera nummos. CHAPITRE LXXXV. 1 In Asiam quum a quĆstore essem stipendio edu-ctus. â On ne peut nier que cette aventure du poĂ«te Eumolpe ne soit racontĂ©e avec beaucoup dâesprit et dâagrĂ©ment ; mais quelles mĆurs, grands dieux ! quelle profonde dĂ©pravation dans cet homme qui, ayant reçu lâhospitalitĂ© dans une maison, cherche, par tous les moyens possibles, Ă corrompre le fils de son hĂŽte, et abuse dâune maniĂšre infĂąme de la confiance de ses parents, qui, dupes de son air sĂ©vĂšre et de ses chastes discours, lâont chargĂ© de voilier sur lâĂ©ducation de leur enfant ! QuâEncolpe raconte ses honteuses amours avec Giton, on le conçoit lâauteur, dĂšs les premiĂšres lignes de cet ouvrage, nous a reprĂ©sentĂ© son hĂ©ros comme un aventurier souillĂ© de toute espĂšce dâinfamies, et de la part duquel on doit sâattendre Ă tout ; mais quâEumolpe, un poĂ«te de quelque mĂ©rite, dans la bouche duquel PĂ©trone place ses plus beaux vers, le poĂ«me de la Guerre civile ; quâun vieillard se vante, en plaisantant, dâavoir violĂ© les plus saintes lois de lâhospitalitĂ©, câest ce que je ne pourrais pardonner Ă PĂ©trone, si je ne savais que ce qui, dans nos mĆurs, serait monstrueux, semblait aux Romains tout simple, tout naturel. Preuve nouvelle des immenses services rendus Ă lâhumanitĂ© par le christianisme. Du reste, je partage entiĂšrement lâavis de Saint-Ăvremond, qui a rĂ©futĂ©, dâune maniĂšre trĂšs-ingĂ©nieuse, les auteurs qui ont fait lâĂ©loge de la morale du Satyricon. Saint-Ăvremond sâĂ©tait montrĂ© lâadmirateur passionnĂ© du style et de lâesprit de PĂ©trone ; mais son enthousiasme, comme on va le voir, ne lui fermait pas les yeux sur lâimmoralitĂ© de ses personnages. Le passage dont il sâagit est Ă©crit avec tant de grĂące, quâon me saura grĂ© de le mettre ici sous les yeux du lecteur, malgrĂ© son Ă©tendue Je ne suis pas de lâopinion de ceux qui croient que PĂ©trone a voulu reprendre les vices de son temps ; je me trompe, ou les bonnes mĆurs ne lui ont pas tant dâobligation. Sâil avait voulu nous laisser une morale ingĂ©nieuse dans la description des voluptĂ©s, il aurait tĂąchĂ© de nous en donner quelque dĂ©goĂ»t ; mais câest lĂ que paraĂźt le vice avec toutes les grĂąces de lâauteur ; câest lĂ quâil fait voir, avec le plus grand soin, lâagrĂ©ment et la politesse de son esprit. Sâil avait eu dessein de nous instruire par une voie plus fine et plus cachĂ©e que celle des prĂ©ceptes, pour le moins verrions-nous quelque exemple de la justice divine et humaine sur ses dĂ©bauchĂ©s. Tant sâen faut le seul homme de bien quâil introduit, le pauvre Lycas, marchand de bonne foi, craignant bien les dieux, pĂ©rit misĂ©rablement dans la tempĂȘte au milieu de ces corrompus qui sont conservĂ©s. Encolpe et Giton sâattachent lâun avec lâautre pour mourir plus Ă©troitement unis, et la mort nâose toucher Ă leurs plaisirs. La voluptueuse TryphĂšne se sauve avec toutes ses hardes dans un esquif. Eumolpe fut si peu Ă©mu du danger, quâil avait le loisir de faire quelques Ă©pigrammes. Lycas, le pieux Lycas appelle inutilement les dieux Ă son secours ; Ă la honte de leur providence, il paye ici pour tous les coupables. Si lâon voit quelquefois Encolpe dans les douleurs, elles ne lui viennent point de son repentir ; il a tuĂ© son hĂŽte, il est fugitif ; il nây a sorte de crimes quâil nâait commis grĂące Ă la bontĂ© de sa conscience, il vit sans remords. Ses larmes, ses regrets ont une cause bien diffĂ©rente il se plaint de lâinfidĂ©litĂ© de Giton qui lâabandonne ; son dĂ©sespoir est de se lâimaginer dans les bras dâun autre qui se moque de la solitude oĂč il est rĂ©duit. Tous les crimes lui ont succĂ©dĂ© heureusement, Ă la rĂ©serve dâun seul qui lui a vĂ©ritablement attirĂ© une punition ; mais câest un pĂ©chĂ© pour qui les lois divines et humaines nâont point ordonnĂ© de chĂątiment. Il avait mal rĂ©pondu aux caresses de CircĂ© ; et, Ă la vĂ©ritĂ©, son impuissance est la seule faute qui lui ait fait de la peine. Il avoue quâil a failli plusieurs fois, mais quâil nâa jamais mĂ©ritĂ© la mort quâen cette occasion. BientĂŽt il retombe dans le mĂȘme crime, et reçoit le supplice mĂ©ritĂ© avec une parfaite rĂ©signation. Alors il rentre en lui-mĂȘme et reconnaĂźt la colĂšre des dieux ; il se lamente du pitoyable Ă©tat oĂč il se trouve ; et, pour recouvrer sa vigueur, il se met entre les mains dâune prĂȘtresse de Priape, avec de trĂšs-bons sentiments de religion, mais, en effet, les seuls quâil paraisse avoir dans toutes ses aventures. Je pourrais dire encore que le bon Eumolpe est couru des petits enfants quand il rĂ©cite ses vers ; mais quand il corrompt son disciple, la mĂšre le regarde comme un philosophe ; et, couchĂ© dans une mĂȘme chambre, le pĂšre ne sâĂ©veille pas. Tant le ridicule est sĂ©vĂšrement puni chez PĂ©trone, et le vice heureusement protĂ©gĂ© ! Jugez par lĂ si la vertu nâa pas besoin dâun autre orateur pour ĂȘtre persuadĂ©e. Je pense quâil Ă©tait du sentiment de Beautru quâhonnĂȘte homme et bonnes mĆurs ne sâaccordent pas ensemble. » Dissertation sur PĂ©trone. CHAPITRE LXXXVIII. 1 Et Chrysippus⊠ter helleboro animum detersit. â Chrysippe, fils dâApollonius de Tarse, fut un philosophe stoĂŻcien qui excella surtout dans la dialectique. DiogĂšne LaĂ«rce rapporte quâil composa soixante-quinze volumes, et PĂ©trone dit quâil prit trois fois de lâellĂ©bore. Les anciens philosophes croyaient que cette herbe Ă©tait salutaire Ă lâesprit, comme le tabac des modernes. ValĂšre Maxime liv. II, chap. 8 rapporte que CarnĂ©ade en usait beaucoup. Le meilleur croissait dans lâĂźle dâAnticyre. De lĂ vient quâanciennement on disait, par raillerie, dâun homme qui faisait quelque extravagance, naviget Anticyram. LâellĂ©bore dont les anciens se servaient Ă©tait lâellĂ©bore blanc, ou veratrum ; en français, viraire ; câest un purgatif trĂšs-violent. 2 Lysippum, statuĆ unius lineamentis inhĆrentem.â Lysippe fut, au rapport des anciens historiens, le plus cĂ©lĂšbre sculpteur qui ait jamais existĂ©. Quintilien rapporte quâon a vu de lui jusquâĂ cent dix ouvrages ; ce qui semblerait contredire ce que PĂ©trone dit ici StatuĆ unius lineis inhĆrentem inopia extinxit. Alexandre le Grand faisait tant de cas de cet excellent artiste, quâil fit une ordonnance par laquelle il dĂ©fendait Ă tout autre sculpteur que Lysippe de faire sa statue, et Ă tout autre quâApelles de le peindre ; ce quâHorace rappelle trĂšs-spirituellement Ă Auguste, dans son Ă©pĂźtre 1re du livre II Edicto vetuit ne quis se, praeter Apellem, Pingeret, aut alius Lysippo duceret ĂŠra, Fortis Alexandri vultum simulantia CHAPITRE XC. 1 Lapides in Eumolpum recitantem miserunt. â Gonsalle de Salas compare ici trĂšs-plaisamment le poĂ«te Eumolpe, Ă la tĂȘte duquel les pierres volent sitĂŽt quâil commence Ă rĂ©citer ses vers, Ă cet Amphion qui faisait mouvoir les pierres aux accents de sa voix, comme le dit Horace dans son Art poĂ©tiquev. 393 Dictus et Amphion, thebanae conditor arcis, Saxa movere sono testudinis, et prece blanda Ducere quo vellet. . . . . . CâĂ©tait une coutume barbare, sans doute, mais assez frĂ©quente chez les anciens, lorsquâils Ă©taient rĂ©unis au théùtre, de lancer des pierres Ă la tĂȘte des mauvais poĂ«tes, comme ils jetaient des couronnes de fleurs Ă ceux dont les ouvrages obtenaient leur approbation. 2 Immo, inquam ego, si ejuras hodiernum bilem, una cĆnabimus. âPĂ©trone a reprĂ©sentĂ© trĂšs-plaisamment, sous le personnage dâEumolpe, ces poĂ«tes qui ont la manie de rĂ©citer leurs vers Ă tout venant et partout, au bain, Ă la promenade, Ă table. CHAPITRE XCI. 1 Video Gitona, cum linteis et strigilibus. â Le strigile ou racloir, en usage dans les bains des anciens pour masser, Ă©tait une petite ratissoire en forme de serpette, mais sans tranchant, dont on se servait pour faire tomber la sueur, et en mĂȘme temps la crasse qui Ă©tait sur le corps. CHAPITRE XCII. 1 Ipsum hominem laciniam fascini crederes.â Mot Ă mot Vous eussiez dit que cet homme nâĂ©tait que le bord dâun phallus ; câest-Ă -dire que lâhomme semblait attachĂ© Ă la verge, plutĂŽt que la verge Ă lâhomme. Câest dans ce sens que Catulle a dit Non homo, sed vere mentula magna, minax. 2 Ne mea quidem vestimenta ab officioso recepissem. â Dans les premiers temps de la puissance romaine, on avait Ă©tabli dans les bains publics des officiers nommĂ©s capsarii, pour garder les habits de ceux qui venaient se baigner. Ensuite la rĂ©publique ayant perdu sa libertĂ© avec son respect pour les mĆurs, on confia ce soin Ă de jeunes garçons dâun extĂ©rieur agrĂ©able, quâau rapport de SĂ©nĂšque le RhĂ©teur on nomma officiosi, en raison de leur complaisance Ă se prĂȘter aux goĂ»ts lascifs des baigneurs. 3 Tanto magis expedit, inguina, quam ingenia fricare. â Il y a ici un jeu de mots intraduisible en français, qui consiste dans le rapprochement de ces mots inguina, ingenia. CHAPITRE XCIII. 1 Ultimis ab oris Attractus scarus. â Le latin dit que la sargue Ă©tait attirĂ©e Ă Rome des extrĂ©mitĂ©s du monde, parce que ce poisson Ă©tait trĂšs-rare. On le faisait venir de la mer Carpathienne, avant quâun certain Optatus, affranchi de TibĂšre, qui avait le commandement de lâarmĂ©e navale sur la cĂŽte dâOstie, en fĂźt apporter un trĂšs-grand nombre quâon jeta dans la mer de Toscane. Lâempereur ayant ordonnĂ© quâon rejetĂąt tous ceux que lâon pĂȘcherait, il sâen trouva quelque temps aprĂšs une fort grande quantitĂ©, particuliĂšrement vers la Sicile, oĂč ils avaient Ă©tĂ© inconnus jusquâalors. Pline le Naturaliste dit que ce poisson vit dâherbes, et rumine comme le bĆuf. 2 Amica vincit Uxorem. â Ovide donne la raison de cette prĂ©fĂ©rence dans son Art dâAimer, livre III, vers 585 Hoc est, uxores quod non patiatur amari Conveniunt illas, quum voluere, viri ; et un peu plus loin, vers 603 Quae vehit ex tuto minus est accepta voluptas. 3 Rusa cinnamum veretur. â La cinnamome est un arbuste odorifĂ©rant, de la famille du cannelier ; les anciens liraient de son suc un parfum trĂšs-rare et trĂšs-estimĂ©, dont Martial liv. IV, Ă©pigr. 13 parle en ces termes Tam bene rara suo miscentur cinnama nardo. Quant aux roses, elles Ă©taient si communes en Italie, quâau rapport de Servius, dans son commentaire sur le livre IV des GĂ©orgiques, il y avait une ville en Calabre oĂč lâon faisait deux fois lâan la rĂ©colte des roses ; câest probablement la ville de PĆstum, que Virgile, pour cette raison, appelle biferum. A moins quâil ne soit ici question de cette espĂšce de roses quâon appelle remontantes, et qui fleurissent plusieurs fois lâan. CHAPITRE XCIV. 1 Raram facit mixturam cum sapientia forma. â Virgile exprime ainsi la mĂȘme pensĂ©e Gratior est pulchro veniens in corpore virtus. Et JuvĂ©nal . . . . . Rara est concordia formae Atque pudicitiae ? . . . 2 Et jam semicinctio stanti ad parietem spondae me junxeram. â Le semicinctium Ă©tait une espĂšce de demi-ceinture. Saint Isidore liv. XIX, chap. 33 des Origines dit, en parlant des diffĂ©rentes espĂšces de ceintures en usage chez les anciens Cinctus est lata zona, et ex utrisque minima cingulum. Quant Ă sponda, câest le bois du lit quâEncolpe avait dressĂ© debout, le long de la muraille, et auquel il avait attachĂ© sa ceinture pour se pendre. 3 Mercenario Eumolpi novaculam rapit. âIl ne faut pas confondre, dans les auteurs latins, mercenarius avec servus mercenarius, a mercede, Ă©tait un homme libre qui se louait comme valet Ă un autre homme, moyennant une rĂ©compense convenue. Celui-ci, dont le nom Ă©tait Corax ; comme on le verra plus loin, a bien soin de rappeler Ă son maĂźtre quâil est nĂ© libre Quid vos, inquit, me jumentum putatis esse, aut lapidariam navem ? hominis operas locavi, non caballi ; nec minus liber sum quam vos, etsi pauperem pater me reliquit. CHAPITRE XCV. 1 Sciatis, non viduĂŠ hanc insulam esse. â Câest ici le lieu de bien prĂ©ciser le sens de ces mots insula, insularii, qui se reprĂ©senteront plusieurs fois dans la suite. Insula ne signifie pas une Ăźle, dans le sens ordinaire, mais une maison isolĂ©e, dont les murs ne tiennent Ă aucune maison voisine, et qui, par cette raison, forme une espĂšce dâĂźle ou dâoasis dans une ville ou un village. Câest lâexplication que Festus donne de ce mot InsulĂŠ dictae proprie, quĂŠ non junguntur, parietibus cum vicinis, circuituque publico, vel privato cinguntur. Tacite MĆurs des Germains,chap. 16 Suam quisque domum spatio circumdat, nullis cohaerentibus ĂŠdificiis, more insularum ; et Donat dans son commentaire sur ce passage des Adelphes de TĂ©rence, acte IV, se. 2 Id quidem angiportum, dit Domos, vel portus, vel insulus, veteres dixerunt. Ces maisons isolĂ©es Ă©taient beaucoup plus communes Ă Rome que les maisons mitoyennes avec dâautres. Les PĂšres de lâĂglise donnent Ă©galement le nom dâinsulĂŠ aux Ă©glises, parce quâelles Ă©taient nĂ©cessairement sĂ©parĂ©es de toutes les demeures voisines. Insula signifie aussi un quartier isolĂ© des autres par les rues environnantes. 2 Insularii, dont il est question un peu plus loin, signifie par cette raison, non pas simplement les habitants dâune maison de cette nature, mais ceux qui en occupaient une partie Ă titre de location. Dâinsula on a fait insulare, dâoĂč vient notre verbe françaisisoler. 3 Ille, tot hospitum potionibus ebrius, urceolum fictilem in Eumolpi ca-put juculatus est. â Burmann lit Ille tot hospitum potionibus dives ; ce qui nâoffre aucun sens, car la richesse de cet aubergiste nâa aucun rapport avec la rixe qui sâĂ©lĂšve entre lui et le poĂ«te Eumolpe. Nodot, Tornaesius, Patisson et Puteanus, auxquels il faut joindre Erhard, Richard de Bourges et plusieurs autres commentateurs, lisent Ille tot hospitum potationibus liberum fictilem urceolum, et ils expliquent les mots liberum fictilem urceolum, par une cruche de terre vide, ou vidĂ©e par les nombreuses libations des hĂŽtes de Manicius. Ce sens est plus raisonnable ; mais tous les manuscrits portent liber, et non pas liberum, ce qui est bien diffĂ©rent. Ne pourrait-on pas, dans ce cas, entendre par liber potationibus hospitum, un homme Ă©chauffĂ©, rendu libre dans ses propos et dans ses actions par les nombreuses rasades quâil avait bues avec ses hĂŽtes ? Je conviens que le mot liber est trĂšs-rarement employĂ© dans ce sens. Par ces motifs, jâai pensĂ© que quelque copiste, voyant sur un ancien manuscrit le mot ebrius a demi effacĂ©, aura lu liber. Dans tous les cas, ebrius a plus de rapport avec liber que le dives de Burmann. 4 Anus... soleis ligneis imparibus imposita. â Sans doute cette vieille servante Ă©tait boiteuse ; câest du moins ce que lâon peut infĂ©rer de ces mots soleis imparibus imposita. CHAPITRE XCVI. 1 Caput miserantis stricto acutoque articulo percussi. â Câest ce que les Latins appelaient talitrum, et nous chiquenaude. CâĂ©tait un chĂątiment quâon infligeait aux enfants et aux esclaves. Cependant Gonsalle de Salas et Burmann, dans leurs notes, le traduisent en grec par le mot kondulos, qui signifie un coup de poing. Je pencherais assez pour ce sens ; car il ne me paraĂźt pas naturel que Giton, ĂągĂ© de seize ans, comme nous le verrons bientĂŽt, pleurĂąt pour une chiquenaude. 2 Procurator insulĂŠ, Bargates. â Procurator signifie ici le quartenier, le commissaire du quartier, et non pas lâintendant, lâadministrateur dâune maison, dâun bien, comme lâentend Bourdelot. CHAPITRE XCVII. 1 Crispus, mollis, formosus. â Crispus, frisĂ©, ce qui Ă©tait regardĂ© comme une grande beautĂ© chez les anciens. Voyez Martial, livre V, Ă©pigramme 62 Crispulus iste quis est, uxori semper adhaeret Qui, Mariane, tuĆ ? crispulus iste quis est ? Moschus, dans sa charmante idylle de lâAmour fugitif, reprĂ©sente Cupidon frisĂ©. 2 Ascyltos stabat, amictus discoloria veste. â Le code ThĂ©odosien du VĂȘtement dont il convient de se servir dans Rome ordonne que ceux qui feront quelque acte public seront revĂȘtus dâune robe de plusieurs couleurs. 3 Annecteretque pedes et manus institis, quibus sponda culcitam ferebat. â Ces cordes Ă©taient passĂ©es les unes dans les autres, et tenaient aux traverses du lit comme sont aujourdâhui nos fonds sanglĂ©s. Câest ce que prouve un autre passage de notre auteur, chapitre 140 Coraci autem imperavit ut lectum, in quo ipse jacebat, subiret, positisque in pavimento manibus, dominum lumbis suis commoveret. Ce quâil nâeĂ»t pu faire, si le fond du lit eĂ»t Ă©tĂ© fait de planches, et non de sangles ou de cordes. CHAPITRE XCVIII. 1 Eumolpus conversus salvere Gitona jubet. â Lâusage de saluer, quand on Ă©ternue, est le seul peut-ĂȘtre qui ait rĂ©sistĂ© aux diverses rĂ©volutions qui ont changĂ© la face du monde. LâuniversalitĂ©, comme lâantiquitĂ© de cette coutume, est vraiment Ă©tonnante. 1° Aristote remonte, pour expliquer cet usage, aux sources de la religion naturelle il observe que la tĂȘte est lâorigine des nerfs, des esprits, des sensations, le siĂšge de lâĂąme, lâimage de la divinitĂ© ; quâĂ tous ces titres, la substance du cerveau a toujours Ă©tĂ© honorĂ©e ; que les premiers hommes juraient par leur tĂȘte ; quâils nâosaient toucher, encore moins manger la cervelle dâaucun animal remplis de ces idĂ©es, il nâest pas Ă©tonnant quâils aient Ă©tendu leur respect religieux jusquâĂ lâĂ©ternuement. Telle est, suivant Aristote, lâopinion des anciens et des plus savants philosophes. 2° Dâautres crurent trouver Ă cet usage une source plus lumineuse, en la cherchant dans la philosophie de la Fable et de lâĂąge dâor. Quand PromĂ©thĂ©e, disent-ils, eut mis la derniĂšre main Ă sa figure dâargile, il eut besoin du secours du ciel pour lui donner le mouvement et la vie. Il y fit un voyage sous la conduite de Minerve. AprĂšs avoir parcouru lĂ©gĂšrement les tourbillons de plusieurs planĂštes, oĂč il se contenta de recueillir, en passant, certaines influences quâil jugea nĂ©cessaires pour la tempĂ©rature des humeurs, il sâapprocha du soleil sous le manteau de la dĂ©esse, remplit subtilement une fiole de cristal, faite exprĂšs, dâune portion choisie de ses rayons, et, lâayant bouchĂ©e hermĂ©tiquement, il revint aussitĂŽt Ă son ouvrage favori. Alors, ouvrant le flacon sous le nez de la statue, le divin phlogistique pĂ©nĂ©tra dans la tĂȘte, sâinsinua dans les libres du cerveau ; et le premier signe de vie que donna la crĂ©ature nouvelle fut dâĂ©ternuer. PromĂ©thĂ©e, ravi de lâheureux succĂšs de son invention, se mit en priĂšre, et fit des vĆux pour la conservation de son ouvrage qui les entendit, sâen souvint, et les rĂ©pĂ©ta toujours, dans la mĂȘme occasion, Ă ses enfants, et ceux-ci les ont perpĂ©tuĂ©s jusquâĂ ce jour, de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, dans toutes leurs colonies. Cette ingĂ©nieuse fiction, qui nous laisse entrevoir, dans la plus haute antiquitĂ©, la connaissance des procĂ©dĂ©s de lâĂ©lectricitĂ© ; qui montrait Ă lâhomme le premier anneau de la chaĂźne qui le lie au systĂšme gĂ©nĂ©ral de la crĂ©ation ; qui lui rĂ©vĂ©lait enfin le plus haut principe de la physique et de la religion naturelle, quoiquâelle manque de soliditĂ© sous le point de vue historique, nous a paru peindre dâune maniĂšre trop intĂ©ressante la nature et lâhomme Ă sa naissance, pour nous refuser au plaisir de la transmettre Ă nos lecteurs. 3° Enfin, lâhypothĂšse suivante nâest peut-ĂȘtre pas la moins spĂ©cieuse. Parmi les enfants qui viennent de naĂźtre, dit-on, les uns ne respirent que quelques instants aprĂšs quâils sont au monde, et dâautres restent tellement plongĂ©s dans un Ă©tat de mort apparente, quâil faut, avec des liqueurs irritantes, leur souffler la chaleur et la vie. Alors le premier effet de lâair, le premier signe dâexistence quâils donnent, est lâĂ©ternument. Cette espĂšce de convulsion gĂ©nĂ©rale semble les rĂ©veiller en sursaut, et la commence le jeu de la respiration, lâharmonie parfaite, et le libre exercice de chaque organe. Au comble de ses vĆux, ou dans lâexcĂšs mĂȘme de ses craintes, un pĂšre nâa quâun souhait quâil rĂ©pĂ©tera, un souhait qui retentira dans son cĆur Ă chaque secousse qui fait tressaillir son enfant câest que son fils vive, que le dieu des cieux le conserve ! Quoi quâil en soit de ces diverses hypothĂšses, ce respect religieux pour les Ă©ternuments fut pour les Romains une source inĂ©puisable dâerreurs et de prĂ©jugĂ©s ridicules. La superstition distingua les bons Ă©ternuments dâavec les mauvais. Quand la lune Ă©tait dans certains signes du zodiaque, lâĂ©ternument Ă©tait un bon augure, et dans les autres il Ă©tait mauvais. Le matin, depuis minuit jusquâĂ midi, câĂ©tait un fĂącheux pronostic ; favorable, au contraire, depuis midi jusquâĂ minuit. On le jugeait pernicieux en sortant du lit ou de table ; il fallait sây remettre et tĂącher ou de dormir, ou de boire, ou de manger quelque chose pour changer ou rompre les lois du mauvais quart dâheure. Ils tiraient aussi de semblables inductions des Ă©ternuments simples ou redoublĂ©s, de ceux qui se faisaient en tournant la tĂȘte Ă droite ou Ă gauche, au commencement ou au milieu de lâouvrage, et de plusieurs autres circonstances dont le dĂ©tail serait aussi long quâinutile. CHAPITRE XCIX. 1 Ego sic semper et ubique vixi, ut ultimam quamque tucem, tanquam non redituram, consumerem. â Cette maxime vraiment Ă©picurienne se trouve souvent reproduite dans Horace livre I, Ă©pitre 4 Omnem crede diem tibi diluxisse supremum. Ode 16 du livre II Quid brevi fortes jaculamur Ćvo. Multa ? . . . . . IĆtus in praesens animus quod ultra est Oderit curare, et amara lento Temperet risu ; nihil est ab omni _____Parte beatum. Ode 8 du livre III Dona prĆsentis cape lĆtus horae, et _____Linque severa. 2 Moraris, inquit Eumolpe, tanquam properandum ignores ? â Burmann lit propudium au lieu de properandum. Jâavoue quâavec ce mot la phrase est pour moi inintelligible. Propudium, en effet, signifie honte, infamie, obscĂ©nitĂ©, et je ne vois pas quelle honte il pouvait y avoir Ă faire attendre le patron du navire. Nodot imprime prope diem ignores ; ce qui a du moins plus de sens. Jâai adoptĂ© properandum, dâaprĂšs lâautoritĂ© de TornĂ©sius. 3 In altum compono. â Pour ad alendum. On trouve souvent dans les auteurs altum componere ; faire provision de vivres. 4 Et, adoratis sideribus, intro navigium. â Sidera indique ici Castor et Pollux, que les marins et tous ceux qui sâembarquaient avaient coutume dâinvoquer avant de monter sur mer. VĂ©nus Ă©tait aussi une des divinitĂ©s propices aux navigateurs, comme on le voit dans Horace, ode 3 du livre I Sic te Diva potens Cypri, Sic fratres Helenae, lucida sidera. CHAPITRE C. 1 In puppis constrato locum semotum elegimus. â Puppis construtum, la chambre de poupe. Ce nâĂ©tait autre chose quâun retranchement pratiquĂ© dans le tillac avec des planches, Ă travers lesquelles il Ă©tait trĂšs-facile dâentendre ce qui se disait dans cette chambre. Naves constratĆ, vaisseaux pontĂ©s ; câest ce que CĂ©sar appelle naves tectĆ. 2 Qui tryphĆnam exulem Tarentum ferat ? â Dâautres lisent uxorem au lieu dâexulem ; mais ayant admis les prĂ©tendus fragments de PĂ©trone retrouvĂ©s Ă Bellegrade, oĂč lâauteur donne pour femme Ă Lycas une certaine Doris, je nâai point cru devoir adopter la leçon dâuxorem, quoiquâil toute force un mari aussi peu dĂ©licat sur lâarticle des mĆurs que Lycas, eĂ»t bien pu changer de femme, surtout depuis quâil avait eu connaissance des liaisons qui existaient entre Doris et Encolpe, et dont il est fait mention au chapitre XI. CHAPITRE CI. 1 Pro consortio studiorum, commoda manum. â Pro consortio studiorum signifie en raison de la communautĂ© de nos goĂ»ts, câest-Ă -dire de notre amour commun pour Giton. â Commoda manum, prĂȘtez-nous la main. On trouve dans SĂ©nĂšque commodare manum morituro, aider quelquâun Ă mourir. 2 Et familiĆ negotiantis onus deferendum ad mercatum conduxit. â Les commentateurs ne nous offrent aucun secours pour lâintelligence de ce passage assez obscur. Il est souvent fait mention dans les auteurs anciens du mot familia ; Ulpien en donne lâexplication suivante FamiliĆ adpellatione omnes qui in servitio erant continentur. Martianus le jurisconsule liv. lxv parle en ces termes de ceux quâil appelle servos negotiatores â Legutis servis, exceptis negotiatoribus, Labeo scripsit, eos legato exceptos videri, qui prĆpositi essent, negotii exercendi causa, veluti qui ad emendum, locandum, conducendum prĆpositi sunt. Mais cela ne jette pas une grande lumiĂšre sur le passage en question. Mon opinion personnelle est que PĂ©trone veut parler ici dâune troupe dâesclaves que Lycas avait embarquĂ©e sur son vaisseau, moyennant un prix convenu, pour la transporter Ă Tarente, oĂč elle devait ĂȘtre vendue, mais non pas pour son compte car il y a dans le latin conduxit ; ce qui ne signifie pas quâil avait louĂ© ces esclaves on ne loue pas des esclaves pour les vendre, mais quâil avait pris Ă tĂąche, quâil avait entrepris de les transporter. Conducere est pris dans le sens de suscipere câest ainsi que lâon dit conducere aliquem docendum, entreprendre lâĂ©ducation de quelquâun, » et non pas louer quelquâun pour lâinstruire. » On trouve un autre exemple, encore plus frappant, de conducere pris en ce sens, dans la fable oĂč PhĂšdre dit, en parlant de Simonide Victoris laudern cuidam pyctĆ ut scriberet, Certo conduxit pretio... 3 TryphĆna... quĆ voluptatis causa huc atque illac vectatur. â Ces mots me confirment encore plus dans lâopinion que jâai Ă©mise plus haut, que TryphĂšne nâĂ©tait pas la femme de Lycas, mais que câĂ©tait une voyageuse sentimentale qui aimait Ă aller de cĂŽtĂ© et dâautre pour son seul plaisir, câest-Ă -dire pour donner carriĂšre Ă ses goĂ»ts Ă©rotiques. Dâailleurs, on ne peut nier quâil existĂąt des relations intimes entre cette femme et Lycas ; car, lorsquâelle le surprend cherchant Ă faire violence Ă Encolpe, il sâenfuit tout honteux Ă sa vue. Il est vrai quâelle ne se gĂȘne pas pour faire des caresses et des avances Ă Giton Ă la barbe de Lycas ; mais câĂ©tait du moins un amour lĂ©gitime pour de pareilles gens, tandis que la tentative de Lycas Ă©tait, pour le sexe de TryphĂšne, une insulte que les femmes ne pardonnent jamais, Ă moins quâelles nây trouvent leur compte, comme cette Doris qui engageait ce mĂȘme Encolpe Ă Ă©couter les propositions de son mari, pour lui fermer les yeux sur leurs amours secrets. 4 Quomodo possumus egredi nave... opertis capitibus, an nudis ? Opertis, et quis non dare manum languentibus volet ? â On voit, par ce passage de PĂ©trone, que les anciens avaient coutume de se couvrir la tĂȘte, lorsquâils Ă©taient malades, non-seulement pour se dĂ©fendre des injures de lâair, mais pour indiquer aux autres lâĂ©tat de leur santĂ©. Ce qui fait dire Ă Eumolpe, que, sâils se couvrent la tĂȘte, tout le monde sâempressera de leur offrir la main, comme Ă des malades, languentibus, pour descendre du vaisseau. Dans tout autre cas, câĂ©tait un signe de la mollesse la plus effĂ©minĂ©e, que de sortir la tĂȘte couverte. Aussi notre auteur, parmi les bizarreries et les inconvenances quâil remarque dans Trimalchion, a-t-il soin de dire, au chapitre XXXII Palliolo enim coccineo adrasum excluserat caput, Sa tĂȘte chauve sortait Ă demi dâun petit manteau de pourpre. » CHAPITRE CII 1 Eumolpus, tanquam litterarum studiosus, utique atra-mentum habet.â Les anciens se servaient, comme nous, dâencre pour Ă©crire sur le charta, ou papier, quâils roulaient, volvebant, lorsquâil Ă©tait rempli, et quâon appelait pour cette raison volumen, volume. Cette encre Ă©tait de diffĂ©rentes natures, et portait diffĂ©rents noms, selon lâusage auquel on lâemployait. Vitruve appelle atramentum librarium, et Cornelius Celsus scriptorium, celle qui servait Ă Ă©crire ; mais ils en avaient dâautres quâils appelaient tectoria ou pictoria, qui servaient au dessin, Ă la peinture, et sutoria, celle qui servait Ă noircir les chaussures. Lâencre Ă Ă©crire Ă©tait ordinairement faite de noir de fumĂ©e que lâon recueillait sur les murs des chambres qui nâavaient pas de cheminĂ©e ni dâouverture par oĂč la fumĂ©e pĂ»t sâĂ©chapper. Pour empĂȘcher cette encre de sâemboire ou de sâĂ©taler sur le papier, on y ajoutait une espĂšce de gomme que PĂ©trone appelle ferrumen. De quelle espĂšce Ă©tait cette gomme ? câest ce quâil nous est impossible de dĂ©terminer dâune maniĂšre prĂ©cise ; mais il paraĂźt que cette encre avait le dĂ©faut dâĂȘtre gluante et de dĂ©teindre sur les habits, comme Giton le dit un peu plus loin ; Nec vestem atramento adhĆsurum, quod frequenter, etiam non arcessito fer-rumine, infigitur. 2 Et circumcide nos, ut judĆi videamur, etc. â Isidore {Origines,liv. xrx, chap. 23 parle des Juifs, des Arabes et des Gaulois dans les mĂȘmes termes que PĂ©trone NonnullĆ etiam gentes, non solum in vestibus, sed et in corporibus aliqua sibi propria vindicant. Circumcidunt JudĆi prĆ-patia, pertundunt aures Arabes, etc. Mauros liabet tetra nox corporum, Gallos Candida cutis ; PĂ©trone parle avec plus de dĂ©tails de la circoncision des Juifs, dont il se moque, dans une Ă©pigramme que lâon trouvera dans les fragments attribuĂ©s Ă cet auteur. Les Arabes nâĂ©taient pas les seuls qui se perçaient les oreilles, cette coutume Ă©tait aussi pratiquĂ©e chez les Carthaginois ; ce qui fait dire Ă Plaute PĆnutus,acte v, scĂšne 3 Mil. Atque ut opinor digitos in manubiis non habent. Ag. Qui jam ? â Mil. Quia incedunt cum anulatis auribus. La blancheur des Gaulois Ă©tait proverbiale chez les anciens, et lâon pensait quâils avaient dâabord portĂ© le nom de Galates, en raison de ce que leur teint avait la blancheur du lait, en grec gala. Galli a candore corporis primum GalatĆ appellati ; ce quâun poĂ«te a exprimĂ© ainsi Ignea mens Gallis, et lactea corpora, nomen A candore datum 3 Numquid et labra possumus tumore teterrimo implere ? â Lâauteur du Moretum a rendu dâune maniĂšre pittoresque les caractĂšres distinctifs de la race Ă©thiopienne Afra genus, tota patriam testante figura, Torta comam, labroque tumens, et fusca colorem ; Pectore lata, jacens mammis, compressior alvo, Cruribus exilis, spatiosa prodiga planta. 4 Numquid et talos ad terram deducere ? â Peut-ĂȘtre serait-il mieux de lire producere, et de traduire pourrons-nous allonger nos talons comme les Ăthiopiens, câest-Ă -dire les rendre saillants ; ce qui est une difformitĂ© remarquable chez presque tous les individus de la race nĂšgre. CHAPITRE CIII. 1 Continuo radat utriusque non solum capita, sed etiam supercilia. â On rasait les cheveux aux esclaves ; mais on ne rasait les sourcils quâaux scĂ©lĂ©rats, aux sĂ©ditieux et aux dĂ©serteurs. CicĂ©ron fait une ingĂ©nieuse allusion Ă cet usage, dans son oraison pour Roscius, lorsquâil dit, en parlant dâun certain Fannius ChĂ©rĂ©a Nonne ipsum caput, et supercilia illa penitus abrasa, olere malitiam et clami-tare calliditatem videntur ? Nonne ab imis unguibus usque ad verticem summum si quam conjecturam adfert hominis tacita corporis figura ex fraude, fallaciis, mendaciis, constare totus videtur ? qui idcirco capite et superciliis semper est rasis, ne ullum viri boni pilum habere dicatur. 2 Et nolum fugitivorum epigramma per totam faciem.... duxit. â Les caractĂšres quâon imprimait sur le visage des esclaves, et qui marquaient le crime quâils avaient commis, Ă©taient deux lettres, lâune grecque, lâautre latine Ί et F ; câest pour cette raison quâon appelait ces criminels inscripti, litterati, notati. Cette coutume dura jusquâau temps de Constantin, qui, au rapport dâUlpien, dĂ©fendit par la loi Tamdiu, paragraphe de Fugitivis, quâon exerçùt Ă lâavenir cette cruautĂ©, parce quâelle dĂ©shonorait lâespĂšce humaine, que le CrĂ©ateur avait faite Ă sa ressemblance ce qui fit que, depuis cette Ă©poque, on se servit, pour le mĂȘme objet, de colliers quâon rivait au cou des esclaves qui avaient dĂ©sertĂ©, et sur lesquels on gravait des inscriptions qui publiaient leur crime. Pignorius, dans son livre de Servis, affirme, quâil avait vu Ă Rome un collier de cette nature, avec lâinscription que voici TENE ME, QUIA FUGI, ET REVOCA ME DOMINO MEO BONIFACIO LINARIO. On voit dans le premier chapitre du roman dâIvanhoĂ«,par Walter Scott, que les Anglo-Saxons avaient adoptĂ© cette coutume des Romains Wamba, et Gurth, le gardien des pourceaux, portent Ă©galement Ă leur cou un collier rivĂ©, sur lequel est gravĂ© le nom de CĂ©dric, leur maĂźtre. CHAPITRE CIV 1 Lycas, ut TrijphĆnse, somnium expiavit. â Il y a deux choses Ă considĂ©rer ici lâexpiation du songe de TryphĂšne, et celle du crime quâEncolpe et Giton avaient commis dans le vaisseau, en sây faisant couper les cheveux pendant une nuit fort calme. Nous verrons plus loin Ă quel supplice Lycas les condamna pour expier cette impiĂ©tĂ©, bien quâils prĂ©tendissent, pour se disculper, quâils ignoraient quâon ne fait le sacrifice de ses cheveux sur un vaisseau quâĂ la derniĂšre extrĂ©mitĂ©, etc. Du reste, le sacrifice des cheveux passait, chez les anciens, pour un des plus agrĂ©ables quâils pussent offrir aux dieux. Les esclaves prĂȘts Ă ĂȘtre affranchis, se rasaient la tĂȘte, et en consacraient la dĂ©pouille Ă quelque dieu, comme en Ă©change du bienfait de la libertĂ© quâils supposaient lui devoir. Les matelots en faisaient autant, non-seulement dans la circonstance dont parle PĂ©trone, mais encore lorsque, Ă©chappĂ©s du naufrage, ils Ă©taient de retour dans leur patrie alors ils faisaient ce sacrifice Ă la mer, et, de plus, suspendaient leurs vĂȘtements humides dans le temple de Neptune. Pour en revenir au songe de TryphĂšne, et aux expiations auxquelles il donna lieu, lâauteur ne nous dit pas quelles en furent les cĂ©rĂ©monies, parce que câĂ©tait une chose fort commune. CâĂ©tait un acte de religion gĂ©nĂ©ralement Ă©tabli chez les paĂŻens, pour purifier les coupables et les lieux que lâon croyait souillĂ©s, ou pour apaiser la colĂšre des dieux que lâon supposait irritĂ©s. La cĂ©rĂ©monie de lâexpiation ne sâemploya pas seulement pour les crimes ; elle fut pratiquĂ©e dans mille autres occasions diffĂ©rentes. Ainsi ces mots si frĂ©quents chez les anciens, expiare, lustrare, purgare, februare, signifiaient faire des actes de religion pour effacer quelque faute, ou dĂ©tourner de sinistres prĂ©sages. Lâusage des expiations, innocent par lui-mĂȘme, devint, entre les mains de la superstition, une source intarissable de pratiques ridicules, dont lâavarice et lâhypocrisie des prĂȘtres multipliĂšrent tellement les abus, quâelles allumĂšrent la bile de JuvĂ©nal, qui sâexprime ainsi Ă ce sujet dans sa VIe satire Vois-tu fondre, chez ta pieuse Ă©pouse, la foule des prĂȘtres de CybĂšle et de Bellone ? Vois-tu ce personnage gigantesque, et vĂ©nĂ©rable aux yeux de ses vils subalternes ; cet homme qui, sâĂ©tant autrefois privĂ© des sources de la vie, nâest plus homme quâĂ demi, mais Ă qui la cohorte enrouĂ©e et les tambours plĂ©bĂ©iens cĂ©dent unanimement lâhonneur du pas et la tiare phrygienne ? Lâentends-tu parler avec emphase ? Redoutez, lui dit-il, les approches de septembre et les vents du midi, si vous nâexpiez pas vos fautes par une offrande de cent Ćufs ; si vous ne me donnez vos robes couleur de feuille-morte, afin de dĂ©tourner sur elles les malignes influences qui vous menacent dans le cours de lâannĂ©e. Au plus fort de lâhiver, elle ira, dĂšs la pointe du jour, briser la glace du Tibre ; elle y plongera par trois fois sa tĂȘte intimidĂ©e de lĂ , tremblante et toute nue, elle se traĂźnera sur ses genoux ensanglantĂ©s autour du champ de Tarquin le Superbe. Sâil lui dit Parlez ; la blanche Io lâordonne ! elle ira jusquâaux confins de lâĂgypte ; elle en rapportera des eaux chaudes puisĂ©es dans lâĂźle de MeroĂ©, pour les rĂ©pandre dans le temple dâIsis, voisin de lâantique demeure du pĂątre Romulus. Elle croit, nâen doutez pas, avoir entendu la voix de la dĂ©esse. Et voilĂ les ĂȘtres privilĂ©giĂ©s Ă qui les dieux parlent dans la nuit ! Tels sont les prestiges qui consacrent ce pontife escortĂ© dâun troupeau de prĂȘtres tondus et revĂȘtus de lin, ce vagabond, ce nouvel Anubis, qui se rit de la superstition des folles quâil aveugle et sĂ©duit. Il prie encore pour celles qui cĂ©dĂšrent aux dĂ©sirs de leurs Ă©poux pendant les jours de continence et de fĂȘtes solennelles. Vous avez encouru, leur dit-il, un chĂątiment rigoureux ; car jâai vu le serpent dâargent remuer sa tĂȘte. Ses larmes feintes et ses formules prĂ©parĂ©es apaisent enfin Osiris bien entendu quâon lâavait dĂ©jĂ gagnĂ© par lâoffrande dâune oie grasse et dâun gĂąteau. Mais est-il vrai quâil daigne communiquer avec ces insensĂ©s ? dans ce cas, lâOlympe est bien oisif, et vous autres dieux, bien dĂ©sĆuvrĂ©s lĂ -haut ! » CHAPITRE CV. 1 Nec non eodem futurus navigio. â Nodot, qui, non content dâavoir attribuĂ© Ă PĂ©trone des fragments de sa façon, se permet frĂ©quemment dâaltĂ©rer le texte authentique de notre auteur, dĂ©nature ainsi ce passage Non omen jacturus navigio, hospitio, mihi ; et il traduit Je ne lâai pas fait pour attirer aucun malheur sur le vaisseau, puisque jâĂ©tais dedans. » Jâavoue franchement que je ne comprends pas cet endroit ainsi dĂ©figurĂ© par Nodot, mĂȘme aprĂšs avoir lu sa traduction, et il me semble que le texte gĂ©nĂ©ralement adoptĂ© est beaucoup plus clair ; en voici lâexplication Jâai ordonnĂ© que lâon dĂ©livrĂąt mes esclaves de leur longue chevelure, parce que, devant faire route avec eux sur le mĂȘme vaisseau, je ne voulais pas me trouver Ă bord avec des malheureux couverts de ces signes de deuil et de chĂątiment ; jâai voulu me rendre les auspices favorables en leur faisant raser la tĂȘte. » Il est notoire que les anciens regardaient comme un fĂącheux prĂ©sage de se trouver sur le mĂȘme vaisseau avec des malheureux et des coupables, et mĂȘme dâhabiter auprĂšs dâeux sous le mĂȘme toit. Ils croyaient quâen pareil cas le crime dâun seul homme retombait sur ceux qui lâentouraient. Câest ce quâHorace exprime dans son ode 2 du livre III . . . . . Vetabo, qui Cereris sacrum Vulgarit arcanĆ, sub iisdem Sit trabibus, fragilemque mecum Solvat phaselum. SĆpe Diespiter Neglectus incerto addidit integrum. ThĂ©ophraste se moque de ceux qui, Ă la moindre agitation des vagues, demandent si tous les passagers sont initiĂ©s. Dâailleurs les cheveux longs et en dĂ©sordre Ă©taient regardĂ©s par les anciens comme la marque distinctive des coupables. 2 Ut tutela navis expiaretur. â Tutela navis, la divinitĂ© dont lâimage dĂ©corait la proue du vaisseau, et qui lui donnait son nom. Câest ce que Lutacius explique en ces termes Tutelam navis intelligimus cum guber-natore navigare. Habent enim pictos prĆsules, quorum nominibus nuncu-pantur et reste, cet usage existe encore de nos jours, et nos bĂątiments portent le nom de la figure reprĂ©sentĂ©e sur leur proue. 3 Placuit quadragenas utrisque plagas imponi. â Quand on condamnait au fouet ou Ă quelque autre chĂątiment semblable, on marquait dans la sentence le nombre de coups que le coupable devait recevoir. Les Romains avaient pris cette coutume des Ăgyptiens, qui eux-mĂȘmes la tenaient des Juifs, comme le prouve la loi de MoĂŻse DeutĂ©ronome, XXV, versets 2 et 3 Si eum, qui peccavit, dignum viderint plagis, prosternent et coram se facient verberari. Pro mensura pecculi erit et plagarum mo-dus, ita duntaxat, ut quadrigenarium numerum non excedant, ne faede laceratus ante oculos tuos abeat frater tuus. Or, les Juifs Ă©taient si religieux observateurs de cette loi, quâils ne donnaient jamais que trente-neuf coups aux criminels, de peur de se tromper et dâoutre-passer le nombre fixĂ©. Nous en avons la preuve dans la seconde Ă©pĂźtre de saint Paul aux Corinthiens chap. XI, verset 24, oĂč il dit quâil a Ă©tĂ© maltraitĂ© cinq fois par les Juifs, et quâĂ chaque fois il a reçu quarante coups moins un. On remarquera en passant que le nombre de quarante coups, prescrit par la loi de MoĂŻse, est celui que Lycas fit donner Ă Encolpe et Ă Giton. Les coups de corde ou de garcette sont encore aujourdâhui le chĂątiment quâon inflige sur les vaisseaux. 4 Tres plagas spartana nobilitate concoxi. â Les Spartiates faisaient fouetter leurs enfants jusquâau sang devant les autels, afin de les accoutumer de bonne heure Ă la souffrance ; et il ne leur Ă©tait pas mĂȘme permis de jeter un seul cri. Ce qui a fait dire Ă CicĂ©ron Tusculanes, liv. II Spartae vero pueri ad aram sic verberibus accipiuntur, ut multus e visceribus sanguis exeat nonnunquam etiam, ut, quum ibi essem, au-diebam, ad necem quorum non modo nemo exclamavit unquam, sed ne ingemuit quidem. Il ajoute plus loin liv. VI Pueri spartiatĆ non ingemiscunt verberum dolore laniati. 5 Jam Giton mirabili forma exarmaverat nautas. Ovide dit de mĂȘme liv. II desAmours,Ă©lĂ©gie 5 Ut faciem vidi, fortes cecidere lacerti Defensa est armis nostra puella suis. 6 Quem homo prudentissimus. â PĂ©trone appelle ici Lycas homo prudentissimus, par ironie. 7 Quod ergastutum intercepisset non errantes ? â Tout le monde sait quâergastulum Ă©tait une prison oĂč lâon renfermait les esclaves, et oĂč on les obligeait Ă travailler, tout enchaĂźnĂ©s quâils Ă©taient ; mais de nombreux passages des auteurs latins prouvent quâon y renfermait aussi dâautres coupables, quelles que fussent dâailleurs leur naissance et leur condition. Voyez SuĂ©tone Vie dâAuguste, ch. XXXII Rapti per agros viatores sine discrimine, liberi servique, ergastulis possessorum supprimebantur. Dans ce passage, viatores doit Ă©videmment sâentendre dans le mĂȘme sens quâerrantes dans PĂ©trone, des vagabonds. SuĂ©tone dit encore Vie de TibĂšre,ch. VIII Curam administravit... repurgandorum tota Italia ergastulorum, quorum domini in invidiam venerant, quasi exceptos supprimerent, non solum viatores, sed et quos sacramenti metus ad hujusmodi latebras compulisset. Dans ces deux phrases, supprimere est synonyme dâintercipere. CHAPITRE CVI. 1 Lycas, memor adhuc uxoris corruptĆ. â Câest sur ce passage, sans nul doute, que Nodot, dans ses prĂ©tendus fragments retrouvĂ©s Ă Bellegrade, sâest fondĂ© pour forger toute cette histoire des amours de Lycurgue avec Ascylte, dâEncolpe avec Doris, de Lycas, Ă©poux de celle-ci, avec le mĂȘme Encolpe, et de TryphĂšne avec Encolpe et Giton Ă la fois cette histoire si embrouillĂ©e et si peu vraisemblable, qui remplit presque tout le chapitre XI, lequel ne contient pas moins de onze pages de texte, et qui, par sa longueur, est hors de toute proportion avec les autres chapitres de cet ouvrage. Cette interpolation, facile Ă reconnaĂźtre par les frĂ©quents gallicismes qui sây trouvent, excita surtout la bile de BreugiĂšres de Barante, qui attaqua ces nouveaux fragments dans ses Observations, auxquelles Nodot rĂ©pondit avec aigreur par sa Contre-Critique, comme nous lâavons dit ailleurs. Je pense que le lecteur ne sera pas fĂąchĂ© de connaĂźtre quelques-unes des objections que BreugiĂšres fit Ă Nodot, Ă propos de ce chapitre XI, et la maniĂšre dont Nodot y rĂ©pondit. Je prie le lecteur, pour mieux comprendre les unes et les autres, dâavoir sous les yeux le chapitre en question. Jâai eu soin de faire imprimer en italique les objections, pour quâon puisse plus facilement les distinguer des rĂ©ponses de Nodot. Quant Ă mes observations personnelles, je les ai placĂ©es entre parenthĂšses. ConsidĂ©rons Ă prĂ©sent quelle gĂȘne et quelle torture paraissent dans le fragment qui conduit Encolpe, Ascylte et Giton dans le chĂąteau de Lycurgue. On les y fait aller pour donner lâintelligence de ce qui suivra, et pour que quand on parlera de Lycas, de TryphĂšne et de Doris comme dans les chapitres C, CI, CIV, CV et suivants, ce ne soient plus des personnages inconnus. â HĂ© bien, que trouvez-vous Ă redire Ă cela ? cette conduite nâest-elle pas dâun auteur de bon sens ? Rien ne paraĂźt gĂȘnĂ© dans ce discours Nodot veut dire dans ce fragment, et je ne vois pas que PĂ©trone se soit donnĂ© la torture pour Ă©crire si naturellement. Permis Ă Nodot de trouver naturel le style de ce fragment dont il est le pĂšre ; bien des lecteurs ne seront pas de son avis. Encolpe et Ascylte aprĂšs la querelle quâils ont eue au sujet de Giton, au chapitre X, et dans laquelle ils se sont dit toutes leurs vĂ©ritĂ©s, et se sont traitĂ©s rĂ©ciproquement dâinfĂąmes dĂ©bauchĂ©s, dâassassins et de coupe-jarrets se rendent en pĂšlerinage au chĂąteau de Lycurgue, oĂč ils trouvent bonne compagnie câest-Ă -dire une compagnie digne dâeux Lycas qui, selon les apparences, y avait aussi peu affaire que la coquette TryphĂšne. Lycas, Encolpe, Giton et TryphĂšne, ne trouvant pas quâon vĂ©cĂ»t assez librement chez Lycurgue, prirent le partidesâen aller Ă la maison de Lycas, oĂč ils espĂ©raient dâĂȘtre plus Ă leur aise, et comptaient de faire meilleure chĂšre. â Je vous avoue que vous commencez Ă mâembarrasser pour vous rĂ©pondre ; tantĂŽt je vous vois si confus, que jâai peine Ă dĂ©brouiller ce que vous prĂ©tendez montrer clairement ; et tantĂŽt vos connaissances sont si bornĂ©es, quâil ne leur est pas permis de parvenir Ă celle de lâauteur car de croire quâil y ait de la malice en votre fait, je ne puis me lâimaginer. Toutefois, comment se peut-il faire, sans ma-lice ou sans ignorance, que vous donniez un tout autre sens au texte que celui quâil renferme ? Nodot se fĂąche, comme on voit ; ce nâest pas la meilleure maniĂšre de rĂ©pondre ; et ne pourrait-on pas lui dire, comme ce philosophe qui vit tomber la foudre Ă ses pieds au moment oĂč il parlait contre les dieux Bon Jupiter ! tu te fĂąches ; donc tu as tort ? Les trois vols que font Encolpe, Ascylte et Giton sont tout Ă fait impossibles.â Il nây a que deux vols, vous nâen trouverez pas davantage. Jâen demande bien pardon Ă Nodot, il y a trois vols ; il y en a mĂȘme quatre 1° le vol du voile et du cistre dâIsis ; 2° celui des effets les plus prĂ©cieux de la campagne de Lycurgue ; 3° la bourse quâAscylte ramasse Ă terre, et avec laquelle il sâenfuit aussitĂŽt, crainte de rĂ©clamation ; 4° et enfin, le superbe manteau quâEncolpe dĂ©tache de la selle dâun cheval, et quâil emporte dans la forĂȘt prochaine. Est-il vraisemblable que deux hommes aillent dans un vaisseau, et que, sans ĂȘtre aperçus des matelots qui les reçoivent et leur font honneur, ils sâenfuient chargĂ©s de marchandises ? Lâautre vol a quelque chose de plus surnaturel. Encolpe et Giton sont enfermĂ©s dans une chambre entourĂ©e de gardes Ascylte vient pendant que ces gardes sont endormis ; il ouvre la porte dont il brise la serrure, et, pendant tout ce bruit, les gardes continuent Ă dormir sur les deux oreilles. â Câen est assez, je vous arrĂȘte encore. Pour faire connaĂźtre que vous avez aussi falsifiĂ© cette citation, lisons ce fragment. Il y est dit quâAscyltle vint pour dĂ©livrer ses amis, et que, voyant les gardes endormis, il ouvrit la porte avec un morceau de fer ; et cela est aisĂ© Ă comprendre. Pas si facile Ă comprendre. Il fallait que ces gardes fussent bien nĂ©gligents, pour sâendormir prĂšs dâune porte qui nâĂ©tait fermĂ©e quâavec un verrou de bois, ligneum claustrum ; dâailleurs il y a dans le texte mĂȘme de Nodot Serraque delapsa nos excitavit. Comment se fait-il que la chute de cette serrure rĂ©veille Encolpe et Giton sans interrompre le sommeil des gardes ? . A cela que rĂ©pond Nodot ? â Lâauteur, dit-il, le marque prĂ©cisĂ©ment Ob pervigilium altus custodes habebat somma. ConsidĂ©rez que PĂ©trone ou plutĂŽt Nodot a tout prĂ©vu. Les gardes avaient veillĂ© fort tard, et ils Ă©taient alors dans le premier sommeil, que certaines gens ont si dur, quâon peut les toucher et les pousser mĂȘme fortement sans quâils sâĂ©veillent, Cela est vrai ; mais nâest-ce pas le cas de dire avec Boileau Le vrai peut quelquefois nâĂȘtre pas vraisemblable ? Nous ne poursuivrons pas ces citations qui fatigueraient le lecteur ; nous avons voulu seulement lui donner une idĂ©e de la polĂ©mique de Nodot contre un des plus redoutables adversaires de ses fragments. Burmann, dans sa prĂ©face, prouve peut-ĂȘtre encore plus clairement par les gallicismes sans nombre, et mĂȘme les solĂ©cismes dont ces fragments sont remplis, quâils ne peuvent ĂȘtre de PĂ©trone. Nous aurons probablement lâoccasion de revenir plus tard sur les Observations de BreugiĂšres, Ă propos des autres interpolations de Nodot que nous trouverons dans les chapitres suivants. CHAPITRE CVII. 1 Me, utpote hominem non ignotum, elegerunt. â Eumolpe adresse Ă Lycas un discours selon toutes les rĂšgles de lâart oratoire. Il commence par un exorde insinuant et modeste, oĂč il Ă©tablit que lui, lâavocat des coupables, nâest pas un homme inconnu Ă Lycas, Ă la fois juge et partie dans cette cause ; ensuite, pour lâintĂ©resser davantage en faveur de ses clients, il lui rappelle quâils ont Ă©tĂ© autrefois ses amis intimes, amicissimi. Puis arrivant, sans autre prĂ©paration, au fait principal, il adresse Ă Lycas cette question Vous croyez peut-ĂȘtre que câest le hasard qui a conduit ces jeunes gens sur votre bord ? Et il rĂ©pond aussitĂŽt Ă cette objection par une raison convaincante câest quâil nâest pas un seul passager qui ne sâinforme avant toutes choses du nom de celui Ă qui il va confier son existence. Donc Encolpe et Giton savaient que le vaisseau sur lequel ils sâembarquaient appartenait Ă Lycas, et cependant ils nâont pas hĂ©sitĂ© Ă y monter ; donc ils nâavaient dâautre but, en faisant cette dĂ©marche spontanĂ©e, que de le flĂ©chir et de rentrer en grĂące avec lui. Mais Eumolpe sent que cet argument nâest pas inattaquable, comme nous le verrons bientĂŽt ; et, pour l'Ă©tayer, il entre dans plusieurs considĂ©rations. Dâabord, câest que Lycas nâa pas le droit dâempĂȘcher des hommes libres de naviguer oĂč bon leur semble. Secondement, câest que, lors mĂȘme que ce seraient des esclaves, le maĂźtre le plus cruel pardonne Ă son esclave fugitif que le repentir ramĂšne Ă ses pieds. Enfin, comment ne pas pardonner Ă un ennemi qui se livre Ă notre merci ? Alors Eumolpe, rĂ©sumant tous ses moyens de dĂ©fense, interpelle son juge Vous voyez, suppliants devant vous, des jeunes gens aimables, bien nĂ©s, etc. Avant de terminer, Eumolpe, prĂ©voyant que Lycas lui objectera surtout le dĂ©guisement dâEncolpe et de Giton, et le crime dont ils se sont rendus coupables en se faisant tondre sur son bord, se hĂąte dâaller au-devant de ce reproche, en disant que câest pour se punir de lâoffense quâils ont faite Ă Lycas et Ă TryphĂšne, que ces jeunes gens, nĂ©s libres, ont fait graver sur leur front ces honteux stigmates de la servitude. Lycas, comme on le pense bien, nâest pas dupe dâune pareille ruse, et rĂ©duit, comme il le dit, les arguments dâEumolpe Ă leur juste valeur ; mais nous ne le suivrons pas dans sa rĂ©ponse nerveuse, brusque et concise, comme il convenait Ă un homme de son caractĂšre. Cependant Eumolpe ne se tient pas pour battu, et rĂ©pond, tant bien que mal, Ă Lycas. Mais toute son Ă©loquence ne peut parvenir Ă dĂ©sarmer la colĂšre de ce marin qui persiste dans son premier arrĂȘt, et exige le supplice des coupables. Ou je me trompe, ou tout ce plaidoyer, pour et contre, est traitĂ© avec beaucoup dâesprit, et offre une scĂšne pleine de naturel et de vĂ©ritĂ©. 2 Quae salamandra supercilia excussit tua ? â La salamandre est un animal de la figure du lĂ©zard, exceptĂ© quâelle a la tĂȘte plus large et la queue plus longue. Les anciens prĂ©tendaient que le sang de cet animal, et mĂȘme sa salive, avaient la propriĂ©tĂ© de faire tomber les cheveux ou le poil aux endroits qui en Ă©taient frottĂ©s, comme si le feu y avait passĂ©. Dioscoride liv. I, ch. 54 dit quâil suffit pour cela de se frotter avec le sang de la salamandre ; dâautres ajoutent quâil faut la faire mourir dans lâhuile et se servir de cette huile. On sait dâailleurs que la salamandre passait, pour incombustible. Pline lâAncien prĂ©tend liv. XXIX, ch. 23 quâil suffit de frotter quelque partie du corps que ce soit, mĂȘme le bout du pied, avec de la salive de salamandre, pour que le poil tombe Ă lâinstant de tout le corps Quum, saliva ejus salamandrĆ quacumqae parte corporis, vel in pede imo respersa, omnis in toto corpore defluat pilus. CHAPITRE CVIII. 1 Multi ergo utrinque semimortui labuntur â Je ne sais pas pourquoi Gronove et Burmann se tourmentent pour corriger ce mot semimortui que portent tous les anciens manuscrits, et essayent de lui substituer sine mora, qui ne signifie rien, ou sine morte, qui nâest guĂšre plus intelligilible. Ils lâont si bien senti, quâils se voient forcĂ©s, par cette correction, de changer les mots suivants cruenti vulneribus, et de lire incruenti vulneribus, ou cruenti sine vulneribus ; ce qui est presque une absurditĂ© car, sâil y a du sang de rĂ©pandu, il y a des blessures, quelque lĂ©gĂšres quâelles soient. Je ne vois pas non plus sur quoi ils se fondent pour prĂ©tendre que toute cette scĂšne de tumulte nâest quâun combat pour rire. Il est vrai que PĂ©trone en fait un rĂ©cit plaisant ; mais cela nâempĂȘche pas quâil nây eut de bons coups donnĂ©s de part et dâautre, comme cela arrive souvent en pareil cas, quoique tout finisse par sâarranger Ă lâamiable. Lâauteur le dit positivement Quum appareret futurum non stlatarium bellum. â Silatarius, de silata, espĂšce de navire plus large que profond, et dont, pour cette raison, la marche Ă©tait trĂšs-lente. Ainsi non stlatarium bellum signifiera une guerre qui nâest pas lente, ou une guerre vigoureuse. 2 Heu ! mihi fata Hos inter fluctus quis raptis evocat armis ? â Cette phrase, quoique difficile et embrouillĂ©e, peut cependant se construire et sâexpliquer ainsi Quis sous-entenduvestrum evocat fata mihi, appelle la mort sur ma tĂȘte, inter hos fluctus, au milieu des flots qui nous entourent, raptis armis, en prenant les armes ! Cui mors una non est satis ? A qui une seule mort ne suffit-elle pas ? CHAPITRE CIX. 1 PelagiĆ consederant volucres, quas textis urundinibus, etc. Ces roseaux Ă©taient si adroitement prĂ©parĂ©s, quâon les allongeait ou quâon les diminuait Ă volontĂ© ; si bien quâen mettant au bout une petite baguette enduite de glu, on les approchait insensiblement des oiseaux sans quâils sâen aperçussent, et on les prenait de la sorte. La facilitĂ© que ces gluaux avaient de sâallonger les avait fait nommer crescentes, Martial lâexplique clairemenl, livre IX, Ă©pigramme 55 Aut crescente levis traheretur arundine prĆda, Pinguis et implicitas virga teneret aves. 2 Jam Tryphaena Gitona extrema parte potionis spargebat. â Cette maniĂšre de plaisanter a existĂ© de tout temps, et elle Ă©tait fort en usage chez les Romains, qui, dans leurs banquets, sâamusaient souvent Ă jeter au nez des spectateurs le fond de leurs verres Ils avaient mĂȘme dressĂ© Ă ce manĂ©ge les Ă©lĂ©phants destinĂ©s aux jeux publics, comme Ălien le rapporte dans son Histoire des animaux liv. II, ch. 2. Cependant, selon Gonsalle de Salas, on pourrait aussi entendre ce passage en ce sens, que TryphĂšne prĂ©sentait Ă Giton le reste du vin quâelle avait bu ; ce qui serait plus dĂ©licat et plus galant, quoique spargebat parte extrema potionis puisse difficilement se traduire ainsi. Quoi quâil en soit, voici une anecdote assez curieuse que CaĂŻus Fortunatius rapporte Ă ce sujet Une femme galante avait trois amants ; se trouvant un jour Ă table avec eux, elle baisa le premier, donna le reste de son verre au second, et couronna le troisiĂšme. On demande quel est celui quâelle aimait le plus. Je rĂ©ponds, sans hĂ©siter celui Ă qui elle donne Ă boire le reste de son verre. En effet, couronner un homme est peut-ĂȘtre un tĂ©moignage dâestime ou de simple amitiĂ© ; en embrasser un autre, cela suppose sans doute de la tendresse pour lui ; mais donner Ă son amant le reste de son verre, câest une preuve dâamour bien plus intime. Ovide me confirme dans cette opinion par ce prĂ©cepte de son Art dâaimer liv. I, v. 575 Fac primus rapias illius tacta labellis Pocula ; quaque bibet parle puella, bibas. CHAPITRE CX. 1 Corymbioque dominae pueri adornat caput. â Ce nâest pas dâaujourdâhui, comme lâon voit, que les femmes et mĂȘme bon nombre dâhommes, sâefforcent, par mille inventions, de tromper les yeux, et empruntent le secours de lâart pour cacher leurs dĂ©fauts naturels. M. de Guerle, mon beau-pĂšre, dans son Ăloge des perruques, prouve que les chevelures postiches sont presque aussi anciennes que le monde. Comme cet ouvrage, tirĂ© Ă un petit nombre dâexemplaires, est devenu fort rare, on me permettra dâen extraire un assez long fragment qui offrira au lecteur une histoire complĂšte de la perruque chez les anciens. Cette citation aura dâailleurs lâavantage de jeter un peu de gaietĂ© dans ces notes. On y trouvera, je pense, une plaisanterie fine et lĂ©gĂšre, jointe Ă une Ă©ruditon variĂ©e, sans ĂȘtre superficielle. Ăcoutons le moderne Mathanasius. Jâignore pourquoi les jĂ©suites de TrĂ©voux, Furgaut et plusieurs autres, ont prĂ©tendu quâil nây avait pas chez les anciens de tĂȘtes Ă perruque. Lâhistoire, la poĂ©sie, la tradition et les monuments dĂ©posent contre leur tĂ©moignage. Lâun de nos plus graves historiens, Legendre, lâa solennellement rĂ©futĂ©, en attestant que la perruque Ă©tait commune chez les Romains et chez les Grecs. A lâautoritĂ© de Legendre se joint celle du savant auteur dont lâouvrage a pour titre MĆurs et usages des Romains ce fut, dit-il, vers le commencement de lâempire que sâintroduisit Ă Rome lâusage commode des perruques. MĂ©nage, dans son Dictionnaire Ă©tymologique, et Saint-Foix ont Ă©galement reconnu lâantiquitĂ© de la perruque. Quelle ville fut son berceau ? La perruque eut le sort dâHomĂšre, et la question reste Ă rĂ©soudre. Dans sa glose sur le Livre des Rois, un rabbin, grand commentateur, voulant rapporter Ă son pays lâhonneur dâune dĂ©couverte aussi utile, attribue lâinvention des perruques Ă Michol, fille, comme ou sait, du roi SaĂŒl. Dans ce systĂšme, la perruque serait juive, et nâaurait guĂšre que deux mille huit cent cinquante-huit ans, Ă quelques jours prĂšs. Ce calcul me parait mesquin. Et puis cette peau de chĂšvre dont Michol, pour sauver son pauvre mari des fureurs de SaĂŒl, sâavisa de coiffer une statue, quelle ressemblance avait-elle, je vous prie, avec une perruque ? La prĂ©tention du rabbin est donc sans fondement. Dans son Ă©pithalame pour Julie, saint Paulin sâest permis, il est vrai, de dire, en parlant des filles de Sion Quaeque caput passis cumulatum crinibus augent, Triste gerent nudo vertice calvitiem. Ou, comme le traduit un de nos vieux poĂ«tes Pour les punir dâavoir portĂ© perruque, Le Seigneur Dieu va mettre Ă nu leur nuque. Mais ce distique ne peut tirer Ă consĂ©quence. Saint Paulin nâavait dâautre but que dâempĂȘcher Julie de se damner pour une perruque il faut bien lui pardonner lâanachronisme en faveur de lâintention. Les historiens profanes nâont pas Ă©tĂ© plus heureux dans leurs recherches. Je ne vois pas sur quelle autoritĂ© pouvait se fonder ClĂ©arque, par exemple, quand il plaçait chez les Lapygiens, câest-Ă -dire dans lâancienne Pouille, la premiĂšre tĂȘte Ă perruque. Selon moi, lâorigine des perruques se perd dans la nuit des temps ; elles durent naĂźtre chez les femmes avec lâenvie de plaire. Fille de la coquetterie, la perruque est donc aussi ancienne que le monde. Câest aussi le sentiment de Rangon, dans son traitĂ© de Capillamentis ; et ce sentiment est dâautant mieux motivĂ©, quâil repose sur une certitude morale qui, dans cette occasion, vaut bien toutes les certitudes physiques et mĂ©taphysiques possibles. Mais ne nous brouillons pas avec les chronologistes ; dans leur mauvaise humeur, ils pourraient nous accabler sous le poids des chiffres. Abandonnons-leur donc les temps fabuleux de la perruque, et descendons au siĂšcle de Cyrus. Au rapport de Posidippe, citĂ© par Ălien liv. I, en. 26 de ses Histoires diverses, la parure ordinaire de la belle AglaĂŻs, fille de MĂ©gacle, contemporain de Cyrus, Ă©tait une perruque ornĂ©e dâune aigrette. Qui ne sait quâaux funĂ©railles dâAdonis, les PhĂ©niciennes devaient Ă la dĂ©esse Ergetto, la VĂ©nus de Tyr, le sacrifice de leur pudeur, ou celui de leurs cheveux ? AssurĂ©ment, les PhĂ©niciennes ont portĂ© perruque. Cette assertion, fondĂ©e sur la prĂ©somption de leur sagesse, devient une dĂ©monstration par le tĂ©moignage de Saint-Foix. Voici comme il raconte la chose dans ses Essais sur Paris. AprĂšs avoir parlĂ© de lâembarras oĂč lâalternative plaçait sans cesse la pudeur des beautĂ©s de Tyr et de Sidon, il ajoute Lâargent que quelques-unes recevaient pour prix de leurs complaisances appartenait Ă la dĂ©esse ; câĂ©tait le casuel des prĂȘtres. Un particulier, peut-ĂȘtre un mari, un jaloux, imagina les perruques, et le proposa aux femmes qui ne voulaient ni se prostituer, ni perdre leurs cheveux. Lâinvention parut commode, mais elle excita la rĂ©clamation des prĂȘtres ; ils dĂ©cidĂšrent que les perruques pouvaient nuire Ă leurs droits, et les perruques furent dĂ©fendues. » Quelle rude Ă©preuve pour la chastetĂ© des PhĂ©niciennes ! Mausole, roi de Carie, aimait beaucoup lâargent, et ses peuples aimaient presque autant leurs cheveux. Que fit Mausole ? Aristote nous lâapprend {Ăconom.,liv. II. En vertu dâun ordre secret du roi, les magasins se remplissent tout Ă coup de perruques achetĂ©es au rabais chez les nations voisines. A peine furent-elles toutes accaparĂ©es, quâun Ă©dit solennel vint condamner les tĂȘtes lyciennes, sans distinction dâĂąge ni de sexe, Ă se faire tondre dans les vingt-quatre heures. La dĂ©solation fut extrĂȘme ; mais il fallut obĂ©ir un refus eut attirĂ© plus que la perte des cheveux. Alors les magasins sâouvrent, les perruques sont mises Ă lâenchĂšre, la concurrence en Ă©lĂšve le prix Ă un taux excessif ; et voilĂ le trĂ©sor du prince enrichi de plusieurs millions. Ce roi-lĂ savait spĂ©culer sur le luxe ; et le monopole des perruques ne lâa pas rendu moins cĂ©lĂšbre que le monument superbe oĂč la chaste ArtĂ©mise le fit loger quand il fut mort. Si lâon en croit Suidas et Tite-Live liv. XXI, Annibal, ce guerrier non moins fameux par ses ruses que par son courage, afin de mieux Ă©chapper aux embĂ»ches des Gaulois, changeait souvent dâhabits et de perruques. Appien Histoire de la guerre dâEspagne, ch. IX dit que, pour jeter lâĂ©pouvante dans les rangs ennemis, les IbĂšres, sous la conduite de Viriatus, arborĂšrent des perruques Ă longues queues. Les lois assyriennes dĂ©fendaient aux jeunes gens des deux sexes de se marier avant dâavoir coupĂ© leurs cheveux, et de les avoir appendus dans le temple de BĂ©lus, en lâhonneur de lâimmortel brochet OannĂšs. Tous les mariages se faisaient donc Ă Babylone, en perruque. Le mĂȘme usage avait lieu chez les Grecs de TrĂ©zĂšnes ; mais lĂ , câĂ©tait au pudique Hippolyte quâĂ©taient consacrĂ©es les dĂ©pouilles des tĂȘtes vierges. Voyez Histoire de la dĂ©esse de Syrie, faussement attribuĂ©e Ă Lucien. HĂ©ritiers des arts, enfants de lâĂgypte et de la PhĂ©nicie, les Grecs ne pouvaient manquer dâĂȘtre excellents perruquiers. La perruque se nommait chez eux phĂšnaxĂš imposture ; câest MĂ©nage qui nous lâapprend. Et quâest-ce en effet quâune perruque, sinon lâofficieux mensonge dâune chevelure artificielle ? DâaprĂšs quelques passages de Thucydide PrĂ©face de la Guerre du PĂ©loponnĂšse, on voit que les jeunes AthĂ©niennes prĂ©fĂ©raient, parmi les perruques, celles dont les tresses blondes, repliĂ©es sous un rĂ©seau transparent, sây cachaient Ă moitiĂ© pour briller davantage. Dâautres aimaient Ă ramener ces tresses sur le sommet du front, oĂč des aiguilles dâor les tenaient arrĂȘtĂ©es. La tĂȘte de ces aiguilles avait la forme de cigales auxquelles il ne manquait que la voix, et qui, dans un balancement perpĂ©tuel, semblaient toujours prĂȘtes Ă sâenvoler. Les petits-maĂźtres, du temps dâAristophane, avaient mis Ă la mode la coiffure dâenfant, ou la perruque Ă la jockei câĂ©tait celle de lâeffĂ©minĂ© Cratinus ; et, si lâon en croit Ovide, Sapho, pour plaire Ă Phaon, plaçait dans sa perruque des poinçons garnis de perles. Il est Ă©vident quâĂ Rome la mode des perruques Ă©tait devenue gĂ©nĂ©rale vers les derniers temps de la rĂ©publique. Tibulle, Ovide, Properce et Gallus ont chantĂ© les perruques de leurs maĂźtresses, dans une foule de jolis vers. Il fallait, dit un grave acadĂ©micien lâabbĂ© Nadal, Dissertation sur le luxe des dames romaines, il fallait, pour lâornement dâune tĂȘte romaine, les dĂ©pouilles dâune infinitĂ© dâautres tĂȘtes. TantĂŽt les cheveux flottaient sur les Ă©paules au grĂ© des vents, tantĂŽt ils sâarrondissaient en boucles sur un sein dâalbĂątre. Souvent on en tressait des couronnes ; quelquefois ils sâĂ©levaient Ă pic, et laissaient Ă dĂ©couvert lâivoire dâun joli cou. Ce fut Plotine, femme de Trajan, qui introduisit Ă Rome ces perruques Ă lâAndromaque, dont parle JuvĂ©nal dans sa sixiĂšme satire. Elles sâĂ©levaient par Ă©tages sur le devant de la tĂȘte, et formaient une espĂšce de turban Ă triple rouleau câĂ©tait la coiffure favorite des femmes Ă petite taille. Lâillustre Adrien Valois a recueilli quatorze mĂ©dailles dâimpĂ©ratrices romaines ; et, sur chacune de ces mĂ©dailles, on voit une perruque diffĂ©rente. Les dieux mĂȘme honoraient les perruques dâune protection spĂ©ciale. Les prĂȘtres de Diane, selon saint Maxime dans ses HomĂ©lies, portaient une perruque courte Ă cheveux hĂ©rissĂ©s. La coquetterie, si lâon en croit Dion Chrysostome Oratio de cultu corporis, sâĂ©tait glissĂ©e jusque sur les autels. Câest lĂ que la majestĂ© des dieux sâaccroissait encore de la majestĂ© des perruques. On murmura plus dâune fois tout bas contre Apollon qui, non content de briller dans les cieux par sa chevelure dâor, accaparait encore sur la terre, pour parer ses images, les plus belles perruques de Rome. Les prĂȘtres de la bonne CybĂšle tenaient en rĂ©quisition permanente le gĂ©nie des coiffeuses ; ils leur disputaient, souvent avec avantage, lâhonneur de rajeunir, Ă lâaide des colifichets de la mode, les vieux attraits de la mĂšre des dieux. Lâaiguille dont ils se servaient pour la coiffer Ă©tait devenue miraculeuse, et Servius la place Ă cĂŽtĂ© du sceptre de Priam et du bouclier de Romulus, parmi les gages de la gloire et de la durĂ©e de lâempire romain. Mais de toutes les perruques divines, nulle nâĂ©tait plus imposante que la perruque de Jupiter Multi-comans. Martial, plus malin que galant, critiqua seulement lâabus des perruques. TĂȘte chaussĂ©e ! calceatum caput ! sâĂ©criait-il quelquefois liv. XII, Ă©pigr. 45. Seize siĂšcles avant que Boileau eĂ»t plaisantĂ© lâabbĂ© Pochetto sur ses sermons dâachat, Martial avait dĂ©jĂ dit, Ă peu prĂšs de mĂȘme liv. VI, Ă©pigr. 12 Jurat capillos esse, quos emit, suos Fabulla numquid illa, Paulle, pejerat ? nego. Plus loin, il ajoute liv. XII, Ă©pigr. 23 Dentibus, atque comis, nec te pudet, uteris emptis Quid facies oculo, Laelia ? non emitur. Mais quâest-ce que cela prouve ? Il est clair que Martial nâen voulait quâaux vilaines tĂȘtes Ă perruque. Les mĂ©dailles nous montrent les tĂȘtes impĂ©riales dâOthon, de Commode, de PoppĂ©e, de Julie, de Lucile, ornĂ©es de capillaments câĂ©tait le nom gĂ©nĂ©rique des perruques romaines. Les petites-maĂźtresses avaient sur leur toilette diverses espĂšces de perruques pour les diffĂ©rentes heures du jour. Elles portaient en chenille le galericon câĂ©tait une sorte de petit casque qui donnait Ă leurs traits, avec un air cavalier, quelque chose de plus piquant. Le corymbion Ă©tait pour les visites dâĂ©tiquette, les promenades et le spectacle. Cette coiffure dâapparat avait un volume immense ; elle ressemblait assez Ă celle des Bacchantes. Othon, au rapport de SuĂ©tone, se servait du galericon pour cacher sa calvitie ; gula, sous la mĂȘme perruque, courait lutiner dans lâombre les prostituĂ©es de Rome ; et Messaline, abaissant, la nuit, devant la coiffure blonde des amours, la majestĂ© du diadĂšme, allait incognito provoquer dans les camps les robustes caresses des soldats romains voyez la satire VI de JuvĂ©nal. Mais la perruque la plus fameuse de lâantiquitĂ© fut, sans contredit, la perruque de lâempereur Commode. La description Ă©lĂ©gante que Lampride en a faite dans la vie de cet empereur Historiae Augustae scriptores, lui assure lâimmortalitĂ© câĂ©tait le corymbion, mais le corymbion dans tout son Ă©clat. Il faut voir dans lâhistorien ce prince, apparemment seul avec ses remords et ses craintes, nâosant confier son cou royal au rasoir dâun barbier, ni son front mĂȘme Ă lâaiguille des coiffeurs, se brĂ»lant lui-mĂȘme les cheveux et la barbe, ajustant devant son miroir sa vaste perruque, lâabreuvant de parfums et dâessences, et rĂ©pandant sur elle des flots de poudre dâor. Les chevelures allemandes et gauloises Ă©taient les plus recherchĂ©es des perruquiers romains ; leur couleur approchait de celle de lâor. En vain le dĂ©clamateur SĂ©nĂšque Ă©pĂźtre cxv, et de la BriĂšvetĂ© de la vie gourmanda les perruques ; on ne lâĂ©couta mĂȘme pas. LâĂ©loquence chrĂ©tienne de Tertullien, dans son traitĂ© de la Toilette des dames, chapitre VII, ne fut pas plus heureuse. ClĂ©ment dâAlexandrie, dans ses Stromates ou Tapisseries ; GrĂ©goire de Nazianze, dans lâĂloge de Gorgonie, sa sĆur ; saint Ambroise, dans son livre de la VirginitĂ© ; saint JĂ©rĂŽme, dans ses brĂ»lantes ĂpĂźtres, ne produisirent pas plus dâeffet. Ces bons PĂšres eurent beau nommer les perruques fourreaux de tĂȘtes, dĂ©pouille des morts, Ă©difices de prostitution, tours de Satan ; ils eurent beau vouer aux flammes de lâenfer les chevelures postiches, et ceux ou celles qui les portaient, la perruque nâen courut pas moins conquĂ©rir lâEurope, lâAsie et lâAfrique ; et lâunivers fut peuplĂ© de tĂȘtes Ă perruque, Ă la barbe des saints et des philosophes. CâĂ©tait surtout les jours de fĂȘtes que brillaient les perruques. Aux calendes de janvier, câest-Ă -dire aux premiers jours de lâan, lâĂ©trenne la mieux reçue Ă©tait une perruque. Si les Matronales Ă©taient la fĂȘte des dames, elles Ă©taient donc aussi la fĂȘte des perruques Ovide,Fastes, liv. iii. Pendant la cĂ©lĂ©bration des Bacchanales, ou, si vous voulez, Ă lâĂ©poque du carnaval romain, la perruque jouait encore un grand rĂŽle ; on y voyait les hommes se mĂȘler aux Bacchantes, la main armĂ©e de torches, et la tĂȘte affublĂ©e de perruques de femmes S. AstĂšre, Hom. in fest. kalend.. Lisez lâAne dâor dâApulĂ©e, livre XI vous y verrez, aux processions de la dĂ©esse Isis, un dĂ©vot africain paraĂźtre en escarpins dorĂ©s, en robe de soie traĂźnante, chargĂ© de bijoux et de pierreries, tant avec mollesse les ondes de sa perruque, et contrefaisant la dĂ©marche dâune petite-maĂźtresse. Il paraĂźt que la coiffe des perruques romaines Ă©tait une calotte de peau de bouc Martial, liv. XII, Ă©pigr. 45. Elle sâajustait avec tant de dextĂ©ritĂ©, quâon distinguait Ă peine si la coiffure Ă©tait postiche. Mais lâart des perruquiers ne tenait pas toujours ferme contre lâopiniĂątretĂ© des vents ; et Festus Avienus carmen X nous a conservĂ© lâanecdote dâun cavalier dont une bise incivile mit tout Ă coup le chef Ă nu, aux Ă©clats de rire des malins spectateurs. Tel Ă©tait lâengouement, que le front chauve qui ne pouvait atteindre au prix courant des perruques voulait du moins en arborer lâimage. Martial liv. VI, Ă©pigr. 57, Farnabe, et TurnĂšbe Adversar., cap. XXVII nous lâapprennent on se peignait la tĂȘte avec des pommades de diverses couleurs ; on donnait Ă ces croĂ»tes parfumĂ©es la figure dâune perruque, et les sillons onduleux dont on savait les orner jouaient, dit-on, au parlait les tresses de cheveux naturels. AprĂšs cela, continue Martial, pour raser, en un moment et sans risque, la plus belle tĂȘte du monde, il suffisait dâune Ă©ponge. Comment les anciens nâauraient-ils pas aimĂ© les perruques ? les cheveux Ă©taient ce quâils avaient de plus cher ; et cependant il fallait sans cesse les sacrifier pour en semer le tombeau des morts. Teucer, dans Sophocle Ajax furieux, acte IV, sc. 6, dit au jeune Ajax, en lui montrant la tombe de son pĂšre Venez, enfant ; approchez, en posture de suppliant, de celui qui vous donna le jour ; demeurez-y les yeux tournĂ©s vers votre pĂšre, ayant en main lâhumble offrande de mes cheveux, de ceux de votre mĂšre, et des vĂŽtres. » Dans le mĂȘme tragique, Electre acte I, sc. 5, voyant ChrysosthĂ©mis, sa sĆur, apporter au tombeau dâAgamemnon les prĂ©sents de Clytemnestre, sâĂ©crie Pensez-vous que ces hypocrites offrandes puissent expier le meurtre de mon pĂšre ? Non, non, il nâen sera rien. Laissez lĂ ces dons stĂ©riles ; faites mieux coupez vous-mĂȘme ces boucles de cheveux, et joignez-les aux miens. HĂ©las ! il mâen reste peu, je les ai dĂ©jĂ sacrifiĂ©s ; mais enfin jâen offre le reste, et leur dĂ©rangement montre assez ma douleur. » On devait encore se couper les cheveux dans le deuil. Aussi, dans lâOreste dâEuripide acte II, sc. I, le chĆur chante-t-il VoilĂ Tyndare, ce Spartiate chargĂ© dâannĂ©es, qui sâavance dâun pas prĂ©cipitĂ©, couvert de noirs vĂȘtements, et la tĂȘte rasĂ©e dans le deuil oĂč sa fille le plonge. » Dans la mĂȘme piĂšce acte I, sc. 3, Electre, toujours plaintive, accuse HĂ©lĂšne de manquer aux biensĂ©ances, parce quâelle nâa coupĂ© que lâextrĂ©mitĂ© de ses cheveux aprĂšs la mort dâune de ses sĆurs Voyez, dit-elle, avec quel artifice cette femme vient de couper lâextrĂ©mitĂ© de ses cheveux sans nuire Ă sa beautĂ© ! Elle est toujours ce quâelle fut autrefois ! Puissent les dieux te dĂ©tester, ĂŽ toi qui as perdu, moi, mon frĂšre, la GrĂšce entiĂšre !⊠Ah ! malheureuse que je suis ! » A la mort de Masistius, dit HĂ©rodote, livre IX, les Perses, pour marquer leur chagrin, non-seulement se rasĂšrent la tĂȘte, mais ils coupĂšrent encore le poil Ă toutes leurs montures câest lâexpression de Lamothe-Le-Vayer. La douleur, comme tous les extrĂȘmes, est de courte durĂ©e ; elle nâattendait pas, pour sâenvoler, que les cheveux eussent repris leur grandeur naturelle. Comment rappeler alors les jeux et les ris autour dâune tĂȘte tondue ? câeĂ»t Ă©tĂ© la chose impossible ; mais on prenait perruque, et toute la bande des amours, selon lâexpression du bon La Fontaine, revenait au colombier. Un nouveau motif de tendresse pour les perruques chez la docte antiquitĂ©, câĂ©tait la haine religieuse quâon y portait aux tĂȘtes chauves. Qui ne sait que CĂ©sar lui-mĂȘme, CĂ©sar au milieu de sa gloire, vit les brocards de ses soldats poursuivre son front chauve jusque sur son char de triomphe ? Voici le chauve adultĂšre, criaient-ils en chĆur ; maris, cachez vos femmes ! » Calvum mĆchum duximus ; mariti, servate uxores ! CĂ©sar, sans cheveux, paraissait dâautant plus ridicule, que le nom mĂȘme de CĂ©sar rappelait lâidĂ©e dâune belle chevelure. Celle de son aĂŻeul Ă©tait encore cĂ©lĂšbre, et ce fut elle, dit-on, qui mĂ©rita Ă cet ancĂȘtre du dictateur le surnom de CĂ©sar. CĂŠsar a caesarie dictus. Pour consoler le vainqueur du monde, et dĂ©rober sa calvitie Ă la malignitĂ© romaine, le sĂ©nat permit Ă CĂ©sar de porter perpĂ©tuellement une couronne de lauriers. Un sĂ©natus-consulte fit ainsi de cette couronne la perruque des hĂ©ros. Si les couronnes Ă©taient aujourdâhui parmi nous Ă la mode, combien de simples soldats français pourraient porter, sans ĂȘtre chauves, la perruque de CĂ©sar ! » 2 Immo supercilia profert de pyxide. â On voit maintenant, par ces mots supercilia profert de pyxide, que les dames romaines portaient aussi des sourcils postiches. Martial liv. IX, Ă©pigr. 37 parle dâune coquette qui avait des cheveux, des dents et des sourcils de contrebande Quum sis ipsa domi, mediaque ornere Suburra, Fiant absentes et tibi, Galla, comae ; Nec dentes aliter, quam serica, nocte reponas, Et jaceas centum condita pyxidibus Nec tecum facies tua dormiat innuis illo, Quod tibi prolatum est mane, supercilio. 3 Quia flavicomum corymbion erat. â Lâauteur soutient ici le caractĂšre quâil a donnĂ© Ă TryphĂšne, dâune femme de mauvaise vie, parce quâil nây avait que les courtisanes qui portassent des perruques blondes ; les matrones nâen mettaient que de noires câest pour cela que JuvĂ©nal, dans sa satire VI, vers 120, nous reprĂ©sente Messalinecachant ses cheveux bruns sous une perruque blonde . Nigrum flavo crinem abscondente galero, pour aller dans une maison de prostitution se livrer Ă la brutalitĂ© publique. CHAPITRE CXI. 1 Matrona quĆdam Ephesi tam notĆ erat pudicitiĆ. â Ce conte de la Matrone dâĂphĂšse a Ă©tĂ© traduit ou imitĂ© dans toutes les langues ; et câest le premier morceau du Satyricon quâon ait fait passer dans la nĂŽtre, comme on lâa vu dans les Recherches sceptiques sur le Satyricon un clerc, nommĂ© HĂ©bert, la rendit en vers français, vers lâan 1200. Ce sujet a aussi Ă©tĂ© traitĂ© pour la scĂšne, et on lui doit un joli vaudeville. De tous les imitateurs de PĂ©trone, celui qui a le mieux rĂ©ussi, câest La Fontaine, dont on me permettra de reproduire ici le conte, fort joli, sans doute, mais peut-ĂȘtre trop prolixe, trop paraphrasĂ©, et qui est loin, selon moi, de reproduire la piquante simplicitĂ© de lâoriginal Sâil est un conte usĂ©, commun et rebattu, Câest celui quâen ces vers jâaccommode Ă ma guise. ____Et pourquoi donc le choisis-tu ? ____Qui tâengage Ă cette entreprise ? Nâa-t-elle point dĂ©jĂ produit assez dâĂ©crits ? ____Quelle grĂące aura ta matrone____Au prix de celle de PĂ©trone ? Comment la rendras-tu nouvelle Ă nos esprits ? Sans rĂ©pondre aux censeurs, car câest chose infinie, Voyons si dans mes vers je lâaurai rajeunie. ____Dans ĂphĂšse il fut autrefois Une dame en sagesse, en vertu sans Ă©gale, ____Et, selon la commune voix, Ayant su raffiner sur lâamour conjugale. Il nâĂ©tait bruit que dâelle et de sa chastetĂ© ; ____On lâallait voir par raretĂ© ; CâĂ©tait lâhonneur du sexe heureuse sa patrie ! Chaque mĂšre Ă sa bru lâallĂ©guait pour patron ; Chaque Ă©poux la prĂŽnait Ă sa femme chĂ©rie Dâelle descendent ceux de la Prudoterie,____Antique et cĂ©lĂšbre maison. ____Son mari lâaimait dâamour folle. ____Il mourut. De dire comment, ____Ce serait un dĂ©tail frivole. ____Il mourut ; et son testament NâĂ©tait plein que de legs qui lâauraient consolĂ©e, Si les biens rĂ©paraient la perte dâun mari____Amoureux autant que chĂ©ri. Mainte veuve pourtant fait la dĂ©chevelĂ©e, Qui nâabandonne pas le soin du demeurant, Et du bien quâelle aura fait le compte en pleurant. Celle-ci, par ses cris, mettait tout en alarme, ____Celle-ci faisait un vacarme, Un bruit, et des regrets Ă percer tous les cĆurs ; ____Bien quâon sache quâen ses malheurs, De quelque dĂ©sespoir quâune Ăąme soit atteinte, La douleur est toujours moins forte que la plainte, Toujours un peu de faste entre parmi les pleurs. Chacun fit son devoir de dire Ă lâaffligĂ©e Que tout a sa mesure, et que de tels regrets____Pourraient pĂ©cher par leur excĂšs Chacun rendit par lĂ sa douleur rengrĂ©gĂ©e. Enfin, ne voulant plus jouir de la clartĂ©____Que son Ă©poux avait perdue, Elle entre dans sa tombe, en ferme volontĂ© Dâaccompagner cette ombre aux enfers descendue. Et voyez ce que peut lâexcessive amitiĂ© Ce mouvement aussi va jusquâĂ la folie, Une esclave en ces lieux la suivit par pitiĂ©, ____PrĂȘte Ă mourir de compagnie ; PrĂȘte, je mâentends bien, câest-Ă -dire, en un mot, Nâayant examinĂ© quâĂ moitiĂ© ce complot, Et jusques Ă lâeffet courageuse et hardie. Lâesclave avec la dame avait Ă©tĂ© nourrie ; Toutes deux sâentrâaimaient, et cette passion Ătait crue avec lâĂąge au cĆur des deux femelles Le monde entier Ă peine eĂ»t fourni deux modĂšles____Dâune telle inclination. Comme lâesclave avait plus de sens que la dame, Elle laissa passer les premiers mouvements ; Puis tĂącha, mais en vain, de remettre cette Ăąme Dans lâordinaire train des communs sentiments. Aux consolations la veuve inaccessible Sâappliquait seulement Ă tout moyen possible De suivre le dĂ©funt aux noirs et tristes lieux. Le fer aurait Ă©tĂ© le plus court et le mieux ; Mais la dame voulait paĂźtre encore ses yeux____Du trĂ©sor quâenfermait la biĂšre, ____Froide dĂ©pouille, et pourtant chĂšre ____CâĂ©tait lĂ le seul aliment____Quâelle prĂźt en ce monument. ____La faim donc fut celle des portes____Quâentre dâautres de tant de sortes Notre veuve choisit pour sortir dâici-bas. Un jour se passe, et deux, sans autre nourriture Que ses profonds soupirs, que ses frĂ©quents hĂ©las, ____Quâun inutile et long murmure Contre les dieux, le sort et toute la nature. ____Enfin sa douleur nâomit rien, Si la douleur doit sâexprimer si bien. Encore un autre mort faisait sa rĂ©sidence Non loin de ce tombeau, mais bien diffĂ©remment, ____Car il nâavait pour monument____Que le dessous dâune potence Pour exemple aux voleurs on lâavait lĂ laissĂ©. ____Un soldat bien rĂ©compensĂ©____Le gardait avec vigilance. ____Il Ă©tait dit par ordonnance Que si dâautres voleurs, un parent, un ami, Lâenlevaient, le soldat, nonchalant, endormi, ____Remplirait aussitĂŽt sa place. ____CâĂ©tait trop de sĂ©vĂ©ritĂ© ; ____Mais la publique utilitĂ© DĂ©fendait quâon ne fĂźt au garde aucune grĂące. Pendant la nuit il vit, aux fentes du tombeau, Briller quelque clartĂ©, spectacle assez nouveau. Curieux, il y court, entend de loin la dame____Remplissant lâair de ses clameurs. Il entre, est Ă©tonnĂ©, demande Ă cette femme____Pourquoi ces cris, pourquoi ces pleurs, ____Pourquoi cette triste musique, Pourquoi cette maison noire et mĂ©lancolique ? OccupĂ©e Ă ses pleurs, Ă peine elle entendit____Toutes ces demandes frivoles. ____Le mort pour elle y rĂ©pondit ____Cet objet, sans autres paroles. ____Disait assez par quel malheur La dame sâenterrait ainsi toute vivante. â Nous avons fait serment, ajouta la suivante, De nous laisser mourir de faim et de douleur. â Encor que le soldat fĂ»t mauvais orateur, Il leur fit concevoir ce que câest que la vie. La dame cette fois eut de lâattention ; ____Et dĂ©jĂ lâautre passion____Se trouvait un peu ralentie Le temps avait agi. â Si la foi du serment, Poursuivit le soldat, vous dĂ©fend lâaliment. ____Voyez-moi manger seulement. Vous nâen mourrez pas moins. â Un tel tempĂ©rament____Ne dĂ©plut pas aux deux femelles. ____Conclusion, quâil obtint dâelles Une permission dâapporter son soupĂ© Ce quâil fit. Et lâesclave eut le cĆur fort tentĂ© De renoncer dĂšs lors Ă la cruelle envie____De tenir au mort compagnie. â Madame, ce dit-elle, un penser mâest venu Quâimporte Ă votre Ă©poux que vous cessiez de vivre Croyez-vous que lui-mĂȘme il fĂ»t homme Ă vous suivre, Si par votre trĂ©pas vous lâaviez prĂ©venu ? Non, madame ; il voudrait achever sa carriĂšre. La nĂŽtre sera longue encor si nous voulons. Se faut-il, Ă vingt ans, enfermer dans la biĂšre ? Nous aurons tout loisir dâhabiter ces maisons. On ne meurt que trop tĂŽt qui nous presse ? attendons. Quant Ă moi, je voudrais ne mourir que ridĂ©e. Voulez-vous emporter vos appas chez les morts ? Que vous servira-t-il dâen ĂȘtre regardĂ©e ? ____TantĂŽt, en voyant les trĂ©sors Dont le ciel prit plaisir dâorner votre visage, ____Je disais HĂ©las ! câest dommage, Nous-mĂȘmes nous allons enterrer tout cela. â Ă ce discours flatteur la dame sâĂ©veilla. Le dieu qui fait aimer prit son temps ; il tira Deux traits de son carquois de lâun il entama Le soldat jusquâau vif ; lâautre effleura la dame. Jeune et belle, elle avait sous ses pleurs de lâĂ©clat ; ____Et des gens de goĂ»t dĂ©licat Auraient bien pu lâaimer, et mĂȘme Ă©tant leur femme. Le garde en fut Ă©pris les pleurs et la pitiĂ©, ____Sorte dâamour ayant ses charmes, Tout y fit une belle, alors quâelle est en larmes, ____En est plus belle de moitiĂ©. VoilĂ donc notre veuve Ă©coutant la louange, Poison qui de lâamour est le premier degrĂ© ; ____La voilĂ qui trouve Ă son grĂ© Celui qui le lui donne. Il fait tant quâelle mange ; Il fait tant que de plaire, et se rend en effet Plus digne dâĂȘtre aimĂ© que le mort le mieux fait ; ____Il fait tant enfin quâelle change ; Et toujours par degrĂ©s, comme lâon peut penser, De lâun Ă lâautre il fait cette femme passer. ____Je ne le trouve pas Ă©trange Elle Ă©coute un amant, elle en fait un mari, Le tout au nez du mort quâelle avait tant chĂ©ri. Pendant cet hymĂ©nĂ©e, un voleur se hasarde Dâenlever le dĂ©pĂŽt commis aux soins du garde Il en entend le bruit, il y court Ă grands pas ; ____Mais en vain la chose Ă©tait faite. Il revient au tombeau conter son embarras, ____Ne sachant oĂč trouver retraite. Lâesclave alors lui dit, le voyant Ă©perdu ____â Lâon vous a pris votre pendu ? Les lois ne vous feront, dites-vous, nulle grĂące ? Si madame y consent, jây remĂ©dierai notre mort en sa place, ____Les passants nây connaĂźtront rien. â La dame y consentit. O volages femelles ! La femme est toujours femme. Il en est qui sont belles ; ____Il en est qui ne le sont pas ____Sâil en Ă©tait dâassez fidĂšles, ____Elles auraient assez dâappas. Prudes, vous vous devez dĂ©fier de vos forces Ne vous vantez de rien. Si votre intention____Est de rĂ©sister aux amorces, La nĂŽtre est bonne aussi, mais lâexĂ©cution Nous trompe Ă©galement ; tĂ©moin cette matrone. ____Et, nâen dĂ©plaise au bon PĂ©trone, Ce nâĂ©tait pas un fait tellement merveilleux Quâil en dĂ»t proposer lâexemple Ă nos neveux. Cette veuve nâeut tort quâau bruit quâon lui vit faire, Quâau dessein de mourir, mal conçu, mal formĂ© ; ____Car de mettre au patibulaire____Le corps dâun mari tant aimĂ©, Ce nâĂ©tait pas peut-ĂȘtre une si grande affaire Cela lui sauvait lâautre, et, tout considĂ©rĂ©, Mieux vaut goujat debout quâempereur enterrĂ©. Cette imitation du conte de PĂ©trone inspire Ă M. Durand les rĂ©flexions suivantes Ce conte nâest que plaisant dans La Fontaine ; mais dans PĂ©trone il finit par un trait horrible et qui choque toutes les convenances. Son esprit, qui savait si bien sacrifier aux grĂąces, aurait dĂ» lui fournir un dĂ©noĂ»ment plus aimable. Suivant lui, câest lâĂ©pouse consolĂ©e qui propose dâexhumer son mari et de lâaccrocher au poteau dĂ©pouillĂ©. Au moins le conteur français met cet avis odieux dans la bouche dâune esclave ; ce correctif mĂȘme nâadoucit que faiblement, selon moi, lâhorreur que cette circonstance inspire. » Nâen dĂ©plaise Ă M. Durand, je ne suis pas de son avis. Le dĂ©noĂ»ment du conte de PĂ©trone est tel quâil devait ĂȘtre. Il voulait prouver, comme il le fait dire en propres termes Ă Eumolpe, quâil nây a pas de femme, quelque prude quâelle soit, quâune passion nouvelle ne puisse porter aux plus grands excĂšs ; et pour prouver ce quâil avance, je vais, ajoute-t-il, vous raconter un fait arrivĂ© de nos jours. CâĂ©tait, comme on le voit, un fait rĂ©cent, un fait connu, notoire ; PĂ©trone nâĂ©tait donc pas le maĂźtre dâen changer le dĂ©noĂ»ment. Dâailleurs Flavius, au rapport de Jean de SarisbĂ©ry, dans son traitĂ© de Nug. cur., livre VIII, chapitre 11, assure que cette histoire est vĂ©ritable, et que la veuve qui en est lâhĂ©roĂŻne fut punie de son impiĂ©tĂ©, de son parricide et de son adultĂšre, en prĂ©sence du peuple ; ce sont ses propres termes mulieremque impietatis suce, et sceleris parricidatis, et adulterii, in conspectu populi, luisse pĆnas. ApulĂ©e a traitĂ© un sujet Ă peu prĂšs semblable au livre II de son Ane dâor, mais avec beaucoup moins dâenjouement et de grĂące que PĂ©trone ; nous renvoyons, pour la comparaison de ces deux histoires, Ă lâexcellente traduction dâApulĂ©e donnĂ©e par M. BĂ©tolaud. Il est facile de reconnaĂźtre, dans la Matrone dâĂphĂšse, lâorigine dâun charmant Ă©pisode du conte de Zadig, par Voltaire, celui de la prude, qui, croyant son mari dĂ©cĂ©dĂ©, consent Ă lui couper le nez dans son tombeau, pour guĂ©rir son amant dâune douleur de cĂŽtĂ©. 2 Ne quis ad sepulturam corpora detraheret. â On refusait la sĂ©pulture Ă ceux qui avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s au dernier supplice, et on les laissait suspendus au gibet pour Ă©pouvanter, par ce spectacle, les malfaiteurs qui seraient tentĂ©s de les imiter. Cela se pratique encore de nos jours en plusieurs endroits de lâItalie. 3 Faciemque unguibus sectam, â Cette marque dâune extrĂȘme affliction Ă©tait une coutume que les femmes observaient pour tĂ©moigner lâexcĂšs de leur douleur. Mais la loi des Douze Tables abolit cet usage chez les Romains. CHAPITRE CXII. 1 Nec venit in mentem, quorum consederis arvis ? â Ce vers et le prĂ©cĂ©dent sont empruntĂ©s au livre IV de lâEnĂ©ide, oĂč ils sont employĂ©s Ă peu prĂšs dans le mĂȘme sens que PĂ©trone leur donne ici. Dans Virgile, Anne, conseillant Ă Didon de ne pas rejeter les services dâĂnĂ©e, quâelle aime en secret, lui rappelle quâelle est dans un pays barbare, etc. Ici une servante, qui ne se sent pas dâhumeur Ă mourir de faim, tĂąche de dĂ©cider sa maĂźtresse Ă se rendre aux empressements dâun jeune homme qui ne lui est pas indiffĂ©rent ; et, pour y rĂ©ussir, elle lui reprĂ©sente lâhorreur du lieu oĂč elle se trouve elle lui a dĂ©jĂ dit prĂ©cĂ©demment, en citant un autre vers de Virgile Id cinerem aut manes credis curare sepultos ? Croyez-vous quâune froide cendre et des mĂąnes inanimĂ©s se soucient de vos regrets ? » 2 Ne hanc quidem partem corporis mulier abstinuit. â Ce passage de notre auteur est remarquable par lâextrĂȘme retenue avec laquelle il exprime une idĂ©e assez gaillarde ; PĂ©trone parle dans la suite avec une Ă©gale pudeur de lâorgane de la virilitĂ©, lorsquâil dit Quum a parte corporis quam ne ad cogitationem quidem admittere severioris notae homines solent, etc. Cet endroit et plusieurs autres prouvent que PĂ©trone, en nous offrant le tableau fidĂšle de la corruption des mĆurs de son siĂšcle, a cependant montrĂ© plus de retenue dans ses expressions que Martial, Catulle et plusieurs autres que je pourrais citer, et chez lesquels Nomen adest rebus, nominibusque pudor. CHAPITRE CXIII. 1 Et erubescente non mediocriter Tryphaena. â On se doute, dâaprĂšs les mĆurs dissolues que PĂ©trone attribue Ă TryphĂšne, que ce nâĂ©tait pas par pudeur quâelle rougissait Ă la fin du rĂ©cit dâEumolpe, mais plutĂŽt au souvenir de quelque aventure semblable Ă celle de la matrone dâĂphĂšse, et oĂč elle avait jouĂ© peut-ĂȘtre un rĂŽle encore plus coupable. 2 Expilatumque libidinosa migratione navigium. â Câest la premiĂšre fois quâil est fait mention du pillage de ce vaisseau dans les manuscrits authentiques. Lycas va y revenir dans le chapitre suivant Vestem illam divinam, sistrumque redde navigio. Câest sur ces deux passages que Nodot sâest fondĂ©, comme nous lâavons dĂ©jĂ dit, pour bĂątir cette histoire du pillage quâEncolpe et Giton font dans le vaisseau dâIsis au chapitre XI du Satyricon. CâĂ©tait fort bien Ă Nodot de complĂ©ter le Satyricon pour le rendre plus intelligible ; mais il fallait se borner lĂ , et ne pas chercher Ă donner le change aux lecteurs, en offrant ces supplĂ©ments comme lâĆuvre mĂȘme de PĂ©trone. Freinshemius et Brottier, savants illustres, qui Ă©crivaient pour le moins en aussi bon latin que Nodot, nâont jamais cherchĂ© Ă attribuer Ă Quinte-Curce et Ă Tite-Live les supplĂ©ments quâils ont faits Ă leurs ouvrages. CHAPITRE CXIV. 1 Inhorruit mare, nubesque undique adductĆ obruere tenebris diem. â Cette description dâune tempĂȘte est tracĂ©e de main de maĂźtre, et annonce le poĂ«te qui va bientĂŽt nous offrir un tableau si vrai, si Ă©nergique, des maux de la guerre civile. 2 Italici littoris Aquilo possessor.â Ces mots rappellent le Notus AdriĆ arbiter dâHorace, et ce passage de Lucain, livre II, vers 454 . . . . . . Ut quum mare possidet Auster Flatibus horrisonis. On trouve aussi dans Properce, livre I, Ă©lĂ©gie 18 Et vacuum Zephyri possidet aura nemus. 3 In mare ventus excussit, repetitumque infesto gurgite procella circum-egit, atque hausic. â Nâest-ce pas lĂ de la vĂ©ritable poĂ©sie ? Cette image de la mer, qui ne semble un instant lĂącher sa proie que pour la ressaisir et la plonger de nouveau dans lâabĂźme, est digne de Virgile, et rappelle ces beaux vers de lâEnĂ©ide, livre I, vers 114 . . . . . . Ingens a vertice pontus In puppim ferit excutitur, pronusque magister Volvitur in caput ; ast illam ter fluctus ibidem Torquet agens circum, et rapidus vorat aequore vortex. 4 PrĆteriens aliquis tralatitia humanitate lapidabit. â La religion paĂŻenne, par la loi appelĂ©e Jus pontificum, ordonnait, sous peine dâimpiĂ©tĂ©, crime capital, Ă tous ceux qui trouvaient des corps sans sĂ©pulture, de les inhumer, parce que les anciens croyaient que Caron ne passait pas dans sa barque les Ăąmes de ceux qui nâavaient pas reçu les honneurs funĂšbres ; mais que ces Ăąmes restaient sur le rivage du Styx, exposĂ©es Ă toutes les insultes des Furies qui venaient les tourmenter, On couvrait les corps morts de mottes de terre ; mais si lâon ne pouvait sâen procurer, comme ici, par exemple, sur le bord de la mer, et si lâon nâavait pas ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour les brĂ»ler, on les cachait sous un amas de cailloux câest ce que PĂ©trone appelle lapidare. CHAPITRE CXV. 1 Mirati ergo, quod illi vocaret in vicinia mortis, poema facere. â Cette prĂ©occupation poĂ©tique, dâun homme oubliant tous les dangers qui lâentourent, et composant des vers, mĂȘme au milieu dâune tempĂȘte, a Ă©tĂ© admirablement dĂ©crite par Ovide dans ses Tristes, livre 1, Ă©lĂ©gie 10 Quod facerem versus inter fera murmura ponti, Cyclades Ăgeas obstupuisse puto. Ipse ego nunc miror, tantis animique marisque Fluctibus ingeuiumsiion cecidisse meum. Seu stupor huic sludio, sive huio insania, nomen ; Omnis ab hac cura mens relevata mea est. Same ego nimbosis dubius jactabar ab HĂŠdis SĂŠpe minax Steropes sidere pontus erat. Fuscabatque diem custos Erymanthidos Ursae ; Aut Hyadas seevis hauserat Auster aquis SĂŠpe maris pars intus erat ; tamen ipse trementi Carmina ducebam qualiacumque manu. 2 Et Lycam quidem rogus... adolebat. â Il ne faut pas confondre, dans les auteurs latins, ces trois mots, dont le sens est bien diffĂ©rent Pyra, rogus, bustum. â Pyra signifie lâamas de bois qui forme le bĂ»cher ; rogus, le bĂ»cher ardent, et bustum, le bĂ»cher dĂ©jĂ Ă demi consumĂ© par le feu. Virgile offre ces diffĂ©rentes nuances dans lâĂnĂ©ide, livre XI, vers 184 et suivants Jam pater jEneas, jam curvo in littore Tarchon Constituere pyras huc corpora quisque suorum More tulere patrum subjectisque ignibus atris Conditur in tenebras altum caligine cnfilum. Ter circum accensos, cincti fulgentibus armis, Decurrere rogos. . . . . . . . . . . Tum littore toto Ardentes spectant socios, semiustaque servantBusta. . . . . CHAPITRE CXVI. 1 Aut captantur, aut captant. â Captare, tĂącher de tromper quelquâun ; captari, ĂȘtre dupĂ© par quelquâun, ĂȘtre lâobjet de ses flatteries intĂ©ressĂ©es ; captator, un coureur de successions. Martial liv. VI, Ă©pigr. 63 adresse ces vers Ă un certain Marianus, dont lâhĂ©ritage excitait la convoitise dâun de ces intrigants Scis te captari scis hunc, qui captat, avarum ; Et scis qui captat, quid, Mariane, velit. Pline lâAncien liv. XIV, ch. 1 sâĂ©lĂšve en ces termes contre cet infĂąme usage, de courtiser les vieillards pour obtenir un legs dans leur testament Postquam cĆpere orbitas in auctoritate summa et potentiel esse, captatio in quĆstu fertilissimo, ac sola gaudia in possidendo omnesque a maximo modo liberales dictĆ artes, in contrarium cecidere, ac servitute sola profici cĆptum. Et Ammien Marcellin liv. XVIII, ch. 4 Subsident aliqui copiosos homines, senes aut juvenes, orbos vel cĆlibes, aut etiam uxores et liberos, ad voluntates condendas allicientes eos prĆstigiis miris. 2 Nemo liberos tollit personne ne lĂšve ses enfants, » parce que la coutume, chez les Romains, Ă©tait de poser Ă terre les enfants dĂšs quâils Ă©taient nĂ©s si le pĂšre voulait prendre soin de leur Ă©ducation, il les levait et les embrassait ; au contraire, sâil nâĂ©tait pas dans ce dessein, il les faisait exposer, et les laissait Ă qui les voulait prendre. 3 Videbitis... oppidum, tanquam in pestilentia campos. â PĂ©trone, en traçant cette affreuse caricature, songeait bien moins Ă Crotone quâĂ la capitale de lâempire. Les descriptions que dâautres auteurs en ont faites sont dâune force de coloris Ă©galement remarquable, et laissent de Rome une idĂ©e vraiment effrayante. Nous nous contenterons dâoffrir Ă nos lecteurs le tableau suivant, tirĂ© dâAmmien Marcellin, livre XIV, chapitre 6 Si vous ĂȘtes, Ă votre arrivĂ©e Ă Rome, dit-il, conduit, comme un honnĂȘte Ă©tranger, chez un homme opulent, câest-Ă -dire trĂšs-orgueilleux, vous serez dâabord reçu avec toutes sortes de politesses ; et, aprĂšs avoir essuyĂ© des questions auxquelles il faut le plus souvent rĂ©pondre par des contes extravagants, vous vous Ă©tonnerez quâun homme si considĂ©rable traite un simple particulier avec tant dâattention ; vous irez mĂȘme jusquâĂ vous accuser de nâĂȘtre pas venu dix ans plus tĂŽt dans un si beau pays. Mais lorsque encouragĂ© par ce premier accueil, vous retournerez le lendemain pour faire votre cour, vous resterez lĂ comme un homme inconnu et qui tombe des nues, tandis quâon se demandera tout bas dâoĂč vous ĂȘtes et dâoĂč vous venez. A la fin, cependant, vous parviendrez Ă ĂȘtre reconnu et admis Ă la familiaritĂ© ; mais si, aprĂšs trois ans dâassiduitĂ©, vous vous avisiez de vous Ă©loigner le mĂȘme espace de temps, on ne vous demandera pas Ă votre retour le motif de votre absence, car on ne sâen sera pas mĂȘme aperçu. Bien plus, lorsque le temps viendra de donner ces repas si longs et si perfides pour la santĂ©, on dĂ©libĂ©rera longtemps si, outre les convives dâobligation, on invitera encore quelque Ă©tranger ; et si, aprĂšs un mĂ»r examen, on veut bien sây rĂ©soudre, celui-lĂ seul sera admis qui, docte en fait de spectacles, monte une garde assidue chez les cochers du Cirque, ou qui est expert dans toutes les subtilitĂ©s du jeu. Pour les hommes savants et vertueux, on les Ă©vite comme des ennuyeux et des trouble-fĂȘtes. Que dirai-je de ces ridicules cavalcades de nos riches fastueux, qui se divertissent Ă courir la poste dans les rues, au risque de se rompre le cou sur le pavĂ©, traĂźnant Ă leur suite une si grande quantitĂ© de domestiques, que, suivant lâexpression du poĂ«te comique, ils ne laissent pas mĂȘme le bouffon pour garder la maison ? Et ce divertissement ridicule, les matrones elles-mĂȘmes nâont pas craint de lâimiter en courant aussi la ville dans des litiĂšres dĂ©couvertes. Le char triomphal marche, au centre dâune armĂ©e dâesclaves ; et lâarriĂšre-garde est formĂ©e par les eunuques, dont le nombre et la difformitĂ© nous font dĂ©tester la mĂ©moire de SĂ©miramis, cette reine cruelle, qui, la premiĂšre, violant les lois de la nature, fit regretter Ă cette mĂšre tendre, mais imprudente, dâavoir montrĂ© trop tĂŽt, dans les gĂ©nĂ©rations Ă peine commencĂ©es, lâespoir des gĂ©nĂ©rations futures. Avec de pareilles mĆurs, on croira facilement que les maisons oĂč les sciences furent jadis cultivĂ©es ne sont plus maintenant que le rĂ©ceptacle de plaisirs vains et frivoles ; de sorte quâĂ la place des orateurs et des philosophes, on nâentend plus, du matin au soir, que le son des flĂ»tes et le chant des musiciens. Pour les bibliothĂšques, elles sont plus closes et plus abandonnĂ©es que les sĂ©pulcres ; les orchestres, les instruments hydrauliques en ont pris la place. Enfin on en est venu Ă ce comble dâindignitĂ©, que, lorsque la disette a obligĂ© de chasser de la ville les Ă©trangers, cette loi a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e Ă la rigueur pour tous ces hommes utiles qui enseignent les arts libĂ©raux, tandis quâon a conservĂ© les mimes et les histrions, et que ĂŽ honte ! trois mille danseuses ont Ă©tĂ© retenues dans la capitale, ainsi que leur cortĂ©ge de musiciens et de choristes. Autrefois Rome Ă©tait un asile assurĂ© pour quiconque y portait les arts et lâindustrie ; maintenant je ne sais quelle sotte vanitĂ© fait regarder comme vil et abject tout ce qui est nĂ© au delĂ du PomĂ©rium. Jâen excepte cependant les cĂ©libataires et tous ceux qui nâont pas dâhĂ©ritiers ceux-lĂ sont comblĂ©s dâattentions et de prĂ©venances. Telles sont les mĆurs des nobles ; pour le menu peuple, il passe souvent la nuit dans les cabarets, ou mĂȘme dans les théùtres, Ă lâabri de ces toiles dont nous devons lâinvention Ă Catulus, qui, le premier, introduisit Ă Rome cette recherche de commoditĂ©s plus dignes de Capoue que de la ville de Romulus ; dâautres sâexposent des journĂ©es entiĂšres au soleil ou Ă la pluie, pour juger les cochers et disserter sur les Ă©vĂ©nements du Cirque, etc. » CHAPITRE CXVIII. 1 Belli civilis ingens opus quisquis attigerit, etc. â Notre auteur fait ici une censure indirecte de la Pharsale de Lucain ; mais Voltaire, dont lâautoritĂ© en matiĂšre de goĂ»t vaut au moins celle de PĂ©trone, en porte un jugement tout diffĂ©rent et tout Ă lâavantage de Lucain. La proximitĂ© des temps, dit-il, la notoriĂ©tĂ© publique de la guerre civile, le siĂšcle Ă©clairĂ©, politique et peu superstitieux oĂč vivait Lucain, ainsi que les hĂ©ros de son poĂ«me, la soliditĂ© de son sujet, ĂŽtaient Ă son gĂ©nie toute libertĂ© dâinvention fabuleuse. La grandeur vĂ©ritable des hĂ©ros rĂ©els, quâil fallait peindre dâaprĂšs nature, Ă©tait une nouvelle difficultĂ©. Les Romains du temps de CĂ©sar Ă©taient des personnages bien autrement importants que SarpĂ©don, DiomĂšde, MĂ©zence et Turnus. La guerre de Troie Ă©tait un jeu dâenfants en comparaison des guerres civiles de Rome, oĂč les plus grands capitaines et les plus puissants hommes qui aient jamais Ă©tĂ© se disputaient lâempire de la moitiĂ© du monde. Virgile et HomĂšre avaient fort bien fait dâamener les divinitĂ©s sur la scĂšne. Lucain a fait tout aussi bien de sâen passer. Jupiter, Mars, VĂ©nus Ă©taient des embellissements nĂ©cessaires aux actions dâĂnĂ©e et dâAgamemnon on savait peu de chose de ces hĂ©ros fabuleux ; ils Ă©taient comme ces vainqueurs des jeux Olympiques que Pindare chantait, et dont il nâavait presque rien Ă dire. Il fallait quâil se jetĂąt sur les louanges de Castor, de Pollux et dâHercule. Les faibles commencements de lâempire romain avaient besoin dâĂȘtre relevĂ©s par lâintervention des dieux ; mais CĂ©sar, PompĂ©e, Calon, LabiĂ©nus vivaient dans un autre siĂšcle quâĂnĂ©e les guerres civiles de Rome Ă©taient trop sĂ©rieuses pour ces jeux dâimagination. Quel rĂŽle CĂ©sar jouerait-il dans la plaine de Pharsale, si Iris venait lui apporter une armure, ou si VĂ©nus descendait Ă son secours dans un nuage dâor ? Ceux qui prennent les commencements dâun art pour les principes de lâart mĂȘme sont persuadĂ©s quâun poĂ«me ne saurait subsister sans divinitĂ©s, parce que lâIliade en est pleine ; mais ces divinitĂ©s sont si peu essentielles au poĂšme, que le plus bel endroit qui soit dans Lucain, et peut-ĂȘtre dans aucun poĂ«te, est le discours de Caton, dans lequel ce stoĂŻque ennemi des fables dĂ©daigne dâaller voir le temple de Jupiter Ammon Laissons, laissons, dit-il, un secours si honteux Ă ces Ăąmes quâagite un avenir douteux. Pour ĂȘtre convaincu que la vie est Ă plaindre, Que câest un long combat dont lâissue est Ă craindre, Quâune mort glorieuse est prĂ©fĂ©rable aux fers, Je ne consulte point les dieux ni les enfers. Alors que du nĂ©ant nous passons jusquâĂ lâĂȘtre, Le ciel met dans nos cĆurs tout ce quâil faut connaĂźtre Nous trouvons Dieu partout ; partout il parle Ă nous. Nous savons ce qui fait ou dĂ©truit son courroux ; Et chacun porte en soi ce conseil salutaire, Si le charme des sens ne le force Ă se taire. Pensez-vous quâĂ ce temple un dieu soit limitĂ© ? Quâil ait dans ces dĂ©serts cachĂ© la vĂ©ritĂ© ? Faut-il dâautre sĂ©jour Ă ce monarque auguste Que les cieux, que la terre, et que le cĆur du juste ? Câest lui qui nous soutient ; câest lui qui nous conduit ; Câest sa main qui nous guide, et son feu qui nous luit ; Tout ce que nous voyons est cet ĂȘtre suprĂȘme, etc. Trad. de BrĂ©beuf. Ce nâest donc point pour nâavoir pas fait usage du ministĂšre des dieux, mais pour avoir ignorĂ© lâart de bien conduire les affaires des hommes, et de faire agir CĂ©sar, PompĂ©e, Caton dâune maniĂšre conforme aux traits nobles et sublimes dont il sâest servi pour les peindre, que la Pharsale est si infĂ©rieure Ă lâĂnĂ©ide et Ă lâIliade. » CHAPITRE CXIX. 1 Orbem jam totum victor Romanus habebat. â Cette façon de parler, quâon pourrait regarder comme une hyperbole ridicule, Ă©tait familiĂšre dans la bouche des Romains. Les commentateurs et dâautres savants en rapportent un grand nombre dâexemples, tirĂ©s non-seulement des poĂ«tes, mais aussi des orateurs et des historiens. CicĂ©ron, parlant de PompĂ©e, dit Ses trois triomphes attestent que le globe de la terre est soumis Ă notre empire. PompĂ©e lui-mĂȘme donna ce titre fastueux Ă lâun de ses triomphes De Orbe terrarum. Rien nâest plus frĂ©quent, sur les anciens monuments, que cette maniĂšre de parler. De lĂ ces Ă©pithĂštes de rector, restitutor, locupletator orbis terrarum, qui sont si souvent donnĂ©es aux empereurs sur leurs mĂ©dailles ; de lĂ ce globe qui reprĂ©sente la terre et qui dĂ©core presque toujours les monuments quâon leur a consacrĂ©s. Lâempereur Antonin le Pieux, tout modeste quâil Ă©tait, nâa pas rougi de sâappeler lui-mĂȘme le MaĂźtre de lâunivers. Justinien, longtemps aprĂšs la destruction de lâempire dâOccident, nâa pas hĂ©sitĂ© de nommer Rome la capitale du monde. Il paraĂźt que le plus ancien auteur qui se soit servi de cette expression est Polybe, qui nĂ©anmoins y met un correctif, en disant que les Romains Ă©taient maĂźtres de toutes les parties du monde alors connues. Depuis, les Romains sâaccoutumĂšrent facilement Ă sâentendre traiter de maĂźtres du monde. Mais cette façon de parler, rĂ©duite Ă sa juste valeur, signifiait seulement lâempire romain, orbis romanus. 2 Gravidis freta pressa carinis Jam peragebantur. â Le prĂ©sident Bouhier, dont nous emprunterons plus dâune fois les savantes et judicieuses remarques sur le poĂ«me de la Guerre civile, nous semble sâĂȘtre grossiĂšrement trompĂ© dans lâinterprĂ©tation quâil donne de ce passage. Il lit Carenis au lieu de carinis, et en fait un peuple au lieu dâune flotte sa note est trop curieuse pour ne pas la rapporter en entier ; elle prouvera combien la manie des interprĂ©tations peut Ă©garer un homme Ă©rudit. Voila, sans doute, dit-il, quelque chose de bien surprenant, quâau temps de CĂ©sar la mer fĂ»t dĂ©jĂ couverte de vaisseaux richement chargĂ©s. Je ne puis croire que PĂ©trone ait dit une telle sottise ; elle ne serait pas moins choquante, quand il aurait Ă©critgraiisau lui de gravidis, comme le voulait Philippe Rubens Elector., II, 10. Je suis donc persuadĂ© que le poĂ«te a eu en vue quelque expĂ©dition maritime que les Romains avaient faite peu avant la guerre civile dans des pays jusquâalors inconnus. Cela mâa fait rejeter une idĂ©e, qui mâĂ©tait dâabord venue, que par Carinis le poĂ«te avait entendu des peuples dâAllemagne, qui portaient ce nom, et que Cluvier a placĂ©s vers la Baltique ; car ils nâont Ă©tĂ© connus que longtemps aprĂšs. Je crois plutĂŽt que PĂ©trone a voulu dĂ©signer ici la descente que CĂ©sar fit dans la Grande-Bretagne, et dont Florus a parlĂ©, Ă peu prĂšs dans le goĂ»t de notre poĂ«te, en cette sorte Omnibus terra marique captis ; respexit CĂŠsar Oceanum et quasi huic romanus orbis non sufficeret, alterum cogitavit. Lucain en a fait mention Ă peu prĂšs de la mĂȘme maniĂšre, livre I, vers 369 Haec manus, ut victum post terga relinqueret orbem, Oceani tumidas remis compescuit undas. Ainsi je soupçonne que PĂ©trone avait Ă©crit Gravidis freta pressa Carenis. CâĂ©tait le nom dâun peuple qui habitait Ă lâextrĂ©mitĂ© de lâĂcosse, dâaprĂšs PtolĂ©mĂ©e, dans quelques manuscrits duquel on trouve Karinoi au lieu de KarĂšnoi, suivant Ortelius, et les diverses leçons que Saumaise avait tirĂ©es de la bibliothĂšque Palatine, et que jâai entre les mains ; auquel cas, il nây aurait rien Ă changer dans ce vers. Ce sont apparemment les mĂȘmes peuples dont Pausanias a vantĂ© la taille, et quâil appelle Kareis. Sur quoi je suis fort de lâavis de Kuhnius, qui en jugeait ainsi. Camden Britannis, p. 616, Ă©dit. de 1617 a cru que leur vrai nom Ă©tait Catini, nom dĂ©rivĂ© de la ville de Cathnes, qui est situĂ©e au mĂȘme endroit. Quand il faudrait substituer ce nom dans notre poĂ«me, le changement serait lĂ©ger ; mais je ne crois pas quâil y ait grand fond Ă faire sur cette conjecture, et jâaime mieux mâen tenir aux manuscrits de PlolĂ©mĂ©e. On ne niera pas, je pense, que mon explication ne donne plus dâagrĂ©ment Ă ce passage. La dĂ©couverte de la Grande-Bretagne Ă©tait toute nouvelle dans le temps des brouilleries de CĂ©sar et de PompĂ©e. De la maniĂšre dont le premier a dĂ©crit cette grande Ăźle, il paraĂźt que lâon en avait dĂ©jĂ fait le tour de son temps ; câest ce que notre poĂ«te a donnĂ© Ă entendre en parlant des plus reculĂ©s de ces insulaires. LâĂ©pithĂšte de gravidisleur convenait Ă merveille ; elle signifie tout ce qui est gros et pesant, comme dans CicĂ©ron dela Divination, liv. I, ch. 11 Aut quum se gravido tremefecit corpore tellus ; dans Virgile ĂnĂ©ide, liv. VII, Stipites hic gravidi nodis ; et dans Fulgence Mytholog., liv. I Erat gravido, ut apparebat, corpore. Or, telle Ă©tait la taille des anciens Bretons, selon le tĂ©moignage, non-seulement de Pausanias, mais encore de Strabon, livre IV, qui dit quâils Ă©taient Kaunoteroi tois sĂŽmasi. Il ne reste donc plus de difficultĂ© dans ce passage. » Ne voilĂ -t-il pas, je le demande, bien de lâĂ©rudition dĂ©pensĂ©e en pure perte ? Quel besoin y avait-il, pour lâintelligence de ce passage, de recourir Ă Pausanias, Ă Strabon, et Ă tant dâautres Ă©crivains tant anciens que modernes, lorsque le sens est si clair par lui-mĂȘme ? gravidis est ici pour onustis. Quelle invraisemblance peut-on trouver a ce que, mĂȘme du temps de CĂ©sar, il y eĂ»t sur la mer des vaisseaux pesamment chargĂ©s, puisque lâauteur dit lui-mĂȘme quâon allait chercher tous les raffinements du luxe de lâun Ă lâautre pĂŽle, eu Assyrie, dans lâInde, chez les Numides, chez les Arabes, et jusque chez les Serres, peuple de la Chine ? Du moment quâil y avait des vaisseaux, pourquoi donc nâauraient-ils pas Ă©tĂ© pesamment chargĂ©s ?... Quant Ă ces mots freta pressa, ils ne veulent pas dire, comme le suppose Bouhier, que toutes les mers fussent couvertes de vaisseaux, car on sait que les anciens ne sâĂ©loignaient guĂšre des cĂŽtes, mais simplement quâelles Ă©taient foulĂ©es par les vaisseaux, comme on lit plus haut dans leSatyricon,chapitre lxxix classes premunt mare ;et dans Horace premere littus,cĂŽtoyer le rivage. 3 Non usu plebeio trita voluptas. â Quelques commentateurs lisent risu plebeio tracta voluptas, ce qui nâoffre aucun sens raisonnable, tandis que usu plebeio trita voluptas, rappelle ce passage de SĂ©nĂšque lettre CXXI Res sordida est, trita ac vulgari via vivere. 4 Hinc Numidae adtulerant, illinc nova vellera Serres ; Atque Arabum populus sua despoliaverat arva. â Mon beau-pĂšre, M. de Guerle, a pensĂ© que par ces mots populus Arabum sua despoliaverat arva, il fallait entendre les parfums si vantĂ©s de lâArabie ; Bouhier, au contraire, dans ses corrections sur le texte de PĂ©trone, prĂ©tend quâil ne sâagit ici dâaucune espĂšce de parfums, mais des diverses sortes de soies quâon lirait de lâAfrique, chez les Numides et les Arabes, et de lâInde, chez les Serres. Cela peut ĂȘtre ; mais comme lâexamen de cette opinion nous entraĂźnerait dans une trop longue discussion, nous nous contenterons dâextraire de ses notes des dĂ©tails assez curieux sur les diffĂ©rentes espĂšces de soies dont, selon Bouhier, il est question dans cet endroit La soie de la Chine, dit-il, est assez connue ; mais comme on connaĂźt moins aujourdâhui celle de lâAfrique, il est bon de rappeler ce que les anciens en ont Ă©crit. Pline nous apprend quâelle se tirait dâune espĂšce de cocons qui se formaient sur des arbres du mont Atlas. LâArabie nâĂ©tait pas moins fertile que lâAfrique en arbrisseaux qui portaient cette espĂšce de duvet dont on tirait la soie. Pline en parle en plus dâun endroit ; et, avant lui, HĂ©rodote avait dit quâelle Ă©tait dâun grand usage chez les Indiens. Ces soies sont aujourdâhui distinguĂ©es des autres par le nom de soies dâOrient, parmi nos commerçants, qui les disent produites par une plante, dans une gousse Ă peu prĂšs semblable Ă celle des cotonniers. » Virgile a fait mention des soies de lâAfrique ci de la Chine dans les vers suivants GĂ©org., liv. II, v. 120 Quid nemora Ăthiopum molli canentia lana ? Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres ? que Delile a rendus ainsi LĂ , dâun tendre duvet les arbres sont blanchis ; Ici, dâun fil dorĂ© les bois sont enrichis. Lâillustre traducteur des GĂ©orgiques me semble avoir sacrifiĂ©, dans ces vers, la fidĂ©litĂ© Ă la prĂ©cision. Si je ne me trompe, il fallait nommer les Ăthiopiens et les Serres, ou du moins les contrĂ©es quâils habitaient. 5 Ut bibat humanum, populo plaudente cruorem. â Quelles mĆurs, quelles effroyables mĆurs que celles des Romains ! sâĂ©crie Diderot je ne parle pas de la dĂ©bauche, mais de ce caractĂšre fĂ©roce quâils tenaient apparemment de lâhabitude des combats du Cirque. Je frĂ©mis lorsque jâentends un de ces nouveaux Sybarites, blasĂ© sur les plaisirs, las des voluptĂ©s de la Campanie, du silence et de la fraĂźcheur des forĂȘts du Brutium, ou des superbes Ă©difices de Tarente, se dire Ă lui-mĂȘme Je mâennuie, retournons Ă la ville ; je me sens le besoin de voir couler du sang... Et ce mot est celui dâun effĂ©minĂ© ! » 6 Heu ! pudet effari, perituraque prodere fata ! â Ce fut dans une ville appelĂ©e Spada que lâon fit les premiers eunuques, si lâon en croit Ătienne de Byzance. Dans ce cas, un Ă©tymologiste trouverait sans effort dans spada lâorigine du mot latin spado, chapon, eunuque. Mais cette anecdote a bien lâair dâun conte. Quoi quâil en soit, on ne sait auquel des deux sexes attribuer cette cruelle invention. Plusieurs anciens lâont imputĂ©e Ă SĂ©miramis. Mais le reproche nâen doit-il pas plutĂŽt tomber sur les hommes ? Ce sont eux, en effet, qui trouvent le plus dâavantages dans cet horrible attentat contre lâordre de la nature. Il est Ă©vident que câest le sentiment de PĂ©trone, et câest aussi lâopinion de Quintilien. La maniĂšre la moins dangereuse de faire cette opĂ©ration Ă©tait de se servir dâun couteau de terre cuite quâon fabriquait Ă Samos, et quâon appelait, pour cette raison, testa samia, ou samia seulement. La paraphrase par laquelle Nodot rend ces huit vers de PĂ©trone sur les eunuques est vraiment curieuse Ah ! je nâose poursuivre, et rappeler des choses Qui de tous nos malheurs furent les tristes causes. Ils ĂŽtĂšrent, suivant lâusage des Persans, Aux enfants le pouvoir dâavoir dâautres enfants. Lâaffreux raffinement dâune infĂąme mollesse DĂ©fend contre les ans leur honteuse jeunesse, Et prolonge le cours de leurs faibles appas. La nature se cherche et ne se trouve pas. On voit naĂźtre pour eux une flamme exĂ©crable Qui ne sâallume point pour un sexe semblable. Ces jeunes corrompus laissent au grĂ© des vents, Dâun air effĂ©minĂ©, leurs cheveux ondoyants. Leurs habits sont lascifs, leur dĂ©marche est lascive, Et les mines quâils font demandent quâon les suive. M. de Guerle a empruntĂ© Ă Nodot ce vers La nature sây cherche et ne sây trouve pas. Câest la traduction littĂ©rale du latin quĂŠrit se natura, nec invenit. Aussi le prĂ©sident Bouhier, BoisprĂ©aux et Durand lâont-ils traduit de la mĂȘme maniĂšre. Il nâappartenait quâĂ Marolles de ne pas trouver ce qui Ă©tait sous sa main ; et voici comme le bon abbĂ© de Villeloin a rendu ce passage A la mode persique, on taille la jeunesse On lâĂ©nerve Ă dessein dâaugmenter sa mollesse. On veut que sa beautĂ© nâĂ©chappe pas si nature se cherche et se tient en dĂ©pĂŽt. Ces huit vers nâont pas besoin de glose. Les Romains, selon PĂ©trone, avaient reçu des Perses lâusage infĂąme et barbare dont il sâagit ici. Les commentateurs ont dit de fort belles choses sur cette espĂšce dâeunuques, tour Ă tour hommes et femmes, sans ĂȘtre ni lâun ni lâautre. Voyez surtout Paul Ăginette et Frid. Lindinbrog. 7 Ac maculis imitatur vilibus aurum. Bouhier pense quâil faut lire Heu ! maculis mutatur. Saumaise lisait Ac maculis imitatur vilius aurum. Quoi quâen dise Bouhier, cette derniĂšre leçon nâest pas si mĂ©prisable. Au reste, Hardouin, dâaprĂšs un passage de Pline, Ă©value Ă cent vingt mille francs de notre monnaie le prix romain des belles tables de citronnier. Martial dit expressĂ©ment quâelles Ă©taient plus prĂ©cieuses que lâor. On trouve aussi dans Pline et dans Tertullien des choses presque incroyables sur le prix excessif que les Romains y mettaient. Le citrum ou citronnier, dont il est question, nâest pas celui que nous connaissons, mais un arbre beaucoup plus rare, et qui est perdu pour nous. CicĂ©ron reproche Ă VerrĂšs dâavoir enlevĂ© en Sicile une table superbe, faite de ce bois inestimable. Dans la vente des meubles de Gallus Asinius, il sâen trouva deux de cette espĂšce, qui furent vendues si cher, que le prix eĂ»t suffi, dit Pline, pour acheter deux riches mĂ©tairies. Ce luxe prodigieux dans les tables excita la bile de JuvĂ©nal. Les tables de nos sobres aĂŻeux, dit-il sat. XI, V. 118, nâĂ©taient faites quâavec les arbres du pays si par hasard lâaquilon renversait un vieux noyer, il servait Ă cet usage ; mais, aujourdâhui, les riches mangent sans plaisir, et le turbot et le daim leur semblent insipides ; les roses et les parfums blessent leur odorat, Ă moins que leurs tables ne soient soutenues par un grand lĂ©opard Ă gueule bĂ©ante, fabriquĂ© avec lâivoire des plus belles dents que nous envoient SyĂšne, la Mauritanie, lâInde et les forĂȘts de lâArabie, oĂč les dĂ©pose lâĂ©lĂ©phant fatiguĂ© de leur poids. » â Le travail de ces tables lâemportait encore sur la matiĂšre ; elles Ă©taient ornĂ©es de marqueterie, de nacre de perles et dâĂ©bĂšne. Mais ce quâil y a de remarquable, câest que lâivoire Ă©tait alors plus estimĂ© que lâargent ; car, au dire du mĂȘme poĂ«te, les riches ne dĂ©daignaient pas moins de faire usage dâune table avec un pied dâargent, que de porter un anneau de fer au doigt. Ce qui mit probablement cet objet de luxe en faveur, câest que les Romains furent longtemps sans connaĂźtre les nappes et les serviettes. Non-seulement ces tables de citronnier Ă©taient dâun prix exorbitant, mais il fallait, de plus, que, dans les salles Ă manger, tout rĂ©pondĂźt Ă cette magnificence, soit par la pourpre Ă©clatante dont les lits des conviĂ©s Ă©taient parĂ©s, soit par le multitude dâesclaves destinĂ©s a les servir. Cela suffit pour expliquer le vers qui suit celui qui fait lâobjet de cette note Citrea mensa, greges servorum, ostrumque residens ! Ostrum renidensest ici la mĂȘme chose que, dans Horace liv. III, od. 1 purpurarum sidere clarior usus. 8 QuĂŠ turbant censum. Ce texte a Ă©tĂ© ainsi rĂ©formĂ© par les Ă©diteurs, car tous les manuscrits ont quĂŠ censum trahat, ou sensim, ou sensum. Bouhier prĂ©fĂ©rerait quĂŠ censum trahat, si cela pouvait se lier avec ce qui prĂ©cĂšde. Mais comme on ne peut lâadmettre avec vraisemblance, il suivrait volontiers lâavis de Saumaise, qui lisait quĂŠ secum trahat. Ce changement, selon Bouhier, rend la pensĂ©e du poĂ«te Ă la fois claire et juste. 9 Hostile ac male nobile lignum. â Dâautres lisent sterile, au lieu de hostile ; mais il ne faut rien changer hostile signifiait Ă©tranger, non-seulement dans les premiers temps de la rĂ©publique, comme on le voit par quelques passages de Varron et de CicĂ©ron, mais encore postĂ©rieurement Ă PĂ©trone ; tĂ©moin ce passage de Florus Hist.,liv. III, ch. 2 Hostile potius bellum, an civile dixerim, nescio. On pourrait aussi traduire hostile par venant dâun pays ennemi ; car il est certain, dâaprĂšs Dion Cassius, que, pendant la guerre civile de CĂ©sar et PompĂ©e, les diffĂ©rents rois de Mauritanie avaient pris des partis opposĂ©s savoir, Juba, celui de PompĂ©e, et Bocchus celui de CĂ©sar. Ainsi les uns et les autres Ă©taient regardĂ©s comme ennemis par le parti contraire. Horace a dit encore plus poĂ©tiquement Captivum portatur ebur. 10 Ingeniosa gula est. Martial de Gallina altili liv. XIII dit exactement dans les mĂȘmes termes . . . . . Ingeniosa gula est. Les anciens, qui avaient inventĂ© toutes sortes de raffinements pour la table, appelaient gulam eruditam un gourmand raffinĂ©. On trouve dans SĂ©nĂšque ingeniosa luxuria. LâĂ©pithĂšte ingeniosa sâapplique trĂšs-bien Ă toute invention nouvelle et inconnue jusquâalors. SuĂ©tone, dans la Vie de Caligula, chapitre 37, dit Nepotinis sumplibus omnium prodigorum ingenia superavit ; et Ovide, Amours, livre III, Ă©lĂ©gie 8, vers 45 Contra te solers, hominum Natura, fuisti, Et nimium damnis ingeniosa tuis. 11 Siculo scarus ĂŠquore mersus ad mensum vivus perducitur. SĂ©nĂšque, dans ses Questions naturelles, livre III, dit exactement la mĂȘme chose Parum videtur recens mulus, nisi qui in convivĂŠ manu emoritur. â Le surmulet ne paraĂźt pas assez frais, sâil ne meurt dans la main des convives. » 12 Atque lucrinis Eruta littoribus condunt conchylia cĆnas. Au lieu de condunt, Cuperus et Bouhier lisent tendunt ; ce qui offre un assez bon sens, quâils justifient ainsi tendunt, disent-ils, indique que les huĂźtres servaient Ă faire durer le repas, parce quâelles rĂ©veillaient lâappĂ©tit des convives, comme PĂ©trone le dit dans le vers suivant Ut renovent per damna famem. . . . . Le mot tendere a Ă©videmment la signification que Bouhier lui attribue, comme on le voit dans ce vers dâHorace, livre I, Ă©pĂźtre 5 Ăstivam sermone benigno tendere noctem. Du reste, JuvĂ©nal a fait aussi mention de cet usage des Romains, de manger des huĂźtres au milieu du repas, satire VI, vers 302 Grandiaque in mediis jam noctibus ostrea mordet. 13 Pellitur a populo victus Cato. Caton fut exclu de la prĂ©ture lâan de Rome 699, sous le consulat de PompĂ©e et de Crassus, qui, redoutant lâincorruptibilitĂ© de ce vertueux citoyen, forcĂšrent le peuple, par leurs intrigues et leurs violences, de lui prĂ©fĂ©rer Vatinius, leur crĂ©ature et le plus pervers des Romains dans ce siĂšcle de corruption. Mais, dans cette occasion, sâagit-il de la prĂ©ture ? Le mot fasces, faisceaux, employĂ© par PĂ©trone, semble dĂ©signer le consulat, quoique les autres magistrats supĂ©rieurs, tels que les prĂ©teurs, en fussent aussi dĂ©corĂ©s. Ce quâil y a de certain, câest que le consulat, au rapport de Plutarque, fut Ă©galement refusĂ© une fois Ă Caton. Mais doit-on sâen Ă©tonner, dit lâauteur anglais de la vie de CicĂ©ron ? sa vertu farouche devait lui faire peu dâamis. Sa vie fut un combat continuel contre la corruption de son siĂšcle, et il finit par en ĂȘtre la victime. Sa mort est le plus bel hommage quâon ait jamais rendu Ă la libertĂ©. 14 QuĂŠ poterant artes sana ratione movere. Ce vers, que les commentateurs ont passĂ© sous silence, me paraĂźt nĂ©anmoins mĂ©riter quelque examen. Si lâon joint sana ratione au verbe movere, cela signifiera faire perdre la raison ; ce qui ne peut convenir ici. Si lâon joint ces mots Ă artes, il semble que, dans le vers suivant, la guerre est mise au rang des moyens raisonnables de tirer les Romains de leur lĂ©thargie. Câest le vrai sens de ce passage, comme le prouve celui-ci de CicĂ©ron Lettres Ă Atticus, liv. VIII, lett. 2 Respublica nunc afflicta est, nec excitari sine civili pernicioso bello potest. Telle est la pensĂ©e de CicĂ©ron, qui ne paraĂźt point dĂ©raisonnable, quand on considĂšre la dĂ©plorable confusion qui rĂ©gnait alors dans la rĂ©publique romaine. La construction de toute la phrase de PĂ©trone est celle-ci QuĆ artes, ni furor, et bellum, et libido excita ferro, poterant movere, sana ratione, Romam mersam hoc cĆno et jacentem somno ? CHAPITRE CXX. 1 Et, quasi non posset tot tellus ferre sepulcra, Divisit sineres. â Lâhyperbole pourra paraĂźtre un peu forte elle ne lâest pourtant pas plus que celle-ci de JuvĂ©nal, lorsquâen parlant dâAlexandre sat. x, v. 169 il dit Ăstunt infelix angusto in limite mundi ; ce que Boileau a rendu ainsi, satire VIII . . . . . Qui de sang altĂ©rĂ©, MaĂźtre du monde entier, sây trouvait trop serrĂ©. Du reste, lâidĂ©e de PĂ©trone se trouve reproduite presque mot pour mot dans ces vers de Martial sur PompĂ©e et ses fils, livre V, Ă©pigramme 74 Pompeios juvenes Asia atque Europa, sed ipsum Terra tegit Libyes ; si tamen ulla tegit. Quid mirum toto si spargitur orbe ? jacere Uno non poterat tanta ruina loco. 2 Bustorum flammis et cana sparsa favilla. On ne conçoit pas trop, dit Bouhier, comment la flamme des bĂ»chers pouvait paraĂźtre sur le visage de Pluton. Toute lâantiquitĂ© nous le reprĂ©sente avec un visage noir, mais non pas enflammĂ©. Dans Claudien, il est nigra majestate verendus ; et câest sans doute pour cela que Silius Italicus lâa appelĂ© Jovem nigrum. Martianus Capella liv. I en fait cette peinture Pluto lucifuga inumbratione pallescens, in capite gestabat sertum ebenum ou plutĂŽt ebeninum, ac TartareĆ noctis obscuritate furvescens. Cela, ajoute Bouhier, me persuade que le texte original de PĂ©trone portait bustorum fumis. 3 Rerum humanorum, divinarumque potestas. Cette puissance sans bornes, que les anciens attribuaient Ă la Fortune sur les dieux ainsi que sur les hommes, se trouve confirmĂ©e par une belle statue antique de cette dĂ©esse, dont Spanheim a donnĂ© le dessin et la description dans la Preuve de sa remarque 789 sur les CĂ©sars de Julien ; la Fortune y est reprĂ©sentĂ©e avec les attributs de la plupart des principaux dieux, et avec cette inscription FORTVN. OMNIVM. GENT. ET. DEOR. 4 Fors, cui nulla placet nimium secura potestas. Scaliger, dans ses Catalectes, a supprimĂ© ce vers, Ă cause de la rĂ©pĂ©tition du mot potestas, qui se trouve dĂ©jĂ Ă la fin du vers prĂ©cĂ©dent ; mais les anciens nâĂ©taient pas si scrupuleux que nous Ă cet Ă©gard. Il y en a dĂ©jĂ un exemple dans ce poĂ«me, aux vers 50 et 51, oĂč le mot prĆda est rĂ©pĂ©tĂ© deux fois. Dans les six premiers vers dâune ode dâHorace assez courte la 28e du liv. III, il y en a trois qui finissent par les mots dies ou meridies. Dans la satire 2 du livre I, le mĂȘme Horace emploie deux fois en trois vers le mot positus, et une fois le verbe appoint ; et Ovide, dans lâĂ©lĂ©gie 3 du livre II des Politiques, rĂ©pĂšte jusquâĂ trois fois en quatre vers le verbe petere. Il ne serait pas difficile de citer une foule dâautres exemples de ces rĂ©pĂ©titions. Barthius a donc eu raison, lorsquâil a soutenu que ce vers, qui se trouve dans presque tous les manuscrits, devait ĂȘtre conservĂ©. 5 Nec posse ulterius perituram extollere molem ? Il y a lieu de sâĂ©tonner quâaucun commentateur ne se soit arrĂȘtĂ© Ă ce passage, qui est cependant assez difficile. En effet, le but de Pluton nâest pas dâengager la Fortune Ă Ă©lever plus haut la puissance des Romains il lui reproche au contraire de les avoir jusque-lĂ trop favorisĂ©s ; il vient mĂȘme de lui demander ironiquement si elle ne se sent pas abattue sous le poids de leur grandeur. Bien loin quâil ait lâintention de reculer la chute de Rome, il exhorte au contraire la Fortune, dans les termes les plus pressants, Ă la hĂąter Quare age, Fors, etc. Il ne suffirait mĂȘme pas, pour rĂ©tablir ce passage, de substituer tollere Ă extollere ; car lâadverbe ulterius suppose une continuation de la chose commencĂ©e, et donne, par consĂ©quent, Ă Pluton une pensĂ©e opposĂ©e Ă la sienne. Brotier propose de changer ulterius en alterius, en sous-entendant ponderis, mot qui se trouve dans le vers prĂ©cĂ©dent. Cela, selon lui, ferait un trĂšs-bon sens Ne sauriez-vous, dirait Pluton, lui opposer une autre puissance, que vous nâĂ©lĂšverez que pour la faire tomber Ă son tour ? Cela dĂ©signerait Ă merveille lâĂ©lĂ©vation prochaine de CĂ©sar et sa chute future. 6 Ădificant auro. â Bourdelot et Gonsalle de Salas pensent Ă tort quâil sâagit ici du palais dâor de NĂ©ron il ne peut ĂȘtre question dans ce poĂ«me que du luxe qui prĂ©cĂ©da la guerre civile ; et cette allusion Ă NĂ©ron serait un anachronisme. Ce passage se rapporte donc uniquement aux dĂ©penses excessives que les Romains, au temps de CĂ©sar et de PompĂ©e, faisaient pour dorer les planchers et mĂȘme les murs de leurs appartements. Pline rapporte ainsi lâorigine de ce luxe Histoire naturelle, liv. XXXII Laquearia, quĂŠ nunc et in privatis domibus auro teguntur, post Carthaginem eversam primo inaurata sunt in Capitolio. Inde transiere in cameras ; in parietes quoque, etc. Câest ainsi quâil faut entendre ce passage de Lucain Pharsale, liv. 1 Non auro tectisque modus. 7 Dum varius lapis invenit usum. â Je ne serais pas Ă©loignĂ© dâadopter la leçon de parius au lieu de varius dans ce vers. En effet, cette expression, varius lapis, ne peut sâappliquer quâau marbre, et lâon sait que celui de Paros Ă©tait le plus renommĂ©, comme on le voit, par exemple, dans ce vers dâOvide HĂŠret ut e pario formatum marmore signum. Cependant varius offre aussi un trĂšs-bon sens, et varias lapis signifierait un marbre veinĂ©, ou ces marbres de diverses couleurs dont les anciens formaient leurs admirables mosaĂŻques. CHAPITRE CXXI. 1 Quippe armare viros, etc. â Au lieu dâarmare, Bouhier, TornĂ©sius et plusieurs autres lisent cremare ; mais je prĂ©fĂšre la premiĂšre leçon, adoptĂ©e par Gronovius. Il va ĂȘtre question plus loin de bĂ»chers, ThessaliĂŠque rogos ; et cremare ferait ici une rĂ©pĂ©tition inutile. 2 Et sanguine pascere luctum. Burmann lit luxum je pense que luctum est la vraie leçon, car on nâa jamais dit que le luxe aimĂąt le sang. Claudien, qui en fait une espĂšce de divinitĂ©, dit seulement dans le livre 1 de lâInvective contre Rufin Et luxus populator opum. . . . . On sait dâailleurs que le luxe est plus propre Ă amollir les Ăąmes quâĂ les porter Ă la guerre. Il y a donc toute apparence que PĂ©trone avait Ă©crit Et sanguine pascere luctum. Les poĂ«tes ont fait du Deuil une divinitĂ©, et Virgile EnĂ©ide, liv. VI, v. 273 la place Ă lâentrĂ©e des Enfers Vestibulum ante ipsum primisque in faucibus Orci Luctus. . . . . Dans le passage de Claudien ci-dessus citĂ©, le Deuil est reprĂ©sentĂ© dĂ©chirant son voile ..... Scisso mĆrens velamine Luctus. Stace ThĂ©baĂŻde, liv. III, v. 125 ne se contente pas de lui donner des vĂȘtements dĂ©chirĂ©s ; il dit, de plus, quâils Ă©taient tout sanglants ...... Sanguineo discissus amictu Luctus atrox. .... PĂ©trone a donc pu dire avec raison que le Deuil se repaissait de sang. 3 Cerno equidem gemino jam stratos marte Philippos. â Ce vers fait allusion aux deux batailles de Pharsale en Thessalie, et de Philippes en MacĂ©doine. Les Romains, sous les empereurs, dĂ©signaient souvent la rĂ©union de ces deux provinces sous le nom gĂ©nĂ©ral dâEmathie.â Voyez, Ă ce sujet, lâexcellente note de Delille sur ces quatre vers des GĂ©orgiques liv. 1, v. 488 Ergo inter sese paribus concurrere telis Romanas acies iterum videre Philippi Nec fuit indignum Superis, bis sanguine nostro Emathiam, et latos HĆmi pinguescere campos. M. Helliez, dans sa GĂ©ographie de Virgile, fait Ă propos de ces vers la remarque suivante Virgile semble mettre la bataille de Pharsale dans la mĂȘme plaine que celle de Philippos, quoiquâil y ait quatre-vingts lieues de distance entre ces deux villes. On sauverait cette erreur gĂ©ographique, si lâon rapportait lâadverbe iterum Ă concurrere, et non Ă videre. On sait que ces mĂ©tathĂšses sont familiĂšres aux poĂ«tes, et dĂšs lors il nây aura rien que dâexact dans la pensĂ©e de Virgile, puisque la bataille de Philippes fut la seconde oĂč les armĂ©es romaines en vinrent aux mains pour dĂ©cider de lâempire du monde. » 4 Et Libyam cerno, et te, Nile, gementia castra. â Cette correction que je propose, au lieu de celle qui est gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e Et Libyen cerno et tua, Nile, gementia claustra, est la seule qui me paraisse prĂ©senter un sens raisonnable. Timentes du vers suivant se rapporterait alors Ă Libyam, Ă te, Nile, et Ă actiacos sinus alors gementia castra ou claustra ne serait plus quâune espĂšce dâapposition que lâon pourrait retrancher de ces deux vers sans en changer le sens. 5 Vix navita Porthmeus Sufficiet, etc.â Comme ces deux mots, navita et Porthmeus, signifient la mĂȘme chose, on ne peut guĂšre douter que lâun des deux nâait Ă©tĂ© insĂ©rĂ© ici mal Ă propos. Quelque commentateur aura probablement Ă©crit Ă la marge dâun ancien manuscrit le mot navita pour expliquer le sens de porthmeus, et un copiste ignorant, comme lâĂ©taient la plupart dâentre eux, aura insĂ©rĂ© dans le texte ce mot navita, Saumaise pensait, avec quelque apparence de raison, que navita avait pris la place dâune Ă©pithĂšte se rapportant au mot simulacra du vers suivant, et il avait proposĂ©, sur son exemplaire, de lire tabida, ou lurida, ou squalida. Au reste, ce nâest pas ici seulement quâon appelle en latin Caron du nom de Porthmeus ; on en voit un autre exemple dans cette inscription sĂ©pulcrale, rapportĂ©e par Spon, dans ses Recherches dâantiquitĂ©s, oĂč un mari dit SAT FVERAT, PORTHMEV, CYMBA VEXISSE MARITAM. 6 Classe opus est. â Ces mots renferment une image noble, vive, grande, et qui nâa rien que de naturel, quand on rĂ©flĂ©chit au carnage affreux des batailles de Pharsale, de Philippes et dâActium ils expriment avec plus de concision et dâĂ©nergie cette pensĂ©e de Lucain Pharsale, liv. III, v. 16 Praeparat innumeras puppes Acherontis adusti Portitor. . . . . . CHAPITRE CXXII. 1 Continuo clades hominum, venturaque damna.â PĂ©trone a encore voulu ici lutter avec Lucain ; il a imitĂ© le commencement du second livre de la Pharsale. Jamque irae patuere dem, etc. 2 Olimque ornata triumphis. â Le manuscrit Colbert porte honorata, qui ne convient point Ă la mesure du vers. Burmann imprime onerata cela pourrait passer, si CĂ©sar avait reçu vĂ©ritablement les honneurs du triomphe. Mais SuĂ©tone, dans la Vie de ce grand homme, chapitres 18 et 37, et plusieurs autres historiens, nous apprennent que, bien que CĂ©sar eĂ»t mĂ©ritĂ© le triomphe, aprĂšs sa premiĂšre expĂ©dition dâEspagne, il ne lâobtint rĂ©ellement quâĂ la fin des guerres civiles. Il faut donc lire ornata, avec Bouhier. 3 Invitas me ferre manus ; sed vulnere cogor. â Sans entreprendre de justifier CĂ©sar des motifs qui lui firent porter les armes contre sa patrie, on ne peut se refuser Ă reconnaĂźtre quâil avait de justes sujets de se plaindre du sĂ©nat, de lâaveu mĂȘme des rĂ©publicains modĂ©rĂ©s. Outre ce quâen ont dit les historiens dĂ©sintĂ©ressĂ©s, on peut voir de quelle maniĂšre en parle CicĂ©ron lui-mĂȘme, quoique du parti opposĂ©, dans une lettre quâil Ă©crivit Ă CĂ©sar au commencement de la guerre civile Judicavi eo bello te violari ; contra cujus honorem, populi romani beneficia concessum, inimici atque invidi niterentur. Il est vrai que dans une autre lettre Ă son ami Atticus liv. VII, CicĂ©ron soutient que les mauvais traitements du sĂ©nat ne devaient jamais porter CĂ©sar Ă prendre les armes contre son pays. Mais, si lâon y prend garde, on verra que CicĂ©ron nâavait pas meilleure opinion des desseins de PompĂ©e, et que, dĂšs lors, il prĂ©voyait fort bien quâil nâĂ©tait plus question entre lui et son rival que du choix dâun maĂźtre ; car, rĂ©pondant Ă Atticus, qui lâexhortait Ă se dĂ©clarer contre CĂ©sar, et Ă faire les derniers efforts pour se garantir de la servitude A quoi bon ? lui Ă©crit-il ; pour ĂȘtre proscrits, si nous sommes vaincus, ou tomber dans un autre esclavage, si nous sommes vainqueurs ? » Ce sont ses propres termes Ut quid ? si victus eris, proscribare ? si viceris, tamen servias ? Il ne sâen expliquait pas moins franchement, comme on sait, avec les autres chefs du parti rĂ©publicain. Comment donc CĂ©sar nâaurait-il pas compris que, sâil cĂ©dait Ă son rival, et sâil se laissait une fois dĂ©sarmer, il tombait lui-mĂȘme dans la servitude, sans aucun fruit pour la rĂ©publique. Telle est lâextrĂ©mitĂ© oĂč il se trouvait rĂ©duit, et dont ses amis ne se cachaient point. Voici ce que lâun dâeux, CĂ©lius, Ă©crivait il CicĂ©ron Pompeius constituit non pati C. CĆsarem consulem aliter fieri, nisi exercitum et provincias tradiderit. CĆsari autem persuasum est se salvum esse non posse, si ab exercitu recesserit. Fert tamen illam conditionem ut ambo exercitus tradant. CâĂ©tait, ce me semble, entendre la raison, que de consentir Ă ĂȘtre dĂ©sarmĂ©, pourvu que son rival le fĂ»t aussi. Quoi de plus juste et de plus convenable au salut de la rĂ©publique ? Cependant PompĂ©e le refusa, et, par ce refus, poussa dâautant plus CĂ©sar aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s, que personne ne doutait Ă Rome que, si PompĂ©e devenait le maĂźtre, sa domination ne fĂ»t aussi cruelle que celle de Sylla Mirandum in modum CnĆus noster Sullani regni similitudinem concupivit, etc. , dit CicĂ©ron lui-mĂȘme Lett. fam. ,liv. IX, lett. 7 et 10. 4 Ipse nitor PhĆbi, vulgato latior orbe. â Bouhier prĂ©tend que PĂ©trone fait ici PhĂ©bus favorable Ă CĂ©sar, et que plus loin v. 269 il le reprĂ©sente comme favorable Ă PompĂ©e Magnum cum PhĆbo soror, et Cyllenia proies Excipit. . . . . . Câest, dit-il, une contradiction quâon a justement reprochĂ©e Ă PĂ©trone. Ce reproche me paraĂźt dĂ©nuĂ© de toute justice. Ici,PhĆbusne signifie pas Apollon, le dieu de lâOlympe, mais simplement le soleil, considĂ©rĂ© comme signe cĂ©leste. Plus loin, câest Apollon lui-mĂȘme que PĂ©trone a dĂ©signĂ©. CHAPITRE CXXIII. 1 Fervere germano perfusas sanguine turmas. â Les traducteurs ont presque tous entendu, par germano sanguine, les victoires remportĂ©es antĂ©rieurement par CĂ©sar sur les peuples de la Germanie. Mais germano ne serait-il pas ici synonyme de fraterno, pour romano ? CHAPITRE CXXIV. 1 Ergo tanta lues divĂ»m quoque numina vicit. â Quelques manuscrits, et celui de Colbert entre autres, portent vidit au lieu de vicit, et les commentateurs sâĂ©vertuent Ă expliquer ce passage sans pouvoir en venir Ă bout. Bouhier fait a ce sujet la remarque suivante Quoique cette leçon se trouve dans les manuscrits, je ne sais comment on a pu sâen accommoder ; car, Ă supposer que lues puisse sâentendre de la Fortune, la phrase signifierait seulement quâelle a vu les dieux. Or, Ă quoi cela aboutirait-il ? Il nây a pas de doute quâil faut lire tergo, qui Ă©tait dans quelques Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes, et qui rend la lumiĂšre Ă ce passage. La Fortune nâa pas vu seulement fuir PompĂ©e elle a vu encore fuir les dieux. Otons aussi Ă la Fortune cette vilaine Ă©pithĂšte de tanta lues, qui ne lui convient point, et ponctuons ainsi ce vers Tergo tanta lues ! divĂ»m quoque numina vidit. » Cette correction, que Bouhier propose en dĂ©sespoir de cause, ne me paraĂźt pas du tout nĂ©cessaire, dâautant plus que tergo vidit divĂ»m numina nâest ni trĂšs-correct ni trĂšs-poĂ©tique, surtout lorsque PĂ©trone vient de dire dans le vers prĂ©cĂ©dent Ut Fortuna levis Magni quoque terga videret. Lisons plutĂŽt vicit au lieu de vidit, et traduisons tanta lues, une si grande contagion la peur vicit quoque numina divĂ»m, triompha aussi de la puissance des dieux. Cette correction se trouve confirmĂ©e par le vers suivant Consensitque fugĆ cĆli timor 2 Absconditque olea vinctum caput. â Bouhier lit galea au lieu de olea, et fait Ă ce sujet une note trop sĂ©rieusement comique pour ne pas la rapporter Galea, dit-il, pourrait bien marquer ici un tour de faux cheveux, nommĂ© galerus ou galericon, dont se servaient quelquefois les dames romaines pour se dĂ©guiser, comme lâa dit JuvĂ©nal, Ă propos de Messaline . . . . . Flavo crinem abscondente galero, ce quâun ancien scoliaste explique ainsi Crine supposito, rotundo muliebri capitis tegumento, in modum galeae facto, quo utebantur meretrices. Il me paraĂźt assez vraisemblable que PĂ©trone a voulu parler de cette sorte de perruques. » Le grave prĂ©sident Bouhier affuble, comme on le voit, la Paix dâune perruque, et dâune perruque de courtisane, encore ! Il ne croyait pas, Ă coup sĂ»r, ĂȘtre si plaisant. Il aurait pu facilement sâĂ©pargner celle bĂ©vue, sâil eĂ»t rĂ©flĂ©chi que, lâattribut ordinaire de la Paix Ă©tant lâolivier, il Ă©tait plus probable que PĂ©trone avait Ă©critolea vinctum caput. On pardonnera sans peine une pareille erreur Ă un homme dâailleurs si distinguĂ© par son Ă©rudition ; mais ce qui est moins excusable, câest lâĂ©tonnement que tĂ©moignent plusieurs interprĂštes de PĂ©trone, de voir que cet auteur fasse descendre aux enfers la Paix et ses compagnes, la Foi, la Justice et la Concorde ; tandis que, selon eux, la place de ces divinitĂ©s Ă©tait dans lâOlympe, et non pas chez Pluton. Ces savants ont oubliĂ©, sans doute, que la guerre Ă©tait allumĂ©e dans le ciel comme sur la terre lâauteur le dit positivement quelques vers plus loin . . . . Namque omnis regia cĆli In partes diducta ruit.. . . . Quelle retraite la Paix pouvait-elle choisir qui lui convĂźnt mieux que les champs ĂlysĂ©es, lieux paisibles, habitĂ©s par les Ăąmes des hommes vertueux, et qui dâailleurs faisaient aussi partie de lâempire de Pluton ? 3 Tu legem, Marcelle, tene. â Marcus Claudius Marcellus, ex-consul, du parti de PompĂ©e. AprĂšs la dĂ©faite et la mort de ce grand homme, Marcellus avait tout Ă craindre de la part du vainqueur, quâil avait accusĂ© en plein sĂ©nat de plusieurs crimes contre lâĂtat ; mais le sĂ©nat tout entier, par lâorgane de CicĂ©ron, demanda sa grĂące Ă CĂ©sar, qui lâaccorda. Le sage Marcellus apprit son rappel avec indiffĂ©rence ; et il sâobstinait Ă ne pas quitter sa retraite CicĂ©ron eut besoin de toute son adresse et de toute lâautoritĂ© quâil avait sur son esprit pour lây dĂ©terminer. Il partit enfin ; mais sâĂ©tant arrĂȘtĂ©, dans sa route, au port du PirĂ©e, pour y passer un seul jour avec Serv. Sulpicius, son ancien ami, qui avait Ă©tĂ© son collĂšgue au consulat, il y fut assassinĂ© par un nommĂ© Magius, lâhomme du monde qui lui paraissait le plus attachĂ©. On nâa jamais su la cause du crime de Magius, qui se perça le cĆur du mĂȘme poignard, et mourut sur-le-champ. Sulpicius fit porter Ă AthĂšnes le corps de son ami, dont il cĂ©lĂ©bra les funĂ©railles avec autant de pompe que sa situation, dans une ville Ă©trangĂšre, le lui permettait. Il ne put obtenir des AthĂ©niens une place dans leurs murs pour y dĂ©poser les restes de Marcellus, parce que leur religion le leur dĂ©fendait ; mais ils lui laissĂšrent la libertĂ© de prendre une de leurs Ă©coles publiques, et il choisit celle de lâAcadĂ©mie, regardĂ©e alors comme le plus noble endroit de lâunivers. Il y fit brĂ»ler le corps, et laissa des ordres pour Ă©lever Ă sa cendre un monument en marbre. Marcellus Ă©tait le chef dâune famille qui avait donnĂ©, depuis plusieurs siĂšcles, des grands hommes et des citoyens vertueux Ă la rĂ©publique. La nature lui avait accordĂ© des qualitĂ©s qui rĂ©pondaient Ă lâĂ©clat de sa naissance. Il sâĂ©tait formĂ© un caractĂšre particulier dâĂ©loquence, qui lui avait acquis une rĂ©putation brillante au barreau ; de tous les orateurs de son temps, il Ă©tait celui qui approchait le plus de la perfection Ă laquelle CicĂ©ron sâĂ©tait Ă©levĂ© ; son style avait de lâĂ©lĂ©gance, de la force et de lâabondance ; sa voix Ă©tait douce autant que son action Ă©tait noble et gracieuse. Sa mort coĂ»ta des regrets et des larmes Ă tous les Romains qui chĂ©rissaient encore la libertĂ© et la vertu. 4 Tu concute plebem, Curio. â Curion avait reçu de la nature des qualitĂ©s Ă©gales Ă sa naissance. Son entrĂ©e dans le monde avait Ă©tĂ© des plus brillantes ; il fronda hautement, Ă la tĂȘte de la jeune noblesse, les entreprises des triumvirs, CĂ©sar, PompĂ©e et Crassus. Cette audace le rendit lâidole du peuple ; il ne paraissait point au théùtre et dans les assemblĂ©es sans y recevoir des preuves Ă©clatantes de sa faveur ; et PompĂ©e nâavait jamais Ă©tĂ© plus applaudi dans les beaux jours de sa gloire. CicĂ©ron lâaimait beaucoup ; ce grand homme, qui lui connaissait assez de gĂ©nie et dâambition pour faire beaucoup de bien ou de mal Ă sa patrie, tĂącha de lâengager de bonne heure dans les intĂ©rĂȘts de la rĂ©publique, de lui inspirer du goĂ»t pour la vĂ©ritable gloire, et de le dĂ©cider Ă faire un noble usage des biens immenses quâil avait hĂ©ritĂ©s de son pĂšre. Le luxe et la corruption rendirent ses efforts inutiles Curion, qui venait dâexercer la questure en Asie, donna au peuple, en lâhonneur de son pĂšre, des jeux qui lui coĂ»tĂšrent sa fortune. Il y dĂ©ploya la plus grande magnificence, mais ce fut surtout par la singularitĂ© de lâinvention quâil se distingua. Nous allons mettre le lecteur Ă mĂȘme dâen juger, Ă lâaide des dĂ©tails suivants Il fit construire deux planchers, en forme de croissant, assez vastes pour contenir une portion considĂ©rable du peuple romain. Chacun de ces planchers nâavait dâautre point dâappui quâun pivot sur lequel on le faisait tourner Ă volontĂ©. Ces deux demi-cercles Ă©taient dâabord adossĂ©s lâun Ă lâautre, mais Ă une distance convenable, afin quâon eĂ»t la facultĂ© de les faire mouvoir. On reprĂ©sentait en mĂȘme temps sur tous les deux des piĂšces dramatiques, sans que de lâun Ă lâautre les acteurs pussent sâentendre ou sâinterrompre. Ensuite on faisait tourner ces deux croissants, dont les extrĂ©mitĂ©s, en se rĂ©unissant, formaient un cirque, oĂč se donnaient des combats de gladiateurs. » Câest Ă cette occasion que Pline sâĂ©crie avec sa causticitĂ© ordinaire. Que faut-il le plus admirer dans ce spectacle ? est-ce lâinventeur ou lâinvention ? le machiniste, ou celui qui le met en Ćuvre ? la hardiesse de celui qui commande, ou la docilitĂ© de celui qui obĂ©it ? La nouveautĂ© du spectacle a tournĂ© toutes les tĂȘtes ; et, dans son ivresse, le peuple romain ne voit pas lâimminent danger de son Ă©tonnante et bizarre position il siĂ©ge sans inquiĂ©tude sur un Ă©chafaud mobile prĂȘt Ă fondre sous lui. Le voilĂ donc, ce peuple, le roi des nations, le conquĂ©rant de lâunivers, le distributeur des provinces et des royaumes, le lĂ©gislateur de la terre, cette assemblĂ©e de dieux dont les volontĂ©s font la destinĂ©e du monde ! ! ! embarquĂ© sur deux espĂšces de navires, spectateur et spectacle tour Ă tour, il pirouette sur deux gonds, et sâapplaudit de lâĂ©trange nouveautĂ© du pĂ©ril quâil affronte ! » CicĂ©ron, qui craignait que de pareilles dĂ©penses, en absorbant le patrimoine de son Ă©lĂšve, ne fussent lâĂ©cueil de sa vertu, lâavait inutilement engagĂ© Ă suspendre son projet. LâĂ©vĂ©nement justifia ses craintes Curion fut rĂ©duit dans la suite Ă se vendre Ă CĂ©sar. Il Ă©tait alors tribun du peuple il nâavait dâabord sollicitĂ© cet emploi que pour attaquer le vainqueur des Gaules, et sâopposer Ă ses projets contre la rĂ©publique ; mais un million que CĂ©sar lui fit offrir changea ses dispositions, et le dĂ©tacha de la cause commune. Ce nâĂ©tait plus le temps des Curius ; et Fabricius, contemporain de CĂ©sar, eĂ»t peut-ĂȘtre acceptĂ© lâor des Samnites. Lorsque la guerre civile Ă©clata, Curion sortit de Rome, et se rendit au camp de CĂ©sar, qui le chargea dâaller sâemparer de la Sicile. Caton, que PompĂ©e y avait envoyĂ© pour la garder, prit le parti de lâabandonner Ă Curion, qui le suivit aussitĂŽt en Afrique pour le combattre. Le malheur et la mort lây attendaient ses troupes furent taillĂ©es en piĂšces par celles de Juba, roi de Mauritanie, attachĂ© au parti de PompĂ©e. Ses amis le pressaient dâassurer sa vie, et de fuir avec les dĂ©bris de son armĂ©e ; mais il leur rĂ©pondit quâayant si mal rempli les espĂ©rances de CĂ©sar, il ne se sentait pas la force de paraĂźtre Ă ses yeux ; et, continuant de combattre en homme dĂ©sespĂ©rĂ©, il fut tuĂ© entre ses derniers soldats. Sa mort causa des regrets Rome avait peu de jeunes citoyens dont elle eĂ»t conçu dâaussi grandes espĂ©rances ; et, depuis quâil avait embrassĂ© le parti de CĂ©sar, il avait fait oublier les dĂ©sordres de sa premiĂšre jeunesse par une conduite oĂč la prudence nâavait pas eu moins de part que la valeur. On a dit de lui, comme de Catilina, quâil mĂ©ritait de mourir pour une meilleure cause. Câest son pĂšre qui, dans une harangue, avait appelĂ© CĂ©sar le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris. 5 Non frangis portas ?... Thesaurosque rapis ? â Ce trĂ©sor Ă©tait une caisse particuliĂšre qui depuis longtemps Ă©tait destinĂ©e aux frais de la guerre des Gaules, et quâil Ă©tait dĂ©fendu de divertir Ă dâautres usages, sous peine de lâexĂ©cration publique. Mais CĂ©sar sâen moqua, disant que, puisquâil avait achevĂ© la conquĂȘte des Gaules, cette destination devenait inutile, et quâon ne devait pas se faire un scrupule de la changer. CHAPITRE CXXV. 1 Dii, deĆque, quam male est extra legem viventibus ! quidquid meruerunt, semper exspectant. Plaute a dit de mĂȘme Nihil est miserius quam animus hominis conscius ; SĂ©nĂšque Conscientia aliud agere non patitur, ac subinde respicere ad se cogit, Dat pĆnas quisquis exspectat ; quisquis autem meruit exspectat ; et Macrobe Sibi videntur exitium quod merentur excipere. CHAPITRE CXXVI. 1 Vendisque amplexus, non commodas. â Les ouvrages des poĂ«tes sont remplis dâallusions Ă cet amour vĂ©nal. Ovide, livre 1er des Amours, Ă©lĂ©gie 10, vers 13 Et vendit quod utrumque juvat, quod uterque petebat Et pretium, quanti gaudeat ipsa, facit. Quae Venus ex aequo ventura est grata duobus, Altera cur illam vendit, et alter emit ? et Properce, livre I, Ă©lĂ©gie 2 Teque peregrinis vendere muneribus. 2 Quo facies medicamine attrita ? â On trouve dans Ovide CosmĂ©tiques, v. 53 la recette suivante de lâune des compositions alors en usage parmi les femmes pour ajouter Ă lâĂ©clat de leur teint ou pour en conserver la fraĂźcheur Prenez de lâorge de Libye, ĂŽtez-en la paille et la robe ; prenez une pareille quantitĂ© dâers ou dâorobe ; dĂ©trempez lâune et lâautre dans des Ćufs ; faites sĂ©cher, et broyez le tout ; jetez-y de la poudre de corne de cerf, de celle qui tombe au printemps ; joignez-y quelques oignons de narcisse pilĂ©s dans un mortier ; faites entrer ensuite dans ce mĂ©lange de la gomme et de la farine faite avec du froment de Toscane ; enfin liez le tout par une plus grande quantitĂ© de miel, et cette composition rendra le teint plus net que la glace dâun miroir, » Pline parle dâune vigne sauvage, qui a les feuilles Ă©paisses et tirant sur le blanc, dont le sarment est noueux et lâĂ©corce ordinairement brisĂ©e Elle produit, dit-il, des grains rouges avec lesquels on teint en Ă©carlate ; et ces grains, pilĂ©s avec des feuilles de la vigne, nettoient parfaitement la peau. » Lâencens entrait dans la plupart des cosmĂ©tiques alors en usage tantĂŽt il servait Ă enlever les taches de la peau, et tantĂŽt les tumeurs. Bien que lâencens, dit Ovide, soit agrĂ©able aux dieux, il ne faut pas nĂ©anmoins le jeter tout dans les brasiers sacrĂ©s ; il est dâautres autels qui rĂ©clament sa vapeur parfumĂ©e. » Le mĂȘme poĂ«te a connu, dit-il, des femmes qui pilaient du pavot dans de lâeau froide et sâen mettaient sur les joues. Dâautres se faisaient enfler le visage avec du pain trempĂ© dans du lait dâĂąnesse. PoppĂ©e se servait dâune espĂšce de fard onctueux, oĂč il entrait du seigle bouilli ; on se lâappliquait sur le visage, oĂč il formait une croĂ»te qui subsistait quelque temps, et ne tombait quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© lavĂ©e avec du lait. PoppĂ©e, qui avait mis cette pĂąte Ă la mode, lui laissa son nom. Les femmes allaient et venaient, ainsi masquĂ©es, dans lâintĂ©rieur de leur maison. CâĂ©tait lĂ , pour ainsi dire, leur visage domestique et le seul connu des maris. Leurs lĂšvres, dit JuvĂ©nal, sây prenaient Ă la glu. Les fleurs nouvelles quâoffrait le visage, aprĂšs la toilette, Ă©taient rĂ©servĂ©es pour les amants. » Il y eut une recette plus simple que celle dâOvide, et qui eut la plus grande vogue câĂ©tait un fard composĂ© de la terre de Chio ou de Samos, que lâon faisait dissoudre dans du vinaigre. Pline nous apprend que les dames sâen servaient pour se blanchir la peau, de mĂȘme que de la terre de Selinuse, blanche, dit-il, comme du lait, et qui se dissout prompte-ment dans lâeau. Les Grecs et les Romains avaient un fard mĂ©tallique quâils employaient pour le blanc, et qui nâest autre chose que la cĂ©ruse. Leur fard rouge se tirait de la racine rizion, quâils faisaient venir de la Syrie. Ils se servirent aussi, mais plus tard, pour leur blanc, dâun fard composĂ© dâune espĂšce de craie argentine ; et, pour le rouge, du purpurissimum, prĂ©paration quâils faisaient de lâĂ©cume de la pourpre, lorsquâelle Ă©tait encore toute chaude. Les qualitĂ©s nuisibles de ces ingrĂ©dients ont Ă©tĂ© senties par les anciens autant que par les modernes. Des grĂąces simples et naturelles, a dit Afranius, le rouge de la pudeur, lâenjouement et la complaisance, voilĂ le fard le plus sĂ©duisant de la jeunesse. Quant Ă la vieillesse, il nâest pour elle dâautre fard que lâesprit et les connaissances. » 3 Et oculorum quoque mollis petulantia ? â Quelques commentateurs lisent mobilis, au lieu de mollis ; ce qui signifierait alors des yeux sans cesse clignotants, ou, comme le disent les poĂ«tes comiques,des Ćillades assassines. Câest ce que PĂ©trone nous semble avoir parfaitement rendu dans lâĂ©pigramme suivante quâon lui attribue O blandos oculos et inquietos, Et quadam propria nota loquaces ! Illic et Venus et leves Amores, Atque ipsa in medio sedet Voluptas ; et non pas solet voluptas, comme lâimprime Burmann, ce qui nâoffrirait aucun sens, non plus que lâĂ©pithĂšte dâinficetos au lieu dâinquietos, telle quâon la trouve dans les Catalectes, Ă la suite de lâĂ©dition Bipontine câest, sans doute, une faute dâimpression ; car que signifierait inficetos ? ce serait un contre-sens. On peut traduire ainsi cette Ă©pigramme O les beaux yeux ! comme ils sont pĂ©tulants, comme ils ont une Ă©loquence qui leur est propre ! Dans leur prunelle, VĂ©nus, les Amours lĂ©gers et la VoluptĂ© elle-mĂȘme ont placĂ© leur trĂŽne. » 4 Quo incessus tute compositus, etc. â Câest ce quâon appelle une dĂ©marche cadencĂ©e. SĂ©nĂšque, dans ses Questions naturelles, dit Ă ce sujet Tenero et molli incessu suspendimus gradum ; Catulle Quam videtis Turpe incedere, mimice ac moleste ; et Ovide, Art dâaimer, livre III Est et in incessu pars non temnenda decoris. 5 Nunquam tamen, nisi in equestribus sedeo. â Ceci est une suite de la satire contre les femmes de qualitĂ© qui se prostituaient Ă des hommes indignes de leurs faveurs, Ă des valets, Ă des muletiers, Ă des histrions. Mais il faut remarquer cependant que PĂ©trone, qui connaissait Ă fond le caractĂšre des femmes, fait dans la suite changer de sentiment Ă cette soubrette, car elle devient amoureuse folle de celui dont elle rejette ici lâhommage avec tant de dĂ©dain. 6 Frons minima. â La petitesse du front Ă©tait regardĂ©e comme une marque de beautĂ© chez les anciens. Horace, en parlant de sa chĂšre Lycoris, dit Insignis tenui fronte. Arnobe nous apprend que les femmes Ă©taient si curieuses de cet avantage, quâelles se mettaient des bandeaux sur la tĂȘte pour diminuer leur front. Martial dit Ă ce sujet, liv. IV, Ă©pigr. 42 Audi quem puerum, Flacce, locare velim. Lumina sideribus certent, moltesque flagellent Colla comae tortas non amo, Flacce, comas. Frons brevis, atque modus breviter sit naribus uncis PĆstanis rubeant semula labra rosis. Ce qui surprendra bien plus, câest que la petitesse du front Ă©tait regardĂ©e, par les anciens, comme une marque dâesprit ; Melctius de la Nature de lâhomme, ch. VIII le dit formellement, et mĂ©rite dâĂȘtre lu a ce sujet. Voici ses propres termes Parva vero ac modica fronte ingenii acumine prĆditos, et ad dicendum propensos opinati sunt. CHAPITRE CXXVII. 1 Ut videretur mihi plenum os extra nubem luna proferre. â Cette comparaison du visage dâune belle avec la lune dans son plein ne paraĂźtrait pas trĂšs-flatteuse aux dames de nos jours. Les anciens pensaient autrement que nous Ă ce sujet, et cette idĂ©e se trouve trĂšs-frĂ©quemment reproduite dans les ouvrages des poĂ«tes grecs et romains. 2 Mox digitis gubernantibus vocem. Les petites-maĂźtresses, et mĂȘme un grand nombre dâhommes chez les Romains, sâĂ©tudiaient Ă accompagner leurs paroles de gestes gracieux ; SuĂ©tone le dit formellement dans la Vie de TibĂšre, chapitre 68 Sermonem habuisse, non sine molli quadam digitorum gesticulatione. 3 Feminam... hoc primum anno virum expertam. Horace liv. III, ode 14 a dit de mĂȘme . . . . Et puella Jam virum expertĆ. 4 Ut putares inter auras canere Sirenum concordiam. â Le chant des SirĂšnes Ă©tait proverbial chez les anciens. PĂ©trone reproduit la mĂȘme idĂ©e dans le premier de ses fragments, ad Amicam Sirenum cantus, et dulcia plectra Thaliae Ad vocem tacuisse, reor. CHAPITRE CXXVIII. 1 Numquid spiritus jejunio marcet ? â Câest ce que les Latins appelaient anima jejuna, et les Grecs, {{langgrcnĂšsteias ozein, sentir le jeĂ»ne. On en voit un exemple plaisant dans les vers suivants de CĂ©cilius Plotius, rapportĂ©s par Aulu-Gelle, livre II, chapitre 23 Sed tua morosa ne uxor ? quam rogas ? Qui tandem ? tĆdet mentionis quĆ mihi, Ubi domum adveni ac sedi, extemplo suavium Datat, jejuna anima. Nil peccat suavio ; Et devomas, volt, quod foris potaveris. 2 Numquid alarum negligens, sudore puteo ? Cette nĂ©gligence de toilette a Ă©tĂ© stigmatisĂ©e par les poĂ«tes anciens. Catulle, poĂ«me LXIX Laedit te quĆdam mala fabula, qua tibi fertur Valle sub alarum trux habitare caper. Horace revient souvent sur ce dĂ©faut de propretĂ©, et dit, dans une de ses satires Pastillos Rufinus o ! et, Gorgonius hircum. Ailleurs, Ă©pode XII Hirsutis cubet hircus in alis. Ovide Art dâaimer, liv. 1 recommande Ă son Ă©lĂšve dâĂ©viter avec soin ce double reproche Nec male odorati sit tristis anhelitus oris Nec laedant nares virque paterque gregis. 3 Rapuit deinde tacenti speculum. Les premiers miroirs artificiels furent de mĂ©tal ; CicĂ©ron en attribue lâinvention au premier Esculape. Quoi quâil en soit, il paraĂźt que ce meuble nâentrait pas encore dans la toilette des femmes au temps dâHomĂšre il nâen parle pas dans sa description de la toilette de Junon, quoiquâil ait pris plaisir Ă rassembler tout ce qui contribuait Ă la parure la plus recherchĂ©e. AprĂšs avoir fait des miroirs dâairain, dâĂ©tain, de fer bruni, on en fabriqua dâun alliage des deux premiers mĂ©taux. Lâargent pur obtint ensuite la prĂ©fĂ©rence. Un artiste, nommĂ© PraxitĂšle, contemporain du Grand PompĂ©e, fut lâinventeur des miroirs de cette derniĂšre espĂšce. On en fit mĂȘme dâor, oĂč le luxe prodigua les pierreries et les embellissements de tous les genres. Il est Ă©tonnant que les anciens, qui poussĂšrent si loin les progrĂšs de la dĂ©couverte du verre, nâaient pas connu lâart de le rendre propre Ă la reprĂ©sentation des objets, en appliquant lâĂ©tain derriĂšre les glaces ; il ne lâest pas moins que, connaissant lâusage du cristal, plus propre encore que le verre Ă la fabrication des miroirs, ils ne sâen soient pas servis pour cet objet. Ce ne fut que trĂšs-tard quâils commencĂšrent Ă faire des miroirs de verre ; et les premiers sortirent des verreries de Sidon. Pline ne dit pas Ă quelle Ă©poque ; mais comme il nây en avait pas encore du temps de PompĂ©e, il est certain quâils parurent depuis la destruction de la rĂ©publique. Avant et depuis cette Ă©poque, on en ornait les murs des appartements et les alcĂŽves des lits ; on en incrustait les plats et les bassins dans lesquels on servait les viandes sur la table ; on en revĂȘtait les tasses et les gobelets, qui multipliaient ainsi lâimage des convives. 4 Non tam intactus Alcibiades in prĆceptoris sui lectulo jacuit. Cet hommage Ă©clatant, rendu Ă la vertu de Socrate par un auteur aussi licencieux que PĂ©trone, qui ne mĂ©nageait pas mĂȘme, dans ses satires, lâempereur, dont sa vie et sa fortune dĂ©pendaient, me paraĂźt digne dâattention. Ces mots socratica fides prouvent dâailleurs que la continence de Socrate Ă©tait passĂ©e en proverbe chez les Romains. Câest donc Ă tort que quelques auteurs ont imputĂ© Ă ce philosophe un vice si commun de son temps, mais auquel il resta toujours Ă©tranger. Maxime de Tyr lâa vengĂ© de ces injurieux reproches dans plusieurs de ses dissertations ; et Plutarque, au discours premier sur les Vertus dâAlexandre, confirme cette vĂ©ritĂ©. Socrate, dit-il, couchait prĂšs dâAlcibiade sans violer la chastetĂ©. » Comment donc lâopinion contraire a-t-elle prĂ©valu ? câest quâen gĂ©nĂ©ral les hommes admettent la calomnie sans examen ; il nây a que lâĂ©loge qui soit pour eux un objet de discussion. CHAPITRE CXXIX. 1 Licet ad tubicines mittas. â Mot Ă mot Envoyez chercher les joueurs de flĂ»tes. » Câest comme si nous disions Envoyez chercher les croque-morts. Nous avons dĂ©jĂ vu, au chapitre 78, Trimalchion faire venir les joueurs de cor pour imiter la cĂ©rĂ©monie de son enterrement, parce que, chez les anciens, on portait les morts en terre au son des instruments ; mais il faut remarquer quâil nây avait que les jeunes gens qui fussent enterrĂ©s au son de la flĂ»te les personnes ĂągĂ©es lâĂ©taient au son du cor ou de la trompette. CHAPITRE CXXX. 1 Mox cibis validioribus pastus, id est, bulbis, cochlearumque sine jure cervicibus.â Singulier remĂšde, dira-t-on, pour se prĂ©parer Ă une lutte amoureuse, quâun menu composĂ© dâĂ©chalotes et dâhuĂźtres crues ! Telle Ă©tait cependant la vertu que les anciens attribuaient Ă cette espĂšce dâaliment, comme le prouve ce passage du poĂ«te Alexis, rapportĂ© par AthĂ©nĂ©e, livre II, chapitre 23 Bolbous, koxlias, kĂšrucas, ĂŽa, akrokĂŽlia ;Tosauta toutĂŽn an tis ibroi farmaka, dont voici la traduction littĂ©rale Bulbos, cochleas, cerycas, ova, extremos pecudum artus ; Tam multa ex his invenias remedia. HĂ©raclite de Tarente donne la raison suivante de leurs propriĂ©tĂ©s aphrodisiaques Bolbos, kai ĂŽon, kai t omoia doxei spermatos einai poiĂštika dia to omoeideis exein tas prĂŽtas fuseis, kai tas autas dunameis tĂŽ spirmati. Bulbus, ova et similia gignere semen videntur, quia prima illorum natura eamdem cum genitura speciem et potestatem liv. XX, ch. 9 dit que les oignons broyĂ©s rendent aux nerfs leur vigueur, quâon les emploie avec succĂšs pour les paralytiques ; et il ajoute Venerem maxime megarici dans sonArt dâaimerliv. II. V. 415, ne paraĂźt pas avoir grande confiance dans ces prĂ©tendus spĂ©cifiques ; et il engage son Ă©lĂšve Ă sâen abstenir comme de vrais poisons Sunt qui prĂŠcipiant herbas, satureia, nocentes Sumere judiciĂŻs ista venena meis. Aut piper urticae mordacis semine miscent ; Tritaque in annoso flava pyrethra mero. Sed dea non patitur sic ad sua gaudia cogi, Colle sub umbroso quam tenet altus Eryx. Candidus, Alcathoi qui mittitur urbe pelasga, Bulbus, et, ex horto quae venit, herba salax, Ovaque sumantur, sumantur hyrmettia mella, Quasque tulit folio pinus acuta nuces. 2 Hausi parcius merum, Valerius Flaccus, dans son poĂ«me des Argonautes, livre II, vers 70, offre une imitation remarquable de ce passage. Les Argonautes, dit-il, . . . . . Fessas Restituunt vires, et parco corpora Baccho. Martial nous offre une ingĂ©nieuse plaisanterie sur le mĂȘme sujet, dans son Ă©pigramme 107 du livre I Interponis aquam subinde, Rufe, . . . . . . . Numquid pollicita est tibi beatam Noctem Naevia ?. . . . Enfin Ovide, quâil faut toujours citer en pareille matiĂšre, dit, dans ses RemĂšdes dâamour v. 803 Quid tibi prĆcipiam de Bacchi munere, quaeris ? Spe brevius monitis expediere meis. Vina parant animum Veneri, nisi plurima sumas, Ut stupeant multo corda sepulla mero. Ignem ventus alit, vento restinguitur ignis. Lenis alit flammam, grandior aura necat. Aut nulla ebrietas, aut tanta sit, ut tibi curas Eripiat si qua est inter utramque, nocet. CHAPITRE CXXXI. 1 Mox turbatum sputo pulverem medio sustulit digito. âCe nâest pas sans raison que la vieille ProsĂ©lĂ©nos prend avec le doigt du milieu ce mĂ©lange de poussiĂšre et de salive. Le doigt mĂ©dius Ă©tait rĂ©putĂ© infĂąme chez les anciens ; et Perse, en parlant dâun semblable enchantement, dit sat. II, V. 33 Infami digito et lustralibus ante salivis Expiat, urentes oculos inhibere perita. 2 Ter me jussit a dit de mĂȘme Ă©lĂ©gie 11 du liv. I Ter cane, ter dictis despue carminibus. 3 Vides, quod aliis leporem excitavi ! Ovide offre un exemple de cette locution proverbiale, vers 661 du livre III de lâArt dâaimer Credula si fueris, aliae tua gaudia carpent ; Et lepus hic aliis exagitandus erit. 4 Nobilis Ćstivas platanus diffuderat umbras. Virgile ne dĂ©savouerait pas cette courte, mais charmante description dâun jardin. Ce que PĂ©trone dit ici du platane, arbre touffu sous lequel les anciens se plaisaient Ă goĂ»ter le frais, rappelle ces vers dâHorace liv. II, ode 11 Cur non sub alta vel platano, vel hac Pinu jacentes sic temere, et rosa Canos odorati capillos, Dum licet, Assyriaque nardo, Potamus uncti ? CHAPITRE CXXXII. 1 Et me jubet catomidiare. â Ou plutĂŽt catomidiari, câest-Ă -dire catomis cĆdi, ĂȘtre fustigĂ©. » PĂ©trone est le seul des auteurs de la bonne latinitĂ© qui se soit servi de ce mot, quâon retrouve frĂ©quemment dans les Ă©crivains du moyen Ăąge. Ainsi on lit dans la Vie de saint Vitus Tunc iratus Valerianus jussit infantem catomis cĆdi ; dans la Passion de saint Afrique Catomis te cĆdi jubeam ; et dans Spartianus Hadrianus Decoctores bonorum suorum catomidiari in amphitheatro jussit. 2 Conditusque lectulo, totum ignem furoris in eam converti. Bussy-Rabutin Histoire amoureuse des Gaules a imitĂ© ce passage presque littĂ©ralement ; mais quâil est loin de reproduire les grĂąces de lâoriginal ! Dans Rabutin, le comte de Guiche, chassĂ© honteusement par la comtesse dâOlonne, dont il avait mal rempli lâattente amoureuse, sâexprime ainsi Je sortis brusquement de chez elle, et me retirai chez moi, oĂč, mâĂ©tant mis au lit, je tournai toute ma colĂšre contre la cause de mon malheur. Dâun juste dĂ©pit tout plein Je pris un rasoir en main Mais mon envie Ă©tait vaine, Puisque lâauteur de ma peine, Que la peur avait glacĂ©, Tout malotru, tout plissĂ©, Comme allant chercher son antre, SâĂ©tait sauvĂ© dans mon ventre. Ne pouvant donc lui rien faire, voici Ă peu prĂšs comme la rage me lui fit parler â HĂ© bien, traĂźtre ! quâas-tu Ă dire ? InfĂąme partie de moi-mĂȘme et vĂ©ritablement honteuse car on serait bien ridicule de te donner un autre nom dis-moi, tâai-je jamais obligĂ© Ă me traiter de la sorte ? Ă me faire recevoir le plus sanglant affront du monde ? Me faire abuser des faveurs que lâon me donne, et me donner, Ă vingt-deux ans, les infirmitĂ©s de la vieillesse !... â Mais en vain la colĂšre me faisait parler ainsi LâĆil attachĂ© sur le plancher, Rien ne le saurait toucher. Aussi, lui faire des reproches, Câest justement en faire aux roches... » Il suffit de jeter les yeux sur lâoriginal pour se convaincre quâici PĂ©trone parle en courtisan, et Rabutin en laquais. 3 Rogo te, mihi apodixin defunctoriam redde. â Apodixis, mot tirĂ© du grec apodeixis, dĂ©monstration, preuve, publication on appelait ainsi un certificat que le crĂ©ancier donnait Ă son dĂ©biteur, quand celui-ci lâavait payĂ©. Apodixis defunctoria, Ă©tait un congĂ© en forme, pour cause dâĂąge ou dâaffaiblissement, et, par extension, un extrait mortuaire. En effet, SuĂ©tone, dans la Vie de NĂ©ron, nous enseigne quâil y avait Ă Rome des registres, appelĂ©s rationes libitinĆ, oĂč lâon inscrivait le nom de ceux qui mouraient, et que lâextrait quâon en tirait se nommait apodixis defunctoria. CHAPITRE CXXXIV. 1 Quod purgamentum nocte calcasti in trivio, aut cadaver ? Les anciens jetaient trans caput, par-dessus leur tĂȘte, en certains endroits rĂ©servĂ©s, dans les carrefours, dans les courants dâeau, et dans la mer mĂȘme, purgamenta, les choses qui avaient servi Ă expier un crime ; parce quâils apprĂ©hendaient quâon ne marchĂąt dessus, et quâils croyaient que ceux Ă qui ce malheur arrivait, par hasard ou autrement, sâattiraient, par une espĂšce de contagion, la peine que mĂ©ritait le crime expiĂ©. Voyez, Ă ce sujet, Virgile, Ă©gl. VIII, v. 101 Fer cineres, Amarylli, foras rivoque fluenti, Transque caput jace ne respexeris. . . . Claudien, QuatriĂšme consulat dâHonorius, vers 330 Trans caput aversis manibus jaculator in altum Secum rapturas cantata piacula taedas ; et NĂ©mĂ©sien, Ă©glogue iv Quid prodest, quod me pagani mater Amyntae Ter vittis, ter fronde sacra, ter thure vaporo Lustravit, cineresque aversa effudit in amnem. 2 Aut cadaver. â Les anciens regardaient comme une trĂšs-grande impuretĂ©, quâil fallait expier, de toucher un corps mort. Cette superstition leur venait des Grecs, auxquels elle avait probablement Ă©tĂ© transmise par les HĂ©breux ; car nous lisons au livre des Nombres, chapitre 60, verset 9 Celui qui touchera un corps mort sera impur pendant sept jours ; mais sâil jette sur lui de cette eau le troisiĂšme jour et le septiĂšme, il sera purgĂ©. 3 Lorum in aqua. Expression proverbiale. Martial liv. VII, Ă©pigr. 58 lâa employĂ©e dans le mĂȘme sens . . . . . Madidoque simillima loro Inguina. . . . et livre X, Ă©pigramme 55 Loro quum similis jacet remisso. 4 LunĂŠ descendit imago, Carminibus deducta meis. Les anciens croyaient que les magiciennes avaient le pouvoir de faire descendre la lune du ciel par la force de leurs enchantements, et surtout en frappant sur des bassins dâairain. Ovide se moque ainsi de cette superstition, dans son poĂ«me des CosmĂ©tiques, versets 41-42 Et quamvis aliquis temesĆa removerit aera, Nunquam Luna suis excutietur equis. Cependant il sâest montrĂ© plus crĂ©dule dans lâĂ©lĂ©gie 1 du livre II des Amours v. 23-24 Carmina sanguineae deducunt cornua Lunae, Et revocant niveos Solis euntis equos. Ce dernier vers exprime la mĂȘme idĂ©e que ceux de PĂ©trone . . . . . Trepidusque furentes Flectere PhĆbus equos revoluto cogitur orbe. CHAPITRE CXXXV. 1 Musa BattiadĆ veteris. â Câest-Ă -dire la muse antique de Callimaque, parce que ce poĂ«te, fils de Battus, composa un poĂ«me sur HĂ©calĂšs. CHAPITRE CXXXVI. 1 Tales Herculea Stymphalidas arte coactas. â Les Stymphalides, oiseaux dâune prodigieuse grandeur, qui infestaient les bords du lac Stymphale, en Arcadie. Pausanias liv. VIII rapporte quâils persĂ©cutaient si cruellement les habitants de cette contrĂ©e, que ceux-ci suppliĂšrent Hercule de les en dĂ©livrer. Ce hĂ©ros en vint Ă bout par le secours de Minerve qui lui conseilla de faire un grand bruit en frappant sur des chaudrons ce qui rĂ©ussit ; car ces oiseaux, Ă©pouvantĂ©s, quittĂšrent le pays et se rĂ©fugiĂšrent dans lâĂźle dâArĂ©tie. PĂ©trone appelle ce stratagĂšme ars herculea, pour le distinguer des autres travaux dâHercule, qui avait coutume de vaincre par la force et non par lâadresse, vi, non arte. 2 Tribus nisi potionibus e lege siccatis. ConformĂ©ment Ă la loi des buveurs, qui ordonnait Ă chaque convive de boire trois, ou trois fois trois rasades, et quâAusone a ainsi formulĂ©e Ter bibe, vel toties ternos, sic mystica lex est. SuĂ©tone, dans la Vie dâAuguste, et Platon, dans sa RĂ©publique, font mention de cette coutume. CHAPITRE CXXXVII. 1 Occidisti Priapi delicias, anserem omnibus matronis acceptissimum. Lâoie Ă©tait consacrĂ©e Ă Priape, parce que, selon plusieurs auteurs anciens, et Pausanias, entre autres, ce ne fut pas en cygne, mais en oie que Jupiter se mĂ©tamorphosa pour sĂ©duire LĂ©da. Câest ce que lâon trouve exprimĂ© dâune maniĂšre positive dans le poĂ«me de Ciris, attribuĂ© Ă Virgile . . . . Formosior ansere LedĆ. 2 Atque esto, quidquid Servius, et Labeo. Servius Sulpicius, jurisconsulte trĂšs-estimĂ©, non-seulement pour son Ă©rudition, mais encore pour la vigueur avec laquelle il rĂ©sista aux entreprises de CĂ©sar, en disant librement ce quâil croyait avantageux pour la rĂ©publique. Quelques-uns de ses amis lui ayant reprĂ©sentĂ© le danger quâil courait Ă lutter contre un ennemi aussi puissant que CĂ©sar, il leur rĂ©pondit avec fermetĂ© Suum cuique judicium est. LabĂ©on, autre jurisconsulte fort considĂ©rĂ©. Appien, au livre de la Guerre civile, en parle comme dâun homme dâune intĂ©gritĂ© et dâune fermetĂ© admirables. Horace, au contraire, meilleur courtisan que philosophe, le traite de fou, dans sa troisiĂšme satire, pour avoir refusĂ© le consulat quâAuguste lui offrait. 3 Extraxit fortissimum jecur, et inde mihi futura prĆdixit. Lâauteur fait allusion aux aruspices, qui prĂ©disaient les choses futures par l'inspection du foie et du cĆur des animaux sacrifiĂ©s, dont ils tiraient de bons ou de mauvais augures, selon le bon ou le mauvais Ă©tat de ces parties. Câest pour cela que PĂ©trone dit fortissimum jecur ; peut-ĂȘtre serait-il mieux de lire fortissimum, trĂšs-gras, trĂšs-bien engraissĂ©, du verbe farcire, farcio, fartum. CHAPITRE CXXXVIII. 1 Ipse Paris, dearum litigantium judex. Câest ainsi que je lis ce passage avec Douza ; et non pas lividinantium, comme le porte lâĂ©dition de Burmann ; ni vitilitigantium, comme le voulait Thomas Munckerus, qui aurait dĂ» laisser ce vieux mot dans Caton, oĂč il Ă©tait allĂ© le dĂ©terrer ; ni, comme lâimprime Nodot, libidinantium, qui signifie se livrant aux dĂ©bauches, ce qui serait ici un contre-sens. Du reste, je ne crois pas que le jugement de Paris ait jamais fourni une allusion plus ingĂ©nieuse que celle des six vers du XXIXe fragment, ci-dessus citĂ© De pretio formae quum tres certamen laissent, Electusque Paris arbiter esset eis ; PrĆfecit Venerem Paridis censura duabus, Deque tribus victĆ succubuere duĆ. Cum tribus ad Paridem si quarta probanda venites De tribus a Paridi quarta probata fores. 2 Nec me contumeliae lassant. Quod verberatus sum, nescio, peint ici avec autant de grĂące que de sentiment cette patience infatigable des vrais amants, qui souffrent tout sans se plaindre de leurs maĂźtresses, mĂȘme les traitements les plus indignes. On trouve Ă ce sujet dans Properce, livre II, Ă©lĂ©gie 19 Ultro contemptus rogat, et peccasse fatetur Laesus, et invitis ipse redit pedibus ; et plus loin, dans la mĂȘme Ă©lĂ©gie Nil ego non patiar, nunquam ene injuria inutat. Ovide, dans son Art dâaimer liv. II, v. 533, fait Ă son disciple un prĂ©cepte de cet oubli des injures Nec maledicta puta, nec verbera ferre puellae, Turpe, nec ad teneros oscula ferre pedes. CHAPITRE CXXXIX. 1 Gemini satiavit numinis iram Telephus. â Les deux divinitĂ©s dont il est question ici sont Minerve et Bacchus. Pour lâintelligence de ce passage, mal compris par la plupart des commentateurs, je suis obligĂ© dâentrer dans quelques dĂ©tails sur lâhistoire fabuleuse de TĂ©lĂšphe, telle que la rapporte Apollodore, au livre III de lâOrigine des dieux. Hercule, passant par TĂ©gĂ©e, devint amoureux dâAuge, prĂȘtresse de Minerve, et lui fit violence. Elle devint mĂšre, et mit au monde un enfant quâelle cacha dans un bois qui environnait le temple de la dĂ©esse ; ce qui irrita tellement Minerve, quâelle envoya la stĂ©rilitĂ© dans le pays. Les oracles consultĂ©s rĂ©pondirent quâil y avait une impiĂ©tĂ© cachĂ©e dans le bois sacrĂ©. Il fut visitĂ© ; on y trouva lâenfant, et le pĂšre dâAuge le livra Ă Nauplius, pour le faire mourir. Mais celui-ci le remit Ă Teutras, roi de Mysie, qui le fit exposer sur le mont Parthenius, oĂč il fut allaitĂ© par une biche, en grec ĂXaoo ;, ce qui lui fit donner le nom de TĂ©lĂšphe. Ătant devenu grand, il se rendit Ă Delphes pour savoir quels Ă©taient ses parents, et, par le conseil de lâoracle, il prit le chemin de la Mysie, oĂč Teutras lâadopta pour son fils, et le dĂ©clara son hĂ©ritier. Il fut donc, comme on le voit, persĂ©cutĂ© dans son enfance par Minerve. Voici maintenant comment il Ă©prouva le courroux de Bacchus. Ce dieu protĂ©geait les Grecs lorsquâils se rendaient au siĂ©ge de Troie, TĂ©lĂšphe voulut dĂ©fendre contre eux le passage de la Mysie ; mais les pieds de son cheval sâempĂȘtrĂšrent dans un cep de vigne ; il tomba par terre, et fut blessĂ© par Achille, qui le guĂ©rit ensuite avec la mĂȘme lance dont il lâavait frappĂ©. Les commentateurs, qui ne connaissaient que la moitiĂ© de cette histoire, ont dit Ă ce sujet bien des absurditĂ©s ; ils prĂ©tendent, par exemple, que gemini numinis dĂ©signe ici Minerve, qui mĂ©ritait ce sur-nom comme Ă©tant Ă la fois la dĂ©esse des beaux-arts et des combats. 2 Teneo te inquit, qualem speraveram. Cette exclamation, teneo te ! je te tiens ! » lorsquâon rencontre quelquâun Ă lâimproviste, a passĂ© dans notre langue. Elle Ă©tait familiĂšre aux auteurs latins. ApulĂ©e MĂ©tamorphose, liv. x Teneo te, inquit, teneo meum palumbulum, meum passerem. TĂ©rence, dans son Heautontimorumenos,acte II, scĂšne 3 ANTIPHILA O mi Clinia, salve. CLINIAS. _____________Ut vales ? ANTIPHILA. Salvum advenisse gaudeo. CLINIAS. _____________________Teneone te, Antiphila, maxume animo exoptatam meo ? CHAPITRE CXL. 1 Philumene nomine, quae multas sĂŠpe hereditates officio ĂŠtatis extorserat. â JuvĂ©nal parle de ces gens qui extorquaient des testaments par de honteuses complaisances, satire I, vers 37 Quum te submoveant, qui testamenta merentur Noctibus. . . . . 2 Ut scias, me gratiosiorem esse quam Protesilaum, etc. â ProtĂ©silas, un des hĂ©ros grecs au siĂ©ge de Troie, dĂ©barqua le premier, et fut tuĂ© par Hector. Il Ă©tait fameux dans lâantiquitĂ© par le nombre de ses exploits amoureux. Laodamie, sa femme, lâaimait si Ă©perdument, que, pendant son absence, elle satisfaisait sa passion pour lui, en embrassant une statue de cire quâelle avait fait faire Ă sa ressemblance. Lorsquâil fut mort, elle obtint des dieux sa rĂ©surrection pour trois jours, selon Lucien ; cependant Hyginus assure quâelle nâen jouit que pendant trois heures. Trois heures ! câĂ©tait bien peu ; mais lâaimable revenant sĂ»t si bien mettre le temps Ă profit, que Laodamie mourut de plaisir entre ses bras. 3 Liberorumque experientiam in arte. PĂ©trone a dĂ©jĂ dit plus haut, en parlant du fils de lâhonnĂȘte PhilumĂšne, doctissimus puer, ce garçon bien appris. » Cela rappelle cette vieille Ă©pigramme sur une jeune fille, savante avant lâĂąge Hic jacet exutis Dionysia flebilis annis, Extremum tenui quĂŠ pede rupit iter ; Cujus in octavo lascivia surgere messe CĂŠperat, et dulces fingere nequitias. Quod si longa suĂŠ mansissent tempora vitae, Docrion in terris nulla puella foret. CHAPITRE CXLI. 1 Perusii idem fecerunt in ultima fame. â Au lieu de Perusii, Burmann lit Petavii, dâautres Petelini ; et ils sâappuient, pour dĂ©fendre celle leçon, sur plusieurs passages de Frontin StratagĂšmes, liv. IV, ch. 5, dâAthĂ©nĂ©e Deipnosophistes, liv. XII, de Tite-Live liv. XXIII, de Polybe liv. VII et de ValĂšre-Maxime liv. VI. Cependant, malgrĂ© ces imposantes autoritĂ©s, je pense, avec le docte Joseph Scaliger, quâil faut lire Perusii, et que câest ainsi que PĂ©trone avait Ă©crit. PĂ©rouse, comme on sait, est une ville de Toscane, bĂątie par les AchĂ©ens sur les bords du lac TrasimĂšne. L. Antoine y fut assiĂ©gĂ© par Auguste, qui ne parvint Ă sâemparer de la ville quâaprĂšs en avoir rĂ©duit les habitants Ă une si horrible famine, quâils furent obligĂ©s de se nourrir de chair humaine, comme le rapportent Tite-Live, livre CXXVI ; SuĂ©tone, dans la Vie dâAuguste, chapitre 15 ; Frontin, livre IV, chapitre 5. Ausone confirme encore lâopinion de Scaliger par ce passage de sa vingt-deuxiĂšme Ă©pĂźtre, oĂč il joint, comme PĂ©trone, les Sagontins aux PĂ©rousins Jamjam perusina et saguntina fame Etc. Câest Ă ce trait si connu que Lucain fait allusion par ces mots perusina fames. JuvĂ©nal sat. XV, v. 93 rapporte un trait semblable des Vascons ou Gascons de la ville de Calaguris, aujourdâhui Calahorra, dans lâEspagne Tarragonaise assiĂ©gĂ©s par PompĂ©e et MĂ©tellus, et rĂ©duits aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s, ils furent forcĂ©s, dit ValĂšre-Maxime, livre VII, chapitre 6, de faire un horrible festin de la chair de leurs femmes et de leurs enfants. Voici les vers de JuvĂ©nal Vascones, haec fama est, alimentis talibus olim Produxere animas sed res diversa, sed illic FortunĆ invidia est bellorumque ultima, casus Extremi, longĆ dira obsidionis egestas. Hujus enim, quod nunc agitur, miserabile debet Exemplum esse cibi sicut modo dicta mihi gens Post omnes herbas, post cuncta animalia, quidquid Cogebat vacui ventris furor, hostibus ipsis Pallorem ac maciem, et tenues miserantibus artus, Membra aliena fame laecrabant, esse parata Et sua. Quisnam hominum veniam dare, quisve deorum Viribus abnuerit dira atque immania passis, Et quibus illorum poterant ignoscere manes Quorum corporibus vescebantur ? etc. 2 Massilienses quoties pestilentia laborabant, etc. Ce passage de PĂ©trone est citĂ© par Servius, dans son commentaire sur ce passage du IIe livre de lâEnĂ©ide auri sacra fames. Lactance Placide, dans son commentaire sur le livre x de la ThĂ©baĂŻde de Stace, dit que cette coutume Ă©tait commune Ă tous les Gaulois, et fait une ample description des cĂ©rĂ©monie que lâon observait dans le sacrifice de ces victimes expiatoires Lustrare civitatem, dit-il, humana hostia gallicus mos est. Nam aliquis de elegantissimis pellicebatur prĆmiis, ut se ad hoc venderet qui anno toto publicis sumptibus alebatur purioribus cibis ; denique certo et solemni die per totam civitatem ductus ex urbe, extra pomĆria saxis occidebutur a populo. Si quelque lecteur trouvait la conclusion du roman satirique de PĂ©trone trop horrible et trop peu vraisemblable, ce passage de Lactance suffirait, je pense, pour justifier notre auteur. NOTES SUR LES FRAGMENTS ATTRIBUĂS A PĂTRONE. I. 1 Cedit crinibus aurum. â On trouve la mĂȘme idĂ©e dans une piĂšce attribuĂ©e Ă Gallus Pande, puella, pande capillulos Flavos, lucentes, ut aurum nitidum ; et dans Stace, AchillĂ©ide,livre I, vers 162 Fulvoque nitet coma gratior auro. 2 Ipsa tuos quum ferre velis per lilia gressus. Cette image gracieuse ne le cĂšde guĂšre Ă celle de VirgileEnĂ©ide,liv. VII, V. 808, lorsquâil dit, en parlant de Camille, reine des Volsques Illa vel intactae segetis per summa volaret Gramina, nec teneras cursu laesisset aristas. IV. 1 Transversosque rapit fama sepulta probris ? Ces mots transversos rapit rĂ©pondent Ă ce passage de Septimius Guerre de Troie, liv. I, ch. 7 PrĆda ac libidine transversi agebantur V. 1 Primus in orbe deos fecit timor. â Ce vers se trouve littĂ©ralement dans la ThĂ©baĂŻde de Stace, livre III, vers 661, et LucrĂšce a paraphrasĂ© la mĂȘme idĂ©e Nunc quĆ causa deum per magnas numina gentes Pervolgarit, et ararum compleverit urbes ; . . . . . . . . . Unde etiam nunc est mortalibus insitus horror, Qui delubra deum nova toto suscitat orbi Terrarum. . . . . . . . . . . . . . . . . . PrĆter eas cĆli rationes, ordine certo, Et varia annorum cernebant tempora verti ; Nec poterant, quibus id fieret, cognoscere, causis ; Ergo perfugium sibi habebant omnia divis Tradere, et illorum nutu facere omnia flecti. VIII. 1 Invenias quod quisque velit. â Bourdelot a insĂ©rĂ© cette Ă©pigramme dans le chapitre CXXVI du Satyricon, aprĂšs ces mots Nisi in equestribus sedeo. XI. 1 Si commissa verens avidus reserare minister. â PĂ©trone semble avoir empruntĂ© Ă Ovide MĂ©tamorphoses, liv. XI ces dĂ©tails sur la fable si connue des oreilles de Midas ; Ausone, dans sa vingt-troisiĂšme Ă©pĂźtre, la rapporte en ces termes Depressis scrobibus vitium regale minister Credidit, idque diu texit fidissima tellus. Inspirata dehinc vento cantavit arundo. XII. 1 Fallunt nos oculi, vagique sensus. â LucrĂšce Ă traitĂ© le mĂȘme sujet, liv. IV, V. 354 Quadratasque procul turres quum cernimus urbis, Propterea fit uti videantur sĆpe rotundĆ, Angulus obtusus quia longe cernitur omnis ; Sive etiam potius non cernitur, ac perit ejus Plaga, nec ad nostras acies perlabitur ictus. XIV. 1 Sic format lingua fĆtum, quum protulit ursa.â On lit dans Ovide MĂ©tamorphoses, liv. XV, V. 379 Nec catulus, partu quem reddidit ursa recenti, Sed male viva caro est ; lambendo mater in artus Fingit ; et in formam, quantam capit ipsa, reducit. 2 Et piscis nullo junctus amore parit. â Câest une des nombreuses erreurs des anciens sur la gĂ©nĂ©ration des animaux ; elle nâa pas besoin dâĂȘtre rĂ©futĂ©e, non plus que la prĂ©tendue virginitĂ© des mĂšres abeilles, que PĂ©trone, exprime ainsi trois vers plus loin Sic, sine concubitu, textis apis excita ceris Fervet, et audaci milite castra replet. Presque tous les traducteurs de Virgile ont prouvĂ© dans leurs notes lâabsurditĂ© de cette opinion, Ă propos de ces vers v. 198 et 199 du quatriĂšme livre des GĂ©orgiques Quod neque concubitu indulgent, nec corpora segnes In Venerem solvunt, aut fĆtus nixibus edunt XV. 1 Naufragus, ejecta nudus rate, quĆrit eodem, etc. â Ces vers ne semblent-ils pas inspirĂ©s par ceux-ci de Properce, liv. II, Ă©lĂ©g. 1, v. 43 ? Navita de ventis, de tauris narrat arator, Enumerat miles vulnera, pastor oves. 2 Grandine qui segetes et totum perdidit annum, â Ovide a dit de mĂȘme MĂ©tamorphoses,liv. I, v. 273 . . . . . Longique perit labor irritus anni. 1 XVII. 1 JudĆus et licet porcinum numen adoret, Et cĆli summas advocet auriculus. â PĂ©trone, par une mauvaise foi commune Ă tous les paĂŻens, qui accusaient les juifs et les chrĂ©tiens de toutes sortes de crimes et dâinfamies, prĂ©tend ici quâils adoraient la divinitĂ© sous la forme dâun porc, tandis que leur aversion pour cet animal immonde est un fait notoire. Peut-ĂȘtre prenaient-ils pour une preuve de respect religieux cette abstinence de la chair de porc. JuvĂ©nal est tombĂ© dans la mĂȘme erreur, lorsquâil dit Nec distare putant humana carne suillam. Quant Ă cette autre assertion de PĂ©trone, et cĆli summa advocet auriculas, on sait que Tacite, Appien dâAlexandrie, Molon et dâautres historiens profanes ont reprochĂ© aux juifs de conserver dans le sanctuaire de leur temple une tĂȘte dâĂąne dâor massif, qui Ă©tait lâobjet de leur culte le motif de ce culte disent les auteurs paĂŻens Ă©tait que les HĂ©breux, traversant le dĂ©sert sous la conduite de MoĂŻse, et dĂ©vorĂ©s par la soif, furent redevables de leur salut Ă lâinstinct de leurs Ăąnes, qui dĂ©couvrirent des sources dâeau oĂč tout le peuple de Dieu se dĂ©saltĂ©ra. Lâhistorien JosĂšphe et Tertullien ont dĂ©montrĂ© clairement lâabsurditĂ© de cette fable. Cependant les Romains dĂ©signaient les chrĂ©tiens ainsi que les juifs par le nom grossier dâasinarios, et, dans dâinfĂąmes caricatures exposĂ©es en public, ils reprĂ©sentaient le Christ avec des oreilles dâĂąne ; lâun de ses pieds se terminait par un sabot de corne ; il Ă©tait vĂȘtu dâune longue robe et portait un livre dans sa main ; et au-dessous de ces images monstrueuses ils mettaient cette inscription insolente Deus christianorum anoxĂštos. XIX. 1 Delos, jam stabili revincta terrĂŠ â Ce fragment est Ă©videmment imitĂ© de Virgile, EnĂ©ide, livre III, vers 73 Sacra mari colitur medio gratissima tellus Nereidum matri, et Neptuno Ăgeo Quam pius arcitenens, oras et littora circum Errantem, Gyaro celsa Myconoque revinxit, Immotamque coli dedit, et contemnere ventos. 2 Olim purpureo mari natabat. â Dans ce vers, purpureus signifie brillant, et non pas pourprĂ© ; câest encore une imitation de Virgile, GĂ©orgiques, livre IV, vers 373 In mare purpureum violentior effluit amnis. XXI. 1 Quando ponebam novellas arbores. â Parny semble avoir voulu imiter cette idĂ©e gracieuse dans ces vers Bel arbre, je viens effacer Ces deux noms quâune main trop chĂšre, Sur ton Ă©corce solitaire, Se plut elle-mĂȘme Ă tracer. Ne parte plus dâĂlĂ©onore ; Rejette ces chiffres menteurs ; Le temps a dĂ©suni les cĆurs Que ton Ă©corce unit encore. XXXI. 1 Nolo nuces, Amarylli, tuas, nec cerea prima. â Allusion Ă ces vers de la IIe Ă©glogue de Virgile Ipse ego cana legam tenera lanugine mala, Castaneasque nuces, mea quas Amaryllis amabat. Addam cerea pruna. . . . . XXXIII. 1 Quum mea me genitrix gravida gestaret in alvo. â Cette Ă©pigramme est, certes, un tour de force pour la prĂ©cision ; on ne peut dire plus en moins de mots. LâAnthologie entiĂšre, sâĂ©crie La Monnoye dans lâenthousiasme de lâadmiration, nâa rien de mieux tournĂ©, de plus fin, ni de plus joliment imaginĂ©. » Ćuvres choisies de La Monnoye, t. III, p. 418. La langue grecque est peut-ĂȘtre la seule jusquâici qui ait pu rendre avec grĂące les dix vers latins par dix vers Ă©quivalents ; et câest ainsi que Politien, Lascaris et La Monnoye ont su traduire agrĂ©ablement en grec lâĂ©pigramme de lâHermaphrodite. Nicolas Bourbon lâa refaite, je ne sais pourquoi, en latin ; elle se trouve dans ses NugĆ. Il sâen faut bien que cette copie vaille lâoriginal. Jean Doublet, mademoiselle de Gournay, et La Monnoye lui-mĂȘme, ont essayĂ© dâen donner chacun une traduction française. La premiĂšre est en seize vers irrĂ©guliers, la deuxiĂšme en dix-huit vers alexandrins, la troisiĂšme en quatorze vers de dix syllabes. Ainsi la plus courte des trois est dâun tiers plus longue que lâoriginal ; je la cite comme la meilleure, la voici Ma mĂšre enceinte, et ne sachant de quoi, Sâadresse aux dieux ; lĂ -dessus grandâbisbille. Apollon dit Câest un fils, selon moi ; Et selon moi, dit Mars, câest une fille ; Point, dit Junon, ce nâest fille ni fils. Hermaphrodite ensuite je naquis. Quant Ă mon sort, câest, dit Mars, le naufrage ; Junon, le glaive ; Apollon, le gibet. Quâarriva-t-il ? Un jour, sur le rivage, Je vois un arbre, et je grimpe au sommet Mon pied se prend ; la tĂȘte en lâeau je tombe, Sur mon Ă©pĂ©e. Ainsi, trop malheureux, A lâonde, au glaive, au gibet je succombe, Fille et garçon, sans ĂȘtre lâun des deux. M. de Guerle a essayĂ© de faire en français ce que Politien, Lascaris et La Monnoye ont fait en grec ; voici son imitation qui, Ă dĂ©faut dâautre mĂ©rite, a du moins celui de la prĂ©cision Ma mĂšre enceinte, un jour, vint consulter les dieux. Que dois-je mettre au jour ? â Un fils, dit Aphrodite, PhĂ©bus dit une fille ; â et Junon nul des deux. â Enfin, me voilĂ nĂ©. Que suis-je ? Hermaphrodite. Sur ma mort divisĂ©s, Pan me voue au gibet, Mars au glaive, Bacchus mâenvoie Ă la riviĂšre. Aucun ne faut. Un saule ornait une onde claire ; Jây grimpe. Sur ma brette, en glissant du sommet, Je tombe, nez dans lâeau, pieds en lâair, et rends lâĂąme, PercĂ©, noyĂ©, pendu, sans nul sexe, homme et femme. XXXIV. 1 Me nive candenti petiit modo Julia. â CharmĂ© de la dĂ©licatesse qui caractĂ©rise la pensĂ©e et lâexpression de lâĂ©pĂźgramme de PĂ©trone, La Monnoye a voulu la faire passer dans notre langue ; on va juger si la copie a conservĂ© les grĂąces de lâoriginal Que dans la neige il se trouve du feu, Pas nâaurais cru que cela se pĂ»t faire ; Mais lorsquâIris, par maniĂšre de jeu, Hier mâen jeta, jâĂ©prouvai le contraire. Par un effet qui nâest pas ordinaire, Mon cĆur dâabord brĂ»la du feu dâamour ; Or, si ce feu part du propre sĂ©jour OĂč le froid semble avoir Ă©lu sa place, Pour mâempĂȘcher de brĂ»ler nuit et jour, Nâusez, Iris, de neige ni de glace Mais, comme moi, brĂ»lez Ă votre tour. Longtemps avant La Monnoye, ClĂ©ment Marot avait imitĂ© la mĂȘme Ă©pigramme dans son style naĂŻf et badin Anne, par jeu, me jeta de la neige, Que je cuidois froide certainement Mais câĂ©toit feu, lâexpĂ©rience en ai-je, Car embrasĂ© je fus soudainement. Puisque le feu loge secrĂštement Dedans la neige, oĂč trouverai-je place Pour nâardre point ? Anne, ta seule grĂące Esteindre peult le feu que je sens bien, Non point par eau, par neige, ne par glace, Mais par sentir un feu pareil au mien. FIN DES NOTES. â TACITE, Annales, liv. XV, ch. 37. â Ibid., liv. XVI, ch. 14 et 18. â Huetiana, Jugement sur PĂ©trone. â Tacite, Annales, liv. XVI, ch. 14 et 18. â Vossius de Poetis latinis prĂ©tend que les vers de NĂ©ron nâĂ©taient pas Ă mĂ©priser ; et Voltaire dit quelque part, en parlant de cet empereur Ce jeune prince, aprĂšs tout, avait de lâesprit et des talents. » Mais Perse a rĂ©futĂ© dâavance ce sentiment par ce vers quâil applique Ă NĂ©ron, dans sa premiĂšre Satire Auriculas asini Mida rex habetâŠâŠ â Selon Tacite, NĂ©ron Ă©tait dâun extĂ©rieur agrĂ©able ; SuĂ©tone le fait difforme. Auquel ajouter foi ? â Lactance-Placide, Comment. in Stacii ThebaĂŻd. Il ne faut pas confondre, comme quelques-uns lâont fait, ce grammairien avec Lactance le Philosophe tous deux fleurirent sous Constantin. â Hist. litt. de France, in-4°, tome I. â Histoire secrĂšte de NĂ©ron. Câest le titre que Lavaur a donnĂ© Ă sa traduction du festin de Trimalchion. â Les disputes de ce genre ne sont pas rares chez les savants. Le Parnasse, selon Boccalin, fut longtemps partagĂ© entre Lambin et Manuce, pour un p il sâagissait de savoir sâil fallait Ă©crire consumptus ou consumtus. Que de veilles passa Politien Ă rechercher si lâon doit prononcer â Varron, citĂ© par CicĂ©ron dans ses Questions acadĂ©miques, liv. 1. â Rollin, Hist. ancienne. â Rapin, de Poesi. â Valesius, Dissert. sup. fragm. tugur. â Bayle, Ăclaircissements sur les obscĂ©nitĂ©s, etc. â Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot PĂ©trone. â Basnage, Histoire des ouvrages des savants. â Cette assertion de Basnage nâa rien qui mâĂ©tonne. Le doute des savants dont il parle Ă©tait-il au fond si dĂ©raisonnable ? Nâavait-on pas dĂ©jĂ vu les plus fins critiques pris pour dupes dans plus dâune occasion de cette nature ? Sans parler du tour de Michel-Ange, qui ne sait que Muret fit prendre â On connaĂźt lâĂ©quivoque de nom qui fit faire inutilement un long voyage Ă Henry Meibomius, professeur dans lâuniversitĂ© de Helmstadt. Le bruit venait de se rĂ©pandre câĂ©tait en 1691 quâon avait trouvĂ© un manuscrit complet de la satyre de PĂ©trone ; il nâen Ă©tait rien. Meibomius, ayant lu dans un itinĂ©raire dâItalie Petronius BononiĆ intiger asservatur, egoque ipsum meis oculis non sine admiratione vidi, il part aussitĂŽt de Lubeck pour aller voir cette merveille. Ă peine arrivĂ© Ă Bologne, il court chez le mĂ©decin Copponi quâil connaissait de rĂ©putation ; et lĂ , ouvrant son livre dont il avait exprĂšs marquĂ© la page, il lui demande si le fait est vĂ©ritable. TrĂšs-vĂ©ritable, rĂ©pond le mĂ©decin ; et je puis faire en sorte, par mon crĂ©dit, que votre curiositĂ© soit satisfaite. » Meibomius le suit avec une joie qui ne se peut exprimer ; mais quelle fut sa surprise, lorsque son guide, lâayant conduit Ă la porte de lâĂ©glise, le pria dâentrer, lui disant que câĂ©tait lĂ quâil trouverait ce quâil cherchait. Comment ! sâĂ©cria Meibomius, dans une Ă©glise, un livre aussi infĂąme ? â Que voulez-vous dire, interrompit Copponi, avec votre livre infĂąme ! Câest ici lâĂ©glise de Saint-PĂ©trone, Ă©vĂȘque et patron de Bologne ; on y garde son corps tout entier, et vous allez vous-mĂȘme le voir tout Ă lâheure. » Meibomius reconnut le quiproquo ; et Copponi de rire. â Lavaleterie, Ćuvres mĂȘlĂ©es de Saint-Ăvremond. â LâabbĂ© Margon fit mieux que de traduire le Festin de Trimalchion il le rĂ©alisa. Cet abbĂ©, fort gourmand de son naturel, ayant un jour reçu du rĂ©gent, je ne sais trop pour quel service secret, une gratification de 30,000 francs, imagina de la manger dans un souper, quâil pria son patron de lui laisser donner Ă Saint-Cloud. Il en fit la disposition, PĂ©trone Ă la main, et exĂ©cuta, avec la plus grande exactitude, le repas de Trimalchion. On surmonta toutes les difficultĂ©s Ă force de dĂ©penses. Le rĂ©gent eut la curiositĂ© dâaller surprendre les acteurs, et il avoua quâil nâavait jamais rien vu de si original. â BoisprĂ©aux ou Dujardin nâa pas trouvĂ© grĂące aux yeux de FrĂ©ron, qui sâĂ©crie Pourquoi BoisprĂ©aux a-t-il Ă©nervĂ© la force des pensĂ©es de PĂ©trone par des paraphrases insipides, Ă©teint le feu de ses idĂ©es par des tours froids et languissants, altĂ©rĂ© la charmante naĂŻvetĂ© de ses sentiments par un choix affectĂ© de mots prĂ©cieux ; substituĂ©, en un mot, Ă un original plein de vie une copie languissante et inanimĂ©e ? Nâest-ce pas imiter ce tyran dont il est parlĂ© dans Virgile, qui appliquait des corps morts Ă des corps vivants ? »
Pourmoi la facilitĂ© n'est pas un dĂ©faut car c'est ce qui ma permis justement de m'y mettre et de me lancer dans un genre de jeu jusque lĂ inconnu pour moi: les RPG jap, Blue Dragon ma ouvert la voie et il m'aura bien marquĂ© ça aura Ă©tĂ© une sacrĂ© expĂ©rience avec 60h de jeu pour la quĂȘte principale, n'ayant presque pas fait de quĂȘte secondaire car a la fin un petit vaisseau volantLes avertissements se multiplient Ă propos du rapport fou » que le gouvernement libĂ©ral utilise pour faire pression pour la rĂ©glementation des fournisseurs de contenu multimĂ©dia Internet. Lâimportance de le mettre dehors! Les avertissements continuent de se multiplier Ă propos du rapport fou» et invasif» qui recommande au gouvernement libĂ©ral du Canada dâenregistrer et de rĂ©glementer les fournisseurs de contenu multimĂ©dia Internet. Un certain nombre de commentateurs au Canada et Ă lâĂ©tranger ont dĂ©noncĂ© le rapport du comitĂ© dâexamen de la radiodiffusion et des tĂ©lĂ©communications BTLR publiĂ© la semaine derniĂšre comme un plan Ă couper le souffle» et sans prĂ©cĂ©dent pour rĂ©glementer Internet. Le groupe dâexperts en radiodiffusion rĂ©uni par le gouvernement et prĂ©sidĂ© par Janet Yale a Ă©tĂ© chargĂ© de conseiller les libĂ©raux sur la rĂ©vision des lois sur la radiodiffusion prĂ©tendument obsolĂštes du pays. Son rapport recommandait une expansion massive du Conseil de la radiodiffusion et des tĂ©lĂ©communications canadiennes CRTC sous le nom de Commission canadienne des communications. Une recommandation clĂ© Ă©tait dâĂ©tendre les licences actuellement accordĂ©es aux stations de radio et de tĂ©lĂ©vision Ă tous les contenus mĂ©diatiques, ainsi quâun rĂ©gime de conformitĂ© beaucoup plus strict », a notĂ© John Ivison du National Post . En effet, ce projet est si strict que deux anciens membres du CRTC sont parmi les critiques les plus fĂ©roces du rapport. Lâancien vice-prĂ©sident des tĂ©lĂ©communications du CRTC, Peter Menzies, a Ă©crit dans le Globe and Mail que, dans une expansion Ă couper le souffle de la portĂ©e et de lâorgueil bureaucratique» et une sĂ©rie de recommandations invasives et injustifiables», le comitĂ© a plaidĂ© pour une sĂ©rie dâinterventions radicales qui soumettre tous les mĂ©dias en ligne â des sites en ligne tels que Rabble Ă Rebel News et dans nâimporte quelle langue â Ă la rĂ©glementation gouvernementale. » Cela a Ă©tĂ© repris par lâancien commissaire du CRTC, Timothy Denton, qui, dans un Ă©ditorial du Financial Post, a Ă©crit que le rapport prĂ©conise une prise de pouvoir sans prĂ©cĂ©dent pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral et le CRTC» visant rien de moins quâune contre-rĂ©volution dâĂtat contre Internet . Cela a Ă©tĂ© repris par le cĂ©lĂšbre expert et commentateur politique canadien Andrew Coyne . Le rapport est Ă couper le souffle â une prise de pouvoir rĂ©glementaire sans prĂ©cĂ©dent, que ce soit au Canada ou dans le monde dĂ©mocratique», a notĂ© Coyne dans le Globe and Mail. Personne ailleurs ne propose quelque chose comme ça, et pour une bonne raison parce que câest fou. » Mais ce que le gouvernement libĂ©ral fera, reste une question cruciale aprĂšs que le ministre du Patrimoine, Steven Guilbault, a provoquĂ© une tempĂȘte de feu en semblant dâabord approuver lâidĂ©e de licences gouvernementales pour les sites dâactualitĂ©s Internet, puis en inversant sa position le lendemain. Dimanche, Guilbault a dĂ©clarĂ© Ă CTV News Si vous ĂȘtes un distributeur de contenu au Canada⊠nous demanderions quâils aient une licence, oui.» Lundi, le ministre et le premier ministre ont tous deux insistĂ© sur le fait que les libĂ©raux nâautoriseraient pas Internet nouvelles ou rĂ©glementer les nouvelles sur Internet. Mais ce nâest pas vraiment rassurant Ă©tant donnĂ© que le rapport recommande que les entreprises diffusant du contenu mĂ©diatique par le biais dâInternet soient tenues de sâinscrire auprĂšs de la nouvelle Commission canadienne des communications» et quâil ne mentionne ici aucune exemption pour les organismes de presse», a notĂ© Ivison. Et bien que les implications du rapport pour la libertĂ© de la presse soient Ă©videntes â si Ă©videntes que lâon sâattendrait Ă ce que lâensemble de lâindustrie de la presse se lĂšve comme une seule et la rejette», il contient Ă©galement une offre de goodies» pour ce secteur assiĂ©gĂ©, a observĂ© Coyne. En effet, mĂȘme si les critiques allĂšguent que le renflouement des mĂ©dias» de 595 millions de dollars du gouvernement Trudeau annoncĂ© dans son dernier budget compromet les anciens mĂ©dias du Canada, le rapport dĂ©crit plus de façons le gouvernement pourrait aider les mĂ©dias» Ă perdre face aux concurrents numĂ©riques, le Globe and Mail signalĂ©. Il recommande aux fournisseurs de contenu mĂ©diatique en ligne de sâinscrire auprĂšs du CRTC et de verser des fonds pour soutenir certains organismes de presse canadiens, a-t-il indiquĂ©. Les journaux seraient admissibles Ă des subventions payĂ©es sur les taxes sur les agrĂ©gateurs et les partageurs, qui seraient Ă©galement obligĂ©s de crĂ©er des liens» vers les sites de nouvelles canadiens que le CRTC juge exacts, fiables et fiables», a expliquĂ© Coyne. Allons-nous vraiment mordre la main qui nous nourrit, maintenant ou dans le futur? », A-t-il ajoutĂ©. Les libĂ©raux et leurs bĂ©nĂ©ficiaires croient quâils sauvent un journalisme de qualitĂ© », a notĂ© Ivison, alors que tout le monde pense que câest un pot-de-vin transparent. » Cela est repris par Jack Fonseca, directeur des opĂ©rations politiques de Campaign Life Coalition, le groupe national de lobbying pro-vie et pro-famille du Canada. Le renflouement libĂ©ral des mĂ©dias grand public privĂ©s Ă©tait un pot-de-vin pour garantir que les principaux mĂ©dias deviendront dĂ©pendants du gouvernement, et donc ne rapporteraient rien de critique Ă propos de Trudeau, ou autre, a-t-il dĂ©clarĂ© Ă LifeSiteNews. Cela ressemble aux nouvelles rĂšgles du gouvernement libĂ©ral pour museler les soi-disant annonceurs tiers au moment des Ă©lections, y compris de simples informations affichĂ©es sur des sites Web canadiens», a-t-il dit. Fonseca soutient que ces rĂšgles ont Ă©tĂ© conçues pour dĂ©manteler toutes les petites voix conservatrices qui pourraient critiquer les politiques libĂ©rales, y compris celle de Campaign Life Coalition. En fait, nous avons dĂ» fermer notre Guide des Ă©lecteurs pro-vie pendant des mois pendant les Ă©lections, puis restreindre massivement son accĂšs. » Justin Trudeau avec lâune de ses idolesle chef communiste chinois Xi Jin Trudeau ont toujours aimĂ© les dictateurs communistes. Les Canadiens devraient considĂ©rer le rĂ©cent rapport controversĂ© sur la radiodiffusion dans le contexte de ce quâils savent des libĂ©raux, et en particulier du Premier ministre, qui en mai 2014 a exprimĂ© son admiration pour la dictature fondamentale de la Chine», a-t-il soulignĂ©. Nous devons croire Trudeau au mot et ne pas simplement rire de lui comme sâil Ă©tait une sorte de blague. Il Ă©tait mortellement sĂ©rieux. Une dictature de base est ce quâil admire. Et il semble assez clair que câest lĂ quâil essaie de diriger le pays, avec un plan clair dans son esprit », a dĂ©clarĂ© Fonseca. La possibilitĂ© que les libĂ©raux puissent crĂ©er un registre des mĂ©dias »et commencer Ă octroyer des licences aux mĂ©dias Internet et aux mĂ©dias sociaux est le dernier dâune sĂ©rie de signes avant-coureurs que Justin Trudeau est lâhomme le plus dangereux de lâhistoire politique canadienne», a-t-il ajoutĂ©. De plus, si les libĂ©raux vont de lâavant avec ce plan, il est raisonnable de supposer que des sites Web comme mon site » seraient obligĂ©s de fermer parce que le gouvernement libĂ©ral refuserait de leur accorder une licence», a averti Fonseca. En bref, les libĂ©raux auront un contrĂŽle total sur Internet et le pouvoir de bloquer toutes les voix dissidentes. » Informations de contact Lâhonorable Steven Guilbeault â ministre du Patrimoine canadien 15, rue Eddy, 12e Ă©tage Gatineau QuĂ©bec K1A 0M5 TĂ©lĂ©phone 819-997-7788 Courriel DĂ©putĂ©e conservatrice Michelle Rempel Garner Ministre fantĂŽme de lâindustrie et du dĂ©veloppement Ă©conomique Suite 115, 70 Country Hills Landing NW Calgary, AB T3K 2L2 TĂ©lĂ©phone 403-216-7777 Courriel Justin Trudeau â Cabinet du Premier ministre 80, rue Wellington Ottawa, ON K1A 0A2 TĂ©lĂ©copieur 613-941-6900 LâĂ©pisode de la Blackface » va continuer de hanter le politicien camĂ©lĂ©on quâest le franc maçon Justin Trudeau. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, rĂ©cemment rendu tristement cĂ©lĂšbre au sujet de photos refait surface, a chargĂ© ses ministres de crĂ©er une nouvelle loi visant Ă lutter contre le discours de haine» sur les mĂ©dias sociaux. La lettre de mandat , envoyĂ©e au ministre du Patrimoine canadien, appelle Ă lâĂ©laboration dâune loi imposant des sanctions importantes» aux sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux qui ne suppriment pas les soi-disant discours de haine dans les 24 heures. La lettre mentionne le discours de haine» pour une attention particuliĂšre, avant de passer Ă dâautres Ă©lĂ©ments comme lâexploitation des enfants et le terrorisme. CrĂ©er de nouvelles rĂ©glementations pour les plateformes de mĂ©dias sociaux, en commençant par lâexigence que toutes les plateformes suppriment le contenu illĂ©gal, y compris les discours de haine, dans les 24 heures ou encourent des sanctions importantes. Cela devrait inclure dâautres prĂ©judices en ligne tels que la radicalisation, lâincitation Ă la violence, lâexploitation des enfants ou la crĂ©ation ou la diffusion de propagande terroriste. Le gouvernement Trudeau semble suivre lâexemple dâĂtats europĂ©ens comme lâAllemagne, qui inflige dĂ©jĂ des amendes pouvant aller jusquâĂ 50 millions dâeuros aux entreprises technologiques qui ne parviennent pas Ă supprimer rapidement le soi-disant discours de haine». Les lĂ©gislateurs français ont mĂȘme envisagĂ© dâemprisonner des responsables dâentreprises technologiques. qui ne rĂ©pondent pas aux demandes de suppression de contenu haineux». Le Canada est lâun des signataires de l Appel Ă lâaction de Christchurch», une demande collective de divers Ătats-nations pour que les sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux rĂ©priment lâextrĂ©misme». Les Ătats-Unis ont publiquement refusĂ© de signer, invoquant des problĂšmes de libertĂ© dâexpression. Il nâest pas clair si les photos au visage noir publiĂ©es sur les mĂ©dias sociaux seront qualifiĂ©es de discours de haine» en vertu de la loi canadienne prĂ©vue. ObligĂ© de verser 1800 euros Ă des organisations antiracistes pour son crime dâopinion. Reynaud Camus entourĂ© de supporteurs lors dâun rassemblement lâan passĂ©. Lâintellectuel français Reynaud Camus a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 2 mois de prison avec sursis pour avoir dĂ©clarĂ© que lâimmigration massive en Europe reprĂ©sente une invasion». Camus ne pourra Ă©viter la prison quâen versant 1800 euros Ă deux organisations antiracistes», SOS Racisme et la LICRA Ligue internationale contre le racisme et lâantisĂ©mitisme. Lâhomme, qui est lâauteur du Grand Remplacement The Great Replacement, a Ă©tĂ© inculpĂ© dâincitation publique Ă la haine ou Ă la violence sur la base de lâorigine, de lâethnie, de la nationalitĂ©, de la race ou de la religion». La condamnation dĂ©coule dâun discours prononcĂ© en novembre 2017 Ă Colombey-les-deux Eglises devant le Conseil national de la rĂ©sistance europĂ©enne dans lequel Camus a dĂ©clarĂ© Lâimmigration est devenue une invasion». La colonisation irrĂ©versible est la colonisation dĂ©mographique, par le remplacement de la population », a dĂ©clarĂ© lâauteur, ajoutant La substitution ethnique, le grand remplacement, est lâĂ©vĂ©nement le plus important de lâhistoire de notre nation depuis son existence; comme pour les autres, si lâhistoire continue, ce ne sera pas celle de la France. » Camus a Ă©galement appelĂ© Ă un consensus national de rĂ©sistance» pour sâopposer Ă lâislamisation dans la lutte pour le salut de notre civilisation commune, celtique, slave, germanique, grĂ©co-latine, judĂ©o-chrĂ©tienne». Reynaud Camusun homme de rĂ©flexions sur notre avenir collectif! La partie du discours de Camus qui a spĂ©cifiquement attirĂ© lâattention des juges Ă©tait lorsquâil a parlĂ© du remplacement des EuropĂ©ens. Camus a dĂ©clarĂ© que lâimmigration de masse est la substitution, la tendance Ă tout remplacer par son Ă©mulateur, normalisĂ©, standardisĂ©, interchangeable lâoriginal avec sa copie, lâauthentique avec son imitation, le vrai avec le faux, les mĂšres avec les mĂšres porteuses, la culture avec du temps libre et du divertissement. La France subit des attaques terroristes islamiques sur une base tellement routiniĂšre que ce nâest mĂȘme plus un sujet dâactualitĂ© important. Beaucoup de ces terroristes sont radicalisĂ©s par des mosquĂ©es qui Ă©chappent Ă tout contrĂŽle policier, mais Camus doit ĂȘtre puni pour son crime dâopinion. Et voila. La libertĂ© dâexpression est dĂ©sormais un crime en France. EN CONCLUSION Ce qui arrive en France,sâintĂšgre hypocritement dans la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise,mon pays,une petite Ăźle dans lâocĂ©an menacĂ© de lâOccident ChrĂ©tien! Lentement mais surement,lâidĂ©e fait son chemin dans ce qui sert de cervelle Ă Justin Trudeau,premier-ministre libĂ©ral du avons vu rĂ©cemment lâutilisation de la vieille mĂ©thode dĂ©jĂ Ă©prouvĂ©e lors du dernier rĂ©fĂ©rendum sur la souverainetĂ© du QuĂ©bec,en sâagit de financer des petits groupes,corrompre le plus possible,sans que lâon apparaisse dans le portraitâŠet ça marche! La loi 21 sur la laĂŻcitĂ© au QuĂ©bec,est une loi qui peut protĂ©ger au minimum nos institutions nationales,mais pour les fĂ©dĂ©ralistes,câest inacceptable!Pour Justin Trudeau,comme pour jadis,son pĂšre,il est intolĂ©rable que le QuĂ©bec cherche davantage Ă se protĂ©ger de son sacro-saint multiculturalisme,surtout face aux musulmans trĂšs radicaux qui sont dĂ©jĂ anglicisĂ©s et qui prĂȘchent comme lui,lâĂ©limination de toute colonne vertĂ©brale » venant du peuple quĂ©bĂ©cois et de son gouvernement,mĂȘme sâil sâagit dâun nationalisme mou!Dans le futur,vouloir devenir un QuĂ©bec fort,va ĂȘtre cataloguĂ© comme Ă©tant du racisme,de lâantisĂ©mitisme du fascisme,etc,etc,etc Je pense sĂ©rieusement que Reynaud Camus vient de nous montrer une voie sĂ©rieuse pour combattre et revendiquer notre libertĂ© dâ appel Ă un consensus national de rĂ©sistance» pour sâopposer Ă lâislamisation dans la lutte pour le salut de notre civilisation commune, celtique, slave, germanique, grĂ©co-latine, judĂ©o-chrĂ©tienne» rĂ©sonne trĂšs fort dans mon esprit et mâinterpelle ,ici-mĂȘme,au coeur de mon beau pays du QuĂ©bec. Vivement organisons notre rĂ©sistance nationale face Ă lâoppression de la gauche agenouillĂ©e devant lâIslam!Ne nous laissons pas remplacer » par ces fanatiques dociles! Vive la France et vive le QuĂ©bec Libre! Vive Reynaud Camus! âŠavec sa dĂ©claration provocante et annonciatrice dâun futur apocalyptique pour le Canada Justin Trudeau lâIslam doit entrer dans LâADN du Canada» Discours de Justin qui date de 2012 qui sâadressait aux musulmans . Lisez bien câest trĂšs clair on peu voir trĂšs bien ses intentions qui sont en train de se rĂ©aliser. Chers compatriotes musulmans, Bism ellahi al rahmani el rahimi. Câest avec un profond respect et une fiertĂ© sans bornes que je mâadresse Ă vous, et jâaimerais tout dâabord vous remercier de mâavoir invitĂ© Ă vous adresser la parole. Certains se sont posĂ© cette question que va faire un dĂ©putĂ© libĂ©ral, qui est aussi candidat Ă la chefferie de son parti, dans une confĂ©rence islamique ? La rĂ©ponse est simple et elle se trouve dans le thĂšme de votre confĂ©rence faire revivre lâesprit de lâislam. Câest tout Ă fait cela, car je ne vois aucune incompatibilitĂ© entre lâesprit de lâislam et la cause que je dĂ©fends et que mon propre pĂšre a dĂ©fendue dans le passĂ©. Cette confĂ©rence est Ă©galement pour moi lâoccasion de faire revivre lâesprit de mon pĂšre Pierre Eliott Trudeau. Sans lui, sans la lutte quâil a menĂ©e pour le pluralisme et le multiculturalisme, une confĂ©rence comme la vĂŽtre nâaurait pas pu se tenir. Je veux vous dire que jâai lâintention de mâinspirer de lui et de poursuivre son Ćuvre. Mon pĂšre voulait changer le visage du Canada et je crois quâil a rĂ©ussi dans son temps on parlait de deux peuples fondateurs, cette idĂ©e est heureusement morte et enterrĂ©e. Il nâ y a plus de peuples fondateurs mais des communautĂ©s culturelles qui, grĂące Ă la politique dâimmigration ouverte et Ă la protection de la Charte des droits, se sont dĂ©veloppĂ©es et se sont imposĂ©es partout au Canada. Il nây a pas si longtemps GĂ©rard Bouchar dâun historien et penseur du QuĂ©bec, a comparĂ© sa province Ă un train oĂč chaque communautĂ© culturelle occupe son propre wagon, cette image est juste et elle sâapplique Ă©galement Ă tout le Canada. Je suis fier dâĂȘtre lâhĂ©ritier spirituel de mon pĂšre et j e vais vous dire comment je pourrai complĂ©ter son Ćuvre jâestime que le Canada nâa pas assez changĂ© et quâil lui reste beaucoup de chemin Ă faire, mais auparavant jâaimerais vous assurer de mon profond respect pour la cause que vous dĂ©fendez. En mâinvitant vous Ă©tiez au courant de mon ouverture dâesprit Ă lâĂ©gard de lâislam, et vous ne vous ĂȘtes pas trompĂ©s. Je vois dans cette salle les hommes assis dâun bord de lâallĂ©e centrale et les femmes de lâautre, les hommes portent la barbe et les femmes sont voilĂ©es, certaines le sont complĂštement et cela me remplit de fiertĂ©, car câest la preuve que les musulmans au Canada pratiquent leur religion comme ils le veulent et comme elle doit ĂȘtre pratiquĂ©e. Mais cela nâest pas suffisant, car il faut que lâesprit de lâislam, cet esprit que vous faites revivre, inspire davantage les politiques des diffĂ©rents paliers de gouvernement. Lâesprit et les valeurs de lâislam devront dĂ©sormais faire partie des valeurs canadiennes. Lâislam doit entrer dans lâADN du Canada ! Si je suis Ă©lu chef du Parti libĂ©ral et si avec votre appui je deviens Premier ministre du Canada, jâaurai comme prioritĂ© votre participation Ă lâĂ©laboration et la rĂ©daction des lois, afin quâelles reflĂštent votre culture et les valeurs islamiques. Il nây a pas si longtemps on dĂ©battait au QuĂ©bec des accommodements raisonnables. Cette expression me choque car je ne vois pas en quoi des accommodements peuvent ĂȘtre raisonnables ou non, câest la notion mĂȘme dâaccommodement quâil faut bannir. Les musulmans nâont pas Ă attendre ou Ă espĂ©rer des accommodements, dans le Canada que je dirigerai, ils prendront toute la place quâils jugeront nĂ©cessaire sans restriction ni compromis. Le Canada ne peut pas ĂȘtre multiculturel Ă moitiĂ© ou aux trois â quarts, il doit lâĂȘtre entiĂšrement. Le musulman qui dĂ©cide de venir vivre au Canada ne doit pas se sentir moins musulman ici que dans son pays dâorigine, câest ça lâesprit du multiculturalisme. Vivre pleinement lâislam est votre objectif, il me fait plaisir de vous annoncer quâil est Ă©galement le mien, quâil sera trĂšs bientĂŽt un objectif inscrit au programme du Parti libĂ©ral et, inchâAllah , un objectif du gouvernement que je dirigerai avec votre appui. Le multiculturalisme a pour raison dâĂȘtre de prĂ©server et de faire la promotion de toutes les cultures. Cela veut dire que les cultures qui aspirent Ă lâauthenticitĂ© et qui prĂȘchent pour un retour aux sources doivent ĂȘtre encouragĂ©es Ă le faire. Votre confĂ©rence dâaujourdâhui sâinscrit pleinement dans cet objectif, vous avez le droit et je dirai mĂȘme le devoir de marquer votre diffĂ©rence, ce en quoi vous vous distinguez, la sociĂ©tĂ© canadienne a lâobligation de vous accepter tels que vous choisissez dâĂȘtre et de vous comporter, câest en cela quâelle fera la preuve de sa tolĂ©rance et de son ouverture. Le Canada ne peut pas prĂ©tendre ĂȘtre vraiment multiculturel sâil contraint les musulmans Ă se soumettre Ă des lois diffĂ©rentes de celles qui sont prescrites par lâislam. Les lois canadiennes sur le mariage, le divorce, la garde des enfants, la violence conjugale, le patrimoine familial, les successions, ne sont pas islamiques, le Canada nâa donc pas le droit de les imposer aux musulmans. Il en va de mĂȘme pour lâenseignement Ă lâĂ©cole, si les musulmans jugent contraire Ă leur foi lâenseignement de certaines matiĂšres, leurs enfants devront en ĂȘtre exemptĂ©s. Le monde change et Ă©volue, le Canada doit aussi changer et Ă©voluer. Nous avons une Charte des droits et des libertĂ©s qui a bien servi les Canadiens mais qui doit ĂȘtre remise Ă jour pour mieux les servir en tenant compte des changements sociaux et culturels survenus au cours des trente derniĂšres annĂ©es. La conception que nous nous faisons de lâĂ©galitĂ© entre citoyens et en particulier de lâĂ©galitĂ© des sexes ne doit pas ĂȘtre imposĂ©e telle quelle Ă tout le monde mais adaptĂ©e ou modifiĂ©e dans lâesprit du multiculturalisme. Il nây a rien dâabsolu dans lâĂ©galitĂ© des sexes, dans ce domaine votre conception diffĂšre de la nĂŽtre et je ne vois pas pourquoi notre conception doit sâappliquer sur vous. Nous devons mettre fin Ă lâimpĂ©rialisme dans le champ des valeurs nos valeurs ne doivent pas empiĂ©ter sur les vĂŽtres. Faire revivre lâesprit islamique câest faire prendre conscience aux musulmans du Canada que le multiculturalisme canadien leur permet dâĂȘtre pleinement musulmans sur tous les plans, y compris dans le domaine des droits et des libertĂ©s Notre Charte des droits et des libertĂ©s donne une place trĂšs large Ă la libertĂ© dâexpression, certaines balises ont Ă©tĂ© Ă©tablies pour que la libertĂ© dâexpression ne permette pas certains excĂšs comme lâincitation Ă la haine. Les temps ont changĂ© et ces balises ne sont plus suffisantes car nous voyons de plus en plus de gens qui profitent de la libertĂ© dâexpression pour rapporter toutes sortes de choses sur des sujets que les musulmans considĂšrent comme sacrĂ©es. Fort heureusement les mĂ©dias sâabstiennent de les diffuser pour ne pas offenser les musulmans, mais cela ne suffit pas et il faudra se donner et vous donner les moyens lĂ©gaux de mettre fin Ă la critique. La politique extĂ©rieure du Canada devra reflĂ©ter sa rĂ©alitĂ© intĂ©rieure et comme la communautĂ© islamique aura une place de premier plan dans le pays que je dirigerai, il va sans dire que le Canada devra rĂ©orienter sa politique Ă©trangĂšre et harmoniser ses action s avec celles des pays musulmans. Ma prioritĂ© si je deviens Premier ministre du Canada sera dâĂ©tablir des relations amicales et de collaborer Ă©troitement avec lâOrganisation de la ConfĂ©rence Islamique. Il y a deux semaines certains Canadiens musulmans ont exprimĂ© leur dĂ©saccord avec ma participation Ă cette confĂ©rence. Ces gens ne dĂ©montrent pas beaucoup dâenthousiasme pour le multiculturalisme, jâignore sâils sont dâauthentiques musulmans mais ils prĂ©fĂšrent que le Canada ne change pas, quâil continue Ă se ressembler, pour eux tous les Canadiens doivent partager les mĂȘmes valeurs ! Moi je dis que le Canada doit changer profondĂ©ment par lâimmigration, les nouveaux venus ne doivent pas ressembler aux Canadiens de souche, autrement comment pourrons â nous prouver que nous sommes ouverts et tolĂ©rants. Je suis troublĂ© par le fait que beaucoup dâimmigrants sâintĂšgrent et se laissent assimiler par la sociĂ©tĂ© canadienne, cela prouve que le multiculturalisme qui nous est si cher nâest pas soutenu par des politiques appropriĂ©es qui visent Ă cultiver et Ă approfondir les diffĂ©rences entre les communautĂ©s. Heureusement la communautĂ© islamique a su rĂ©sister Ă la tentation de sâassimiler, elle est pour les autres communautĂ©s un exemple Ă suivre, voilĂ pourquoi nous devons la soutenir dans ses efforts et câest de ce sujet que je suis venu vous entretenir aujourdâhui. Plus jây pense, plus je rĂ©alise que lâĆuvre de mon pĂšre doit ĂȘtre dĂ©fendue par tous les moyens, câest lâhĂ©ritage que jâai reçu de lui. Mon pĂšre mâa transmis cette cause et je dois la porter et la conduire Ă son terme. Jâai besoin dâalliĂ©s sĂ»rs et dĂ©terminĂ©s et câest en vous que je les trouve, je vous ai exposĂ© ma vision et je vois par vos rĂ©actions que vous la partagez, cela me rĂ©conforte et mâencourage, il me reste seulement Ă vous dire Merci, choukran et Al salamou alykoumou wa rahmatou Allahi wa barakatouhou . Justin Trudeau INFORMATIONS SUR LE RĂSEAU MONDIAL DE PĂDOPHILIE LES PRATIQUES PĂDOPHILES ET SATANIQUES DE LA FAMILLE ROYALE BRITANIQUE *Cet article et ceux qui vont suivre va surement ĂȘtre censureâŠSâil-vous-plait partagez le sur vos rĂ©seaux! Le prince William Meghan Markle,le prince Harry et leur fils Archie. Le rĂ©seau pĂ©dophile dâĂ©lite en Angleterre nâest hĂ©las pas un mythe. Dans les annĂ©es 80, on a entendu parler dâun rĂ©seau pĂ©dophile installĂ© par le MI6 au Kincora Boys Home, Ă Belfast. Peu aprĂšs, ce sont les orphelinats du Pays de Galles qui ont fait parler dâeux. Puis ceux de Londres, dEcosse, et finalement câest Jimmy Savile qui est tombĂ©. Aujourdâhui, les grandes manĆuvres continuent afin dâĂ©touffer le plus gros du scandale lâimplication de la famille royale dans ce rĂ©seau pĂ©dophile. On va donc parler de satanisme, de pĂ©docrIminalitĂ©, et dâune sombre affaire de cĂ©rĂ©monie qui a mal tournĂ© dans le sud de la France. En 2012, un certain Chris Jones affirme que ses deux frĂšres, Adrian et Leander, ont Ă©tĂ© assassinĂ©s parce quâils sâapprĂȘtaient Ă exposer le rĂ©seau pĂ©dophile dâĂ©lite, et notamment Margaret Thatcher. Chris Jones a expliquĂ© quâencore enfant, il a Ă©tĂ© forcĂ© Ă des relations sexuelles avec un juge de la Haute Cour, ou encore avec un flic. Jones dĂ©nonçait aussi John Allen, qui gĂ©rait un orphelinat dans le Nord du pays de Galles, oĂč nombre de scandales ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s rĂ©cemment. Adrian Johns avait Ă©tĂ© pensionnaire Ă Bryn Alyn, et, en 1992, il avait menacĂ© John Allen de le balancer sâil ne lui payait pas une compensation financiĂšre[1]. Il a Ă©tĂ© tuĂ© le 17 avril 1992 dans lâincendie criminel de sa maison. En 1995, Chris et Leander ont tĂ©moignĂ© contre Allen lors dâun procĂšs. Peu aprĂšs, Leander est mort dâune overdose. Allen a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 6 ans de prison en 1995 pour des agressions commises entre 1972 et 1983. Puis, lors de lâenquĂȘte Waterhouse sur les viols commis dans les orphelinats du Pays de Galles, il a de nouveau Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© en 2003, mais a finalement Ă©chappĂ© Ă 36 chefs dâaccusation pour des abus dans les homes dont il Ă©tait responsable. Il Ă©tait arrivĂ© dans le business des orphelinats au milieu des annĂ©es 60, aprĂšs avoir commencĂ© dans lâhĂŽtellerie, et, en 1969, il a ouvert la Bryn Alyn Community Residential Schools, une chaĂźne dâorphelinats et de foyers pour enfants. Le premier home » a fonctionnĂ© avec 11 personnes non formĂ©es Ă sâoccuper dâenfants. Ă un moment, Allen gĂ©rait une cinquantaine dâorphelinats dans le Nord du Pays de Galles et ailleurs, comme Londres et Brighton, et environ 500 enfants y seraient passĂ©s. Le business Ă©tait trĂšs rentable puisque, dans les annĂ©es 80, lâĂtat versait par an pour un enfant placĂ©[2]. Au milieu des annĂ©es 80, le chiffre dâaffaires Ă©tait dâenviron 2,8 millions de livres par an pour un bĂ©nĂ©fice de 80 Ă mais Allen touchait en 1988 pas moins de ÂŁ par an, possĂ©dant un yacht et diverses propriĂ©tĂ©s, notamment sur la CĂŽte dâAzur oĂč il possĂ©dait une villa revendue en urgence Ă En 1992, Allen a perdu ses agrĂ©ments et les Ă©coles ont fermĂ© en 1997, suite Ă une gestion calamiteuse et Ă des dettes importantes. 172 personnes avaient dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© victimes dans les orphelinats dâAllen. Evidemment, certains â 28 ont Ă©tĂ© finalement retenus â ont aussi dĂ©noncĂ© Allen comme Ă©tant un pĂ©dophile. Leander Jones Ă©tait lâune de ses victimes. Il est devenu prostituĂ© Ă Londres juste aprĂšs avoir quittĂ© le home. Ă 17 ans, il sâest ensuite rendu Ă Amsterdam. Il a tĂ©moignĂ© lors de la procĂ©dure contre Allen, mais il est mort dâune overdose avant le dĂ©but du procĂšs, en fĂ©vrier 1995. Comme par hasard, Allen a disparu de la circulation entre les dĂ©clarations de Leander et son dĂ©cĂšs, pour revenir comme une fleur nier en bloc Ă son procĂšs. Finalement, on nâa retenu contre Allen que des agressions sexuelles, mais pas de viols malgrĂ© les nombreux tĂ©moignages concordants. DĂ©jĂ en 1982, Allen avait Ă©tĂ© entendu par des policiers au sujet dâabus commis sur des enfants dans ses homes, mais cela nâa rien donnĂ©. Ă lâĂ©poque, une victime avait dit quâAllen lui donnait de lâargent pour quâil se taise. Logiquement, on peut se demander si les difficultĂ©s Ă©conomiques dâAllen nâĂ©taient pas directement liĂ©es aux chantages de ses victimes. Le rapport Lost in Care considĂ©rait quant Ă lui que les abus commis par Allen Ă©taient extensifs et rĂ©pĂ©tĂ©s. Il estime quâAllen entraĂźnait un comportement pĂ©dophile du personnel des homes. Des enfants Ă©taient envoyĂ©s dans des orgies, prostituĂ©s dans des hĂŽtels, menacĂ©s. Certaines victimes Ă©taient violĂ©es par les Ă©ducateurs et les responsables des orphelinats, mais aussi par les amis de ceux-ci. Ăvidemment, aucun signalement ni aucune plainte nâa abouti dĂšs que des pĂ©dophiles puissants, flics ou magistrats Ă©taient impliquĂ©s. Les rĂ©seaux pĂ©dophiles Franc Maçonniques DerriĂšre toute cette histoire, lâombre de la Franc Maçonnerie planait. MĂȘme si, comme toujours, on nâa officiellement rien trouvĂ©, nombre de protagonistes essentiels de lâenquĂȘte Ă©taient FM. Ă tel point que des victimes ont demandĂ© au tribunal quâon dresse une liste des magistrats, flics et autres intervenants appartenant Ă la franc-maçonnerie. Pourquoi ? Parce quâon craignait un Ă©touffement dans les rĂšgles, ce qui a dâailleurs Ă©tĂ© le cas. Il faut dire quâavec un Gerard Elias, membre de la loge Dinas Llandaff Ă Cardiff, juge Ă la haute cour qui dirigeait le tribunal, il pouvait difficilement en ĂȘtre autrement. Quant au chef de la police du nord du pays de Galles Ă lâĂ©poque des abus, Lord Kenyon, il Ă©tait Grand MaĂźtre provincial[3] et a Ă©tĂ© pris plus dâune fois Ă protĂ©ger ses camarades. Les enfants Ă©taient envoyĂ©s dans des hĂŽtels ou des villas pour y ĂȘtre violĂ©s par des pĂ©dophiles ayant un pouvoir dâachat certain. On sait aussi que divers pĂ©dophiles, comme un certain Gary Cooke, alias Reginald Cooke, avaient leurs entrĂ©es dans les homes dâAllen. Ledit Cooke, qui avait quittĂ© lâarmĂ©e en 1974, introduisait ensuite les enfants auprĂšs dâautres pĂ©dophiles. Un autre pĂ©dophile qui avait ses entrĂ©es chez Allen, Graham Stephens, avait mĂȘme emmenĂ© un jeune au Danemark fin 1972. On a aussi lâaffaire du massacre de Dunblane, en mars 1996, oĂč un tueur fou » et pĂ©dophile notoire est entrĂ© dans une Ă©cole pour massacrer 16 gamins et leur institutrice avant de se suicider; il avait Ă©tĂ© armĂ© grĂące Ă un permis dâarmes signĂ© par un franc-maçon devenu ensuite le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâOTAN, Lord Robertson. 26th May 2000NATO Secretary General, Lord Robertson, during an interview with the Glasgow Herald. Câest dâailleurs un franc maçon, Lord Burton, grand maĂźtre local, qui a dĂ©noncĂ© les protections incroyables dans cette histoire et a qualifiĂ© lâenquĂȘte de cover-up ». Burton dĂ©nonçait surtout lâappartenance de Lord Cullen, le haut magistrat qui a menĂ© une pseudo enquĂȘte sur ledit massacre, Ă la Speculative Society, liĂ©e Ă la FM, et dont certains membres violaient des enfants de lâĂ©cole Queen Victoria â Ă©cole pour les enfants de militaires, prĂ©sidĂ©e par le Duc dâEdimbourg câest-Ă -dire le prince Philip -, Ă©cole oĂč le tueur fou a justement traĂźnĂ© Ă une Ă©poque. Il nâempĂȘche que Cullen a Ă©tĂ© nommĂ© baron en 2003, probablement en rĂ©compense pour avoir protĂ©gĂ© ses camarades. Et ceci nâest quâune infirme partie des scandales pĂ©dophiles Ă©touffĂ©s au Royaume Uni. EN COMPLĂMENT le Premier ministre britannique Gordon Brown est un pĂ©dophile Dans les premiers mois de 2003, juste avant lâinvasion illĂ©gale de lâIrak, et travaillant conjointement avec un journaliste indĂ©pendant basĂ© Ă Londres, qui avait soigneusement vĂ©rifiĂ© les expositions publiĂ©es par le journal Ă©cossais Sunday Heraldâ, jâai publiĂ© les dĂ©tails dâun enfant. â alliance entre des ministres de premier plan au sein du gouvernement Blair. Jâai initialement publiĂ© mes conclusions, issues de fuites discrĂštes dâune liste secrĂšte fournie par le FBI amĂ©ricain au journal Sunday Times », et jâai dĂ©couvert concomitamment que Tony Blair avait Ă©mis un ordre dâĂ©touffement pour interdire toute discussion ultĂ©rieure sur un scandale qui aurait trĂšs certainement ont rapidement mis fin Ă son gouvernement et ont rendu impossible la collusion britannique dans la destruction de lâIrak. Les articles que jâai Ă©crits au sujet de lâopĂ©ration de dissimulation OpĂ©ration Minerai» et de lâinterdiction de 100 ans imposĂ©e au rapport concernant le massacre de Dunblane dâenfants utilisĂ©s et maltraitĂ©s par de hauts ministres du gouvernement travailliste Ă©cossais se trouvent toujours ici Cremation of Care The Nouvel ordre mondial et fusillades Ă Dunblane [2003] Des documents secrets de Dunblane contiennent des lettres de ministres conservateurs et du Travail. [2003] Tony Blair surpris en train de protĂ©ger lâanneau des pĂ©dophiles dâĂ©lite par Mike James [2003 janvier] Les prĂ©sumĂ©s pĂ©dophiles dirigent Blairâs War Room par MIKE JAMES [Media mars 2003] Les documents secrets de Dunblane contiennent des lettres de ministres conservateurs et du travail Ces histoires, qui impliquaient Ă©galement le procureur gĂ©nĂ©ral Lord Goldsmith, lâancien boss de lâOTAN, Lord Robertson, et le Svengali de Tony Blair et lâaccession au pouvoir de Gordon Brown, lâhomosexuel flamboyant Peter Mandelson aujourdâhui Lord Mandelson, ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©es sur Internet, Un dĂ©bat enthousiaste au sein de nombreux forums en ligne et a inspirĂ© lâancien parti Veritas de Robert Kilroy-Silk Ă entreprendre un examen approfondi de la mesure dans laquelle les ministres des plus anciens et des plus jeunes ministres proches de Gordon Brown Ă©taient autorisĂ©s Ă exercer librement des activitĂ©s pĂ©dophiles sous la protection du renseignement britannique. prestations de service. Lâhistoire incendiaire du Sunday Herald La pornographie infantile arrĂȘte trop lentementâ, 19 janvier 2003, Ă©crite par le correspondant de Home Affair, Neil Mackay, a rapidement disparu dâInternet quelques semaines aprĂšs mon exposition. Le rĂ©dacteur en chef de Mackay, Ă la premiĂšre coopĂ©rative, a par la suite refusĂ© de rĂ©pondre aux demandes de renseignements supplĂ©mentaires que lui ont adressĂ©es lui-mĂȘme et le journaliste indĂ©pendant Bob Kearley. Chaque lettre que jâai envoyĂ©e au Home Office britannique, Ă Scotland Yard et au Sunday Times ne sollicitait pas une seule rĂ©ponse. Lord Robertson, membre franc-maçon avouĂ© de la sinistre rĂ©sidence de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative» dâĂdimbourg, qui entretenait une relation personnelle particuliĂšrement Ă©troite avec Thomas Hamilton, le meurtrier de masse dâenfants maltraitĂ©s Ă Dunblane, nâa pas poursuivi le Sunday Herald en justice pour diffamation et a immĂ©diatement disparu. vie publique. Les archives de la police rĂ©vĂ©lĂšrent que Robertson avait contribuĂ© Ă accĂ©lĂ©rer le processus par lequel le candidat mandchou, Hamilton, dĂ©jĂ reconnu coupable dâagression sexuelle sur enfants et ayant des liens connus avec lâĂ©lite britannique, Ă©tait en mesure dâobtenir une licence dâarmes Ă feu. Roberston a travaillĂ© en collusion avec Michael Forsyth secrĂ©taire dâĂtat pour lâĂcosse, un franc-maçon spĂ©culatif», et Robert Bell, associĂ© de Malcolm Rifkind secrĂ©taire britannique aux Affaires Ă©trangĂšres. Robertson, Ă la demande de Tony Blair et de Gordon Brown, avait tout intĂ©rĂȘt Ă gaspiller» les enfants qui commençaient Ă parler. Le 13 mars 1996, Thomas Hamilton, un ancien dirigeant de scouts, entra dans lâĂ©cole primaire de Dunblane avec deux pistolets de 9 mm et deux revolvers .357 Magnum. Il a tuĂ© seize petits enfants et un enseignant. LâenquĂȘte policiĂšre subsĂ©quente rĂ©vĂ©la quâHamilton avait chargĂ© les chargeurs de son Browning dâune combinaison alternĂ©e de munitions Ă gaine entiĂšrement mĂ©tallique et Ă pointe creuse. Cet Ă©vĂ©nement horrible a conduit Ă lâinterdiction des armes de poing au Royaume-Uni. [Comme câest pratique.] Le juge qui a menĂ© lâenquĂȘte sur cette atrocitĂ©, au cours de laquelle deux enseignants ont affirmĂ© avoir vu un autre homme mystĂ©rieux guider» Hamilton sur les lieux, Ă©tait Lord Cullen. Cullen, Ă©galement membre de la Freemasonic Speculative Society et associĂ© aux personnalitĂ©s travailleuses de la mafia Ă©cossaise», telles que Lord Robertson, Tony Blair, John Reid et Gordon Brown, a Ă©tĂ© accusĂ© par des journalistes influents et par le personnel des services dâurgence dâavoir rĂ©ussi Ă dissimuler . Selon le journaliste Marcello Mega, dans The News of the World, 28 dĂ©cembre 2003 1. Un grand franc-maçon Ă©cossais, lâancien grand maĂźtre Lord Burton, a dĂ©clarĂ© que lâenquĂȘte de Lord Cullen sur le massacre de Dunblane Ă©tait une dissimulation. Lord Burton dit que lâenquĂȘte de Cullen a supprimĂ© des informations cruciales pour protĂ©ger des personnalitĂ©s juridiques de premier plan. 2. Ces personnalitĂ©s juridiques de haut niveau peuvent appartenir Ă un groupe secret de super-maçons» appelĂ© The Speculative Society. Lord Burton a dĂ©clarĂ© Jâai appris lâexistence dâun lien apparent entre des membres Ă©minents du pouvoir judiciaire impliquĂ© dans lâenquĂȘte et la sociĂ©tĂ© spĂ©culative secrĂšte. La sociĂ©tĂ© a Ă©tĂ© créée Ă lâUniversitĂ© dâEdimbourg par le biais de connexions maçonniques. cette route. » Lord Cullen et un certain nombre dâautres juges, shĂ©rifs et avocats seraient membres de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. 3. Certaines de ces personnalitĂ©s avaient des liens avec lâĂ©cole Queen Victoria oĂč le tireur Thomas Hamilton a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă se promener librement avant les atrocitĂ©s de 1996». 4. La police aurait enquĂȘtĂ© sur des allĂ©gations selon lesquelles des Ă©lĂšves de lâĂ©cole Queen Victoria auraient Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement emmenĂ©s et victimes dâabus sexuels. 5. Lâancien maĂźtre de maison Glenn Harrison a racontĂ© Ă News of the World comment il avait trouvĂ© Hamilton, 43 ans, rampant dans les dortoirs la nuit. Il a dit que Hamilton avait des liens Ă©troits avec un policier supĂ©rieur. Glenn nâa jamais Ă©tĂ© appelĂ© Ă tĂ©moigner lors de lâenquĂȘte Cullen. 6. Lord Burton a dĂ©clarĂ© Jâai essayĂ© Ă plusieurs reprises de soulever des prĂ©occupations au sujet de lâenquĂȘte au cours de mon sĂ©jour au sein des Lords, et jâai Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par de puissants pairs fidĂšles au gouvernement conservateur de lâĂ©poque, qui mâont averti des consĂ©quences dĂ©sastreuses si je continuais. de les embarrasser. » Selon cette source en cacheâ Lâami de Malcolm Rifkind et prĂ©sident du parti de sa circonscription Ă Edinburgh Edinburgh, Robert Bell, aurait dĂ©clarĂ©, le 23 mars 1996, Ă la premiĂšre page de lâEdinburgh Evening News, avoir vendu armes et munitions Ă Thomas Hamilton quelques semaines seulement avant le Dunblane massacre, et il aurait Ă©galement dĂ©clarĂ© quâil lui vendrait des armes Ă feu. 8. Glenn Harrison avait conservĂ© des dizaines de dossiers auprĂšs dâĂ©lĂšves allĂ©guant des brimades et des abus alors quâil Ă©tait Ă lâĂ©cole Queen Victoria School et avait Ă©crit aux parents pour les avertir des dangers en 1991 Cela a conduit Ă son Ă©viction de lâĂ©cole et quelques jours avant son dĂ©part, la police a perquisitionnĂ© son domicile et a confisquĂ© les fichiers. 9. Glenn dĂ©clare quâHamilton Ă©tait un ami de Ben Philip, maĂźtre de maison senior chez QVS. M. Philip est dĂ©cĂ©dĂ© en dĂ©cembre 1993, Ă lâĂąge de 46 ans, alors quâil Ă©tait tombĂ© dâune Ă©chelle alors quâil suspendait des dĂ©corations. Pour plus de prĂ©cisions sur la dissimulation de William Burns, voir la rĂ©f. 3. Alan Milburn, proche alliĂ© de Tony Blair, a Ă©galement dĂ©missionnĂ© de son poste de prĂ©sident du gouvernement travailliste peu aprĂšs que lâenquĂȘte anti-pĂ©dophile de Scotland Yard ait Ă©tĂ© rĂ©primĂ©e par lâadministration Blair, invoquant la nĂ©cessitĂ© de passer plus de temps avec ma famille. â. Pour une raison quelconque, lâenlĂšvement dâenfants Ă©cossais Ă des fins de viol et de meurtre, toujours Ă©troitement liĂ© Ă de hautes personnalitĂ©s politiques du parti travailliste, se poursuit sans relĂąche. [2006] Pressions exercĂ©es sur la police pour quâelle libĂšre un dossier relatif Ă un pĂ©dophile Bien que le rĂŽle prĂ©sumĂ© du Supremo Labor Peter Mandelson dans lâenlĂšvement de jeunes filles et de garçons pour le plaisir» des commissaires dâĂ©lite de lâUnion europĂ©enne Ă Bruxelles ait fait lâobjet dâintenses spĂ©culations bien avant la disparition de Madeleine McCann, je peux maintenant clore tout. spĂ©culation sur le nom du politicien le plus haut placĂ© et le plus haut placé» de Tony Blair, tombĂ© non seulement sous le contrĂŽle de Scotland Yard pour crimes contre les enfants, mais Ă©galement identifiĂ© par le FBI comme un membre actif de la filiĂšre pĂ©dophile dirigĂ©e par Thomas Hamilton . Ce nom mâa Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© pour la premiĂšre fois par Norman Lamont lors dâune soirĂ©e privĂ©e Ă Clapham en 1986, pĂ©riode au cours de laquelle jâai travaillĂ© comme scĂ©nariste pour la tĂ©lĂ©vision britannique. Lamont devint plus tard chancelier de lâĂchiquier sous lâadministration conservatrice de John Major. Ă la suite dâenquĂȘtes menĂ©es en 2003 par Bob Kearley et moi-mĂȘme, ce nom est apparu maintes et maintes fois, et jâai transmis les dĂ©tails au journaliste sur Internet Paul Joseph Watson. Gordon Brown, lâactuel Premier ministre britannique, est un pĂ©dophile pratiquant dont les activitĂ©s sont connues non seulement des services de renseignement britanniques, amĂ©ricains et israĂ©liens, mais Ă©galement de Rupert Murdoch et de son rĂ©dacteur en chef du Sunday Times. ââââââ Michael James, un patriote anglais, est un ancien journaliste indĂ©pendant basĂ© sur une liste noire et surveillĂ© rĂ©sidant dans une Allemagne occupĂ©e par les sionistes depuis 1992, avec des sĂ©jours de longue durĂ©e supplĂ©mentaires en Afrique de lâEst. , Pologne et Suisse. Il prĂŽne une rĂ©sistance sans chef pour dĂ©truire lâUnion europĂ©enne soviĂ©tique et travaille activement Ă la crĂ©ation dâune Angleterre libre et indĂ©pendante. ââââââ ââââââ RĂ©f. 1 [2003 janvier] Les prĂ©sumĂ©s pĂ©dophiles dirigent Blairâs War Room par MIKE JAMES RĂ©f. 2 [2003] Tony Blair surpris en train de protĂ©ger lâanneau des pĂ©dophiles dâĂ©lite par Mike James âââ- RĂ©f. 3 Remarque Perceptions » le courrier Ă©lectronique ci-dessous provient dâun contributeur de longue date. Cependant, le sujet â lâassassinat massif dâĂ©coliers par un pĂ©dophile rĂ©putĂ© avoir eu des amis au pouvoir â pourrait choquer certains. Objet VOMIT Burns / Date mardi 13 janvier 2004 150155 HNE / De VOMITUK Victimes de mauvais traitements maçonniques 10 janvier 2004 Avant-propos La sĂ©paration illĂ©gale de George Farquhar par le Royal Edinburgh Hospital au motif quâil accusait Cullen sur son site Internet dâune dissimulation maçonnique de pĂ©dophiles dans la haute sociĂ©tĂ© Ă©cossaise appelait Ă la radiation du Dr Chrichton du registre mĂ©dical le banc du shĂ©rif Lothian. Le mĂȘme abus de pouvoir et la corruption du processus psychiatrique par le Carstairs State Hospital visant Ă faire taire M. Arnold McCardle rĂ©clament des peines similaires Ă lâencontre des psychiatres et des juges impliquĂ©s dans lâaffaire McCardle. Carstairs a Ă©galement un autre mĂ©decin » favorable aux pĂ©dophiles qui fait lâobjet dâune enquĂȘte pour avoir utilisĂ© le titre de mĂ©decin ». William Burns 18, chemin Shore South Queensferry EH30 9SG TĂ©l 0131 331 1855 6 janvier 2004 Bryan McConachie Salle de soutien de lâĂ©quipe des pĂ©titions publiques Salle de la commission des pĂ©titions publiques SiĂšge du Parlement dâ Ădimbourg EH99 1SP Monsieur McConachie, PARLEMENT ĂCOSSAIS â DĂPĂT DES PĂTITIONS PUBLIQUES PE652 & PE685 Ă lâappui des preuves prĂ©sentĂ©es Ă la commission des pĂ©titions publiques relative aux pĂ©titions susmentionnĂ©es PE652 et PE685, vous trouverez ci-joint une copie dâun article de Marcello Mega qui a eu une signification sĂ©rieuse et qui a paru dans le News of the World le dimanche 28 dĂ©cembre 2003. Il renforce mon article du 9 novembre 2003 sur Marcello Mega, News of the World, soumis prĂ©cĂ©demment. , ainsi quâun article paru dans le Herald du mercredi 13 novembre 2003. Je mâexcuse si je parais trop pressant avec cette supplication, mais je suis sĂ»r que lâensemble du PPC en apprĂ©ciera lâĂ©normitĂ©, en particulier Ă la lumiĂšre des rĂ©vĂ©lations de Lord Burton dans News of the World. Lâarticle Nouvelles du monde Ă la recherche» de Marcello Mega, publiĂ© le 28 dĂ©cembre 2003, est rĂ©digĂ© textuellement ci-dessous. LâenquĂȘte sur le massacre de Dunblane constituait une dissimulation massive, a dĂ©clarĂ© de maniĂšre sensationnelle un franc-maçon Ă©cossais. Lâancien grand maĂźtre Lord Burton a dĂ©clarĂ© que lâenquĂȘte officielle de Lord Cullen avait supprimĂ© des informations cruciales afin de protĂ©ger des personnalitĂ©s juridiques de premier plan. Il dit quâils peuvent appartenir Ă un groupe secret de super-maçons » appelĂ© The Speculative Society. Certains avaient des liens avec lâĂ©cole Queen Victoria oĂč le tireur Thomas Hamilton avait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă se promener librement avant lâatrocitĂ© de 1996. [TUNBLANE SCHOOL KILLINGS] Et Lord Burton a rĂ©vĂ©lĂ© quâil avait Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par dâautres pairs lorsquâil avait tentĂ© de faire valoir ses prĂ©occupations Ă la Chambre des Lords. La nuit derniĂšre, lâaristocrate de 79 ans a dĂ©clarĂ© On ne peut Ă©chapper au fait quâil y a quelque chose de sinistre dans toute cette affaire. » Il a Ă©tĂ© incitĂ© Ă agir aprĂšs avoir lu dans le News of the World le mois dernier que la police enquĂȘtait sur des allĂ©gations selon lesquelles des Ă©lĂšves de QVS auraient Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement emmenĂ©s et victimes dâabus sexuels. LâenquĂȘte Cullen nâa pas permis dâenquĂȘter sur les raisons pour lesquelles le prĂ©sumĂ© pĂ©dophile Hamilton Ă©tait autorisĂ© Ă se promener dans lâĂ©cole Ă sa guise, organisant des camps et utilisant le champ de tir. Lâancien maĂźtre de maison Glenn Harrison nous a racontĂ© quâil avait mĂȘme trouvĂ© Hamilton, 43 ans, rampant dans les dortoirs la nuit. Il a ajoutĂ© que Hamilton, qui a assassinĂ© 16 Ă©lĂšves et un enseignant Ă lâĂ©cole primaire de Dunblane en 1996, avait des liens Ă©troits avec un grand policier. Glenn a dĂ©clarĂ© quâil Ă©tait consternĂ© de nâavoir jamais Ă©tĂ© appelĂ© Ă tĂ©moigner lors de lâenquĂȘte Cullen. Il a dĂ©clarĂ© JâĂ©tais lâun de ceux qui faisaient des histoires sur Hamilton bien avant quâil ne tue ces enfants, mais personne ne voulait Ă©couter. » Lord Burton lâa contactĂ© Ă son nouveau domicile dans les Ăźles Shetland, affirmant quâil pensait que Glenn nâĂ©tait pas appelĂ© Ă tĂ©moigner afin dâĂ©viter que les plus grands noms lĂ©gaux ne soient gĂȘnĂ©s. Le QVS est destinĂ© aux Ă©coliers des forces armĂ©es et entretient depuis longtemps des liens avec de hautes responsabilitĂ©s. son patron actuel est le duc dâĂdimbourg. Celui qui occupe le poste de secrĂ©taire dâĂtat pour lâEcosse devient prĂ©sident et le juge le plus ancien dâĂcosse, le Lord Justice-Clerk, devient commissaire. Lord Burton a dĂ©clarĂ© Ă lâĂ©poque, jâĂ©tais grand maĂźtre de la Grande Loge dâĂcosse et je suis conscient du fait que la plupart des thĂ©ories du complot autour de Dunblane tournent autour dâallĂ©gations de complot maçonnique. Cela me pose un problĂšme Jâai appris lâexistence dâun lien apparent entre des membres Ă©minents du pouvoir judiciaire impliquĂ© dans lâenquĂȘte et la sociĂ©tĂ© spĂ©culative secrĂšte, qui a Ă©tĂ© créée Ă lâUniversitĂ© dâEdimbourg par le biais de connexions maçonniques, aussi jâaccepte quâil puisse exister un lien. un maçon. Son grand-pĂšre Ă©tait. » Intervention du pĂ©titionnaire Thomas Hamilton sâest inscrit en tant que membre du Lodge Garrowhill Lanarkshire Middle Ward n ° 1413, Garrowhill Drive, Garrowhill, Glasgow, en 1977, annĂ©e de lâobtention du certificat dâarmes Ă feu. Sans aucun doute, ses dossiers le reliant Ă la franc-maçonnerie seraient dĂ©truits aprĂšs les atrocitĂ©s du 13 mars 1996.] Lord Cullen et un certain nombre dâautres juges, shĂ©rifs et avocats figurent parmi les membres actuels de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. Lord Burton essaie depuis des annĂ©es de faire la lumiĂšre sur les thĂ©ories du complot en usant de son influence Ă la Chambre des Lords jusquâĂ ce que les rĂ©formes lâaient empĂȘchĂ© de siĂ©ger Ă Westminster. Hier soir, il a dĂ©clarĂ© Jâai essayĂ© Ă plusieurs reprises de soulever des prĂ©occupations au sujet de lâenquĂȘte lors de mon sĂ©jour au sein des Lords, et jâai Ă©tĂ© intimidĂ© et menacĂ© par de puissants pairs fidĂšles au gouvernement conservateur de lâĂ©poque, qui mâont averti des consĂ©quences les embarrasser. » [Intervention du pĂ©titionnaire â rappelez-vous que Malcolm Rifkind Ă©tait secrĂ©taire aux affaires Ă©trangĂšres Ă lâĂ©poque â et ils ne sont pas beaucoup plus Ă©levĂ©s dans le gouvernement que celui-lĂ â et lâami de Malcolm Rifkind et son prĂ©sident dâalors, son parti dans sa circonscription Ă Edinburgh Pentlands, selon Robert Bell. Le 23 mars 1996, le journal Evening Evening du journal Edinburgh Evening News avait vendu des armes et des munitions Ă Thomas Hamilton quelques semaines seulement avant le massacre de Dunblane. Il aurait Ă©galement annoncĂ© quâil lui vendrait Ă nouveau des armes Ă feu. Jâai envoyĂ© cette information Ă Lord Cullen dans une lettre datĂ©e du 27 fĂ©vrier 2003, copie avec laquelle la commission des pĂ©titions publiques a Ă©tĂ© remise Ă PE652 en tant que preuve supplĂ©mentaire.] Mais en 1999, le pair dĂ©terminĂ© a insistĂ© et a posĂ© une question aux Lords qui rĂ©vĂ©laient que les documents de lâenquĂȘte avaient Ă©tĂ© bloquĂ©s depuis 100 ans. Parmi eux se trouvait un rapport de police rĂ©vĂ©lant quâHamilton avait Ă©tĂ© accusĂ© dâavoir abusĂ© sexuellement de garçons et que certains policiers lâavaient considĂ©rĂ© inapte Ă dĂ©tenir un permis dâarmes Ă feu. Lord Burton a ajoutĂ© Nous avons encore besoin de savoir pourquoi cela Ă©tait nĂ©cessaire. Qui protĂ©geait le secret? » Bien que la raison officielle soit de protĂ©ger les familles dâĂ©ventuelles victimes dâabus, il est inhabituel que des documents soient verrouillĂ©s sauf pour des raisons de sĂ©curitĂ© nationale. En juillet, Sandra Uttley, ambulanciĂšre de Dunblane, a racontĂ© Ă News of the World comment elle et son amie Doreen Hagger avaient rĂ©digĂ© un dossier de 50 points et 5 000 mots appelant Ă la levĂ©e du secret entourant la tragĂ©die. Ils ont affirmĂ© que des dizaines de questions Ă©taient restĂ©es sans rĂ©ponse et que des axes dâinvestigation cruciaux avaient Ă©tĂ© ignorĂ©s. Sandra, une ancienne ambulanciĂšre, a dĂ©clarĂ© Dâautres personnes pourraient faire lâobjet de poursuites. » Glenn Harrison avait gardĂ© des dizaines de dossiers auprĂšs dâĂ©lĂšves allĂ©guant des brimades et des abus pendant son sĂ©jour au QVS et avait Ă©crit aux parents pour les avertir des dangers en 1991. Cela lâavait conduit Ă ĂȘtre Ă©vincĂ© de lâĂ©cole et quelques jours avant son dĂ©part, la police avait fait irruption Ă son domicile. et confisquĂ© les fichiers. Lorsque Glenn a lu lâhistoire de Sandra, il est retournĂ© Ă la police â et cette fois, ils ont acceptĂ© de mener une enquĂȘte. Hier soir, il a dĂ©clarĂ© quâil avait Ă son tour Ă©tĂ© ravi de recevoir lâappel de Lord Burton ⊠Il a ajoutĂ© Je fais des bruits depuis des annĂ©es et je suis parfois dĂ©sespĂ©rĂ© et pense quâil est temps dâaccepter Mais je pense que nous devons Ă toutes les personnes qui ont Ă©tĂ© tellement touchĂ©es par les tueries de continuer Ă exiger des questions qui nâont jamais Ă©tĂ© posĂ©es. » Glenn nous a dit quâHamilton Ă©tait un ami de Ben Philip, le maĂźtre de maison senior de QVS. M. Philip est dĂ©cĂ©dĂ© en dĂ©cembre 1993, Ă lâĂąge de 46 ans, alors quâil Ă©tait tombĂ© dâune Ă©chelle alors quâil suspendait des dĂ©corations. Glenn a dĂ©clarĂ© CâĂ©taient des amis, Hamilton Ă©tait un visiteur rĂ©gulier de lâĂ©cole et on mâa prĂ©sentĂ© Ă lui. » Ben Philip Ă©tait un gars honnĂȘte, trĂšs confiant. Je pense quâil pensait que Hamilton et lui partageaient des intĂ©rĂȘts communs pour des activitĂ©s de plein air, et il ne pouvait pas voir que Hamilton avait un autre motif de vouloir frĂ©quenter lâĂ©cole. Hamilton gĂ©rait des camps dans lâenceinte de lâĂ©cole et utilisait librement le champ de tir. Il allait et venait Ă sa guise, presque comme sâil possĂ©dait cet endroit, et personne nâa jamais essayĂ© dâexpliquer pourquoi il avait une telle libertĂ©. Je suis toujours hantĂ©. par le souvenir de mon journal le 14 mars 1996 et la lecture de ce qui sâĂ©tait passĂ© Ă la Dunblane Primary School la veille. Je savais que le meurtrier devait ĂȘtre Thomas Hamilton. Il aurait dĂ» ĂȘtre arrĂȘtĂ©. » Des demandes ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© adressĂ©es Ă lâexĂ©cutif Ă©cossais pour enquĂȘter sur lâinfluence de la sociĂ©tĂ© spĂ©culative. Il a Ă©tĂ© formĂ© en 1764 Ă lâorigine des maçons et compte parmi ses membres les plus cĂ©lĂšbres Sir Walter Scott, Robert Louis Stevenson et Hugh McDiarmid. La Spec, comme on lâappelle, est dĂ©crite par ses membres comme un club de discussion. Ils se rencontrent dans des coffres aux chandelles en dessous du Old College de lâUniversitĂ© dâEdimbourg en hiver. Les membres potentiels sont normalement sollicitĂ©s alors quâils Ă©tudient encore Ă lâuniversitĂ©. Sa composition â qui Ă©tait secrĂšte il y a un an â se lit comme un Whoâs Who parmi les riches et les puissants dâĂcosse. Les militants Ă©taient dĂ©terminĂ©s Ă rĂ©vĂ©ler la composition de leurs membres au milieu des prĂ©occupations, souvent exprimĂ©es par des avocats chevronnĂ©s qui ne sont pas membres, de lâinfluence disproportionnĂ©e que la Spec aurait exercĂ©e. Une personnalitĂ© juridique qui a longtemps mĂ©fiĂ© de la Spec a dĂ©clarĂ© Les membres se moquent de la suspicion et disent quâil sâagit dâun club de dĂ©bat. Mais, Ă©tant donnĂ© que les membres sont choisis comme Ă©tudiants de premier cycle et quasiment sans exception, ils arrivent au sommet de leur carriĂšre , vous devez penser soit que ceux qui font le choix sont trĂšs astucieux pour repĂ©rer le potentiel, ou que lâaffiliation vous donne une longueur dâavance dans la vie. Je sais quelle option je privilĂ©gie. » Je serais trĂšs obligĂ© si vous pouviez rĂ©pondre dans les meilleurs dĂ©lais. Tenez-moi Ă©galement au courant de tout progrĂšs concernant le PE652, qui a Ă©tĂ© entendu il y a plus de deux mois, et toute date proposĂ©e pour lâaudition du PE685. SincĂšres salutations WILLIAM BURNS Ăditeur VOMIR UK Group Fax / TĂ©lĂ©phone 020 7727 5300 fichier-ID Lord Robertson, qui a Ă©tĂ© intimement impliquĂ© dans les Ă©vĂ©nements qui ont conduit au massacre et a ensuite disparu de la vie publique Lâaffaire Elm Guest House, ce bordel pour pĂ©dophiles puissants installĂ© au cĆur de Londres, en est un autre. Pourquoi ces Ă©touffements systĂ©matiques ? Parce que des noms de dĂ©putĂ©s, de juges, de ministres, de premiers ministres, et mĂȘme la famille royale sont citĂ©s par diverses victimes. On va parler de la famille royale anglaise, mais lĂ on va manquer de sources Ă©crites, Ă©videmment. La famille royale anglaise, une coterie nazie ? On ne va pas sâĂ©terniser longtemps sur cet aspect des choses, aujourdâhui trĂšs bien documentĂ©, nâen dĂ©plaise Ă certains propagandistes de lâHistoire officielle. On sait que les liens de la famille royale anglaise avec les nazis ont Ă©tĂ© trĂšs Ă©troits, et le sont probablement encore, si lâon en juge par le dĂ©guisement arborĂ© rĂ©cemment par le prince Harry. EN COMPLĂMENTAIRE NO 2 Le rĂ©seau pĂ©dophile dâĂ©lite Ă Londres avait des ramifications aux Pays Bas En Angleterre, on nâen finit pas de dĂ©couvrir de nouveaux pĂ©docriminels au sein des institutions, et jusquâau gouvernement. Pour lâinstant, si Downing Strret est dans le viseur, la famille royale est toujours prĂ©servĂ©e. Mais on apprend que le rĂ©seau implantĂ© Ă Elm Guest House nâĂ©tait quâune part de la nĂ©buleuse pĂ©docriminelle. Il y a une semaine, on apprenait quâun dĂ©putĂ© conservateur mort en 1995 Geoffrey Dickens, avait prĂ©venu le cabinet de Thatcher au sujet de lâĂ©touffement dâaffaires de rĂ©seaux pĂ©dophiles. Ce qui lui avait valu des menaces directes et des cambriolages dĂšs quâil a commencĂ© Ă Ă©voquer certaines personnes[1]. De 1981 Ă 1985, Dickens a tentĂ© dâalerter le Parlement sur un rĂ©seau pĂ©dophile qui faisait dans la diffusion de films pĂ©dopornos. Mais ces allocutions nâont eu aucun Ă©cho Ă lâĂ©poque. Pourtant, il avait carrĂ©ment citĂ© un certain Peter Hayman, diplomate et membre du MI6, comme Ă©tant un pĂ©dophile qui avait Ă©chappĂ© Ă des poursuites bien quâil se soit fait pincer avec du matĂ©riel pĂ©doporno. En 1983, Dickens a parlĂ© dâun rĂ©seau pĂ©dophile qui impliquait des personnalitĂ©s, des gens dans des positions de pouvoir, dâinfluence et qui ont des responsabilitĂ©s », personnalitĂ©s quâil a menacĂ© de balancer au Parlement. En 1984, Dickens demandait lâinterdiction du Paedophile Information Exchange PIE, une plateforme via laquelle les pĂ©dos sâĂ©changeaient photos, vidĂ©os et bonnes adresses[2]. On soupçonne aussi que le systĂšme servait Ă passer commande dâenfants. Dickens a aussi Ă©voquĂ© des viols dâenfants qui Ă©taient alors sous lâautoritĂ© locale de Leon Brittan. Dickens a dĂ©noncĂ© lâexistence de bordels dâenfants Ă Islington, dans la banlieue de Londres justement lĂ oĂč a vĂ©cu Tony Blair, et a prĂ©cisĂ© quâune quarantaine dâenfants Ă©taient victimes. Il a tout donnĂ© Ă Scotland Yard, qui nâa rien fait. En 1984 les flics Ă©taient vaguement en train dâenquĂȘter sur Elm Guest House, cette auberge chic Ă Londres, dans laquelle des enfants venus des orphelinats voisins Ă©taient viols sous lâĆil de camĂ©ras, par des dĂ©putĂ©s, juges et autres stars de la pop. Parmi les visiteurs dâElm Guest House, on a justement Sir Peter Hayman. . Finalement, lâenquĂȘte a tournĂ© court, de mĂȘme que celle de 2003. Et les autoritĂ©s chargĂ©es des foyers nâont jamais jugĂ© utile de mener dâenquĂȘte bien quâelles aient Ă©tĂ© alertĂ©es. Dickens avait aussi envoyĂ© une partie des documents relatifs Ă cette affaire Ă lâenquĂȘtrice Andrea Davison[3]. Mais, la police les a saisis en janvier 2010 par les flics du Pays de Galles. Andrea Davison a expliquĂ© quâĂ cette Ă©poque, les flics avaient trĂšs peur que le rĂ©seau pĂ©dophile des VIPsoit exposĂ© Ă cause des frasques de Savile. Elle explique aussi que Dickens avait donnĂ© le mĂȘme dossier Ă Leon Brittan, dont lâimplication nâĂ©tait pas Ă©tablie Ă lâĂ©poque, mais qui en rĂ©alitĂ© faisait partie des visiteurs dâElm guest House. Et Andrea Davison avait parlĂ© de Brittan avec Dickens au dĂ©but des annĂ©es 90, et Leon Brittan avait Ă©tĂ© citĂ© par un certain nombre de survivants. CâĂ©tait crucial pour le rĂ©seau pĂ©dophile de gagner la sympathie de personnes dans de hautes positions ». Il sâest dâailleurs avĂ©rĂ© que le dossier de 50 pages, remis en mains propres par Dickens en 1984, avait disparu du bureau de Brittan au ministĂšre des affaires intĂ©rieures home office. Quant au dossier de Dickens, il aurait Ă©tĂ© dĂ©truit par la famille Ă sa mort, car son Ă©pouse estimait que ledit dossier Ă©tait trop sensible pour le garder au domicile familial. Mais, des copies existent, reste Ă savoir oĂč elles se trouvent. DĂ©but fĂ©vrier, John Stingemore, ancien dirigeant du Grafton Close Home, lâorphelinat duquel venaient certains des enfants[4] exploitĂ©s Ă Elm Guest House et qui a fermĂ© depuis, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, de mĂȘme que le pĂšre Tony McSweeney qui Ă©tait, semble-t-il, un habituĂ© de la guest house. De fait, certains Ă©ducateurs du Grafton Close Ă©taient des pĂ©dophiles jamais inquiĂ©tĂ©s. Parmi eux, Neil Kier, qui chapeautait le home. Terry Earland, qui dirigeait quant Ă lui les services de lâenfance du comtĂ© de Richmond, oĂč se trouvait le Grafton Close, avait justement arrangĂ© le coup pour que Kier soit lâĂ©ducateur qui sâoccupe des enfants sortis de la Elm Guest House le jour de la seule et unique descente de police en 1982. Aujourdâhui, le mĂȘme Earland, qui est pourtant en bonne place dans le dossier dâenquĂȘte sur Elm Guest House, explique quâil a tentĂ© deux fois dâalerter ses collĂšgues et la police au sujet dâabus sexuels commis dans les orphelinats dont il avait la charge⊠Il a aussi expliquĂ© quâil avait Ă©tĂ© averti Ă lâavance de la descente dans la guest house par la police elle-mĂȘme. Dâailleurs, toutes les autoritĂ©s Ă©taient au courant, ce qui explique peut-ĂȘtre que lâendroit Ă©tait quasiment vide[5]alors que les flics sâattendaient Ă tomber sur une partouze avec une trentaine dâadultes. Pourtant, dans le quartier tout le monde savait trĂšs bien ce quâil se passait dans la guest house. On parlait de ces dĂ©putĂ©s et ces artistes qui quittaient le bordel la nuit, le pas rapide. On entendait les fĂȘtes qui sây dĂ©roulaient, on voyait les lumiĂšres⊠dâailleurs, ils nâont pas manquĂ© de sâen plaindre Ă leurs reprĂ©sentants Ă lâĂ©poque, mais aujourdâhui ces politiciens semblent atteints dâamnĂ©sie. Aujourdâhui, la police est forcĂ©e dâenquĂȘter, et en dĂ©cembre 2012, une douzaine de victimes âdes hommes- avaient dĂ©clarĂ© Ă la police quâils ont Ă©tĂ© violĂ©s par des hommes Ă Elm Guste House. On apprenait encore rĂ©cemment que, Peter Hatton-Bornshin, une victime qui a Ă©tĂ© placĂ© au Grafton Close Childrenâs home aprĂšs le suicide de sa mĂšre, disait avoir subi des viols rĂ©pĂ©tĂ©s alors quâil Ă©tait dans ce home. En 1994 Ă 28 ans, il sâest suicidĂ© par overdose de cocaĂŻne, trop marquĂ© par les sĂ©vices quâil avait subis dans son enfance. Il avait pourtant Ă©tĂ© reconnu comme victime et avait touchĂ© une forte compensation. Une autre victime a expliquĂ© aux flics que lorsquâil Ă©tait placĂ© Ă Grafton close dans les annĂ©es 80, il a Ă©tĂ© prostituĂ© Ă Elm Guest House oĂč de sfilms Ă©taient tournĂ©s, mais a aussi Ă©tĂ© envoyĂ© Ă Amsterdam, haut lieu de la pĂ©docriminalitĂ© Ă cette Ă©poque. Elm Guest House et les rĂ©seaux hollandais On a dĂ©jĂ dit que Elm Guest House Ă©tait liĂ©e au rĂ©seau Spartacus, qui faisait de la pub pour les partouzes quâon y organisait. Spartacus Ă©tait un guide pour pĂ©dophiles diffusĂ© dans 150 pays, qui donnait les bonnes adresses et mĂȘme des bons de rĂ©duction, et qui Ă©tait gĂ©rĂ©e par le pĂšre John Stamford. Et allez savoir pourquoi, il existe toujours. DâaprĂšs lâenquĂȘte dâune travailleuse sociale qui avait rencontrĂ© Carole Kasir, la propriĂ©taire dâElm Guest house Ă lâĂ©poque, Glencross Ă©ditait aussi la newsletter du groupe gay du parti conservateur[6], la CGHE Newsletter Conservative Gay Homosexual Equality, dans laquelle on trouvait des pubs pour Elm Guest House. DâaprĂšs la mĂȘme enquĂȘte, et dâaprĂšs lâOperation Fairbanks menĂ©e par la police, un autre visiteur dâElm Guest House Ă©tait George Tremlett, ancien chef du Conseil du grand Londres, ex journaliste et auteur, notamment dâune biographie de David Bowie. Il sây rendait souvent Ă lâĂ©poque oĂč les abus ont eu lieu. . A lâorigine, Elm Guest House Ă©tait une guest house normale. Puis elle est devenue un lieu de rencontres homosexuelles Ă lâinstigation de plusieurs personnes, dont John Rowe et le maquereau pĂ©dophile Terry Dwyer. Ce seraient Ă©galement eux qui auraient introduit Carole Kasir auprĂšs de Peter Glencross, ce curĂ© qui a hĂ©bergĂ© Hubert VĂ©drine et Ă©tait ami de son pĂšre. DâaprĂšs ce rapport, Glencross Ă©tait le business manager » du guide Spartacus. Lors dâune perquisition dans son presbytĂšre de Saint LĂ©ger des Vignes âcelui oĂč VĂ©drine a Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© quelques annĂ©es[7] plus tĂŽt et oĂč il vivait avec ses cinq fils adoptifs- au dĂ©but des annĂ©es 90, on a trouvĂ© une quantitĂ© de matĂ©riel pĂ©doporno[8] et de quoi faire des sĂ©ances photo. Câest un mois aprĂšs cette perquisition quâun autre curĂ© pĂ©dophile, le pasteur DoucĂ© », du Christ LibĂ©rateur, a Ă©tĂ© assassinĂ©, trĂšs probablement par la DGSE qui est venue le chercher chez lui on notera que DoucĂ© Ă©tait un ancien amant de Philippe Carpentier, pilier du CRIES dont on a dĂ©jĂ parlĂ©. Glencross a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© et est mort rapidement aprĂšs sa sortie en prĂ©ventive, dâune crise cardiaque. Apparemment, câĂ©tait DoucĂ© qui distribuait les photos prises par Glencross dans son studio. John Rowe Ă©tait un pĂ©dophile qui organisait des voyages aux Pays bas pour les membres du Monday Club, un groupe de dĂ©putĂ©s Ă lâaile droite du parti conservateur[9], et dont certains membres figuraient sur la liste des visiteurs dâElm Guest House. Il Ă©tait indiquĂ© MI5 » en face de son nom sur la liste des invitĂ©s dâElm Guest House, en relation avec un certain Russell Howard Tricker, ancien prof dâanglais condamnĂ© pour pĂ©dophilie devenu chauffeur pour un tour opĂ©rateur pour pĂ©dophiles anglais Ă destination des Pays Bas, oĂč il sâest rĂ©fugiĂ© aprĂšs sa condamnation en Angleterre Ă la fin des annĂ©es 80. DâaprĂšs lâenquĂȘte de Marcel Vervloesem, de lâassociation belge Morkhoven[10], transmise Ă la police, il transportait des enfants depuis lâAngleterre jusquâau Pays Bas grĂące Ă de faux passeports probablement obtenus grĂące Ă ses contacts Ă lâambassade dâAngleterre aux Pays Bas, afin de les envoyer dans des bordels. En 1995, il a pris 15 mois de prison pour trafic dâimages pĂ©dopornos, et a Ă©tĂ© condamnĂ© avec une dizaine dâautres personnes, puis a repris ses activitĂ©s en trouvant des appartements Ă Amsterdam pour des pĂ©dophiles en goguette. La bande rencontrait des enfants Ă Amsterdam et les embarquait pour des partouzes filmĂ©es. On peut aussi noter que John Stamford a Ă©tĂ© virĂ© des Pays Bas en 1988 pour y avoir vendu des vidĂ©os pĂ©dopornos, et sâest alors rĂ©fugiĂ© en Allemagne oĂč les lois Ă©taient plus laxistes en la matiĂšre. Stamford a aussi Ă©tĂ© condamnĂ© en Belgique, oĂč il Ă©tait venu prendre sa retraite Ă cĂŽtĂ© dâAnvers, aprĂšs que lâAllemagne ait renforcĂ© ses lois en matiĂšre de pĂ©docriminalitĂ©. Dans un reportage anglais, des journalistes infiltrĂ©s qui sâĂ©taient vus proposer deux garçons Ă Manille par Stamford quâon appelait lâange des bidonville », ont filmĂ© le curĂ© alors quâil disait si vous ĂȘtes discrets, je vous garantis que vous aurez autant de garçons que vous voulez aux Philippines ». En outre, quatre associations suisses de dĂ©fense des enfants le poursuivaient aussi Ă la fin des annĂ©es 90. Enfin, Ă Amsterdam Tricker faisait partie de ce groupe dâanglais qui organisaient un rĂ©seau pĂ©dophile avecWarwick Spinks, quâon ne prĂ©sente hĂ©las plus. Dans ce groupe et Ă©galement arrĂȘtĂ© en 1995, Derek Brown, qui avait parlĂ© dâun snuff movie qui nâĂ©tait autre que celui du meurtre de Jason Swift en 1985, pour lequel une bande de marginaux a Ă©tĂ© condamnĂ©e. Brown a Ă©tĂ© condamnĂ© aux Pays Bas en 1989 pour production de films pĂ©dos avec des enfants hollandais et marocains, et Ă©tait ami avec Mark Enfield, qui aurait Ă©tĂ© complice du meurtre de Jason Swift mais nâa jamais Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ©. On reviendra trĂšs vite sur cette affaire Jason Swift, qui est loin dâĂȘtre claire. Quant Ă Warwick Spinks, on peut dire quâil a beaucoup voyagĂ© jusquâĂ son arrestation en 2012 auretour de RĂ©publique TchĂšque, quâil est impliquĂ© dans le pĂ©doporno y compris des snuff movies, et quâil est devenu trĂšs riche. A Amsterdam, il traĂźnaitdans des bars gays oĂč on fournissait aussi des enfants, et Ă©tait en contact avec Ă©normĂ©ment de pĂ©dophiles venus dâAngleterre ou mĂȘme dâAutriche,comme un certain RenĂ© Osterwalder, mĂ©decin suisse Ă©migrĂ© Ă Amsterdam, qui voulait prendre des enfants roumains pour les massacrer dans des snuff movies[11]. Il a ensuite montĂ© ses propres bordels, oĂč on vendait des enfants derriĂšre le comptoir ». Spinks Ă©tait au croisement de plusieurs rĂ©seaux, dont celui de Zandvoort, via ses contacts avec Norbert de Rijke et Lothar Glandorf. Ensuite, Dwyer et un certain Barry Haddon ont transformĂ© la guest house en bordel pour pĂ©dophiles. Pendant ce temps, on apprend que Haroun Kasir, lâex mari de Carole Kasir et propriĂ©taire de la guest house, se prĂ©pare Ă quitter lâAngleterre pour rejoindre son fils aux Etats Unis. On apprend aussi que le conseil de Richmond a prĂ©fĂ©rĂ© payer un arrangement Ă lâamiable avec une victime qui a portĂ© plainte plutĂŽt que de risquer un procĂšs, et cela avec lâargent des contribuables. Apparemment, dâautres poursuites au civil ont eu lieu. Enfin, certains sont en train de ressortir la liste des enfants disparus dans ce coin de Londres Ă lâĂ©poque dâElm Guest House. Un ado de 15 ans, martin Allen, a disparu le 5 novembre 1979, et en 1981 câest le jeune Vishal Mehotra qui disparaĂźt. A Elm Guest House, plusieurs types avaient le profil pour commettre ces enlĂšvements,comme Anthony Milsom, qui frĂ©quentait la guest house. Il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă vie en 2011 pour avoir violentĂ© et violĂ© une enfant mais trois mois plus tard en appel sa sentence a Ă©tĂ© rĂ©duite Ă 3 ans et demi. il Ă©tait rĂ©cidviste et avait aussi Ă©tĂ© condamnĂ© dans les annĂ©es 90, pour le viol dâune enfant entre ses 4 et ses 8 ans et avoir fait des photos. La liste Liste des visiteurs dâElm Guest House rĂ©alisĂ©e suite Ă des entretiens avec Carole Kasir, qui a voulu parler aprĂšs quâon ait commencĂ© Ă lâaccuser dâavoir violĂ© ses propres enfants Stuart Bell, fournissait des garçons, connaissait Dwyer. Ancien dĂ©putĂ©, mort en octobre 2012. Il a commencĂ© sa carriĂšre politique au dĂ©but des annĂ©es 80. Il a aussi Ă©tĂ© porte parole pour lâIrlande du Nord de 1984 Ă 1987. En 2006, Bell est devenu chevalier de LĂ©gion dHonneur en France, par Chirac[12]. En 2011, Bell sâest pris une volĂ©e dâĆufs dans la figure. Câest le pĂšre dâun gamin violĂ© qui avait demandĂ© en vain de lâaide Ă Bell qui a envoyĂ© les Ćufs. Le pĂšre avait trouvĂ© son fils inconscient, et un type avait Ă©tĂ© condamnĂ©, mais le pĂšre de famille pensait que ce nâĂ©tait pas le bon coupable. Guy Blackburn-Hamilton fils du prĂ©sident dâune compagnie dâhĂ©licoptĂšres, il a fait de la prison pour une histoire de drogue au dĂ©but des annĂ©es 80. Un jour un des hĂ©licos de son pĂšre a amenĂ© Leon Brittan, alors aux Affaires intĂ©rieures, Ă la guest house pour quâil passe quelques heures avec un garçon. Anthony Blunt, agent double du MI5 et des soviĂ©tiques, proche de la famille royale. Quand il a Ă©tĂ© dĂ©couvert, il a balancĂ© des collĂšgues agents doubles afin que ses activitĂ©s restent secrĂštes. Mais, on peut se demander pourquoi le MI5 lâa recrutĂ© en 1939 alors que les sympathies de Blunt pour les communistes Ă©taient connues[13]. Puis Thatcher le balance en plein parlement en 1979 ? et Blunt perd son titre de noblesse ! Il est mort en 1983, au moment de lâaffaire Elm Guest House. Il Ă©tait aussi cousin de la mĂšre dâElisabeth II et son pĂšre travaillait pour lâambassade dâAngleterre Ă Paris. Blunt a aussi traĂźnĂ© du cĂŽtĂ© du Kincora Boys Home Ă Belfast, oĂč les services secrets exploitaient un bordel pour pĂ©dos afin de compromettre diverses personnalitĂ©s. DâaprĂšs certains, Blunt aurait contribuĂ© Ă Ă©touffer les affaires concernant Jimmy SavileâŠ.encore lui. Sir Peter Bottomley. DĂ©putĂ© conservateur et membre du Monday Club. Il a servi dans lâadministration Thatcher aux Transports et Ă lâEmploi, puis en Irlande du Nord. Il a Ă©tĂ© prĂ©sident de la Church of Englandâs Childrenâs Society et a Ă©tĂ© membre du comitĂ© politique de One Parent Families, et Ă©tait membre de la commission ecclĂ©siastique. En 1984 il devient membre du gouvernement Thatcher, notamment Ă lâEmploi puis aux routes et transports, et en 1989 il arrive en Irlande du Nord. Sa femme Virginia est lâune des dirigeantes de la London School of Economics, et en 1988 elle entre au gouvernement, comme sous secrĂ©taire Ă lâenvironnement. Elle est aussi membre de la trĂšs atlantiste Fondation Dichtley. Le cousin de Virginia Ă©tait ambassadeur aux Etats Unis Ronald Brown, dĂ©putĂ© travailliste mort en 2002, visiteur dâElm Guest House et impliquĂ© dans lâopĂ©ration Fairbanks, au sujet de ladite guest house. Peter Brooke dĂ©putĂ© conservateur, il a servi dans les cabinets de Thatcher et de John Major. Il a fait ses Ă©tudes Ă Harvard aux USA et est le fils dâun secrĂ©taire aux affaires intĂ©rieures. En 1987 il Ă©tait prĂ©sident du parti conservateur et en 1989 il devient secrĂ©taire dâEtat pour lâIrlande du Nord il y reste jusquâen 1992, qui semble dĂ©cidĂ©ment une destination trĂšs prisĂ©e des pĂ©dophiles du gouvernement anglais, mĂȘme si Ă cette Ă©poque, le Kincora Boys Home Ă©tait dĂ©jĂ fermĂ©. Il a Ă©tĂ© anobli en 2001. Lord Leon Brittan, ex ministre de Thatcher, visiteur rĂ©gulier dâElm Guest House. En 1989, il quitte la politique nationale aprĂšs avoir Ă©tĂ© anobli, pour devenir commissaire europĂ©en au commerce et aux affaires extĂ©rieures ainsi que vice prĂ©sident de la commission europĂ©enne en 1995 dans la commission Santer, qui a du dĂ©missionner en 1999 pour une histoire de corruption. En 2000 il est nommĂ© baron, et est aussi vice prĂ©sident dâUBS AG Investment bank, directeur non exĂ©cutif dâUnilever et membre du conseil international de Total. En 2010, il est retournĂ© au gouvernement comme conseiller au commerce jusque dĂ©but 2011. Il Ă©tait le bras droit de Thatcher lors de sa privatisation du pays Ă marche forcĂ©e. Tout au long de sa carriĂšre, il a Ă©tĂ© sous le coup dâaccusations de pĂ©dophilie, comme dans les annĂ©es 80 avec lâaffaire des orphelinats du Pays de Galles. En tant que home secretary », câest-Ă -dire les affaires intĂ©rieures, il a forcĂ©ment Ă©tĂ© mis au courant des scandales de rĂ©seaux pĂ©dophiles ainsi que de leur Ă©touffement systĂ©matique. Apparemment, la police sâest rendue chez lui Ă la fin des annĂ©es 80 aprĂšs avoir trouvĂ© dans sa rue un garçon Ă moitiĂ© nu qui leur a dit avoir Ă©tĂ© violĂ© par Brittan et ses amis et les a amenĂ©s jusque chez lui. Mais aucune suite nâa Ă©tĂ© donnĂ©e Ă cette affaire. Peter Campbell, prof Ă la Reading University, membre du Monday Club, il a aussi créé le LGBTory en 1975. Ce groupe est revenu en 1991 sous le nom de TORCHE Tory Campaign for Homosexual Equality.Câest lui qui a insĂ©rĂ© les pubs dâElm Guest House dans la newsletter du groupe gay du parti conservateur. DC Chris Carter, conseil de Richmond Jess Conrad, ex Pop Star, acteur et chanteur. Chris Denning, ex DJ, notamment Ă la BBC oĂč il Ă©tait collĂšgue de Savile et de Gary Glitter, et pĂ©do reconnu puisquâil a Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© pour la premiĂšre fois en 1974 pour des attouchements. Il a ensuite fait 18 mois de prison en 1985 pour la mĂȘme raison, et encore en 1988, quand il a fait 3 ans de prison pour avoir abusĂ© dâun garçon de 13 ans et pour possession de pĂ©dopornographie. Denning a Ă©tĂ© grillĂ© comme membre dâun rĂ©seau pĂ©dophile basĂ© dans une boĂźte disco pour les jeunes dans le Surrey. Dâautres membres Ă©minents Ă©taient Tom Paton, le manager des Bay City Rollers, ou Jonathan King, un chanteur et producteur qui a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă nouveau en 2000 pour des agressions sexuelles sur des garçons commises entre 1983 et 1989. Denning a du ĂȘtre extradĂ© de RĂ©publique TchĂšque pour comparaĂźtre Ă son procĂšs. En 2008 il a Ă©tĂ© expĂ©diĂ© en Slovaquie oĂč il vivait pour faire face Ă des accusations de production de pĂ©dopornographie, et a pris quatre ans de prison. Peter Dolphin ce serait un faux flic de Scotland Yard avec une solide rĂ©putation de pĂ©dophile. Il aurait Ă©tĂ© poursuivi pour la dĂ©tention dâune collection de pĂ©dopornographie. DâaprĂšs le dossier, Dolphin serait un acteur qui serait chargĂ© chez les flics de sâoccuper des questions de ponrographie enfantine. Terry Dwyer, proxĂ©nĂšte impliquĂ© avec Barry Haddon dans un rĂ©seau pĂ©dophile, pour lequel ils auraient mĂȘme créé un bordel. Dwyer Ă©tait aussi informateur des flics. Parmi leurs clients, Louis Minster le directeur des services sociaux du coin, Colin Peter, Donald South, directeur de lâĂ©ducation Ă Wandsworth, et une partie des enfants Ă©taient fournis par Niel Kier du Grafton Close Childrens Home. Steve Everett, travailleur social Ă Westminster Tom William Field travailleur social Peter Glencross, Ă©diteur de la newsletter du Monday Club et trafiquant de films pĂ©dophiles. Barry Haddon fournisseur dâenfants et de matĂ©riel pĂ©doporno, notamment pour Harvey Proctor. Guy Hamilton Blackwell, fils du president de Westland Helicopters Charles Irving, dĂ©putĂ© conservateur Ă tendance trĂšs nationaliste et membre du Monday Club. Nul Ă lâĂ©cole, il a repris la chaĂźne dâhĂŽtels familiale et sâest lancĂ© en politique Ă la fin des annĂ©es 40. Une fois dĂ©putĂ© dans les annĂ©es 80, il a fondĂ© la National Association for the Care and Resettlement of Offenders Association nationale pour lâaide et la rĂ©insertion des dĂ©linquants et aussi, Ă©trangement, la National Victims Association, probablement pour mieux canaliser et museler lesdites victimes, notamment en dĂ©veloppant la mĂ©diation » et le pardon. Accessoirement, il Ă©tait connu comme Ă©tant homosexuel. Peter Johnson mĂ©decin et visiteur dâElm Guest House ainsi que du bordel de Dwyer et Haddon. Alan Jones Colin Jordan, ex leader du National Front et qui avait aussi créé la White Defense League en Dior, Françoise, fasciste notoire, lâa Ă©pousĂ© en 1963, ce qui facilitera grandement le financement dâune sorte dâinternationale nĂ©o fasciste. Françoise Dior travaillait Ă lâĂ©poque pour la World Union of National Socialists WUNS, dirigĂ© par Lincoln Rockwell, le chef de lâAmercian Nazi party. Dior a beaucoup sillonnĂ© lâEurope pour le compte de Jordan. Niel Kier travailleur social qui Ă©tait responsable du Grafton Close Home, oĂč il a violĂ© des enfants et quâil a quittĂ© pour lancer ensuite une maison dâenfants handicapĂ©s. Kier Ă©tait trĂšs probablement lâun de ceux qui fournissaient les enfants pour les partouzes de la guest house. R Langley, de Buckingham Palace DC David Lines, conseil de Barnes Maurice McCall probablement lâun de ceux qui fournissaient les enfants. On disait quâil pouvait livrer un enfant en lâespace de deux heures, et que sâil nâen avait pas en stock il en kidnappait dans les rues. Sheila McInnes Stan Matthews qui tenait le Monday Club de Londres et vivait apparemment du trafic de pĂ©doporno. Il a sĂ©journĂ© Ă la Guest house et aurait Ă©tĂ© lâami de Haddon. WPC Elizabeth Meredith Richard Miles, du Monday Club Anthony Milton pĂ©dophile notoire, plusieurs fois condamnĂ© depuis les annĂ©es 90. Louis Minster, directeur des Services sociaux de Richmond depuis 1975, oĂč Ă©tait le Grafton Close Home. Pourtant, il a dĂ©clarĂ© rĂ©cemment au magazine Exaro quâil nâavait jamais entendu parler dâElm Guest house, contrairement Ă son collĂšgue Terry Earland. Ralph Morris un visiteur dâElm Guest House dont le nom a Ă©tĂ© dĂ©voilĂ© dĂ©but mars. Des documents saisis dans le cadre de lâopĂ©ration Fernbridge ont montrĂ© que Morris Ă©tait un visiteur rĂ©gulier dâElm Guest House. A lâĂ©poque, il dirigeait lâĂ©cole privĂ©e spĂ©ciale de Castle Hill Ă Ludlow, quâil avait ouverte en 1981 avec un associĂ©. LâĂ©cole, destinĂ©e Ă des enfants ayant des problĂšmes de comportement, a fermĂ© en 1991 aprĂšs que Morris ait Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 12 ans de prison pour avoir violĂ© une quinzaine de garçons ĂągĂ©s de 11 Ă 16 ans. Mais au total, ce sont 44 garçons qui ont dĂ©noncĂ© des viols commis par Morris. Le conseil local payait Morris entre et par an pour chaque enfant placĂ© dans son Ă©tablissement qui rĂ©alisait plus de de bĂ©nĂ©fice chaque annĂ©e, sur le dos dâenfants placĂ©s et sur celui des contribuables. Pour choisir ses victimes, Morris prĂ©fĂ©rait les enfants qui avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© violĂ©s, qui Ă©taient les plus perturbĂ©s, ou ceux dont les parents Ă©taient totalement absents. Morris se serait suicidĂ© en prison en 1996. Donald Naismith, en charge de lâEducation au conseil de Richmond. Il a ensuite fait une brillante carriĂšre dans le secteur de lâĂ©ducation oĂč il a contribuĂ© Ă mener les grandes rĂ©formes libĂ©rales sous Thatcher. Colin Peters, avocat au ministĂšre des Affaires EtrangĂšres, il fournissait des enfants Ă des clients. Il a Ă©tĂ© envoyĂ© en taule en 1989 pour avoir participĂ© Ă un rĂ©seau pĂ©docriminel qui a abusĂ© de centaines dâenfants. Son arrestation a fait suite Ă un dâenquĂȘte dans le cadre de lâOperation Hedgerow, portant sur les accusations de 150 enfants. ce rĂ©seau fournissait des enfants Ă diverses personnalitĂ©s. Certains enfants, dont lâune des victimes dâElm Guest House, ont dit quâils avaient Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă Amsterdam pour y ĂȘtre violĂ©s dans des bordels ou dans des villas, par des politiciens notamment. DĂ©jĂ Ă lâĂ©poque de lâopĂ©ration Hedgerow, Elm Guest House donc, mais aussi le Grafton Close Children home avaient Ă©tĂ© citĂ©s. Mais, il semble que les flics nâont pas eu le temps dâinvestiguer plus dâun an sur cette affaire, par exemple sur la piste hollandaise. Plusieurs enfants ont citĂ© Colin Peters comme un pĂ©dophile qui venait rĂ©guliĂšrement Ă Elm Guest House, oĂč il tournait des films pĂ©dopornographiques. Ils ont dit avoir Ă©tĂ© droguĂ©s, et beaucoup venaient dâĂ©coles pour enfants difficiles. Peters a pris 8 ans y compris pour avoir tentĂ© de corrompre le tribunal en 1989 et ses films ont Ă©tĂ© saisis. Depuis, on nâen a plus entendu parler. Ont Ă©tĂ© condamnĂ©s avec lui Alan Delaney, un dirigeant dâentreprise qui passait pour le cerveau de la bande, Victor Burnett et Ernest Whittington. On aurait pu aller beaucoup plus loin avec ce rĂ©seau, et mĂȘme les flics ont toruvĂ© els condamnations particuliĂšrement clĂ©mentes. De fait, le rĂ©seau Delaney Ă©tait probablement connectĂ© avec le rĂ©seau dâun Italien appelĂ© Moncini, tombĂ© en 1988, et qui procurait des enfants pour des partouzes satanistes. Harvey Proctor, dĂ©putĂ© et membre du Monday Club. En 1986, sa carriĂšre politique a pris fin quand un magazine a publiĂ© des dĂ©clarations selon lesquelles Proctor avait battu des prostituĂ©s ĂągĂ©s de 17 Ă 21 ansdans son appartement de Londres. A cette Ă©poque, les relations homosexuelles nâĂ©taient autorisĂ©es quâĂ partir de 21 ans. Il sâen est tirĂ© avec dâamende. Apparemment, il sâest vite refait, et en 2004 il rĂ©gnait sur le chĂąteau de Belvoir, un chĂąteau de 365 chambres quâon peut rĂ©server pour des soirĂ©es privĂ©es ou des sĂ©minaires. Il y occupe le poste de secrĂ©taire privĂ© du duc et de la duchesse de Ruthland. Patrick Puddles qui dâaprĂšs Carole Kasir lui aurait mis la pression. Il tenait un magasin Ă Richmond et apprĂ©ciait les sĂ©ances photos dans le jacuzzi dâElm guest House, avec des enfants bien sur. Cliff Richard, Pop Star, connu Ă Elm Guest House sous le pseudo de âKittyâ. John Rowe, membre du MI5 et ancien dĂ©putĂ© Ă lâĂ©poque des faits. DâaprĂšs Carole Kasir, câest lui et Terry Dwyer qui lâont persuadĂ©e de transformer la guest house en bordel homo puis pĂ©dophile. Câest aussi le duo Rowe â Dwyer qui aurait prĂ©sentĂ© Carole Kasir au pĂšre Glencross, qui gĂ©rait le magazine Spartacus. Ce qui laisse penser que le MI5 nâĂ©tait pas Ă©tranger Ă la mise en place de ce rĂ©seau pĂ©dophile basĂ© Ă Elm Guest House. Jimmy Savile il Ă©tait un grand ami dâHaroun Kasir et venait rĂ©guliĂšrement Ă la Elm Guest House. PC Roderick Smeaton Cyril Smith, ancien dĂ©putĂ© libĂ©ral de Rochdale mort en 2010, impliquĂ© aussi dans lâaffaire des orphelinats du Pays de Galles et de Jersey avec Jimmy Savile. En fait, la police savait dĂ©jĂ 7 ans avant quâil ne soit Ă©lu dĂ©putĂ© en 1965 que Smith Ă©tait un pĂ©dophile. Deux sources lâont identifiĂ©comme un visiteur rĂ©gulier dâElm Guest house, notamment aux partouzes organisĂ©es chaque mois. JusquâĂ ce quâil casse des WC et refuse de rembourser, si bien quâil aurait Ă©tĂ© exclu de la guest house. RĂ©cemment, les flics ont admis quâils ont laissĂ© de cotĂ© trois opportunitĂ©s dâenvoyer Smith en prison pour des viols de mineurs[14]. Un dossier le concernant et que la police a dit avoir perdu est dĂ©sormais entre les mains du MI5 qui nâen fera probablement rien de plus. Tout au long de sa carriĂšre, les rumeurs comme quoi il aimait les enfants nâont cessĂ© dans les rues de Rochdale. DĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre, il sâest rapprochĂ© du domaine de lâenfance, prenant en charge les activitĂ©s des jeunes, les Ă©coles⊠Il a aussi créé un foyer pour les garçons de familles dĂ©favorisĂ©es, approchait les parents et disait que leur fils serait mieux dans le foyer. FinancĂ© avec lâargent public et avec des donations privĂ©es de businessmans du coin ou du Rotary Club, la Cambridge House a ouvert en 1962. Smith avait son propre jeu de clĂ©s et Ă©tait lĂ -bas, chez lui. Warwick Spinks hĂ©las on ne le prĂ©sente plus, mais il fait la connexion avec les rĂ©seaux hollandais au moins autant que Glencross ou Stamford. John Stingemore, qui Ă©tait donc le responsable du Grafton Close Childrenâs Home au jusquâen 1981. Travailleur social des services de Richmond, il avait Ă©tĂ© poursuivi et arrĂȘtĂ© dans les annĂ©es 80 pour des abus sur des enfants. Il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en fĂ©vrier en mĂȘme temps que le pĂšre Tony McSweeney, dans le cadre de lâopĂ©ration Fernbridge. DC Ron Thornton, conseil de Richmond George Tremlett, ancien leader du Conseil du grand Londres Gary Walker, du Sinn Fein parti nationaliste irlandais pourtant opposĂ© radicalement Ă lâAngleterre. Il aurait plusieurs pseudonymes, dont celui-lĂ . Ron Wells, Musicien connu Ă Elm sous le pseudo de âGladysâ. Il sâagit trĂšs probablement de Ronnie Wells, qui a commencĂ© sa carriĂšre Ă la fin des annĂ©es 50 alors quâil Ă©tait enfant. PC Chris Wicks Ray Wire, celui-lĂ est intĂ©ressant câest un expert en thĂ©rapies pour les enfants, mort en 2008. Il passe pour avoir Ă©tĂ© un pionnier dans le traitement » des dĂ©linquants et criminels sexuels notamment via des sĂ©ances de masturbation, et avait créé Ă cet effet la Gracewell Clinic. Il passait trĂšs souvent dans les mĂ©diaspour donner son avis au sujet des pĂ©dophiles, et conseillait aussi la police et les tribunaux. Bizarrement, il a appuyĂ© les propos dâenfants Ă©voquant des abus sexuels rituels et il a listĂ© des symptĂŽmes que prĂ©sentent les victimes. Il a aussi fait la liste des comportements que prĂ©sentent selon lui les dĂ©linquants et criminels sexuels. Evidemment, cette nomenclature exclut le profil de pĂ©dos quâon trouvait par exemple Ă Elm Guest House. [1] Dickens a aussi expliquĂ© quâon avait retrouvĂ© son nom sur la liste noire dâun tueur Ă gages. [2] Le PIO a Ă©tĂ© créé par Peter Righton, expert anglais de la protection de lâenfance, et le trĂ©sorier Ă©tait Charles Napier. Une descente a eu lieu chez Righton de son vrai nom Paul Pelham en 1992, et on a retrouvĂ© des films pĂ©dopornos souvent hard core, tournĂ©s Ă Amsterdam ainsi que toute une correspondance avec des pĂ©dos Ă travers le monde, qui prouvaient quâil avait exploitĂ©, violĂ© et prostituĂ© des enfants. Pour cela, Righton a pris 900ÂŁ dâamende. On a aussi appris que lâamant de Righton tenait une Ă©cole pour enfants Ă©motionnellement perturbĂ©s. Quant Ă Napier, il avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© condamnĂ© 1972 pour des abus sexuels sur mineur, puis est allĂ© en SuĂšde en 1978 oĂč il a Ă©tĂ© enseignant, puis il a quittĂ© le pays pour devenir prof dâanglais au Caire. LĂ , il sâest vantĂ© de pouvoir envoyer des vidĂ©os par valises diplomatiques anglaises. Napier a aussi contribuĂ© Ă crĂ©er une Ă©cole en Turquie⊠En 1995, il fait 15 mois de prison pour un viol commis dans les annĂ©es 80. Righton, en tant que chef de lâĂ©ducation en Angleterre, a mĂȘme pris sa dĂ©fense en 1972 pour dire que Napier nâĂ©tait plus un risque pour les enfants, et mĂȘme quâil Ă©tait un bon prof ! [3] Celle-ci a travaillĂ© pour les renseignements britanniques, avant de retourner sa veste et de dĂ©noncer lâexistence dâun rĂ©seau pĂ©dophile dâĂ©lite impliquant des politiciens de premier plan, et dont les victimes provenaient souvent dâorphelinats. Elle a Ă©tĂ© poursuivie pour recel de documents et a subi de nombreuses procĂ©dures si bien quâelle a demandĂ© lâasile politique aux Etats Unis. [4] Au moins sept garçons. [5] Seul un ado de plus de seize ans, deux flics soi disant sous couverture et les patrons de la guest house Ă©taient lĂ ce jour-lĂ . [6] Qui comptait 171 membres en 1983. [7] Lorsque VĂ©drine a Ă©tĂ© parachutĂ© par Mitterrand dans la NiĂšvre et quâil lui fallait une adresse, pour la campagne de 1977. A ce sujet, VĂ©drine a Ă©crit dans Les Mondes de François Mitterrand » Mais comment, lui demandai-je [Ă Mitterrand], ĂȘtre candidat dans une commune oĂč je ne connaissais personne ? Il allait sâen occuper, me dit-il, en me mettant en contact avec des amis, les Maringe, qui me mettraient Ă leur tour en relation avec le curĂ© de Saint-LĂ©ger-des-Vignes, le pĂšre Glencross, un anglais original Ă©chouĂ© dans le Nivernais depuis la guerre, adorĂ© de ses paroissiens et trĂšs proche des animateurs de la jeune Ă©quipe socialiste, Robert BillouĂ© et Guy Leblanc. Ainsi fut fait ». VĂ©drine a ensuite gagnĂ© les Ă©lections, de mĂȘme quâen 1983 et 1989. [8] Cela, en lien avec le rĂ©seau appelĂ© Toro Bravo, quâon nâa jamais dĂ©couvert totalement. Le rĂ©seau a refait parler de lui en 1996, aprĂšs quâon ait trouvĂ© des vidĂ©os sur lesquelles apparaissaient des membres du rĂ©seau qui ont Ă©tĂ© laissĂ©s tranquilles. 72 arrestations sâen suivirent, dont celle de Bernard Alaptetite, rĂ©alisateur de films pĂ©dopornos, en lien avec un autre rĂ©seau appelĂ© Ado 71 », dans lequel on a comptĂ© plus de 800 perquisitions, 686 interpellations, 103 mises en examen et 15 suicides. Des clients de Toro bravo avaient aussi chez eux la revue Spartacus. La plupart ont eu du sursis et Ă©taient amnistiables un an plus tard. Michel Caignet, un nĂ©o nazi pĂ©dophile qui fournissait des cassettes pĂ©dopornos, proche de DoucĂ© et des rĂ©seaux Gladio, faisait partie de ce rĂ©seau. Il organisait aussi des tournages depuis la Colombie avec des mineurs. LĂ -bas, il collaborait avec Jean-Manuel Vuillaume, prof Ă Paris VIII en technique vidĂ©o, qui tenait un bordel Ă Bogota. Caignet a dit quâil achetait des vidĂ©os pĂ©dopornos Ă Vuillaume pour Ă par original. [10] Association qui a dĂ©couvert les CD Roms dits de Zandvoort, dans lesquels on a plus de images dâenfants victimes de sĂ©vices. LâenquĂȘte a Ă©tĂ© Ă©touffĂ©e dans certains pays et nâa mĂȘme pas dĂ©marrĂ© dans dâautres, comme la France. On se rappelle notamment du substitut Yvon Tallec dĂ©clarant au JT de 20 heures quâil fallait minimiser » la portĂ©e de ces CD et donc de tout le rĂ©seau qui se trouve derriĂšre, et jâespĂšre pouvoir revenir sur ce sombre personnage trĂšs bientĂŽt. [12] Le fait que Bell soit un pĂ©dophile notoire nâa probablement pas Ă©tĂ© un frein pour cette LĂ©gion d honneur, bien au contraire. [13] Certains disent que câest Ted Rothschild qui lâavait recommandĂ©, et Ted Rotschild Ă©tait un espion Ă la solde dâIsraĂ«l. [14] Barry Fitton, une de ses victimes, a dĂ©clarĂ© quâon ne lâavait jamais cru quand il avait parlĂ© des viols commis par Smith. Alan Neal, une autre victime de Smith dans les annĂ©es 60, a dit que certaines de ses victimes sâĂ©taient donnĂ© la mort Ă force de passer pour des menteurs. Neal a Ă©tĂ© violĂ© et frappĂ© par Smith quand il avait 11 ans et quâil Ă©tait dans un foyer en 1964. En 1969, une enquĂȘte portait sur les accusations de huit garçons du Cambridge House Hostel créée par Smith Ă Rochdale ont dĂ©noncĂ© des viols commis par Smith entre 1961 et 1969. En 1997, une nouvelle victime de Smith parle aux flics de viols commis Ă Cambrige House entre en 1965 et 1968 et en 1999 ce sont de nouveaux viols, commis entre 1962 et 1965 qui sont dĂ©noncĂ©s. Il nây a jamais eu aucune poursuite. Lord Mountbatten et la reine Elisabeth II. Edward VIII Dans la famille royale aussi, on dĂ©couvre quelques nazis. Comme le Prince Charles Edward, un duc de Saxe Cobourg Gotha et petit fils prĂ©fĂ©rĂ© de la reine Victoria[4], qui est passĂ© pour un traĂźtre en Angleterre durant la premiĂšre guerre mondiale et a rejoint le parti nazi dĂšs sa crĂ©ation. En 1936, Hitler lâa envoyĂ© en Angleterre pour devenir le prĂ©sident de lâAnglo German Friendship Society afin de dĂ©velopper les relations entre les deux pays, et lâa aussi nommĂ© prĂ©sident de la Croix Rouge Allemande. On a aussi Ădouard VIII, qui a carrĂ©ment donnĂ© Ă Hitler les plans de dĂ©fense de la France avant le dĂ©but de la deuxiĂšme guerre. Charles Edward sâest rapprochĂ© de lui par le biais de son association, mais, pas de chance, Edouard VIII a du abdiquer juste avant la guerre. Quant Ă Philip, ses quatre sĆurs sont mariĂ©es Ă des princes allemands aux sympathies nazies. Lâun dâeux Ă©tait Colonel dans la SS, attachĂ© au service personnel dâHimmler. La mĂšre dâElisabeth II sâĂ©tait dâailleurs opposĂ©e au mariage de sa fille avec ce prince allemand. Tout cela est prouvĂ© par les archives et les recherches des historiens, mais il ne faut pas oublier que ce fut un grand tabou durant 60 ans. Philip nâa commencĂ© Ă parler de ses connexions nazies que quand le feu a Ă©tĂ© allumĂ©, pour mieux noyer le poisson. Câest lâoncle de Philip, George van Battenberg, frĂšre de Louis Montbatten, qui fut son reprĂ©sentant lĂ©gal. Lord Mountbatten Lord Mountbatten Il est considĂ©rĂ© comme le mentor du prince Charles, aprĂšs avoir Ă©tĂ© celui du prince Philip. Amiral de la navy, il Ă©tait aux premiĂšres loges pour organiser le trafic de drogue entre lâAsie du sud est et lâEurope. Mountbatten Ă©tait le frĂšre de la reine de SuĂšde, lâoncle du prince Philip, et les deux portent comme vrai nom celui de Battenberg, anglicisĂ© en Mountbatten. Mountbatten, tout comme Edward Heath, a Ă©tĂ© reliĂ© Ă lâaffaire du Kincora Boys Home, un orphelinat oĂč il est avĂ©rĂ© que le MI5 a Ă©laborĂ© un rĂ©seau pĂ©dophile destinĂ© Ă compromettre diverses personnalitĂ©s. Des enfants du Kincora Boys Home Ă©taient emmenĂ©s dans un chĂąteau au centre de lâIrlande, qui appartenait Ă la famille du fondateur du Hellfire Club, un groupuscule Ă©litiste fondĂ© Ă la fin du XVIIIĂšme. Certains orphelinats du pays de Galles servaient Ă©galement au MI5 pour filmer des diplomates Ă©trangers dans des positions plus que compromettantes. On sait aussi que câest Mountbatten qui a permis Ă Savile dâĂȘtre le premier civil Ă ĂȘtre dĂ©corĂ© du bĂ©ret vert », une distinction militaire, en 1966. On prĂȘte souvent une relation homosexuelle Ă Mountbatten et Edward VIII, qui Ă©taient cousins. Il est mort en 1979 dans lâexplosion de son bateau qui a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă lâIRA parce quâest pratique, mais plusieurs thĂ©ories circulent notamment vers la piste des services secrets. Accessoirement, il Ă©tait avec un garçon de 15 ans, Paul Maxwell, sur le bateau au moment de lâexplosion. Porphyrie La porphyrie du grec porphyra qui signifie violet est une maladie du sang trĂšs rĂ©pandue dans les familles royales europĂ©enneset chez les tsars russes, oĂč la consanguinitĂ© est quasiment la rĂšgle. On nous explique que cette maladie, qui se prĂ©sente sous diffĂ©rentes formes, a entraĂźnĂ© le mythe de Dracula car les personnes atteintes de porphyrie sont obligĂ©es de rĂ©gĂ©nĂ©rer leur sang, soit par dialyse, soit en en buvant. On peut ajouter quâĂ force de se dĂ©foncer Ă la coke synthĂ©tique du matin au soir, le sang de certaines personnes est tellement pourri quâils doivent boire du sang neuf dĂšs le matin au petit dĂ©jeuner[5]. Ca peut paraĂźtre incroyable, mais câest vrai. Le dĂ©bat fait rage et les familles royales, notamment celle dâAngleterre, nient absolument ĂȘtre victimes de cette maladie, comme on le soupçonne chez leurs ancĂȘtres Georges III et Mary Stuart. Charlotte, petite fille de la Reine Victoria, avait aussi la porphyrie, de mĂȘme que sa mĂšre Vicky ou le cousin de la reine Elisabeth, William de Gloucester. Câest certainement un hasard si le prince Charles a dĂ©clarĂ© en octobre 2011 quâil Ă©tait un descendant de Dracula par sa grand-mĂšre, la reine Marie. Sauf que Dracula nâest pas un mythe, pas plus que le fait de boire du sang ou de se protĂ©ger de la lumiĂšre du jour. Et quel est le sang le plus recherchĂ© ? Celui des enfants Blancs, Ă©videmment. La famille royale, une clique pĂ©dophile La famille royale anglaise est surtout, comme tous les dirigeants des pays dĂ©veloppĂ©s et probablement des autres pays aussi, vĂ©rolĂ©e jusquâĂ la moelle par ses comportements pĂ©docriminels. Pourquoi ? Parce que, comme tous nos dirigeants, la famille royale anglaise est sataniste. Ă ce titre, elle est forcĂ©ment pĂ©dophile. On pourrait ajouter que la reine dâAngleterre comme ses descendants sont cocaĂŻnĂ©s jusquâaux yeux, et consomment plusieurs kilos de cocaĂŻne pure chaque mois. On sait par exemple que deux anciens premiers ministres, Harold Wilson et Edward Heath, pratiquaient les sacrifices dâenfants, qui sont incontournables pour un bon sataniste bien tarĂ©. Heath, qui apprĂ©ciait beaucoup les virĂ©es Ă Jersey, aurait ainsi tuĂ© plusieurs enfants. On le retrouve aussi du cĂŽtĂ© de Belfast, au Kicora Boys Home, directement liĂ© au groupuscule satanique le Hellfire Club, et aussi du cĂŽtĂ© dâElm Guest house. En 2008, câest un majordome de Buckingham Palace et ancien marine, Paul Kidd, qui sâest fait coincer pour des viols commis sur des mineurs durant 30 ans, alors quâil travaillait pour la famille royale. Bien sĂ»r, aucun lien nâa Ă©tĂ© fait entre le rĂ©seau pĂ©dophile mis en place par Kidd et la famille royale. Une de ses victimes a expliquĂ© que, alors quâil avait 14 ans, Kidd lâa invitĂ© Ă prendre le thĂ© en compagnie de la reine Ă la fin des annĂ©es 70. En 1999, une enquĂȘte internationale appelĂ©e Operation Ore a menĂ© Ă des arrestations, notamment aux Pays Bas et en Angleterre, et les policiers ont pu Ă©tablir des liens entre des pĂ©dophiles du Labour prĂ©sents au gouvernement et du trafic dâenfants dans un but de prostitution en Belgique et au Portugal[6]. Blair a eu tellement chaud aux fesses quâil a imposĂ© aux mĂ©dias de ne citer aucun nom[7]. Quant Ă Savile, il ne fait dĂ©sormais plus aucun doute quâil sâadonnait Ă des cĂ©rĂ©monies sataniques. On sait quâil fournissait des enfants au gouvernement, notamment Ă Jersey oĂč un tĂ©moin lâa vu faire monter un enfant sur le yacht dâEdward Heath, alors premier ministre. Ce nâest pas pour rien que le dĂ©putĂ© Tom Watson a demandĂ© une enquĂȘte sĂ©rieuse au sujet dâ un rĂ©seau pĂ©dophile puissant liĂ© au Parlement et Ă Downing Street ». Plusieurs Ă©lĂ©ments corroborent ce penchant de la famille royale, notamment Jimmy Savile La star de la BBC Ă©tait le fournisseur dâenfants pour les cercles fermĂ©s de la famille royale et du gouvernement. Il avait accĂšs Ă de nombreux orphelinats comme celui de Jersey par exemple, mais aussi Ă des pensionnats de jeunes filles, Ă des hĂŽpitaux psychiatriques dont il avait toutes les clĂ©s et oĂč il Ă©tait mĂȘme hĂ©bergĂ©[8], et pouvait se fournir en enfants nâimporte oĂč et nâimporte quand. Savile, qui cumule aujourdâhui plus de 450 plaintes, a Ă©tĂ© introduit auprĂšs du Prince Charles par Lord Mountbatten au dĂ©but des annĂ©es 70, soit une dizaine dâannĂ©es aprĂšs les premiĂšres plaintes dâabus sexuels contre Savile, en 1964. Le prince Charles et Jimmy Savile Ensuite, Savile est carrĂ©ment devenu un proche conseiller de Charles, donnant son avis sur la nomination dâun assistant, ou mĂȘme sur lâorganisation de son mariage. Au palais, Savile se comportait normalement, câest-Ă -dire comme un chien en rut. Certains considĂšrent aussi que lâĂ©mission dĂ©bile de Savile, Jimâll fix it 1975 â 1994, nâavait pour but que de faciliter lâaccĂšs du prĂ©dateur aux enfants. Ajoutons, quâen plus dâĂȘtre pĂ©dophile, Savile se livrait Ă des pratiques nĂ©crophiles[9] ainsi quâĂ des pratiques sataniques, ce qui est dĂ©crit dans plusieurs tĂ©moignages de victimes. Ce nâest probablement pas pour rien que le corps dâune jeune femme a Ă©tĂ© retrouvĂ© juste devant chez lui le matin du 5 fĂ©vrier 1977. Dâailleurs, les liens dâamitiĂ© de Savile avec le tueur en sĂ©rie Peter Sutcliffe qui a avouĂ© le meurtre, et leur proximitĂ© gĂ©ographique avant que Sutcliffe ne soit envoyĂ© dans lâun des hĂŽpitaux du circuit de Savile â Broadmoor -, posent aussi question. Le neveu de Savile, Guy Mardsen, a expliquĂ© il y a quelques mois comment son oncle lâemmenait dans des partouzes avec des types puissants, et comment il lui demandait de trouver dâautres enfants plus jeunes pour amuser la clique. Lâaffaire des enfants volĂ©s dans un orphelinat indien du Canada Un massacre de dizaines de milliers dâenfants autochtones abusĂ©s et torturĂ©s par des pervers. Jâai dĂ©jĂ abordĂ© cette affaire dans un article consacrĂ© au gĂ©nocide des Indiens du Canada, notamment en envoyant leurs enfants dans des orphelinats tenus par lâĂglise, de vĂ©ritables mouroirs dans lesquels opĂ©raient des rĂ©seaux pĂ©dophiles. Pour rĂ©sumer, trois survivants de ces orphelinats ont dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© tĂ©moins de lâenlĂšvement dâune dizaine dâenfants par la Reine dâAngleterre. Lors dâune visite royale en octobre 1964 dans lâun de ces orphelinats Ă Kamloops, en Colombie Britannique, on a prĂ©sentĂ© les enfants Ă la reine et au prince Philip qui lâaccompagnait. Le premier de ces tĂ©moins est mort rapidement aprĂšs avoir parlĂ©, et le dernier survivant, William Combes, est mort en fĂ©vrier 2011, avant dâavoir pu tĂ©moigner au procĂšs qui a valu notamment une condamnation Ă 25 ans de prison pour le pape et la reine dâAngleterre. Au passage, le dĂ©cĂšs de Combes ressemble beaucoup Ă un assassinat, selon certains, comme Kevin Annett qui a enquĂȘtĂ© sur le sujet. LâĂ©cole Ă©tait tenue par lâĂglise catholique, et les enfants y Ă©taient systĂ©matiquement torturĂ©s, certains Ă©taient mĂȘme tuĂ©s, comme ce fut le cas dans une bonne partie de ces residential schools ». Le jour de la visite royale, certains enfants ont eu le privilĂšge de pique-niquer avec la reine et Philip, ainsi que quelques prĂȘtres. Combes, qui avait 12 ans Ă lâĂ©poque, se souvient Je me rappelle que câĂ©tait bizarre, parce quâon a tous du baiser les pieds de la reine, qui avait des chaussures blanches Ă lacets ». AprĂšs un moment, la reine a quittĂ© le pique nique avec dix enfants de lâĂ©cole, sept garçons et trois filles ĂągĂ©s de 6 Ă 14 ans, et ces enfants ne sont jamais revenus », dit encore le tĂ©moin dans sa dĂ©position officielle le 3 fĂ©vrier 2010, on nâa plus jamais entendu parler dâeux et on ne les a jamais revus, mĂȘme quand nous Ă©tions plus ĂągĂ©s ». La condamnation rĂ©cente de la Reine dâAngleterre â de mĂȘme que du pape â par un tribunal canadien pour crimes contre lâhumanitĂ© On parle du massacre des indiens du Canada, envoyĂ©s dans des orphelinats tenus par lâĂglise qui Ă©taient transformĂ©s en vĂ©ritables bordels. On estime avoir totalement perdu la trace de enfants, en plus de ceux dont on sait quâils y sont morts. Ce verdict est intervenu le 25 fĂ©vrier 2013 aprĂšs un mois de dĂ©libĂ©ration par plus de trente jurĂ©s qui ont examinĂ© 150 cas dâabus sexuels et maltraitances dans ces orphelinats. BenoĂźt XVI a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 25 ans de prison, mais comme il a dĂ©missionnĂ© pile au bon moment et quâil est ĂągĂ©, il pourrait passer entre les mailles du filet. La reine dâAngleterre va-t-elle aussi dĂ©missionner, comme la Reine Beatrix qui vient de le faire, ou le roi des Belges Albert II qui a lui aussi le feu aux fesses avec des dossiers de pĂ©docriminalitĂ© et sâapprĂȘte Ă faire de mĂȘme ? Ces condamnations â ils ont tous pris 25 ans, et encore, ce nâest pas cher payĂ© â sont le fruit dâune centaine dâannĂ©es de combat des indiens du Canada pour faire reconnaĂźtre le massacre dont ils ont Ă©tĂ© victimes. La parole sâest libĂ©rĂ©e rĂ©cemment, au cours des annĂ©es 90, et des centaines de personnes se sont mobilisĂ©es pour accumuler des preuves de ces ignominies sans nom. Lâaffaire chĂąteau templier en 2001 Lâaffaire est trĂšs grave, et a Ă©tĂ© couverte principalement dans le but de faire chanter les coupables. En 2001, dans le sud de la France, trĂšs probablement dans les Alpes Maritimes, et trĂšs probablement entre la mi-mai et la mi-aoĂ»t, la France a connu une affaire qui a fait jaser dans les services secrets, mais que le bon peuple ignore totalement, hĂ©las. Chaque annĂ©e, une grande cĂ©rĂ©monie satanique est organisĂ©e dans un chĂąteau templier prĂšs de Cagnes sur Mer, par et pour la famille royale anglaise. Le gratin sataniste anglais se devait dây ĂȘtre prĂ©sent, y compris de nombreux membres du MI5 et du MI6. Le programme, câest des orgies, des tortures, des meurtres dâenfants et dâadultes en quantitĂ©. Pour cela, il fallait de nombreuses proies, qui Ă©taient enfermĂ©e dans les sous-sols oĂč avaient Ă©galement lieu les rituels. PrĂ©cisons que tout le monde Ă©tait complĂštement dĂ©foncĂ©, voire Ă moitiĂ© hypnotisĂ©, et que des jeux de rĂŽle mĂ©langeaient encore les choses davantage. Le truc, câest quâen 2001, de nombreuses victimes se sont Ă©chappĂ©es[10]. Ce qui a provoquĂ© une vĂ©ritable panique dans la campagne environnante et lâintervention de la gendarmerie française. Celle-ci a ensuite fait venir lâarmĂ©e anglaise afin dâexfiltrer des membres de la famille royale, au moins William et Philip, en les cachant avec des sacs de pommes de terre qui les couvraient jusquâĂ la taille[11]. De cette maniĂšre, ni les flics français ni les militaires anglais prĂ©sents ne savaient qui avait Ă©tĂ© sorti discrĂštement du chĂąteau et mis Ă lâarriĂšre dâun van. Tout aurait Ă©tĂ© pour le mieux si des services Ă©trangers nâavaient pas mis la main sur des vidĂ©os rĂ©alisĂ©es lors des rituels dans le chĂąteau. La CIA et le Mossad ont ainsi leurs exemplaires, et il semble que des copies soient en vente un peu partout dans le monde. Apparemment, plusieurs satanistes anglais sont sous le coup de chantage qui leur coĂ»tent trĂšs cher depuis cette affaire. [1] De fait, Allen a expliquĂ© au procĂšs quâil avait versĂ© entre 7 et Ă Leander et Adrian. [2] Les enfants les plus difficiles rapportant davantage, Allen en prenait bien au-delĂ des capacitĂ©s dâaccueil de ses homes. Idem pour les placements en urgence. Selon la mĂȘme logique financiĂšre â quâon retrouve Ă©videmment en France avec toutes ces associations privĂ©es qui se gavent sur le dos des enfants tout en conseillant aux tribunaux⊠de placer les enfants -, les enfants restaient la plupart du temps entre deux et trois ans dans les homes dâAllen. [3] Son fils Thomas a mĂȘme Ă©tĂ© voir un pĂ©dophile emprisonnĂ© dans cette affaire pour lui demander de ne pas balancer le rĂ©seau et quâil interviendrait pour lui auprĂšs de son pĂšre. Il Ă©tait pĂ©dophile â ce que les policiers savaient parfaitement, pourtant sa victime prĂ©fĂ©rĂ©e nâa pas Ă©tĂ© protĂ©gĂ©e, bien au contraire â et est mort du SIDA en 1993. [4] Câest la reine Victoria qui a dĂ©cidĂ© dâenvoyer son petit fils en Allemagne et quâil deviendrait duc de Saxe Cobourg Gotha, la principautĂ© allemande dâoĂč venait son mari le prince Albert. Ă 16 ans il est devenu Carl Eduard, possĂ©dant 13 chĂąteaux en Allemagne et en Autriche etc. Il sâest mariĂ© avec une fille du Kaiser et a combattu lâAngleterre durant la premiĂšre guerre, si bien quâil a perdu tous ses titres anglais en 1918. [5] La prise de certaines drogues telles que la cocaĂŻne, dont raffole toute la famille royale anglaise, peut dĂ©clencher une porphyrie latente ou empirer la maladie. [6] Des enfants de la Casa Pia, cet orphelinat portugais qui servait Ă fournir des partouzes pĂ©dophiles en enfants, Ă©taient embrigadĂ©s dans ce rĂ©seau. [7] Ce qui a permis Ă lâun de ses assistants, Philip Lyon, de ne pas ĂȘtre inquiĂ©tĂ© avant 2003, quand il sâest fait pincer pour avoir tĂ©lĂ©chargĂ© des images pĂ©dophiles. [8] Savile avait son appartement Ă lâhĂŽpital Stoke Mandeville et aussi Ă Broadmoor, pour lequel il avait lancĂ© une collecte de fonds. Il se rendait seul Ă la morgue de lâhĂŽpital, ce qui laisse dĂ©sormais songeur. Il avait aussi toutes les clĂ©s de Broadmoor â hĂŽpital psychiatrique -, oĂč plusieurs viols ont Ă©tĂ© commis. [9] Ce qui Ă©tait dâautant plus facile pour lui quâil avait accĂšs aux morgues des hĂŽpitaux prĂ©citĂ©s, notamment. [10] Actuellement, je ne sais pas si câest lâune des victimes qui est parvenue Ă faire sortir les autres, ou si câest un service Ă©tranger qui leur a permis de sortir, mais je penche pour la deuxiĂšme solution. [11] Il paraĂźt quâon a appelĂ© cette opĂ©ration lâopĂ©ration SPUDNIKS, du nom dâune marque de chips. Alexis Cossette-Trudel de Radio-QuĂ©bec sâentretient avec un reprĂ©sentant de la communautĂ© kabyle au QuĂ©becâŠVous serez surpris Adil Charkaoui ,Ă gauiche,est lâexemple le plus dangereux qui menace la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise. Personne nâest rĂ©ellement propriĂ©taire au Canada, mĂȘme si votre terrain et votre propriĂ©tĂ© est payĂ©e en totalitĂ© vous ĂȘtes sur les terres de la reine et câest la raison pour laquelle vous devrez toujours payer des taxes. Sa MajestĂ© devant accumulation de lâor pillĂ© sur le dos des peuples au fil des siĂšcles! En Tant que sujet de Sa MajestĂ©, vous devez vous soumettre Ă ses ordres et caprices si non les Useful Idiots Ă son service vous inventeront une dette en bonne et due forme basĂ©e sur certains des prĂ©textes de taxage que le recueil de lois quâils ont inventĂ© contient. si vous nâavez plus les moyens de payer cette dette » pour des raisons de santĂ©, dâincapacitĂ© a gagner votre vie ou par principe, Ils continueront dâajouter des Frais » et pĂ©nalitĂ©s et passeront ensuite Ă lâĂ©tape suivante. Une fois que la dette » sera devenue assez Ă©levĂ©, câest un autre groupe de Useful Idiots, ceux la armĂ©s, qui seront mandatĂ©s pour vous soumettre par la force aux dĂ©sirs de la souveraine ou vous serez chassĂ© et perdrez tous vos biens durement gagnĂ©s, Vous et votre famille serez jetĂ© Ă la rue mĂȘme si tout vos biens ont Ă©tĂ©s payĂ©s en totalitĂ©. Si vous reculez dans le temps, vous allez dĂ©couvrir que votre terrain un moment donnĂ© Ă©tait une foret inhabitĂ©e qui nâappartenait Ă personne, plusieurs propriĂ©taires se sont Ă©changĂ© la permission dâhabiter cet espace depuis mais qui donc en a Ă©tĂ© le premier propriĂ©taire?? et de qui votre espace a-t-il Ă©tĂ© achetĂ© initialement? Câest la dure rĂ©alitĂ© de ce que le monde acadĂ©mique gĂ©rĂ© par lâoccupant appelle La conquĂȘte ». Câest du terrorisme et du gĂ©nocide pour de simples Communs » ou Commons » comme nous, de manipuler des esprits faibles, de les armer jusquâaux dents, de leur enseigner lâart de tuer pour ensuite les convaincre dâhaĂŻr et dâaller massacrer des peuples entiers qui refusent de se soumettre Ă notre autoritĂ© et Ă nous cĂ©der leurs libertĂ©s, leurs biens et leurs terres. Les taxer et les obliger Ă nous donner la moitiĂ© de leurs rĂ©coltes ou de leur salaire est aussi du vol et criminellement punissable. Pour lâoccupant qui invente les lois, tout cela est tout Ă fait lĂ©gal, totalement immoral mais lĂ©gal En vertu des lois. Comment de tels gestes peuvent-ils ĂȘtre lĂ©gaux? il faut bien comprendre la diffĂ©rence entre ce qui est lĂ©gal et ce qui est moral. Oui certaines lois peuvent ĂȘtres morales, mais si la personne qui les Ă©crit est immorale il est fort probable que ses lois soient aussi immorales. Câest la Doctrine of Discovery » et la Terra Nullius » qui autorise les maĂźtres auto proclamĂ©s du monde Ă sâapproprier lĂ©galement mais de façon totalement immorale ce qui ne leur appartient pas et Ă anĂ©antir les esprits libres qui refusent de se soumettre Ă eux. Les trillions qui composent la richesse de lâoccupant mondial ont tous Ă©tĂ© obtenus par des actes de terrorisme barbares, les couronnĂ©s nâont jamais travaillĂ© et ont toujours vĂ©cu dans lâabondance en asservissant leurs sujets et en les pillant Taxage, permis, impĂŽts, intĂ©rĂȘts travaux forcĂ©s etc. Les politiciens que vous croyez Ă©lire chaque 4 ans sont leurs serviteurs, ils leur font serment de soumission et dâobĂ©issance si non ils ne pourront jamais aller perdre leur temps Ă gros salaire dans la Chambre des communs » Communes La propriĂ©tĂ© au QuĂ©bec Savons-nous que nous POSSĂDONS contrĂŽle la PERSONNE qui est propriĂ©taire » du terrain ? Et que cette personne qui est propriĂ©taire appartient Ă lâĂ©tat ? Donc le terrain appartient toujours Ă lâĂ©tat ? Et quand tu tâidentifies par le PrĂ©nom Nom de famille de cette personne, tu tâidentifies comme une propriĂ©tĂ© de lâĂ©tat ? â Vu que lâesclavage a Ă©tĂ© aboli, tu as un droit fondamental Ă la sĂ»retĂ© de ta personne. LĂ©galement, une sĂ»retĂ©, ça sert Ă dĂ©charger / acquitter des dettes⊠Donc les taxes que lâĂ©tat charge, câest Ă leur personne/propriĂ©tĂ©/esclave quâils les chargent⊠Câest Ă EUX quâils les chargent. Si tu choisis de payer, good for you. ».. Mais tu peux aussi choisir de faire valoir tes droits, comme le suggĂ©rait le ministre de la justice de lâĂ©poque, Marc-AndrĂ© BĂ©dard, lors de la publication de la Charte des droits et libertĂ©s de la personne de 1982⊠La Charte QuĂ©bĂ©coise des Droits de la PersonneâŠĂ relire!ThĂ©oriquement tout ce quâon sais est vrai mais ceux avec qui on dois nĂ©gocier sont de dangereux criminels prĂȘt Ă tout pour Ă©viter que lâinformation ne se rĂ©pande. Cest un peu comme si un cartel de gros criminels armĂ©s nous exigeait un montant quâon ne leur doit pas, on paie ou pas? Lâargent, ils lâont uniquement parce quâon utilise LE LEUR qui nâest que de la dette. Et avec lâutilisation de LEUR argent legal tender » vient lâobligation de respecter LEURS lois. Legal = la loi Tender = une offre inconditionnelle Bitcoin a Ă©tĂ© créé pour ça. Sâils ne peuvent plus se financer en taxant les transactions qui se font entre ceux qui refusent dâutiliser leur monnaie, leur systĂšme va crever de faim. Tu ne rĂ©ussiras pas Ă sensibiliser la police ou lâarmĂ©e. ICYMI les corps de police ont Ă leur tĂȘte des corrompus qui comptent sur des idiots utiles qui obĂ©issent aux ordres sans se poser de questions sur la moralitĂ© de ce quâils font. Et lâarmĂ©e, câest encore pire. Le VRAI ennemi, câest le Barreau. Ses membres sont des menteurs esclavagistes dont la job dĂ©pend de lâignorance du peuple. Tu comprends quâils sont de mauvaise foi et quâils protĂšgent leur petite clique la minute que tu leur poses les vraies questions. Ils placent leurs pions dans toutes les hautes sphĂšres du gouvernement. Ils ne respectent mĂȘme plus les fondements de la justice, de la libertĂ© et de la paix, tels quâils sont pourtant dĂ©crĂ©tĂ©s dans la Charte des droits et libertĂ©s de la personne. La seule façon de rĂ©gler le problĂšme quâils reprĂ©sentent câest de cesser de jouer leur game » leur jeu,leur partie⊠Mais rĂ©flĂ©chissez y le QuĂ©bec est la DerniĂšre Colonie Survivante de lâEmpire Britannique et si voter vous permettrait de changer quelque chose,on abolirait ce droit! Seule la DĂ©sobĂ©issance Civile peut arriver Ă faiore changer ce systĂšme! SourcesRecherches de Jacques Lapointe et divers commentaires associĂ©s sur Facebook. Article tirĂ© du WASHINGTON POST LES TERRIBLES NOUVELLES RĂGLES ĂLECTORALES DE JUSTIN TRUDEAU LIMITERONT LâACTIVISME ET LES DROITS DES CITOYENS Les mĂ©dias sont un autre moyen dâinfluence avec un pot-de-vin de 595 millions de dollars que Trudeau versera aux journalistes qui publient ce quâil veut, rapporte le journal amĂ©ricain Le Washington Post a publiĂ© cet article le 26 dĂ©cembre pour dĂ©noncer les prioritĂ©s rĂ©gressives du gouvernement Trudeau pour manipuler les Ă©lections fĂ©dĂ©rales de 2019. Lâarticle a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par McCullough. Ce sont des pratiques fondamentalement illibĂ©rales du pouvoir de lâĂtat pour restreindre davantage les droits des citoyens, dĂ©nonce lâauteur. Selon lâarticle â Une saine gouvernance ne peut ĂȘtre maintenue avec des prioritĂ©s rĂ©gressives telles que celles-ci. â Le gouvernement de Justin Trudeau a rĂ©cemment adoptĂ© plus de 200 pages de changements spectaculaires dans le fonctionnement des Ă©lections au Canada. Les nouvelles rĂšgles limiteront davantage la possibilitĂ© pour les Canadiens dâexercer leurs droits constitutionnels en matiĂšre de libertĂ© de parole politique et dâactivisme. â Le projet de loi final de Trudeau ne reprĂ©sente aucune amĂ©lioration par rapport au premier projet draconien prĂ©sentĂ© en avril. â GrĂące Ă ces amendements et Ă dâautres, la Loi Ă©lectorale du Canada est maintenant incroyablement longue et effrayante. Les contrevenants peuvent sâattendre Ă des milliers de dollars dâamende ou mĂȘme de prison. â Les choses vont presque certainement empirer. Le rĂȘve paradoxal dâune dĂ©mocratie parfaitement maĂźtrisĂ©e qui a inspirĂ© la Loi sur la modernisation des Ă©lections de Trudeau est un projet fondamentalement autoritaire qui trouve toujours une nouvelle justification pour restreindre davantage les droits des citoyens. â Les autres bĂ©nĂ©ficiaires de tout cela sont les mĂ©dias. La loi Ă©lectorale canadienne ne considĂšre pas les journalistes comme des tiers, mĂȘme sâils sont des employĂ©s de grandes entreprises qui dĂ©pensent beaucoup dâargent pour influencer ce que les Ă©lecteurs pensent de la politique. Câest peut-ĂȘtre parce quâOttawa a un plan diffĂ©rent pour eux. Le gouvernement Trudeau a rĂ©cemment annoncĂ© un nouveau financement de 595 millions de dollars pour subventionner les mĂ©dias canadiens, ainsi quâun comitĂ© gouvernemental correspondant chargĂ© dâidentifier les cas de journalisme dignes de subventions. â Ce sont les tendances actuelles de la dĂ©mocratie canadienne. Une consolidation dâinfluence pour ceux qui lâont dĂ©jĂ , alors que des barriĂšres bureaucratiques toujours plus Ă©levĂ©es sont Ă©rigĂ©es pour limiter lâimpact de tous les autres. *** THE WASHINGTON POST 26 dĂ©cembre 2018 Par McCullough Les histoires dâĂ©rosion de la dĂ©mocratie occupent une place importante dans la presse mondiale ces jours-ci; les coupables prĂ©sumĂ©s sont gĂ©nĂ©ralement des hommes forts et flamboyants aux objectifs autoritaires ouverts. Mais la dĂ©mocratie peut tout aussi bien ĂȘtre affaiblie dans les nations progressistes par ses propres prĂ©tendus sauveurs, par des moyens bureaucratiques discrets. Le gouvernement de Justin Trudeau a rĂ©cemment adoptĂ© plus de 200 pages de changements spectaculaires dans le fonctionnement des Ă©lections au Canada. Entre autres choses, les nouvelles rĂšgles limiteront davantage la possibilitĂ© pour les Canadiens dâexercer leurs droits constitutionnels en matiĂšre de libertĂ© de parole politique et dâactivisme. Ces rĂšglements ont Ă©tĂ© adoptĂ©s avec la rigueur progressive habituelle selon laquelle la rĂ©glementation des activitĂ©s et des discours politiques au nom de lâĂ©quitĂ© et de lâĂ©galitĂ© est sans aucun doute vertueuse. Une confiance en soi juste nâempĂȘche pas pour autant les consĂ©quences pratiques de cet exercice fondamentalement illibĂ©ral du pouvoir de lâĂtat. Le dernier projet de loi de Trudeau ne reprĂ©sente aucune amĂ©lioration par rapport au premier projet draconien prĂ©sentĂ© en avril. Selon le ministĂšre des Institutions dĂ©mocratiques, la nouvelle lĂ©gislation vise Ă garantir que les acteurs politiques» opĂšrent sur un pied dâĂ©galité», et imposera des limites raisonnables» Ă leurs budgets. En dâautres mots, cela signifie que le gouvernement a trouvĂ© de nouveaux moyens de punir les groupes de Canadiens politiquement motivĂ©s, quâils soient Ă©cologistes, conservateurs sociaux, dirigeants dâentreprise ou des travailleurs, des militants des droits des minoritĂ©s ou autres, qui se livrent Ă des activitĂ©s telles que la publicitĂ© porte Ă porte, tĂ©lĂ©phoner aux Ă©lecteurs et organiser des rassemblements sans se conformer prĂ©alablement aux rĂšgles dâOttawa. La pĂ©riode Ă©lectorale» officielle du Canada est maintenant plafonnĂ©e Ă 50 jours avant le jour du scrutin, les deux mois ou plus prĂ©cĂ©dant celui-ci constituant Ă©galement une nouvelle pĂ©riode préélectorale». Pendant la pĂ©riode préélectorale» â un concept qui nâa aucune raison dĂ©mocratique au-delĂ du dĂ©sir grandissant du gouvernement de contrĂŽler lâactivitĂ© politique â les soi-disant tiers sont traitĂ©s avec autant de suspicion que lors des Ă©lections trĂšs rĂ©glementĂ©es. Les groupes et les individus ne peuvent pas dĂ©penser plus de 700 000 dollars pour des activitĂ©s partisanes» et de la publicitĂ© partisane» au cours de cette pĂ©riode, et doivent immĂ©diatement sâinscrire auprĂšs du gouvernement aprĂšs avoir dĂ©pensĂ© leurs premiers 500 dollars. Ottawa sâattend Ă une liste dĂ©taillĂ©e de tous les revenus et dĂ©penses engagĂ©s, y compris la date et le lieu de chaque tentative de changement dâavis. GrĂące Ă ces amendements et Ă dâautres, la Loi Ă©lectorale du Canada est maintenant incroyablement longue et effrayante. Tout Canadien qui envisage de faire des dĂ©penses ou des efforts importants pour persuader ses concitoyens de voter dâune maniĂšre ou dâune autre lors de lâĂ©lection de lâannĂ©e prochaine devrait immĂ©diatement engager une Ă©quipe dâavocats et de comptables, car il nây a tout simplement aucun autre moyen de naviguer dans les fonds des mauvaises herbes lĂ©gales qui rĂ©gissent maintenant la participation dĂ©mocratique adjacente aux Ă©lections au Canada. Les contrevenants peuvent sâattendre Ă des milliers de dollars dâamende ou mĂȘme de prison. Les choses vont presque certainement empirer. Le rĂȘve paradoxal dâune dĂ©mocratie parfaitement maĂźtrisĂ©e qui a inspirĂ© la Loi sur la modernisation des Ă©lections de Trudeau â et les nombreuses et terribles lois Ă©lectorales antĂ©rieures quâelle a Ă©laborĂ©es â est un projet fondamentalement autoritaire qui trouve toujours une nouvelle justification pour restreindre davantage les droits des citoyens. Ătant donnĂ© que la panique morale antĂ©rieure avait dĂ©jĂ limitĂ© la collecte de fonds des candidats et des partis au strict minimum, attendez-vous Ă ce que les Ă©lections de 2019 dĂ©clenchent une nouvelle vague de paranoĂŻa de la part du gouvernement sur toutes les entreprises, syndicats, industries, etc. puisque lâargent est canalisé» vers des tiers. Une administration future imposera alors sans aucun doute des restrictions encore plus strictes aux dĂ©penses et aux activitĂ©s de tiers. Ils suivront peut-ĂȘtre lâexemple de lâOntario, oĂč les rĂšglements préélectoraux» rĂ©gissent maintenant un ridicule six mois avant le jour du scrutin. Quoi quâil en soit, il est difficile dâĂ©viter de conclure que lâobjectif Ă long terme est de soustraire totalement les tiers» aux discussions politiques du Canada. Ă un rythme de plus en plus rapide, le Canada consolide son statut de pays dans lequel il est extrĂȘmement difficile pour les Canadiens moyens, quâils agissent individuellement ou par lâintermĂ©diaire de groupes de revendication, de communiquer lĂ©galement leurs idĂ©es ou dâorganiser des Ă©vĂ©nements pendant ou autour des Ă©lections. Bien que Trudeau soit le dernier auteur, le problĂšme nâest pas partisan. Tous les partis dĂ©fient Ă©galement le flĂ©au des Canadiens engagĂ©s de maniĂšre inappropriĂ©e, qui consacrent une part trop importante de leur temps et de leur argent Ă des questions qui leur tiennent Ă cĆur. Sans fondement plus solide que des thĂ©ories spĂ©culatives et Ă©goĂŻstes sur ce qui nuit Ă leur capacitĂ© de se faire Ă©lire, la classe politique canadienne a tout intĂ©rĂȘt Ă minimiser lâactivisme politique des autres. AprĂšs tout, les lĂ©gislateurs ont le droit de parler sans cesse et de se promouvoir eux-mĂȘmes en tant que membres du gouvernement, et ils veillent jalousement sur cet avantage. Une photo qui semble dire beaucoup le premier ministre Stephen Harper et lâex-prĂ©sident chinois Hu Jintao, lors du sommet de lâAPEC Ă Vladivostok, en Russie, en septembre Harper se mĂ©fiait davantage que Trudeau. Les tiers» doivent donc ĂȘtre dĂ©crits comme des concurrents illĂ©gitimes au mĂȘme titre que les syndicats et les entreprises. Des aspersions doivent ĂȘtre lancĂ©es contre ces Ă©trangers, dans lâexercice de leurs droits dĂ©mocratiques dĂ©crits comme dangereux et subversifs. Lâhomme politique a pour objectif de monopoliser toutes les discussions sur les politiques et les prioritĂ©s, rendant ainsi son leadership indispensable. Les autres bĂ©nĂ©ficiaires de tout cela sont les mĂ©dias. La loi Ă©lectorale canadienne ne considĂšre pas les journalistes comme des tiers, mĂȘme sâils sont des employĂ©s de grandes entreprises qui dĂ©pensent beaucoup dâargent pour influencer ce que les Ă©lecteurs pensent de la politique. Câest peut-ĂȘtre parce quâOttawa a un plan diffĂ©rent pour eux. Le gouvernement Trudeau a rĂ©cemment annoncĂ© un nouveau financement de 595 millions de dollars pour subventionner les mĂ©dias canadiens ainsi quâun comitĂ© gouvernemental correspondant chargĂ© dâidentifier les cas de journalisme dignes de subventions. Ce sont les tendances actuelles de la dĂ©mocratie canadienne. Une consolidation dâinfluence pour ceux qui lâont dĂ©jĂ , alors que des barriĂšres bureaucratiques toujours plus Ă©levĂ©es sont Ă©rigĂ©es pour limiter lâimpact de tous les autres. Une saine gouvernance ne peut ĂȘtre maintenue avec des prioritĂ©s rĂ©gressives telles que celles-ci. » EN CONCLUSION Ainsi Justin Trudeau est devenu un dangereux dictateur pro djihadiste avec affiliation pro-communiste chinoise! Au nom de la loi dictatoriale contrĂŽlante et franc maçonne de Justin Trudeau,les petits partis,les nouveaux partis politiques et ceux que Justin ne veut pas voir vont disparaĂźtre afin de ne laisser en place que lâĂ©lite politique ancienne qui se perpĂ©tuera Ă jamais! On appelle cela une dictature inspirĂ©e du rĂ©gime communiste chinois un systĂšme politique aimĂ© » par la famille Trudeau depuis Pierre Elliott lui-mĂȘme qui doit jouir dans sa tombe infestĂ©e de rats! Pierre Elliott Trudeau admirait profondĂ©ment le dictateur communiste Mao TsĂ© en 1973 en Chine. Pierre Elliott Trudeau entourĂ© dâofficiels du parti communiste chinois en 1973 toujours. On est dans un Ă©tat insurrectionnel, on nâa jamais vu ça », a dĂ©clarĂ© sur BFM TV Jeanne dâHauteserre, maire du VIIIe arrondissement de Paris oĂč se sont dĂ©roulĂ©s la plupart des affrontements, avec des dizaines de voitures brĂ»lĂ©es dans plusieurs rues et des bĂątiments incendiĂ©s. Les magasins des Galeries Lafayette et du Printemps ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s en raison des violences et des incendies qui menacent plusieurs bĂątiments dans le centre de Paris, selon des journalistes de Reuters. Un incendie dans un bĂątiment situĂ© au rond-point de lâĂtoile a Ă©tĂ© maĂźtrisĂ©, mais plusieurs autres feux menacent dâautres immeubles. Des sources policiĂšres dĂ©clarent quâun manifestant a volĂ© un fusil dâassaut dans une voiture de police. Nos correspondants Jean-François BĂ©langer et Yannick Dumont-Baron suivent les Ă©vĂ©nements. RĂ©actions politiques De Buenos Aires, oĂč il participe au sommet du G20, le prĂ©sident français Emmanuel Macron a fait savoir quâil tiendra une rencontre interministĂ©rielle dĂšs son retour au pays, dimanche. Je respecterai toujours la contestation, jâĂ©couterai toujours les oppositions, mais je nâaccepterai jamais la violence », a-t-il Ă©crit sur Twitter. Les coupables de ces violences ne veulent pas de changement, ne veulent aucune amĂ©lioration, ils veulent le chaos ils trahissent les causes quâils prĂ©tendent servir et quâils manipulent. Ils seront identifiĂ©s et tenus responsables de leurs actes devant la justice. Emmanuel Macron, prĂ©sident de la France Aucune cause ne justifie que les forces de lâordre soient attaquĂ©es, que des commerces soient pillĂ©s, que des bĂątiments publics ou privĂ©s soient incendiĂ©s, que des passants ou des journalistes soient menacĂ©s, que lâArc de Triomphe soit ainsi souillĂ©. Ce quâil sâest passĂ© aujourdâhui Ă Paris nâa rien Ă voir avec lâexpression pacifique dâune colĂšre lĂ©gitime. » Forte prĂ©sence policiĂšre Toute la journĂ©e, lâavenue des Champs-ĂlysĂ©es a Ă©tĂ© fermĂ©e Ă la circulation. Le ministĂšre de lâIntĂ©rieur nâautorisait lâaccĂšs aux piĂ©tons quâaprĂšs un contrĂŽle dâidentitĂ© et une fouille des sacs. Pendant que des manifestants pacifiques Ă©taient rassemblĂ©s autour de la tombe du Soldat inconnu pour chanter La Marseillaise, la place Charles-de-Gaulle anciennement connue sous le nom de place de lâĂtoile, en amont des contrĂŽles de sĂ©curitĂ©, a Ă©tĂ© le théùtre dâincidents. Certains manifestants ont tentĂ© de forcer un point de filtrage, selon la police, et ont jetĂ© des projectiles sur les forces de lâordre. Un des piliers de lâArc de triomphe a Ă©tĂ© couvert du graffiti Les gilets jaunes triompheront ». Les forces de lâordre sont mieux prĂ©parĂ©es que la semaine derniĂšre, selon notre correspondant Jean-François BĂ©langer. Les 5000 policiers et gendarmes en tenue antiĂ©meute ont rĂ©ussi Ă limiter lâaccĂšs Ă la place Charles-de-Gaulle en utilisant des canons Ă eau, des grenades dispersantes, des balles de plastique et des gaz lacrymogĂšnes. Les Ă©lĂ©ments plus perturbateurs sont des groupes qui viennent pour casser, qui sont Ă©quipĂ©s, qui sont structurĂ©s », a dit la porte-parole de la prĂ©fecture de police Johanna Primevert, qui a notamment mis en cause des groupes dâ ultra-droite ». Selon le secrĂ©taire dâĂtat du ministĂšre de lâIntĂ©rieur, Laurent Nunez, 3000 casseurs » se trouvaient sur la place de lâĂtoile, comparativement Ă 200 manifestants pacifiques » sur les Champs-ĂlysĂ©es. On a affaire Ă des groupes extrĂ©mistes, extrĂȘmement violents qui sâen prennent aux institutions [âŠ] qui sont Ă©quipĂ©s, cagoulĂ©s, masquĂ©s [âŠ] et qui empĂȘchent lâavancĂ©e des forces de lâordre », a-t-il expliquĂ© sur BFM TV. Ă la mi-journĂ©e, les manifestants sâĂ©parpillaient dans les avenues alentour tout en continuant les affrontements. Plusieurs voitures ont Ă©tĂ© incendiĂ©es. Samedi dernier, plus de 60 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es Ă Paris dans les dĂ©bordements qui ont marquĂ© le deuxiĂšme week-end de manifestation du mouvement. Comparutions rapides pour les auteurs de violences Le procureur de Paris, RĂ©my Heitz, a annoncĂ© que tous les auteurs de violences lors de la manifestation des gilets jaunes samedi Ă Paris seraient jugĂ©s rapidement grĂące Ă une mobilisation des magistrats et greffiers dĂšs lundi. Je vous informe que mon parquet veillera Ă engager des poursuites devant le tribunal correctionnel contre tous les auteurs des faits de violences et de dĂ©gradations constatĂ©es qui seront identifiĂ©s, et Ă ne pas laisser impunies les exactions inacceptables qui ont Ă©tĂ© commises Ă Paris aujourdâhui », a-t-il dit dans un communiquĂ©, faisant Ă©tat de prĂšs de 200 personnes en garde Ă vue samedi en fin de journĂ©e. Pour ce faire, la permanence du parquet de Paris a Ă©tĂ© renforcĂ©e par la mobilisation de magistrats et de greffiers supplĂ©mentaires. De mĂȘme, et en accord avec le prĂ©sident du tribunal, le nombre dâaudiences correctionnelles sera adaptĂ© dĂšs lundi, afin de pouvoir juger ceux qui seront poursuivis en comparution immĂ©diate », a-t-il ajoutĂ©. Des gilets jaunes dĂ©sapprouvent les violences Certaines figures de proue du mouvement des gilets jaunes ont dĂ©noncĂ© les violences commises par les casseurs, estimant que ces derniers dĂ©crĂ©dibilisaient leur message. Quel est le message que les gilets jaunes veulent faire passer aujourdâhui? Quâon mette la France Ă feu et Ă sang, ou on veut trouver des solutions? Je trouve ça aberrant », a dit Jacline Mouraud sur BFMTV, lâune des premiĂšres Ă manifester sa colĂšre contre le gouvernement sur une vidĂ©o devenue virale. Elle se trouvait sur un blocage du dĂ©pĂŽt pĂ©trolier de Lorient. Sur lâensemble du territoire, on comptait un peu moins de 36 000 manifestants » qui ont engagĂ© des opĂ©rations dans le plus grand calme », selon le premier ministre. Ă Paris, ils Ă©taient 5500. En dehors de la capitale, 582 blocages Ă©taient comptabilisĂ©s Ă la mi-journĂ©e par les autoritĂ©s françaises, selon des sources syndicales policiĂšres. Il y en avait 516 samedi dernier Ă midi. La circulation Ă©tait perturbĂ©e sur 17 autoroutes, a indiquĂ© le groupe Vinci. Entre 8000 et 10 000 policiers sont mobilisĂ©s pour faire face aux actions des gilets jaunes sur le territoire, dont 5000 Ă Paris, a dĂ©clarĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat Alternative police, Denis Jacob. Un pĂ©rimĂštre dâexclusion interdisant rassemblements et manifestations a Ă©tĂ© instaurĂ© par le prĂ©fet de police de Paris pour garantir la protection des institutions », notamment autour de lâAssemblĂ©e nationale et de lâĂlysĂ©e. Lors de la premiĂšre journĂ©e de manifestation des gilets jaunes le 17 novembre, prĂšs de 300 000 personnes sâĂ©taient mobilisĂ©es, selon le ministĂšre de lâIntĂ©rieur. Lors de la deuxiĂšme journĂ©e, le 24, elles Ă©taient un peu plus de 100 000, dont 8000 Ă Paris. Les rencontres entre le premier ministre et des reprĂ©sentants du mouvement vendredi nâont pas Ă©tĂ© concluantes, ce qui laisse prĂ©sager un regain de colĂšre. Seuls deux gilets jaunes sur les huit invitĂ©s ont acceptĂ© de venir Ă Matignon. Lâun dâentre eux a coupĂ© court Ă lâentretien aprĂšs quâon eut refusĂ© de retransmettre cette discussion en direct Ă la tĂ©lĂ©vision. Lendemain dâĂ©meutes Ă Paris le 3 dĂ©cembre 2018 Toute la journĂ©e de samedi, des casseurs et un certain nombre de gilets jaunes» ont tenu en haleine plus de 5000 policiers. Comment a-t-on pu en arriver lĂ ? La question Ă©tait sur toutes les lĂšvres au lendemain dâune journĂ©e dâĂ©meute qui a fait 133 blessĂ©s Ă Paris et entraĂźnĂ© plus de 400 arrestations. CâĂ©tait lâincomprĂ©hension la plus totale alors que, dimanche matin, le prĂ©sident Emmanuel Macron sitĂŽt rentrĂ© dâArgentine est allĂ© rencontrer les forces de lâordre sur lâavenue KlĂ©ber, transformĂ©e en vĂ©ritable scĂšne de guerre. Toute la journĂ©e, les Français ont dâailleurs attendu un mot du prĂ©sident, qui nâest pas venu. Celui-ci a prĂ©sidĂ© une rĂ©union de crise dont pratiquement rien nâa filtrĂ©, sinon que le premier ministre recevra les chefs de partis et que le retour de lâĂ©tat dâurgence, rĂ©clamĂ© par des syndicats de policiers, nâĂ©tait pas Ă lâordre du jour. Selon lâĂlysĂ©e, Emmanuel Macron aurait simplement souhaitĂ© une adaptation du dispositif du maintien de lâordre dans les jours Ă venir ». Ă Paris, la plupart des observateurs sâentendent cependant pour dire que le prĂ©sident ne pourra pas Ă©viter de sâexprimer cette semaine, alors quâon nâa pas connu de telles violences en France depuis les Ă©meutes de 2005 qui avaient mis Ă feu et Ă sac les banlieues françaises. Toute la journĂ©e de samedi, des casseurs, auxquels se mĂȘlaient un certain nombre de gilets jaunes », ont tenu en haleine plus de 5000 policiers visiblement Ă bout de forces. Durant 12 heures, les casseurs ont semĂ© la dĂ©solation sur les avenues environnant les Champs-ĂlysĂ©es, oĂč manifestait pourtant une foule pacifique. Pendant que des pilleurs souvent sans vestes jaunes dĂ©valisaient les commerces, des casseurs sâen sont mĂȘme pris Ă lâArc de triomphe oĂč brĂ»le la flamme du soldat inconnu. Samedi, on a eu le sentiment dâune espĂšce de vacance du pouvoir », a dĂ©clarĂ© au quotidien Le Parisien le centriste HervĂ© Morin. Celui qui dirige la rĂ©gion Normandie exprimait un sentiment trĂšs largement partagĂ© en affirmant que le prĂ©sident doit parler rapidement » aux Français. Mai 68 des classes moyennes » MarginalisĂ©e par ce mouvement spontanĂ© qui dĂ©fie les cadres traditionnels, lâopposition a rĂ©agi en rangs dispersĂ©s. Les prĂ©sidents du Rassemblement national, Marine Le Pen, et de la France insoumise, Jean-Luc MĂ©lenchon, ont tous deux rĂ©clamĂ© des Ă©lections lĂ©gislatives. Le prĂ©sident des RĂ©publicains, Laurent Wauquiez, propose, lui, la tenue dâun rĂ©fĂ©rendum sur le plan de transition Ă©cologique et les hausses de taxes prĂ©sentĂ©s la semaine derniĂšre. Je nâai jamais vu de ma vie un mouvement soutenu par 84 % des Français », disait sur la chaĂźne Europe 1 le philosophe Luc Ferry. Lâancien ministre estime que la crise est telle quâelle justifie la dissolution de lâAssemblĂ©e nationale. La France a besoin dâune forme de cohabitation », dit-il, comme elle en a connu Ă lâĂ©poque de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Pour lâhistorien de gauche Jacques Julliard, il sâagit du Mai 68 des classes moyennes ». Devant ces violences devenues une constante dans toutes les grandes manifestations parisiennes, plusieurs montrent du doigt un dispositif policier inadaptĂ© face Ă des groupes de casseurs, dont certains Ă©taient mĂȘme venus samedi avec des haches, des marteaux et des frondes. Hier, on Ă©tait dans une situation oĂč bientĂŽt on pourrait ĂȘtre mis en Ă©chec on sâest retrouvĂ©s pendant un laps de temps Ă court de munitions, ça a Ă©tĂ© une catastrophe », a lancĂ© sur France Info un responsable du syndicat Unsa-police. Discuter, mais avec qui ? Mardi, le ministre de lâIntĂ©rieur devra dâailleurs sâexpliquer devant le SĂ©nat sur les insuffisances du dispositif policier. Chez les policiers, plusieurs voix dĂ©noncent des ordres venus dâen haut surtout destinĂ©s Ă Ă©viter de faire des victimes chez les manifestants, mais qui mettent les policiers dans une situation intenable. Samedi sur BFM-TV, la reprĂ©sente syndicale Linda Kebbab dĂ©nonçait ces groupes anarchistes, connus pour leur activitĂ© de casseurs et qui se donnaient rendez-vous publiquement sur Twitter pour aller affronter les forces de lâordre. De nombreux graffitis anarchistes ont en effet Ă©tĂ© retrouvĂ©s sur les lieux des affrontements. Selon certains, lâultra-droite Ă©tait aussi prĂ©sente. Toute la journĂ©e de dimanche, des gilets jaunes, dont le mouvement se poursuit principalement en rĂ©gion, ont dĂ©plorĂ© ces scĂšnes de violence qui font de lâombre aux centaines de villes et de villages oĂč leur action sâest dĂ©roulĂ©e le plus pacifiquement du monde. Dans Le Journal du dimanche, une dizaine de porte-parole rĂ©gionaux qui disent reprĂ©senter lâaile modĂ©rĂ©e du mouvement ont lancĂ© un appel Ă structurer le mouvement. Ils rĂ©clament des Ă©tats gĂ©nĂ©raux sur la fiscalitĂ©. Mais pour eux, comme pour une majoritĂ© de la population, il nây aura pas de discussion sans moratoire sur les hausses de carburant. Dâautant quâelles doivent se poursuivre dĂšs lâannĂ©e prochaine. Sans plus de prĂ©cisions, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a dĂ©clarĂ© que le gouvernement Ă©tait prĂȘt Ă discuter avec les signataires de cet appel. Les jours du nĂ©olibĂ©ralisme semblent comptĂ©s dans tout lâOccident,tant mieux! Les Français disent » Monsieur le PrĂ©sident, nous ne pouvons pas joindre les deux bouts , et le prĂ©sident rĂ©pond » Nous allons crĂ©er un Haut Conseil [pour le climat] . Pouvez-vous imaginer le dĂ©calage? » â Laurence Saillet, porte-parole du parti de centre-droit, Les RĂ©publicains, 27 novembre 2018 Les gilets jaunes » [manifestants] bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais du soutien de 77% de la population française. Ils exigent la dĂ©mission de Macron et un changement immĂ©diat de gouvernement. Le mouvement est maintenant une rĂ©volte de millions de personnes qui se sentent asphyxiĂ©es par une imposition confiscatoire » et qui ne veulent pas payer indĂ©finiment » pour un gouvernement qui semble incapable de limiter les dĂ©penses ». â Jean-Yves Camus, politologue. Les Ă©lections europĂ©ennes auront lieu ce printemps 2019. Les sondages montrent que le rassemblement national sera en tĂȘte, loin devant La RĂ©publique En Marche! [La RĂ©publique en mouvement!], La fĂȘte créée par Macron. Emmanuel Macron avec Philippe Couillard,lâancien premier ministre du QuĂ©becle banquier de Rotschild sâamuse avec le franc maçon. Le 11 Novembre 2018 , le prĂ©sident français Emmanuel Macron a commĂ©morĂ© le 100 e anniversaire de la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale en invitant soixante â dix chefs dâEtat dâorganiser une coĂ»teuse, inutile, grandiloquent Forum de la Paix » qui ne mĂšnent Ă rien. Il a Ă©galement invitĂ© le prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump, puis a choisi de lâinsulter. Dans un discours pompeux, Macron â sachant que Donald Trump sâĂ©tait dĂ©fini quelques jours plus tĂŽt comme un nationaliste vouĂ© Ă la dĂ©fense de lâAmĂ©rique â a invoquĂ© le patriotisme »; ensuite, Ă©trangement, le dĂ©finissait comme lâexact opposĂ© du nationalisme »; alors appelĂ© cela trahison ». En outre, peu avant la rĂ©union, Macron nâavait pas seulement parlĂ© de lâurgence » de la construction dâune armĂ©e europĂ©enne ; il a Ă©galement placĂ© les Ătats-Unis parmi les » ennemis » de lâEurope. Ce nâĂ©tait pas la premiĂšre fois que Macron plaçait lâEurope au-dessus des intĂ©rĂȘts de son propre pays. CâĂ©tait cependant la premiĂšre fois quâil plaçait les Ătats-Unis sur la liste des ennemis de lâEurope. En compagnie de Donald Trump⊠Le prĂ©sident Trump a apparemment compris immĂ©diatement que lâattitude de Macron Ă©tait un moyen de maintenir ses illusions de grandeur et de tenter de tirer un avantage politique intĂ©rieur. Trump a apparemment aussi compris quâil ne pouvait pas rester assis lĂ et accepter des insultes. Dans une sĂ©rie de tweets , Trump a rappelĂ© au monde que la France avait besoin de lâaide des Ătats-Unis pour recouvrer sa libertĂ© pendant les guerres mondiales, que lâOTAN protĂ©geait toujours une Europe pratiquement sans dĂ©fense et que de nombreux pays europĂ©ens ne payaient toujours pas le montant promis pour leur propre pays. la dĂ©fense. Trump a ajoutĂ© que Macron avait un taux dâapprobation extrĂȘmement bas 26%, faisait face Ă un taux de chĂŽmage extrĂȘmement Ă©levĂ© et cherchait probablement Ă dĂ©tourner son attention de cela. Trump avait raison. La popularitĂ© de Macron est en chute libre depuis des mois il est dĂ©sormais le prĂ©sident français le plus impopulaire de lâhistoire moderne Ă ce stade de son mandat. La population française sâest dĂ©tournĂ©e de lui en masse. Le chĂŽmage en France nâatteint pas seulement un niveau alarmant 9,1%; il a Ă©tĂ© alarmant pendant des annĂ©es. Le nombre de personnes en situation de pauvretĂ©est Ă©galement Ă©levĂ© 8,8 millions de personnes, 14,2% de la population. La croissance Ă©conomique est en rĂ©alitĂ© inexistante 0,4% au troisiĂšme trimestre de 2018, en hausse par rapport Ă 0,2% les trois mois prĂ©cĂ©dents. Le revenu mĂ©dian20 520 euros, soit 23 000 dollars par an est insoutenable. Cela indique que la moitiĂ© des Français vivent avec moins de 1710 euros par mois. Cinq millions de personnes survivent avec moins de 855 euros 973 dollars par mois. Lorsque Macron a Ă©tĂ© Ă©lu en mai 2017, il avait promis de libĂ©rer lâĂ©conomie. Cependant, aucune mesure significative nâa Ă©tĂ© prise. En dĂ©pit de certaines rĂ©formes superficielles telles que la limitation du nombre de licenciements abusifs ou la possibilitĂ© lĂ©gĂšrement accrue que les petites entreprises puissent nĂ©gocier des contrats de travail Ă court terme, le code du travail français, qui est toujours lâun des plus rigides du monde dĂ©veloppĂ©, bloque habilement le travail. crĂ©ation. La charge fiscale plus de 45% du PIB est la plus Ă©levĂ©e du monde dĂ©veloppĂ©. MĂȘme si certaines taxes ont Ă©tĂ© supprimĂ©es depuis que Macron est devenu prĂ©sident, de nombreuses nouvelles taxes ont Ă©tĂ© créées. Les dĂ©penses publiques reprĂ©sentent encore environ 57% du PIB 16% de plus que la moyenne des pays de lâOCDE et ne montrent aucun signe de dĂ©clin. Macron a Ă©galement promis, lors de son Ă©lection, de rĂ©tablir la sĂ©curitĂ©. Le manque de sĂ©curitĂ© , cependant, a explosĂ©; le nombre dâagressions violentes et de viols nâa cessĂ© dâaugmenter. Les zones interdites sont aussi rĂ©pandues quâil ya un an et extrĂȘmement incontrĂŽlables. Lâafflux dâimmigrants clandestins non contrĂŽlĂ©s dans le pays a malheureusement transformĂ© des quartiers entiers en taudis . La photo controversĂ© du doigt dâhonneur. En mai, Macron avait averti que dans de nombreuses banlieues, la France avait perdu la lutte contre le trafic de drogue . Lorsque le ministre de lâIntĂ©rieur, GĂ©rard Collomb, a dĂ©missionnĂ© le 3 octobre, il a parlĂ© dâune situation trĂšs dĂ©gradĂ©e » et a ajoutĂ© que, dans de nombreux domaines, la loi des plus forts â les trafiquants de drogue et les islamistes radicaux â a remplacĂ© le RĂ©publique. » Il a Ă©tĂ© tout simplement les Ă©valuations confirmant de refroidissement de la faveur » des commentateurs tels que Ăric Zemmour , auteur de Le suicide Français , et Georges Bensoussan , auteur de Une France Soumise A Soumise France . Les Ă©meutes sont frĂ©quentes. ils indiquent lâincapacitĂ© croissante du gouvernement Ă maintenir lâordre. Les grĂšves dans les transports en commun, qui ont durĂ© tout le printemps 2018, ont Ă©tĂ© accompagnĂ©es de manifestations et dâun pillage enthousiaste de banques et de magasins. La victoire de la France Ă la Coupe du monde de football en juillet a Ă©tĂ© suivie par une liesse qui a rapidement fait place Ă la violence de groupes qui ont brisĂ© des vitrines et attaquĂ© la police. Depuis son entrĂ©e dans la vie politique, les remarques de Macron ont non seulement rĂ©vĂ©lĂ© un mĂ©pris pour la population française, mais elles se sont Ă©galement multipliĂ©es. Cela nâa pas aidĂ©. DĂšs 2014, alors que Macron Ă©tait ministre de lâĂconomie, il a dĂ©clarĂ© que les femmes employĂ©es dans une entreprise en faillite Ă©taient » analphabĂštes ; en juin 2017, juste aprĂšs ĂȘtre devenu prĂ©sident, il a distinguĂ© ceux qui rĂ©ussissent et ceux qui ne sont rien ». Plus rĂ©cemment, il a confiĂ© Ă un jeune homme qui avait exprimĂ© son dĂ©sarroi Ă la recherche dâun emploi quâil ne devait que se dĂ©placer et traverser la rue ». Lors dâune visite au Danemark, il a annoncĂ© que les Français Ă©taient des Gaulois rĂ©sistants au changement ». Lâun des rares sujets sur lesquels Macron semblait vouloir travailler Ă©tait lâislam. Il a soulignĂ© Ă plusieurs reprises sa dĂ©termination Ă Ă©tablir un » islam de France . Ce quâil a omis de prendre en compte, câest la prĂ©occupation du reste de la population face Ă lâislamisation rapide du pays. Le 20 juin 2017, il a dĂ©clarĂ© pas assez prĂ©cisĂ©ment, par exemple ici , ici , ici , ici , ici et ici , Personne ne peut faire croire que la foi musulmane nâest pas compatible avec la RĂ©publique ». Il semble Ă©galement avoir omis de prendre en compte les risques du terrorisme islamique, quâil appelle rarement par son nom. Il semble prĂ©fĂ©rer utiliser le mot » terrorisme », sans adjectif, et reconnaĂźt simplement quâil » existe une lecture radicale de lâIslam, dont les principes ne respectent pas les slogans religieux . Lâactuel ministre de lâIntĂ©rieur, Christophe Castaner, nommĂ© par Macron pour remplacer Collomb, a Ă©cartĂ© les prĂ©occupations exprimĂ©es par son prĂ©dĂ©cesseur et a qualifiĂ© lâ islam de religion du bonheur et de lâamour, Ă lâinstar de la religion catholique ». Un autre domaine dans lequel Macron a agi sans relĂąche est le combat contre le changement climatique », dans lequel ses ennemis ennemis sont ciblĂ©s. Sur les vĂ©hicules de plus de quatre ans, les contrĂŽles techniques obligatoires ont Ă©tĂ© rendus plus onĂ©reux et le non-respect de ces contrĂŽles plus punitif, dans lâespoir Ă©vident quâun nombre croissant de voitures plus anciennes pourraient ĂȘtre Ă©liminĂ©es. Les limites de vitesse sur la plupart des routes ont Ă©tĂ© abaissĂ©es Ă 80 km / h 50 mi / h, les radars de contrĂŽle de la vitesse se sont multipliĂ©s et des dizaines de milliers de permis de conduire ont Ă©tĂ© suspendus . Les taxes sur lâ essence ont fortement augmentĂ© 30 cents le gallon en un an. Un gallon dâessence sans plomb en France coĂ»te maintenant plus de 7 dollars. La petite minoritĂ© de Français qui soutiennent encore Macron ne sont pas concernĂ©s par ces mesures. Les sondages montrent quâils appartiennent aux couches les plus riches de la sociĂ©tĂ©, quâils vivent dans des quartiers riches et quâils nâutilisent presque jamais de vĂ©hicules personnels. La situation est douloureusement diffĂ©rente pour la plupart des autres individus, en particulier pour la classe moyenne oubliĂ©e . Une dĂ©cision rĂ©cente dâaugmenter les taxes sur lâessence Ă©tait la goutte dâeau. Cela a dĂ©clenchĂ© une colĂšre instantanĂ©e. Une pĂ©tition demandant au gouvernement dâ annuler lâaugmentation des taxes a reçu prĂšs dâun million de signatures en deux jours. Sur les rĂ©seaux sociaux, des personnes ont discutĂ© de lâorganisation de manifestations dans tout le pays et ont suggĂ©rĂ© aux manifestants de porter les gilets de protection jaunes que les conducteurs sont obligĂ©s de ranger dans leur voiture en cas de panne sur le bord de la route. Ainsi, le 17 novembre , des centaines de milliers de manifestants ont bloquĂ© de grandes parties du pays. Le gouvernement a ignorĂ© les demandes des manifestants. Au lieu de cela, les responsables ont rĂ©pĂ©tĂ© les nombreux impĂ©ratifs non prouvĂ©s du changement climatique » et la nĂ©cessitĂ© dâ Ă©liminer lâutilisation des combustibles fossiles » â mais ont refusĂ© de changer de cap. AprĂšs cela, une autre journĂ©e de protestation nationale a Ă©tĂ© choisie. Le 24 novembre , les manifestants ont organisĂ© une marche sur Paris. Beaucoup, semble-t-il, ont dĂ©cidĂ©, malgrĂ© lâinterdiction du gouvernement, de se rendre sur les Champs-ĂlysĂ©es et de continuer vers le palais prĂ©sidentiel. Des affrontements ont eu lieu, des barricades ont Ă©tĂ© Ă©rigĂ©es et des vĂ©hicules incendiĂ©s. La police a rĂ©pondu durement. Ils ont attaquĂ© des manifestants non violents et ont utilisĂ© des milliers de grenades au gaz lacrymogĂšne et de canons Ă eau, ce quâils nâavaient jamais fait auparavant. Bien que de nombreux manifestants aient brandi des drapeaux rouges indiquant quâils appartenaient Ă la gauche politique, le nouveau ministre de lâIntĂ©rieur, Castaner, a dĂ©clarĂ© que la violence venait dâune extrĂȘme droite » sĂ©dentaire et fractionnĂ©e. Un membre du gouvernement a attisĂ© lâincendie en comparant les gilets jaunes » français aux chemises brunes » allemandes des annĂ©es 1930. Macron a dĂ©clarĂ© que ceux qui essayaient dâintimider les officiels » devraient ĂȘtre Enfin, le 25 novembre, Macron a fini par reconnaĂźtre , avec une apparente rĂ©ticence, la souffrance de la classe ouvriĂšre ». Deux jours plus tard, Macron a prononcĂ© un discours solennel, annonçant quâil crĂ©erait un grand conseil pour le climat », composĂ© dâĂ©cologistes et de politiciens professionnels, et que son objectif Ă©tait de sauver la planĂšte et dâĂ©viter la fin du monde ». Il nâa toujours pas dit un seul mot sur les griefs Ă©conomiques qui sâĂ©taient exprimĂ©s au cours des dix jours prĂ©cĂ©dents. La rĂ©publicaine Laurence Saillet, porte-parole du parti de centre-droit, a dĂ©clarĂ© Les Français disent » Monsieur le PrĂ©sident, nous ne pouvons pas joindre les deux bouts , et le prĂ©sident rĂ©pond » nous allons crĂ©er un Haut Conseil [pour le climat] ] Pouvez-vous imaginer la dĂ©connexion? . Marine Le Pen, prĂ©sidente du Rassemblement national de droite lâancien parti du Front national et aujourdâhui le principal parti dâopposition en France, a dĂ©clarĂ© Il y a une minuscule caste qui fonctionne pour elle-mĂȘme et la grande majoritĂ© des Les Français qui sont abandonnĂ©s par le gouvernement et se sentent rĂ©trogradĂ©s, dĂ©possĂ©dĂ©s . Les jaunes » bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais du soutien de 84% de la population française. Ils exigent la dĂ©mission de Macron et un changement immĂ©diat de gouvernement. Ceux qui parlent Ă la radio et Ă la tĂ©lĂ©vision disent que Macron et le gouvernement sont dĂ©sespĂ©rĂ©ment aveugles et sourds. Pour le moment, les vestes jaunes » ont dĂ©cidĂ© dâorganiser une troisiĂšme manifestation nationale â aujourdâhui samedi 1 er dĂ©cembre â avec une nouvelle marche vers Paris et le palais de lâElysĂ©e. La rĂ©volte dans le pays sâintensifie et ne montre aucun signe de ralentissement. Le politologue Jean-Yves Camus a dĂ©clarĂ© que le mouvement des vestes jaunes » est maintenant une rĂ©volte de millions de personnes qui se sentent asphyxiĂ©es par des taxes confiscatoires » et qui ne veulent pas payer indĂ©finiment » pour un gouvernement qui semble incapable de limiter dĂ©penses ». Certains ne mesurent pas lâĂ©tendue du rejet exprimĂ© par les manifestants », a- t- il ajoutĂ© . Dominique ReyniĂ©, professeur Ă lâInstitut dâĂ©tudes politiques de Paris, a dĂ©clarĂ©que Macron et le gouvernement ne sâattendaient pas Ă ce que leur politique fiscale aboutisse Ă cela ». Les Ă©lections europĂ©ennes auront lieu en mai 2019. Les sondages montrent que le parti du Rassemblement national de Le Pen sera en tĂȘte, loin devant le parti créé par Macron, La RĂ©publique En Marche! [La RĂ©publique en mouvement!]. En un peu plus dâun an, Macron, Ă©lu en mai 2017, a perdu presque tout crĂ©dit et lĂ©gitimitĂ©. Il est Ă©galement lâun des derniers dirigeants europĂ©ens au pouvoir Ă soutenir lâUnion europĂ©enne telle quâelle est. Macron, qui a affirmĂ© vouloir vaincre la vague populiste » qui se rĂ©pandait sur tout le continent, a Ă©galement affirmĂ© que les dirigeants qui Ă©coutaient les gens dĂ©sireux de dĂ©fendre leur mode de vie Ă©taient la » lĂšpre » et le » mauvais vent . La vague populiste » frappe maintenant la France; cela pourrait bien signifier la fin du mandat de Macron. EN conclusion Deux grands mondialistes unis dans lâeffacement de leur peupleJustin Trudeau qui cherche Ă assimiler les quĂ©bĂ©cois français Ă la majoritĂ© anglophone du Canada et Emmanuel Macron qui ouvre les portes de la France Ă lâIslam.. Le but des mondialistes remplacer les Français par des musulmans La France â et lâEurope en gĂ©nĂ©ral â est confrontĂ©e Ă une montĂ©e de lâislamisme, câest dĂ©sormais bien clair. Mais pourquoi cette montĂ©e est-elle apparue ? Voila la bonne question. Câest parce que les mondialistes financiers veulent Ă tout prix que la finance dirige la politique en remplaçant un peuple rebelle par un peuple soumis. Leur but est de dominer politiquement par la finance et ce, au niveau mondial. Pour cela, ils utilisent les acteurs politiciens corrompus qui en France, veulent instaurer lâislamisme radical. Mais pourquoi lâislamisme et pas autre chose ? Câest trĂšs facile Ă comprendre parce que cela part dâun constat rĂ©el, sans Ă©tat dâĂąme particulier, basĂ© sur lâĂ©tude ainsi que sur les comportements. Dâaucuns affirment que lâislam est une religion. Non, lâislam nâest pas une religion. Lâislam est un faux systĂšme religieux qui impose et entretient Ă tout prix lâabaissement humain. En islam, les gens doivent obĂ©ir aveuglĂ©ment aux ordres du coran. Du fait que le coran interdit toute Ă©volution, les islamistes sont privĂ©s de cette possibilitĂ© depuis lâavĂšnement de cette fausse religion, qui est en rĂ©alitĂ© un systĂšme de nĂ©gation universelle. Il nâexiste aucune possibilitĂ© dâĂ©lĂ©vation dans lâislam appliquĂ© Ă la lettre. Les preuves se voient tous les jours dans le comportement des personnes islamisĂ©es. Tout ce qui est nĂ©gatif et criminel appartient et est revendiquĂ© par lâislam. Lâislam manifeste en permanence la haine et le racisme Ă lâĂ©gard de tous ceux qui ne sont pas de confession musulmane et ces deux notions sont encouragĂ©es intensivement par les mondialistes auprĂšs de ces populations. Les humains qui ne sont pas musulmans sont de ce fait les victimes de cette haine et de ce racisme. Câest tellement visible actuellement, Ă travers les terribles Ă©vĂ©nements qui dĂ©fraient la chronique, quâon ne peut sây tromper. Quoiquâon en pense, il existe effectivement deux catĂ©gories de personnes islamisĂ©es. Ceux qui nâont jamais appliquĂ© les ordres du coran au pied de la lettre, et ceux qui appliquent ces ordres au iota prĂšs. Les premiers sont des apostats, câest le jugement des islamistes radicaux. Certains emploient le terme modĂ©rĂ©s ». Les seconds sont les radicaux. Les apostats, par crainte ou par respect de leur environnement et des lois de la RĂ©publique, ne pratiquent pas rĂ©ellement lâislam. Ils Ă©vitent, par peur ou par ignorance, dâobĂ©ir aveuglĂ©ment aux ordres du coran. Ils sont donc des traĂźtres pour les radicaux et doivent payer de leur vie cette dĂ©sobĂ©issance aux ordres de ce livre. Ce sont les radicaux eux-mĂȘmes qui lâaffirment et câest Ă©crit en toutes lettres dans le livre en question. Il apparaĂźt aussi que pour certaines populations dâapostats, une petite chiquenaude suffirait Ă les faire changer dâavis et Ă se rallier aux radicaux. LĂ encore, la terreur et lâinterdiction de lâĂ©volution ordonnĂ©e par le coran, font de grands ravages. Pour en ĂȘtre convaincu, il suffit dâobserver, entre autres aspects, la condition fĂ©minine musulmane. Les islamistes radicaux nâont quâun idĂ©e en tĂȘte, imposer leurs croyances mortifĂšres partout et obliger le monde entier Ă respecter le coran et lâislam sans aucune possibilitĂ© de retour en arriĂšre. A ce propos, il est extraordinaire de constater Ă quel point quelques pages de papier peuvent tenir des peuples entiers dans lâimmobilitĂ© totale de lâesprit pendant aussi longtemps. Vous nâignorez pas que si vous ĂȘtes musulman et que vous quittez lâislam, vous signez votre arrĂȘt de mort. Le mot est lĂąchĂ©. La mort. Câest le maĂźtre mot de lâislam. Les apostats nâont aucune envie de tuer. Ils souhaitent faire un peu comme tout le monde, ne pas trop en savoir sur leur religion », et ne pas la pratiquer de façon radicale en prĂ©servant au mieux leur dignitĂ© dâĂȘtres humains. Comparativement, voyez le nombre de fidĂšles dans les Ă©glises et vous aurez compris que les religions nâintĂ©ressent plus grand monde aujourdâhui au sein des populations qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de ce carcan. Câest normal du fait que chaque religion a Ă©tĂ© depuis son avĂšnement, un moyen de domination infernal dont les chefs ont usĂ© et abusĂ© pour maintenir les populations dans la crainte et lâignorance pour info, voyez les performances de la sainte inquisition » et certains ratĂ©s » gĂȘnants dont le vatican aimerait quâils soient tenus secrets. Cela ne fonctionne plus vraiment de nos jours car heureusement, beaucoup de populations ont Ă©voluĂ©. LES PEUPLES FRANĂAIS DE FRANCE ET DâAMĂRIQUE DU NORD ONT UN COMBAT COMMUN Deux couplesceux dâEmmanuel Macron et de Justin Trudeau dĂ©vouĂ©s au Nouvel Ordre Mondial pro-islamique! Le QuĂ©bec et les canadiens français de lâOntario et du Nouveau-Brunswick font face Ă Justin Trudeau qui ne rĂȘve que de mondialisation et de gouvernement conservateur de Ford en Ontario a coupĂ© tous les budgets devant permettre de soutenir la francophonie dans sa province,mais il fait face Ă la mobilisation gĂ©nĂ©rale des faut noter que Ford a mĂȘme coupĂ© la totalitĂ© du projet dâune universitĂ© francophone en Ontario sous le prĂ©texte de sabrer dans les dĂ©pensesâŠinutiles! Au QuĂ©bec,nous avons Ă©vitĂ© le pire en Ă©lisant François Legault de la Coalition Avenir QuĂ©bec, mais celui-ci va-t-il bloquer lâimmigration massive rĂ©clamĂ© par Justin Trudeau qui lui rĂ©clamait 50,000 immigrants au QuĂ©bec pour cette Legault sâest fait Ă©lire en promettant de baisser ce chiffre Ă 40,000,mais câest mĂȘme trop car qui va payer pour ces envahisseurs qui parfois,ne parlent pas un mot de français?âŠNous les travailleurs et travailleuses du QuĂ©bec!Nous payons de nos impĂŽts pour assurer la disparition assurĂ©e de notre peuple pour permettre Ă l' »ĂLITE » de continuer Ă engranger les profits capitalistes! Depuis fin septembre, les Acadiens retiennent leur souffle. La balance du pouvoir est entre les mains des trois dĂ©putĂ©s de lâAlliance des gens du Nouveau-Brunswick, un parti qui sâest positionnĂ© ouvertement contre le bilinguisme tel que pratiquĂ© dans la seule province officiellement bilingue du Canada. Sâils espĂ©raient davantage dâouverture, les Franco-Ontariens essaient actuellement dâinverser les dĂ©cisions de leur gouvernement progressiste-conservateur dâabolir le Commissariat aux services en français et dâabandonner le projet dâuniversitĂ© franco-ontarienne. Pour lâavocat spĂ©cialiste des droits linguistiques, Michel Doucet, les situations ont quelque chose de similaire. Il y a des parallĂšles Ă faire. Mais lâapproche au Nouveau-Brunswick est beaucoup plus sournoise. On voit depuis de nombreuses annĂ©es un affaiblissement du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick avec un budget qui, depuis 2002, nâa augmentĂ© que de 500 000 $ Ă 514 000 $ [le dernier budget du Commissariat aux services en français en Ontario Ă©tait de 2,9 millions $]. Si bien que le commissaire nâa pas les ressources de faire son travail.» Le QuĂ©bec ,comme lâOntario ,comme le Nouveau-Brunswick et la France,notre MĂšre-Patrie,en a ras-le-bol! Nos quatre Ă©tats sont actuellement gouvernĂ©s par des nĂ©olibĂ©raux vendus Ă lâoligarchie financiĂšre rattachĂ©e au Nouvel Ordre Mondial et au crime organisĂ© entretenu par les sociĂ©tĂ©s secrĂštes qui les contrĂŽle derriĂšre le rideau dont les francs maçons liĂ©s au rite Ă©cossais et les illuminati qui leur sont associĂ©s! Seule la dĂ©sobĂ©issance civile peut en venir Ă bout et rĂ©tablir la dĂ©mocratie du Peuple,par le Peuple et pour le Peuple! Ă bas le nĂ©olibĂ©ralisme du Nouvel Ordre Mondial et vive la RĂ©volution Nationale Universelle ! Unissons-nous! Navigation des articlesCest un studio PanamĂ©en du nom de Moonsprout Games qui sâattĂšle Ă crĂ©er son Paper Bug la mĂȘme annĂ©e, en essayant Ă©videmment de ne pas trop plagier bien que la rĂ©fĂ©rence soit plus quâĂ©vidente. MĂȘme direction artistique Ă base de personnages plats dans des dĂ©cors volumĂ©triques et mĂȘme gameplay Ă base de compagnons, de QTE et de badges. Mais
Solution â pour MAJORDOME DANS MAGNUM dans les Mots croisĂ©s. â. Trouve les meilleures rĂ©ponses pour finir n'importe quel type de jeu de mot â nous n'avons pas encore sĂ©lectionnĂ© une rĂ©ponse pour cette dĂ©finition, aide les autres utilisateurs en leur suggĂ©rant la solution ou une partie de celle-ci ! Activer les notifications pour recevoir un e-mail lorsque quelqu'un rĂ©pond Ă cette question Restez Ă jour Partagez cette question et demandez de l'aide Ă vos amis! Recommander une rĂ©ponse ? Connaissez-vous la rĂ©ponse? profiter de l'occasion pour donner votre contribution! Similaires Majordome Anglais Dans Magnum Nom Du Majordome Rigide Dans Magnum 7 Lettres Nom Du Majordome Rigide Dans Magnum Majordome Magnum Condition Du Majordome Condition Majordome Majordome Majordome DĂ©vouĂ© Du Capitaine Haddock PrĂ©nom Du Majordome Au Service De Batman Nom Du Majordome De Moulinsart Dans Tintin Dans Tintin, Le Majordome Du Capitaine Haddock Ouvrir Un Magnum Etui A Magnum Magnum Pour Ses Intimes Martin Chez Magnum Il A IncarnĂ© Magnum Dans Les AnnĂ©es 1980 Double Magnum Il Retient Le Champagne Dans Son Magnum Magnum Ă La Fin Il A Joue Magnum Tom Col De Magnum Cent Cinquante Ă Rome Et Dans Un Magnum David, Photographe Co CrĂ©ateur De Lagence Magnum Voiture De Magnum Dans La SĂ©rie Ă Son Nom Inscription gratuite Tu y es presque! Suis les indications dans le mail que nous t'avons envoyĂ© pour confirmer ton adresse. CrĂ©e ton Profil et rejoins notre communautĂ© Continuez Je dĂ©clare avoir lu et acceptĂ© les informations sur le traitement de mes donnĂ©es personnelles Obligatoire Ou Connectez-vous avecGoogle Vos questions EntourĂ©e De PrĂšs 8 Lettres Yzabelle - 27 AoĂ»t 2022 1539 Amenes 8 Lettres Yzabelle - 27 AoĂ»t 2022 1535 Soutenir Une ThĂ©orie Par Des Arguments 6 Lettres Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 2142 Dents De Ceinture 8 Lettres Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 2000 Synonyme De MĂ©priser Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 1936 CĂ©tone Rhizomes Iris 4 Lettres Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 1912 CĂ©tone Rhizomes Iris Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 1911 Paradis De Pirates 8 Lettres Anonyme - 27 AoĂ»t 2022 1851 DĂ©finitions du Jour Qui N'a Pas Froid Aux Yeux 6 Lettres Les Chevaliers Le Recherchent 5 Lettres Pele Ou Tondu 3 Lettres Ăcole De Sorcellerie D'harry Potter EntourĂ©e De PrĂšs 8 Lettres Amenes 8 Lettres Locution Latines Signifiant A Plus Forte Raison 9 Lettres En Usage 6 Lettres Ville Natale De Bethoven Fait Un Boum Loin De Sentir Aussi Bon Que Le Cresson Des Fontaines Se Tient Bien Quand Il Fait Son Tour Avec L Aide Des Passants Lieu De Rassemblement 3 Lettres .... 5 Lettres Au Coeur Plein Daigreur Il Ny En A Pas Pour Les TraĂźtres
Ilne prononçait jamais le saint nom de JĂ©sus, qui est le nom du Verbe incarnĂ©, sans faire une profonde rĂ©vĂ©rence ; il recommandait avec instance de ne point prononcer ce saint nom Ă la lĂ©gĂšre et sans rĂ©flexion, comme cela arrive si souvent. Pendant le saint temps de lâAvent, il ranimait de plus en plus sa foi et son amour pour le divin RĂ©dempteur qui a daignĂ© venir nous
Reminder of your requestDownloading format TextView 1 to 821 on 821Number of pages 821Full noticeTitle Revue du monde catholiquePublisher V. PalmĂ© ParisPublication date 1900-01-01Relationship textType printed serialLanguage frenchFormat Nombre total de vues 49057Description 01 janvier 1900Description 1900/01/01 A39,T141,SER1-1900/03/15 A39,T141,SER6.Rights Consultable en ligneRights Public domainIdentifier ark/12148/bpt6k56569580Source BibliothĂšque nationale de France, dĂ©partement LittĂ©rature et art, Z-23121Provenance BibliothĂšque nationale de FranceOnline date 17/01/2011The text displayed may contain some errors. The text of this document has been generated automatically by an optical character recognition OCR program. The estimated recognition rate for this document is 97%.REVUE DU IMONDE CATHOLIQUE RECUEIL INTERNATIONAL BI-MENSUEL Dogmatique, Politique, SeientiĂźipe, Historique et littĂ©raire TRENTE-NEUVIĂME ANNEE TOME CENT QUARANTE E T UNIEME DEUXIEME DE LA SEPTIEME SERIE Arthur SAVAĂTE, Ăditeur-GĂ©rant BUREAUX A PARIS 76, rue des Saints-PĂšres, 76 A BRUXELLES Rue de la Montagne A GENEVE; Chez H. TREMBLE Y, Ăditeur 4, rue Corraterie, 4 IQOO REVUE DU MON ME 1 CATHOLIQUE REVUE DU RECUEIL INTERNATIONAL DOGMATIQUE, POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE ET LITTĂRAIRE TRENTE-NEUVIĂME ANNĂE TOME CENT QUARANTE-UNIĂME DEUXIĂME DE LA SEPTIEME SERIE PARIS Arthur SAVAĂTE, Ăditeur 76, DES SAINTS-PĂRES, 76 1900 L'ĂLĂMENT SURNATUBEL dans les conversions au catholicisme NOTAMMENT DANS CELLE DU COMTE DE STOLBERG I On ne saurait trop mettre en relief les grands triomphes que remporte de nos jours la vĂ©ritĂ© catholique, quand, par la seule force de son attraction et par l'impuissance de toutes les erreurs qui lui sont opposĂ©es, elle reconquiert les plus nobles de ses enfants que le malheur des temps lui avait arrachĂ©s. Quelle gloire pour l'Eglise fondĂ©e par JĂ©sus-Christ, que sa doctrine, une fois pleinement connue, subjugue les plus belles intelligences, entraĂźne les plus nobles coeurs! Et cette gloire, qui peut sĂ©rieusement la lui contester de nos jours? L'illustre historien allemand des conversions au catholicisme au XIXe siĂšcle rĂ©sume admirablement dans les paroles ci-aprĂšs l'hommage que tout esprit impartial doit rendre Ă la vĂ©ritable Eglise A cette couronne d'Ă©pines qu'elle portait depuis la dĂ©fection de Luther, laquelle a soustrait tant d'individus et de peuples Ă sa paternelle direction, a succĂ©dĂ© aujourd'hui la couronne la plus brillante. Car si, depuis ce lamentable schisme de la chrĂ©tientĂ©, on apprĂ©cie la valeur de ceux qui lui sont revenus de leur plein grĂ©, ne projettent-ils pas autour d'eux un Ă©clat incomparable? Cette Eglise ne peut-elle pas se faire un titre de gloire, humainement parlant, d'avoir Ă©tĂ© et d'ĂȘtre encore l'unique refuge de ces Ăąmes d'Ă©lite, qui, recherchant sincĂšrement Dieu, ne le trouvent finalement qu'en elle 1? » A notre Ă©poque plus que jamais, elle exerce une action irrĂ©i. irrĂ©i. Bilder, etc. 5 vol. in 8°. Schaffouse, 1871 ; Ă©dit. par Hurter. Ier vol., partie allemande. Introd. Traduction française inĂ©dite. 6 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sistible sur tout ce que l'humanitĂ© compte de plus noble dans son sein. De tous cĂŽtĂ©s affluent au bercail ces Ăąmes gĂ©nĂ©reuses, qui, dociles aux inspirations de l'Esprit-Saint, veulent secouer la lourde chaĂźne des prĂ©jugĂ©s qu'on leur a inculquĂ©s dĂšs l'enfance. Ne pouvant plus demander la plĂ©nitude de leurs satisfactions religieuses aux sectes sĂ©parĂ©es du corps de JĂ©sus-Christ, et, par suite, plus ou moins de son esprit, elles se montrent infatigables dans la recherche de la vĂ©ritĂ©, bien assurĂ©es que le secours divin ne leur manquera pas. L'Eglise catholique, dit le cardinal Wiseman, est comme une citĂ© Ă laquelle aboutissent une foule de voies on peut y arriver en suivant les directions les plus diffĂ©rentes, soit qu'on traverse les obscurs et tortueux labyrinthes de l'examen le plus rigoureux, soit qu'on marche dans les sentiers fleuris du sentiment, en se laissant guider par le coeur et ses aspirations. On pourrait dire ici en appliquant un proverbe bien connu, que tous les chemins mĂšnent Ă Rome. » Dans les innombrables conversions qui se produisent, il y en a Ă peine deux qui se ressemblent complĂštement du point de vue des motifs et eu Ă©gard aux moyens dont la grĂące divine se sert pour les rĂ©aliser. L'un sera conduit par les investigations historiques les plus consciencieuses, par la recherche des lois rĂ©gissant les. Ă©volutions des peuples, par le but mĂȘme et l'esprit de ces lois, Ă reconnaĂźtre l'existence d'un ordre surnaturel; d'autres seront poussĂ©s, soit par l'Ă©tude de la philosophie, de la thĂ©ologie, de toutes les questions ardues de ce double domaine, soit par celle du droit et de l'Ă©conomie sociale, soit enfin par les sciences d'observation et de calcul propres Ă faire reconnaĂźtre l'utilitĂ©, la nĂ©cessitĂ© du principe 'religieux comme suprĂȘme rĂ©gulateur de l'activitĂ© humaine. La RĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne n'a pas sujet de redouter la lumiĂšre et ne la redoute pas. Un peu de science, dit Bacon, dĂ©tourne de, la foi, et beaucoup y ramĂšne. Les savantes Ă©tudes, ne sont pas sans doute nĂ©cessaires pour parvenir Ă la connaissance de la pleine vĂ©ritĂ©. Notre-Seigneur JĂ©susChrist, l'auteur de tout bien, a su concentrer dans son Eglise, Ă un si haut degrĂ©, tout ce qui peut donner satisfaction Ă l'esprit et au coeur humain, qu'on peut dire qu'elle a des remĂšdes, des vertus souverainement efficaces et qui rĂ©pondent Ă chaque besoin de l'Ăąme. Les eaux qui jaillissent de cette source inĂ©puisable, propre Ă guĂ©rir tous les maux de la partie intellectuelle et morale de notre ĂȘtre, Ă en vivifier toutes les facultĂ©s, se rĂ©pandent dans le L'ĂLĂMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS J monde, et il n'y a pas d'homme qui puisse se soustraire Ă leur influence salutaire. Quelque diverses que soient les intelligences, les aptitudes professionnelles, les habitudes acquises, ces eaux fĂ©condent le champ immense de l'activitĂ© sociale. Les propriĂ©tĂ©s sensibles de leur action se font sentir partout, en se diversifiant selon la nature sur laquelle ils opĂšrent. Aussi, on ne saurait le mĂ©connaĂźtre, il y a presque autant de motifs de conversion que de personnes qui se convetissent. La raison en est que toute vĂ©ritĂ© intĂ©ressant l'homme, toute grande pensĂ©e chrĂ©tienne, pourvu qu'on s'y attache fortement et qu'on la suive jusqu'au bout, conduit nĂ©cessairement l'esprit jusqu'Ă cette Eglise qui renferme en soi la plĂ©nitude et la totalitĂ© de toutes les vĂ©ritĂ©s religieuses et humaines. En elle rĂ©side le Christ, le centre lumineux d'oĂč Ă©manent tous les rayons qui portent le jour dans les rĂ©gions les plus reculĂ©es de la vie naturelle et surnaturelle, et vers lequel tendent les ĂȘtres créés de toute l'Ă©nergie de leur essence, pour trouver chacun en lui sa perfection propre. Il suffit d'avoir des yeux et des oreilles, on l'a dĂ©jĂ dit avec beaucoup de raison, pour reconnaĂźtre la plĂ©nitude de la vĂ©ritĂ© dans le catholicisme. L'Eglise, fondĂ©e sur un roc inĂ©branlable, est comme le centre d'attraction d'une sphĂšre dont la circonfĂ©rence s'Ă©largit indĂ©finiment dans le temps et l'espace, pour comprendre tous les cercles concentriques possibles retenus dans leur orbite par la mĂȘme attraction. Mais en dehors des motifs particuliers qui tiennent aux aptitudes Ă©galement particuliĂšres de l'intelligence, aux circonstances et influences extĂ©rieures, telles que celles de l'Ă©ducation, des professions embrassĂ©es, il y a chez tous les convertis un dernier mobile commun. C'est ce mouvement du coeur qui, dĂ©passant de plus en plus les limites du moi propre, s'Ă©lĂšve vers Dieu par l'union croissante Ă JĂ©sus-Christ. Il s'opĂšre en chacun d'eux indistinctement un travail continu, quels qu'en soient le mode et les Ă©lĂ©ments dĂ©terminants, pour se rattacher Ă un ordre supĂ©rieur Ă celui de la simple connaissance, Ă l'ordre de la charitĂ© oĂč le coeur exerce davantage son empire et oĂč l'on se trouve plus prĂšs de Dieu 1. i. Notre grand Pascal avait dĂ©jĂ dit La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits Ă la charitĂ©, car elle est surnaturelle. De tous les corps ensemble on ne saurait tirer la moindre pensĂ©e cela est impossible et d'un autre ordre. Tous les corps et les esprits ensemble ne sauraient produire un mouvement de vraie charitĂ©. Cela est impossible et d'un autre ordre tout surnaturel. » PensĂ©es religieuses, ch. vi. 8 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Ce travail se poursuit surtout par la priĂšre, oĂč l'Ăąme entre en communication avec l'Esprit-Saint sous l'action duquel la volontĂ© se dĂ©prend insensiblement d'elle-mĂȘme. Et plus celle-ci est forte, c'est-Ă -dire libre et servie par une forte intelligence, plus elle a besoin de s'attacher, et Ă mesure que ses liens se rompent, de monter vers Dieu par le dĂ©sir, par l'amour. C'est ainsi que la volontĂ©, aprĂšs s'ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e en efforts successifs d'affranchissements, finit par remporter la victoire, en faisant de Dieu l'objet suprĂȘme et unique de ce dĂ©sir, de cet amour. Aussi peut-on dire de tous les convertis que si le commencement du travail de leur conversion, les luttes subies, les difficultĂ©s Ă surmonter pour arriver Ă la plĂ©nitude de la foi diffĂšrent, la fin est toujours la mĂȘme ; c'est le triomphe final de l'amour divin, de cet amour dont le chantre sacrĂ© disait 77 rachĂšte la vie d,e son dĂ©clin; il la couronne de sa misĂ©ricorde et de ses tendresses; il comble tout dĂ©sir de sa douceur, et il renouvelle notre jeunesse, comme celle de l'aigle. » II La conversion tient ainsi du miracle et fournit une Ă©clatante manifestation de l'Ă©lĂ©ment surnaturel. Cette manifestation se produit d'une maniĂšre marquĂ©e dans la conversion du comte de Stolberg 1 ; et l'on peut dire que la plupart de celles qui la suivirent en Allemagne peuvent y ĂȘtre ramenĂ©es comme Ă leur modĂšle et Ă leur prototype. Quelque particuliĂšrement intĂ©ressant que puisse ĂȘtre l'exposĂ© des motifs dĂ©terminants de son retour au catholicisme, d'autant plus nombreux qu'Ă©taient plus vastes et multiples les besoins de sa nature, les exigences de sa raison, il suffit, eu Ă©gard au sujet traitĂ©, de se reporter Ă la maniĂšre dont se termine le long travail i. Cette conversion a donnĂ© lieu en Allemagne Ă des publications trĂšs intĂ©ressantes. La plus rĂ©cente et la plus remarquable est celle Ă©manant d'un thĂ©ologien des plus Ă©rudits de l'Allemagne, du professeur Janssen, auteur de l'Histoire du peuple allemand depuis la RĂ©forme jusqu'Ă la fin du XVlll" siĂšcle, ouvrage traduit en partie en français, et qui fait autoritĂ© dans le monde catholique. Ce savant ecclĂ©siastique, ayant eu Ă sa disposition toute la correspondance de Stolberg avant et aprĂšs sa conversion, a publiĂ© d'abord, Ă l'aide de ces prĂ©cieux documents, un premier ouvrage intitulĂ© La. vie et les travaux de Stolberg, lequel a Ă©tĂ© presque immĂ©diatement suivi de deux autres volumes oĂč se trouvent colligĂ©es et coordonnĂ©es dans leur ensemble les lettres de l'illustre converti. L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS de ses recherches. C'est lui-mĂȘme qu'il faut interroger, en ayant recours Ă ses propres explications sur ses dispositions intĂ©rieures au moment oĂč la grĂące devait agir une derniĂšre fois. Comment comprendre, dit-il, le changement subit de ces dispositions, aprĂšs la priĂšre d'enfants venant de faire leur premiĂšre communion Ă laquelle il avait assistĂ©, froid et indiffĂ©rent, si l'on n'admet une illumination directe de l'Esprit-Saint, achevant de dissiper toutes les ombres qui pouvaient encore ternir le pur Ă©clat du soleil des Ăąmes?... » C'est lĂ ce qu'on peut appeler le cĂŽtĂ© surnaturel, miraculeux de sa conversion. Aussi, pour Stolberg, encore plus que pour les autres convertis, le retour Ă l'Egiise-MĂšre fut-il comme une entrĂ©e dans une vie nouvelle. Ayant Ă©tĂ© baptisĂ© et renouvelĂ© d'une maniĂšre directe et presque surnaturelle dans l'Esprit d'amour, il Ă©prouve un sentiment de bonheur indicible de faire partie de la nouvelle communautĂ©. Ce sentiment, qui remplissait son Ăąme, dĂ©bordait le plus souvent, surtout dans sa correspondance, en ferventes actions de grĂąces et en vĂ©hĂ©ments dĂ©sirs de procurer Ă ses frĂšres sĂ©parĂ©s une semblable fĂ©licitĂ©. Il y avait une telle force de conviction dans ses paroles, une telle ardeur d'amour pour JĂ©sus-Christ, une telle sincĂ©ritĂ© dans ses aveux, dans des retours rĂ©trospectifs sur le passĂ©, que plusieurs de ses anciens coreligionnaires se sentirent Ă©branlĂ©s et finirent, Ă son exemple, par faire le pas dĂ©cisif, seul capable de leur assurer le repos de l'Ăąme. Si le sang des martyrs, disait-on autrefois, engendrait de nouveaux croyants, que dire de l'exemple des convertis encore plus facile Ă imiter? C'est avant tout aux protestants que notre illustre, converti fait appel dans ses nombreuses lettres, aux protestants, qui Ă©taient dĂ©jĂ de son temps et sont encore plus aujourd'hui sur un sol mouvant, tant qu'ils ne passeront pas sur la terre ferme en revenant Ă l'Eglise-MĂšre. Tous ses efforts, tous ses travaux, mĂȘme en partie ceux ayant prĂ©cĂ©dĂ© sa sĂ©paration d'avec eux, tendaient Ă leur montrer qu'ils trouveront lĂ seulement les satisfactions rĂ©unies de l'esprit et du coeur. Il usait nĂ©anmoins ici d'une grande et sage rĂ©serve, blĂąmant tout zĂšle intempĂ©rĂ© ou empreint de duretĂ© de nature Ă froisser les consciences et les coeurs qu'il s'agissait de ramener. Sa noble ambition n'Ă©tait pas tant de procurer une conviction immĂ©diate, tant il savait qu'elle devait ĂȘtre le fruit du temps et de patientes recherches, mais plutĂŽt de frayer la voie vers la pleine et intarissable source de la vĂ©ritĂ© et de l'amour Ă IO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE quelqu'une de ces Ăąmes si bien faites pour s'y dĂ©saltĂ©rer dĂšs icibas, avant de s'y abreuver dans l'Ă©ternitĂ©. C'est Ă ce point de vue surtout que fut efficace le prosĂ©lytisme qu'il exerça autour de lui, au sein d'un monde qui ne laisse pas de lui ĂȘtre cher, et oĂč il comptait tant de personnes qu'il avait su apprĂ©cier, vĂ©nĂ©rer, aimer, et qui Ă©taient restĂ©es toujours bien dignes de son affection. III On comprend, eu Ă©gard au mobile final ou surnaturel de la conversion de Stolberg, en quel sens le dogme de la TrinitĂ©, qui recĂšle toutes les insondables profondeurs de la vie divine, Ă l'envisager dans ses consĂ©quences pratiques, fut comme le point culminant de ses vues et travaux. Les vĂ©ritĂ©s inhĂ©rentes Ă ce dogme ont passĂ© dans son Histoire de la religion de JĂ©sus-Christ, dans son TraitĂ© de l'amour divin, et se retrouvent chez les principaux convertis ses contemporains. Il trouvait le germe de ces vĂ©ritĂ©s dans la doctrine des philosophes de l'antiquitĂ©. Un seul et mĂȘme ĂȘtre, qui n'est autre que la pensĂ©e ou l'intuition de lui-mĂȘme, apparaissant dans les puissances diffĂ©rentes de la matiĂšre sous mille formes et en mille opĂ©rations diverses, s'y retrouvant Ă peine aux degrĂ©s de la sensation et de l'intelligence, mais en possession Ă©ternelle de soi dans l'acte simple de la contemplation, telle est la conception dans laquelle se rĂ©sume le plus haut point de la mĂ©taphysique ancienne, celui que reprĂ©sente Aristote 1. La mĂ©taphysique chrĂ©tienne, dont cette derniĂšre n'Ă©tait i. Essai sur la MĂ©taphysique d'Aristote, par Ravaisson. La doctrine pĂ©ripatĂ©ticienne y est nettement opposĂ©e Ă celle de Platon. Aristote, dit-il, ne conçoit pas la matiĂšre et la forme sous un rapport purement abstrait. Il les rattache par un lien rĂ©el et vivant. La forme, .qui est l'essence de l'ĂȘtre, devient la fin Ă laquelle tend et pour laquelle existe tout ce qui est en lui. Elle en est la fin; elle en est donc le bien ; et c'est par lĂ qu'elle fait tendre vers elle les puissances diverses de la matiĂšre comme autant de moyens coopĂ©rant Ă un mĂȘme but. Ce dĂ©sir du bien, cette tendance vers lui, est toute la nature. L'acte n'est donc qu'un mouvement par lequel la puissance tend toujours Ă l'acte sans y parvenir jamais tout entiĂšre. Dans l'opĂ©ration intellectuelle, il n'y a plus de matiĂšre ni de mouvement, rien que forme, rien qu'acte pur, surtout dans l'opĂ©ration intellectuelle la plus digne L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 11 qu'une prĂ©paration lointaine, qu'un obscur pressentiment, est bien supĂ©rieure, dĂ©rivant de la grande lumiĂšre projetĂ©e sur l'essence divine par la rĂ©vĂ©lation du mystĂšre de la TrinitĂ©. Elle Ă©tablit un lien permanent d'union entre la pensĂ©e-sujet et la pensĂ©e-objet ; et ce lien se rĂ©sout en l'amour infini. Dans le christianisme, il forme comme le foyer ardent et lumineux de l'intelligence premiĂšre d'oĂč partent d'innombrables rayons pour y revenir, et dans laquelle tout ne fait qu'un en esprit, perfection et vĂ©ritĂ©, foyer oĂč tout se consomme et s'unit, transformĂ© en sa flamme divine. Le Dieu-amour, disait Stolberg, est donc le dernier terme du transcendantalisme chrĂ©tien c'est le dogme de la TrinitĂ© qui donne le plus complĂštement la clef de la vie divine et de ses opĂ©rations. Dans son Histoire de la religion de JĂ©sus-Christ, il s'efforça cle dĂ©gager de l'Ancien Testament les premiers linĂ©aments du plan divin se rattachant Ă la pleine rĂ©vĂ©lation de ce dogme dans le Nouveau, et qui en avaient ainsi donnĂ© comme l'avant-goĂ»t. Attachant ensuite Ă cette entiĂšre rĂ©vĂ©lation la haute valeur pratique qui s'en dĂ©duit comme impliquant le parfait amour de Dieu par l'union la plus efficace Ă JĂ©sus-Christ, il ne cesse de faire entendre, dans les prĂ©faces de son ouvrage Ă l'adresse de ses enfants, les plus touchantes exhortations. Qu'on lise notamment celle qui est en tĂȘte du volume traitant de JĂ©sus-Christ, et oĂč il s'exprime en ces termes La religion de JĂ©sus-Christ, chers enfants, ressemble Ă l'union conjugale. Elle demande un engagement irrĂ©vocable d'amour elle n'est, en dĂ©finitive, qu'une union Ă©ternelle d'amour avec de ce nom, celle oĂč l'intelligence toute en acte se contemple elle-mĂȘme, oĂč la pensĂ©e n'a d'autre objet que la pensĂ©e... La pensĂ©e de la pensĂ©e est donc l'ĂȘtre vĂ©ritable, l'acte pur, la cause premiĂšre de tout le reste, et comme telle, elle est Ă©ternellement fixĂ©e dans la conscience de soi, qui seule subsiste par elle-mĂȘme, et par laquelle seule tout le reste subsiste. Dieu, l'ĂȘtre premier et absolu, c'est donc l'acte parfait de la pensĂ©e se contemplant elle-mĂȘme. Chaque ĂȘtre particulier ou chaque nature, c'est un acte imparfait ou un mouvement dont la pensĂ©e est la cause, la fin, l'essence ; ou pour rĂ©duire le mouvement Ă son principe, c'est le dĂ©sir par lequel la divine pensĂ©e prĂ©sente Ă toutes les puissances que la matiĂšre renferme, les fait venir Ă l'existence et Ă la vie. L'aristotĂ©lisme rattache ainsi tous les ĂȘtres parle lien vivant du mouvement et du dĂ©sir Ă une unitĂ© surnaturelle, qui les fait participer tous, par le dĂ©sir mĂȘme dont elle lĂ©s remplit, Ă sa propre perfection, selon leur capacitĂ©, et qui les surpasse tous. » 12 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Dieu en JĂ©sus-Christ ; et ce mĂȘme amour de Dieu en JĂ©sus-Christ forme le lien indestructible d'attachement de tous les croyants entre eux 1. Il faut, avec la simplicitĂ© d'un coeur vĂ©ritablement aimant, tenir nos yeux fixĂ©s sur JĂ©sus-Christ, sur ce soleil de justice qui doit ĂȘtre le foyer central autour duquel sont appelĂ©es Ă graviter, malgrĂ© la pesanteur qui les entraĂźne vers la terre, nos Ăąmes destinĂ©es au ciel. Il faut que de ce foyer l'intelligence reçoive la lumiĂšre, le coeur, la chaleur, et que notre vie devienne ainsi fĂ©conde en toute sorte de bonnes oeuvres. » Dans un autre passage, il dit encore, faisant allusion Ă la mystĂ©rieuse opĂ©ration des personnes de l'auguste TrinitĂ© en nous Dieu a disposĂ© toutes choses de maniĂšre Ă ce qu'il dĂ©pende de chacun de parvenir, par la foi en son ĂȘtre absolu, par l'espĂ©rance en ses promesses, par l'amour pour l'unique et premier principe de tout beau et de tout bien, Ă l'union avec lui 2. » FrĂ©dĂ©ric de Schlegel, qui exerça, une fois converti, une influence immense sur tous ses contemporains, et devint en Allemagne le vrai centre du mouvement catholique aprĂšs Stolberg, fut fortement impressionnĂ© par l'oeuvre de ce dernier. Les observations qu'il lui communiqua Ă ce sujet ont une grande importance, notamment en ce qui touche le dogme de la TrinitĂ©. Pour moi, dit-il, le dogme de la TrinitĂ© est le point fondamental du christianisme. C'est la source premiĂšre de toutes mes convictions, de toutes mes vues et aspirations religieuses. Ce mystĂšre de la vie divine m'ouvre un jour nouveau sur tout l'ensemble des problĂšmes dont je cherchais la solution. Il est, Ă mes yeux, la clef de toute l'Ecriture, me fait mieux pĂ©nĂ©trer l'homme, et sa lumiĂšre illumine Ă la fois les horizons du monde et de l'histoire. i. Dans un autre passage de ses oeuvres, dĂ©veloppant davantage sa pensĂ©e, il dit Les bienheureux aimeront Dieu par-dessus tout, aimant tout pour l'amour de lui et en lui. De cet amour pour Dieu dĂ©coule tout autre amour, qui est ainsi ramenĂ© Ă lui. L'amour est le but de leur existence et leur Ă©lĂ©ment ; et cet amour ne cessera de se manifester par tous les modes possibles de communication et dans les actes les plus divers. En se manifestant, il s'exercera; et en s'exerçant, il ne fera que s'accroĂźtre et progresser Ă l'infini. » 2. Ce point de vue est mis admirablement en relief dans le grand ouvrage d'Hettinger, VApologie du Christianisme partie relative aux-dogmes. De mĂȘme que l'esprit, la pensĂ©e et l'amour sont la reprĂ©sentation de l'image de Dieu en nous dans l'ordre naturel, de mĂȘme la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ© sont, dans Pordre de la grĂące, des effets immĂ©diats de notre ressemblance Ă la TrinitĂ©. Trois personnes dans la divinitĂ©, trois Ă©lĂ©ments constitutifs de l'Ăąme humaine, trois vertus divines dans le rachetĂ© » nB chapitre, pp. 156-157 de l'ouvrage allemand. L'ĂLĂMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 1} Dans un-autre passage, aprĂšs avoir montrĂ© que les protestants ont perdu depuis longtemps l'intelligence de cette doctrine fondamentale du christianisme, il ajoute Ce mystĂšre, au contraire, ressort, dans toute sa plĂ©nitude et avec le dĂ©veloppement de ses merveilleuses proportions et consĂ©quences, dans les dogmes, les principes, et mĂȘme les coutumes et institutions de l'Eglise catholique'. C'est de lĂ que part tout l'esprit divin qui anime et vivifie cette Eglise. VoilĂ aussi, bien vĂ©nĂ©rable ami, d'oĂč est sortie pour moi une lumiĂšre Ă la fois plus pure et plus haute, pour moi qui, depuis les annĂ©es de ma jeunesse, avais fait tant d'efforts pour saisir et atteindre la vĂ©ritĂ©, mais qui m'Ă©tais si longtemps trompĂ© de route. » Marheinecke, l'un des reprĂ©sentants les plus marquants du protestantisme croyant, et qui eĂ»t tant voulu opĂ©rer un rapprochement, une union entrĂ© ce dernier et l'Ăglise catholique, reconi. reconi. l'ouvrage d'Hettinger dĂ©jĂ citĂ© se trouvent Ă©loquemment rĂ©sumĂ©s tous les enseignements de saint Thomas d'Aquin, des PĂšres de l'Eglise, surtout de saint Augustin, sur le dogme de la TrinitĂ©. Nous en extrayons le passage ci-aprĂšs qui se rĂ©fĂšre plus complĂštement Ă la pensĂ©e de Schlegel Le rapport rĂ©ciproque des personnes en Dieu sert Ă©minemment de fondement et de prototype aux rapports effectifs entre Dieu et la crĂ©ature dans l'ordre surnaturel. A l'immanence de la TrinitĂ©, l'Ă©conomie du monde de la grĂące n'a cessĂ© et ne cesse de se rattacher. La foi au Dieu un en trois personnes prĂ©sente un souverain intĂ©rĂȘt, mĂȘme dans le domaine pratique, fournissant la base sur laquelle repose la vie surnaturelle de l'Eglise... NoĂ«l, PĂąques, la PentecĂŽte, ces fĂȘtes pĂ©riodiques reprĂ©sentent d'une maniĂšre effective et vivante, Ă chaque renouvellement d'annĂ©e, la TrinitĂ© dans le cycle de sa manifestation au monde, lequel se rĂ©sume ensuite dans la fĂȘte de la TrinitĂ©. C'est ainsi que le chrĂ©tien ne perd jamais de vue la TrinitĂ© premiĂšre, Ă©ternelle, de laquelle sort, dans le temps, la triple Ă©volution de la crĂ©ation, de la rĂ©demption et de la sanctification. Le PĂšre conduit au Fils, le Fils nous donne l'espĂ©rance de la vie, l'Esprit opĂšre l'amour dans nos coeurs. Ainsi, le baptĂȘme, qui est le principe en nous d'une nouvelle vie, dĂ©pose dans le coeur la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ©. C'est le Dieu un dont les trois personnes, PĂšre, Fils et Saint-Esprit, concourent Ă©galement dans ce sacrement Ă restaurer l'image de Dieu dans l'Ăąme humaine. Notre esprit se tourne vers le PĂšre, dont il est l'image. Notre pensĂ©e, nĂ©e de l'esprit, est l'image du Fils} notre amour, Ă©manant de la connaissance, l'image de l'Esprit-Saint. De lĂ suivent la foi au PĂšre, l'illuminateur de notre Ăąme, l'espĂ©rance dans la Fils qui porte vers le PĂšre nos pensĂ©es, l'amour dans l'Esprit qui dĂ©termine notre volontĂ©. » 14 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE haĂŻt la hauteur du point de vue auquel se place Schlegel dans ses prĂ©fĂ©rences pour cette Eglise 1 C'est avec pleine raison, dit-il, que Schlegel envisage la TrinitĂ© comme le mystĂšre par excellence de l'amour Ă©ternel illuminant toutes les profondeurs de l'unitĂ© divine. » Dominant de cette hauteur toutes les vĂ©ritĂ©s de l'ordre chrĂ©tien et rĂ©vĂ©lĂ©, il,entrevoit dans un prochain avenir les plus belles perspectives, le dogme le plus sublime devant ĂȘtre le fondement sur lequel s'assoira l'Ă©difice religieux, et la thĂ©ologie pratique devant en retirer les semences les plus fĂ©condes et les fruits les plus abondants. Des plus hautes spĂ©culations sur l'adorable mystĂšre, Stolberg" tire le fruit pratique, quand il montre l'immense bontĂ© de Dieu qui le pressait de se communiquer Ă sa crĂ©ature, de lui donner la plĂ©nitude de sa fĂ©licitĂ©. L'essence de l'amour est de se donner 2. En donnant son Fils unique pour sauver le monde, Dieu a Ă©puisĂ© la mesure de sa bontĂ©, et la crĂ©ation reçoit son dernier perfectionnement. RecrĂ©er en nous l'image divine et combattre l'amour dĂ©sordonnĂ© de nous-mĂȘmes, voilĂ le plan tout entier de la RĂ©vĂ©lation, tel qu'il se laisse apercevoir dans les Saintes Ăcritures. Celles-ci forment, suivant les belles expressions de Stolberg, un grand tout organique que vivifient la foi, l'espĂ©rance et la charitĂ©, a charitĂ© comprenant naturellement, outre l'amour pour Dieu, qui a promis et donnĂ© son Fils, l'amour pour le prochain, auquel nous sommes rattachĂ©s par les mĂȘmes liens, alors qu'il peut devenir i. Histoire de la littĂ©rature allemande, par Julian Schmidt, t. II, p. 558.â Ouvrage allemand en 5 volumes, trĂšs important et non encore traduit en français. 2. Ces paroles de Donoso CortĂšs sont tirĂ©es de son Essai sur le Catholicisme, le LibĂ©ralisme et le Socialisme chap. Ăźv. En voici le dĂ©veloppement Le catholicisme est amour. Celui-lĂ seul qui aime est catholique, et le catholique seul apprend Ă aimer, parce que, seul, le catholique puise sa science aux sources surnaturelles et divines. Le PĂšre est amour, et il a envoyĂ© le Fils par amour; le Fils est amour, et il a envoyĂ© l'Esprit-Saint par amour. L'Esprit-Saint est amour, et il rĂ©pand continuellement son amour dans l'Eglise. L'Eglise est amour et embrasse le monde d'amour. Ceux qui ignorent cela ou qui l'ont oubliĂ© ignoreront toujours la cause surnaturelle ou secrĂšte des phĂ©nomĂšnes apparents et naturels, la cause invisible de tout ce qui est visible, le lien qui assujettit le temporel Ă l'Ă©ternel, le ressort mystĂ©rieux des mouvements de l'Ăąme, et comment l'Esprit-Saint agit dans l'homme, la Providence dans la sociĂ©tĂ©, Dieu dans l'histoire. » C'est encore Donoso CortĂšs qui, peignant l'Ă©tat de l'Ăąme dont la charitĂ© c'est la vĂŻe, disait que non seulement son Ă©tat est le plus sublime, le plus excellent qu'on puisse concevoir ici-bas, mais encore qu'il est un tĂ©moignage Ă©clatant des prodiges de l'amour divin. LĂLĂMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 15 comme nous un temple du Saint-Esprit. L'incarnation, qui rĂ©alise l'union de la nature divine et de la nature humaine dans la personne unique du Dieu-Homme, n'est qu'une extension Ă l'humanitĂ© de la vie divine, ou, pour employer l'expression Ă©nergique d'Hettinger, Une effusion surabondante en elle de cette vie qui se propage et se continue d'une maniĂšre permanente par l'Eucharistie dans chacun de ses membres. Par la communion, ils ne font tous qu'un corps dans le Christ, de mĂȘme qu'il ne fait qu'un avec le PĂšre ; et ainsi se rĂ©alise la sublime priĂšre deJĂ©sus-Christ Ut sint unum, sicut et nos sumus. Ego in his et tu in me, ut sint perfecii in unum. S. Jean, ch. xxvn, 22, 23. L'homme Ă©levĂ© par l'incarnation et l'Eucharistie jusqu'Ă la participation Ă l'auguste TrinitĂ©, Ă la vie divine, voilĂ la plus haute rĂ©alisation possible de l'idĂ©al religieux, de la communautĂ© avec Dieu. Et cette communautĂ© le fait aussi entrer en partage de toutes les richesses de l'amour divin, des Saint-Esprit dont la plĂ©nitude rĂ©side en JĂ©sus-Christ et le rend capable du suprĂȘme acte d'amour, celui de se donner tout entier et sans rĂ©serve Ă Celui qui s'est promis lui-mĂȘme dans le ciel pour rĂ©compense. Et ainsi, alors que l'homme ne vit plus pour lui-mĂȘme mais pour JĂ©sus-Christ, ou plutĂŽt que ce dernier seul vit en lui, la vie du ciel, avec tout le bonheur inhĂ©rent Ă l'amour, se trouve rĂ©alisĂ©e sur la terre. Merveilleux spectacle qui fut donnĂ© par les premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes. Comme sont touchantes les aspirations rĂ©pĂ©tĂ©es de Stolberg vers cette patrie cĂ©leste, si bien secondĂ©es par une auguste amie, la princesse de Gallitzin, l'instrument misĂ©ricordieux de la Providence Ă son Ă©gard, si complĂštement partagĂ©es par sa noble femme, par cette digne mĂšre qui, par l'Ăąme, ne faisait rĂ©ellement qu'un avec lui! L'Ăglise créée par JĂ©sus-Christ, comme il en avait l'avant-goĂ»t par le coeur, avant de lui appartenir pleinement par l'intelligence ! Il comprenait d'instinct que cette Ăglise ne pouvait ĂȘtre qu'une universelle communion de charitĂ©. MĂȘme avant sa conversion, il se rĂ©fĂ©rait souvent ici aux deux grands oracles du Nouveau Testament, saint Paul et saint Jean, qui ont le plus mis en relief cette grande vĂ©ritĂ©, pour ne pas dire que tout leur enseignement y Ă©tait contenu. Qu'on lise par exemple la premiĂšre Ă©pĂźtre de saint Jean; ses cinq. chapitres sont comme pĂ©nĂ©trĂ©s, saturĂ©s de l'amour divin. Sa science, tout entiĂšre de JĂ©sus-Christ et de Dieu, se rĂ©sume dans la charitĂ© Dieu seul est bon, avait dit le Sauveur, et saint Jean l'explique en disant In hoc apparuit cari- 16 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tas Dei, quoniam Filium suum unigenitum misit Deus in mundum, ut vivamus per eum. Et la foi, dans saint Jean, ce n'est pas seulement la foi aux mystĂšres, la foi aux choses inaccessibles Ă la raison; la foi, c'est la foi Ă la charitĂ© de Dieu Et nos cognovimus et credidimus caritati. Et chose profondĂ©ment mystĂ©rieuse et qui se rattache au mĂȘme ordre d'idĂ©es, la marque de prĂ©destination serait la bontĂ© Omnis qui diligit, ex Deo natus est et cognoscit Deum. Qui non diligit, non novit Deum » ; et la raison unique qu'il donne, et qui rĂ©sume tous les attributs de l'infinitĂ© divine, c'est que Dieu est charitĂ© Deus caritas est, et qui manet in caritate, manet in Deo, et Deus in eo. Et la vie que nous devons avoir par lui ne fait qu'un avec cet amour mĂȘme Qui habet Filium, habet vitam. Saint Paul, renchĂ©rissant sur ce langage, plonge peut-ĂȘtre plus avant dans les profondeurs du mystĂšre de l'amour divin et des fins derniĂšres de la crĂ©ation. Le chapitre xm de sa lettre aux Corinthiens vient corroborer en un sens la doctrine de saint Jean et contient la suprĂȘme glorification de la charitĂ©. Ce chapitre, qui . commence par ces Ă©tonnantes paroles Si linguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non habeam, facius sum velut ces sonans aul cymbalum tinniens », se rĂ©sume en quelque sorte et trouve sa conclusion derniĂšre dans le verset 8 Caritas nunquam excidit, sive prophetice evacuabuntur; sive lingtm cessabunt, sive scientia destruetur. » Pas besoin d'expliquer la cessation du don des langues, des prophĂ©ties devenues inutiles aprĂšs la fondation de l'Ăglise ; mais cette locution Ă©nergique et absolue Scientia destruetur ne se rapporte-t-elle pas Ă cette vue du monde Ă travers un miroir et comme en Ă©nigme que saint Paul exprimait si bien quand il disait InvisĂŻbĂŻlia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quoe- facta sunt, intellecta, conspiciuntur, sempitema quoque ejus virtus et divinitas, vue qui n'a plus d'objet et s'Ă©clipse devant ce que saint Paul appelle la vision facie ad faciem, autrement dit, la vision bĂ©atifique? Par la mĂȘme raison, la foi, l'espĂ©rance, s'effacent devant la charitĂ©, qui est le but suprĂȘme, le reste ne devant ĂȘtre considĂ©rĂ© que comme moyen pour y arriver ce qu'Ă©nonce l'ApĂŽtre par ces derniĂšres paroles Nunc autem manentfides, spes, caritas, tria hoec major autem horum est caritas. Toutes les grandes Ăąmes se sont pĂ©nĂ©trĂ©es de cette pensĂ©e que la vie Ă©ternelle Ă©tait une vie d'amour commencĂ©e sur la terre par l'union Ă JĂ©sus-Christ dans l'Ăglise qu'il a Ă©tablie. C'est lĂ le prin- L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 17 cipe fondamental qui, s'emparant de plus en plus de l'esprit et du coeur de quelques membres marquants des sectes sĂ©parĂ©es, a Ă©minemment contribuĂ© Ă les ramener Ă l'Ăglise mĂšre, en excitant leurs dĂ©sirs, leurs aspirations, sous l'impulsion la plus pressante de la grĂące. C'est aussi ce principe qui avait agi, nous l'avons vu, de la maniĂšre la plus dĂ©cisive sur Stolberg et tint son Ăąme en Ă©veil, ne lui laissant aucun repos, jusqu'Ă ce qu'il se fĂ»t rattachĂ© indissolublement Ă cette Eglise. Dans le langage qu'il fait entendre aprĂšs sa conversion, on voit que ce sentiment, si longtemps nourri et surchauffĂ© dans son Ăąme, fait explosion, notamment dans sa lettre Ă la princesse Hohenlohe L'Ăglise, dit-il, se montre vraiment une bonne mĂšre et la vĂ©ritable Ă©pouse de qui nous a enseignĂ© le plus pur amour divin par les leçons de toute sa vie et par sa mort, en ce qu'elle embrasse tous ses enfants par les liens d'une sainte et divine communautĂ©. La communion des Saints est sans doute admise dans les professions de foi des sectes chrĂ©tiennes dissidentes; mais elles n'en pĂ©nĂštrent pas la vĂ©ritable signification. Ce que le catholique entend par lĂ est inexprimablement grand, aussi saint que consolant. Il se sent dĂ©jĂ uni ici-bas par les liens Ă©ternels d'un amour croissant Ă tous ceux qui font partie de la vigne du Seigneur, dont les branches s'Ă©lĂšvent au delĂ et au-dessus du temps, pour s'Ă©tendre dans les espaces sans fin et les Ă©ternitĂ©s du ciel. » Et quelle influence n'exerça-t-il pas non seulement sur sa famille, dont tous les membres furent des modĂšles de vraie piĂ©tĂ©, mais sur les plus grandes intelligences de son temps, notamment sur celles de FrĂ©dĂ©ric de Schlegel, et de Adam Millier de Rittersdorff ! Ce dernier ne se lassait pas, une fois converti, de mettre en relief les liens d'Ă©troite union entre les croyants, si fortement cimentĂ©s par la vĂ©ritable Ăglise ; et pour gagner Ă la sainte cause Gentz, son principal ami, il lui Ă©crivait 1 Le propre de la religion chrĂ©tienne, c'est qu'on ne puisse y atteindre et en possĂ©der la connaissance sans qu'on ait en mĂȘme temps le plus ardent dĂ©sir de la vpir embrasser des liens de sa sainte communautĂ© tous les siĂšcles, tous les peuples, tous les hommes. Par cela mĂȘme que le Christ a montrĂ© comment Dieu s'est rĂ©vĂ©lĂ© Ă l'infini dans l'humanitĂ©, on ne saurait pleinement adhĂ©rer Ă la RĂ©vĂ©lation, sans se rattacher fortement, avec tout ce qu'on est et tout ce qu'on possĂšde, Ă l'humanitĂ©. Qui croit au Christ doit aussi nĂ©cessairement croire Ă la 1. Ouv. prĂ©citĂ© de Rosenthal, ior vol., partie allemande, p. 74 et suiv. l8" REVUE DU MONDE CATHOLIQUE communautĂ© une, Ă©ternelle, indivisible, des hommes dans le Christ, autrement dit Ă l'Ăglise 1. » Une autre illustre convertie, Mme de Swetchine, a des accents vraiment inspirĂ©s, quand elle dĂ©voile l'immensitĂ© des horizons qu'ouvre Ă l'esprit et au coeur le dogme de la communion des Saints compris dans le vrai sens catholique. C'est Ă propos de la priĂšre, qui nous fait entrer en communication avec tous ceux qui aiment Dieu, qu'elle fait entendre ces prestigieuses paroles La priĂšre, c'est l'Ă©ternitĂ©; elle embrasse tous les temps. La priĂšre, c'est l'immensitĂ©; elle embrasse tous les lieux. Tout ce qui est, ĂŽ mon Dieu, tout ce qui a Ă©tĂ©, tous les hommes dans la durĂ©e et l'espace, leur sort prĂ©sent et futur, leur fĂ©licitĂ©, leur amour, leur vertu, tout cet infini des Ăąmes et des coeurs se rĂ©flĂ©chit dans l'humble et ardente priĂšre, comme le firmament cĂ©leste se rĂ©flĂ©chit dans l'onde ignorĂ©e du moindre ruisseau. » Les quatre derniĂšres annĂ©es de la vie de Stolberg furent des annĂ©es de suprĂȘme recueillement. AprĂšs avoir perdu deux de ses fils, l'un tout jeune encore Ă la suite d'une longue et cruelle maladie, l'autre mort en brave sur le champ d'honneur, il se retira dĂ©finitivement Ă la campagne. Sa correspondance avec les divers membres de sa famille ou ses amis reflĂšte la douce paix de son Ăąme qu'entretenait cette attente du ciel qu'il dĂ©sirait tant pour eux. AprĂšs avoir fait entendre un suprĂȘme avertissement Ă son siĂšcle, jetant des hauteurs de sa foi un clairvoyant regard sur le plus lointain avenir dans une brochure, l'Esprit du temps, qui fit alors tant de bruit et suscita de si ardentes colĂšres, il ne songea plus qu'Ă l'Ă©ternitĂ©. Concentrant une derniĂšre fois sa pensĂ©e sur un objet qui s'Ă©tait emparĂ© depuis si longtemps de toutes les puissances de son Ăąme, il Ă©crivit un traitĂ© de Y Amour de Dieu. Ce fut, pour reproduire ici le beau langage de Rosenthal, le dernier chant du cygne, que cet opuscule sur la charitĂ©, Ă©crit avec le coeur d'un saint et les transports d'un prophĂšte, suprĂȘme legs du pĂšre Ă ses enfants, de l'ami i. Dans un coup d'oeil gĂ©nĂ©ral sur les travaux d'Adam MĂčller, M. Rosenthal fait observer qu'une fois revenu au catholicisme, ce savant conçut mieux la loi de l'histoire, l'unitĂ© du plan divin. Dans l'Ă©tude des rapports de la vie politique et sociale, il ne manqua jamais de remonter Ă leur source premiĂšre, Ă Dieu mĂȘme, montrant comment une religion qui ne s'adresserait, qu'Ă l'Ăąme sans pĂ©nĂ©trer Ă lĂ fois le corps et l'esprit n'assurerait pas la vĂ©ritable paix, qui existe dans l'unitĂ© harmonique du corps, de l'esprit et de l'Ăąme. L ĂLĂMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 19 Ă ses amis, du chrĂ©tien Ă ses frĂšres, un Ă©cho du testament du bienheureux Jean Mes enfants, aime^-vous les uns les autres. Le 5 dĂ©cembre 1819, quelques jours aprĂšs avoir terminĂ© cet opuscule 1, il expirait au milieu des siens Ă la suite d'une courte maladie, et les derniĂšres paroles que murmurĂšrent ses lĂšvres en mourant furent Loue soit JĂ©sus-Christ ! Sa tombe devait fournir un tĂ©moignage de sa foi, une suprĂȘme et permanente affirmation de l'amour divin qui avatt inspirĂ© toute sa vie. Elle portatt comme unique inscription qu'il avait luimĂȘme demandĂ©e, ce texte de saint Jean Dieu a tant aimĂ© le monde . qu'il a donnĂ© son Fils unique, afin que tous ceux qui croient en lui ne soient point perdus, mais aient la vie Ă©temelle. Toute la correspondance de Stolberg dĂ©montre que ses prĂ©fĂ©rences pour l'Eglise catholique sont fondĂ©es sur l'amour plus effectif de celle-ci pour le divin Sauveur. C'est lĂ le point de vue dominant qui, nous l'avons vu, achĂšve de dissiper tous ses doutes, et qu'il croit le plus propre Ă ramener les plus pieux et les plus sincĂšres de ses anciens coreligionnaires. On voit en lui une preuve Ă jamais mĂ©morable que le vĂ©ritable adorateur de Dieu en esprit et en vĂ©ritĂ© trouve dans le catholicisme le moyen par excellence de laisser pĂ©nĂ©trer jusque dans les derniĂšres profondeurs de son ĂȘtre la vie de JĂ©sus-Christ, et d'arriver, dĂšs ici-bas, Ă ce degrĂ© suprĂȘme d'union qui assure l'exercice des plus sublimes vertus et le dĂ©tachement le plus complet des intĂ©rĂȘts purement terrestres. C'est Ă cette hauteur de spiritualitĂ©, qui ne saurait se confondre avec le mysticisme, qu'aspirait l'Ăąme de Stolberg; et nul n'avait Ă©tĂ© moins impressionnĂ© par tout ce qui constitue les pompes et formes extĂ©rieures du culte catholique. Ce n'est point son imagination qui avait subi un entraĂźnement quelconque, comme les protestants eussent voulu fausssement le faire entendre. Sa raison et son coeur seuls Ă©taient attirĂ©s vers le catholicisme, dont les rites et cĂ©rĂ©monies le rebutaient plutĂŽt. On peut mĂȘme dire que, dans la pĂ©riode oĂč il se sentait le plus Ă©branlĂ©, ces cĂ©rĂ©monies, dont il ne pĂ©nĂ©trait pas suffisamment la signification cachĂ©e, le lond symbolique, furent 1. Comme Stolberg, Schlegel voulut, lui aussi, faire entendre, avant de mourir, un suprĂȘme hommage Ă l'amour divin, sur lequel s'Ă©taient concentrĂ©es ses plus ardentes spĂ©culations. Ses ConfĂ©rences sur la religion chrĂ©tienne, oĂč, en traitant de la foi et de l'espĂ©rance, il avait pĂ©nĂ©trĂ© leurs plus mystĂ©rieuses profondeurs, devaient se terminer par trois leçons sur la charitĂ©. Mais Dieu se contenta de ce dĂ©sir, et on peut dire qu'il mourut en l'accomplissant. Il Ă©crivait encore les pages de la premiĂšre de ces leçons quelques heures avant d'expier. 20 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE pour lui une pierre d'achoppement. Rien de plus Ă©trange pour ceux qui le connaissent, disait l'Ă©vĂȘque de Kellermann *, que de prĂ©tendre que le cĂŽtĂ© purement extĂ©rieur du culte, les rites et cĂ©rĂ©monies l'eussent attirĂ© Ă l'Eglise catholique. Peu de personnes, peut-on dire, poussaient plus loin que lui l'adoration de Dieu en esprit et en vĂ©ritĂ©. Qui s'Ă©levait davantage contre tout ce qui pouvait dĂ©tourner le regard des croyants de l'unique objet nĂ©cessaire, de la vue de notre Sauveur? Qui se dĂ©fendait davantage comme lui de toute autre confiance que celle qu'on doit uniquement avoir dans les mĂ©rites du divin RĂ©dempteur ? Les cĂ©rĂ©monies de l'Eglise catholique, alors qu'aprĂšs un long examen il ne vit plus en elle des dĂ©viations du culte en esprit et en vĂ©ritĂ©, ne l'ont point, il est vrai, empĂȘchĂ© d'entrer dans le giron de cette Eglise ; mais elles donnĂšrent peut-ĂȘtre lieu au plus rude combat intĂ©rieur contre tous les prĂ©jugĂ©s de son Ă©ducation, fortifiĂ©s d'ailleurs par quelques abus de l'Ă©poque. Toutes les grandes conversions qui suivirent la sienne prĂ©sentĂšrent le mĂȘme cachet de profondeur et mirent en relief la puissante fĂ©conditĂ© du catholicisme, qui rĂ©pondait Ă la fois aux plus ardentes aspirations du coeur et aux plus hautes exigences de la raison. Le retour de natures aussi fonciĂšrement diverses que celles de Schlegel, d'Adam deMĂ»ller, deWerner, de Charles de Haller, rĂ©fute de la maniĂšre la plus pĂ©remptoire les reproches de petitesse d'esprit, d'Ă©troitesse de vues, faits Ă l'Eglise catholique. IV Le cĂŽtĂ© transcendantal des spĂ©culations de ces savants, lequel semble croĂźtre en se proportionnant au surcroĂźt de lumiĂšres, et par suite, d'amour divin qui suit leur conversion, nous paraĂźt dĂ» Ă l'action de ce que nous avons! appelĂ© l'Ă©lĂ©ment surnaturel. Cet Ă©lĂ©ment, c'est celui, rĂ©pĂ©tons-le, qui va puiser directement l'efficace de sa vertu aux sources de la vie divine elle-mĂȘme 2. i. Admis dans l'intimitĂ© de Stolberg, alors qu'Ă©tant simple abbĂ© il fut agréé comme prĂ©cepteur de ses enfants, il a Ă©tĂ© plus Ă mĂȘme que tout autre de connaĂźtre Ă fond ses dispositions d'esprit. 2. Dieu n'est pas seulement l'acte pur de la pensĂ©e ou de l'intelligence absolue, tel que le concevaient Platon et Aristote. Il est l'acte pur de la volontĂ© ou de la libertĂ© absolue, c'est-Ă -dire qu'il se veut lui-mĂȘme infiniment. Dieu est pour ainsi L ELEMENT SURNATUREL DANS LES CONVERSIONS 21 Toutes les citations que nous avons faites en preuve de cette action continue de l'Ă©lĂ©ment surnaturel sur les convertis peuvent se rĂ©sumer dans ces expressions d'une lettre de Stolberg au philosophe Jacobi La religion de JĂ©sus-Christ est devenue la vie de ma vie, l'Ăąme de mon Ăąme. » C'est donc sur la volontĂ© qu'influe cet Ă©lĂ©ment, sur la volontĂ© libre, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e, au point de vue chrĂ©tien, comme le noeud vital de notre ĂȘtre, Ă©tant le [souverain rĂ©gulateur de toute la vie morale et intellectuelle. DĂ©velopper une plus grande puissance de volontĂ© et de libertĂ©, c'est l'acte par excellence de Dieu en l'homme, l'action de la grĂące, pour me servir du langage de la thĂ©ologie. Ce dĂ©veloppement poussĂ© Ă son degrĂ© extrĂȘme explique seul les miracles de l'hĂ©roĂŻsme chrĂ©tien des premiers siĂšcles qui a Ă©clatĂ© au milieu de la plus abjecte servitude. C'est au moment du plus haut degrĂ© d'abnĂ©gation et de renoncement de lui-mĂȘme que l'homme acquĂ©rait la plus haute puissance de volontĂ© et de libertĂ©, et maĂźtrisait la nature dans son corps jusqu'Ă en comprimer le cri et endurer tranquillement les plus affreux supplices. DĂ©pouillĂ©e de la faiblesse inhĂ©rente Ă l'ĂȘtre fini, la volontĂ© Ă©tait en quelque sorte, Ă l'instant oĂč elle abdiquait en apparence, rendue par Dieu au centuple, et grandissait alors jusqu'Ă se confondre en un sens avec la libertĂ© de l'Etre infini. Il en faut dire autant de la plupart des convertis, qui ne sont rendus capables des grands et permanents sacrifices qu'entraĂźne leur retour Ă la vraie foi que par l'effort suprĂȘme de volontĂ© que seul peut assurer un vĂ©ritable amour de Dieu. C'est de cet amour que notre grand pyschologue Maine de Biran disait qu'il consiste dans le sacrifice de soi-mĂȘme Ă l'objet aimĂ©. Saint Augustin et saint Thomas disent Ă©galement que l'amour de Dieu dans sa plus haute expression consiste dans le sacrifice pleinement volontaire de soi-mĂȘme Ă l'objet aimĂ©. La charitĂ©, dans sa mystĂ©rieuse ascension, se confondrait d'aprĂšs eux avec l'amour infini que Dieu a de lui-mĂȘme et diviniserait ainsi tout l'homme. Le converti finit, en coopĂ©rant Ă l'action continue de la grĂące, par dire tout moi. Il est moi dans son principe et dans sa foi il est par suite l'unitĂ© absolue. C'est lĂ le Dieu-TrinitĂ©. De mĂȘme qu'en Dieu, l'ĂȘtre par soi ne saurait se concevoir sans l'absolu de la libertĂ© et de la parfaite personnalitĂ©, et l'implique nĂ©cessairement, de mĂȘme aussi, en l'homme créé Ă la ressemblance de Dieu, la libertĂ© ne se comprend que comme l'essence mĂȘme de son ĂȘtre, la substance de l'Ăąme. 22 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE acquĂ©rir cette vertu par laquelle il n'agit plus qu'en vue et pour l'amour de Dieu, et c'est alors seulement qu'il peut surmonter tous les obstacles matĂ©riels et moraux de nature Ă retarder sa rentrĂ©e dans le giron de la vĂ©ritable Eglise. A. CHAUFFARD, Ancien magistrat. Le MystĂšre de Caria i GĂ©nĂ©ralement 1 l'on se contente de dire Le Christ a assistĂ© aux noces de Cana, donc c'est Ă Cana qu'il a instituĂ© le sacrement de mariage. Et alors, Ă cette idĂ©e prĂ©conçue l'on s'empresse de rapporter tous les textes latins ou grecs qui parlent de la sanctification ou de l'honneur du mariage. C'est trĂšs facile, mais cela ne prouve rien. Chose singuliĂšre ! nous n'avons pas trouvĂ© un seul texte, avec preuves Ă l'appui, qui affirmĂąt l'institution Ă ce moment. Billuart lui-mĂȘme ne donne pas de preuves 2. Presque tous, mĂȘme saint Cyrille, passent immĂ©diatement du sens littĂ©ral aux considĂ©rations mystiques. Il en rĂ©sulte dans l'esprit du lecteur une dĂ©sespĂ©rante indĂ©cision touchant ce mystĂšre. Essayons d'en sortir. Dire 3 que, par sa prĂ©sence aux noces Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ a bĂ©ni toutes les noces en gĂ©nĂ©ral en sorte qu'il n'y a plus qu'Ă ajouter la formule pour avoir la grĂące, est une conception assez ingĂ©nieuse, une belle fleur de l'imagination, mais sans rĂ©alitĂ©. Outre que l'on semble favoriser par lĂ l'opinion rĂ©prouvĂ©e du prĂȘtre ministre du sacrement, rien n'indique qu'il en ait Ă©tĂ© ainsi. Il n'est personne qui ne soit frappĂ©, au contraire, du concours apportĂ© Ă la doctrine de l'Ăglise sur le ministre du sacrement, par i. M. l'abbĂ© Trillon de La BigottiĂšre, dont la Revue du Monde Catholique a dĂ©jĂ publiĂ© plusieurs travaux savants et bien Ă©tudiĂ©s, justement remarquĂ©s des hommes compĂ©tents, nous adresse un nouvel article sur le MystĂšre de Cana. Ce n'est qu'un chapitre pris dans un ouvrage qu'il doit prochainement publier sur Les Noces de Cana', mais nous pensons que la gravitĂ© du sujet et la maniĂšre neuve dont il est prĂ©sentĂ© intĂ©resseront le lecteur, Ă qui nous sommes heureux d'en offrir la premiĂšre lecture. 2. Billuart, de Matr. diss., i, A. 3. Invitatus ad nuptias, illas insigno miraculo approbavit, atque illis benedixit, eis conferendo vint causandi gratiam. Ita tradĂčnt S. P., Cyrillus, etc., etc. » 3. Voir entre autres Theob. Lienhart, Th. Argent., t. III, p. 581. 24 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'opinion qui unit Ă l'Incarnation la source de cette grĂące. On ne peut en effet reporter Ă Cana ce que nous avons dit de l'Incarnation comme source et production de cette grĂące sacramentelle ici, l'oeuvre silencieuse de la grĂące se comprend; Ă Cana, il eĂ»t fallu au moins un acte, une parole crĂ©atrice du sacrement ; or, rien de semblable. Toute l'action du rĂ©cit Ă©vangĂ©lique converge vers le mystĂšre du changement de l'eau en vin, et non vers la noce. Il est trĂšs joli, mais peut-ĂȘtre un peu naturaliste, de dire Le Christ, en se mettant Ă table, a bĂ©ni toutes les noces. MalgrĂ© soi l'on pense Ă l'arĂŽme du festin, au dĂ©licieux fumet des bons vins d'Engaddi ou de Sorec, aux celliers de l'Ă©poux, voire mĂȘme au bon appĂ©tit du vieil Isaac ou au fin odorat du gourmand EsaĂč; entourage de pensĂ©es plus digne du signe sensible que de la grĂące, mais comment s'en dĂ©prendre? Cette idĂ©e fit Ă©cole. Eh! n'avait-il pas Ă l'esprit les noces Ă©vangĂ©liques et plus encore Ă la bouche le parfum dĂ©licat des mets exquis de la table royale, ce brave PĂšre Auger, ami et familier de Charles IX, qui, tout en tonnant de grand coeur contre les hĂ©rĂ©sies et mĂ©disances des Calvinistes, BĂ©zĂ©ans, Ochinistes, MĂ©lanchtoniens et autres mĂ©crĂ©ants, dans son discours au roi, se dĂ©fend bien de distraire le sacrement de mariage des noces de Cana et surtout de l'Ă©loigner du bon vin qu'il n'a garde d'oublier MĂȘme, s'Ă©crie-t-il, que le Christ a voulu Ă l'entrĂ©e de ses voyages, et tout au commencement de son issue du dĂ©sert, bĂ©nir et sanctifier le saint Ă©tat du mariage par sa prĂ©sence et y faire tout premiĂšrement reluire sa puissance et grandeur, par un excellent miracle 1, » Tel est ce que j'appellerais le cĂŽtĂ© matĂ©rialiste on naturaliste du mystĂšre de Cana; il n'a pas peu contribuĂ© Ă Ă©garer l'opinion. Inutile d'Ă©tablir une comparaison avec le baptĂȘme de NotreSeigneur. On dit qu'en se baignant dans le Jourdain, JĂ©sus-Christ a sanctifiĂ© toutes les eaux de la terre pour le baptĂȘme et les a dĂ©signĂ©es. comme matiĂšre premiĂšre en attendant la formule. Sens- plus accommodatice de la piĂ©tĂ© que rĂ©el. On trouve cela partout. La piĂ©tĂ© a toujours aimĂ© un aliment de cette sorte, plus inoffensif et subtil que vrai ; base de la piĂ©tĂ© sentimentale si Ă la mode de nos jours et fondement vulgaire de nombreux petits livres spirituels, vraie peste de la dĂ©votion. Bien des Ăąmes simples s'en i. Emd. Auger, S. J, 1572 Discours dĂ©diĂ© au roi Charles IX. "b=r~'* LE MYSTĂRE DE CANA 2$ contentent et sommeillent ainsi dans une spiritualitĂ© sensualiste sans progrĂšs. Il est triste que des Ăąmes plus richement douĂ©es en spiritualitĂ© en soient elles-mĂȘmes rĂ©duites, faute de mieux, Ă de si maigres aliments. Dans le cas prĂ©sent, il est trĂšs vrai que le Seigneur a sanctifiĂ© les eaux du Jourdain comme tous les autres lieux par oĂč il a passĂ©. L'Ăąme pieuse peut s'en rĂ©jouir dans l'action de grĂąces, et jeter en mĂȘme temps un regard sur toutes les piscines sanctifiĂ©es pour le baptĂȘme par la vertu du Christ, en rattachant l'une et l'autre sanctification au mĂȘme mystĂšre. Mais cela ne fait pas que les eaux du monde entier soient sanctifiĂ©es parle baptĂȘme de JĂ©sus-Christ. La preuve en est dans les nombreuses bĂ©nĂ©dictions par le signe de la croix, dans le mĂ©lange sacrĂ© de l'huile sainte et surtout dans les violentes imprĂ©cations et les rigoureux exorcismes employĂ©s pour chasser le diable. La sanctification du Jourdain ne dĂ©passe pas le degrĂ© de sanctification des lieux de pĂšlerinage oĂč, sous l'action bienfaisante de la grĂące concentrĂ©e en ces lieux par la volontĂ© divine, l'influence diabolique et toute pestilence de Satan est diminuĂ©e, Ă©cartĂ©e, anĂ©antie, afin de rendre, l'endroit propice Ă l'Ăąme et digne des effusions privilĂ©giĂ©es du ciel. S'il en est ainsi pour le Jourdain vis-Ă -vis du baptĂȘme, comment soutenir que la prĂ©sence divine Ă Cana ait sanctifiĂ© les noces universelles, en sorte qu'il n'y ait plus que le signe sacramentel Ă ajouter ou Ă former? Aucun rapport, aucune dĂ©pendance entre la sanctification particuliĂšre des noces de Cana et la sanctification universelle des mariages. J'en appelle Ă tous les hommes vivant dans la chair. Pour qu'il en soit ainsi, autour du contrat matrimonial trop de dĂ©mons rĂŽdent Ă l'infini, fort difficiles Ă expulser et trop bien Ă©tablis jusque dans le signe sensible. Dire que le Sauveur, Ă Cana, a prononcĂ© une formule sacramentelle instituant le sacrement, est une assertion gratuite puisque aucun acte, aucune parole, ne sont signalĂ©s en ce sens dans l'Evangile. Et ne serait-il pas Ă©trange que le mariage, seul fĂ»t instituĂ© dĂšs le dĂ©but de la vie publique, par un acte positif, avant la formation du collĂšge apostolique, alors que tous les autres sacrements ne le furent qu'Ă la fin? Pourquoi cette exception extraordinaire? Que l'Eucharistie soit annoncĂ©e d'avance, que Simon reçoive le nom de CĂ©phas, que la grĂące du mariage soit prĂȘte dĂšs l'Incarnation, trĂšs bien rien n'est plus conforme Ă la conduite de JĂ©sus-Christ. Mais la dispensation des dons et des pouvoirs est rĂ©servĂ©e Ă la fin. 20 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Cette hĂąte attribuĂ©e au Messie pour l'honneur du mariage donne aux naturalistes modernes l'occasion de gloser 1. Dire que l'institution part du changement de l'eau en vin, parce que le vin est meilleur que l'eau et le mariage sacramentel meilleur que l'union purement naturelle, et que, par consĂ©quent ce changement fait au repas des noces fut le signal de la grĂące, est une affirmation Ă©galement sans fondement. En effet, l'on en pourrait dire autant de tout changement in melius, et la circonstance du repas de noces ne fait rien Ă la chose puisque les Juifs ne se mariaient pas Ă table. Et puis quel rapport entre le changement de l'eau en vin et le contrat conjugal ? Ne serait-ce pas l'occasion de rĂ©pĂ©ter le Qiiid mihi et tĂŻbi ? Une substance chassant l'autre ! J'y verrais bien plutĂŽt un symbole de sĂ©paration et de divorce. Quelle circonstance plus rĂ©pulsive pourrait-on choisir pour asseoir un symbole d'union et y fixer Ă jamais la grĂące sacramentelle? Enfin, je le rĂ©pĂšte, peut-on croire que le Christ, qui a dit Baptisez-les. â Prenez et mangez. â Faites ceci en mĂ©moire de moi. â Remettez les pĂ©chĂ©s, etc. », en pleines noces, eĂ»t instituĂ© un sacrement de cette importance en gardant le silence, sans en souffler un traĂźtre mot, sans y faire mĂȘme la plus petite allusion, et par un acte qui semble contraire? Les auteurs qui l'ont affirmĂ© l'ont avancĂ© sans preuves ni raisons et sur la seule analogie du mariage de Cana ce n'est pas suffisant. Le mystĂšre des noces de Cana n'est pas le mystĂšre "u sacrement de mariage. Ătudions donc dans la tradition sa signification. II Loin de rapporter au mariage le mystĂšre de Cana, l'antiquitĂ© chrĂ©tienne en a fait tout un autre symbole. Les noces de Cana, dit M. Rohault de Fleury 2, dans le changement de l'eau en vin, symbolisent la conversion des Gentils et aussi la sainte Eucharistie, et se rencontrent souvent dans les premiĂšres reprĂ©sentations des. scĂšnes Ă©vangĂ©liques. Elles semblent avoir d'abord tentĂ© le gĂ©nie i. Voir sur ce ton Renan, Vie de JĂ©sus, ch. iv et v, Reuss, t. IV, page 132 et suivantes, et tous les exĂ©gĂštes plus ou moins pornographes de cette Ă©cole. 2. Rohault de Fleury CEvang., Etud. Jean., 1, ch. xxn, p. 118 et 123. LE MYSTĂRE DE CANA 27 des sculpteurs dans des sarcophages antiques oĂč, au lieu de six hydries, on en voit souvent cinq et quelquefois une seule. NotreSeigneur les touche avec une baguette. » Ăvidemment l'idĂ©e des premiers chrĂ©tiens se portait vers le mystĂšre de la rĂ©surrection des corps, mystique changement de l'eau en vin, dont l'Eucharistie Ă©tait le gage. Cette pensĂ©e sĂ©pulcrale des catacombes nous Ă©carte passablement de la noce. Le Sauveur seul devant les amphores, c'est Dieu et la nature. S'il n'en frappe qu'une, c'est le Surge qui dormis du souverain MaĂźtre de la vie et de la mort. S'il en touche un nombre indĂ©terminĂ©, c'est le symbole de la croyance chrĂ©tienne Ă la rĂ©surrection gĂ©nĂ©rale d'abord, ensuite Ă la conversion des peuples paĂŻens Ă la foi. Pour les premiers fidĂšles, le mystĂšre de Cana est encore l'image de l'Eucharistie et la figure de la transformation surnaturelle de leur vie sous l'action de la grĂące. Au dĂ©but du christianisme la scĂšne est. trĂšs simple et ne cherche que l'expression du symbole, et ce symbole n'est jamais autre que ce que nous venons de dire. Plus on avance, dĂšs le XIe et XIIe siĂšcle, et plus la scĂšne se complique. Elle paraĂźt moins prĂ©occupĂ©e du symbolisme et se rapproche davantage du texte Ă©vangĂ©lique. Mais qui osera soutenir que la perfection du dessin ou de la reprĂ©sentation ait fait disparaĂźtre les sens primitivement adoptĂ©s, lesquels se rĂ©sument en celui de manifestation par transformation ? Ainsi l'entendirent d'abord les temps apostoliques. La nĂ©cessitĂ© d'une prĂ©dication Ă©vangĂ©lique dĂ©sormais plus Ă©tendue força les PĂšres d'abandonner le sens intime du mystĂšre, de s'attacher uniquement aux dehors de la scĂšne, de n'y voir plus que l'honneur fait au mariage par la prĂ©sence du Messie, afin d'en tirer de lĂ©gitimes conclusions morales. Ce n'Ă©tait pas nier le sens vrai du mystĂšre, c'Ă©tait s'arrĂȘter aux nĂ©cessitĂ©s pressantes de la situation, dans une apprĂ©ciation moins approfondie mais non moins rĂ©elle. Il ne faut donc pas chercher autre chose dans les PĂšres que la rĂ©habilitation de l'union conjugale par l'honneur que rend au mariage la prĂ©sence du Sauveur. Ce qui n'empĂȘche pas la tradition dĂ©sormais d'ĂȘtre de plus en plus dĂ©concertĂ©e par cet objectif, touchant le sens du mystĂšre de Cana. La corruption du lien matrimonial a Ă©tĂ© le grand champ de bataille contre l'ennemi du dehors, comme l'hĂ©rĂ©sie fut la grande 28 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lutte contre l'ennemi du dedans. L'on comprend dĂšs lors l'importance, aux yeux des PĂšres, de la dĂ©marche bienveillante de JĂ©sus ce fut le point de dĂ©part d'un renversement complet des idĂ©es paĂŻennes de l'Ă©poque. LĂ©on XIII le reconnaĂźt clairement QuĂŻbus cousis vel ex eo die in hominum conjugia novoe cujusdam sanctitu^ dinis videniur esse profecta 1. Mais la dĂ©fense chrĂ©tienne une fois fortement opĂ©rĂ©e sur l'exemple du Christ, immĂ©diatement les PĂšres se tournent vers l'union divine dans l'Eglise et dans les Ăąmes ou dans la personne mĂȘme du Verbe incarnĂ©, et alors ils s'Ă©lĂšvent, du fait historique, aux plus sublimes pensĂ©es. Pour eux donc, mĂȘme dans la nĂ©cessitĂ© qui les fait parler, le mariage n'est rien moins que la partie majeure du mystĂšre. Dans la conception mĂȘme de leur dĂ©fense contre le paganisme, rien de l'institution du sacrement; S'agit-il de prĂ©venir ou d'anĂ©antir les fausses conclusions de l'hĂ©rĂ©sie le mystĂšre de Cana n'offre pas aux PĂšres de l'Ăglise d'autres armes de combat. Et il est singulier que pas un ne pousse l'argument jusqu'Ă ce raisonnement topique C'est lĂ que fut Ă©tabli le sacrement ! » Si ce dernier mot sort de leur bouche, c'est toujours avec le sens mystique de transformation ou d'union spirituelle. III Chose singuliĂšre! le Moyen-Age, si Ă©pris du symbolisme religieux, est l'Ă©poque la plus pauvre touchant le mystĂšre de Cana, soit comme explication, soit comme reprĂ©sentation. Pourtant, deux choses Ă©taient alors en honneur la saintetĂ© du mariage, dont la cause rendit tant de fois illustre l'hĂ©roĂŻsme des nobles chevaliers, et la chastetĂ© religieuse si vĂ©nĂ©rĂ©e sous tous ses aspects. Comment expliquer, sous ce double rapport, l'absence presque complĂšte du mystĂšre de Cana au Moyen-Age? La raison en est, d'abord en ce qui concerne le mariage, qu'en ce temps-lĂ , pas plus qu'aux premiers siĂšcles, l'on ne crut Ă l'institution du sacrement Ă Cana. Si d'autre part le cĂŽtĂ© mystique fut Ă©galement dĂ©laissĂ©, ce fut moins i. Le mot Sanctitudo » dont se sert LĂ©on XIII, Ă la suite des PĂšres, a un sens trop vague, trop gĂ©nĂ©ral, pour ĂȘtre restreint Ă un cas particulier ; il se prend toujours soit pour le rĂ©sultat d'un acte sanctificateur, soit pour l'ensemble de la justification, mais il ne saurait spĂ©cifier l'acte mĂȘme. Il n'est donc pas question ici du sacrement. LE MYSTERE DE CANA 29 Ă cause de son Ă©vidence Ă laquelle l'on ne fit que peu d'attention, qu'en raison du sens liturgique nouvellement adoptĂ© et plus Ă©clatant, et surtout de l'ardeur gĂ©nĂ©rale qui se porta vers le Cantique des Cantiques, mine spirituelle bien autrement prĂ©cieuse en fĂ©conditĂ© oĂč le rĂŽle de l'Ă©poux et de l'Ă©pouse mystiques, traitĂ© de main de maĂźtre ex professo, Ă©tait Ă©vident. Une nouvelle interprĂ©tation, disons-nous, avait alors pris une importance majeure Ă©clipsant tout autre point de vue. Du triomphe mĂȘme de la civilisation chrĂ©tienne sur l'antique sociĂ©tĂ© paĂŻenne, surgit cette nouvelle ou plus claire interprĂ©tation du mystĂšre de Cana La manifestation du Christ ». JĂ©sus manifestĂ©, c'est tout le Moyen-Age. Ce caractĂšre spĂ©cial du mystĂšre devint le cachet propre de cet Ăąge heureux et comme le cri de joie de la chrĂ©tientĂ©. L'antique paganisme Ă©tait donc vaincu, la chrĂ©tientĂ© Ă©tait formĂ©e. Le Christ rĂ©gnait dans les lois, dans les moeurs et jusque sur le trĂŽne des rois. Aux empereurs paĂŻens, aux julien, aux Valens, avaient succĂ©dĂ© de nouvelles gĂ©nĂ©rations d'empereurs et de rois qui flĂ©chissaient les genoux et prĂ©sentaient au Christ Seigneur l'hommage d'un coeur dĂ©vouĂ© et orthodoxe. ThĂ©odose, Charlemagne, Alfred le Grand, Etienne de Hongrie, Edouard le Confesseur, Henri II l'empereur, Ferdinand de Castille, Louis IX de France, se prosternaient avec les rois mages aux pieds du divin Enfant et lui ouvraient leurs trĂ©sors 1! » Ainsi ces paroles Et manifestavit gloriam suam, eurent leur actualitĂ© historique, devinrent de plus en plus chĂšres au coeur de l'Ă©pouse sacrĂ©e de JĂ©sus et fixĂšrent d'une façon authentique le sens du mystĂšre en le faisant entrer dĂ©sormais dans l'auguste thĂ©ophanie. Une phase nouvelle s'Ă©tait donc ouverte et absorbait tout le sens du mystĂšre dans celui de la manifestation divine. Son triomphe fut dĂšs lors dans la liturgie. Oh ! combien il convenait aux splendeurs de la chrĂ©tientetĂ©, telle qu'elle nous apparaĂźt radieuse au Moyen-Age, d'attacher aux noces de Cana le caractĂšre de la divine manifestation ! 11 y a dans cette conception plutĂŽt oeuvre d'amour, de joie, d'action de grĂąces, de jouissances spirituelles et de cĂ©lestes louanges, que raisonnements didactiques. C'est le cri de joie d'un coeur rempli de la science divine, dĂ©bordant de gratitude et jouissant des triomphes de l'Ăpoux cĂ©leste. 1. DOM GUĂRANGER, Ami. Lit., t. II. 30 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La liturgie sacrĂ©e s'empara donc du mystĂšre envisagĂ© Ă ce point de vue, et il faut convenir qu'Ă cĂŽtĂ© du lyrisme de son enthousiasme, toute reprĂ©sentation par la sculpture ou la peinture eĂ»t Ă©tĂ© bien froide. VoilĂ pourquoi, en ces jours de foi vive, cette reprĂ©sentation s'est faite rare. A la louange silencieuse l'on prĂ©fĂ©ra l'Ă©lan du coeur, et le Tribus miraculis de l'Epiphanie rĂ©sonna plus chĂšrement dans les Ăąmes que le bruit monotone du ciseau Ă froid. L'Eglise fait officiellement, du mystĂšre de Cana, le mystĂšre de la manifestation du Christ. Tel est l'enseignement de son autoritĂ© doctrinale par l'organe de la liturgie; et il est vrai de dire encore une fois que la loi de la priĂšre est devenue la loi de la croyance. On sent ici battre le coeur de l'Ă©pouse. Ce ne sont plus les dehors, mais c'est l'intime mĂȘme du mystĂšre qui nous est dĂ©voilĂ©. N'est-ce pas, du reste, le sens propre indiquĂ© dans l'Evangile? Il est doublement sage de l'adopter dans toutes ses consĂ©quences. S'il s'agit d'un mariage, l'Eglise invoquera le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, citera comme modĂšles la sagesse de RĂ©becca, la fidĂ©litĂ© de Sara, l'amabilitĂ© de Rachel ; mais elle ne songera pas Ă Cana, malgrĂ© la prĂ©sence de JĂ©sus-Christ Ă ces noces. Ce silence significatif cesse d'ĂȘtre une simple preuve nĂ©gative quand la grande voix de la sainte liturgie se fait entendre et dit Cana, c'est le mystĂšre de la manifestation de JĂ©sus, c'est lĂ son cachet, sa signification Manifestavit seipsum. » EmbrasĂ©e du dĂ©sir de faire connaĂźtre, aimer, adorer son Epoux cĂ©leste, ce qui est le plus saint et le plus sacrĂ© de tous ses devoirs, on comprend que l'Eglise ait eu hĂąte d'unir cette manifestation tout intime et mystique de Cana Ă la grande manifestation du 6 janvier. C'est ce qu'elle a saisi de tout temps, dit Baronius l. L'Epiphanie, en effet, est JĂ©sus manifestĂ©, mais sous un triple aspect par le mystĂšre des rois adorateurs, c'est la grĂące prĂ©venante qui vient au-devant de nous; par le baptĂȘme de JĂ©sus au Jourdain, c'est l'Ăąme correspondant Ă la grĂące par la conversion et la pĂ©nitence ; mais par le mystĂšre de Cana, c'est la rencontre des coeurs de l'Epoux divin et de l'Ă©pouse mystique dans la jouissance de l'Ă©ternel amour. Rien n'Ă©gale la joie de l'Eglise quand elle songe Ă ce mystĂšre d'union i. Non una eademque die.. sunt peracta, sed ipsorum tantum memoriam eadem die ah Ecclesia recenseri solitam testantur Patres. » LE MYSTERE DE CANA } I O solemnis feslum loetilioe Qno uniliir Christus Ecclesioe, In quo noslroi saluiis nuptioe Cclebrantur ! HĂ©las ! le Moyen-Age perdit peu Ă peu de sa chaleur. Survinrent les hĂ©rĂ©sies du XVIe siĂšcle si fatales Ă l'expansion de la piĂ©tĂ©, et, en mĂȘme temps, s'Ă©leva l'aurore de la Renaissance si prĂ©occupĂ©e de la forme. On laissa le symbolisme mystique pour courir Ă la dĂ©fense du dogme, et l'on oublia l'accent de la piĂ©tĂ© pour n'envisager que les beautĂ©s de l'art. Le mystĂšre perdit son fruit qui ne fut plus goĂ»tĂ©. Alors les noces de Cana rĂ©apparurent, mais sous un nouvel aspect qu'elles n'avaient jamais eu et qu'elles n'ont plus quittĂ© depuis. Elles devinrent l'excellent miracle du bon PĂšre Auger, et rien que cela. IV Cette situation trop rĂ©aliste a laissĂ© une empreinte frappante dans l'histoire de la peinture c'est lĂ qu'il faut l'Ă©tudier. La sociĂ©tĂ© d'alors Ă©tait encore trop pĂ©nĂ©trĂ©e de christianisme, et ce christianisme Ă©tait trop puisĂ© dans la vie des monastĂšres pour que le talent de l'artiste n'offrĂźt pas comme un reflet des enseignements thĂ©ologiques du temps. L'hĂ©rĂ©sie avait niĂ© le sacrement de mariage on la combattit. Dans la lutte, des champions plus zĂ©lĂ©s qu'Ă©clairĂ©s crurent trouver un accommodement dans la distinction du contrat et du sacrement, chose inouĂŻe jusque-lĂ . Ce fut l'origine de la nouvelle doctrine du prĂȘtre ministre du mariage. Les Ă©poux se mariaient, c'Ă©tait oeuvre naturelle, contrat civil; voilĂ pour satisfaire l'hĂ©rĂ©sie. Le prĂȘtre Ă©tait ministre, bĂ©nissait, recevait l'Ă©lĂ©ment de contrat, l'Ă©levait Ă la grĂące sacramentelle en donnant la matiĂšre et la forme; voilĂ pour contenter l'Eglise. EmpruntĂ©e Ă Melchior Cano, cette doctrine envahit l'Ecole et fut presque universelle. A cause du service qu'elle rendit au dĂ©but, sans grave inconvĂ©nient, et les gouvernements n'ayant pas encore Ă©levĂ© leurs prĂ©tentions sacrilĂšges du Mariage civil Ă la hauteur d'une vĂ©ritĂ©, l'Eglise se tut d'abord. Aujourd'hui l'Eglise ayant parlĂ© ex cathedra, serait hĂ©rĂ©tique celui qui soutiendrait cette doctrine. Mais alors la distinction du contrat et du sacrement parut ingĂ©nieuse, on lui chercha un appui dans l'Ecriture, et les noces de 32 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Cana passĂšrent sans conteste pour la preuve d'Ecriture sainte, pour l'argument de foi, pour la raison majeure Ă l'appui de la thĂšse. Quoi de plus facile que d'y adapter toute la scĂšne Ă©vangĂ©lique ? Le sacrement n'est-il pas surajoutĂ© au contrat par la prĂ©sence divine et peut-ĂȘtre mĂȘme trois jours ou plus aprĂšs le mariage ? VoilĂ donc les noces de Cana devenues, au XVIe siĂšcle, origine du sacrement de Mariage, et Notre-Seigneur disciple de Melchior Cano ! L'enseignement en a Ă©tĂ© tellement universel et si peu contestĂ©, que je crois fort bien surprendre ici plus d'un confrĂšre, trĂšs soumis d'ailleurs aux enseignements rĂ©cents de Rome et aux dĂ©finitions de Pie IX et de LĂ©on XIII, mais qui croient de tout leur coeur qu'Ă Cana JĂ©sus-Christ a instituĂ© le sacrement de mariage. Peut-ĂȘtre, et sans s'en rendre bien compte, sont-ils aussi un peu trop attachĂ©s aux anciens pouvoirs de leur Ego conjungo vos. Une telle descente dĂ©couronna le mystĂšre et dĂ©concerta l'artiste. On peut peindre une vertu Ă l'aide des emblĂšmes et atteindre ainsi un certain idĂ©al. Henri Goltzius, GĂ©rard de Lairesse, LĂ©onard Bramer, etc., ont excellĂ© dans ce genre. Mais comment peindre un sacrement en dehors de la reprĂ©sentation du signe sensible et des personnages qu'il met en jeu? Le sacrement, sĂ©parĂ© du contrat, fut forcĂ©ment relĂ©guĂ© dans le domaine des choses purement mystiques, invisibles, surnaturelles, insaisissables Ă toutes prises autres qu'Ă la foi. Il dut ĂȘtre laissĂ© de cĂŽtĂ© par l'artiste, qui n'eut plus devant lui qu'une rĂ©union vulgaire de contractants. Le contrat perdit en mĂȘme temps tout son idĂ©al divin et laissa l'artiste aux prises avec la forme. La prĂ©occupation de l'esthĂ©tique remplaça naturellement l'inspiration puisĂ©e naguĂšre aux sources de la foi. L'Ă©volution artistique Ă©tait conforme Ă l'enseignement dogmatique de l'Ecole, mais prĂ©cipita la dĂ©cadence. Autour de la table des noces de Cana s'assit une sociĂ©tĂ© purement mondaine. JĂ©sus et Marie commencĂšrent Ă produire dans les tableaux un singulier contraste, ils y parurent presque dĂ©placĂ©s, et l'on comprend Ă ce sujet l'embarras et l'hĂ©sitation des peintres. Ils s'en sont adroitement tirĂ©s de deux façons d'abord en nĂ©gligeant le sujet, puis en le traitant, quand par hasard ils l'ont fait, avec le plus extrĂȘme rĂ©alisme, sans quoi que ce soit d'idĂ©al. V Ils l'ont nĂ©gligĂ© au point que nous n'avons pu compter en Europe qu'une vingtaine de AbcĂšs de Cana, et encore presque uniquement dans une ou deux Ă©coles, italienne ou flamande. LE MYSTERE DE CANA 33 Voici celles que nous avons trouvĂ©es. Sans doute quelques-unes ont Ă©chappĂ© Ă nos recherches, mais elles ne peuvent ĂȘtre en nombre. Ce sont Carlo Bononi i569-1632; â Domenico Fiasella, dit le Sarzane 1589-1669; âJosĂ©pin, CĂ©sar d'Arpino 1566-1640; â JeanPaul Panini j 695-1766 ; â Alexandro Bonvicino 1498-1560 ; â Jacques Bassan 1510-1598; âJacques Tintoret 1512-1594; â Paul VĂ©ronĂšse 1528-1588; â Alex. Varotari, dit le Padouan 1590-1650 ; â Domenico Tiepolo 1726, une estampe; â AndrĂ©a Vincentino 1539-1644; â Alex. Allori 1535-1607 ; â un inconnu, n. 596, au Louvre, quinziĂšme siĂšcle; â encore VĂ©ronĂšse Paolo Cagliari, au musĂ©e de Dresde, 4 mĂštres sur 2 m. 25, plus beau que celui du Louvre, au dire de M. Lavice ; â un troisiĂšme de VĂ©ronĂšse, au musĂ©e Brera, Ă Milan ; â un quatriĂšme, du mĂȘme, au musĂ©e de Madrid. â Ecoles hollandaises et allemandes Jean Steen 1636-1689; â Rottenhammer, Ă la PinacothĂšque de Munich; âAmbroise Francken le Vieux 154 5-1618, collection Mertens, Ă Anvers ; â Ludger 1562, Ă Berlin. âDe l'Ă©cole française, nous n'avons que François Lemoyne 1681-1737. â Ajoutez un vitrail rĂ©cent Ă Notre-Dame de Bon-Secours, de Munich, par Roeckel 1839, l'unique assiette-corbeille de Palissy, au Louvre, collection Sauvageot, seule piĂšce dans la cĂ©ramique que nous connaissions, une mauvaise tapisserie de Reims et la belle cheminĂ©e de l'hĂŽtel de ville d'Anvers, et vous aurez Ă peu prĂšs tout. C'est peu, surtout en comparaison des nombreux et magnifiques tableaux peints Ă cette Ă©poque avec une si heureuse expression d'idĂ©al et de spiritualisme. Quel peintre italien n'a pas ses Fiançailles de sainte Catherine ? on les compte par centaines 1. Quelles suaves compositions n'a pas inspirĂ©es la chaste Suzanne, si chĂšre Ă l'Ă©cole française? nous ne saurions les nombrer. Qui ne sait qu'alors le Mariage de la Vierge*, la CĂšne, l'Annonciation, la 1. Voici ses principaux peintres Le Primatice, dell. Tibaldi, G. Procallini, L. Sabbatini, A. S. Coello, P. Mignard, B. Luini, F. Mazzuoli, B. Boccaci, le CorrĂšge, N. dell. Abate, G. Mazzuola, G. Maratti, V. Tomagni, L. Lotto, G. Licinio, Van Eyck, Otho Venius, Abr. Van Diepenbeck, N. Roose, Ph. Luppi, Fr. Bartholomeo, G. Bugiardini, Zampieri, Tisi, Tiarini, Del Sarte, Robusti Tintoret, Ghirlandajo, Feti, Ferrari, Betoni, Allegri, Alfani, etc., etc. 2. Ceux qui ont le plus excellĂ© dans ce sujet sont Les Castillo, Ch. de La Fosse, J. Jouvenet, C. Vanloo, F. Mazzuoli, B. Boccaci, L. Cambasio, le Sarzane, D. Piola, V. Castello, F. Solimena, le PĂ©rugin, L. Costa. Raph. Sanzio, B. Van Orley, H. Van Balen, Th. Boeyermann, le Rosso, etc. REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 1or JANVIER 19OO 2 34 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sainte Famille, la Conversion de Madeleine, NoĂ«l et le Calvaire, les Disciples d'EmmaĂ»s, si souvent reproduits, ont comme spiritualisĂ© l'art de la peinture ? En est-il ainsi des Noces de Cana? Non. On a pu donner une expression aux tableaux de l'Enfant prodigue, du Bon Samaritain, mais comment exprimer quelque chose d'idĂ©al et de surnaturel dans les Noces de Cana, si ce ne sont que des noces? Les peintres d'intĂ©rieurs, de scĂšnes rustiques, de vie commune, de portraits ou de tabagies, et les spĂ©cialistes ont gĂ©nĂ©ralement laissĂ© de cĂŽtĂ© les sujets religieux, prĂ©fĂ©rĂ©s des peintres de la nature et de l'histoire, et cependant c'est chez eux que l'on trouve les Noces de Cana ! Peignez les faits historiques, la belle nature, les ruines, vous arriverez facilement aux emblĂšmes, Ă l'idĂ©al, au religieux ; mais si avec GĂ©rard Dow vous peignez VEpiciere du village, la jeune MĂ©nagĂšre, la CuisiniĂšre hollandaise, la jeune Fille aux oignons ou la Nourrice, vous ne serez jamais peintre religieux, eussiez-vous fait l'Ermite. HĂ©las ! c'est cependant Ă ce niveau qu'il faut descendre pour rencontrer la Noce de Cana. Larousse, dans son fatras de dictionnaire, si recherchĂ© des folliculaires et des feuilletonnistes, en fait brutalement la remarque. Mettre de cĂŽtĂ© le sens de manifestation adoptĂ© par l'Eglise et qui n'Ă©tait au fond qu'une sanction, qu'un rĂ©sumĂ© des interprĂ©tations antiques ; dĂ©couronner le Mariage de l'aurĂ©ole gracieuse du sacrement; laisser entre les mains de l'artiste le contrat seul, entiĂšrement nu, furent les causes majeures de la sĂ©cularisation de ce mystĂšre. Aussi le trouvons-nous dans des mains Ă©tranges c'est Benvenuto Tisio, qui met sur le mĂȘme chevalet les Noces de Cana et les Noces de Bacchus et d'Ariane c'est l'allemand Ludger, de Berlin, qui n'en fait littĂ©ralement, dit M. Waagen, qu'une grande cuisine garnie d'une foule d'accessoires ; c'est Jean Steen, qui souvent peignit la noce et la fit plus souvent encore et dont le pinceau irrespectueux reprĂ©senta Ă Cana une vraie scĂšne Ă boire, miroir trop rĂ©aliste du caractĂšre joyeux de l'artiste. La Noce des Paysans, les Paysans sous la treille, les Buveurs, la Dispute au cabaret, Ă©taient bien mieux son affaire 1. i. Voir CH. BLANC, Hist. des peintres, Ecole holl. Jean Steen vĂ©cut au cabaret et finit mĂȘme par en faire un de sa maison. EntrĂ© en mĂ©nage d'une façon Ă©quivoque, deux fois failli, sur le point d'ĂȘtre saisi, il riait encore en disant LĂ oĂč il n'y a rien Ă prendre, le diable perd ses droits et le roi aussi. » Le sentiment comique de l'artiste perce jusque dans son JĂ©sus prĂȘchant dans le dĂ©sert et dans ses Noces de Cana. Ces derniĂšres furent mises aux enchĂšres Ă la vente du duc LE MYSTĂRE DE CANA 35 Ainsi comprises, les Noces de Cana devinrent une mine prĂ©cieuse ce fut comme une dĂ©couverte. Elles suscitĂšrent d'abord un Ă©lan nouveau vers l'idĂ©e singuliĂšre de remplacer la figure idĂ©ale et surnaturalisĂ©e des saints par des portraits connus. Pourquoi pas, du moment que le point de vue spirituel de Cana Ă©tait absent ? L'archĂ©ologue aujourd'hui y trouve son butin. La reconnaissance envers des bienfaiteurs, la flatterie plus ou moins intĂ©ressĂ©e envers les grands, la voix du sang, une certaine curiositĂ© historique, en firent presque un devoir. Bien difficile, incompris et grincheux celui qui y trouverait Ă redire. Les Noces de Cana n'ont pas peu contribuĂ© Ă vulgariser cette laĂŻcisation de la saintetĂ©, alors si Ă la mode, et aujourd'hui encore apparente sur nos vitraux modernes. Tandis que Jacques Bassan, dit Charles Blanc, envoyait tour Ă tour ses robustes filles remplir le rĂŽle de l'Ă©pouse Ă Cana, de Madeleine Ă CapharnaĂčm, de reine de Saba Ă JĂ©rusalem, ou les chargeait de porter des poules Ă la CrĂšche, nous voyons Paul VĂ©ronĂšse donner le grand ton aux Noces de Cana. Tous Ă l'envi l'ont imitĂ© sans le surpasser il a fixĂ© Ă jamais sur la toile le naturalisme de ces Noces c'est son chef-d'oeuvre. Il n'en est guĂšre de plus Ă©tonnant dans tout le royaume de l'art. Cent trente figures s'y meuvent Ă l'aise, en plein air, au soleil. Le banquet est servi dans la cour intĂ©rieure d'un palais de marbre, Ă deux pas d'un portique en brocatelle rose de VĂ©rone. Au loin, par delĂ une terrasse Ă balustrade, on aperçoit un campanile et d'autres palais ornĂ©s de statues qui forment, avec le ciel, un encadrement des plus nobles. Le peintre nous fait arriver au moment oĂč s'accomplit le miracle. JĂ©sus-Christ est assis dans le fond, au centre de la table. A cette mĂȘme table figurent François Ier, CharlesQuint, le sultan Achmet, la reine Marie d'Angleterre. Le mariĂ©, beau jeune homme Ă barbe noire, vĂȘtu de pourpre et d'or, est Alphonse d'Avalos, marquis du Gast, et la mariĂ©e, ĂlĂ©onore d'Autriche, soeur de Charles-Quint et reine de France. Plus loin, une femme Ă©lĂ©gante tient un cure-dent, c'est Vittoria Colonna, marquise de Pescaire. Puis viennent des cardinaux et des moines. Au premier plan, des musiciens. Le Titien joue de la contrebasse, Bassan de la flĂ»te, Paul VĂ©ronĂšse du violoncelle, le Tintoret de mĂȘme. Debout, B. Gagliari, frĂšre du peintre, tient une coupe de vin, de Berry, 1839. Elles faisaient, par leur comique, les dĂ©lices de la veuve douairiĂšre Ă qui, chaque jour, elles Ă©taient prĂ©sentĂ©es comme un spĂ©cifique puissant contre les idĂ©es de tristesse, d'ennui et de mort prochaine. » 36 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE dont, dit la chronique, il Ă©tait quelque peu friand. Puis viennent 1 de nombreux valets. Ce tableau est le triomphe de VĂ©ronĂšse et peu ? s'en faut qu'il ne soit le triomphe de la peinture. » Il fut le modĂšle j enviĂ© et la cause d'un vĂ©ritable enthousiasme pour ces sortes de j compositions. L'enthousiasme fut si grand que le Titien ne ren- j contrait plus VĂ©ronĂšse dans les rues de Venise, qu'il ne l'embrassĂąt l comme un fils. ' \ La signification du mystĂšre se transforma de nouveau et ] s'amoindrit encore. j On y vit bientĂŽt, moins une rĂ©ponse pĂ©remptoire aux nĂ©gations \ des novateurs et une sanctification du mariage, qu'une gĂ©nĂ©reuse j condescendance du Messie envers l'humanitĂ©, qu'un acte de cour- \ toisie et de charitĂ©, qu'une approbation tacite du bien-ĂȘtre apportĂ© dans la vie par les ressources du progrĂšs. Le Padouan Varotari, dans la scĂšne magnifique qu'il nous a donnĂ©e de Cana, a illustrĂ© cette derniĂšre transformation, l'a spĂ©cifiĂ©e pour ainsi dire en un pur acte de bontĂ© et de bienfaisance. N'a-t-il pas placĂ© prĂšs de JĂ©sus et au premier plan, couchĂ© Ă terre, un pauvre Ă qui tout le premier semble ĂȘtre versĂ© le vin du miracle? 11 y a plus bas. Notre dix-neuviĂšme siĂšcle s'est prostituĂ©, touchant le miracle de Cana, jusqu'Ă l'ignominie. Sur ce point l'Ă©cole naturaliste a perdu toute honte et la plume se refuse ici Ă laisser mĂȘme soupçonner les sens pornographiques des fils de Satan, jamais la licence n'est allĂ©e si loin et il est regrettable qu'il se soit trouvĂ© dans le langage humain des termes pour rendre les pensĂ©es des rĂ©gions infernales. Parmi les catholiques d'aujourd'hui, les mieux intentionnĂ©s ne vont mĂȘme pas jusqu'au dĂ©vouement du Padouan. Pour eux, le miracle de Cana est tout simplement un acte fortuit de courtoisie occasionnĂ© par l'imprĂ©voyance ou la surprise de nos jeunes fiancĂ©s, exposĂ©e le plus naturellement du monde par Marie Ă son fils. Le bon JĂ©sus, n'Ă©coutant que son coeur, vint au secours de ses amis et, sans en penser plus long, fit le miracle pour les tirer d'embarras. Cela, paraĂźt-il, fit du bruit et sa gloire commença de se manifester. Tout naturellement^ Personne ne s'Ă©tonnera, n'est-ce pas, qu'il n'y ait plus de Noces de Cana sur le chevalet de nos peintres ? LE MYSTĂRE DE CANA 37 VI A partir de VĂ©ronĂšse, les Noces de Cana quittĂšrent l'Ă©glise, oĂč n'Ă©tait plus guĂšre leur place, pour entrer au rĂ©fectoire. Son tableau du Louvre avait Ă©tĂ© peint pour le rĂ©fectoire des PĂšres de SaintGeorges-le-Majeur, vis-Ă -vis le palais ducal, Ă Venise. Chaque communautĂ© voulut dĂšs lors orner de peintures son rĂ©fectoire. Le bon PĂšre Torlioni, des ServĂźtes, rĂ©clama le premier pour son couvent de. Saint-SĂ©bastien, et Cagliari leur fit en 1570 le Repas che% Simon le pharisien au Louvre. Trois ans plus tard le voici chez les Dominicains des Saints-Jean-et-Paul, Ă peindre le Repas che% LĂ©vi. Pendant ce temps, Alex. Varotari, dit le Padouan, peignait pour les Chanoines rĂ©guliers de Saint-Jean-de-Latran les mĂȘmes Noces de Cana dans leur rĂ©fectoire de San Giovanni di Verdara, de Padoue. Jacques le Bassan ne donne pas Ă sa toile une autre destinĂ©e. Le cĂŽtĂ© purement matĂ©riel va donc en s'accentuant et ce ne sera bientĂŽt plus que par un effort mystique de piĂ©tĂ© que les bons moines trouveront un sens religieux aux Noces de Cana. Voyez Robusti, dit le Tintoret, quel art il dĂ©ploie dans le rĂ©fectoire des Padri Cruciferi ! II semble avoir pris Ă tĂąche de consoler les bons PĂšres de leurs longues abstinences en prolongeant l'illusion culinaire dans leur rĂ©fectoire La table s'enfonce, dit M. Charles Blanc, dans la perspective et se couvre d'une vive lumiĂšre qui fait briller les mets du festin et rayonner les visages des convives, isposition hardie, clair-obscur fort intĂ©ressant. A droite, dans une demi-teinte, sont les serviteurs qui portent le pain et les viandes et versent l'eau changĂ©e en vin. Cette peinture produisait une illusion charmante, parce que la perspective observĂ©e dans le tableau, en faisant la continuation du rĂ©fectoire et en perçant la muraille, figurait comme une rallonge oĂč les bons PĂšres voyaient assis Ă leur table le Christ .et la Vierge avec les disciples de GalilĂ©e, qui buvaient fraternellement le vin du miracle. » Les bons moines en question pouvaient aussi se rappeler certaines multiplications miraculeuses des biens de ce monde, obtenues de la divine bontĂ© et consignĂ©es dans les lĂ©gendes des saints. Le tableau de Cana Ă©tait pour eux comme une promesse vivante que le ciel ne cesserait de leur ĂȘtre favorable. C'Ă©tait aussi comme une riche action de grĂąces votĂ©e par le monastĂšre Ă ses bienfaiteurs et aux chefs monastiques qui s'Ă©taient attirĂ© leur bienveillance, car les uns et les autres y voyaient leurs portraits. 38 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Sous ces divers rapports, les Noces de Cana avaient encore un aspect religieux qui leur permettait l'entrĂ©e du couvent. Elles le perdirent bientĂŽt, parurent bien profanes et ne furent tolĂ©rĂ©es qu'Ă titre de dĂ©coration simple. Plusieurs puristes y virent mĂȘme la marque Ă©vidente de la dĂ©cadence monastique et du relĂąchement religieux. Les Noces de Cana devinrent comme un scandale dans le cloĂźtre, tolĂ©rĂ© uniquement, dans ce lieu mi-religieux, mi-profane, qu'on nomme rĂ©fectoire, Ă peu prĂšs comme les Ă©trangers qui y Ă©taient admis, au nom de l'amitiĂ©, de l'esthĂ©tique ou de la pitiĂ©. On rechercha une dĂ©coration en harmonie avec le lieu, voilĂ toute la pensĂ©e directrice. Et, selon le goĂ»t du temps, l'on mĂ©langea le sacrĂ© avec le profane dans une promiscuitĂ© honteuse. Carlo Bononi peint les Noces de Cana plusieurs fois pour les Chartreux, le Souper d'AssuĂȘrus, pour les chanoines rĂ©guliers de Saint-Jean, Ă Ravenne, le Festin d'HĂ©rode. François Lemoyne peint sept tableaux, religieux et profanes, pour le rĂ©fectoire des Cordeliers d'Amiens, et parmi eux il devait adjoindre les Noces de Cana, lorsque la question d'argent fit rompre le marchĂ© 1. L'esprit de tolĂ©rance s'Ă©tendit encore et l'on ne fut plus offusquĂ© de voir les Noces de Cana quand elles se trouvĂšrent sur le mĂȘme pied que les Noces de Bacchus et d'Ariane, de Neptune et d'Amphitrite, de MĂ©nĂ©las, de PersĂ©e, de ClĂ©opĂątre. L'on ne put arriver plus bas. Chose singuliĂšre! le pur assemblage artistique redonna, pour un instant seulement, l'entrĂ©e de l'Ă©glise aux Noces de Cana; plus qu'une tolĂ©rance, ce fut presque une rĂ©habilitation. Un jour donc, le prieur de la Chartreuse de San Martino, de Naples, s'en vint trouver d'Arpino et lui dit Seigneur CĂ©sar, nous voulons dĂ©corer notre Ă©glise, les voĂ»tes sont Ă compartiments, quatre tympans se trouvent au-dessus des fenĂȘtres du choeur, quels sujets y mettrons-nous? » L'artiste rĂ©flĂ©chit, et, comme l'on dĂ©corait directement au-dessus de la table d'autel, que d'ailleurs la mode Ă©tait aux festins, il rĂ©pondit sans hĂ©siter RĂ©vĂ©rendissime PĂšre, dressons quatre tables, si vous le voulez bien banquet du pharisien, pains de proposition de David, le Christ Ă EmmaĂčs, et puis, quoi?... les noces de Cana !» i. NommĂ© acadĂ©micien et fier de sa gloire, il voulut refaire son tarif avec les religieux; ceux-ci maintinrent leurs droits et l'artiste vendit en AmĂ©rique ses Noces de Cana, qui furent perdues pour nous. LE MYSTERE DE CANA 3 9 AcceptĂ©! » dit le prieur; et ainsi la noce rentra Ă l'Ă©glise. Il n'est pas jusqu'aux conventions avec l'artiste qui n'aient une forte odeur de rĂ©fectoire .et de naturalisme Combien me donnerez-vous pour ma toile ? dit VĂ©ronĂšse au prieur de Saint-Georges. â 324 ducats d'argent. â Bien! et ma nourriture? â Et votre nourriture. â Et le don d'un tonneau de bon vin ? â C'est entendu », dit le prieur 1. Une conclusion plus triste encore finira cette Ă©tude. Le MystĂšre de Cana est tellement oubliĂ©, et la Noce sainte est tombĂ©e si bas, que les artistes ont fini par l'abandonner bien avant les dĂ©crets sauvages qui fermĂšrent les rĂ©fectoires. Quelle est donc l'Ă©glise oĂč se trouve une Noce de Cana? Ah ! plaise Ă Dieu que cet humble Ă©crit inspire Ă quelqu'un de nos artistes chrĂ©tiens l'idĂ©e'de nous peindre enfin les Noces de Cana et de leur donner ce ton angĂ©lique et cĂ©leste, puisĂ© Ă l'intime du mystĂšre, et seul digne de les reprĂ©senter ! Nous croyons pouvoir le dire, mĂȘme en face du chef-d'oeuvre de VĂ©ronĂšse le MystĂšre de Cana attend encore son peintre. DĂ©sormais donc, hors de la contrainte imposĂ©e Ă leur verve par la prĂ©sence des personnages sacrĂ©s, et plus Ă l'aise dans un pur laĂŻcisme, les artistes quittĂšrent Cana pour se donner de la noce Ă coeur-joie. Les compositions les plus Ă©chevelĂ©es et les plus fantaisistes parurent le Contrat de mariage de Jean Steen, sa Noce des paysans ; les Noces de Clorus et de Rosette de Corneille Troost les Noces de Gamache de Charles Coypel les Bambochades de Jean Miel, et mille autres de ce genre, universellement goĂ»tĂ©es et imitĂ©es de nos jours. Le temps approchait oĂč SimĂ©on Chardin, en bonnet de nuit, crĂ©ait l'Ăcureuse, la Blanchisseuse, la Pourvoyeuse, la RĂ©cureuse et la RĂątisseuse de navets. Tout autre idĂ©al avait disparu et l'on n'avait plus pour s'Ă©lever que les Plaisirs de l'Ăąge d'or, VĂ©nus et TAmour dans un paysage ! Tout Ă©tait prĂȘt aux Beaux-Arts pour recevoir la Belle CuisiniĂšre ou le Jardinier galant et Mme de Pompadour pou1. pou1. ducats, environ3000 francs. â Elle estestimĂ©e aujourd'hui 750,000 francs. Larg. 9mao; haut. 6m66. Fut terminĂ©e le 8 septembre 1563.â Venue en France Ă la suite des guerres d'Italie, elle nous resta en Ă©change du Repas cheç le Pharisien de Lebrun. 40 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE vait prendre son thĂ© en contemplant le chef-d'oeuvre de Potter. En vĂ©ritĂ©, n'Ă©tait-il pas temps d'excuser le Sauveur d'avoir Ă©tĂ© aux noces ? PĂšre, disait Ă cette Ă©poque une dĂ©vote, assez mondaine, vous nous prĂȘchez la pĂ©nitence et la fuite du inonde... mais JĂ©sus-Christ a bien Ă©tĂ© aux noces ! â Ma fille, rĂ©pondit avec humeur le cher PĂšre, ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux ! » L'un et l'autre Ă©taient bien de leur Ă©poque 1. Nous nous sommes Ă©tendu sur ce cĂŽtĂ© de la question parce qu'il n'a pas Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© jusqu'Ă prĂ©sent et qu'il nous semble, quoique neuf, singuliĂšrement favoriser notre thĂšse, en aidant Ă fixer le sens du mystĂšre de Cana. CHARLES TRILLON DE LA BIGOTTIĂRE. I. W. DUCKOTT, Dict. de la Conv. Suppl., i, p. 781.â Les peintures ci-dessus mentionnĂ©es sont de Henri Van Limborch, Fr. Boucher, P. A. Baudoin, Carie Vanloo ; le chef-d'oeuvre de Potter est au Louvre. Impressions d'Angleterre Tous les chemins mĂšnent Ă Rome, dit-on. Pourtant si l'on veut visiter une ville belle ou intĂ©ressante, il vaut mieux choisir, pour y entrer, la route qui en rĂ©vĂšle plus parfaitement la physionomie, en dĂ©couvre du premier coup d'oeil le caractĂšre. Il faut entrer Ă Paris par l'Arc-de-Triomphe et les Champs-ElysĂ©es, aborder Naples par son golfe, Venise par la lagune, Constantinople par les Dardanelles et la Corne-d'Or; de mĂȘme si l'on veut ressentir dans toute leur intensitĂ© les premiĂšres impressions qui se dĂ©gagent de la ville de Londres, la premiĂšre capitale du monde par le commerce et par l'industrie, si l'on dĂ©sire avoir une idĂ©e juste et exacte du mouvement perpĂ©tuel, de l'activitĂ© surexcitĂ©e et fiĂ©vreuse qui rĂšgne dans cet immense marchĂ© des produits de toute la terre, l'on doit entrer Ă Londres par la route naturelle qui y mĂšne, par la Tamise. La Tamise est un trĂšs large fleuve, aux eaux bourbeuses, assombries des teintes grises de la vase, ou brillant de ces reflets mĂ©talliques et de ces lueurs blafardes qui annoncent la proximitĂ© et le grand nombre des usines. Les hangars immenses, les magasins noirs et Ă©levĂ©s, les vastes entrepĂŽts qui s'alignent le long de ses rives, les usines gigantesques qui sont lĂ en files interminables, avec d'immenses cheminĂ©es dont la fumĂ©e se confond avec celle des milliers de vaisseaux qui sillonnent la grande route silencieuse the silent high way », comme l'appellent les Anglais, les bruits confus, Ă©touffĂ©s et toujours grandissants de la ville qui s'approche, tout cela forme un spectacle saisissant, mĂ©lancolique, solennel et grandiose c'est la meilleure prĂ©paration pour considĂ©rer et comprendre la vie grave, sĂ©rieuse, laborieuse, si diffĂ©rente de la nĂŽtre, dans laquelle on va entrer. VoilĂ la vraie, la seule maniĂšre d'aborder Londres et l'Angleterre, du moins pour l'observateur sĂ©rieux avant tout, pour l'Ă©conomiste, le savant ou le philosophe. Quant au simple touriste en quĂȘte d'impressions agrĂ©ables, qui 42 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE demande Ă de riants paysages, Ă des scĂšnes nouvelles, Ă toutes sortes de changements pittoresques, de l'introduire dans une terre Ă©trangĂšre, qui craint une traversĂ©e trop longue ou trop mouvementĂ©e, il se contente de prendre Ă Calais le bateau. Il le quittera cinquante minutes aprĂšs Ă Douvres, aprĂšs une courte traversĂ©e, parfumĂ©e de senteurs marines, rafraĂźchie par la brise arrivant froide et salĂ©e des immenses plaines liquides du Nord. On ne perd pas plus tĂŽt de vue la cĂŽte basse et souriante de la France, qu'on se trouve en face des hauteurs crayeuses de l'Angleterre, rĂ©flĂ©chissant la lumiĂšre comme d'Ă©blouissants miroirs. Puis l'un des trains de l'une des nombreuses Compagnies qui se disputent voyageurs et marchandises vous transportera, sans autre transition, au milieu des prairies ombreuses et des vertes collines. AprĂšs les longues Ă©tendues planes du nord de la France, les marais arides et dessĂ©chĂ©s, aux mornes alentours, de la cĂŽte du Pas-de-Calais, on se trouve au milieu d'un pays de collines fertiles et ombragĂ©es, coupĂ©es de vallĂ©es trĂšs fraĂźches, vertes d'une verdure que l'on ne connaĂźt pas en France, qui cachent leur profondeur sous le feuillage Ă©pais, sombre et arrondi des hĂȘtres et des chĂȘnes. La premiĂšre impression de calme, de solitude et de tranquillitĂ©, que donne cette campagne si fraĂźche et si touffue, s'accentue Ă mesure qu'on s'y enfonce, que se succĂšdent sous les yeux reposĂ©s les teintes foncĂ©es des grands arbres se fondant si harmonieusement avec les couleurs plus vives de la prairie. De loin en loin, des champs de chaume, des houblonniĂšres, zĂšbrent de traĂźnĂ©es grises ou dorĂ©es, d'une dorure un peu mat, les lointains verts, ou bien forment de larges Ă©claircies au milieu des sommets mouvants des arbres si nombreux et si beaux, qu'ils donnent Ă la campagne distante l'aspect d'une futaie immense et non interrompue. Tout est vaporeux, tout porte Ă une calme et molle rĂȘverie ; les rayons de lumiĂšre semblent se noyer parmi les brouillards qui flottent dans l'air ; il sort de la terre des exhalaisons humides et pĂ©nĂ©trantes; les plantes, les fleurs, la prairie, laissent Ă©chapper des vapeurs tĂ©nues sous ces influences presque insensibles mais continues, les angles s'arrondissent, les contours s'Ă©moussent, les nuances s'unissent, les couleurs paraissent se confondre. Tout cela laisse dans l'esprit l'idĂ©e de quelque chose de flottant, d'indĂ©cis, d'incertain, l'idĂ©e d'une grande vie vague, diffuse, mĂ©lancolique », que M. Taine appelle la vie de la contrĂ©e humide ». A l'approche des grandes villes, de Londres, la campagne change d'aspect plus cle vallĂ©es sauvages, ni de champs cultivĂ©s mm IMPRESSIONS D ANGLETERRE 43 sur le versant des collines; ce ne sont que chalets et cottages coquettement enfouis dans la verdure. On les voit Ă peine; on les devine aux couleurs un peu crues de leurs briques rouges, aux feux tremblants que lancent leurs bordures de cĂ©ramique multicolore, et aussi aux formes Ă©lancĂ©es de leurs pignons de bois peint et sculptĂ©, Ă leurs toits pointus qui Ă©mergent au-dessus des fondaisons touffues. Sur les murs de brique, le long des poutres qui avancent et des toits qui dĂ©bordent, grimpent et courent Ă l'assaut des portes et des larges fenĂȘtres, le lierre, les lilas, les clĂ©matites et toutes ces plantes vertes ou fleuries qui donnent Ă la maison qu'elles revĂȘtent une apparence Ă la Jean-Jacques Rousseau », si nĂ©gligĂ©e et si rustique, en mĂȘme temps que coquette et confortable. Autour de ces jolies villas, toutes vertes et toutes roses, qui laissent deviner un intĂ©rieur joyeux et soignĂ©, s'Ă©tendent des parcs souventtrĂšsvastes, toujoursadmirablemententretenus, avec delarges bosquets de roses, de jasmin et de rhododendrons, qui forment au milieu du velours des gazons de ravissantes corbeilles multicolores. Une simple palissade de bois assez mince sert d'entourage; quelquefois ce sont de petits murs en briques, jamais on ne voit de ces vilains murs de maçonnerie, trĂšs hauts, trĂšs gris et trĂšs tristes, qui donnent trop souvent Ă nos jardins français l'aspect d'une cour de prison. A mesure que l'on approche de Londres, les parcs et les jardins se rapetissent, les villas se pressent les unes contre les autres. BientĂŽt elles font place Ă une suite interminable et ininterrompue de petites maisons Ă©gales et grises. Toutes sont construites sur le mĂȘme modĂšle, encadrĂ©es de la mĂȘme petite cour carrĂ©e, avec des palissades en bois toujours identiques. Dans chaque cour, un petit carrĂ© de gazon ratissĂ©, peignĂ©, foulĂ©, arrosĂ© avec un soin jaloux, Ă©gayĂ© de ses couleurs d'Ă©meraude la longue et triste enfilade des demeures ouvriĂšres ; il sert Ă la fois de tennis, de cricket, et de foot-ball ground, pour les nombreux enfants de la famille pauvre, en mĂȘme temps qu'il tient lieu de sĂ©choir pour le linge rapiĂ©cĂ© et les habits tout reprisĂ©s. Cette suite si monotone de petites habitations ouvriĂšres annonce Londres, en mĂȘme temps que le nombre toujours croissant des voies ferrĂ©es, qui s'entrecroisent en un rĂ©seau inextricable dont les mailles se rĂ©trĂ©cissent rapidement. De chaque cĂŽtĂ© de soi, au-dessus, au-dessous, Ă droite et Ă gauche, ce ne sont que trains de voyageurs lancĂ©s Ă toute vitesse et longs convois de marchandises. Puis l'atmosphĂšre s'Ă©paissit peu Ă peu sous l'influence des brouil- 44 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lards de la Tamise, unis Ă la fumĂ©e acre et Ă©paisse que lancent des milliers d'usines; les clameurs de la grande ville s'unissent et se confondent on est Ă Londres. . Londres est avant tout une ville de contrastes. Au point de vue extĂ©rieur d'abord, Londres n'est pas une ville, mais une rĂ©union de villes juxtaposĂ©es, n'ayant entre elles d'autres rapports que ceux qui naissent du voisinage un quartier n'a, la plupart du temps, aucun trait de commun avec le quartier voisin, et cette diversitĂ© paraĂźt Ă©trange dans des espaces relativement peu Ă©tendus. On peut voir dans Londres trois villes la ville commerçante et industrielle sur les bords de la Tamise, des deux cĂŽtĂ©s du Strand, dans la CitĂ© tout entiĂšre; une ville pauvre, misĂ©rable, n'offrant que tavernes, que misĂšre et que boue, Ă Saint-Gilles, Ă Clerkenwell et dans quelques autres endroits; enfin la ville riche, avec les grands parcs, les palais de la noblesse et des grands dignitaires de l'Etat, les hĂŽtels confortables des classes riches et aisĂ©es, dans toute la rĂ©gion du West-End. Dans chacun de ces quartiers, ou plutĂŽt dans chacune de ces diffĂ©rentes villes, l'architecture change, et avec elle l'aspect des voies publiques. Dans la CitĂ©, qui est le comptoir et aussi le coeur de Londres et de l'Angleterre, le nombre des maisons d'habitation diminue tous les jours elles font place aux boutiques, magasins, comptoirs, agences, bureaux, Ă tout l'outillage des maisons de banque et de commerce. Aussi l'Anglais y est bien chez lui, il aime la CitĂ©, car elle est le rĂ©sumĂ© de sa grandeur et de sa puissance c'est lĂ qu'il peut toucher du doigt les rĂ©sultats immenses auxquels il parvient, en achetant, en revendant de la laine, du coton, du fer, de la houille et du pĂ©trole. Dans les rues sombres, Ă l'aspect repoussant, larges Ă peine de quelques mĂštres, on ne voit que magasins et entrepĂŽts lĂ se concentrent en effet tous les commerces et toutes les industries, lĂ se dĂ©ploient les Ă©nergies de l'activitĂ© humaine. Ici la concurrence, cette nĂ©cessitĂ© des sociĂ©tĂ©s avancĂ©es, principe et danger du progrĂšs », enfante des choses qui sont Ă la fois des merveilles et des monstruositĂ©s. Qui n'a pas pĂ©nĂ©trĂ© dans ces rues sombres, sans soleil et sans air, Ă©troites et surplombantes, ne sait Ă quel degrĂ© . d'acuitĂ© l'homme peut pousser la fiĂšvre du gain, la soif de la richesse, et ce que par un juste retour ces passions peuvent faire de l'homme, un numĂ©ro, une machine, un engin perfectionnĂ© et IMPRESSIONS D ANGLETERRE 45 vivant, capable de produire et de faire produire Ă son semblable tout l'effort qu'il est capable de donner. Les quelques grandes artĂšres de la CitĂ© convergent toutes vers le Stock-Exchange; et de dix heures Ă six heures, elles roulent Ă pleins bords les flots mouvants de la foule. Une foule bien diffĂ©rente de la nĂŽtre, qui parle peu, au milieu de laquelle on n'entend pas un cri, pas une exclamation, mais dont l'oeil avide, la physionomie tendue, rigide et froide, le pas rapide et surmenĂ©, font deviner le souci unique, la seule prĂ©occupation faire des affaires et gagner de l'argent. Pas d'oisifs ni de flĂąneurs ; les policemen, ailleurs si calmes, si dignes avec des mouvements d'automate, deviennent fĂ©briles au contact de la foule surexcitĂ©e qui les entoure un Ă©tranger reste-t-il immobile, rĂ©siste-t-il au mouvement, Ă l'activitĂ© gĂ©nĂ©rale, personne ne comprend, sa place n'est pas ici, on le soupçonne presque, et le policeman l'invite Ă circuler Move on, sir ! » A cĂŽtĂ© de cette CitĂ©, oĂč les hommes et les choses prennent un caractĂšre fiĂ©vreux, sombre, surexcitĂ©, presque maladif, qui cause une impression de malaise Ă l'Ă©tranger qui contemple ces scĂšnes pour la premiĂšre fois ; Ă cĂŽtĂ© de ces comptoirs immenses qui regorgent des denrĂ©es du monde entier, on trouve des hommes qui manquent de tout, mĂȘme des choses les plus indispensables Ă la vie c'est le dĂ©nuement le plus complet, la pauvretĂ© la plus abjecte. Nulle part en effet cette pauvretĂ© n'a un aspect plus sordide, plus repoussant, plus infĂąme et plus triste qu'en Angleterre, et principalement Ă Londres. Et pour la trouver, il n'est pas besoin de la rechercher dans les quartiers affreux oĂč la plupart du temps elle se cache aussitĂŽt entrĂ© dans la ville, aux alentours des gares, aux abords des quais de dĂ©barquement, le voyageur se voit entourĂ© de ce pĂąle troupeau des misĂ©rables » qui attristeront ses regards au milieu des richesses et des grandeurs de la ville. La misĂšre de ces malheureux n'a rien de commun avec la pauvretĂ© des pays rĂ©chauffĂ©s par le soleil; celle-ci a pour elle certains cĂŽtĂ©s pittoresques qui semblent en adoucir l'amertume, en poĂ©tiser, jusqu'Ă un certain point, "l'horreur et la tristesse. Le mendiant du sud de la France, d'Espagne ou d'Italie a pour lui une sorte de mise en scĂšne ; ses haillons appellent le crayon ou le pinceau ; souvent ses traits sont expressifs, son regard vif et intelligent. Tout indique un homme qui reste homme malgrĂ© sa pauvretĂ©, qui garde une idĂ©e de sa dignitĂ© d'homme. Sa misĂšre ne lui pĂšse pas trop, il la supporte allĂšgrement, il ne semble pas mĂ©content de son sort. 46 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Rien de tout cela a Londres la misĂšre n'est que la misĂšre sans compensations d'aucune sorte ; les misĂ©rables sont lamentables Ă voir, avec leurs traits creusĂ©s par la faim, brĂ»lĂ©s de fiĂšvre, leurs yeux hĂ©bĂ©tĂ©s ou pleins de convoitises; l'expression gĂ©nĂ©rale abrutie et hideuse. L'accoutrement qui revĂȘt ces pauvres corps concourt encore Ă l'horreur et Ă l'ironie du tableau ; le mendiant anglais se couvre des dĂ©froques de l'habit d'un gentleman, et se coiffe d'une guenille informe qui fut l'Ă©lĂ©gante coiffure d'un dandy ou l'impeccable haute-forme d'un lord ou d'un Ă©vĂȘque. Et cette caricature misĂ©rable n'est pas rare; Ă Londres mĂȘme, il y a plus de de ces malheureuses victimes du paupĂ©risme, la plaie vive de l'Angleterre, dont quelques-uns disent qu'elle mourra. C'est lĂ le flĂ©au mortel des sociĂ©tĂ©s oĂč la vie industrielle et commerciale est poussĂ©e Ă l'excĂšs, oĂč le dĂ©veloppement de la pauvretĂ©, de la misĂšre, correspond fatalement Ă celui de la richesse accumulĂ©e et de la force productive. Plus qu'aucune ville du monde, Londres renferme ces masses de dĂ©shĂ©ritĂ©s, rejetĂ©s hors du mouvement de la civilisation, qui ne s'en approchent que pour ĂȘtre broyĂ©s par elle les lois Ă©conomiques qui ont donnĂ© Ă l'Angleterre une suprĂ©matie, une royautĂ© incontestĂ©e dans le monde, ont en mĂȘme temps broyĂ© et pĂ©tri dans la boue une partie de sa population, et tous les jours cette partie-lĂ augmente, je n'entreprendrai pas ici la triste peinture de ces villes de la pauvretĂ©, Saint-Gilles, Clerkenwell, oĂč naissent, vĂ©gĂštent et meurent, Ă deux pas des plus heureux quartiers, dans le dĂ©nuement le plus complet, le plus abject, les parias de la nation qui se qualifie merry England ». Dans les ruelles sombres, un rideau de fumĂ©e acre, de brouillard Ă©pais et jaune, dĂ©robe aux malheureux leurs derniers biens, l'air pur et la lumiĂšre du ciel; la terre dĂ©trempĂ©e n'est plus qu'une boue visqueuse et gluante ; l'humiditĂ© fĂ©tide s'infiltre et pĂ©nĂštre Ă travers les murailles de ces taudis bas et de ces sortes de caves, oĂč s'entassent et grouillent des dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s, aux traits hĂąves et flĂ©tris, dont la vie s'Ă©tiole dans l'ombre, dont les joies mĂȘmes ont quelque chose de plus poignant, de plus effrayant que leur douleur, car elles attestent plus clairement leur irrĂ©mĂ©diable dĂ©gradation. De ces quartiers immondes, oĂč pourrissent les derniers Ă©lĂ©ments et les bas-fonds de la sociĂ©tĂ© de la grande ville, l'on peut passer presque sans transition dans la ville riche et somptueuse, dans la rĂ©gion des parcs et des palais, dans le West-End. Ici tout a Ă©tĂ© prĂ©vu, combinĂ© Ă l'avance, tous les besoins, satisfaire IMPRESSIONS D ANGLETERRE 47 toutes les fantaisies des favoris de la naissance ou de la fortune. Nulle part la ville n'est plus ingĂ©nieusement, plus intimement mĂȘlĂ©e Ă la campagne. Des jardins magnifiques, le voisinage des grands parcs, donnent aux splendides demeures le confort et l'agrĂ©ment, l'air et la lumiĂšre, partout ailleurs si parcimonieusement distribuĂ©s. Une ligne continuelle de verdure, d'eaux vives, d'ombrages et de fleurs, s'Ă©tend au milieu de ces rĂ©gions fortunĂ©es, et entretient une Ă©ternelle fraĂźcheur. Sur plus de deux lieues de longueur, on peut se croire Ă la campagne, tout en restant au coeur de Londres. Les rues, trĂšs larges et rĂ©guliĂšrement coupĂ©es, reçoivent largement le grand air et le grand soleil. Les palais des grands dignitaires de l'Etat, des ambassadeurs, des grands seigneurs, du haut clergĂ© anglais, High Church », s'Ă©chelonnent dans le mĂȘme quartier, et autour de ce point unique se groupent tous ceux qui ont pris la peine de naĂźtre » comme ceux aussi qui ont conquis â ils sont nombreux en Angleterre â Ă force de courage et de persĂ©vĂ©rance, les situations les plus enviĂ©es, avec la richesse et la considĂ©ration. Autour de ce centre aristocratique, du cĂŽtĂ© de Kensington, dans ces prolongements immenses de la ville, s'Ă©tendent de vastes quartiers, qui conservent, Ă diffĂ©rents degrĂ©s, l'aspect de la richesse et du bien-ĂȘtre ; nous y trouvons les rĂ©sidences des familles riches et aisĂ©es, de la gentry », de la haute et de la moyenne bourgeoisie. LĂ on peut voir la vĂ©ritable maison anglaise, la maison type, toujours soignĂ©e d'extĂ©rieur comme d'intĂ©rieur, propre et confortable ». Chaque rue, chaque quartier, paraĂźt l'oeuvre d'un seul et mĂȘme architecte, qui n'a voulu le doter que d'un seul genre de constructions, tirĂ© Ă des milliers d'exemplaires. Les maisons se ressemblent tellement qu'on ne pourrait les distinguer sans le secours du numĂ©ro. La vulgaritĂ©, l'uniformitĂ©, en est irritante pour tous autres yeux que ceux d'un bon Anglais ; et pourtant il en est fier ; sa maison est la maison idĂ©ale, il n'en connaĂźt pas ni n'en veut connaĂźtre d'autre ; un ou deux Ă©tages, rarement trois, pas de porte cochĂšre, car on ne loge chez soi ni chevaux ni voitures; un fossĂ© recouvert de barreaux ou protĂ©gĂ© par une grille, qui sĂ©pare la maison du trottoir et l'isole encore de la rue. Au fond de cette tranchĂ©e, toutes les dĂ©pendances cuisine, office, cellier, etc., desservis par un escalier spĂ©cialement rĂ©servĂ© aux fournisseurs, qui ne causent ainsi aux maĂźtres ni dĂ©rangement ni trouble ; voilĂ qui donne une idĂ©e succincte de la maison anglaise. Ajoutons qu'une seule famille y habite, ce qui exclut cette plaie vive que 48 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE nous appelons le concierge. Sur la porte en chĂȘne, un petit Ă©cusson de cuivre porte les noms, titres et qualitĂ©s de l'habitant. Divers marteaux ou sonnettes s'offrent aux visiteurs, aux gens d'affaires ou de service ; chacun sait oĂč il doit frapper ou sonner, et nul ne s'y trompe. Le facteur ne laisse pas tomber le marteau comme l'Ă©picier ; le nombre et la sonoritĂ© des coups indiquent l'importance qu'un vrai gentleman » ne manque jamais de s'accorder Ă lui-mĂȘme ; partout on retrouve cette hiĂ©rarchie, ce classement, conditions nĂ©cessaires et indispensables de la vie anglaise. Un autre caractĂšre propre aux maisons de Londres, aux riches et aux pauvres celui-lĂ , c'est la couleur, une couleur la plus triste du monde. C'est un gris sale, partout dĂ©posĂ© par une fine pluie de charbon qui s'Ă©chappe des milliers d'usines, et retombe en poussiĂšre impalpable et pĂ©nĂ©trante. La teinte primitive de tous les Ă©difices, de toutes les maisons, disparaĂźt sous cette couche Ă©paisse, qui donne Ă tous une livrĂ©e de deuil uniforme; quelle diffĂ©rence avec les tons chauds, fauves, mordorĂ©s ou Ă©clatants de blancheur, que donne chez nous le soleil Ă la pierre, qu'il semble pĂ©nĂ©trer de sa lumiĂšre, et qui garde comme un reflet de son Ă©clat!... J'ai essayĂ© de retracer l'aspect gĂ©nĂ©ral des diffĂ©rents quartiers ou plutĂŽt des diffĂ©rentes villes dont l'ensemble forme l'immense citĂ© londonienne. Les diffĂ©rences profondes, les oppositions si tranchĂ©es qui existent en elle, l'empĂȘchent de prĂ©tendre Ă un caractĂšre propre, Ă un cachet bien dĂ©fini, Ă une unitĂ© mĂȘme relative ; Ă moins que ce caractĂšre, ce cachet spĂ©cial, consistent Ă n'en point avoir. Aussi est-il malaisĂ© de rechercher, plus encore de dĂ©finir, l'impression gĂ©nĂ©rale qui se dĂ©gage de cet immense assemblage d'hommes, d'habitations, de cette juxtaposition de quartiers et de villes. Ou bien cette impression est une impression indĂ©finie et triste, car il y a de la tristesse dans son activitĂ© elle-mĂȘme. Rien n'y semble naturel, tout est transformĂ©, violentĂ©, depuis le sol et l'homme jusqu'aux moindres facteurs de la vie, jusqu'Ă l'air et la lumiĂšre. Les monuments abondent, grandioses et fort beaux quelquefois, mais isolĂ©s ; ils restent tristes et dĂ©paysĂ©s dans leur grandeur il y a de belles rues, de beaux quartiers, mais ils restent confondus au milieu des ruelles sombres et des agglomĂ©rations sans air auxquelles ils aboutissent. Quelques merveilles de l'art et de l'architecture, comme l'abbaye de Westminster ou les Parliament Houses » avec leurs formes Ă©lancĂ©es, leurs dĂ©licates nervures, et leur profusion de sculptures, qui conviennent si bien Ă une atmosphĂšre naturellement obscure, ne parviennent pas Ă annihiler ni mĂȘme Ă com- IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 49 battre l'impression de mauvais goĂ»t de la plupart des constructions et des monuments publics. Les lieux d'amusement, les parcs, sont plus nombreux que partout ailleurs ; pourtant la ville garde un aspect glacial et guindĂ© qui tient Ă la fois aux hommes et aux choses. Et pourtant il ressort de cette ville immense, Ă©tonnante, merveilleuse, un caractĂšre de force tranquille, de grandeur consciente, qu'il est impossible de mĂ©connaĂźtre. Ce caractĂšre, nous le retrouvons dans l'aspect gĂ©nĂ©ral de la nation anglaise ; tout y prend un caractĂšre de sĂ©rieux, de mesure et de pondĂ©ration, tout y annonce un ensemble de qualitĂ©s qui gagnent en force, en soliditĂ© et en profondeur, ce qu'elles perdent peut-ĂȘtre en Ă©clat. Les peuples sont, en gĂ©nĂ©ral, modelĂ©s sur le pays qu'ils habitent; les qualitĂ©s des individus correspondent Ă celles de la terre qui les a vus naĂźtre, qui a Ă©tĂ© le berceau de leur race, ou l'a lentement façonnĂ©e avec le temps ; l'Anglais n'Ă©chappe pas Ă cette rĂšgle universelle. H est bien adaptĂ© par son tempĂ©rament physique et moral au sol qui le nourrit, duquel il doit tirer les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă la vie; autant le climat et le sol anglais diffĂšrent du français, autant le type anglais s'Ă©loigne du type français, physiquement, intellectuellement et moralement ; il paraĂźt moins dĂ©gagĂ©, moins Ă©lĂ©gant, moins dĂ©licat; il est aussi plus fort, plus solide et plus calme. Au point de vue physique d'abord, on se trouve souvent en face d'hommes robustes, grands, larges d'Ă©paules et solidement bĂątis. Les colosses, hauts de six pieds et plus, ne sont pas trĂšs rares ; on les voit dans toutes les classes de la sociĂ©tĂ©; ils sont particuliĂšrement nombreux parmi les domestiques de bonne maison, qui doivent dignement reprĂ©senter leurs maĂźtres ; on ne voit qu'eux dans les troupes d'Ă©lite, en particulier dans le corps des life-guards », dont on rencontre Ă chaque instant des dĂ©tachements Ă Londres. On croirait, Ă les voir passer, assister Ă un dĂ©filĂ© des laurĂ©ats d'une exposition de produits humains » ; ce sont de belles masses, trĂšs imposantes, mais trop lourdes et souvent gauches dans leurs mouvements. On devine sur leur visage un fonds inĂ©puisable de belle humeur et de bonhomie. Ils possĂšdent aussi, et Ă un trĂšs haut degrĂ©, cette espĂšce de naĂŻve fatuitĂ©, particuliĂšre au soldat anglais. Avec leurs pantalons collants, leur courte veste rouge qui dessine les larges proportions de leur torse, la petite galette de clown qui leur sert de coiffure, posĂ©e sur des cheveux trop pommadĂ©s, une raie tirĂ©e au cordeau sur le milieu de la tĂȘte, ils paradent de leur personne, de l'air le plus satisfait du monde. Pas un mouvement 50 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE spontanĂ©, pas un de leurs gestes qui dĂ©vie d'une ligne; les Ă©paules rejetĂ©es en arriĂšre, la poitrine bombĂ©e, ce sont de vĂ©ritables automates; on devine les soldats choisis, triĂ©s, la troupe d'Ă©lite. Ce mĂȘme type athlĂ©tique et charnu, frĂ©quent chez les paysans du nord de l'Angleterre, est assez rare chez les vĂ©ritables gentlemen. On le rencontre pourtant, et souvent l'excĂšs de nourriture donne un amas de chairs rouges et pantelantes, qui, joint Ă une physionomie presque inanimĂ©e, Ă des petits yeux ternes et inexpressifs, offre une vague ressemblance avec la bĂȘte de boucherie. Ce n'est lĂ Ă©videmment qu'une des extrĂ©mitĂ©s du type, qui tourne avec l'Ăąge Ă l'horrible, Ă la caricature apoplectique et gonflĂ©e. On voit plus frĂ©quemment de grands corps osseux, pleins de saillies, pas trop bien agencĂ©s, avec des pieds et des mains immenses, l'aspect raide et compassĂ©, les mouvements gauches, mais capables de travail soutenu, de rĂ©sistance et d'effort, ce qui est la caractĂ©ristique de la race. Si vous joignez Ă ce grand corps vigoureux et massif une physionomie flegmatique, sur laquelle aucune impression ne produira ni trouble ni expansion, contraste parfait de la pĂ©tulance et de la passion mĂ©ridionales, des traits rĂ©guliers et immobiles, une expression froide et rĂ©flĂ©chie, vous rĂ©alisez le type le plus commun parmi les classes moyennes. Et si ce type peut s'exagĂ©rer, se dĂ©former, il peut aussi s'affiner, se perfectionner; c'est alors celui que l'on rencontre chez la plupart des gentlemen. La taille bien prise et de tournure hardie, le teint vif et les yeux un peu pĂąles, les traits rĂ©guliers, le regard loyal, intelligent et calme; il ne leur manque peut-ĂȘtre qu'un peu de vivacitĂ© et d'expression en plus, pour en faire les plus beaux types de l'espĂšce humaine. Chez les femmes, nous retrouvons les mĂȘmes qualitĂ©s et les mĂȘmes avantages, aussi les mĂȘmes imperfections, les mĂȘmes exagĂ©rations de la personne physique. Certaines figures anglaises vont Ă l'extrĂȘme de la beautĂ© le teint trĂšs clair, un teint de fleur et d'enfant, des yeux trĂšs bleus ou d'un noir pĂąle, la taille longue et parfaite comme les traits du visage, l'expression rĂȘveuse, quoique trĂšs gaie et trĂšs simple, excluant toute recherche et tout excĂšs de coquetterie voilĂ ce qu'il vous est parfois donnĂ© d'admirer. Mais il faut reconnaĂźtre que ce parfois est rare, et qu'il arrive plus souvent Ă l'Anglaise de rĂ©pondre au portrait railleur mais assez juste, qu'a tracĂ© Hamilton Mme Wetenhall, dit-il, Ă©tait proprement ce qu'on appelle une beautĂ© tout anglaise; pĂ©trie de lis et de rose, de neige et de lait IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 51 quant aux couleurs ; faite de cire Ă l'Ă©gard des bras et des mains, de la gorge et des pieds ; mais tout cela sans Ăąme et sans air ; son visage Ă©tait des plus mignons, mais c'Ă©tait toujours le mĂȘme visage; on eĂ»t dit qu'elle le tirait le matin d'un Ă©tui, pour l'yremettre le soir en se couchant, sans s'en ĂȘtre servie. Que voulezvous ? La nature en avait fait une poupĂ©e dĂšs son enfance, et, poupĂ©e jusqu'Ă la mort, resta la blanche Wetenhall... » En outre, chez la plupart des Anglaises, le teint trop clair s'altĂšre vite et aisĂ©ment, et puis quand les caractĂšres de la race s'exagĂšrent, on voit des choses extraordinaires de grandes filles lymphatiques, aux cils et aux cheveux presque blancs, des tailles plates et mal emmanchĂ©es, des poteaux longs de six pieds dans des robes bouffantes, des pieds et des mains longs de plusieurs aunes, des dents immensĂ©ment pointues et plantĂ©es en avant, qui dĂ©bordent presque de la mĂąchoire. Et puis, trĂšs peu d'Ă©lĂ©gance, ou mĂȘme d'aisance naturelle ou recherchĂ©e. La toilette dĂ©note la plupart du temps ce que manifestaient dĂ©jĂ les gestes et la physionomie, savoir le manque d'habiletĂ©, de souplesse, de mesure et de goĂ»t. Sauf l'amazone ou le costume de sport, qui traduit mieux que tout autre sa personne, l'Anglaise, quand elle s'habille, est gĂ©nĂ©ralement d'une exagĂ©ration de costume choquante. C'est souvent d'un Ă©clat brutal, et je me souviens avoir entendu justement comparer l'Anglaise, Ă un champ clos, oĂč des couleurs ennemies se rencontrent et se livrent bataille. A cet ensemble de caractĂšres physiques, correspondent, dans une certaine mesure, les caractĂšres moraux et intellectuels de l'individu la physionomie froide et sĂ©rieuse dĂ©note cette qualitĂ© excellente qui consiste Ă rester toujours maĂźtre de soi-mĂȘme, Ă ne rien laisser paraĂźtre au dehors de ses plus violentes impressions, ce que l'on appelle le flegme britannique. L'Anglais est parfaitement maĂźtre de son systĂšme nerveux ; il Ă©rige en vertu nĂ©cessaire, fondamentale, cette qualitĂ© de son tempĂ©rament. Pour lui, le principal mĂ©rite d'un homme est de garder toujours a clear and cool head », la tĂȘte froide et reposĂ©e, de ne jamais agir sans rĂ©flexion, sans peser le pour et le contre, en un mot de ne jamais s'emballer ». On retrouve dans les plus petites choses cette volontĂ© froide et maĂźtresse d'elle-mĂȘme voyez dĂ©jeunes Anglais s'exercer au football, au cricket; ils se bousculenx, se blessent, font des fautes et des maladresses; pourtant pas un cri, pas un reproche, Ă peine une observation. Les balles sont renvoyĂ©es, les poteaux abattus, la 52 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE partie gagnĂ©e ou perdue dans le calme le plus absolu, presque en silence; du reste, les Anglais parlent toujours bas, et pour qui a passĂ© quelque temps parmi eux, entendre des mĂ©ridionaux paraĂźt assourdissant. Pour beaucoup d'Anglais, parler semble mĂȘme dĂ©sagrĂ©able ils assistent aux conversations les plus intĂ©ressantes, aux discussions les plus captivantes, sans souffler un seul mot. Pourtant ils sont attentifs et n'Ă©prouvent ni distraction ni ennui; ils Ă©coutent, cela leur suffit, Les interroge-t-on directement ils rĂ©sument leur pensĂ©e en quelques mots et retombent dans un silence obstinĂ©; le bavardage n'est pas leur fait ce sont des gens de peu de paroles, few words ». Cette disposition du tempĂ©rament, d'apparence paisible et silencieuse, n'est nullement incompatible avec l'aptitude au travail et Ă l'effort, Ă l'endurance physique et morale. Chez l'Anglais, ces qualitĂ©s se manifestent dĂšs l'enfance. Tous les petits Anglais sont amoureux du danger, dit Eliot ; vous en trouverez dix pour se joindre Ă une chasse, grimper un arbre, traverser une riviĂšre Ă la nage, et vous n'en trouverez qu'un pour jouer aux billes, rester tranquille sur un sol uni ou lĂ oĂč il a pied. » Le petit Tom, Ă©crit-il autre part, passe une nuit trĂšs froide sur l'impĂ©riale d'une diligence, en se rendant au collĂšge. II gĂšle, le froid le saisit, pourtant il reste exposĂ© Ă l'air, parce qu'il Ă©prouve ce plaisir silencieux, si cher Ă tout Anglais, d'endurer, de rĂ©sister, de lutter contre quelque chose et de ne pas cĂ©der. » Plus tard, cette prĂ©dilection pour la lutte froide et tenace se manifestera mieux encore dans les batailles de la vie l'Anglais appliquera ce besoin d'action, cette Ă©nergie, cette sorte de force d'inertie, Ă la profession qu'il embrassera; il aura toute la puissance de travail nĂ©cessaire, il supportera facilement la fatigue et l'assujettissement Ă la tĂąche la plus pĂ©nible et la plus ennuyeuse ; son tempĂ©rament flegmatique supprime les sursauts d'idĂ©es, les agacements, les petites Ă©motions intervenantes 1 », et lui permet de fonctionner avec une rĂ©gularitĂ© de machine. Un certain manque de dĂ©licatesse nerveuse, l'insensibilitĂ© acquise, l'habitude des sensations ternes suppriment non seulement le besoin d'un plaisir vif et variĂ©, mais le dĂ©sir du changement, de la nouveautĂ©, l'empĂȘchent de se rĂ©volter contre une tĂąche, si monotone, si insipide sait-elle. Une aptitude naturelle Ă l'effort, .et peu d'aversion pour la monotonie d'un travail quelconque, voici les deux grandes qualitĂ©s de i. Taine. IMPRESSIONS D ANGLETERRE 53 l'Anglais ; qualitĂ©s qui en font dans tous les mĂ©tiers et dans toutes les professions un ouvrier patient, puissant et productif. Ce besoin de lutter et d'agir ne se rencontre pas uniquement chez les travailleurs manuels ou intellectuels de toutes sortes, mais encore chez tous les Anglais, de tout Ăąge, de tout sexe et de toute condition. Ils ont l'amour, ils Ă©prouvent le besoin de l'exercice frĂ©quent, rude et pĂ©rilleux; cela tient en grande-partie au climat, plus froid et surtout plus humide que le nĂŽtre, qui nĂ©cessite un travail plus actif des muscles. Toutes les jeunes filles dĂšs l'enfance, toutes les femmes, mĂȘme arrivĂ©es Ă un certain Ăąge, sortent chaque matin Ă cheval ; les longues excursions Ă pied, les marches les plus dures ne les effraient pas ; une lady qui ne monte pas Ă bicyclette est une raretĂ© ; beaucoup affrontent les voyages les plus lointains et les plus pĂ©rilleux ; elles ont du reste une rĂ©putation acquise et mĂ©ritĂ©e de courage et d'intrĂ©piditĂ©. Tous les jeunes gens font partie d'un club de foot-ball et de cricket ils s'y exercent plusieurs fois par semaine, de maniĂšre Ă acquĂ©rir et Ă conserver l'entraĂźnement. Le rĂȘve de beaucoup, leur plus grand bonheur, serait de se voir admis Ă lutter pour leur comtĂ© dans les grands matchs annuels. J'ai souvent entendu de jeunes Anglais me dire avec conviction Si j'avais le moyen de ne rien faire, je m'entraĂźnerais solidement et tĂącherais de devenir assez fort pour ĂȘtre admis dans l'Ă©quipe du Kent. » Pendant toute la saison, juillet et aoĂ»t, on ne parle que des grands matchs du jeu national. Chacun se passionne, et l'on s'arrache les cinq ou six Ă©ditions que les journaux font parfois paraĂźtre dans la mĂȘme journĂ©e, Ă seule fin de renseigner sur les pĂ©ripĂ©ties des diffĂ©rentes luttes. J'ai vu Ă Londres un de ces matchs entre deux Ă©quipes assez renommĂ©es il y avait lĂ , debout et en plein soleil, de 15 Ă individus, hommes et femmes, Ă©chelonnĂ©s autour de l'immense cricket ground » ; ils paraissaient captivĂ©s et ne quittaient pas une seconde les joueurs du regard ; il y avait des applaudissements, des hurrahs pour les vainqueurs, et aussi des exclamations de mĂ©pris et des mots ironiques lancĂ©s au camp malheureux. Pour un Français, ce jeu est tout Ă fait insipide ; il faut ĂȘtre Anglais pour le trouver very much exciting ». Les Anglais ont aussi la passion des voyages; nombre dĂ©jeunes gens et d'hommes faits vont chaque annĂ©e pĂȘcher le saumon en NorvĂšge, tirer le daim au Canada ou l'Ă©lĂ©phant au Cap ; les plus 54 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE modestes chasseurs se contentent d'aller tuer la grouse » dans les Highlands d'Ecosse; tout homme qui a la fortune suffisante est plus ou moins sportman ; beaucoup trouvent dans l'exercice de ces sports l'occupation de leur vie entiĂšre. J'ai dit tout Ă l'heure que l'habitude des sensations ternes faisait acquĂ©rir Ă la longue une certaine insensibilitĂ©, qui, jointe Ă peu d'habitude et d'habiletĂ© dans la perception de la sensation, Ă©tait l'une des caractĂ©ristiques du tempĂ©rament anglais. Cette inaptitude des sens, par manque de finesse naturelle et aussi d'exercice, se dĂ©couvre dans les choses les plus matĂ©rielles. Ainsi la cuisine anglaise est dĂ©savantageusement connue pour son manque de dĂ©licatesse toujours en mouvement, trĂšs robustes, les Anglais ont de grands besoins physiques ; le climat, les brouillards, la grandeur du travail physique ou mĂȘme intellectuel, tout pousse Ă la consommation ; mais la quantitĂ© est-elle trop souvent obtenue au dĂ©triment de la qualitĂ©. D'Ă©normes portions de viandes graisseuses et de lĂ©gumes fades, bouillis dans l'eau, sans assaisonnement, sans sauces et sans saveur voilĂ le fond de l'alimentation. C'est une nourriture saine et forte, mais que l'on n'a pas d'agrĂ©ment Ă manger. La seule flatterie pour un palais anglais, ce sont des condiments extraordinaires poivre, piment, vinaigres concentrĂ©s, moutardes'd'un piquant exagĂ©rĂ© ; tout ce qui emporte la bouche et produit sur un palais français une sensation de brĂ»lure. Leurs vins ordinaires, porto, sherry, trĂšs chauds et liquoreux par eux-mĂȘmes, dĂ©jĂ renforcĂ©s par la falsification, sont encore coupĂ©s dJeau-de-vie c'est alors un mĂ©lange plein de charme pour un Anglais, quoique tout l'arĂŽme, toute la finesse, soient partis. De vrais vins de Bordeaux, mĂȘme de Bourgogne, leur semblent trop lĂ©gers; au pale aie » ils prĂ©fĂšrent ces affreuses et noires boissons, le stout et le porter, ou bien des grogs chauds, dans lesquels l'eau-de-vie entre pour moitiĂ©. Le gosier anglais doit ĂȘtre raclĂ©, grattĂ©, brĂ»lĂ© cela suffit pour le satisfaire. Toutes ces remarques indiquent des sens moins exercĂ©s et moins fins. L'homme doit s'endurcir, se raidir, pour s'accoutumer aux exigences de la vie, Ă l'inclĂ©mence du climat. Un pauvre des rĂ©gions mĂ©ridionales n'est pas malheureux ; les choses les plus belles et les meilleures ne lui coĂ»tent rien il a peu de besoins Ă satisfaire. Quant aux choses absolument nĂ©cessaires, il les procurer pour quelques sous. Pour quelques sous, il a une abondance de fruits, un verre de muscat, une livre de raisins, tout cela digne d'ĂȘtre servi aux banquets de l'Olympe il acquiert ainsi IMPRESSIONS D ANGLETERRE 55 l'idĂ©e de la sensation dĂ©licate et exquise. Pareille idĂ©e ne peut naĂźtre dans un cerveau anglais, qui commande Ă un palais solide, Ă un gosier vigoureux, lequel ne connaĂźt rien au-dessus d'une large tranche de boeuf et d'un verre de whisky. Dans les pays du Nord, il faut acquĂ©rir par le travail toutes les choses nĂ©cessaires Ă la vie la nourriture abondante, le feu, la lumiĂšre, l'habitation bien close, les habits chauds... Ayez vingt mille livres de rente, ou bien vous ne vivrez pas. Nulle part la pauvretĂ© n'est plus dĂ©gradante et plus pĂ©nible c'est en grande partie pour l'Ă©viter que l'Anglais poursuit si Ăąprement la richesse. 11 la lui faut pour vivre, car elle est Ă ses yeux l'accompagnement, l'aliment, la condition sine qua non de la distinction, de la moralitĂ©, de l'instruction, de toutes les qualitĂ©s qui font le gentleman. C'est lĂ le perpĂ©tuel coup de fouet 1 » qui fait que chacun travaille Ă acquĂ©rir son idĂ©al, lequel consiste en une maison bien sĂšche, bien propre, bien close et bien, chauffĂ©e, un foyer animĂ© par une femme dĂ©vouĂ©e, bonne mĂ©nagĂšre, et des enfants propres, bien habillĂ©s et bien Ă©levĂ©s ; avec l'abondance des meubles, des ustensiles utiles ou agrĂ©ables, de tous ces menus objets qui rendent le home » vraiment confortable et agrĂ©able Ă habiter. Cet idĂ©al rĂ©alisĂ©, il est peu d'Anglais qui Ă©prouvent le besoin d'autre chose. A quoi bon se passionner pour les hautes spĂ©culations de l'esprit, pour les thĂ©ories d'art et les belles oeuvres littĂ©raires? DĂšs le collĂšge, du reste, les Anglais sont accoutumĂ©s Ă relĂ©guer en seconde ligne la science et la culture de l'esprit; les connaissances pratiques, le courage, la force et l'adresse du corps viennent en premier rang. La premiĂšre qualitĂ© d'un bon maĂźtre de collĂšge, c'est d'ĂȘtre un bon joueur de cricket et de foot-ball le reste a bien moins d'importance. » VoilĂ ce que j'ai entendu cent fois rĂ©pĂ©ter en Angleterre, et c'est lĂ le dĂ©faut principal de leur Ă©ducation, qui a d'autre part sur la nĂŽtre de si grands avantages. Un Anglais ne va pas au collĂšge uniquement pour se bourrer de grec ou de latin, mais pour apprendre Ă devenir un brave Anglais, utile, serviable, vĂ©ridique, un chrĂ©tien, un vĂ©ritable gentleman » dans toute la force du mot malheureusement la part n'est pas faite assez grande, d'ordinaire du moins, aux Ă©tudes purement thĂ©oriques ; la formation de l'intelligence reste incomplĂšte, et les gens qui possĂšdent une forte culture intellectuelle sont bien rares, sauf dans les classes riches et dirigeantes. i. Taine. 56 REVUE. DU MONDE CATHOLIQUE Puis l'oeuvre commencĂ©e par l'Ă©ducation se continue dans les diffĂ©rentes phases de la vie ; le combat en est particuliĂšrement rude en Angleterre la concurrence deux fois plus violente et acharnĂ©e que partout ailleurs en est une preuve. Un des signes extĂ©rieurs de cette concurrence, c'est la rĂ©clame Ă©norme que chacun fait Ă son produit, Ă sa drogue, au raffinement qu'il a inventĂ© dans l'espoir de flatter une envie, un caprice, une manie. Cette rĂ©clame envahit tout, depuis les pages entiĂšres de journaux jusqu'au moindre espace libre des murs et des constructions ; elle est particuliĂšrement abusive dans les gares, oĂč souvent les annonces empĂȘchent de distinguer le nom de la localitĂ© oĂč l'on passe ; il n'est pas rare de voir des Ă©trangers Ă qui l'usage de la langue anglaise est encore peu familier, se demander s'ils sont Ă Herne-Hill ou Ă Sunlight soap », Ă Sydenham ou Ă Champion's Vinegar », Ă Chislehurst ou Ă Elliman's Embrocation ». Ce qui se dĂ©pense de talent, je dirais presque de gĂ©nie, Ă inventer de nouveaux modes de rĂ©clame, est incalculable. Etonnez-vous ensuite qu'il n'en reste plus pour crĂ©er des oeuvres artistiques durables et vraiment belles ! Le goĂ»t baisse et s'Ă©mousse, tout devient boutiquier, trades m an » Ăąpre et dur, inquiet et triste make money », gagner de l'argent, et ce de quelque maniĂšre que ce soit, voilĂ l'idĂ©e qui absorbe et dĂ©vore toutes les autres. Aussi, tout ce qui donne la mesure moyenne de l'esprit artistique d'un peuple les objets d'art, les porcelaines, les marbres, les bibelots, les bijoux, tout cela est laid, trop Ă©clatant, trop riche, trop brillant, sans finesse et sans goĂ»t. Les expositions, les magasins, croient atteindre un style riche et pompeux, et n'exposent que des choses brillantes, mais grossiĂšres ou de mauvais style. Les artistes sont peu considĂ©rĂ©s ; en France, ils sont mis et surtout se mettent bien au-dessus du bourgeois, du philistin », du profanum vulgus en Angleterre, c'est l'inverse. Les musiciens, dont pourtant on fait Ă Londres une Ă©norme consommation, sont des singes payĂ©s qui viennent faire du bruit dans un salon. Les peintres, les sculpteurs, sont des artisans barbus, mal payĂ©s, mal habillĂ©s, prĂ©tentieux, Ă peine supĂ©rieurs d'un degrĂ© aux photographes. Ces idĂ©es Ă©troites se modifient peu Ă peu il y a vingt ans elles Ă©taient telles que je les dĂ©cris, et ces bons Anglais n'en revenaient pas de voir Ă Paris les artistes aller de pair avec les gens i. Taine. IMPRESSIONS D'ANGLETERRE 57 du monde, et Delaroche et Horace Vernet dĂźner chez le roi 1 ». Pour le gros John Bull, un peintre, un musicien, n'est pas un gentleman, car il se sert de ses mains ; il n'est pas respectable, car il n'a pas de ressources rĂ©guliĂšres, de rentes ni de traitement qu'il touche Ă jour et Ă heures fixes or, la respectability », la qualitĂ© de gentleman », sont tout en Angleterre. Ces deux mots reviennent sans cesse de l'autre cĂŽtĂ© de la Manche est-ce un gentleman? est-ce une lady? VoilĂ les deux seules questions, et la rĂ©ponse qu'on y fait, y es or no », suffit Ă donner la mesure exacte du caractĂšre, des moeurs, de l'Ă©ducation, de la fortune, de la religion, de toute la vie, de toute la personne de l'ĂȘtre humain dont il est question. Un gentleman, c'est quelqu'un qui occupe une position indĂ©pendante, qui a un certain train de maison, une certaine tenue extĂ©rieure, des habitudes de luxe ou tout au moins d'aisance, de bonnes façons, et sait tenir sa place dans le monde. C'est encore un homme vraiment noble par le coeur, l'esprit et les maniĂšres, un homme d'honneur, un homme de conscience, qui agit bien, non seulement en vertu de ses instincts gĂ©nĂ©reux, mais encore par rĂ©flexion, par sentiment du devoir. Ce n'est pas tout, pour ĂȘtre un gentleman, il faut encore ĂȘtre un chrĂ©tien ; car l'Anglais reste toujours religieux il croit, sans trop de ferveur souvent, mais il garde les allures extĂ©rieures d'un croyant. Les opinions d'un Anglais sur la religion sont fixes et enracinĂ©es elles sont une partie de son Ă©ducation, des traditions de la grande nation Ă laquelle il appartient. Il accepte le protestantisme et l'Ăglise anglaise comme il accepte la constitution parlementaire de son pays. Sa religion est un auxiliaire du pouvoir civil, un Ă©tablissement d'hygiĂšne morale, de bonne rĂ©gie des Ăąmes ». II faut reconnaĂźtre, du reste, que le dogme protestant s'accorde bien avec les instincts moraux, sĂ©rieux et un peu puritains de la race. Ils n'ont pas besoin d'effort pour le suivre, ils auraient besoin d'effort pour le rejeter 1 ». Un incrĂ©dule ne peut pas ĂȘtre un bon Anglais, ni un honnĂȘte homme, cela est gĂ©nĂ©ralement admis. Aussi le respect du christianisme s'impose Ă l'opinion publique comme un devoir, j'allais dire comme une biensĂ©ance. Il est vrai qu'en Angleterre tout ce respect de la religion, toute cette foi si vive Ă l'extĂ©rieur, sont trop souvent plus apparents que 1. Taine. 58 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE rĂ©els. La mode, le dĂ©sir de se faire bien voir, tiennent lieu de conviction vraie et profonde. Tout est permis qui n'est pas vu ; tout est tolĂ©rĂ© qui n'est point entendu par les voisins ; certains disent qu'en Angleterre, l'hypocrisie sert de manteau Ă tout. Cela est certainement exagĂ©rĂ©, mais non complĂštement faux. Si le christianisme consistait Ă aller souvent et le plus apparemment possible Ă l'Ă©glise, le peuple anglais serait le plus chrĂ©tien du monde ; et le plus pieux et le plus croyant, si la foi et la piĂ©tĂ© consistaient uniquement Ă se quereller sur les dogmes de la religion, au lieu d'en appliquer les principes. Il est vrai que le dimanche, pour se rendre Ă l'Ă©glise, hommes et femmes, ladies and gentlemen », rivalisent de zĂšle et d'affectation. C'est Ă qui emportera le plus de livres et les plus gros; ils n'ont, du reste, pas loin Ă les porter, car les Ă©glises de toutes les confessions sont bientĂŽt aussi nombreuses que les public houses ». La religion est devenue bien plus affaire de mode que de conscience les Anglais se vantent d'ĂȘtre le peuple le plus religieux du monde, comme ils se vantent de possĂ©der une foule de vertus, de qualitĂ©s, dont ils n'ont souvent que l'apparence. C'est le contraire du Français, qui n'est qu'un fanfaron du vice l'Anglais n'est qu'un fanfaron de vertu, quelquefois un simple hypocrite. Les preuves individuelles de cette hypocrisie abondent, les preuves sociales ne sont pas rares l'une des plus saillantes Ă mes yeux consiste dans l'observation du dimanche Ă Londres. Tandis que l'aristocratie, les classes Ă©levĂ©es et les classes moyennes passent, aussi ostensiblement que possible, la plus grande partie de leur journĂ©e Ă l'Ă©glise, tous les lieux de distraction, de promenade sont obligatoirement fermĂ©s ; on ne laisse d'ouvertes que les tavernes, les public houses » la raison en est simple mais odieuse, Ă mon avis. Interrogez un Anglais Ă ce sujet, il vous rĂ©pondra Nous avons nos maisons, nos clubs bien confortables, nos Ă©glises, oĂč nous entendons de bonne musique et de bons prĂ©dicateurs, nous ne ressentons pas, le dimanche, le manque de distractions. Quant au bas peuple, qui vit dans d'infĂąmes quartiers, s'entasse dans d'abominables demeures, il est dans notre intĂ©rĂȘt de lui laisser ce jour-lĂ la seule chose qu'il apprĂ©cie. Tant qu'il sera stupĂ©fiĂ© par la boisson, il ne nous causera ni trouble ni inquiĂ©tude. Le dimanche oĂč nous fermerons Ă Londres les public houses, nous aurons une terrible rĂ©volution. » VoilĂ la morale anglaise pour nous la Bible et l'Ăvangile; pour les malheureux la taverne et l'eau-de-vie. C'est sans doute un sentiment analogue qui pousse IMPRESSIONS D ANGLETERRE 59 les commerçants anglais Ă vendre l'opium aux Chinois et aux Indous !... Et maintenant, quelle conclusion tirer de ces quelques impressions d'Angleterre ? Elles sont nĂ©cessairement trop superficielles, trop incomplĂštes pour que je me risque Ă fonder sur des bases aussi fragiles une comparaison plus ou moins exacte entre la France et l'Angleterre, entre deux nations si diffĂ©rentes par les moeurs, les traditions, le caractĂšre et le climat, qu'une foule de facteurs, trĂšs nombreux et trĂšs complexes, contribue encore Ă distinguer l'une de l'autre ; ou bien dois-je examiner s'il convient de dire avec Voltaire Si j'avais eu Ă Ă©lire le lieu de ma naissance, j'aurais choisi l'Angleterre »? Il ne m'appartient pas de rĂ©soudre ni de trancher d'un mot de si graves questions et de si importantes controverses. Je dirai simplement qu'en somme, l'Angleterre donne l'impression d'une grande et puissante nation grande par le travail, le sĂ©rieux, la constance, l'intrĂ©piditĂ© et le nombre de ses enfants; grande par la libertĂ© qui y rĂšgne, par la forte organisation de la famille et de la sociĂ©tĂ©, par la puissance de ses traditions sociales, politiques et religieuses, et le respect que chacun en garde ; que c'est une nation bienfaisante par ses institutions de charitĂ© et de prĂ©voyance, par sa large et franche hospitalitĂ© ; peutĂȘtre trop froide de maniĂšres, trop lourde et trop tranquille d'esprit, manquant de ressort et d'Ă©lasticitĂ©. Je crois pouvoir dire d'elle qu'elle est petite par ses prĂ©jugĂ©s, par l'affectation de son fanatisme biblique et de son puritanisme exagĂ©rĂ©, attristĂ©e et grossiĂšre par le paupĂ©risme et par le vice trop frĂ©quent de l'ivrognerie. L'Anglais se trouve bien en Angleterre, le Français prĂ©fĂšre la France; chacun a raison, car, comme ledit spirituellement M. Taine, chacun a le manteau convient le mieux ». JACQUES GAZEAU. Manoeuvres d'automne en 1899 Suite et fin SOMMAIRE § 4. Marches d'approche i° en formation de masse ; 2° en formation demiouverte ; 3° en formation ouverte. â § 5. DĂ©ploiement Troupes de prĂ©paration, de choc et de rĂ©serve. â Des bonds. â §6. Assaut. â § 7. Conclusion. 111e PARTIE. â Manoeuvres de l'Est. â § 1. IntĂ©rĂȘt particulier des manoeuvres de l'Est. â § 2. Terrain des opĂ©rations. â §3. Principales dĂ©monstrations. âąâ § 4. Conclusions. iv° PARTIE. â ExpĂ©riences et desiderata. â § 1. L'alimentation sucrĂ©e. â § 3. Emploi des automobiles. â § 3. Inventions nouvelles. â § 4. Passage des cours d'eau. â § 5. Les effectifs. â § 6. Conclusion gĂ©nĂ©rale. Le manque d'initiative, disait Bugeaud il y a soixante ans, oblige le chef Ă tirer lui-mĂȘme la voiture qu'il devrait n'avoir qu'Ă conduire. J'ai insistĂ© sur ce point de vue, parce que le manque d'initiative est peut-ĂȘtre encore aujourd?hui un des plus grands dĂ©fauts de nos officiers et surtout de nos sous-officiers, malgrĂ© les louables efforts qui ont Ă©tĂ© faits, je le reconnais volontiers, pour nous dĂ©livrer de cette servitude si contraire Ă notre caractĂšre français, pĂ©tillant, actif et primesautier. Trop de chefs considĂšrent encore tout acte d'initiative comme attentatoire Ă leur autoritĂ©, presque comme un acte d'indiscipline. C'est un prĂ©jugĂ© nĂ©faste qu'il faut dĂ©raciner Ă tout prix. § 4. MARCHES D'APPROCHE. â Le directeur, sans rien prĂ©ciser pour les emplacements de l'artillerie, qui sont absolument subordonnĂ©s aux circontances, dĂ©crit la marche de l'infanterie jusqu'au moment oĂč les premiers bataillons entreront dans la zone efficace du tir de l'artillerie ennemie, puis de son infanterie. La vulnĂ©rabilitĂ© va Ă©videmment en augmentant Ă mesure que les distances diminuent. Pour en attĂ©nuer les effets, le gĂ©nĂ©ral MANOEUVRES D'AUTOMNE EN 1899 61 Giovanninelli prĂ©voit trois formations de marche la formation mĂȘme de rassemblement, une formation demi-ouverte et une formation ouverte. Dans toutes ces formations, les sections s'avancent par le flanc. Chaque chef d'unitĂ©, vĂ©ritable guide de sa troupe, marche devant elle pour en assurer la direction^ soit sur un point dĂ©terminĂ©, soit par rapport Ă l'unitĂ© de direction, base du mouvement. Ces trois formations ne diffĂšrent entre elles que par les intervalles et les distances. La marche en formation de rassemblement est employĂ©e en dehors de toute action de l'artillerie ennemie et en terrain uni et dĂ©couvert, soit jusqu'Ă environ quatre kilomĂštres des batteries adverses. La formation demi-ouverte dans laquelle les compagnies prennent entre elles 50 mĂštres de distance et 50 mĂštres d'intervalle, les bataillons, 100 mĂštres s'emploie en terrain accidentĂ© ou couvert, et lorsqu'on approche de la zone d'action de l'artillerie. Les brigades s'espacent Ă 300 mĂštres en utilisant l'intervalle de 1000 mĂštres qui ^existait entre les divisions rassemblĂ©es. Ce dispositif ne saurait ĂȘtre conservĂ© Ă moins de 3500 mĂštres de la position ennemie. La formation ouverte espace les sections de 20 Ă 40 mĂštres l'une de l'autre; les compagnies s'Ă©chelonnent en profondeur Ă 100 mĂštres, les bataillons Ă 300. Cette formation n'est du reste qu'une transition entre la marche d'approche proprement dite et le dĂ©ploiement. Elle ne saurait ĂȘtre conservĂ©e Ă moins de 3000 mĂštres des positions ennemies. § 5. DĂPLOIEMENT. â Le principe fondamental posĂ© par le gĂ©nĂ©ral directeur est que toute troupe engagĂ©e doit constituer, au dĂ©but, trois Ă©lĂ©ments un groupe de prĂ©paration, un groupe de choc et un groupe de rĂ©serve. Quand un des Ă©lĂ©ments se fondra dans l'Ă©lĂ©ment prĂ©cĂ©dent, les troupes de l'arriĂšre seront utilisĂ©es pour maintenir intact le principe des trois Ă©lĂ©ments d'action. Il s'agit, bien entendu, ici du combat inoffensif. Les sections de premiĂšre ligne ouvrent leurs intervalles jusqu'au front de dĂ©ploiement; elles se forment en ligne, vers 800 mĂštres ou seulement vers 600, quand elles sont obligĂ©es de riposter par le feu au tir de la dĂ©fense. Elles progressent ensuite, soit par bond de toute la ligne, soit par Ă©chelon, jusqu'Ă la distance d'assaut vers 200 ou 150 mĂštres de l'ennemi. Les sections des compagnies de premiĂšre ligne sont suivies et 62 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE successivement renforcĂ©es, d'aprĂšs les prescriptions du rĂšglement, par les compagnies de rĂ©serve des bataillons. Cette marche de dĂ©ploiement, qui s'effectue de 3000 Ă 150 mĂštres, constitue le combat de prĂ©paration c'est la phase la plus laborieuse, parce qu'elle s'effectue aux distances oĂč le tir ennemi de plus en plus efficace n'est pas encore impressionnĂ© par la marĂ©e montante dont l'effet moral ne se produit qu'Ă courte distance. La seule particularitĂ© Ă noter ici est le procĂ©dĂ© de cheminement prĂ©conisĂ© par le directeur, frappĂ© Ă juste titre de la prĂ©cipitation avec laquelle cette marche s'effectue d'ordinaire, pendant les manoeuvres, sans doute Ă la satisfaction de la galerie, mais aussi d'une façon trĂšs peu vraisemblable, qui a, au surplus, l'inconvĂ©nient de ne pas laisser aux troupes voisines le temps d'exĂ©cuter les mouvements tournants ou enveloppants. Par une note en date du 31 aoĂ»t 1899, M. le gĂ©nĂ©ral de Longuemar, commandant le 5" corps, expose comme il suit la façon de progresser Cette instruction, dit-il le schĂ©ma Giovanninelli, veut que, dans la zone dangereuse, les sections en formation ouverte cheminent par bonds de 100 Ă 50 mĂštres au moins, suivant le terrain, et homme par homme. Cette prescription sera toujours observĂ©e dans les marches d'approche pendant les manoeuvres. Les sections arrĂȘtĂ©es doivent ou se mettre Ă genoux ou se coucher. Le chef de section se porte de sa personne Ă 50 ou 100 mĂštres en avant, au point oĂč sa section doit se rendre en un bond, puis le mouvement s'exĂ©cute lentement, homme par homme, ceux qui doivent se porter en avant se relevant seuls, de maniĂšre Ă n'offrir Ă l'ennemi qu'un but restreint ou mĂȘme invisible. » C'est parfait comme procĂ©dĂ©, mais Ă condition d'en restreindre l'emploi aux circonstances exceptionnelles, si l'on ne veut pas tomber dans l'excĂšs contraire Ă la prĂ©cipitation, Avec ce procĂ©dĂ©, il faut au moins une demi-heure pour gagner cent mĂštres. En tenant compte des arrĂȘts, il faudrait plus de vingt heures pour arriver sans incident Ă la distance d'assaut. Vingt heures Ă passer ainsi sous le feu, c'est Ă©videmment absurde. Dans la pratique, aux manoeuvres de garnison, on a dĂ» faire partir Ă la fois souvent plusieurs hommes et mĂȘme plusieurs rangs. Il en serait de mĂȘme Ă la guerre. § 6. ASSAUT. â Toutes les rĂ©serves encore disponibles,, dit le rĂšglement, et au besoin le bataillon de deuxiĂšme ligne, rejoignent la MANOEUVRES D'AUTOMNE EN 1899 63 ligne de combat pour l'entraĂźner Ă l'assaut. » Dans quelles formations? Le rĂšglement est muet. Et cependant Ă ce moment, oĂč la surexcitation de tous est Ă son comble, il sera Ă peu prĂšs impossible de donner d'autres ordres que le cri ÂŁ avant! Ă la baĂŻonnette! » Le gĂ©nĂ©ral Giovanninelli a indiquĂ© la formation suivante pour les colonnes d'assaut les groupes seront au maximum d'un bataillon. Le bataillon part de la formation ouverte Ă courte distance de la ligne de combat oĂč le feu crĂ©pite avec violence, ses sections se serrent dans chaque ligne, sans intervalle, sur la section de base. La deuxiĂšme ligne suit la premiĂšre Ă 100 mĂštres. Si les compagnies sont Ă 200 hommes, le bataillon se prĂ©sente ainsi, dans chaque ligne, avec 32 hommes de front sur 12 rangs de profondeur. Le maniement de cette masse est Ă©videmment un peu lourd ce bloc fournit une belle cible, il faudrait le voir sous les balles! Mais il est permis de croire que la rĂ©union et la conduite de cette colonne n'est pas impossible; car il est reconnu qu'Ă la distance d'assaut, la justesse du tir d'infanterie est nulle, et l'artillerie des deux partis a cessĂ© le tir sur les premiĂšres, lignes pour ne pas s'exposer Ă faucher ses propres troupes. § 7- CONCLUSION. â Telles sont en rĂ©sumĂ© les leçons Ă retenir du schĂ©ma Giovanninelli. C'est la premiĂšre fois qu'un directeur de manoeuvres, parlant en maĂźtre qui enseigne, fait sentir son impulsion et affirme sa volontĂ©, sans rien prescrire de contraire aux rĂšglements de manoeuvres. Tout n'est pas Ă conserver dans ces procĂ©dĂ©s, mais ils mĂ©ritent de fixer l'attention de la commission chargĂ©e de la rĂ©vision du rĂšglement de manoeuvres de l'infanterie. Pour rĂ©compenser le directeur, on le dĂ©clare physiquement incapable ! On lui retire son commandement. Certes, le gĂ©nĂ©ral Giovanninelli n'a pas une taille de guĂȘpe; mais c'est avec son embonpoint actuel qu'il a fait la campagne du Tonkin, et personne n'avait le droit de lui reprocher une infirmitĂ© que son Ă©nergie et sa grande vigueur ont domptĂ©e'devant l'ennemi. TROISIĂME PARTIE Manoeuvres de l'Est § 1. INTĂRĂT PARTICULIER DES MANOEUVRES DE L'EST. â Le ministre de la guerre ayant supprimĂ© les manoeuvres de Touraine, sous le misĂ©rable prĂ©texte de fiĂšvre aphteuse, tout l'intĂ©rĂȘt 64 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE I I des opĂ©rations effectuĂ©es en 1899 se concentre sur les grandes manoeuvres de l'Est, exĂ©cutĂ©es par les 6e et 20e corps gĂ©nĂ©raux Kessler et de Monard sous la haute et brillante direction de M. le 1 gĂ©nĂ©ral HervĂ©. En Touraine il s'agissait de progrĂšs tactiques Ă faire sanction- J ner par l'expĂ©rience. Dans l'Est, la question est tout autre l'ob- ? jectif a Ă©tĂ© l'Ă©tude pratique d'une portion de frontiĂšre, au point de vue des Ă©ventualitĂ©s possibles en cas de guerre avec l'Allemagne. Cela vaut la peine qu'on s'y arrĂȘte. § 2. TERRAIN DES OPĂRATIONS. â Le pays sur lequel a Ă©voluĂ© f le 6e corps 40e et 42e divisions renforcĂ©es de la 12e, gĂ©nĂ©ral j Hartsmidt, et de la 6e brigade de cavalerie, gĂ©nĂ©ral d'Hugonneau contre le 20e corps, reprĂ©sentant-l'ennemi, est la terre classique \ des invasions ce sont les hauts bassins de la Meuse et de la Moselle, de Bar-le-Duc Ă Nancy. Les principales phases se sont dĂ©roulĂ©es entre Saint-Mihiel, Pagny et Thiaucourt ; les derniers j engagements ont amenĂ© les combattants sur le vaste plateau de f la Woevre, qui se termine au Nord par les trop mĂ©morables champs de bataille de Gravelotte et de Saint-Privat. j On a manoeuvrĂ© si prĂšs de la frontiĂšre que, pendant l'action, cer- ] tains partis du 20e corps ont pu entendre tonner les canons aile- 1 mands. C'Ă©tait le 15e corps prussien qui opĂ©rait, lui aussi, du cĂŽtĂ© j de ChĂąteau-Salins. \ Ce terrain trĂšs mouvementĂ©, coupĂ© par de nombreux cours \ d'eau, souvent boisĂ© sur de grandes Ă©tendues, est trĂšs favorable aux S Ă©tudes militaires. Il a fourni plusieurs fois aux chefs de groupe, et J en particulier Ă la cavalerie, l'occasion d'exĂ©cuter d'heureux mouve- ments tournants. 1 § 3. PRINCIPALES DĂMONSTRATIONS. â Nous n'avons pas l'in- \ tention d'exposer toute la suite des thĂšmes et d'en discuter f l'exĂ©cution. C'est Ă coup sĂ»r intĂ©ressant pour les gens du mĂ©tier; \ mais cela nous entraĂźnerait beaucoup trop loin. Nous nous borne- puisse y avoir un remĂšde meilleur. 96 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE esquissĂ© un peu mieux pendant deux annĂ©es dans trois autres. 11 est inutile de montrer combien tout cela est infĂ©rieur Ă nos baccalaurĂ©ats, Ă nos brevets mĂȘme, d'autant plus que l'examen est fragmentaire, sans l'Ă©preuve finale qui synthĂ©tise, sans l'oral qui prouve la possession du sujet. A la place de nos Ă©preuves françaises, qu'il est facile Ă un jury de rendre probantes, nous n'avons ici que des revues de demi-annĂ©e, soumises aux conditions prĂ©caires que nous avons signalĂ©es, Ă toutes les influences malsaines qui dĂ©coulent des diffĂ©rentes causes que nous avons indiquĂ©es l. L'examen de matriculation, Ă johns Hopkins comme Ă Bryn-Mawr, est le fondement de l'Ă©difice scolaire, en ce qu'il reprĂ©sente l'ensemble des connaissances communes Ă tous les divers groupes de spĂ©cialitĂ©s, le minimum de l'enseignement unifiĂ© Ă sa base. Aussi donnons-nous dans l'appendice des dĂ©tails complets sur ce programme, â ainsi qu'un tableau des cours faits au CollĂšge et Ă l'UniversitĂ©. â Malheureusement, la possibilitĂ© de diviser cet examen en deux ou plusieurs parties, la faveur d'ĂȘtre admise sous condition pour une moitiĂ© des matiĂšres, sans parler d'autres motifs, enlĂšvent beaucoup Ă l'importance officielle de l'Ă©preuve. Il est fĂącheux qu'une administration qui autorise et laisse croĂźtre des procĂ©dĂ©s qui n'ont rien de pĂ©dagogique ne tire pas un meilleur parti des trĂšs bons Ă©lĂ©ments qui se rencontrent au collĂšge. Pour ce qui concerne les langues vivantes, il serait difficile de trouver mieux. Le français, l'allemand, sont les seules langues usitĂ©es dans les classes de ces dĂ©partements ; le cours supĂ©rieur d'italien se faisait, en 1895-96, dans l'idiome de Manzoni. MalgrĂ© l'esprit peu travailleur des Ă©lĂšves, malgrĂ© les absences cuis qu'elles se permettent bien facilement et sans motif, on obtient de trĂšs beaux rĂ©sultats. Le jour oĂč professeurs et Ă©lĂšves pourront donner tout ce qu'ils ont, le jour oĂč Bryn-Mawr sera soumis Ă la seule discipline digne d'une institution sĂ©rieuse, les dĂ©fauts qui frappent bien vite l'observateur disparaĂźtront. â Je suis profondĂ©ment convaincu que si les maĂźtres Ă©taient mieux chez eux, si les chefs de dĂ©partements ne voyaient pas leur autoritĂ© et leur compĂ©tence enrayĂ©es par des interventions Ă©trangĂšres, c'est-Ă -dire que s'ils Ă©taient libres de dire leur mot souverain Ă propos de collaborateurs qu'on leur impose ou 1. On trouvera dans VAppendice quelques renseignements sur l'examen amĂ©ricain. Sa caractĂ©ristique, disons-le en quelques mots, est de n'avoir aucun oral, aucune revue d'ensemble, et d'ĂȘtre divisĂ© au moins en huit sections, scindĂ©es en autant d'examens partiels, dont le programme n'est autre que l'enseignement donnĂ© dans les dix Ă douze semaines prĂ©cĂ©dentes. L EDUCATION EN PENNSYLVANIE 97 qu'on leur enlĂšve sans les consulter, et selon le seul caprice d'autres qu'eux-mĂȘmes, Bryn-Mawr, qui devient de plus en plus l'institution Ă la mode, serait facilement le vrai collĂšge des jeunes filles. â Mais le Conseil acadĂ©mique n'est qu'une chambre d'enregistrement, la FacultĂ© ne compte pas, les TrustĂ©es sont dĂ©sarmĂ©s, et le pouvoir exorbitant, autocratique, que s'attribue la prĂ©sidence est la cause de tout le mal. â Si un homme peut aisĂ©ment abuser de l'autoritĂ© absolue, que sera-ce lorsqu'une femme est ainsi maĂźtresse suprĂȘme?... Ces abus sont d'autant plus difficiles Ă rĂ©primer, que l'on n'ose parfois les signaler. Mon devoir de rapporteur spĂ©cial m'obligeait Ă Ă©crire ce que, en mon Ăąme et conscience, je crois ĂȘtre la vĂ©ritĂ©, et je le rĂ©sume en ces termes Bryn-Mawr ne peut ĂȘtre-un collĂšge vĂ©ritablement digne d'avenir et d'attention que le jour oĂč professeurs et Ă©lĂšves seront traitĂ©s comme il convient, c'est-Ă -dire bien diffĂ©remment de ce qui se fait aujourd'huil. Philadelphie La grande ville mĂ©rite une mention spĂ©ciale, parce que, dans les premiĂšres Ă©poques, elle fut le foyer d'oĂč vinrent l'activitĂ© et la lumiĂšre. C'est lĂ que fut Ă©tablie en 1687 la William Penn Chartered School, qui devait, dans l'esprit du fondateur, ĂȘtre comme le siĂšge de la direction intellectuelle ; si le but rĂȘvĂ© ne fut pas entiĂšrement atteint, l'influence morale, la contagion de l'exemple, exercĂ©es par cette institution, demeurĂ©e aujourd'hui encore de tout premier ordre, furent souveraines pour l'Ă©tablissement d'autres Ă©coles et le maintien de l'idĂ©al supĂ©rieur. La Germantown Academy, prĂ©parĂ©e Ă l'avance par Christophe Sower, ne fut ouverte qu'en 1761, c'est-Ă dire alors que les difficultĂ©s commencĂšrent dans le CollĂšge de Pensylvanie , et que les Allemands craignirent de ne plus avoir 1. UEducational Review juin 1896 publiait un article de M. Ch. F. Thwing, dans lequel Ă©tait dĂ©noncĂ© le pouvoir souverain que s'attribuent les prĂ©sidents, et qui est d'ordinaire fatal au bon gouvernement des Ă©tudes et du collĂšge. Aussi un grand changement s'est fait depuis quelques annĂ©es. Le PrĂ©sident de l'UniversitĂ© de Chicago, M. Harper, Ă©crit qu'il se ferait scrupule de prendre une dĂ©cision quelconque Ă l'Ă©gard d'un maĂźtre sans consulter le professeur en chef C'est la FacultĂ© qui doit avoir le dernier mot », Ă©crivait un autre prĂ©sident. â HĂ©las ! je n'ai rien vu de semblable Ă Bryn-Mawr ! â Peut-ĂȘtre que les trustĂ©es comprendront un jour le prĂ©judice qu'une semblable direction cause au collĂšge qu'ils ont le devoir d'administrer de leur mieux. A Yale, par exemple, les trustĂ©es ne dĂ©cident d'une nomination ou d'une rĂ©vocation que sur avis motivĂ© de la FacultĂ©. CorrĂźtJiĂ«rTd'abus de pouvoir et de dĂ©nis de justice auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©s Ă Bryn-Mawr si on" avait adoptĂ© cette conduite ! / ..''..' s âą'/, ' REVUE DU MONDE CATHOLIQUE â Ier JANVIER 19OO { ~ ; \ \ .4 " 98 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE pour leur langue et leur littĂ©rature une chaire qui leur donnĂąt toute satisfaction. L'Ă©cole Ă©piscopalienne de Locust Street fut fondĂ©e en 1785, sous les meilleurs auspices et avec une donation de la LĂ©gislature s'Ă©levant Ă dix mille acres de terre. TrĂšs riche et trĂšs aristocratique, le Seminary anglican continue son existence Ă©lĂ©gante, au profit presque exclusif des fidĂšles de l'Eglise. Nous avons parlĂ© des institutions catholiques pour jeunes filles, de celles du moins que la MĂšre Fournier fit naĂźtre sur un sol qui semblait peu fertile ; depuis, en 1847, une acadĂ©mie du SacrĂ©-Coeur et. tout au moins vingt-deux autres Ă©coles du mĂȘme genre ont Ă©tĂ© bĂąties jusqu'Ă ce jour. Les PĂšres JĂ©suites Ă©rigent le Saint-Joseph CollĂšge, dont la charte d'incorporation remonte Ă 1852. Onze ans plus tard, les FrĂšres des Ecoles chrĂ©tiennes obtenaient l'ouverture de La Salle CollĂšge. Le zĂšle a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ral et constant pour l'instruction, et la liste des nombreuses Ă©coles serait bien longue. Ce qui distingue l'enseignement ici, c'est l'empreinte laissĂ©e par Franklin qui donne un; caractĂšre professionnel et technique Ă l'Ă©ducation secondaire et mĂȘme Ă celle du premier degrĂ©. A ce point de vue, Philadelphie a donnĂ© le branle par les Institutes, mais non pas en dehors de notre StĂ©phen Girard, qui, le premier, prĂ©senta, sous forme sensible et pratique,, les idĂ©es du grand Ă©ducateur. Nous avons parlĂ© dĂ©jĂ du systĂšme de Lancaster, âqui fut essayĂ© sur une large Ă©chelle Ă Philadelphie. L'AmĂ©rique est le pays des enthousiasmes faciles, des engouements rapides mais peu durables il semble qu'on soit toujours jeune, bien jeune, et que toutes les. nouveautĂ©s attirent de façon irrĂ©sistible ce peuple d'autant plus impressionnable qu'il n'a pas de traditions et qu'il cherche passionnĂ©ment Ă se fixer. Ajoutons qu'il se dĂ©tourne avec beaucoup d'aise de ses anciennes amours, comme un enfant d'un jouet qui ne sert plus et pour lequel pourtant il avait versĂ© bien des larmes. Le Lancasterian System eut son heure; dĂ©jĂ , en 1803, le systĂšme de Pestalozzi avait inspirĂ© toute une sĂ©rie d'actes non Ă©quivoques.. William McGlure, de Philadelphie, visitant la Suisse, assistait Ă une leçon du cĂ©lĂšbre maĂźtre, â et il n'eut pas de repos avant d'avoir obtenu l'assurance d'une future Ă©cole de ce genre en AmĂ©rique. Joseph Neff, ancien coadjuteur de Pestalozzi, qui, avec un succĂšs, mĂ©diocre, essayait d'impianter la mĂ©thode Ă Paris, fut heureux, d'accepter les offres sĂ©duisantes de l'enthousiaste AmĂ©ricain *. 1. L'histoire de ces dĂ©marches a Ă©tĂ© Ă©crite par Neff lui-mĂȘme en une plaquette aujourd'hui assez rare, publiĂ©e en 1808 sous ce titre Sketch of a plan and meihod' L'ĂDUCATION EN PENNSYLVANIE 99 Des dĂ©ceptions l'attendaient en ce pays; son Ă©cole n'eut qu'une Ă©phĂ©mĂšre durĂ©e. On se dĂ©tourna de ce systĂšme pour aller Ă un autre; puis, Fellemberg, Froebel, et toute une sĂ©rie Ă la suite se poussent et se chassent l'un l'autre dans l'esprit perpĂ©tuellement inquiet du peuple et des chefs. Mais si les souvenirs d'autrefois, si l'action des Ă©ducateurs ont pu sauver cette seconde forme de l'instruction, on ne peut Ă©crire le mĂȘme Ă©loge des Ă©coles primaires, dont l'Ă©tat fut si longtemps dĂ©plorable et qui ne sont point encore sorties de la mĂ©diocritĂ©. â Une Ă©tude sur l'organisation scolaire de Philadelphie a Ă©tĂ© publiĂ©e par le Forum t. XV, mars 1893, par M. Rice. Avec une grande sincĂ©ritĂ© et une indĂ©pendance qui sont le gage d'une consciencieuse et loyale Ă©tude, rĂ©minent Ă©crivain a indiquĂ© les graves lacunes, les dĂ©fauts considĂ©rables du systĂšme, lacunes et dĂ©fauts qui ont pour cause l'intrusion du politicien dans l'Ă©cole. Peu de villes ont un agencement administratif plus mauvais de vue scolaire. Le pouvoir rĂ©side, en thĂ©orie, dans le Central Board, composĂ© de trente-six membres dĂ©signĂ©s par les juges du tribunal civil Common pleas, un pour chacun des wards ou quartiers; mais les bureaux de quartiers accaparent l'autoritĂ©. Ceux-ci sont formĂ©s par douze membres Ă©lus au vote populaire et prĂ©sidĂ©s par le reprĂ©sentant du tiard au Central Board ils sont les maĂźtres absolus. Le droit de veto que possĂšde le bureau central n'est jamais mis en oeuvre. Or non seulement il n'y a pas de responsabilitĂ© pour personne en particulier, mais ce sont les pires, parmi ces ĂȘtres indignes que sont les politiciens amĂ©ricains, qui sont les maĂźtres. Ils donnentles diplĂŽmes, nomment aux diverses places ils agissent sur l'instituteur pour confĂ©rer des graduations aux Ă©lĂšves qui ne les mĂ©ritent pas, ils sont les Ă©lĂ©ments les plus actifs pour la mauvaise organisation qu'une simple visite permet de constater. En 1883, de bons esprits finirent par s'alarmer et on se âą nommer un surintendant. Mais celui-ci est demeurĂ© longtemps dans l'impuissance contre tous ceux qui s'armĂšrent pour rĂ©sister Ă son ingĂ©rence. Ce nouveau pouvoir, dit M. Rice, n'a pu se faire pardonner son existence qu'en se tenant dans l'immobilitĂ© presque absolue. Aussi les difficultĂ©s demeurent-elles les mĂȘmes et les Ă©coles sont tout Ă fait infĂ©rieures. Le jour oĂč la fatale influence des passions politiques ou personnelles, ce qui est tout un en ce pays oĂč la poliof poliof founded on an analysis of the human Faculties and natural Reason, suitahle for the offsprings of a Free People and for ail Raiional Beings. IOO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tique ne se fait pas pour des principes, ne pĂšsera plus sur l'Ă©cole, Philadelphie sera la premiĂšre ville de l'Union par l'ensemble de son organisation. MalgrĂ© tout, quelque chose du vieil esprit est restĂ© sous les abus et les erreurs. Le travail pour le dĂ©gagement se poursuit dans des SociĂ©tĂ©s, des brochures, des confĂ©rences, quelques campagnes de presse trop rares, hĂ©las !. Puissions-nous aider Ă briser l'obstacle! J'ai rarement Ă©tĂ© plus charmĂ© dans mon voyage que par la visite faite Ă l'Ăcole normale pour jeunes filles en mai 1894. La construction est magnifique, splendidement luxueuse dans le goĂ»t un peu tapageur et voyant des collĂšges et UniversitĂ©s. Le principal, M. Felter, beau et bon vieillard qui allait Ă©pouser bientĂŽt une des prof essor esses, me montrait avec amour tous les dĂ©tails de l'Ă©cole., qui est son oeuvre en grande partie cours de musique, de chant, de couture, de coupe de vĂȘtements, de cuisine, de gymnastique, tout cela trĂšs bien dirigĂ© et exĂ©cutĂ©. Les classes elles-mĂȘmes paraissaient moins accomplies les maĂźtresses ne semblaient pas passionner follement l'auditoire, lequel avait beaucoup de distractions ; mais le grand dĂ©faut de cette Ă©cole normale est de prĂ©parer fort peu d'institutrices la plupart s'en vont de trĂšs bonne heure, sans se prĂ©occnper de l'avenir pour lequel on les a prĂ©parĂ©es ; par exemple, en 1892, trois cent dix jeunes filles, sur sept cent deuxy sortent de l'Ă©cole sans certificat. Depuis 1885, il y a une Ă©cole pratique de travail manuel, Manual Training School ». C'Ă©tait justice dans le pays de Franklin, et aprĂšs StĂ©phen Girard. Le succĂšs a Ă©tĂ© considĂ©rable il a fallu, en 1890, ouvrir une nouvelle Ă©cole, et bientĂŽt plusieurs seront nĂ©cessaires. Les Ă©lĂ©ments de la science professionnelle, pour ainsi parler, sont enseignĂ©s dans une Ă©cole spĂ©ciale. A cela doivent s'ajouter les cours industriels, de dessin, de sculpture, semblables Ă ceux que beaucoup de nos villes de France, Nice par exemple, ont su se donner depuis longtemps. En somme, comme nous l'avons indiquĂ© dĂ©jĂ , les bases du systĂšme, ses principaux organes, sont bons; mais tout est viciĂ©, rendu presque stĂ©rile par l'introduction du politicien dans le mĂ©canisme. Je ne puis que m'associer aux justes critiques de M. Rice, que mon expĂ©rience personnelle a confirmĂ©es en toute maniĂšre, et, comme lui, j'appelle le moment oĂč Philadelphie saura secouer le joug honteux et redevenir la noble et grande ville que rĂȘvait William Penn et que Franklin a essayĂ© de constituer. BARNEAUD. La Fleur merveilleuse de Woxindon Suite LIVRE QUATRIĂME CHAPITRE XIX Deux prĂ©tendants, l'un heureux, l'autre malheureux ArrivĂ©s en haut, nous laissĂąmes nos regards errer dĂ©licieusement sur le paysage qui se dĂ©roulait devant nous, semblable Ă un merveilleux tapis Ă©maillĂ© d'or brillant aux feux du soleil couchant. Elle me nomma les clochers des nombreux villages qui se succĂ©daient le long de la Tamise jusque bien loin dans la plaine ondulĂ©e de Middlesex. Je contemplai la tour qui Ă©mergeait sombre et triste de la longue traĂźnĂ©e de brume de la Tamise, et j'admirai les nuages frangĂ©s d'or derriĂšre lesquels le soleil se couchait lentement. Le .spectacle Ă©tait si ravissant que ma compagne elle-mĂȘme, qui n'avait pas cessĂ© une seconde son joyeux babil, se tut quelques instants, et l'on n'entendit plus dans le silence du soir que le gazouillement des hirondelles voltigeant autour des crĂ©neaux. Lorsque le soleil eut disparu, Miss Anna m'avertit qu'il Ă©tait temps de songer au retour. Je jetai une derniĂšre fois un long regard sur cette admirable scĂšne, Ă laquelle je ne pouvais m'arracher, et en me retournant j'aperçus un petit portefeuille, trĂšs Ă©lĂ©gamment reliĂ© en parchemin, oubliĂ© sur un banc de pierre du parapet. Je le reconnus aussitĂŽt, l'ayant vu souvent entre les mains de Babington, dont il portait d'ailleurs le nom gravĂ© en lettres d'or. 102 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Qu'est-ce que ceci? m'Ă©ciĂŻai-je Ă©tonnĂ© en prenant le joli livret, le portefeuille de Babington! Comment se trouve-t-il ici? » Miss Anna, dĂ©jĂ tournĂ©e vers l'escalier, se prĂ©cipita vivement vers moi en poussant un cri et m'arracha le livre des mains. Mais presque aussitĂŽt elle se rendit compte qu'elle venait de se trahir elle devint pourpre et me dit d'une voix tremblante Pour l'amour de Dieu, cher monsieur Windsor, n'en dites rien Ă grand-mĂšre ni Ă ma soeur. » La pauvre enfant Ă©tait si troublĂ©e que j'eus pitiĂ© d'elle. Je ne me sentais d'ailleurs ni goĂ»t ni mission pour lui faire un sermon, ni aucune inclination pour le mĂ©tier de dĂ©lateur, d'autant plus que je ne suspectais aucunement les intentions de Babington. Mais j'Ă©tais outrĂ© de ce qu'il n'avait pas craint d'amener cette pauvre jeune fille, trĂšs innocente mais quelque peu Ă©tourdie, Ă une rencontre cle ce genre dans le vieux chĂąteau, et je suppliai miss Anna d'ĂȘtre plus prudente Ă l'avenir, puisqu'elle sentait combien une telle maniĂšre d'agir mĂ©contenterait les siens. Elle me le promit avec une sincĂšre expression de regret. En me renouvelant sa priĂšre de ne pas la trahir, elle voulut me faire une confidence, puisque j'Ă©tais l'ami de Babington c'est que dĂ©jĂ avant la mort de son pĂšre elle Ă©tait devenue secrĂštement la fiancĂ©e de Babington. Elle trouvait que sa grand-mĂšre Ă©tait injuste Ă l'Ă©gard de Babington; elle savait bien qu'elle n'obtiendrait jamais son consentement, mais c'Ă©tait un si bon et si joyeux jeune homme, et ils se convenaient si bien tous les deux, que jamais elle ne renoncerait Ă lui. Maintenant que je possĂ©dais son secret, je devais ĂȘtre assez discret pour n'en pas livrer une syllabe. De son cĂŽtĂ©, elle promettait de m'aider Ă conquĂ©rir sa soeur Marie, car elle avait bien remarquĂ© que je songeais Ă elle. Tout en causant de la sorte nous nous approchions de la maison. Sur sa promesse de secours, je lui donnai Ă entendre que je n'aurais sans doute pas Ă y recourir, vu que mon affaire avec sa soeur semblait prendre dĂ©jĂ assez bonne tournure, et que j'avais l'assentiment de sa grand-mĂšre. La jeune fille ouvrit de grands yeux et traita sa soeur d'hypocrite pour ne lui avoir rien dit. Je demandai en riant si elle-mĂȘme lui avait parlĂ© de la jolie vue qu'on a de la tour. Mais miss Anna avait rĂ©ponse Ă tout. Son cas, dit-elle, Ă©tait tout diffĂ©rent et exigeait le secret, car l'antipathie prononcĂ©e de sa grand-mĂšre pour Babington ne lui laissait aucun espoir de succĂšs pour une explication et une demande en rĂšgle. Nous rentrĂąmes juste Ă temps pour le souper, et la soirĂ©e se LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON 103 passa sans incident. Le lendemain, dimanche, ce fut l'oncle Barthy qui officia, le PĂšre Weston Ă©tant parti pour une de ses courses de mission dans les comtĂ©s de l'intĂ©rieur. AprĂšs la pieuse rĂ©union et les priĂšres qui tenaient lieu de messe, je descendis avec Frith pour babiller et nous promener au jardin. Je remarquai un cheval sellĂ©, et Ă©tonnĂ© d'un dĂ©part si matinal le dimanche, je me dirigeai avec l'enfant vers la grande porte. Quel ne fut pas mon Ă©tonnement de voir arriver Babington ! Il paraissait surexcitĂ©, bouleversĂ©. En m'apercevant il eut un geste de colĂšre et brandit sa cravache vers moi, en criant Bavard! vieille commĂšre! » Puis la cravache s'abattit sur les flancs de sa Diane, qui, peu accoutumĂ©e Ă un pareil traitement, se cabra et faillit le dĂ©sarçonner. Je voulus le retenir et le questionner, mais il passa prĂšs de moi comme un ouragan et disparut en quelques secondes dans la forĂȘt. Frith et moi nous le regardions partir ahuris. Quelques instants aprĂšs je vis passer miss Anna, hors d'elle-mĂȘme et tout en larmes. TraĂźtre ! me cria-t-elle de loin avec colĂšre. » J'eus alors le mot de l'Ă©nigne. On avait rapportĂ© Ă lady Bellamy le rendez-vous de la tour; elle en fit de sĂ©rieux reproches Ă Babington, et comme celui-ci semblait prendre la chose Ă la lĂ©gĂšre, elle lui signifia de ne plus reparaĂźtre Ă la maison. Et tous deux m'accusaient maintenant d'avoir dĂ©truit leur bonheur. Cet incident me fut trĂšs pĂ©nible. C'en Ă©tait fait de mes relations d'amitiĂ© avec Babington. Plus tard mĂȘme, lorsqu'il eut appris que c'Ă©tait le vieux John qui l'avait dĂ©noncĂ© Ă sa maĂźtresse, il continua Ă me tenir rigueur, ce qui me mit probablement dans l'impossibilitĂ© d'empĂȘcher bien des malheurs. Pour ce jour-lĂ cependant, tout entier Ă ma joie,, j'oubliai presque cette fĂącheuse aventure. AprĂšs midi, je fus appelĂ© dans le grand salon du haut, que je connaissais si bien. J'y trouva la vĂ©nĂ©rable darne et miss Marie. Lady Bellamy me montra la fleur merveilleuse que j'avais vue Ă diverses reprises dĂ©jĂ elle Ă©tait dans son plein Ă©panouissement, et sur les cinq petites branches les fleurs rouges Ă©taient ouvertes. Jamais je n'en avais vu de semblables, et je n'ai jamais pu comprendre comment, ayant pris racine dans le plĂątre du plafond, elle y trouvait assez de force et de sĂšve pour un pareil accroissement. J'en fis la remarque Ă lady Bellamy; elle me rĂ©pondit qu'elle considĂ©rait toujours cette plante extraordinaire comme un signe visible de la faveur cĂ©leste, et qu'elle avait toujours plaisir et consolation Ă la regarder. Car, qu'elle fĂ»t ou non une fleur naturelle, 104 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ce n'Ă©tait que par une volontĂ© et une disposition spĂ©ciales de Dieu qu'elle avait poussĂ© et grandi en cet endroit. C'est pour cela qu'elle m'avait appelĂ© ici, afin que je pusse offrir ma main et mon premier baiser Ă ma fiancĂ©e sous l'Ă©gide de cette fleur cĂ©leste. Et bien qu'il ne pĂ»t ĂȘtre question en ce moment de fiançailles publiques Ă cause de leur deuil, Marie avait rĂ©solu dĂšs ce jour de m'engager sa parole. Imaginez-vous avec quel bonheur, sous la fleur merveilleuse et en prĂ©sence de la vĂ©nĂ©rable aĂŻeule, je mis ma main dans la main de ma chĂšre Marie. L'aĂŻeule fit sur nos fronts le signe de la croix. Ce n'Ă©tait point au milieu des plaisirs et du bruit, mais sous l'Ă©gide de Dieu, comme il convient aux enfants des saints, que nous devions faire ce premier pas si sĂ©rieux qui conduit Ă l'autel, Ă l'autel de l'alliance, oĂč nous serions un jour, si Dieu le voulait, unis par les liens du grand sacrement, figure de l'union de JĂ©sus-Christ avec sa sainte Eglise. Ainsi eurent lieu nos fiançailles, le dimanche Jubilaie de l'an de grĂące 1586. Mais avant les joies du mariage il devait couler bien des larmes. CHAPITRE XX Le mĂ©decin de Marie Stuart Peu de chose Ă dire de notre visite Ă la cour. Conduits par Saint-Barbe, Babington et moi, nous amenĂąmes Ă Richmond le petit Frith, vĂȘtu d'un fort joli pourpoint de soie vert, et portant crĂąnement sa nouvelle toque de velours Ă plumes. Mais la reine, ce jour-lĂ , Ă©tait indispoĂ©e, ou bien de mĂ©chante humeur ; elle ne quitta pas ses appartements. En vain nous passĂąmes un long temps au milieu des courtisans pour pouvoir la saluer au passage ; nous en fĂ»mes pour nos frais. Saint-Barbe et moi nous devions pourtant partir le lendemain pour Chartley. En consĂ©quence, nous confiĂąmes l'enfant, avec des recommandations toutes spĂ©ciales, Ă lord Chamberlain, qui avait la haute direction des pages. Saint-Barbe se montra trĂšs aimable pour Frith, et lui remit mĂȘme un billet Ă l'adresse de miss Cecil, pour la prier de s'intĂ©resser Ă l'orphelin. Cette lettre, d'ailleurs, ne contenait rien de particulier, Ă ce qu'assure Saint-Barbe, sinon une exhortation Ă LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON IO5 miss Judith Ă rester ferme dans la foi, avec la promesse de rĂ©futer bientĂŽt Campion. Je pris congĂ© de Frith, en l'embrassant comme mon futur petit beau-frĂšre, et lui recommandai de ne jamais oublier ses petites priĂšres Ă la bonne MĂšre et Ă son Ange Gardien, d'ĂȘtre avec cela toujours gai et aimable, et de s'adonner avec application aux exercices de chevalier, dans lesquels on instruit les jeunes pages. Lorsque nous le quittĂąmes il riait, mais dans ses yeux bleus il y avait des larmes. Et il dut bien un peu pleurer ce jour-lĂ lorsqu'il, se vit seul au milieu de tous ces Ă©trangers. Mais ces larmes ne font pas de mal; c'est comme une pluie de mai qu'un beau soleil sĂšche bientĂŽt sur les feuilles et les fleurs. Le lendemain de bonne heure nous quittions Londres. Lorsque nous traversĂąmes Harrow, le soleil se levait et dorait de ses premiers rayons les girouettes des tours de Woxindon. Naturellement, je regardai vers la chĂšre demeure, et voilĂ que tout Ă coup j'aperçois, Ă la fenĂȘtre du grand salon oĂč j'avais Ă©tĂ© fiancĂ© sous la fleur merveilleuse, une jeune femme debout, qui saluait avec son mouchoir. Ai-je besoin de vous dire si je rendis le salut? Mon compagnon semblait peu expansif; il me fut d'autant plus aisĂ© de jouir de la beautĂ© calme de cette aimable contrĂ©e du Middlesex et de Buckingham que nous mĂźmes toute la journĂ©e Ă parcourir ; et je redisais avec mon cher Virgile Rura mihi et rigui placeant in vallibus amnes Flmnina amem silvasque. Combien j'aime ces vastes campagnes, et les ruisseaux sinueux au fond des vallĂ©es, et les riviĂšres et les forĂȘts ! Oui, j'apprĂ©cie ces beautĂ©s, et comme Virgile, j'envie le bonheur de ces laboureurs, qui, loin des luttes et du bruit des armes, trouvent en abondance sur le sol natal toutes les choses nĂ©cessaires Ă la vie. O frotunalos nimium, sua si bona norint Agricolas ! Sur ce thĂšme tranquille du bonheur de la vie champĂȘtre, si bien chantĂ© par le poĂšte des GĂ©orgiques, je voulais entamer une conversation avec mon compagnon. Car je n'ai aucun plaisir, je dois le dire, Ă chevaucher de longues heures, muet comme un chartreux, Ă cĂŽtĂ© d'un autre humain. Je rĂ©ussis Ă lui arracher quelques mots, et je remarquai bien vite que je n'avais point affaire Ă un ami des IOĂ REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Muses, mais Ă un homme sĂ©rieux qui- m'eut bientĂŽt engagĂ© dans une vĂ©ritable discussion sur diffĂ©rents points de doctrine religieuse. jamais je n'ai aimĂ© les disputes, alors fort Ă la mode, sur les questions religieuses avec des personnes d'une autre croyance. L'expĂ©rience m'a fait voir qu'il n'en rĂ©sulte le plus souvent qu'une obstination et une amertume plus grandes de part et d'autre. Pourtant, je regardais comme un devoir pour moi de rĂ©pondre Ă toutes les questions et de dĂ©fendre ma foi si l'on venait Ă l'attaquer. C'est ce que je fis en cette occurrence avec Saint-Barbe ; je repoussai de mon mieux des attaques souvent trĂšs fortes ; et je dois lui rendre cette justice, qu'il parlait avec plus de calme et de raison que je ne l'aurais attendu d'un puritain. DĂ©jĂ mĂȘme je me prenais Ă espĂ©rer que je rĂ©ussirais peut-ĂȘtre Ă le convaincre. GrĂące Ă cette causerie, le voyage nous parut court, et malgrĂ© tous nos dĂ©saccords, nous Ă©tions restĂ©s trĂšs bons amis quand, le soir du second jour, nous arrivĂąmes Ă Burton. Mais Saint-Barbe n'Ă©tait pas encore le moins du monde dĂ©cidĂ© Ă embrasser notre religion, dans laquelle il persistait Ă voir toujours trop d'Ă©lĂ©ments humains. A l'auberge du Dragon vert, je fis Ă mon tour la connaissance du brasseur Tommy Bulky. Je ne pus m'empĂȘcher de rire en voyant pour la premiĂšre fois le gros homme, et de redire Ă mon compagnon le mot du vieux Romain Toius ter es atque rotundus. Tout rond et cylindrique. Tommy ne parut pas autrement offusquĂ© de mon rire. Il demanda seulement Ă mon compagnon si ce que je venais de dire n'Ă©tait pas un verset de la Bible, car on l'avait dĂ©jĂ souvent comparĂ© Ă ce vieux roi d'Amalec que SaĂčl immola sur l'autel du Seigneur, Ă Galgala. Saint-Barbe rĂ©pondit que c'Ă©tait un mot des auteurs paĂŻens, que je connaissais bien mieux que la Bible, mais qu'il n'y avait lĂ rien de mauvais. Le gros homme me regarda de travers et dit quelques mots tout bas Ă Saint-Barbe. Celui-ci fit un signe de tĂȘte affirmatif, sur quoi le brasseur me tendit en riant sa grosse main. Pardon, Monsieur, j'aimerais bien que vous sachiez mieux les sentences de la Bible que celles des vieux paĂŻens. Mais puisque vous ĂȘtes le mĂ©decin de la prisonniĂšre de Chartley, qu'on nous a annoncĂ© ces jours-ci de Londres, je ne veux pas vous prendre de LA FLEUR MERVEILLEUSE DE WOXINDON IO7 pointe. Car, voyez-vous, c'est moi qui fournis la biĂšre Ă la prisonniĂšre et Ă toute sa maison, et de la biĂšre, Monsieur, comme on n'en boit pas de pareille dans toute la chrĂ©tientĂ©; de la biĂšre qui vaut mieux que toutes les potions imaginables des mĂ©decins du monde entier. Croyez-moi, Monsieur, c'est la pure vĂ©ritĂ©. Du reste, je dois encore vous dire une chose, c'est que je suis un partisan du pur Evangile, et que je ne crois rien quand on ne peut pas me le prouver par un bon texte de la Bible. â Dans ce cas, prenez garde, maĂźtre brasseur, rĂ©pliquai-je en riant, je crains bien que vous ne puissiez pas trouver dans la Bible un seul texte recommandant de boire de la biĂšre. Au contraire, c'est le vin qui a la prĂ©fĂ©rence, puisque saint Paul recommande Ă son disciple TimothĂ©e d'en boire un peu Ă cause de la faiblesse de son estomac Modico vino utere propter stomachum. â En effet, Monsieur, il n'est pas question de la biĂšre dans l'Ăcriture, et Ă vous dire vrai, c'est la plus grave objection que j'aie entendue de ma vie contre le pur Evangile. J'en parlerai encore Ă notre prĂ©dicateur, le RĂ©vĂ©rend Ezechiel Bitterstone. » En achevant ces mots, il donna un grand coup sur la table ; puis se ravisant aussitĂŽt, il reprit MalgrĂ© tout, voyez-vous, je ne crains pas de dire que si saint Paul avait connu notre biĂšre, il n'aurait pas manquĂ© de la recommander Ă TimothĂ©e, plutĂŽt que le vin, et quand je dis notre biĂšre,, vous me comprenez, c'est la biĂšre de Buston, la mienne, Monsieur. » On rit et l'on se sĂ©para bons amis. R. P. SPILMANN. A suivre. AUTOUR DU MONDE Le voyage de M. DelcassĂ© Ă Saint-PĂ©tersbourg a-t-il dĂ©pouillĂ© notre ministre des affaires Ă©trangĂšres de son anglomanie que d'aucuns disent incurable? Rien ne le prouve et certaines paroles, des dĂ©marches et des actes sembleraient mĂȘme Ă©tablir le contraire. Les optimistes malgrĂ© tout, ces hommes toujours intimement heureux parce que, bien pourvus, ils nient le malheur ; ces braves gens, quand on va leur dire que DelcassĂ© abat des noix, haussent les Ă©paules et doucement murmurent Vous n'y ĂȘtes pas. DelcassĂ© ! mais regardez-le donc et dites-nous dans un instant, aprĂšs un examen sommaire, si cet homme lumineux n'est pas le phare de la diplomatie universelle ? Cela, un ami obstinĂ© de l'Angleterre, quand la fortune change et quand la dĂ©bĂącle est proche ? DĂ©cidĂ©ment, pauvre homme, vous n'y ĂȘtes plus! âCependant. â Cependant quoi? quand nous disons, nous, que vous n'y ĂȘtes pas! » Et trĂšs satisfaits d'eux-mĂȘmes, les oracles se retirent. Estimez-vous heureux que, pour vous assommer davantage, ils n'aient pas ajoutĂ© DelcassĂ©! caudataire des Anglais! mais il en est la terreur ! Ah ! je vous entends objecter SinguliĂšre terreur qu'inspire ce complaisant qui, aprĂšs tant de bluff, de provocations gratuites et de menaces outrageantes, aprĂšs Fachoda enfin, est encore le prĂ©sident de l'entente cordiale ! â Qu'est-ce que cela prouve? se seraiton contentĂ© de vous rĂ©pondre ! A moitiĂ© convaincu vous-mĂȘme et remĂ©morant des faits rĂ©cents, vous arrivez presque Ă cesser de douter. Vous songez que DelcassĂ© a vu le tsar, que cette relation tout inattendue l'a charmĂ© et grisĂ©; qu'il a vu aussi des grands-ducs, frayĂ© avec les hauts dignitaires de l'empire! En conversant amicalement avec le comte de Mouraview, DelcassĂ© crut avoir rĂ©ellement entrevu l'envers des cieux. Ambitieux, il en veut voir maintenant l'autre cĂŽtĂ©. AUTOUR DU MONDE IO9 L'ambition aidant donc l'amitiĂ©, DelcassĂ© selon vous sera fidĂšle Ă l'alliĂ© de Dieu... Comme preuve, vous rappellez-vous les toasts pleins de cordialitĂ© Ă©changĂ©s Ă Saint-PĂ©tersbourg, et dans lesquels M. DelcassĂ© affirmait que l'alliance franco-russe se resserrait de plus en plus et ne pouvait avec le temps que gagner sans cesse en confiante cordialitĂ©. Ces paroles aimables, ces toasts chaleureux me font penser Ă l'arche sainte qui contenait les tables oĂč a Ă©tĂ© gravĂ©e l'alliance conclue entre Dieu et IsraĂ«l. David dansait ferme et chantait fort, mais c'est l'Ăąne de Balaam qui aux yeux du peuple glorifiait rĂ©ellement le Seigneur, parce que, stupide Ă souhait, il donnait du relief Ă la vĂ©ritĂ© qu'il proclamait lorsqu'il ne pensait qu'Ă ... braire. Ainsi DelcassĂ© devant l'arche de l'alliance franco-russe... Ne croyez pas que j'exagĂšre. Si DelcassĂ© avait eu une notion exacte des devoirs qui incombent Ă un patriote français, Ă l'alliĂ© sincĂšre de la Russie, est-ce qu'aprĂšs Fachoda, alors que, au cours d'une alerte poignante l'opinion publique chez nous avait obtenu l'armement de nos cĂŽtes, la mise en dĂ©fense de nos colonies, l'envoi de troupes sur tous les points de notre domaine oĂč l'animositĂ© et la rapine pouvaient pousser notre implacable ennemie, est-ce que le lendemain d'une menace de guerre aussi inique que l'agression dont souffre l'Orange et le Transvaal, cet Ă©trange ministre des affaires Ă©trangĂšres se serait replongĂ© dans une incurie fatale Ă l'honneur, aux intĂ©rĂȘts de la France? dans cette incurie coupable, faite d'autant de stupiditĂ© que de complaisances, dans laquelle l'Angleterre puise son insolence et sa sĂ©curitĂ©? Est-ce que les renforts envoyĂ©s en AlgĂ©rie et en Tunisie eussent Ă©tĂ© rappelĂ©s en France, d'oĂč il faut aujourd'hui les rĂ©expĂ©dier? Est-ce que les travaux de Bizerte eussent Ă©tĂ© ralentis, et l'armement des points d'appui de notre flotte laissĂ© Ă l'Ă©tat de projet ? Est-ce que Madagascar serait encore Ă la merci d'un coup de main, et nos intĂ©rĂȘts en Chine mis en Ă©chec jusques aux portes mĂȘme de Laos et du Tonkin? Aurions-nous enfin assistĂ© Ă cet inĂ©narrable spectacle M. Lockroy, ancien ministre de la marine, demande 500 millions, partie pour la rĂ©fection et l'augmentation de nos escadres, partie pour la mise en Ă©tat de dĂ©fense de notre littoral et pour l'armement des points d'appui de notre flotte. La commission spĂ©ciale, frappĂ©e par l'exposĂ© des motifs et convaincue de la nĂ©cessitĂ© urgente des mesures proposĂ©es, vota le crĂ©dit des 500 millions Ă l'unanimitĂ©. Alors surgit M. DelcassĂ© 500 millions, dit-il, pourquoi faire? Et il les refuse, ayant autre chose Ă proposer. Il avait MO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sans doute Ă consulter l'Angleterre, Ă apprendre d'elle quelles mesures dĂ©fensives pouvait adopter la France sans Ă©veiller les susceptibilitĂ©s de la Grande-Bretagne ! On dira aprĂšs cela que DelcassĂ© est un patriote ; qu'il est, de plus, un "ami sincĂšre de la Russie, notre puissante alliĂ©e il n'en est rien; Ă Saint-PĂ©tersbourg on le sait, et la patience qu'on tĂ©moigne Ă PĂ©terhof repose uniquement sur la situation prĂ©caire du cabinet français actuel. Le tsar sait que le peuple français sympathise avec le peuple russe et qu'aucune dĂ©faillance gouvernementale chez nous ne prĂ©vaudrait contre l'alliance cordiale qui lie le sort de deux nobles nations Ă©galement Ă©prises de justice, d'honneur et de sage libertĂ©.. Il faut donc regretter que l'angoissante Affaire Dreyfus soit arrivĂ©e Ă diviser les esprits chez nous, jusqu'au point de rendre possible au Quai d'Orsay un ministre ignare, sympathisant avec les pires ennemis de la France ; Ă la Rue Royale un de Lanessan sectaire, qui a compromis la dĂ©fense de nos cĂŽtes, la sĂ©curitĂ© de nos colonies, et qui voudrait en outre repartir sur plusieurs exercices les crĂ©dits que les plus autorisĂ©s, les plus clairvoyants proposent d'appliquer Ă l'achĂšvement rapide des navires en construction dans nos chantiers, comme s'il avait Ă donner ainsi Ă l'Angleterre des gages des sentiments d'abnĂ©gation et d'effacement qu'il impose Ă la vaillante marine française; il faut regretter encore que, pour le mĂȘme motif, un Galliffet haineux et rageur puisse dĂ©sorganiser notre armĂ©e, dĂ©courager ses chefs, dĂ©saffectionner, qui pis est, le soldat de la discipline et du noble idĂ©al qu'entretient dans le coeur de la jeunesse la vue suggestive du drapeau glorieux ; il faut regretter, en un mot, que les politiciens sans conscience et les ploutocrates sans patrie guident la France hĂ©roĂŻque dans les sentiers tortueux oĂč sombrent aisĂ©ment les instincts et l'honneur d'une race, comme aussi la sĂ©curitĂ© d'une patrie. Croyez-le bien, ce n'est que sous l'irrĂ©sistible pression de l'opinion, alarmĂ©e par les menaces persistantes de l'Angleterre, par ses projets avouĂ©s contre nos colonies, que le ministĂšre français se dĂ©cide enfin Ă tenter quelque chose pour complĂ©ter la dĂ©fense de nos cĂŽtes et de nos possessions lointaines. Il a mis fin brusquement au voyage d'agrĂ©ment commandĂ© Ă l'amiral Fournier en Orient. Il faut croire qu'on s'est rendu compte Ă la Rue Royale, un peu tard nĂ©cessairement, que l'Ă©trange concentration des escadres anglaises Ă Gibraltar justifiait la concentration des forces françaises AUTOUR DU MONDE II I Ă Toulon ; on a pensĂ© que les desseins inavouĂ©s que laissait transpirer cette concentration anglaise imposaient des mesures prĂ©servatrices, mĂȘme dans l'Atlantique, et l'on a rĂ©uni en toute hĂąte l'escadre du Nord dans le port de Brest pour complĂ©ter son armement, pour remplir les soutes en vue des pires Ă©ventualitĂ©s. On a prescrit, en outre, d'activer les travaux des chantiers, et l'on se hĂąte de diriger sur l'AlgĂ©rie et la Tunisie, sur Madagascar, des troupes et du matĂ©riel de guerre. De grands travaux sont de plus entrepris dans les ports du Havre, de Cherbourg, de Bizerte et d'Oran pour en faire des refuges accessibles aux plus forts cuirassĂ©s; la dĂ©fense de la Corse sera enfin assurĂ©e par la crĂ©ation d'un rĂ©giment nouveau et l'organisation de cadres capables d'utiliser les rĂ©serves et les volontaires de cette Ăźle qui pourrait ĂȘtre isolĂ©e âąde la France et livrĂ©e Ă elle-mĂȘme. La Chambre a votĂ© deux douziĂšmes provisoires pour n'en point perdre la mauvaise habitude. Jugeant ensuite inutile, vu le temps dĂ©jĂ perdu et l'impossibilitĂ© d'aboutir avant la fin de l'annĂ©e dans l'examen du budget de 1900, elle a sollicitĂ© un congĂ© anticipĂ© que le gouvernement n'eut garde de lui refuser. Par la mĂȘme occasion, et pour mettre Ă profit l'impatience qu'on avait autour de lui de regagner ses foyers, Waldeck-Rousseau a revendiquĂ© pour lui seul la responsabilitĂ© du procĂšs pendant devant la Haute Cour. Il avoua mĂȘme, et sans façon, qu'il ne s'agissait lĂ ni de rĂ©primer un complot ni de poursuivre des dĂ©lits avĂ©rĂ©s, mais simplement de rĂ©pondre aux dĂ©fis des nationalistes ! Depuis quand donc la Haute Cour a-t-elle charge et mission de rĂ©primer les dĂ©fis qu'un parti politique peut jeter Ă un autre? Les Invalides du Luxembourg trouveront peut-ĂȘtre, et avec raison, que ce service de plongeurs de la vaisselle ministĂ©rielle est rĂ©pugnante; que la Constitution, du reste, leur donne dans l'Etat un rĂŽle plus relevĂ© Ă tenir, et qu'il leur importe peu de dĂ©fendre les parias de la politique interlope contre le flot montant du mĂ©pris public. Jusqu'ici cependant il semblerait qu'ils sont moins fiers que cela et que les petits profits de la complicitĂ© ne les rebutent pas. . Tous les tĂ©moins ont Ă©tĂ© entendus, toutes les preuves, .bonnes et mauvaises, authentiques et fabriquĂ©es, ont Ă©tĂ© produites, et dĂ©sormais il est Ă©tabli jusqu'Ă l'Ă©vidence qu'il n'y a jamais eu entente entre les partis politiques incriminĂ©s et que, par suite, de complot il n'en existe pas ! D'oĂč il rĂ©sulte que la Haute Cour, ayant . Ă©tĂ© rĂ©unie pour connaĂźtre d'un formidable complot contre les insti- I 12 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE tutions publiques, devrait reconnaĂźtre l'inanitĂ© de l'accusation, acquitter les accusĂ©s en leur offrant des excuses lĂ©gitimes et une indemnitĂ© Ă©quitable... demander aussi au gouvernement dans quel but il l'a couverte de ridicule en se moquant d'elle. Ils prĂ©fĂ©reront condamner parce qu'ils sont, avant tout, avant mĂȘme d'ĂȘtre des juges, des hommes de parti, des politiciens militants, prĂ©venus, haineux, trop satisfaits de tenir Ă leur discrĂ©tion un adversaire courageux, qui les mĂ©prise voilĂ le crime ! DĂ©roulĂšde, quoique terrassĂ© par les privations, les intempĂ©ries et par un mal implacable, s'arracha de sa couche et se traĂźna jusqu'Ă l'audience. M. Marcel Habert, dĂ©putĂ© de Versailles, rĂ©fugiĂ© Ă l'Ă©tranger, venait de rentrer en France pour reprendre sa place Ă cĂŽtĂ© de son ami, pour souffrir la persĂ©cution injuste avec lui. MalgrĂ© l'immunitĂ© parlementaire qui le couvrait, M. Marcel Habert fut arrĂȘtĂ© et incarcĂ©rĂ© le 19 dĂ©cembre. M. DĂ©roulĂšde voulait, en personne, plaider la cause de son ami, protester contre la haine fĂ©roce qui s'acharnait aprĂšs lui. Messieurs, dit-il Ă ses juges, je tiens Ă revendiquer, dans le retour de mon ami Marcel Habert, la part qui me revient. Marcel Habert est parti Ă ma priĂšre, parce que je considĂ©rais qu'il Ă©tait inutile de nous asseoir tous les deux sur les mĂȘmes bancs, pour ĂȘtre tous les deux certainement condamnĂ©s. Mais Marcel Habert m'a vu malade. Bien que je l'aie rassurĂ© en vain par mes lettres, il s'est dit Aucun de nous ne pourrait prendre la dĂ©fense de notre cause devant vous. 11 a vu, par les articles de M' 110 Gyp et de mon ami François CoppĂ©e, que l'on s'en inquiĂ©tait ; il savait que je ne pouvais occuper ma place ici ; il a voulu dĂ©fendre devant vous la RĂ©publique du peuple, pour et par le peuple, il a voulu attaquer Ă son tour, comme moi, la RĂ©publique du Parlement au profit du Parlement. Lorsque j'ai su qu'il Ă©tait arrivĂ©, dĂšs hier, je voulais prendre place ici, non pas pour discuter son droit de combattre Ă mon cĂŽtĂ©, mais pour le remercier publiquement de ce qu'il avait fait. Il paraĂźt qu'on veut dĂ©libĂ©rer pour savoir si l'on doit nous disjoindre aprĂšs que nous nous sommes rejoints je ne puis le croire. Les avocats plaideront le droit qu'ont deux complices, qui marchent cĂŽte Ă cĂŽte et coeur Ă coeur depuis trois ans, d'ĂȘtre jugĂ©s ensemble. Je ne sais pas ce que rĂ©pondra l'esprit judiciaire du SĂ©nat. Je veux croire qu'il y a parmi vous assez de solidaritĂ©, de sentiment humain et que vous ne me sĂ©parerez pas de mon camarade de combat, de mon camarade de condamnation. Si j'avais fait plus tĂŽt l'effort que je fais aujourd'hui, il ne serait pas lĂ . Ne lui faites pas payer l'inquiĂ©tude qu'il a Ă©prouvĂ©e pour son ami. Il est venu pour remplir un devoir rendez-le Ă la justice qui va le condamner. Ne vous attardez par sur ce point de droit discutable. Il ne viendra pas pour vous faire perdre votre temps. Il vient pour servir sa cause au milieu de vous, frappez-le, mais au moins jugez-le ! » Le prĂ©sident. â Voici, messieurs, la requĂȘte qui m'est transmise par Me Chenu, au nom de Marcel Habert AUTOUR DU MONDE IIJ Le requĂ©rant a l'honneur, messieurs, de vous exposer qu'Ă la date du 10 dĂ©cembre prĂ©sent mois, l'ordonnance portant qu'il serait tenu de se reprĂ©senter dans les dix jours, a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement affichĂ©e et publiĂ©e ; Qu'Ă la date du 19 dĂ©cembre, et par consĂ©quent dans ledit dĂ©lai, le requĂ©rant s'est prĂ©sentĂ© Ă la Haute-Cour pour dĂ©fĂ©rer au voeu de ladite ordonnance; qu'il a Ă©tĂ© le mĂȘme jour apprĂ©hendĂ© et incarcĂ©rĂ© ; Qu'il a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement interpellĂ© d'avoir Ă se prĂ©senter Ă l'audience pour y ĂȘtre jugĂ©, tant par ladite ordonnance que par l'arrĂȘt de renvoi et l'acte d'accusation ; Qu'en consĂ©quence, il doit ĂȘtre conduit Ă l'audience pour y ĂȘtre jugĂ© en mĂȘme temps que les autres accusĂ©s ; Il requiert donc qu'il vous plaise, messieurs, dire qu'il sera conduit Ă l'audience, et que sa cause sera jointe Ă celle des autres accusĂ©s pour ĂȘtre sur le tout statuĂ© par un seul et mĂȘme arrĂȘt. Et ce sera justice. » MalgrĂ© ce droit Ă©vident et les arguments pĂ©remptoires de la dĂ©fense, la Haute-Cour dĂ©clara disjoindre la cause des deux amis. En mĂȘme temps la Chambre dĂ©clarait suspendue l'immunitĂ© parlementaire en ce qui concerne M. Marcel Habert. Ce qui donne la mesure de l'iniquitĂ© dont sont capables deux assemblĂ©es dĂ©libĂ©rantes subjuguĂ©es parla crainte et le parti-pris. OutrĂ© par des violations incessantes de la loi toujours renouvelĂ©es et par le dĂ©bordement de l'esprit sectaire chez des juges qui affectaient de n'ĂȘtre en la circonstance que des exĂ©cuteurs aux gages du gouvernement, DĂ©roulĂšde rentre en scĂšne frĂ©missant de colĂšre DĂ©roulĂšde. â En venant ici, j'avais fait pour Marcel Habert un effort pĂ©nible. AprĂšs ce qui vient d'ĂȘtre dit, et n'ayant aucun doute, d'une part, sur l'obĂ©issance de la magistrature assise aux ordres du gouvernement... Le prĂ©sident. â Monsieur DĂ©roulĂšde, je vous arrĂȘte... DĂ©roulĂšde. â Je suis dĂ©jĂ arrĂȘtĂ© ! Le prĂ©sident. â Vous venez d'adresser un outrage Ă la juridiction devant laquelle vous comparaissez, Ă la magistrature.. DĂ©roulĂšde. â A l'une et Ă l'autre; Ă celle-ci et Ă celle-lĂ . Le prĂ©sident. âJe donne la parole Ă M. le Procureur gĂ©nĂ©ral. DĂ©roulĂšde. âJ'ajoute, Monsieur le PrĂ©sident... Le prĂ©sident. âJe vous retire la parole. Vous avez prononcĂ© des paroles outrageantes pour la Cour. DĂ©roulĂšde. â Je tiens Ă les rĂ©pĂ©ter... Le prĂ©sident. â Vous n'avez rien Ă dire! DĂ©roulĂšde.â"i M s i "' p Revue FinanciĂšre Les Boers sont des sectaires sincĂšres et loyaux dont l'erreur, aux yeux du thĂ©ologien, paraĂźtra transitoirement invincible. Us sont justes et braves, et comme IsraĂ«l avant la prĂ©varication, ils aiment et ils craignent le Seigneur, ils espĂšrent en lui. Cela vaut mieux que d'ĂȘtre, comme l'Anglais jingoĂ« et autre, sectaire uniquement pour le prompt placement d'une pacotille, fĂ»t-elle biblique. Or donc, l'Anglais, comme le citoyen romain, se sentant riche, se croyait invincible, et il ne se gĂȘnait pas, par amour de la tradition, d'envier le bien du pauvre et de vouloir l'accaparer en passant. Le pauvre, c'Ă©tait le Boer, et le chemin que parcourait ce bandit lĂ©gendaire qui rĂŽde sur les grands chemins du continent, qui Ă©cume les mers, passait par le cap de Bonne-EspĂ©rance. Le bon espoir reposait Ă©videmment sur le voisinage des mines d'or et des mines de diamant*, enfin il y avait par lĂ , pour l'Anglais cupide, de la bonne espĂ©rance. L'Angleterre, la grande Angleterre, dĂ©clare la guerre au petit Transvaal ; 400 millions d'hommes contre habitants rustiques, isolĂ©s, mĂ©connus, et, pour cause de faiblesse notoire, abandonnĂ©s Ă leur pĂ©nible sort. L'Angleterre songĂ© Ă une promenade militaire de Bloemfontein Ă Pretoria 3 elle prĂ©pare plutĂŽt les violons que les canons, et elle se met en route. Le Transvaal, qui ne veut ni chant ni danse, mais qui voudrait raisonner uniquement, prĂ©pare des flĂ»tes Ă sa façon. On en Ă©couta les premiers accords Ă GiencoĂ«, Ă Elangslaate, Ă Mafeking, Ă Kimberley, Ă Ladysmith, Ă Nicolson' neck ; la contre-danse se poursuivit Ă Belmont, Ă Grasspan, Ă Modder-River, Ă Maggersfontein ; d'autre part, Ă Stormberg et Ă Colenso; enfin, pour le pirate universel, il n'Ă©tait plus, aprĂšs vingt Ă©checs sanglants, question de penser Ă Majouba-Hill, mais uniquement de se sauver la face dans une Ă©pouvantable mĂ©saventure oĂč ses meilleurs calculs trahissaient son attente, mettant en jeu sa fortune sĂ©culaire. En un mot, la scie triomphait de la baleine ; et malgrĂ© les suprĂȘmes efforts et la mobilisation des rĂ©serves derniĂšres, l'issue de la lutte est ajournĂ©e, en tous cas reste douteuse. Et tout ce remue-mĂ©nage dans le Sud-Africain nĂ©cessite des dĂ©penses lourdes, imprĂ©vues. Or, ces dĂ©penses nĂ©cessitĂ©es par l'entretien d'Ă©normes effectifs, par des transports insolites et des approvisionnements onĂ©reux, coĂŻncident avec la suspension des 30 Ă 40 millions d'or des mines du Transvaal, avec les retraits qu'occasionne l'humeur nomade des nationaux britanniques Ă cette saison, avec les exigences du commerce d'importation britannique. D'oĂč disette d'or en Angleterre et nĂ©cessitĂ© de l'Ă©lĂ©vation du taux d'escompte de la Banque d'Angleterre. D'oĂč pour l'Angleterre crise commerciale, crise financiĂšre, crise politique et militaire. Les Anglais qui, ayant escomptĂ© les victoires anglaises et considĂ©rĂ© prĂ©maturĂ©ment les valeurs miniĂšres. du Transvaal comme des valeurs britanniques, REVUE FINANCIĂRE 125 s'Ă©taient gavĂ©s de mines d'or jusqu'Ă l'Ă©tranglement, n'ont pu attendre le triomphe ; il a fallu rendre les achats, comme on rend l'Ăąme, avec dĂ©chirement! d'oĂč crise des mines d'or et faillites nombreuses Ă Londres. On aurait pu se rĂ©jouir sans rĂ©serve de la dĂ©bĂącle britannique si la solidaritĂ© des marchĂ©s financiers n'avait Ă©tĂ© un fait inĂ©vitable. Londres flĂ©chissant, Paris baisse, et Berlin, et Francfort, et Bruxelles. Pour Ă©viter le drainage de notre or, la Banque de France a dĂ» porter son escompte de 3 1/2 0/0 Ă 4 1/2 0/0 et ses avances sur titres de 4 Ă 5 0/0. Ces taux d'emprunt et d'escompte Ă©levĂ©s alors que la rente et les obligations ne rapportent guĂšre que 3 h. ^ 1/2 0/0, dĂ©couragent la spĂ©culation et la ralentissent, d'oĂč crise Ă la Bourse et dĂ©jĂ crise commerciale, et voilĂ comment, Ă Paris mĂȘme, le monde des affaires, trĂšs content de voir rincer l'Angleterre, pĂątit de ses mĂ©saventures... par contre-coup, passager certainement. La Banque d'Angleterre attend son salut, comme en 1890, de l'intervention de la Banque de France et de la Russie ; mais aujourd'hui, ni la France ni la Russie n'interviendront pour encourager les pirates qui opĂšrent sur les confins du Transvaal. Nous devons aux Boers, sinon des encouragements militaires, du moins l'aide d'une coalition financiĂšre qui peut prĂ©parer sinon amener la victoire du faible opprimĂ©. 11 n'est pas vrai que la Finance internationale soit sans prĂ©voyance et. sans coeur. Le marchĂ© a donc Ă©tĂ© trĂšs mouvementĂ© cette quinzaine. Toutes les banques d'Etat ont Ă©levĂ© le taux de leur escompte Ă un cours inusitĂ©. On cote 3 0/0 99 ; Amortissable, 99,22 531/2 0/0, 101,45 ; ExtĂ©rieure espagnole, 65,60; Italien, 93,50; Portugais 3 0/0, 23. Les fonds Ă©gyptiens sont faibles la PrivilĂ©giĂ©e, 99,75; VUnifiĂ©e, 102,90; la DaĂŻruh-Saniet,-102; le BrĂ©silien, faible Ă 58,60 ; le Russe j 0/0, 1891, 85,90; 1896, 85,90. Les fonds turcs ont suivi le courant gĂ©nĂ©ral en arriĂšre SĂ©rie B, 46; SĂ©rie C, 25,72; SĂ©rie D, 25,75; l'Obligation 5 0/0 1896, 491. Banque de France, 4320; CrĂ©dit Foncier, 725; Banque de Paris, 1087; CrĂ©dit Lyonnais, 997; SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, 599; CrĂ©dit Industriel, 627,50; Lfon, 1810; Nord, 2135; OrlĂ©ans, 1690; Midi, 1340; Est, 980; Ouest, 1074; Sucç, 3520; Messageries maritimes, 550; Chargeurs RĂ©unis, 1205; Transatlantique, 367,50; Omnibus, 1760; Voitures, 574; Gaç de Paris, 1075; Mines d'or les Anglais Ă©tant en dĂ©route, on parie pour les Boers; mais les mines baissent en attendant l'issue de la guerre qui s'Ă©loigne dans les brouillards de l'avenir incertain. La Robinsoua. flĂ©chi Ă 198; la Ferrcira Ă 472; la Simmer and Jack Ă 127,50; la Wemmer Ă 242; la Geldenhuis a montĂ© de 136 Ă 141 ; la Village main reef rĂ©agit Ă 197 50; la Consolidated main reef Ă 48; la Rand Mines de 836 Ă 815; VEasl Rand de 149,50 Ă 140,50; la sociĂ©tĂ© Goerç et Cio de 57 Ă 56. La Robinson deep a flĂ©chi de 109 Ă 103 ; la Geldenhuis deep, de 205 Ă 194; la MossamedĂšs, de 23 Ă 2i. La Chartered passe de 79 Ă 74,25. VHippodrome a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© entre 116 et 113. Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville et de Montagny {Savoie. â Nous attirons la plus sĂ©rieuse attention de nos lecteurs sur le Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville et Montagny, et nous' leur recommandons instamment de s'intĂ©resser dans cette excellente affaire qui ©ftre, outre tant d'avantages particuliers, un intĂ©rĂȘt national incontestable. Par suite de la rĂ©solution prise par le ministre compĂ©tent d'accorder Ă la commune de Saint-Martin, Ă titre de concession dĂ©finitive, la lĂ©gĂšre portion distraite d'un commun accord de l'importante concession demandĂ©e parle Syndicat des Mines I2Ă REVUE DU MONDE CATHOLIQUE d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville, cette derniĂšre demande a dĂ» ĂȘtre modifiĂ©e et rĂ©introduite sods une forme nouvelle, diminuĂ©e naturellement de la faible partie cĂ©dĂ©e Ă la commune intĂ©ressĂ©e. M. Adrien Gacon, agissant au nom du Syndicat, a fait sa demande de fouilles, et pour l'appuyer, comme l'annonce Y Avenir des Alpes du 25 Ă©coulĂ©, M. Gacon a dĂ©posĂ© une somme de francs entre les mains de Mc Jorioz, notaire, qui en a dĂ©livrĂ© un reçu ainsi libellĂ© ETUDE DE Mc JORIOZ, NOTAIRE A MOUTIERS SAVOIE. Reçu de M. Gacon Adrien, demeurant Ă Paris Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville, la somme de DIX MILLE FRANCS Ă verser Ă©ventuellement Ă la commune de Saint-Martin de Belleville. Moutiers, le 17 novembre 1899. SignĂ© M° JORIOZ, notaire. » Ces fonds ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s par M0 Jorioz Ă la Caisse des dĂ©pĂŽts et consignations le 18 novembre 1899, rĂ©cĂ©pissĂ© n° Nous avons vu, ajoute Y Avenir des Alpes, avec le plus vif plaisir M. Gacon renouveler sa demande de permis de fouilles des Mines d'Anthracite de SaintMartin de Belleville. Il est Ă souhaiter que le conseil municipal de la commune prenne en sĂ©rieuse considĂ©ration cette demande, qui fixera aussi bien les demandeurs que les propriĂ©taires sur la valeur de ces anthracites. Dans l'intĂ©rĂȘt du pays, il est Ă souhaiter que les fouilles confirment la tradition qui indique les gisements de Saint-Martin comme Ă©tant d'une richesse exceptionnelle. Cela permettra alors au Syndicat d'apporter des capitaux importants pour la mise en exploitation sĂ©rieuse de ces gisements. Le Syndicat de Saint-Martin de Belleville, en attendant la dĂ©cision qu'il sollicite et dont le rĂ©sultat ne peut que lui donner satisfaction, a tournĂ© son activitĂ© vers le massif de Montagny dont les richesses houillĂšres ne le cĂšdent en rien Ă ceux de-Saint-Martin. Nous avons dĂ©jĂ dit les acquisitions que le Syndicat y a faites, les fouilles heureuses qu'il y a opĂ©rĂ©es ; il vient enfin d'ĂȘtre admis Ă l'affichage de la demande de concession pour Montagny que voici RĂPUBLIQUE FRANĂAISE PREFECTURE DE LA SAVOIE DEMANDE EN CONCESSION DES MINES D'ANTHRACITE AVIS Par une pĂ©tition du 26 aoĂ»t 1899, M. Adrien Gacon, agissant au nom du Syndicat des Mines d'Anthracite de Saint-Martin de Belleville Savoie, dont le siĂšge social est Ă ChĂąteauroux Indre, 19 bis, avenue de DĂ©ols, et dĂ»ment autorisĂ© Ă cet effet, sollicite une concession de mines d'anthracite sur le territoire de la commune de Montagny, arrondissement de Moutiers Savoie. Cette concession sera limitĂ©e ainsi qu'il suit Au nord, par une ligne droite allant du point 1, angle ouest d'un prĂ© au Cudrayy appartenant Ă Clerc Angeline, et cadastrĂ© sous le numĂ©ro 97 de la mappe ir° partie, au point 2, angle ouest d'une masure, sise Ă Prachefert, appartenant Ă Favre Martin, et cadastrĂ© sous le numĂ©ro 3346 de la mappe montagne. Au nord-est, par une ligne droite joignant ledit point 2 au sommet du clocher âąde la chapelle de Morange, et prolongĂ©e jusqu'au point 3, sur l'axe du ruisseau de la Roche. REVUE FINANCIERE I 27 Au sud-est, par l'axe dudit ruisseau depuis le point 3 jusqu'au point 3 bis, sur le bord nord du chemin vicinal numĂ©ro 3 des Vignes. Au sud, par le bord nord dudit chemin, depuis ledit point 3 bis jusqu'au point 4, angle ouest d'une vigne Ă Champ-Long, appartenant Ă Thomas Martin, et cadastrĂ©e sous le numĂ©ro de la mappe 6e partie^. Au sud-ouest, par une ligne droite joignant ledit point 4 au point 5, angle ouest d'une grange, sise Ă la Thuile, appartenant Ă Eynard-Machet Jean-Baptiste, et cadastrĂ©e sous le numĂ©ro 8241 de la mappe 2e partie. Au nord-ouest, par une ligne droite joignant ledit point 3 au point 1 de dĂ©part. Lesdites limites renfermant une Ă©tendue superficielle de 5 kilomĂštres carrĂ©s 1 hectare. Le pĂ©titionnaire offre aux propriĂ©taires des terrains compris dans la concession demandĂ©e une redevance trĂ©fonciĂšre annuelle de sept centimes et demi par hectare. Il s'engage Ă livrer Ă 1 fr. 25 les 100 kilogrammes, sur le carreau de la mine, le charbon nĂ©cessaire au chauffage des Ă©coles et de la mairie de Montagny. Il s'engage Ă livrer Ă 1 franc les 100 kilogrammes, sur le carreau de la mine, le charbon nĂ©cessaire aux habitants de Montagny, pour leurs usages personnels. Il s'engage en outre Ă verser, pour terminer la route de Montagny Ă Moutiers, une redevance de dix mille francs fr.. A la demande est annexĂ© un plan en triple expĂ©dition et sur une Ă©chelle de dix millimĂštres pour cent mĂštres de la concession sollicitĂ©e. Ladite demande porte sur le mĂȘme pĂ©rimĂštre que celle de MM. Duras, EynardMachet, LĂ©ger et Chapuis, affichĂ©e en vertu d'un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral du 13 mai 1899. ARRĂTĂ Le PrĂ©fet de la Savoie, Vu la loi du 21 avril 1810, modifiĂ©e par la loi du 27 juillet 1880, ArrĂȘte Le prĂ©sent avis sera affichĂ© pendant deux mois, du 12 novembre 1899 au 12 janvier 1900, Ă Montagny, Ă Moutiers et Ă ChambĂ©ry. Il sera, pendanr la durĂ©e de l'enquĂȘte lĂ©gale, insĂ©rĂ© deux fois, et Ă 1 mois d'intervalle, dans les journaux du dĂ©partement et dans le Journal officiel. 11 sera en outre adressĂ© au PrĂ©fet de l'Indre, qui est priĂ© de le faire Ă©galement afficher pendant le mĂȘme dĂ©lai Ă ChĂątcauroux, oĂč est situĂ© le siĂšge de la SociĂ©tĂ©demanderesse. 11 "sera publiĂ© dans les communes ci-dessus dĂ©signĂ©es, devant la porte de la maison commune et de l'Ă©glise, Ă la diligence des maires, Ă l'issue de l'office, un jour de dimanche, au moins une fois par mois, pendant la durĂ©e des affiches. La pĂ©tition et les plans sont dĂ©posĂ©s Ă la prĂ©fecture, oĂč le public pourra en prendre connaissance en vue des oppositions et des demandes en concurrence auxquelles la demande actuelle pourrait donner lieu. ChambĂ©ry, le 30 octobre 1899. Le PrĂ©fet, A. DU GROSRIEZ. On sait que l'anthracite est, de tous les charbons de terre, le plus recherchĂ© et le plus cher conseillĂ©, sinon exigĂ© par tous les appareils calorifĂšres. Les gise- 128 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ments de Saint-Martin de Montagny commençant en affleurement sur des sommets de montagnes, et la main-d'oeuvre Ă©tant bon marchĂ©, l'extraction est facile et peu chĂšre. On sait, d'autre part, quelle hausse se produit sur les charbons. Le prix des transports a Ă©tĂ© Ă©valuĂ© avec la plus grande prĂ©cision. Il ressort un bĂ©nĂ©fice net de plus de vingt francs par tonne. Chaque annĂ©e, il y aura progression considĂ©rable dans l'extraction, qui peut atteindre cinquante Ă soixante mille tonnes par an. Qui connaĂźt l'histoire d'Anzin et des autres principales mines de charbons ne sera point Ă©tonnĂ© de pareils rĂ©sultats et ne saurait Ă©mettre un doute sur l'avenir d'un pareil titre. DĂšs la formation du Syndicat, la part a Ă©tĂ© cĂ©dĂ©e Ă ioo francs sans majoration. Nous la proposons maintenant Ă 102 et ajoutons Nous surveillerons vos intĂ©rĂȘts, d'autant mieux et plus efficacement que nous faisons partie du Conseil de surveillance. Pour cette souscription, nous vous donnerons de grandes facililtĂ©s, c'est-Ă -dire si vous n'avez pas de fonds disponibles en ce moment, la facultĂ© de rĂ©gler le montant de votre achat par des traites acceptĂ©es et payables dans trois mois. Nous avons cru vous ĂȘtre agrĂ©able et servir vos intĂ©rĂȘts en vous mettant Ă mĂȘme de saisir au passage cette occasion exceptionnelle. » VOIR AUX ANNONCES. Novo Pavlovlia Ă partir du 25 Ă©coulĂ© le coupon des obligations de Novo Pavlovka est payable Ă raison de Banque française d'Emissions l'AssemblĂ©e tardivement convoquĂ©e pour le 23 dĂ©cembre n'a pu ĂȘtre tenue faute d'un nombre d'actions suffisant reprĂ©sentĂ©es. L'AssemblĂ©e est remise au 10 janvier et elle aura Ă se prononcer sur la fusion de cette banque avec la Banque nationale des Industries, directeur M. E-ardeL Sacs et cornets en papier l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale convoquĂ©e pour le 18 dĂ©cembre n'a pu ĂȘtre tenue faute d'actionnaires reprĂ©sentĂ©s. La SociĂ©tĂ©, compromise par les sieurs Le Picard et PĂ©val, ne marche plus. Les actionnaires auront des comptes Ă demander Ă ces administrateurs responsables. Le Picard, immĂ©diatement mis en cause, s'est comportĂ© comme Bideldans sa mĂ©nagerie il voulait jeter Ă la porte les actionnaires rĂ©calcitrants, d'oĂč lui vient le surnom de Picard la Foire ou Bidel l'EcornĂ©. Ces violences ne le dispenseront cependant pas de fournir des comptes Ă qui de droit. Nous engageons les actionnaires lĂ©sĂ©s de s'unir au besoin pour exercer leurs revendications. Alliance de la Presse; 133. â LigugĂ© Vienne, â Imp. Saint-Martin. M. BlutĂ©. â 12-99. L'Eglise catholique Ă la fin du XIX' siĂšcle Nous vivons au milieu de l'Eglise, et nous ne la connaissons pas ! N'est-ce pas, en vĂ©ritĂ©, ce que peuvent se dire le trĂšs grand nombre, je ne dis pas des incroyants et des indiffĂ©rents, mais des catholiques? Faire connaĂźtre l'Eglise dans son organisation, dans sa hiĂ©rarchie et dans son administration actuelle voilĂ donc ce qui a inspirĂ© Ă un comitĂ© de savants prĂ©lats et de religieux Ă©minents â de nationalitĂ©s diffĂ©rentes, pour offrir une image plus sensible de l'Eglise universelle â la pensĂ©e d'Ă©lever en cette fin de siĂšcle, et en l'honneur de cette mĂȘme Eglise, un monument durable et digne d'attirer et de retenir l'attention. Pour cela, les Ă©diteurs se sont servis de toutes les ressources de l'art et de tous les procĂ©dĂ©s d'invention rĂ©cente pour mettre l'exĂ©cution artistique de l'ouvrage Ă la hauteur de son objet ». Et de fait, merveilleuse â si j'en juge d'aprĂšs les livraisons dĂ©jĂ reçues â merveilleuse en sera l'illustration, qui comprendra un portrait en couleur du Saint-PĂšre, soixante portraits hors texte, et environ onze cents illustrations intercalĂ©es dans le texte. LĂ©on XIII a daignĂ© honorer l'hommage de cette grande publication et a donnĂ© sa bĂ©nĂ©diction aux Ă©diteurs, aux diffĂ©rents Ă©crivains, auteurs, artistes, et Ă tous ceux qui y collaborent » Lettre du cardinal Rampolla. Quant aux noms des souscripteurs, ils seront rĂ©unis dans un album pour ĂȘtre dĂ©posĂ©s aux pieds de Sa SaintetĂ© comme hommage et comme tĂ©moignage d'universelle vĂ©nĂ©ration. De plus, et pour rĂ©pondre au voeu du Souverain Pontife, l'ouvrage doit ĂȘtre publiĂ© en plusieurs langues. La premiĂšre Ă©dition, en langue allemande, a dĂ©jĂ paru Ă Vienne. L'Ă©dition française a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă la maison Pion, dont la renommĂ©e n'est plus Ă faire. Ceci dit, entrons dans le coeur de l'ouvrage. A la lumiĂšre des REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER I9OO 5 130 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE premiers fascicules, nous Ă©tudierons d'abord le Pontife dont la sereine et verte vieillesse prĂ©side Ă cette fin de siĂšcle. Les fascicules suivants nous fourniront l'occasion de pĂ©nĂ©trer dans l'intime de la constitution de l'Eglise. 1, â LĂON XIII 1 Nous sommes au 7 fĂ©vrier 1878. Pie IX vient de mourir aprĂšs une courte agonie. L'Ă©motion fut profonde, alors ! elle fut universelle aussi ! Certes, la Providence avait dĂ©parti dans une large mesure Ă Pie IX l'art 'de gagner les coeurs des catholiques de tous les pays. Il sut grouper les peuples dans un rare esprit de concorde autour du Pasteur suprĂȘme; mais ni lui ni son SecrĂ©taire d'Etat, Antonelli, ne parvinrent Ă cultiver et Ă entretenir avec les gouvernements ces relations amicales dont l'Eglise a besoin de tant de maniĂšres pour l'accomplissement de sa mission. Cela tenait sans doute en grande partie aux circonstances gĂ©nĂ©rales du temps, aux opinions, aux prĂ©jugĂ©s,, aux tendances des hommes d'Etat, Ă l'esprit antichrĂ©tien et anticatholique qui dominait les partis arrivĂ©s au pouvoir. Le fait n'en est pas moins Ă©vident Ă la fin de son rĂšgne, Pie IX ne restait pas moins isolĂ©, abandonnĂ© mĂȘme des gouvernement catholiques et conservateurs et en rupture dĂ©clarĂ©e avec les autres. » Est-ce pour cela qu'on l'entendait rĂ©pĂ©ter sans cesse dans ses derniĂšres annĂ©es Il est temps qu'un autre vienne Ă ma place ! » Mais quel sera cet autre ? et que lourde sera la succession qu'il acceptera ! Rassurons-nous Dieu veille toujours sur son Eglise. Le lundi 18 fĂ©vrier, les cardinaux entrĂšrent en conclave vers les quatre heures de l'aprĂšs-midi. Le lendemain 19, dĂšs le premier scrutin â le scrutin des politesses, disent les Romains, â le cardinal-camerlingue Pecci recueille vingt-trois voix sur soixante et un votants ; au troisiĂšme tour, quarante-quatre voix â c'est-Ă -dire plus des deux tiers âlui Ă©taient acquises l'Ă©lection Ă©tait faite. L'archevĂȘque de PĂ©rouse s'inclina sous la volontĂ© manifeste de Dieu ; et lorsque le cardinal doyen lui demanda Ăhtomodovis vocari? il rĂ©pondit, pĂąle, mais d'une voix ferme LĂ©on». A ce nom dĂ©jĂ si grand dans les fastes de l'Eglise, le nouveau Pontife devait 1. Fascicules i Ă 5. L'ĂGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIĂCLE 131 ajouter un bien vif Ă©clat. Il servit cependant de cible Ă la malignitĂ© Non Ăš Pio, non Ăš ClĂ©mente, EĂ Leone senza dente. C'est un lion, mais qui ne mord pas. » La prophĂ©tie, dit Msr A. de Waal, s'est vĂ©rifiĂ©e dans un sens que ne soupçonnait pas celui qui la prononçait. Le rĂšgne du lion a Ă©tĂ© pour l'Eglise et pour le peuple une source d'innombrables bĂ©nĂ©dictions il a fait du chef actuel du monde catholique l'un des plus grands hommes de notre siĂšcle et qui permet presque d'oublier Pie IX lui-mĂȘme. Cependant LĂ©on XIII revĂȘt les habits pontificaux, passe Ă son doigt l'anneau du PĂȘcheur, reçoit les hommages des cardinaux, â ses Ă©gaux tout Ă l'heure, et tandis que le cardinal Cate ri ni jetait du haut de la loggia extĂ©rieure de Saint-Pierre YAnnuntio vobis gaudium magnum; tandis que, de leurs grandioses volĂ©es, les cloches de la basilique chantaient aux fidĂšles qu'ils avaient un nouveau Pape » et les convoquaient sous les-voĂ»tes de Saint-Pierre, le Pape, du haut du balcon intĂ©rieur de la loggia, donnait sa premiĂšre bĂ©nĂ©diction pontificale. La scĂšne ne dura qu'un instant; mais elle Ă©tait poignante, cette premiĂšre entrevue du Pape et des fidĂšles. Peu de personnes le connaissaient; mais il reprĂ©sentait JĂ©sus-Christ, et, du coup, la foi et l'amour Ă©tablissaient un lien incomparable entre le peuple chrĂ©tien et le Pontife. » Je n'ai pas Ă retracer ici la biographie de LĂ©on XIII ; je n'ai pas Ă le montrer enfant, Ă©tudiant, rĂ©fĂ©rendaire, nonce en Belgique, archevĂȘque de PĂ©rouse. Le sujet a Ă©tĂ© traitĂ© trop souvent, pour que mes lecteurs en ignorent. Mais Ă ceux qui seraient tentĂ©s de s'Ă©tonner du contraste entre l'obscuritĂ© relative oĂč avait vĂ©cu le Pontife avant sort Ă©lĂ©vation suprĂȘme et la profondeur de ses vues Comme de ses lettres encycliques, qu'il me suffise de citer ces paroles de M. LeroyBeaulieu Le Pontife Romain, dit-il en parlant de LĂ©on XIII, n'a guĂšre fait qu'exĂ©cuter ce qu'avait rĂȘvĂ© aux montagnes de FOmbrie l'archevĂȘque-Ă©vĂȘque de PĂ©rouse. Mais, au rebours de ce qui se voit d'habitude, l'action du Pontife a Ă©tĂ© plus hardie et a portĂ© plus loin que les songes de sa jeunesse ou les mĂ©ditations de sa maturitĂ©. A mesure qu'il devenait plus vieux, il a osĂ© davantage, sans jamais pour cela se dĂ©partir de la prudence de son Ăąge, restant sage et modĂ©rĂ© jusqu'en son apparente tĂ©mĂ©ritĂ©. C'est que ses audaces ont Ă©tĂ© le fruit de son expĂ©rience. » Et de fait, ajoute Msr de T'Serclas, telle est bien l'impression 132 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE que l'on Ă©prouve en comparant les mandements du cardinal Pecci avec les encycliques du Pape LĂ©on XIII. C'est le mĂȘme fond d'idĂ©es, la mĂȘme prĂ©occupation de montrer dans l'Eglise la mĂšre, la protectrice de tout ce qui est grand, juste et beau, de rendre hommage aux aspirations lĂ©gitimes de notre Ă©poque ; la mĂȘme sollicitude pour former des gĂ©nĂ©rations d'ecclĂ©siastiques vertueux, savants et capables. 11 est vrai que la pensĂ©e et l'expression, chez l'Ă©vĂȘque, n'ont pas tout Ă fait l'ampleur, la force, la noble clartĂ© Ă laquelle parvient le Souverain Pontife. La raison en est, peut-ĂȘtre, que le cardinal Ă©crit en italien, le Pape en latin. Peut-ĂȘtre aussi cette diffĂ©rence tient-elle au changement de situation. La parole d'un Pape a une autre portĂ©e que celle d'un Ă©vĂȘque; elle emprunte Ă l'Ă©lĂ©vation mĂȘme de celui qui la prononce une majestĂ©, une sĂ©rĂ©nitĂ© particuliĂšre. Ce sont les mĂȘmes qualitĂ©s de fond qu'on retrouve, Ă quelques annĂ©es de distance, dans les oeuvres du cardinal Pecci et de LĂ©on XIII, mais, dans ces derniĂšres, elles ont atteint leur point extrĂȘme de dĂ©veloppement et d'entiĂšre maturitĂ©. » Une des grandes choses du pontificat de Pie IX, c'est assurĂ©ment l'essor qu'il sut imprimer Ă la vie catholique. Sous aucun pape, Ă©crit Ms1'Antoine de Waall, il n'a Ă©tĂ© Ă©tabli autant d'Ă©vĂȘchĂ©s. En beaucoup d'Etats, la hiĂ©rarchie a Ă©tĂ© restaurĂ©e ou mieux rĂ©glĂ©e. Pie IX a approuvĂ© plus de cent nouvelles CongrĂ©gations religieuses, qui rivalisent saintement avec les anciens Ordres, qui dĂ©ploient leur activitĂ© dans les missions populaires, les Ă©coles et les hospices. Les associations de tout genre ont fleuri parmi les catholiques et enseignĂ© Ă leurs membres Ă mieux connaĂźtre et Ă dĂ©fendre plus efficacement la religion et l'Eglise. Les Ă©vĂȘques de tous les pays ont employĂ© leur saint zĂšle Ă crĂ©er des institutions et des sĂ©minaires destinĂ©s Ă former un clergĂ© pieux et savant. Les dĂ©couvertes faites dans les catacombes, grĂące au gĂ©nĂ©reux concours du Pape, les recherches et les travaux des thĂ©ologiens et d'Ă©crivains trĂšs remarquables ont fait progresser toutes les branches de la science ecclĂ©siastique. L'art ne s'est pas dĂ©veloppĂ© avec moins de rapiditĂ© architecture, peinture, musique, ont refleuri avec une vie nouvelle. Dans la haute Eglise d'Angleterre s'est dessinĂ© un mouvement de retour vers Rome. En Prusse, les dĂ©putĂ©s du centre se firent une chaire de la tribune aux harangues pour rĂ©pandre leurs convictions religieuses. Aux Etats-Unis, des couvents et des associations innombrables ont surgi du sol et ranimĂ© la vie catholique dans L'ĂGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIĂCLE 133 toutes les classes de la population. AprĂšs les orages de 1848, le plus admirable labeur a rempli les longues annĂ©es de paix qui ont suivi ; l'humanitĂ©, tous les dix ans, a rĂ©alisĂ© les progrĂšs d'un siĂšcle entier. Toute cette germination puissante, cet Ă©lan intellectuel a spĂ©cialement profitĂ© Ă l'Eglise catholique! » s'Ă©criait avec joie Windthorst. De fait, jamais la foi n'a Ă©tĂ© si forte et si vivante, la piĂ©tĂ© si profonde et si intime, le dĂ©vouement si libĂ©ral et si inĂ©puisable. Ainsi le catholicisme Ă©tait devenu dans presque toutes les nations une puissance avec laquelle les gouvernements les plus hostiles devaient compter le Pape, dĂ©pouillĂ© de ses Etats, avait Ă ses ordres des lĂ©gions spirituelles de trĂšs fidĂšles champions l'oreille toujours ouverte Ă sa parole et prĂȘts Ă tout sacrifier pour lui. A l'avĂšnement de LĂ©on XIII, des esprits craintifs âpusillus grex â purent redouter comme une diminution de cette vie catholique. Leurs apprĂ©hensions furent bientĂŽt dissipĂ©es. Quatorze jours aprĂšs son exaltation, en effet, les lettres apostoliques Ex supremo montrĂšrent que le nouveau Pontife avait Ă coeur de continuer l'oeuvre commencĂ©e par son auguste prĂ©dĂ©cesseur. Voici d'ailleurs, d'aprĂšs Msr Daniel, quelques chiffres prĂ©cis â arrĂȘtĂ©s au icr janvier 1897 â qui donneront mieux que toutes les narrations une idĂ©e prĂ©cise de l'accroissement rĂ©el de la hiĂ©rarchie catholique sous LĂ©on XIII. 2 PATRIARCATS Ă Goa, Indes orientales; â Ă Alexandrie, dans la Haute-Egypte. 13 SIĂGES ARCHIĂPISCOPAUX CRĂĂS Ă Bukarest, en Roumanie; â Ă Vrhbosna ou Serajevo, en Bosnie; â Ă Saint-AndrĂ© Edimbourg et Ă Glasgow, en Ecosse ; Ă Carthage, en Tunisie ; â Ă Alexandrie d'Egypte ; â Ă Tokio, dans le Japon ; â et dans les Indes orientales, Ă Agra, Bombay, Calcutta, Colombo, PondichĂ©ry, VĂ©rapoly. 16 ĂVĂCHĂS ĂLEVĂS AU RANG D'ARCHEVĂCHĂS PĂ©rouse, en Italie; â SĂ©baste ou Sivas uni Ă Tokat, dans la Turquie d'Asie ; â Kingston, MontrĂ©al, Ottawa, dans le Canada;âAntequera, Durango, Linares, dans le Mexique; â Chicago, Dubuque et Saint-Paul de Minnesota, dans les Etats-Unis ; âWellington, dans la NouvelleZĂ©lande; â Saint-SĂ©bastien ou Rio de Janeiro, dans le BrĂ©sil; â- AdĂ©laĂŻde, Brisbane et Hobart, en Australie. 97 ĂVĂCHĂS FONDĂS, en y comprenant ceux qui furent publiĂ©s dans le consistoire du 24 mars 1898 Italie Chiavari ; â PrincipautĂ© de Monaco Monaco ; â Angleterre Leeds, Portsmouth, Middlesborough; âEcosse Aberdeen, Argyll, Dunkeld, Galloway ; â Autriche Stanislaow rite ruthĂšne; 134 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE â Pologne russe Kielce; â Bosnie Banjaluka; â HerzĂ©govine Mostar ; â Roumanie Jassy ; â Suisse Lugano ; â BrĂ©sil Les Amazones, Curtyba, Parahyba, Spirito Santo ; â Mexique Campoche, Chihuahua, Colima, Cuernavaca, Sinaloe, Saltillo, Tabasco, Tehuantepec, Tepic; â Colombie Socorro, Tolima, Tunja; â Canada Alexandrie, Chicoutimi, Nicolet, New-Westminster, Peterborough, Valleyfield; â Etals-Unis Boise-City, Belleville, Cheyenne, Concordia, Saint-Cloud, Dallas, Davenport, Denwert, Duluth, Fargo, Gran-Rapids, Helena, Kansas-City, Lincoln, Manchester, Omaha, Sacramento, Salt-Lake-City, Syracuse, SiouxFalls, Trenton, Tucson, Wichita, Winona; â RĂ©publique Argentine Santa-FĂ©, Tucuman ; â Uruguay Melo ; â Venezuela Zulia; â Egypte rite copte ThĂšbes Louqsor, Hermopolis Major ou Minieh; âArmĂ©nie Muse; â Indes Orientales Allahabad, CoĂŻmbatour, Dacca, Damas, Golle, Hyderabad, Jaffna, Kandy, Kishnagur, Lahore, Malacca, Mangalore, Mysore, Nagepur, Poona, Quiton, Trichinopoly, Tricomalie, Vizagapatam; âJapon Hacodate, Nagasaki, Osaka ; â Australie Grafton, Port-Auguste, Rockhampton, Sale, Wilcania; Nouvelle-ZĂ©lande Christchurch ; Iles Seychelles Port-Victoria. 2 ABBAYES iiullius dioeceseos ; 2 DĂLĂGATIONS APOSTOLIQUES", 46 VICARIATS APOSTOLIQUES; IO PRĂFECTURES APOSTOLIQUES ĂRIGĂES EN VICARIATS", 25 PRĂFECTURES APOSTOLIQUES. C'est-Ă -dire un total de 213 siĂšges nouveaux ajoutĂ©s par LĂ©on XIII Ă la hiĂ©rarchie de l'Eglise catholique. Mais cette expansion de l'Eglise dans le monde ne suffisait pas au zĂšle et au coeur du Pontife. Il se souvenait trop qu'il Ă©tait le vicaire du Christ, du Bon Pasteur, pour ne vouloir pas courir aussi Ă la recherche des brebis Ă©garĂ©es. Dois-je Ă©numĂ©rer tout ce qu'il a tentĂ© en faveur de la rĂ©union des Eglises dissidentes ? L'Encyclique Proeclara, du 20 juin 1894, toute de paix et de suavitĂ©, qui renferme un appel direct Ă tous les chefs d'Etat, Ă tous les princes et peuples de l'univers, et les engage, par la charitĂ© de JĂ©sus-Christ, Ă ne former qu'un seul troupeau-, afin d'obĂ©ir aux dĂ©sirs du RĂ©demp^ teur,, Ă sa volontĂ© clairement exprimĂ©e tandis qu'il vivait en ce monde? La lettre Amantissimoe voluntatis, du 4 avril 1895, qui, avec, une infinie bontĂ©, engageait les Anglais Ă retourner Ă l'unitĂ© religieuse, seul gage pour eux de paix et de salut ? La lettre Unitatis,, du 11 juin 1895., qui rappelait aux Coptes les liens Ă©troits L'ĂGLISE CATHOLIQUE A LA FIN DU XIXe SIĂCLE. 13 5 qui ont uni l'Eglise d'Alexandrie Ă l'Eglise Romaine? Enfin l'Encyclique Cognitmn, du 29 juin 1896, qui dĂ©finit aux dissidents quel genre d'unitĂ© JĂ©sus-Christ dĂ©sire voir rĂ©gner parmi ses fidĂšles, et leur prouve que le centre de l'unitĂ© voulue de Dieu n'est autre que l'Eglise Romaine dont ils se sont Ă©loignĂ©s ? Il nous resterait maintenant Ă parler de LĂ©on XIII poĂšte; il nous resterait Ă montrer de quels soins le Pontife glorieusement rĂ©gnant a entourĂ© les sciences et les arts. Mais ce sont lĂ sujets que la plume des publicistes chrĂ©tiens â et mĂȘme non chrĂ©tiens â a trop souvent abordĂ©s pour que j'estime suffisant de me borner Ă cette simple mention. 11 est temps, d'ailleurs, de clore cet article. Mais comment le faire sans dire un mot de l'influence croissante de la PapautĂ© sous LĂ©on XIII, sans montrer comment, Ă aucune pĂ©riode de l'histoire, l'autoritĂ© morale du Saint-SiĂšge n'a Ă©tĂ© aussi grande que dans le temps prĂ©sent ». Intelligence vaste et pĂ©nĂ©trante, Ă©crit le PĂšre Zocchi, esprit fin et adroit qui devine les susceptibilitĂ©s de la politique mondaine et en Ă©vite les piĂšges, Ăąme Ă©quilibrĂ©e, coeur droit, volontĂ© forte et souple Ă la fois, LĂ©on XIII a prouvĂ© qu'il possĂ©dait par-dessus tout la longanimitĂ© qui ne se lasse jamais dans la poursuite d'un but et dans l'essai de moyens multiples pour l'atteindre. Et comme la victoire appartient aux patients, il a tout lieu de se rĂ©jouir des nombreux succĂšs obtenus, surtout dans l'ordre religieux et moral, depuis le commencement de son glorieux pontificat. En montant sur la chaire de Pierre dans un Ăąge dĂ©jĂ avancĂ© et au milieu de circonstances difficiles, il ne donna aucun signe de dĂ©couragement, mais employa toutes les qualitĂ©s prĂ©cieuses de son intelligence Ă pacifier le monde en l'Ă©clairant... Tous les chefs d'Etat entretiennent des relations rĂ©guliĂšres avec le Pape, qui demeure renfermĂ© dans les murs de son palais, mais n'en reçoit pas moins les hommages officiels des ambassadeurs accrĂ©ditĂ©s prĂšs de sa cour et les visites solennelles des souverains de passage Ă Rome. Il traite en souverain avec tous les gouvernements, il Ă©crit des lettres aux empereurs, aux rois, aux prĂ©sidents de rĂ©publique et reçoit leurs rĂ©ponses autographes pleines de vĂ©nĂ©ration et de respect. Dans les contestations internationales, n'est-il pas choisi parfois comme arbitre ? Les chefs des plus grandes puissances ne Ăź'invoquent-ils pas comme un alliĂ© nĂ©cessaire pour brider le socialisme, pour maintenir Tordre intĂ©rieur des Etats et la paix des consciences? I36 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE LĂ©on XIII est parvenu Ă conquĂ©rir les hommages universels des hautes sphĂšres officielles en renouant des relations amicales mĂȘme avec les gouvernements qui s'Ă©taient Ă©loignĂ©s du SaintSiĂšge, dans les derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de son prĂ©dĂ©cesseur. Mais en mĂȘme temps il gagnait le coeur des peuples, ainsi qu'en tĂ©moignent l'enthousiasme et l'Ă©lan indescriptibles qui accompagnent les manifestations dont sa personne sacrĂ©e est entourĂ©e, comme le fut autrefois le Pape Pie IX, de populaire mĂ©moire. » A suivre. AbbĂ© P. HOURAT. Les Petites Soeurs des Pauvres POĂSIE Qu'il est aimable et doux, ce nom, Petites Soeurs Des Pauvres ! â C'est en vain qu'aux Ă©chos de l'Attique, A Socrate, Ă Platon, sages du monde antique, Et du dogme chrĂ©tien timides prĂ©curseurs, On va le demander. â Or, en Ille-et-Vilaine Ce nom fut prononcĂ© pour la premiĂšre fois Par une humble servante... et les flots et la plaine Sur la terre bretonne ont entendu sa voix Qui bientĂŽt s'Ă©lançait par delĂ la frontiĂšre, OĂč l'on prie, oĂč l'on souffre, oĂč l'on verse des pleurs. Entrez dans la maison qui s'ouvre hospitaliĂšre A ceux qui de ce monde ont connu les douleurs ; Hommes, femmes, vieillards, sans appui, sans famille, Y vivent dans le calme et la sĂ©rĂ©nitĂ© ; Jusqu'Ă leur dernier jour sur eux le soleil brille, Soleil dont les rayons s'appellent CharitĂ©. â Et qui donc osera dans la modeste enceinte D'un sort impitoyable adoucir les rigueurs, Et sans un sou vaillant remplir la tĂąche sainte? Qui donc? demandez-vous. Mais les Petites Soeurs LES PETITES SOEURS DES PAUVRES I37 Des Pauvres] â Elles vont, dĂšs l'aube matinale, L'Evangile pour guide et la foi pour soutien, Par l'ardente chaleur ou la bise hivernale, QuĂȘter les vĂȘtements, le pain quotidien, Pour tous ces grands enfants dont elles sont les mĂšres ; Et cela, chaque mois, et cela, chaque jour ! Sur leurs lĂšvres jamais de paroles amĂšres ; Le MaĂźtre leur apprit l'indulgence et l'amour. Et depuis soixante ans, ces anges de la terre, Sous le voile, souvent, dĂ©robant la beautĂ©, De l'abnĂ©gation suivent la route austĂšre, La route qui conduit droit Ă l'Ă©ternitĂ©. Au sein des fiers palais, au seuil de la chaumiĂšre, Facilement, sans doute, elles trouvent accĂšs ; On leur fait bon accueil... Rejeter leur priĂšre, Mais, ce serait forfaire au vieil honneur français! S'il en Ă©tait encor, dans ce pays de France, OĂč le coeur bat toujours, vibrant et gĂ©nĂ©reux, Des citoyens imbus d'orgueil, d'intolĂ©rance, Insensibles au cri poignant des malheureux, Nous leur dirions Au nom de la loi fraternelle, A nos Petites Soeurs ouvrez Ă deux battants Votre porte. â Donnez ! songez que sous leur aile Elles ont abritĂ© de pĂąles combattants, Des vaincus, dont la vie Ă©tait un long martyre, Qui s'en allaient pĂ©rir de misĂšre et de faim. Comme un aimant sacrĂ© que leur deuil vous attire; Soyez bons, dĂ©vouĂ©s, soyez hommes enfin. Ah ! si vous pouviez voir, quand la mort implacable Frappe une Soeur, objet de respect et d'amour, Voir ces dĂ©shĂ©ritĂ©s que la douleur accable AuprĂšs du lit funĂšbre, accourir tour Ă tour, En murmurant bien bas MĂšre, soyez bĂ©nie ! Au sĂ©jour des Ă©lus, MĂšre, priez pour nous! Vos yeux se lĂšveraient, vers la voĂ»te infinie, Vous ne rougiriez pas de tomber Ă genoux. AMĂDĂE BURION. Le Pinturicchio au Vatican 1 i La faucille de diamant que la lune avait laissĂ©e tomber dans le ciel de PĂ©rouse avait, depuis une semaine, dĂ©veloppĂ© l'ampleur de sa lame brillante Ă couper les blĂ©s mĂ»rs dont les derniers Ă©pis d'or se tressaient, maintenant, en couronne autour d'elle. Heureux aussi de la gerbe abondante que nous avions glanĂ©e autour du berceau mĂȘme des premiers maĂźtres ombriens, nous Ă©tions reparti sur le chemin de Rome, oĂč un pape, grand tenancier des Alexandre VI et des Jules II dans le domaine impĂ©rissable des arts, nous allait inviter Ă la premiĂšre» du Pinturicchio, restaurĂ© par sa munificence. En descendant les pentes douces de l'Ombrie, par les portiĂšres de l'express que les Ă©toiles striaient d'or, nous regardions dans le silence de la nuit s'Ă©panouir, sereine comme une fleur des jardins infinis, cette lune agrandie qui nous prĂȘtait encore sa clartĂ© Ă travers les campagnes endormies et prĂ©ludait, par sa splendeur, Ă la belle fĂȘte qui nous attendait au rĂ©veil. Le jour allait venir. Des monts Albains, dĂ©jĂ tout ruisselants d'aurore, le soleil, surgissant dans l'air bleu, nous apparut bientĂŽt entre les arches sĂ©culaires de l'aqueduc de Claudius, comme s'il fĂ»t sorti de son tombeau. Et dans la plaine immense et grise oĂč Rome s'Ă©tendait, comme une fleur fanĂ©e par une lumiĂšre si matinale et si chaude, la lune finissait par tomber blanche et morte, derriĂšre la gĂ©ante coupole de Saint-Pierre qui se dressait, sur la Ville Ă©ternelle, ainsi qu'un mont sur un mont. â Roma, signori !... Roma ! Si ferma !... C'Ă©tait la halte Ă la station finale. Quelques heures plus tard, nous Ă©tions de retour au Vatican, et, profitant de la faveur de pĂ©nĂ©trer dans les chambres Borgia avant le jour officiel de l'inaui. l'inaui. Gli Affreschi del Pinturicchio nell' Appartemento Borgia. Commentaire de Fr. Ehrle et H. Stevenson ; Rome, Danesi, Ă©dit. LE PINTURICCHIO AU VATICAN 139 guration, nous prenions, sur l'appartement, notes et photographies qui nous serviraient plus tard de commentaire. Pour une premiĂšre vue d'ensemble sur les Borgia et leur cour, nous nous sommes trop attardĂ© peut-ĂȘtre autour de l'oeuvre de leur peintre et Ă la porte de leurs chambres qu'il importe de visiter. Ici, l'abondance des documents sera telle que nous nous bornerons Ă l'Ă©numĂ©ration des salles et Ă leurs trĂ©sors artistiques, et que nous rĂ©serverons pour la suite de notre Ă©tude les impressions esthĂ©tiques et les trouvailles d'histoire qui nous attendent lĂ ', Ă chaque pas, Ă chaque figure peinte, Ă chaque portrait dĂ©couvert. Et d'abord, dĂšs la porte d'entrĂ©e de l'appartement, notre oeil dĂ©couvre sur une mĂȘme ligne droite les quatre premiĂšres chambres. Pour pĂ©nĂ©trer dans les deux derniĂšres, il nous faudra gravir quelques marches et tourner de quelques mĂštres vers* la droite oĂč la tour Borgia, qui commence lĂ , s'y cantonne en carrĂ© de chĂąteau-fort. La premiĂšre salle, appelĂ©e la Salle des Pontifes, servait de vestibule ou Ă 'anticamera Ă la maison du pape. C'est Ă la seconde que commençaient les appartements particuliers du pontife. On les appelait, pour cet office, les camere segrete, et on en comptait trois qui se commandaient l'une Ă l'autre et que, d'aprĂšs les fresques peintes dans chacune d'elles, on appelait la Salle des MystĂšres, la Salle des Saints et la Salle des Arts LibĂ©raux. Par celle-ci, dans le fond, on accĂ©dait Ă une chambre de recul, qui servait Ă Alexandre VI de chambre Ă coucher, oĂč il mourut. Les deux derniĂšres salles, qui se prolongent dans la tour Borgia et qui portent les noms de Salle du Credo et de Salle des Sibylles, servirent apparemment, avec deux autres piĂšces qu'on trouve encore dans la tour, aux familles du pape et Ă ses gardes-nobles. De ces huit piĂšces, on n'en a retenu que six oĂč les beaux-arts ont laissĂ© trace de leur passage, Ă des degrĂ©s diffĂ©rents. La Salle des Pontifes, par oĂč l'appartement dĂ©bute, ne mesure pas moins de 220 mĂštres carrĂ©s de superficie. Cette piĂšce, la plus vaste, est aussi celle qui a souffert les plus injurieux assauts du temps. Les meilleurs feux de garde que les soldats du connĂ©table de Bourbon allumĂšrent dans Rome, pendant un siĂšge mĂ©morable, ne semblĂšrent pas avoir trouvĂ© de place plus appropriĂ©e qu'en cette salle. Les premiĂšres peintures de la voĂ»te, que la tradition veut attribuer Ă Giotto, se ressentirent de la fumĂ©e des bivouacs, au point d'en ĂȘtre entiĂšrement obscurcies. La mĂȘme tradition veut que le Pinturicchio y ait repeint une Histoire des Papes ; mais les couches Ă©normes du salpĂȘtre qui en a dĂ©vorĂ© les sujets, peints i. 140 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE jadis dans l'or et l'azur, n'en laissent subsister aujourd'hui que les inscriptions des lunettes supĂ©rieures. Ainsi peut-on savoir, par ces devises, qu'Ă tel endroit de ces frises, remplacĂ©es aujourd'hui par des tapisseries, l'artiste avait reprĂ©sentĂ© le sacre de Charlemagne par LĂ©on III, en l'an 800 ; qu'Ă tel autre il avait brossĂ© les murs du Borgo que LĂ©on VI Ă©leva autour de la CitĂ© LĂ©onine, aprĂšs la dĂ©faite des Sarrasins. La partie la mieux conservĂ©e est la voĂ»te que, dans la suite, LĂ©on X confia aux pinceaux de Perin del Vaga et de Jean d'Udine. Ces deux maĂźtres de la peinture d'ornement et des grottesche y ont laissĂ©, dans une infinitĂ© de petits cadres clairs, un amalgame anodin des signes du zodiaque aussi peu mouvementĂ©s que l'Ă©tait le systĂšme planĂ©taire avant les dĂ©couvertes de GalilĂ©e. Au centre de la voĂ»te, quatre victoires aptĂšres essayent de s'envoler, avec un essor lourd qui ne vaut pas en mouvement celui du cygne au col goulu, ou du bĂ©lier capricolant au voisinage. Cette salle, de toutes la plus Ă©tendue, que les grottesques » de la voĂ»te ne suffisent pas Ă rendre intĂ©ressante, ne nous arrĂȘterait guĂšre si le carrelage Ă©blouissant, en majoliques renouvelĂ©es de l'antique, ne nous signalait ici, avec le nom de M. Giovanni Tesorone, celui du restaurateur le plus digne d'Ă©loges pour une trouvaille d'art Ă peu prĂšs inespĂ©rĂ©e et un succĂšs qui, de salle en salle, ira s'affirmant davantage. Ici c'est dans une prairie Ă©maillĂ©e de pĂąquerettes blanches, de pimpons d'or et d'herbes tendres, que vous marchez; et rien n'est plus agrĂ©able Ă voir que ces printaniĂšres couleurs, inondĂ©es de la lumiĂšre Ă©blouissante qui tombe de ces voĂ»tes solaires sur ce tapis transparent de clartĂ© oĂč, comme dans les limbes peints Ă la palette de Virgile, va pousser l'asphodĂšle. Seul un classique et un imaginatif mĂȘlĂ©, de la complexitĂ© du maĂźtre Tesorone, pouvait raviver ces couleurs aux fours Ă©teints et Ă jamais perdus, croyait-on, des Cosmas et des trois Robbia. La cĂ©ramique moderne apprend aujourd'hui le nom d'un trouvĂšre nouveau, Ă©mule et rival des maĂźtres anciens en cet art elle ne l'oubliera pas. Les tapis de verdure que nous frĂŽlions dans la premiĂšre Salle des Pontifes s'arrĂȘte brusquement au seuil de la salle suivante, comme ferait un prĂ© au bord d'un lac. Ici les tons brunissent; le tendre vert devient un bleu profond. N'entrons-nous pas dans la Salle des MystĂšres oĂč tout doit s'Ă©teindre et se taire, pour ne voir et n'Ă©couter que d'incomparables fresques? Dans cette salle, la plus complĂšte peut-ĂȘtre, le Pinturicchio inaugure une Ă©popĂ©e chrĂ©tienne qu'il nous raconte en huit sujets. C'est la Vierge naissant, blanche LE PINTURICCHIO AU VATICAN I41 comme le lis de JessĂ© que chanta le prophĂšte et que, sous l'escalier, chante le choeur des fileuses filant, sur leurs quenouilles, le manteau qu'ont les lis et dont Salomon n'a pas eu le pareil. â C'est l'Annonciation avec l'Ange et la Vierge se mirant face Ă face encore dans un lis, le plus fidĂšle miroir de leur beautĂ©. â C'est la NativitĂ© du Christ, l'enfant engendrĂ© de ce lis et la premiĂšre fleur de divinitĂ© que l'humanitĂ© fit Ă©clore. â Ce sont les rois qui viennent reconnaĂźtre le MaĂźtre, entre le boeuf et l'Ăąne, Ă la souveraine douceur d'un enfant ; et, dans le groupe des monarques pieux, nous ne sommes pas loin de reconnaĂźtre, Ă son bonnet original et aux fleurs de lis qui le couronnent, le roi de France, Louis XI, en personne. â Et puis, c'est la RĂ©surrection,, avec le pape Alexandre Ă genoux, comme les vrais grands de ce monde, devant le Christ qui Ă©chappe aux ignominies de la terre et qui instruit son Vicaire en lui montrant comme on s'Ă©lĂšve parfois sur les tombeaux. â Et puis, l'Ascension; et puis, l'Assomption; encore et encore des survivances glorieuses que le pape Borgia regarde, les mains jointes et peut-ĂȘtre aussi blanches de crimes que de carnation, le visage radieux et serein, comme il convient Ă ceux qui relĂšvent d'un autre tribunal que de celui des hommes... Dans cette chambre oĂč de si grandes fresques devaient tenir tant de place, on n'introduisit probablement jamais aucun meuble ; et ce sont des buffets peints sur les murailles qui en constituent encore l'ornement rare et sĂ©vĂšre. La troisiĂšme piĂšce est la Salle des Saints. Sacrifiant aux faiblesses d'un pĂšre trop indulgent peut-ĂȘtre pour ses enfants, le peintre d'Alexandre VI semble avoir accumulĂ© sous cette voĂ»te les plus riches trĂ©sors de son art. La fresque principale est celle dont LucrĂšce Borgia compose, Ă elle seule, le charme incomparable sous le symbole de sainte Catherine comparaissant devant l'empereur Maxence pour se justifier. Et ce charme n'est fait que de douceur, comme cette beautĂ© fragile n'est faite que de grĂące enfantine. Quand donc cette frivole libellule prendra-t-elle corps, et quand l'enfant qui comparaĂźt devant nous sera-t-il cette femme que l'histoire a citĂ©e Ă sa barre sous des traits monstrueux que son peintre fidĂšle, l'incorruptible Pinturicchio, lui refusa obstinĂ©ment? D'autres portraits l'environnent, et nous reconnaissons sans peine son accusateur qui serait mieux son accusĂ©, sous les traits de CĂ©sar Borgia usurpant sans pudeur le siĂšge de Maxence et. posant Ă la prĂ©venue des questions auxquelles seul il peut rĂ©pondre. OĂč est Gaspard de Procida?... OĂč est Sforza de Pesaro?... OĂč est Alphonse d'Aragon?... Le sait-il, lui, qui n'ignore pas oĂč est le duc de Gandie, 142 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE oĂč sont les invitĂ©s du bal funĂšbre de Sinagaglia? Elle, innocente, compte sur ses trois premiers doigts le nom des trois infortunĂ©s maris qui ne fixĂšrent pas son triste sort. Peut-ĂȘtre le quatriĂšme consolidera-t-il l'anneau tremblant qui danse aux doigts de la victime, avec une goutte de sang en rubis que cet anneau avait serti dĂ©jĂ , trois fois, autour de son chaton funeste... Et l'assemblĂ©e silencieuse attend la sentence du juge indigne, avec une mĂ©lancolie que ne surpasse pas celle du prince Djem si haut dans sa tristesse, sur ce cheval du dĂ©sert qui n'emportera plus son maĂźtre lĂ -bas, loin de ces hontes, au pur soleil de la libertĂ©. On veut se soustraire Ă ces impressions navrantes, se dĂ©tacher de cette fresque accusatrice pour regarder celles qui l'accompagnent, dans la mĂȘme salle la visite de saint Antoine abbĂ© Ă saint Paul ermite, le martyre de saint SĂ©bastien, celui de sainte Barbara, autant d'idylles dont la touchante piĂ©tĂ© n'a d'Ă©gale que la grĂące naĂŻve avec laquelle l'artiste les exprima. L'oeil fascinĂ© revient encore et surtout Ă Catherine la Sainte, qui, se confiant Ă l'avenir, attend en paix la sentence que les calomniateurs de LucrĂšce, silencieuse et accusĂ©e, rendront un jour aux partisans de LucrĂšce entendue et reconnue innocente. Le thĂ©ologien pieux de la salle prĂ©cĂ©dente se prĂ©sente, dans celleci, en historien troublant ; et la plume saura bientĂŽt peut-ĂȘtre rendre au pinceau du premier avocat de LucrĂšce l'hommage qui lui sied. AprĂšs avoir jetĂ© un coup d'oeil ravi sur la dĂ©coration des parois qu'Alexandre VI avait confiĂ©es au PĂ©rugin et que LĂ©on XIII a fait revivre sous l'habile pinceau du maĂźtre Fringuelli, aprĂšs avoir encore remarquĂ©, dans cette Salle des Saints, les boiseries qui les entourent et que le pape Sixte IV avait commandĂ©es pour sa bibliothĂšque au sculpteur Jean des Dolci, nous passons dans la salle dite des Arts LibĂ©raux. La cheminĂ©e du milieu, due au dessin de Sansovino et au ciseau de Simone Mosca, est, sans doute, un des plus purs morceaux que laissa en marbres de ce genre le XVIe siĂšcle. Mais, lĂ encore, que regarder aprĂšs les peintures symboliques des sciences oĂč le thĂ©ologien et l'historien que fut prĂ©cĂ©demment Pinturicchio se mĂ©tamorphose en poĂšte de l'idĂ©al, aux crĂŽatiuiis sans rivales? Sous ces ogives aux courbes adorables, oĂč le boeuf des Borgia promĂšne de frise en frise sa corpulence et sa majestĂ©, l'artiste a suspendu pour l'Ă©ternelle admiration des Ăąges les crĂ©ations les plus divines de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle. C'est Y ArithmĂ©tique portant, avec une tristesse inĂ©narrable, la table des chiffres par lesquels les jours de l'homme et la fragilitĂ© des choses con- LE PINTURICCHIO' AU VATICAN ĂŻ%$ tingĂȘntes sont comptĂ©s. C'est la GĂ©omĂ©trie jouant du triangle, comme d'un Ă©ventail; et sa grĂące est si parfaite que Bramante, facilement reconnaissable Ă la calvitie prĂ©coce de son front, brise de dĂ©sespoir son lourd compas aux pieds de son invincible souveraine. C'est la Musique prĂ©ludant, avec son violon, au concert qu'ordonnent autour d'elle, jusqu'Ă leur dernier souffle harmonieux, ses insatiables amants, Et combien d'autres crĂ©ations idĂ©ales par lesquelles le Trivium et le Quadrivium des Sciences abstraites auront trouvĂ©, dans ces fresques indescriptibles, leur plus inĂ©narrable expression ! Et le concert de ces grĂąces savantes finit avec la RhĂ©torique, une beautĂ© .plus fascinante que ses autres compagnes et qui, voulant personnifier ironiquement YorĂȘ fotondo de l'Ă©loquence cicĂ©rohienne, tient d'une main une boule au bout d'un fil, et dĂ© l'autre une Ă©pĂ©e qui tranchera ce fil, tĂŽt ou tard, comme l'exemple le plus typique de la plus magnifique vanitĂ© de ce monde. La leçon est instructive, et nous la retiendrons. Aussi bien, qu'aurions-nous Ă voir encore, dans la Salle du Credo et dans la Salle des Sybilles oĂč le Pinturicchio n'a pas accompagnĂ© Benedetto Buonfigli, Ă qui il confia l'exĂ©cution de ses dessins ? Le maĂźtre n'avait-il pas assez travaillĂ© pour l'immortalitĂ©, dans les salles prĂ©cĂ©dentes, et le repos si mĂ©ritĂ© n'allait-il pas fermer en croix ses deux bras sur. son coeur et arrĂȘter sa vie, Ă l'heure oĂč d'autres comptent sur la leur pour de longs jours encore et pour l'oeuvre qui restera ? La sienne devait finir en moins de cinquante-neuf ans, et une vie si courte n'aurait rien Ă envier aux plus longues. Le dernier Pontife du Moyen-Age lui avait livrĂ© ses chambres pontificales et ses trĂ©sors souverains, pour y faire naĂźtre et y doter la Renaissance, Cette vraie fille dont le pape Borgia Ă©tait vraiment le pĂšre. La plus fastueuse des cours avait posĂ© devant l'artiste, pour les portraits les plus inconnaissables de femmes adorables et d'hommes magnifiques. A la suite des princes et des rois que ce prince heureux avait comptĂ©s Ă son service, Machiavel arrĂȘtait la*plume qui Ă©crirait plus tard Du Prince, et Bramante le compas qui mesurerait San Pietro; et, perdues dans la foule, les autres cĂ©lĂ©britĂ©s du temps qui faisaient Ă l'artiste son cortĂšge de modĂšles. Jusqu'Ă RaphaĂ«l mĂȘme qui, quelques annĂ©es plus tard, montant aux Chambres de Jules II, s'arrĂȘtera dans les ChambrĂ©s d'Alexandre VI et emportera du Pinturicchio une impression si souveraine que, sans y prendre garde, les crĂ©ations de l'un serviront de copie aux crĂ©ations de l'autre. Regardez lĂ© Bramante de 144 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Y Ăcole d'AthĂšnes et le Bramante de la fresque des Arts LibĂ©raux, et niez que le Pinturicchio fut l'inspirateur de RaphaĂ«l... II Par l'escalier Ă cordonato oĂč les mules des cardinaux montaient jadis Ă l'aise chez le Pape, et oĂč le cheval blanc du prince Djem promena tant de fois et avec une si noble Ă©lĂ©gance son prisonnier mĂ©lancolique, nous Ă©tions descendus, midi sonnant, dans les soubassements de l'appartement Borgia. Dans une vaste salle, qui avait dĂ» servir de corps de garde aux soldats de la maison pontificale et oĂč les armes d'Alexandre VI rĂ©gnent encore en clef de voĂ»te, le jour entrait par une meurtriĂšre bĂ©ante ; et le soleil s'Ă©talait gaiement sur la longueur de deux mĂštres de table qu'on avait disposĂ©e, pour nous, dans l'Ă©paisseur des deux mĂštres de muraille massive oĂč cette meurtriĂšre s'ouvrait. â Vous ĂȘtes dans la tour des Borgia, sous l'appartement que vous venez de visiter. Et vous allez partager le repas des maĂźtres et des ouvriers, dans cette espĂšce de restaurant improvisĂ©, sous le chantier auquel nous avons donnĂ© le nom pittoresque de Grottino. LĂ , sans façon, asseyez-vous Ă notre petit dĂ©jeuner ! Le galant homme de qui vient une invitation si cordiale n'est autre que le professeur Tesorone lui-mĂȘme. Il veut que notre visite Ă YAppartamento qu'il repave soit terminĂ©e ici par un cordial dĂ©jeuner. C'est dans cet imposant sous-sol des gardes-ducorps des Borgia que, entre le %abaglione et le caffĂš, le distinguĂ© directeur de l'Institut technique de Naples veut nous faire encore part de quelques souvenirs personnels et nous permettre de terminer, comme nous avions commencĂ©, dans l'intimitĂ© mĂȘme du Pape LĂ©on XIII, cette initiation Ă la vie et Ă l'oeuvre de Pinturicchio que nous entreprendrons de raconter dans les pages suivantes, sous les auspices d'un grand Pontife Ă qui un grand peintre doit sa rĂ©surrection inespĂ©rĂ©e et sa souveraine restauration. C'Ă©tait un dimanche, le 4 juillet 1895. Les cinq heures d'aprĂšsmidi venaient de sonner Ă l'horloge de la cour Saint-Damase. Les salles Borgia, oĂč Ă©tait suspendu pour un jour le travail qui n'y chĂŽmait guĂšre depuis plusieurs annĂ©es dĂ©jĂ , Ă©taient, tant bien que mal, prĂ©parĂ©es Ă recevoir la visite du Pape. On venait d'ouvrir les portes. Encore que, çà et lĂ , traĂźnassent les piĂšces Ă conviction des peintres, des maçons, des menuisiers, des marbriers, nĂ©an- m LE PINTURICCHIO AU VATICAN M5 moins ces chambres historiques semblaient ressusciter tout Ă coup Ă la vie et au cĂ©rĂ©monial des Pontifes Romains, aprĂšs quatre siĂšcles de mort. A travers les vitraux blancs des larges fenĂȘtres de marbre qui donnent sur la vaste cour du BelvĂ©dĂšre et d'oĂč, jadis, tombaient les tapisseries d'or pour Alexandre VI et sa suite qui venaient s'y accouder pour assister de lĂ aux carrousels brillants et aux joutes fastueuses, on sentait flotter alentour la tiĂšde ondulation d'une aprĂšs-midi d'Ă©tĂ©. Au loin, Rome se reposait, lasse et sans voix. Des hauteurs du Vatican, un silence majestueux et presque lourd tombait sur ces murs sĂ©culaires. Telle l'ombre du soir, sur les montagnes. Nous Ă©tions quelques-uns seulement, dans les salles Borgia, Ă attendre l'arrivĂ©e du Pontife Monseigneur le majordome DĂ©lia Volpe, le comte Vespignani, les commandeurs Seitz et Galli, les professeurs Sneider et Fringuelli. A cinq heures un quart, on signale l'arrivĂ©e de la Cour. Presque aussitĂŽt, nous entendĂźmes les pas cadencĂ©s des gardes-suisses se profilant dans le lointain des premiĂšres Loges de Jean d'Udine. Ils avançaient de front, par quatre, la hallebarde au flanc, le casque Ă panache blanc en tĂȘte. DerriĂšre eux venaient les gardes-nobles, au port princier. Et puis les familiers, au mantelet rouge et damasquinĂ© aux armes du Pontife, au justaucorps de velours rouge et frappĂ© aux mĂȘmes armes, aux culottes gonflantes et se fermant au genou sur des bas rouges aux soies Ă©blouissantes. Ils portaient Ă six la chaise du Souverain, Ă pas cadencĂ©s, comme en retenant le souffle. D'autres gardes-nobles et d'autres gardes-suisses fermaient ce court et imposant cortĂšge, avec le scintillement de leurs sabres au clair, de leurs casques d'acier et de leurs jugulaires d'or. Toute la suite ayant pĂ©nĂ©trĂ© dans la premiĂšre Salle des Pontifes, la lourde porte d'entrĂ©e se ferma et le Vatican retomba dans son majestueux silence. Face Ă nous, les nobles et les suisses se dĂ©veloppĂšrent de front et prĂ©sentĂšrent les armes, tandis que les ' familiers dĂ©posaient doucement Ă terre la portantine tapissĂ©e de soie rouge et passementĂ©e d'or dans laquelle Ă©tait assis, tout blanc et toujours bĂ©nissant, le grand vieillard. Le majordome s'avança vers la chaise Ă porteurs, et deux prĂ©lats en manteau violet firent une inclination Ă la garde papale, qui rompit les rangs. Alors LĂ©on XIII apparut, souriant dans l'ivoriale blancheur de son visage oĂč les yeux, vifs Ă©tonnamment, rivalisaient en Ă©clat avec les diamants de la croix pectorale constellant la blancheur de la soutane immaculĂ©e. Il promena un long regard per- 146 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE çant autour dĂ©s salles et dit, encore assis dans sa chaise Ă porteurs et en accompagnant ses paroles graves et lentes avec le geste large qu'on lui sait â Nous voici donc dans ces chambres cĂ©lĂšbres que Nous voulions voir revenir Ă leur ancienne splendeur. Il souleva ses mains longues et presque diaphanes de blancheur. Par petits coups tremblants mais vigoureux, il plaça sur son nez les lorgnons d'or. Alors, il releva toute sa personne d'un mouvement plein d'Ă©nergie et, Ă©vitant comme par distraction le bras que lui offrait son majordome, il vint vers nous, d'un pas ferme et rĂ©solu. J'avais fait placer mes essais de carrelage dans la quatriĂšme salle, appelĂ©e la salle des Arts LibĂ©raux. Il fallait donc, pour les voir, que LĂ©on XIII parcourĂ»t l'appartement Borgia presque en entier. Passant de chambre en chambre et offrant bienveillamment sa main aux artistes, Ă ses chers artistes », comme il les appelait et qui s'inclinaient devant lui, il voulut bien me reconnaĂźtre dans le nombre. Se retournant vers moi, sans attendre que monseigneur le majordome eĂ»t le temps de me prĂ©senter au Pontife â Ah! vous ĂȘtes lĂ ?... me dit-il, pendant que je posais mes lĂšvres sur la grosse Ă©meraude, sertie de diamants, qui constellait son anneau pastoral et dont sa main si maigre paraissait alourdie. Vous ĂȘtes lĂ , Tesorone ! Je viens ici voir vos essais de carrelage, et vous savez que je les attendais avec impatience. Vous, Vespignani â continua-t-il, â et vous, Seitz, les avez-vous dĂ©jĂ vus ? Que vous en semble ? Sont-ils dignes de l'entreprise ? Cependant le Pape arrivait Ă la seconde salle, arrĂȘtant son regard sur les voĂ»tes superbes et sur les parois oĂč un pinceau savant avait cherchĂ© Ă raviver les vieilles fresques Ă©teintes; il parut se courber de fatigue sur le cĂŽtĂ© droit. Cependant, refusant encore tout appui, il continua l'examen des peintures, Ă petits pas tout au plus comptĂ©s; ici, louant les retouches ; lĂ , glorifiant l'oeuvre magnifique de Pinturicchio â Ce serait pour le Saint-SiĂšge une honte, dit-il, que de voir plus longtemps abandonnĂ©es ces Chambres, qui rivalisent en beautĂ© avec celles de RaphaĂ«l. Quiconque cultive les arts, quiconque est amateur du beau, prendra plus tard rendez-vous dans ces salles, comme dans une Ă©cole. Et l'Ă©tranger aura encore Ă admirer le faĂźte oĂč atteignirent les premiers maĂźtres de notre art italien ! ajouta-t-il avec un fin sourire. Nous faisions cercle autour de lui. De mon bras, je frĂŽlais sa LE PINTURICCHIO AU VATICAN 147 soutane. Chemin faisant, nous Ă©voquions les oeuvres laissĂ©es par Pinturicchio, Ă Sienne, Ă Spello, Ă Rome mĂȘme oĂč la Sixtine, Y Ara Cceli et Sainte-Marie-du-Peuple en conservent ; mais elles sont toutes dĂ©passĂ©es par celles des Borgia, pour l'harmonie dĂ©corative des parties et de l'ensemble. Ainsi devisant, nous Ă©tions arrivĂ©s Ă la quatriĂšme salle. On avait disposĂ©, devant mes essais de carrelage, un grand fauteuil aux hautes boiseries dorĂ©es, tapissĂ© de -velours rouge. Le Pape s'y assit et regarda d'un trait la voĂ»te, les parois et les majoliques des pavĂ©s, comme pour en surprendre l'Ă©gale harmonie des couleurs rĂ©pondant, par l'uniformitĂ© des tons, Ă l'unitĂ© de l'ensemble. De mon cĂŽtĂ©, sur son auguste personne et sur son entourage, je complĂ©tais l'Ă©tude de ces mĂȘmes couleurs que ces salles devaient faire chanter en une si parfaite harmonie. Sous ces voĂ»tes sĂ©vĂšres, oĂč le bleu avait pris la valeur vitrĂ©e et Ă©teinte d'un antique collier phĂ©nicien, oĂč le vert s'Ă©tait diaprĂ©, oĂč s'Ă©tait bronzĂ©e la dorure, la blanche soutane du Pape jetait une note Ă la fois douce et vive, qu'accentuaient davantage le rouge intense du manteau dont il Ă©tait revĂȘtu et l'or rayonnant des joyaux qui le paraient. Faites chanter encore sur cette gamme, en accompagnement, le bariolage des gardes-suisses audacieusement costumĂ©s par RaphaĂ«l, et le scintillement des autres armes et des autres costumes dont la Maison Pontificale est habillĂ©e. Et vous aurez la raison de la sobriĂ©tĂ© des fresques rĂ©pondant Ă la richesse des soutanes, et rĂ©alisant vraiment dans ces chambres la plus magnifique harmonie dont la blanche personne du Pape est le centre unique et toute la raison. â Cet essai de majoliques me semble dĂ©finitif, dit-il. Il rĂ©pond heureusement Ă la coloration des voĂ»tes. Pourtant la partie du milieu ne serait-elle pas un peu assombrie ? J'osai rĂ©pondre que ces petits losanges Ă©taient semblables aux anciens que nous avions pu retrouver dans les chambres. Ces derniers figuraient, encastrĂ©s dans la muraille, pour servir prĂ©cisĂ©ment de campioni ou de. point de repaire Ă la comparaison. LĂ©on XIII eut, sur ses Ă©paules, comme un soubresaut de lĂ©gĂšre impatience â Ce n'est pas lĂ une raison suffisante pour me persuader. Je crois plutĂŽt que ce sont les voĂ»tes qui doivent expliquer les tons rembrunis du carrelage des pavĂ©s, tant elles se sont obscurcies avec les siĂšcles. L'important est que l'harmonie rĂ©sulte, aujourd'hui comme autrefois, de l'ensemble. Il continua Ă observer telle chose et telle autre, et Ă discuter pied Ă pied nos rĂ©ponses. Je ne dissimulerai pas l'Ă©tonnement que je 148 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ressentais, Ă voir cet auguste vieillard pĂ©nĂ©trer les raisons techniques d'un art si spĂ©cial que celui des carrelages anciens peut le paraĂźtre ; et cela, avec une perspicacitĂ© d'esprit qui permet Ă LĂ©on XIII de s'improviser maĂźtre en tel sujet qui lui plaĂźt et qui serait Ă©tranger pourtant aux pensĂ©es ordinaires de sa vie. â Et maintenant, reprit-il en se tournant vers moi, Ă quand la reprise des travaux? De vous, je demande encore plus qu'un effort de volontĂ©. Je demande, oserai-je le dire ?... Eh bien ! oui, un prodige ! ajouta-t-il en souriant. Comprenez la raison qui m'oblige Ă vous parler ainsi. Je voudrais avoir la grande joie de voir accomplie cette restauration des salles Borgia, avant que ma vie ne s'arrĂȘte. Et, loin de se troubler, donnant plutĂŽt Ă ses paroles une expression de bĂ©atitude et d'aimable rĂ©signation, comme s'il eĂ»t voulu corriger ainsi la tristesse qui avait tout Ă coup saisi son entourage attentif, il ajouta â La fin du jour, ahimĂš ! n'est maintenant guĂšre lointaine ! Un silence profond accueillit ces paroles, traduisant ainsi l'Ă©motion de toute l'assistance. Le grand vieillard reprit haleine et continua â Je ne voudrais pas qu'il m'arrivĂąt une infortune pareille Ă celle de mon prĂ©dĂ©cesseur, le pape Alexandre Ottoboni, qui dĂ©sira, de tout son coeur, voir achevĂ© le palais qu'il Ă©rigeait aux Fiano, et qui mourut avant que la bĂątisse en fĂ»t finie. Allons, courage ! remettez-vous vivement au travail. Dans trois mois, n'est-ce pas? vous aurez achevĂ© le carrelage de cette salle. â Oui, Saint-PĂšre, je ferai tout ce qui dĂ©pendra de moi pour obĂ©ir aux ordres de Votre SaintetĂ© ! rĂ©pondis-je, non sans me rendre compte de la gravitĂ© d'un tel engagement. â Et pour quand, le carrelage de la grande salle d'entrĂ©e ? Certainement, pour le milieu de l'annĂ©e prochaine ? Je fis signe de la tĂȘte, sans mot dire ; car ces paroles marquaient une telle force de volontĂ©, qu'elles ne permettaient pas la moindre hĂ©sitation. â Et pour la fin de l'annĂ©e tout le reste, n'est-ce pas ? Prenez bien garde que je prends acte de votre engagement. . Cela dit, il quitta rĂ©solument le fauteuil pour terminer l'inspection, avec la visite des deux derniĂšres salles situĂ©es dans la tour Borgia, au-dessus mĂȘme du Grottino, oĂč je vous raconte ces souvenirs inoubliables, pour moi et pour ceux qui furent les tĂ©moins. Je m'attarderais trop Ă vous raconter par le menu cette visite aux salles Borgia, qui dura plus d'une heure et dont les moindres LE PINTURICCHIO AU VATICAN 149 dĂ©tails restent prĂ©sents Ă ma mĂ©moire. Parlant tantĂŽt Ă son majordome, tantĂŽt Ă l'architecte Verpignani, tantĂŽt au professeur Seitz, LĂ©on XIII ne cessait de recommander Ă tous la plus grande activitĂ© pour la prompte exĂ©cution des travaux. Avec une Ă©tonnante prĂ©cision des choses et des dates, il rappelait, chemin faisant, le passĂ© de ces chambres et leur oubli injustifiĂ©, depuis le pontificat de Jules II jusqu'Ă celui de Pie VIL Le pape Chiaramonti avait eu, enfin, l'idĂ©e de le convertir en musĂ©e de peinture, pour y recevoir les tableaux pris par Bonaparte et restituĂ©s par Louis XVIII. Et puis survint leur malheureuse conversion en dĂ©charge de bibliothĂšque oĂč les volumes, grimpant aux murs, avaient fini par atteindre aux voĂ»tes. Ce fut en 1884 que, soucieux de rendre aux fresques de Pinturicchio la splendeur qui leur Ă©tait bien due, le pape Pecci ordonna le dĂ©sencombrement des salles et confia l'Ă©tude des travaux de restauration complĂšte Ă une commission, qui conclut Ă une immĂ©diate mise en train. J'ai rarement constatĂ© chez les vieillards une mĂ©moire aussi rapide et aussi sĂ»re que celle dont use LĂ©on XIII. Elle touche parfois jusqu'Ă l'invraisemblance. A propos de ces carrelages renouvelĂ©s des anciens et des essais de majolique ombrienne que je venais d'entreprendre au Cambio de PĂ©rouse en mĂȘme temps qu'au Vatican, le Pape vint Ă parler de ce pays aussi cher Ă son coeur que le pays natal. Il me guidait bien mieux que je n'aurais su le faire moi-mĂȘme, et nous cheminions par la pensĂ©e Ă travers cette Ombrie idĂ©ale, Ă laquelle la Nature et les Arts Ă la fois ont si divinement souri. J'en vins Ă nommer Deruta, un village assez Ă©loignĂ© de PĂ©rouse, lĂ -bas, dans la campagne, du cĂŽtĂ© de Todi. Jadis, ce hameau fut cĂ©lĂšbre pour ses majoliques aux reflets d'or , et le sol oĂč surgirent de si magnifiques fabriques en conserve encore des restes prĂ©cieux. Je parlai d'un vieux paysan de ce village, un certain Carloni, qui occupe ses derniĂšres annĂ©es Ă recueillir et Ă collectionner, en autant de fragments qu'il trouve, ces carrelages primitifs â Deruta ! fit le Pape avec un accent d'inexprimable tendresse. Le beau pays, oĂč je suis allĂ© me reposer tant de fois !... Eh ! ditesmoi, Carloni vit-il encore ? â Le vieux Carloni dont je parle, rĂ©pondis-je, ne peut ĂȘtre celui dont Votre SaintetĂ© se ressouvient. C'est un pauvre paysan... â ... Qui a mon Ăąge ! ajouta LĂ©on XIII. Oui, oui, c'est bien notre mĂȘme Carloni. Je le vois encore homme jeune, au travail, dans les champs oĂč je le rencontrais. Je me rappelle encore l'endroit oĂč s'Ă©levait sa maison. 150 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Et LĂ©on XIII se plut Ă me la dĂ©peindre dans le pittoresque charmant du pays ombrien dont l'idĂ©ale vision poursuivait manifestement l'auguste Souverain dans ce Vatican clos d'oĂč il ne sortirait, sans doute, jamais plus. Vers six heures trois quarts, le Pape, suspendant sa visite, revint s'asseoir dans la chaise Ă porteurs, que flanquaient de droite et de gauche les gardes-nobles et les gardes-suisses. Visiblement, il Ă©tait satisfait. N'emportait-il pas, avec nos promesses, l'espoir d'inaugurer, â lui, pape LĂ©on XIII, â les chambres du pape Alexandre VI? Et cet appartement historique ne serait-il pas Ă©levĂ©, sous le protectorat d'un Pecci, Ă la dignitĂ© de monument pontifical? La portantine se releva doucement, prĂ©cĂ©dĂ©e et suivie de son familial cortĂšge. Je les regardais s'en-aller sous les arceaux fuyants, dans la lointaine perspective des Loges bramantesques ; et cependant, dans mon imagination, Ă larges traits, se profilaient les grandes figures de Julien de La RovĂšre, de LĂ©on MĂ©dicis, de Paul FarnĂšse, au temps oĂč les Arts furent rois et oĂč les Papes se firent leurs serviteurs les plus fidĂšles... Sur ce dernier tableau, la conversation de Tesorone, mon prĂ©cieux introducteur, s'arrĂȘta, cependant que, par la gĂ©ante meurtriĂšre du Grottino oĂč notre table Ă©tait dressĂ©e dans la tour Borgia, je regardais vers la pleine lumiĂšre du dehors. De cette vieille tour flanquant l'ancienne construction de Nicolas V comme une inĂ©branlable forteresse, je voyais se dĂ©velopper les Ă©normes arceaux sur lesquels le lourd balcon des chambres Borgia est assis. Sur la mĂȘme longueur, au deuxiĂšme Ă©tage, se dĂ©veloppaient les festons plus lĂ©gers, plus Ă©lĂ©gants peut-ĂȘtre, des chambres de RaphaĂ«l. C'Ă©tait donc lĂ que, d'un Ă©tage Ă l'autre, la gloire avait conviĂ©, pour les siĂšcles, deux amis, deux rivaux." Pinturicchio et RaphaĂ«l ainsi retenus chez les Papes, l'un au premier, l'autre au deuxiĂšme, n'Ă©taient pas prĂšs de dĂ©serter de longtemps, avec leurs incomparables gĂ©nies, cet asile inviolable de la plus enviable immortalitĂ©. Et, sinon la gloire, du moins la justice ne prĂ©parait-elle pas une intronisation nouvelle au Vatican, aprĂšs quatre cents ans d'un bannissement peut-ĂȘtre immĂ©ritĂ©, en la personne du plus merveilleux initiateur de la Renaissance des arts et de la politique modernes, sans qui Pinturicchio eĂ»t Ă©tĂ© une ombre et Machiavel un fantĂŽme, ce pape Borgia Lenzuoli, qui eĂ»t Ă©galement Ă©puisĂ© tout l'or de la nouvelle AmĂ©rique sur la magique palette de son peintre et, sur l'Ă©chiquier branlant de la vieille Europe, la sĂ©culaire patience des anciens papes unie Ă la moderne diplomatie des pontifes de la Rome nouvelle ? LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 5 I III Pour cette premiĂšre » du 8 mars 1897, midi sonnant, YAnticamera pontificale n'avait lancĂ© que les invitations d'office aux cardinaux rĂ©sidents, aux ambassadeurs accrĂ©ditĂ©s, aux officiers et aux familiers de la maison papale, aux artistes collaborateurs de Sa SaintetĂ© LĂ©on XIII pour la restauration de YAppartamento Borgia, qui Ă©tait enfin prĂȘt et qu'on allait ouvrir Ă l'admiration du siĂšcle. MalgrĂ© la rĂ©serve imposĂ©e Ă cette fĂȘte des beaux-arts dans un palais qui ne cĂ©lĂšbre que les fĂȘtes du culte, une insolite animation rĂ©gnait au Vatican depuis les premiĂšres heures de cette matinĂ©e oĂč un grand pape allait recommander son nom Ă la reconnaissance des Ăąges. Au portail de bronze, la consigne avait doublĂ© le poste des gardes-suisses dont la tenue, tri-partie noire, rouge et jaune, mettait une premiĂšre note d'Ă©clat et de gaietĂ© Ă cette fĂȘte des arts. La gendarmerie pontificale stationnait Ă la cour Saint-Damase, le colback aux grands poils noirs et Ă l'aigrette rouge bridĂ©e de cordeliĂšre blanche, la tunique noire Ă collet et Ă manchettes de buffleteries blanches, passementĂ©e de brandebourgs blancs se rattachant, sur un cĂŽtĂ©, Ă l'Ă©paulette blanche et, sur l'autre, au ceinturon de la cartouchiĂšre dont le large cuir blanc plastronnait en sautoir de haut en bas, sur la poitrine ; la culotte de peau blanche et les bottes vernies complĂ©taient le brillant costume de ces gardes, sabre au poing, dontla taille et l'allure rivalisaient avec celles des plusbeaux hommes de Rome. Les plus distinguĂ©s, qui joignaient Ă la majestĂ© de la stature l'Ă©lĂ©gance des maniĂšres, Ă©taient les gardes-nobles, en tuniques rouges ou noires galonnĂ©ees d'or ou d'argent, selon le grade, en culottes blanches collant aux hanches dĂ©gagĂ©es et aux bottes Ă©peronnĂ©es d'acier, l'eline d'argent mi-drapĂ© de noir Ă la dragonne d'or, Ă l'aigrette blanche et rouge, Ă la criniĂšre flottante ils tenaient, sabre au clair, la garde d'honneur dans les appartements pontificaux. Autour de la portantine de gala, Ă capitons rouges et en bois dorĂ©s, se disposaient les six sĂ©diaires de service en jabot blanc, gilet rouge, bas et escarpins rouges, veste flottante, culotte courte Ă velours frappĂ© de rouge sur soie rouge, en gants blancs. Les cardinaux, en mantelette paonnĂ©e et en simple tenue de ville, arrivaient l'un aprĂšs l'autre, accompagnĂ©s chacun de son majordome en longue redingote noire, passementĂ©e de noir et ouvrant sur le gilet noir, la culotte noire, les bas noirs, les souliers noirs Ă boucles d'or. Le service des introductions Ă©tait fait I52 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE par les camĂ©riers d'honneur, en cape de velours noir s'agrafant de travers, en fraise blanche et toque noire Ă boucle d'or, en tunique Ă jupe noire dont les plis flottaient sur la culotte courte, les bas noirs et les souliers dĂ©couverts. L'antichambre des invitĂ©s Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celle de l'appartement Borgia, dans la partie oĂč celui-ci tourne et longe les Loges de Jean d'Udine, au voisinage de la chapelle Sixtine, Ă laquelle ces deux piĂšces, admirablement dĂ©corĂ©es par Louis XIV de tapisseries d'Arras et des Gobelins, sert de vestiaire auxEminences depuis le siĂšcle du grand roi. â Sua Eccellen^a, corne sta?... De cardinal Ă ambassadeur et de prĂ©lat participant Ă officier de la maison du pape, on se prĂ©sente ses hommages dans un demisilence oĂč les soies des manteaux font plus de bruit que les voix des maĂźtres et n'empĂȘchent pas d'entendre sonner enfin midi Ă l'horloge de la cour Saint-Damase. AussitĂŽt s'ouvrent les portes de la partie des chambres Borgia que leur gĂ©nĂ©reux restaurateur, LĂ©on XIII, s'est proposĂ© d'inaugurer aujourd'hui. Sur les tapis qui Ă©touffent les pas, nous suivons le sillage de pourpre qu'ouvrent les xardinaux et, avec eux, nous pĂ©nĂ©trons dans la premiĂšre salle, dite des Pontifes, oĂč des fauteuils sont disposĂ©s en hĂ©micycle, autour de celui qu'occupera le pape sur une petite estrade formant trĂŽne} au centre, et sous le buste commĂ©moratif que le sculpteur Ugolini a Ă©rigĂ© lĂ . Pendant qu'on dĂ©couvre le monument voilĂ©, je lis, sur le socle de marbre noir, l'inscription suivante LEO XIII P. M. PAVIMENTUM REFECIT PARIETES EXORNAV1T C'est, en effet, dans une prairie d'asphodĂšles, de violettes et de myosotis, que nous marchons en cette espĂšce de vestibule des Champs-ElysĂ©es des Beaux-Arts que nous promet le sage; tant ce carrelage de majoliques imitĂ©es des anciennes et d'une composition heureuse rĂ©pond Ă l'Ă©clat des voĂ»tes peintes en clair par Pierin del Vaga, comme une glace vĂ©nitienne aux reflets pĂąles qui en reproduirait Ă terre la splendeur. Comme la suite de l'inscription commĂ©morative l'indique, le contour des murailles est tapissĂ© d'authentiques Arrazzi et de vieilles broderies de Flandre, par carrĂ©s fort harmonieux qui reprĂ©sentent les scĂšnes de la Bible. Entre ces LE PINTURICCHIO AU VATICAN 153 tapisseries et la voĂ»te oĂč le peintre collaborateur de RaphaĂ«l prodigua autour des signes du Zodiaque la richesse de ses arabesques et de ses grotesques follement imagĂ©es, une bordure de panoplies de tous les styles orne les frises et fait, de cette salle, une armeria merveilleuse qui place, sur cette matiĂšre, le Vatican en rivalitĂ© avec les plus intĂ©ressantes collections de l'Europe. Je remarque, entre autres, aux deux angles extrĂȘmes de la longue muraille du fond, l'armure fine aux ciselures que Jules II aurait portĂ©e sous un rochet de dentelles, pendant le siĂšge de Bologne, et celle du connĂ©table de Bourbon dans laquelle il mourut Ă la porte Cavallegieri, pendant le sac de Rome dont l'histoire rend responsable ce fils dĂ©chu de France et de l'Eglise. Cette armure, lourde de forme, ne porte pour tout enjolivement qu'un creux fait au cuissard par la balle'dont le connĂ©table mourut, soit que cette balle fĂ»t celle de l'arquebuse dont se prĂ©vaut Benvenuto Cellini dans ses MĂ©moires^, soit que ce farouche Bourbon n'ait pas voulu d'autre artiste et d'autre trait pour agrĂ©menter son pesant uniforme de guerre. Mais voici que l'officier chargĂ© de la garde de cette salle signifie Ă haute voix son commandement aux suisses, dont le fer des hallebardes domine l'assistance â Attenti!... Garde Ă vous !... 1. Comparso di giĂ l'esercito di Borbone aile mura di Roma, il detto Alessandro del BĂ©ni mi prcgo che io andassi secoa farli compagnia cosi adammoundi quelli miglior compagni ; e per la via con esso noi si accompagno un giovannetto addomandato Cecchino dĂ©lia Casa. Giugnemmo aile mura di Campo Santo, e quivi vedemmo quel maraviglioso csercito, che di giĂ facevaogni suo sforzo per entrare. A quel luogo dĂ©lie mura dove noi ci accostammo, v'era molti giovani morti da que di fuora quivi si combateva a piĂč potere era una nebbia folta quanto immaginar si possa. Io mi volsi a Alessandro e li dissi Ritiriamoci a casa il piĂč presto che siĂ possibile, perce qui non Ăš un rimedio al mondo; voi vcdete, quelli montano e questi fuggono. » Il ditto Lessandro spaventato disse Cosi volesse Iddio che venu noi non ci fussimo. » E cosi voltossi con grandissima furia per andarsene. Il quale io ripresi dicendogli Da poi che voi mi aveto menato qui, gli Ăš forza fare qualehe atto da uomo. » E volto il mio archibuso dove io vedevo un gruppo di battaglia piĂč folta e piĂč serrata, posi la mira nel mezzo apounto a uno che io vedevo sollevato dagli altri ; per la quai cosa la nebbia non mi lasciava discernere se questo era a cavallo o a piĂš. Voltomi subitto a Lessandro et a Cecchino, dissi loro che sparassino i loro archibusi ; ed insegnai loro il modo, acciocchĂš e' nen toccassino una archibusata da que' di fuora. Cosi fatto due volte per uno, io mi affacciai aile mura destramente, e veduto in fra di loro ug tumulto istraordinario, fu che da questi nostri colpi si ammazzo Borbone ; e fu quel primo che io vedevo rilevato dagli altri, per quanto da poi s'intese. Benvenuto Cellini, t. 1, pp. 93-94, edit. ail' Inegna di Dante, Fircnze. 154 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La porte principale, donnant sur les loges, s'ouvre aussitĂŽt aux deux battants; et le soleil, qui entre le premier dans l'appartement Borgia, fait briller Ă©blouissamment les dalles marbrĂ©es du passage extĂ©rieur d'oĂč la foule est, balayĂ©e en un clin d'oeil, comme dans une fantastique avenue du dĂ©sert oĂč restent seules, entre les arcatures de l'immense baie vitrĂ©e, les ombres concentriques que la lumiĂšre du jour y dessine comme sur une grande page blanche. Et lĂ -bas, tout au fond, des silhouettes rouges, violettes, blanches, noires, se profilent marchant vers nous. C'est la Maison du Pape qui arrive. Quatre gardes-suisses flanquent en quenouille l'escorte, leur officier au milieu ouvrant la marche, tout de^pourpre vĂȘtu, la canne du commandement Ă la main. Suivent les deux massiers, en tunique noire Ă fraise blanche, en mantelette violette, l'Ă©pĂ©e Ă poignĂ©e d'or au ceinturon, la masse d'argent sur l'Ă©paule, la toque noire Ă bordure violette les coiffant. Puis viennent les chapelains privĂ©s en soutane violette et en aumusse noire sans manches ; les camĂ©riers violets et rouges, les gardes-nobles en tenue noire et les exempts-colonels en tenue rouge, l'Ă©pĂ©e tirĂ©e Ă une main et le fourreau vide Ă l'autre. Au centre, les sĂ©diaires et la portantine qu'ils portent et qui balancent triomphalement au soleil ses soies rouges, ses bois d'or et ses glaces biseautĂ©es oĂč la lumiĂšre se joue, comme dans un prisme dansant, dans un arc-en-ciel qui marche. Est-ce le signe gracieux de l'union mystique des arts et de la religion, dont LĂ©on XIII avait si noblement parlĂ© dans son discours du trĂŽne l'autre matin? Le voici lui-mĂȘme, en soutane blanche et manteau rouge ; une clĂ©mentine de velours ponceau, bordĂ©e d'hermine, le coiffe et semble accentuer la pĂąleur du visage et la maigreur des traits. La portantine pĂ©nĂštre dans l'appartement et s'arrĂȘte devant le fauteuil pontifical oĂč LĂ©on XIII, sur pieds, se dirige en bĂ©nissant ses gardes qui lui prĂ©sentent les armes, un genou en terre, et l'assemblĂ©e qui s'incline sur son passage. Tandis que les porteurs se retirent avec la portantine et vont attendre la fin de la cĂ©rĂ©monie sur le pas de la porte refermĂ©e sur eux, le pape, d'un mouvement qui lui est familier quand il est assis, relĂšve droit et ferme son buste souverain et, s'aidant du lorgnon d'or, inspecte d'un regard ravi la belle ordonnance de la salle. Puis, de sa longue main de marbre oĂč brille le plus bel anneau d'or de sa cassette pontificale, il a fait signe au Comm. Seitz qu'il, lui donne la parole, pour la remise de l'appartement Borgia dont la restauration avait Ă©tĂ© confiĂ©e Ă cet article. â Santo Padrel... TrĂšs Saint-PĂšre!... LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 55 D'une voix chaude et parfois Ă©loquente, c'est l'historique de ces chambres et l'exposĂ© des travaux faits en dix annĂ©es d'un labeur long et difficile, que le sympathique artiste dĂ©veloppe en son nom et en celui de ses dĂ©vouĂ©s collaborateurs, rangĂ©s derriĂšre lui. LĂ©on XIII Ă©coute ce discours avec une attention soutenue, non sans laisser parfois ses yeux se promener des voĂ»tes aux murailles, et des murailles aux carrelages du parquet. A ce discours terminĂ©, le pape rĂ©pond par quelques paroles de remerciement et de satisfaction Ă l'adresse des maĂźtres distinguĂ©s qu'il a appelĂ©s Ă son aide, dans ces salles que le Vatican ouvre aujourd'hui Ă l'admiration du monde ». Puis, se levant brusquement, il veut visiter chaque chambre. De l'une Ă l'autre, son cortĂšge le suit en recueillant de sa bouche les impressions qui lui inspirent surtout les fresques des plafonds et la grande oeuvre du Pinturicchio, remise enfin dans le cadre d'honneur qu'elle attendait depuis longtemps. Comme si LĂ©on XIII avait voulu se rappeler la cĂ©lĂšbre rĂ©miniscence de Pie IX citant au gĂ©nĂ©ral Kanzler les premiers vers de la Gerusalemme Liberata du Tasse, quand les troupes pontificales, revinrent de Mentana, Canto l'armi pietose e 1' capitan Che il sepolcro libero di Chiisto, l'heureux restaurateur de ces chambres cĂ©lĂšbres traduisait ce triomphe nouveau de la PapautĂ© dans les Beaux-Arts qui furent placĂ©s de tout temps sous sa tutelle, par ce vers de la Divine ComĂ©die qu'il rĂ©pĂ©ta plusieurs fois, au cours de cette visite Onorate l'altissimo poeta! L'ombra sua torna ch'era dipartita. Et ce n'Ă©tait pas seulement la mĂ©moire du Pinturicchio qu'Ă©voquait la parole de LĂ©on XIII. C'Ă©tait,, autour du glorieux vieillard, la phalange entiĂšre de la Renaissance qui s'Ă©veillait sous ces voĂ»tes, comme dans son tombeau, et qui faisait Ă LĂ©on XIII son escorte, avec le souvenir de leur grandeur passĂ©e; ne semblaient-elles pas tout Ă coup renaĂźtre, avec leurs portraits mĂȘmes se dĂ©tachant des fresques et acclamant l'inespĂ©rĂ© thaumaturge? Voici d'abord les peintres que Nicolas V avait amenĂ©s de Florence, pour commencer Ă faire fleurir, dans Rome et dans la maison mĂȘme des papes que Thomas de Sarzano voulait habiter magnifiquement, cette glorieuse Renaissance qui avait dĂ©jĂ germĂ© dans les couvents et dans les palais;de la Toscane. Voici l'Angelico, qui porte dans son nom le 156 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE caractĂšre de son idĂ©ale palette ; et voici Benozzo Gozzoti, son Ă©lĂšve fidĂšle jusqu'Ă l'imitation du gĂ©nie par le gĂ©nie l'un sort de la chapelle du pape Nicolas, oĂč il a cĂ©lĂ©brĂ© les actes de saint Laurent; l'autre, de la chapelle du Saint-Sacrement, qui n'existe plus que par le souvenir des belles fresques qu'il y exĂ©cuta et que Paul III a abattues depuis, pour faire place Ă la Salle Royale. Leurs Ă©lĂšves les suivent, demandant justice aussi pour les oeuvres perdues qu'ils laissĂšrent au Vatican ; Buonfigli le naĂŻf, Simone le mystique, Gentile daFabriano et Zanobi Strozzi, Bartolomeo deFoligno et AndrĂ©a del Castagno, sur qui pĂšse encore, injustement peut-ĂȘtre, le meurtre de Domenico Veneziano, qu'il eĂ»t assassinĂ© pour garder Ă lui seul le secret de la peinture Ă l'huile, trouvĂ©e et rĂ©vĂ©lĂ©e, dit-on, par ce joueur de guitare Ă ce joueur de stylet. Qu'en saura-t-on jamais? En attendant, l'Ă©pitaphe suivante de Saint-Marie-la-Neuve ne pĂšset-elle pas trop cruellement, encore aujourd'hui, sur ces deux malheureuses mĂ©moires ? Castaneo Andreae mensura incognita nulla, Atque color nullus, linea nulla fuit. Invidia exorsit fuitque proclivis ad iram ; Domitium sic hinc Venetum sustulit insidiis, Domitium illustrem picturoe. Turpat acutum Sic soepe ingenium vis inimica mali. Le stylet meurtrier de l'assassin rĂ©el du Veneziano servit, sans doute, Ă graver ces mauvais vers sur la tombe du Castagno, qui attend encore son vengeur. Comme l'on aime mieux lire sur la tombe de l'Angelico de FiĂ©sole ces deux distiques, dictĂ©s par Nicolas V lui-mĂȘme, Ă la mĂ©moire de celui qu'il avait voulu faire Ă©vĂȘque et qui prĂ©fĂ©ra rester peintre Non mihi sit laudi, quod eram velut ApeĂźles, Sed quod lucra tuis omnia, Christe, dabam AltĂ©ra nam terris opĂ©ra exstant, altĂ©ra caelo. Urbs me Joannem flos tulit Erutria3. Et puis voici la phalange des Ombriens, moins divins et plus naturels, moins grandioses et plus harmonieux que les magnifiques Toscans. C'est le sobre Piero dĂ©lia Francesca, dont le pinceau fut une toise et la palette un volume de gĂ©omĂ©trie; ce mĂȘme TraitĂ© des Proportions que le maĂźtre Ă©crivit et que signa, en le publiant, un Ă©lĂšve. Et la mĂ©moire de ce juste ne devait-elle pas Ă©prouver un plus irrĂ©parable outrage, avec le vandalisme qu'osa commettre Jules II, LE PINTURICCHIO AU VATICAN I 57 ce barbare sublime, sur les fresques que Piero avait peintes Ă la place oĂč figurent depuis la DĂ©livrance de saint Pierre et le Miracle de BolsĂšne? RaphaĂ«l, le coupable, substitua ainsi son oeuvre, non sans avoir relevĂ© les portraits historiques de Spinola, de Bessarion, de Fortebraccio, de Colonna, de Vittellesco, de Charles VIII, dont Ă©taient illustrĂ©es les fresques premiĂšres de Piero et dont s'enrichirent les cartons de Jules Romain, qui les transmit Ă Paul Jove !... C'est encore l'Ă©lĂšve glorieux d'un tel bon maĂźtre, le non moins correct mais plus Ă©lĂ©gant Luca Signorelli, Ă qui il fut donnĂ© de venger la victime des chambres de Jules II, en attachant leurs deux noms insĂ©parablement unis par le mĂȘme dessin serrĂ© qui les caractĂ©rise, dans la chapelle de Sixte IV. C'est ce mĂȘme rang de gloire qu'y partagĂšrent Ă©galement Ghirlandajo, Botticelli, Roselli, PĂ©rugin et Pinturicchio. Et voici, Ă leur tour, ces deux derniers amants de la mĂȘme grĂące idĂ©ale, dont le premier fut tout au plus l'aĂźnĂ©, et le second l'Ă©mule, sans que ni l'un ni l'autre n'aient pu emprunter Ă leur misĂ©rable famille un nom valable. L'injustice le remplaça par un sobriquet devant lequel, depuis, les fronts les plus hauts se dĂ©couvrent. Le PĂ©rugin, non plus, ne voulut pas risquer contre l'ingratitude de la postĂ©ritĂ© son immortelle mĂ©moire, et, dans le Camhio qu'il avait choisi pour son tombeau impĂ©rissable, il eut bien soin d'inscrire sous son portrait ce pauvre nom d'un montagnard qui traverserait les Ăąges, avec la lĂ©gende suivante Petrus Peruginus, egregius pictor; Perdita si fuerat, pingendo hic retulit artem ; Si nunquam inventa esset, hactenus ipse dĂ©dit. Restait aussi au Pinturicchio Ă relever, Ă son heure, l'insulte du sobriquet de barbouilleur » que des contemporains jaloux lui avaient infligĂ©e. Le doux Bernardino Betti avait-il, de son vivant, portĂ© d'autre qualificatif que cette appellation bouffonne? En avaitil. Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© mĂȘme par le plus ardent de ses premiers imitateurs, ce Sanzio RaphaĂ«l du premier poil dont PĂ©rugin avait Ă©tĂ© le maĂźtre et dont Pinturicchio, malgrĂ© la diffĂ©rence de l'Ăąge et par respect pour le gĂ©nie qu'il dĂ©couvrit en ce jeune homme, n'avait acceptĂ© que l'amitiĂ©? Lequel des deux y avait-il falli? Etait-ce Pinturicchio, se complaisant Ă rĂ©pĂ©ter dans ses fresques le portrait idĂ©al de RaphaĂ«l? Etait-ce RaphaĂ«l, acceptant sans y contredire l'honneur d'avoir tracĂ©, Ă la Libreria de Sienne, des cartons prodigieux pour lesquels un maĂźtre si expĂ©rimentĂ© n'eut, certes, pas besoin d'un si habile Ă©lĂšve, âtrop habile peut-ĂȘtre, et peut-ĂȘtre pas assez franc pour dĂ©mentir Ă temps I58 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'odieuse lĂ©gende qui plane encore, Ă PĂ©rouse, sur un de ces cartons? C'est la cinquiĂšme fresque qu'expose le palais Baldeschi Ă la curiositĂ© des visiteurs. L'heure de la rĂ©paration devait venir. Cette heure a attendu quatre cents ans pour sonner; et c'est un pape qui s'en fait le sonneur, aujourd'hui, dans ce mĂȘme Vatican oĂč la grande mĂ©moire de RaphaĂ«l pesait peut-ĂȘtre injustement sur celle de l'ami qui l'aima tant! Aujourd'hui, dans cette mĂȘme aile du palais Ă deux Ă©tages que le pape Nicolas V Ă©difia pour un duel fameux qu'il n'aurait pu prĂ©voir, le pape LĂ©on XIII ouvre toutes grandes les portes et s'en vient, conviant le monde des beaux-arts et de la critique au spectacle de haute lice qu'y engagent deux champions redoutables, deux maĂźtres peut-ĂȘtre Ă©galement calomniĂ©s et Ă©galement immortels? Une derniĂšre rĂ©paration s'imposait Ă l'histoire, dans ces chambres cĂ©lĂšbres oĂč le pape Borgia vĂ©cut. Et le voici aussi lui-mĂȘme, au milieu de sa famille nombreuse, aussi sacrifiĂ©e que celle du vieux roi dont HomĂšre et Virgile ont chantĂ© les malheurs. Comme le vieux Priam Ă genoux devant l'aveugle fatalitĂ© qui vouait aux enfers la race maudite des Dardanides, l'inconsolable pĂšre d'un autre Hector tend vers un autre Achille ses mains jointes et ses supplications. Du haut de la fresque imposante oĂč le pape Alexandre rĂšgne encore, descend, vers le pape LĂ©on, qui lui a succĂ©dĂ©, cette priĂšre qu'il entend. Est-ce parce qu'un vaincu de l'histoire est par terre qu'il faut Ă tout jamais refuser de l'entendre? Qu'Ă©tait donc l'Etat pontifical, du temps des Borgia, sinon un vaincu aussi Ă qui Alexandre VI ne craignit pas de tendre sa forte main pour un relĂšvement presque inespĂ©rĂ©? Agonisant sous les Ă©treintes conjurĂ©es de France et d'Aragon, trahi de Milan Ă Naples par ses propres vassaux dans sa propre Italie, que lui restait-il Ă faire du patrimoine de saint Pierre confiĂ© Ă sa charge, sinon ce qu'il en fit? Ses mains furent de fer, mais les clefs d'or de la papautĂ© en furent du moins conservĂ©es? Par une politique gĂ©niale que les dĂ©tracteurs des Borgia ne se refusent plus de reconnaĂźtre, ne maintint-il pas en Ă©chec la France et l'Espagne, entre le Milanais et le Regno? Eh! que fut autre chose qu'une oeuvre de gĂ©nie ce groupement, par la persuasion ou par la force, de tous les petits Etats italiens autour du grand Etat national, avec un seul maĂźtre pour souverain lĂ© pape ? La formule qu'Alexandre VI avait trouvĂ©e, Victor-Emmanuel l'appliqua quelques siĂšcles plus tard; et c'est la mĂȘme, avec lĂ diffĂ©rence que, sous les Borgia, les papes eussent conquis Ă l'Italie son unitĂ© sans le secours des Savoie qui ne l'obtinrent'que bien plus LE PINTURICCHIQ AU VATICAN l59 tard. Quql est donc ce crime irrĂ©missible qu'auraient commis alors les Borgia et dont les Savoie seraient absous aujourd'hui? Ce crime- qui consiste Ă . comploter le bonheur d'un peuple divisĂ© en l'unissant, malgrĂ© lui-mĂȘme, sous la tiare d'un pape ou. sous la couronne d'un roi ? Tel fut pourtant cet acte qu'osa jadis une famille de maĂźtres en politique; et ce fut aussi dans ce projet digne d'une fortune meilleure que sombrĂšrent la gloire d'un grand pape, la valeur d'un invincible capitaine, la fortune et l'honneur d'une famille entiĂšre dont les malheurs ne sont plus comparables qu'Ă ceux de quelque atroce Orestiade ou de quelque Priamide sanglante, pour le rĂ©cit desquels il faudrait ressusciter encore de nos jours quelque antique Eschyle, quelque HomĂšre prĂ©historique et fabuleux. Sed si fata deĂ»m, si mens non Leva fuisset, Trojaque nunc stares, Priamiquc arx alta maneres! Et ce sont, devant le pape LĂ©on XIII dĂ©pouillĂ© de son patrimoine sĂ©culaire et gĂ©nĂ©reux rĂ©parateur des restes magnifiques que ses prĂ©dĂ©cesseurs lui laissent, ce sont autour du pape Alexandre VI Ă genoux et demandant grĂące, toutes les gloires de la Renaissance qui, du haut de leurs fresques oĂč le peintre des Borgia les portraitura dans ces chambres, escortent le Pontife dĂ©chu, le redressent et l'amĂšnent au tribunal devant lequel l'histoire n'a pas toujours gagnĂ© fous ces procĂšs. Devant cette cour souveraine oĂč eurent leur place d'honneur les plus belles figures de la politique, des lettres et des arts dont les Borgia furent les protecteurs fastueux. Machiavel s'est dĂ©jĂ levĂ© pour la dĂ©fense. Le prince Djem attend sur son cheval qu'on l'appelle, en tĂ©moignage de l'hospitalitĂ© inviolĂ©e qu'il a reçue. Bramante, Ă l'Ă©cart, plus loin, ouvre dĂ©jĂ son compas pour mesurer les chefs-d'oeuvre qu'on lui commande. Cent autres gloires prĂ©sentes, dont Pinturicchio a illustrĂ© ces voĂ»tes, s'approchent Ă leur tour et demandent Ă proclamer le nom et la magnificence de ces maudits Lenzuoli d'Espagne, sans lesquels l'Italie du XVe et du XVIe siĂšcle, n'aurait pas Ă©crit, au chapitre de ses arts et de sa politique, la grande page qu'il nous importe aujourd'hui de tourner d'une main moins hĂ©sitante, et de lire avec un esprit plus tranquille. N'est-ce pas l'heure oĂč la fille de CicĂ©ron vient de se rĂ©veiller dans la beautĂ© intacte de son corps d'ivoire et de sa chevelure d'or qui lui servait de vĂȘtement, au fond d'un tombeau presque deux fois millĂ©naire de la voie Appienne? Et cette belle morte, qui res- 1ĂO REVUE DU MONDE CATHOLIQUE suscite aux acclamations de Rome entiĂšre assistant au miracle, n'est-elle pas le plus gracieux et le plus consolant symbole de l'antique vertu qui se rĂ©vĂšle encore au monde et qui lui demande tout Ă coup, pour lui prĂ©parer la terre idĂ©ale qu'il lui sied d'habiter, une armĂ©e d'artistes prĂ©cĂ©dant celle des gĂ©nies de la science et des hĂ©ros de l'Ă©pĂ©e 1? BOYER D'AGEN. I . L'Ă©tude du Pinturicchio et son OEuvre sera publiĂ©e cette annĂ©e par notre collaborateur Ă la SociĂ©tĂ© d'Ă©dition artistique, Pavillon de Hanovre, 32-34, rue Louis-le-Grand, Paris. N. D. L. R. Une famille sous la Terreur LES BAILLARD DE TROUSSEBOIS Vivarais et Bourbonnais Le 24 avril 1794 â 5 florĂ©al an II, â Ă huit heures du soir, une jeune femme, presque une enfant, dix-huit ans, se prĂ©sente au commissaire de police. Elle se dĂ©clare Ă©migrĂ©e, suspecte, et veut ĂȘtre emprisonnĂ©e ; elle sait que la prison dans ces conditions, c'est la mort. Aussi, est-ce la mort qu'elle veut. Elle est dans une telle exaltation qu'elle ne rĂ©pond que d'une façon incohĂ©rente. On la presse de questions ; elle ne sait rien, sinon qu'elle veut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e. Laquelle, raconte le procĂšs-verbal, laquelle interpellĂ©e de nous dire ses nom, prĂ©nom, Ăąge, pays de naissance, profession et demeure, a rĂ©pondu se nommer Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e Baillard Troussebois, ĂągĂ©e de dix-huit ans environ, nĂ©e Ă Paris, vivant originairement sic dans la maison de son pĂšre, et mariĂ©e depuis environ deux ans Ă Charles Renaud, militaire, homme de loi et nĂ©gociant, lequel elle avait Ă©pousĂ© dans une ville d'Italie prĂšs de GĂȘnes, et revenue Ă Paris aussitĂŽt leur mariage, et sĂ©parĂ©e de lui depuis environ deux mois, refusant de dire oĂč est sa demeure Ă Paris. A elle demandĂ© si elle sait oĂč est maintenant son mari ; â a rĂ©pondu qu'il y a deux mois il Ă©tait Ă la Conciergerie, et qu'il y est mort. Si elle Ă©tait avec son mari, lorsqu'il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©; â a rĂ©pondu non; qu'elle Ă©tait sĂ©parĂ©e d'avec lui; et nous a dit qu'elle ne pouvait ni ne voulait nous dĂ©clarer oĂč elle rĂ©sidait, ni oĂč elle avait rĂ©sidĂ© depuis ; mais qu'elle travaillait comme ouvriĂšre; n'a pas eu d'enfant de son mariage; et sur l'interpellation faite Ă la rĂ©pondante de nous dĂ©clarer oĂč elle avait travaillĂ© et rĂ©sidĂ© Ă Paris REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER I9OO IĂ2 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE depuis son arrivĂ©e, â a rĂ©pondu par des gestes et des dĂ©clamations qui caractĂ©risaient une personne qui est dans un Ă©tat d'affaissement et de crispation difficile Ă dĂ©crire. A elle demandĂ© dans quel endroit elle a sĂ©journĂ© avec son mari en revenant d'Italie ; â a rĂ©pondu qu'elle a sĂ©journĂ© Ă Lyon, environ un mois, pour voir la famille de son mari Ă laquelle elle fut prĂ©sentĂ©e. A elle demandĂ© oĂč ils sont descendus en arrivant Ă Paris ; â a rĂ©pondu qu'elle croit se rappeler qu'ils sont descendus dans un hĂŽtel garni, rue Thomas du Louvre. A elle demandĂ© si, lors de son arrivĂ©e Ă Paris avec son mari, elle y avait des parents, et si elle les vit ; â a rĂ©pondu qu'elle avait vu sa mĂšre; et par rĂ©flexion ajoute qu'elle ne l'a point vue. A elle demandĂ© si elle avait encore son pĂšre lors de son arrivĂ©e Ă Paris et si elle sait oĂč il est ; â a rĂ©pondu qu'elle avait son pĂšre, mais qu'elle ne savait oĂč il Ă©tait. A elle observĂ© comment il est possible qu'elle se soit trouvĂ©e si Ă©loignĂ©e de Paris sans le consentement de son pĂšre et de sa mĂšre; âa rĂ©pondu que, se trouvant en Italie, et son mari rentrant en France, elle l'a suivi par suite de l'attachement qu'elle avait pour lui. Son mari s'est mis copiste et a cherchĂ© Ă vivre de ce travail ingrat. Pour elle, elle a vĂ©cu du travail de ses mains commeouvriĂšre. Sa mĂšre, Charlotte Bigeard de Saint-Maurice, demeure rue du Foin, au Marais. En ce moment, elle la croit dĂ©tenue aux Anglaises. Son pĂšre a Ă©tĂ© aussi arrĂȘtĂ©; et son mari, craignant d'ĂȘtre enfermĂ©, crut prudent de se cacher â Mais, lui demande-t-on, comment vos parents vous ont-ils laissĂ©e dans la misĂšre? » Elle ne rĂ©pond pas. * Evidemment il y avait quelque chose d'extraordinaire dans tout cela. Une jeune fille,' mariĂ©e Ă seize ans en Italie, sĂ©parĂ©e de son mari, abandonnĂ©e de ses parents, noble et riche, forcĂ©e de se faire couturiĂšre, et venant un soir devant un administrateur du dĂ©partement dĂ© la police, se soumettre Ă la loi sur la police de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale dĂ©crĂ©tĂ©e par la Convention nationale, et demander quelle marche elle doit suivre pour y satisfaire », n'Ă©tait-ce pas-un fait Ă©trange? Quel roman, quel mystĂšre se cachait lĂ ? Le commissaire de police ne vit qu'une aristocrate bonne pour la guillotinĂ©. Il essaya encore de tirer d'elle de plus amples renseignements. Vu la rĂ©ticence, l'avons interpellĂ©e de nouveau Ă nous parler d'une maniĂšre plus claire et plus catĂ©gorique. â A persistĂ© Ă garder le silence et a ne vouloir rien nous dire de plus ». Et UNE, FAMILLE SOUS LA TERREUR 163 ; ont signĂ© Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e Baillard TROUSSEBOIS, PARO, LELIEVRE. » Il l'envoie donc tout simplement au tribunal rĂ©volutionnaire, oĂč Fouquier-Tinville la saura bien faire parler. Nous soussignĂ©s, administrateur au dĂ©partement de la police ; vu ce que rĂ©sulte de l' et attendu que. ladite Troussebois cherche Ă Ă©luder sur nos demandes, et. feint d'ĂȘtre dans, un Ă©tat qui. pourrait faire croire qu'elle est en dĂ©mence, tandis qu'elle nous paraĂźt avoir toute sa raison; que de plus il paraĂźt qu'elle a Ă©migrĂ©, vu qu'elle ne conteste pas sa rentrĂ©e en France, disons qu'elle sera traduite au tribuual rĂ©volutionnaire pour y ĂȘtre jugĂ©e suivant la loi... Disons de plus Troussebois sera traduite en la maison d'arrĂȘt de la Conciergerie pour y ĂȘtre Ă©crouĂ©e et y rester jusqu'Ă ce qu'il en soit autrement ordonnĂ©. â PARO, LELIEVRE. » On savait mieux qu'elle ce qu'on lui demandait ; et il y a une ironie bien cruelle Ă l'interroger sur son pĂšre, qui depuis deux mois est mort guillotinĂ©, et sur son mari depuis vingt jours. Sa mĂšre en prison, son oncle et sa tante en terre, qu'avait-eĂźle Ă faire ici-bas ? Elle Ă©tait jeune, et l'on sait avec, quelle facilitĂ© Ă son Ăąge on fait le sacrifice de la vie. Ce jour-lĂ mĂȘme, elle avait vu guillotiner du coup trente-quatre personnes, parmi lesquelles celles qu'on a appe- . lĂ©es les vierges de Verdun. Ce spectacle affreux et touchant, joint Ă l'horreur de sa position, l'avait-il exaltĂ©e au point d'en vouloir finir avec la vie? Sans ressources, privĂ©e par l'Ă©chafaud de tout ce qu'elle aimait et qui Ă©tait son appui, tombĂ©e de l'opulence dans la misĂšre, en fallait-il davantage pour rĂ©duire au dĂ©sespoir une jeune femme de dix-huit ans naturellement exaltĂ©e? Louise-Armande-AmĂ©dĂ©e-Victoire Baillard de Troussebois Ă©tait nĂ©e Ă Paris en 1776. Elle Ă©tait fille de Jean-Jacques Baillard de Troussebois, colonel au rĂ©giment de Savoie-Carignan, et de Charlotte-Victoire-Armande de Saint-Maurice de BĂ©jeard. A quinze ans, elle avait suivi son pĂšre Ă la cour du roi de Sardaigne. Elle devait Ă©pouser le comte d'Harcourt et devenir dame d'honneur de la comtesse d'Artois. Beaux projets! Que s'Ă©tait-il passĂ©? Comment ces rĂȘves d'avenir avaient-ils en si peu de temps abouti au bureau du commissaire de police du 24 avril 1794? Cette date peut expliquer bien des catastrophes. Or ce dĂ©nouement tragique avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© d'un roman. 164 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE I Dans l'Ă©glise romane de Besson, canton de Souvigny, Ă douze kilomĂštres de Moulins-sur-Allier, on voit un pilier sur lequel une inscription gravĂ©e atteste qu'il a Ă©tĂ© refait aux frais du seigneur de Ris, le 30 mars 1625. Ce seigneur de Ris, qui Ă©tait aussi seigneur de Saint-Aubin, est nommĂ© sur la cloche; c'est Jean-Florimond de Troussebois, principal bienfaiteur de l'Ă©glise ». La marraine est damoiselle Jeanne de Troussebois, veuve d'Antoine de Chantelot, Ă©cuyer, sieur des Gardais ». Jean-Florimond de Troussebois avait Ă©pousĂ© GeneviĂšve de La Croix, dont il eut un fils, le 27 septembre 1652. Les Troussebois, dont Thaumas de La ThaumassiĂšre, Histoire du Berry, adonnĂ©, page 998, la filiation, Ă©taient une ancienne famille du Berry et du Bourbonnais, qui remonte jusqu'Ă Sadon Troussebois vivant en 1150. De la branche aĂźnĂ©e de la maison de Troussebois il ne resta qu'une fille, Elisabeth, fille de Charles, marquis de Troussebois, qui en a portĂ© les biens dans la maison de Montboissier, en Ă©pousant 1749 Edouard de Beaufort-Montboissier, comte de Canillac, dont le fils Charles, patrice romain, prince de l'Eglise, contre-amiral, commandeur de Saint-Louis, nĂ© au chĂąteau de Beaumont, commune d'Agonges, le 17 mars 1753. La seconde branche Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par Louise-Madeleine, fille de Jean-Louis de Troussebois, Ă©cuyer, seigneur de Launay, et de Madeleine Gardet de Chervil, et par son cousin-germain, Jean-Baptiste-Ferdinand de Troussebois, officier dans le rĂ©giment royal d'artillerie. LouiseMadeleine de Troussebois, qui mourut en 1763, avait Ă©pousĂ©, par contrat du 6 juin 1736, Jean-Marcellin Baillard des Combeaux, Ă©cuyer, seigneur baron de La Mothe-Mourgon, de Beauvoir, de Chervil 1, etc. De cette union vinrent i° le 9 mars 1740, Jean-Jacques de Baillard de La Motte, capitaine au rĂ©giment de Provence, colonel au rĂ©giment d'AngoulĂȘme, marĂ©chal de camp ; 20 le 1. Il demeurait en son chĂąteau de Chervil, dars l'ArdĂšche, paroisse de Gluyras,. au diocĂšse de Viviers. NĂ© le ier juillet 1705, il Ă©tait issu des Baillard des Combeaux, en Vivarais, originaires du Languedoc, qui portaient EcartelĂ© aux 1 et 4 d'or, au rameau de 3 palmes de sinople; et aux 2 et 3 d'azur au croissant d'argent accompagnĂ© de 3 mollettes d'Ă©peron d'or, qui est de Charbonnel de Retz. Voir pour les Baillard, La Chenaye, II, 193, et d'Hozier. UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 165 28 dĂ©cembre 1743, Jean-CĂ©sar-Martial de Baillard de Chervil, premier page de Madame la Dauphine, lieutenant de dragons au rĂ©giment d'Autichamp, chef d'escadron au rĂ©giment de Languedoc; 30 le 14 fĂ©vrier 1747, Louis-Ferdinand de Baillard de Beaurevoir, mousquetaire du roi; 40 le 28 dĂ©cembre 1736, Louise Baillard des Combeaux; 50 le 16 janvier 1738, Marie-Anne de Baillard de Chervil; 6° le 29 janvier 1737, Françoise-HĂ©lĂšne de Baillard du Rivier, nĂ©e le 29 janvier 1737, mariĂ©e Ă Jean de Luzy, Ă©cuyer, mousquetaire du roi dans la seconde compagnie ; 70 le 20 fĂ©vrier 1749, ThĂ©rĂšse-Elisabeth de Baillard de La Motte, religieuse Ă l'abbaye royale de Saint-AndrĂ©-le-Haut, Ă Vienne en Dauphine; 8° le 9 octobre 1754, Agathe-AngĂ©lique de Baillard de Beaurevoir. Nulle famille n'a payĂ© un plus lourd tribut Ă l'Ă©chafaud. L'aĂźnĂ©, Jean-Jacques Baillard, comte de Troussebois l, parut dans les assemblĂ©es de la noblesse en 1789, pour des biens situĂ©s dans les chĂątellenies d'Ainay et de Billy. Le cadet, Jean-CĂ©sar-Martial de Chervil, y fut aussi prĂ©sent. Au moment de la RĂ©volution, pendant que Troussebois remplissait une mission, Ă la cour de Sardaigne, Chervil vint avec sa soeur, Louise-Madeleine Baillard des Combeaux, habiter la Motte-Mourgon. en la paroisse de Magnet, district de Cusset 2. Troussebois ayant Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme Ă©migrĂ©, ses biens furent mis sous sĂ©questre et sa maison sous scellĂ©s; on le voit Ă la sĂ©ance du 29 novembre 1792 du directoire du district, oĂč Garaud, receveur de l'enregistrement, Ă©tant venu raconter sur des bruits que le mobilier avait Ă©tĂ© enlevĂ©, on nomma pour vĂ©rifier le fait Bilhaud et Gontier 3. 1. Jean-Marcellin Baillard des Combeaux, son pĂšre, Ă la suite de son mariage avec dame Madeleine de Troussebois de Chervil, avait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă relever le nom et les armes des Troussebois. " 2. La Mothe-Mourgon, aujourd'hui propriĂ©tĂ© de M. Rigal, de Montpellier, avait appartenu aux Coligny-Saligny. Echue Ă RenĂ© Bardon, Ă©cuyer, sieur du MĂ©age, elle fut vendue en 1721 Ă Alexis Robert, Ă©cuyer du duc d'OrlĂ©ans, et en 1730 acquise par Jean-Marcellin Baillard, gentilhomme originaire du Velay. 3. Le citoyen Garaud, receveur de l'enregistrement, est venu annoncera l'administration qu'il soupçonnait que les scellĂ©s, apposĂ©s dans la maison de l'Ă©migrĂ© Troussebois, n'avaient pas Ă©tĂ© respectĂ©s et qu'il craignait d'aprĂšs divers bruits qui se rĂ©pandent que les effets de cet Ă©migrĂ© n'eussent Ă©tĂ© enlevĂ©s et conduits nuitamment dans des maisons tierces ; il a donnĂ© quelques renseignements qui paraissent justifier ses soupçons. L'administration, dĂ©libĂ©rant sur la pĂ©tition du citoyen Garaud, considĂ©rant qu'elle est chargĂ©e de surveiller les propriĂ©tĂ©s des Ă©migrĂ©s dĂ©clarĂ©es nationales par la loi, et qu'il est important de vĂ©rifier promptement les bruits qui se rĂ©pandent l66 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE La vente est annoncĂ©e pour le 13 mai 1793. Le 8, Baillard-Chervil et la citoyenne Baillard-Descombeaux, sa soeur, demandent Ă . rester Ă La MottĂ©-Mourgon. jusqu'aprĂšs, la vente du mobilier de l'Ă©migrĂ© Baillard,. leur frĂšre». rĂ©pond qu'il n'y a pas lieu Ă dĂ©libĂ©rer, les pĂ©titionnaires se trouvant dans l'un des cas prĂ©vus par l'arrĂȘtĂ© du conseil .gĂ©nĂ©ral du, dĂ©partement au 18 de ce mois 1 ». Deux mois aprĂšs, on s'en prend aux personnes. Le 24 juillet 1793, .Givois,.le procureur syndic du district, donne avis au comitĂ© de surveillance publique que Baillard-Chervil, frĂšre de l'Ă©migrĂ© Troussebois, tient journellement des [propos] inciviques qui tendent Ă troubler l'ordre public; il publie que la. Convention a dĂ©truit la religion, que les rebelles de la VendĂ©e se proposent de la rĂ©tablir ; il vante beaucoup .les* villes qui ont insurgĂ© contre la Convention ; il cherche Ă faire croire, que le succĂšs de la mauvaise cause est infaillible., que tous les dĂ©putĂ©s qui ont votĂ© la mort de l'infĂąme Capet, mĂ©ritent d'ĂȘtre suppliciĂ©s. suivies faits le juge Dufloquet, le citoyen Mativet, levicaire GoĂ»te', la domestique d'Artaud, nĂ©gociant, celle de Fontbouillant et les autres personnes que ces tĂ©moins indiqueront. Telles sont les dĂ©nonciations qui ont Ă©tĂ© faites au procureur syndic ; il prie le comitĂ© vĂ©rifier dans le jour ; et a signĂ© .F. Givois. » Givois Ă lui seul pouvait faire guillotiner M. de Chervil 2. Mais sur l'enlĂšvement du mobilier Troussebois; aprĂšs avoir entendu le procureur-syndic, a arrĂȘtĂ© que les citoyens Bilhaud et Gontier, administrateurs, se transporteront le plus promptement possible Motte-Mourgon pour y constater l'Ă©tat actuel des scellĂ©s, s'assurer s'ils n'ont pas Ă©tĂ© forcĂ©s et altĂ©rĂ©s de quelques maniĂšres que ce soit; faire, s'il est besoin, le rĂ©colement de l'inventaire, recevoir les dĂ©clarations de ceux qui auront connaissance de quelques enlĂšvements ou autre voie de fait exercĂ©s sur la propriĂ©tĂ© nationale de l'Ă©migrĂ© Troussebois; Ă cet effet, autorise lesdits commissaires Ă se faire assister de la gendarmerie nationale et Ă requĂ©rir, s'ils le jugent Ă propos, la force publique pour l'exĂ©cution de leur mission. » {Registre du directoire de Cusset, p. 17. 1. Fournier, administrateur du district, avait Ă©tĂ© chargĂ© de surveiller la vente des meubles du comte de Troussebois. Mais on le nomme commissaire du dĂ©par- tement de l'Allier. Le 14 mai, on le remplace par Mure, autre membre du district, 2. Givois, dit l'opuscule Crimes connus des principaux terroristes de [Cusset, p. 19, livrait au tribunal rĂ©volutionnaire tous ses ennemis ; et des notes envoyĂ©es Ă Fouquier-Tinville dispensaient de tĂ©moins. Cet envoi de notes est prouvĂ© par le rapport de ceux qui ont vu la lettre Ă©crite au sujet de Baillard, dans laquelle Givois disait Ă Fouquier-Tinville Voici les prĂ©mices de notre contingent » ; parce qu'il dit aprĂšs la condamnation de Dubost, que des notes suffisaient et qu'il ne fallait pas de tĂ©moins, et par ce qu'il dit encore chez Virotte Que faites-vous de cette vieille B... de Dupuis Lajarousse? Voulez-vous la faire guillotiner? Son affaire UNE FAMILLE SOUS LA; TERREUR ^n pour ĂȘtre plus sĂ»r du succĂšs, il employait son oncle Pierreioresl tier. C Ă©tait lui qui avait dĂ©couvert le domicile-de M de Trousse 12, page 54 du Secret des horreurs commises dans le district l'affirme Givois. a dit souvent que Forestier son. oncle, avait dĂ©couvert la. maison qu'habitait Troussebois xi que bientĂŽt il disparaĂźtrait du sol de la libertĂ©. » A eux deux ils croient venir Ă bout de leurs victimes. Le 5 aoĂ»t 1793, Forestier Ă©crit de Paris au citoyen Julien de Toulouse, qui faisait alors partie du comitĂ© de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale deâą la Convention Revenu depuis hier, mon-cher collĂšgue, je me suis empressĂ© de venir Ă ce comitĂ© demander des nouvelles de l'affaire ci-jointe ; il a fallu bien du temps pour la retrouver .âą ^elle me paraĂźt trĂšs grave. Je te prie de l'examiner et de faire prendre par le comitĂ© les mesures nĂ©cessaires et plus promptes â FORESTIER. » Toutefois il faut croire que Julien n'avait pas autant Ă coeur la mort du malheureux car on ne se pressait pas d'envoyer Chervil a l'echafaud ; et lui, qui ne savait trop ce qu'on lui voulait demande sa mise en libertĂ© au comitĂ© de Cusset. Le .24aoĂ»t 1703' le comitĂ©, considĂ©rant que le comitĂ© gĂ©nĂ©ral de la Convention est saisi de cette affaire et qu'il demande copie de toutes les piĂšces », dĂ©clare qu'il n'y a pas lieu de dĂ©libĂ©rer jusqu'Ă la rĂ©ponse, du comitĂ©. Mais le service des gendarmes Ă©tant nĂ©cessaire auprĂšs des commissaires chargĂ©s de la vente du mobilier de Busset il arrĂȘte que le commandant de la garde nationale dĂ©signera chaque jour un garde national qui remplacera la gendarmerie-chargĂ©e de garder Baillard-Chervil, lequel sera tenu de payer ladite garde Ă raison de cent sous par 24 heuresâ SignĂ© Brizard, Garaud, Poucet, F. Givois, procureur syndic, et Brunet, secrĂ©taire. » ..... Six jours aprĂšs, nouvelle demande du prisonnier. 11 trouve quepayer cent sous, par jour le plaisir d'ĂȘtre tenu -en charte privĂ©e mĂȘme par un garde national Ă la place d'un gendarme, c'est un peu cher, d'autant qu'il n'a, rien pour Alors le comitĂ© dĂ©libĂ©rant sur la pĂ©tition prĂ©sentĂ©e par le citoyen Baillard-Chervil' tendant Ă .obtenir qu'il ne soit pas .gardĂ©, Ă vue, sous la cautionqu il a prise de sa personne de celle du citoyen Bouquet, un des notables de ..cette. ville ; le comitĂ©, considĂ©rant l'extrĂȘme dĂ©tresse du citoyen Baillard-Chervil ; considĂ©rant qu'il n'a d'autre but que sera bientĂŽt faite. J'ai deux hommes dans ma manche. » Sans doute Dumas et rouquier-Tinville. l68 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE de veiller Ă la sĂ»retĂ© publique en s'assurant des personnes suspectes et non de fatiguer les individus par des moyens rigoureux et vexatoires ; considĂ©rant qu'il peut exercer une surveillance sans frais sur le citoyen Chervil, arrĂȘte en consĂ©quence, sans qu'il soit mĂȘme besoin de caution, que Baillard-Chervil cessera d'ĂȘtre gardĂ© Ă vue, se rĂ©servant le comitĂ© tous les moyens de surveillance que la sagesse lui suggĂ©rera. Signe Boudai, Poncet, Garaud et GoĂ»te, secrĂ©taire ». Cette mansuĂ©tude n'Ă©tait qu'un accident. Le 8 octobre 1793, parut un arrĂȘtĂ© du comitĂ© de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale de la Convention qui dĂ©cide que le nommĂ© Baillard-Chervil, dĂ©tenu chez lui en la ville de Cusset, sera traduit devant un tribunal rĂ©volutionnaire. Le 13, le comitĂ© de Cusset le fait conduire Ă Paris par la gendarmerie. SignĂ© Gaspard Saint-Quantin, Arlouin, Poncet, Marpon, Garaud, Brunet. On a assignĂ© comme tĂ©moins contre Baillard-Chervil et sa soeur, contre Baillard-Troussebois qu'on avait aussi arrĂȘtĂ© dans le mĂȘme temps Ă Paris i° Germain Mativet, 31 ans, aubergiste et membre du comitĂ© de surveillance de Cusset, demeurant Ă Busset; 20 Jacques Corps, 40 ans, brigadier de gendarmerie du dĂ©partement de l'Allier ; 30 la citoyenne Anne Meunier, 40 ans, femme de Fontiance, maĂźtre de poste Ă Cusset ; 40 Charles-Pierre Amelot, 33 ans, officier de santĂ© Ă Cusset ; 50 GenĂȘt Goutte, 28 ans, demeurant actuellement Ă Paris, Ă©tudiant en chirurgie ; 6° Bias Dufloquet, 42 ans, juge du tribunal au district de Cusset; 70JeanBaptiste Durand, 28 ans, instituteur Ă Cusset ; 8° Antoine SainteMarthe, 35 ans, ci-devant procureur au ci-devant ChĂątelet Ă Paris, demeurant Ă Paris. Voici la lettre que, de Cusset, le 9 pluviĂŽse, an II de la RĂ©publique une et indivisible », F. Givois Ă©crivait Ă l'accusateur public du tribunal rĂ©volutionnaire pour lui recommander ses tĂ©moins et aussi les prĂ©venus Je te renvoie, citoyen, la cĂ©dule relative au royaliste Baillard-Cherville et l'original de l'assignation que j'ai fait donner Ă sept tĂ©moins, pour le 17 pluviĂŽse. Tous se disposent Ă partir, et je crois que leurs dĂ©positions orales seront infiniment plus concluantes que celles Ă©crites. Tu verras sans difficultĂ© un conspirateur dans ce fanatique ex-noble ; il avait des relations trĂšs frĂ©quentes avec son frĂšre Baillard-Troussebois, Ă©migrĂ© rentrĂ© que tu tiens dans la geĂŽle ; ils s'Ă©crivaient des lettres mystiques et Ă double sens, que je tĂącherai de me procurer et de te faire passer le plus tĂŽt possible. Parmi les tĂ©moins que je t'envoie, deux connaissent Troussebois et te serviront pour le mettre de suite en UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 169 jugement ; ces deux tĂ©moins sont Germain Mativet et CharlesPierre Amelot 1, mĂ©decin ; ainsi tu pourras faire danser les deux frĂšres Ă la fois et les faire juger le mĂȘme jour car il y a une liaison intime entre eux je dis une liaison, parce que la seule correspondance de Cherville avec son frĂšre, Ă©migrĂ© rentrĂ©, suffira pour motiver sa condamnation, indĂ©pendamment de ses propos contrerĂ©volutionnaires. L'huissier Duchon, qui a donnĂ© les assignations, est un bon sans-culotte, pĂšre de volontaire, qui s'en rapporte Ă toi pour ses honoraires; Mativet, l'un des tĂ©moins, est chargĂ© de recevoir la somme que tu arbitreras... » On eut Ă©gard Ă ces instances, et Fouquier-Tinville sut faire danser les deux frĂšres Ă la fois », avec la soeur aussi, et la fille et le gendre. Le 15 pluviĂŽse 3 fĂ©vrier, dans son acte d'accusation, il s'exprimait ainsi Cherville est Ă©videmment le complice de Troussebois, son frĂšre. C'est lui qui Ă©tait le centre de ses correspondances dans l'intĂ©rieur. C'Ă©tait lui qui recevait toutes les lettres de Troussebois, pour lui et les autres individus avec lesquels il correspondait ; c'Ă©tait lui qui recevait, payait, administrait, gĂ©rait et lui faisait passer des fonds Ă Turin ou ailleurs ; c'Ă©tait encore lui qui s'Ă©tait chargĂ© de tromper la surveillance des autoritĂ©s constituĂ©es sur les trames, complots et conspirations de son frĂšre, en faisant valoir comme une absence lĂ©gitime son Ă©migration contre-rĂ©volutionnaire et liberticide. C'est au moment de sa rentrĂ©e en France que Troussebois surtout fit faire le plus de dĂ©marches. J'avais, Ă©crit-il Ă sa femme, chargĂ© Jeannette de quelques lettres pour mettre Ă la poste quand elle serait arrivĂ©e atix frontiĂšres. Il y en avait, je crois, une pour le chevalier dont je comptais trouver la rĂ©ponse ici. Mais je n'en ai point trouvĂ© ; je lui ai Ă©crit hier, en lui envoyant des passeports que j'avais eus pendant deux annĂ©es de suite, pour sortir du royaume et vaquer aux diffĂ©rentes affaires que j'avais Ă Turin. Je comptais lui envoyer aussi d'autres papiers que j'attendais de mon fermier de La Motte, que je n'ai pas encore reçus, qui sont un certificat des affaires Ă©trangĂšres Ă Turin, qui atteste que je n'ai pas bougĂ© de ladite ville, oĂč j'Ă©tais pour mes affaires. » MalgrĂ© les voyages Ă Milan et de Paris. 1. Amelot, administrateur, fut destituĂ© comme modĂ©rĂ© par les terroristes ; il ne se vit accolĂ© au sanguinaire Mativet que parce qu'on avait formĂ© le projet de le faire arrĂȘter Ă Paris ; mais, instruit par ses amis, il eut le rare bonheur d'Ă©chapper Ă la rage de ses persĂ©cuteurs. 17© REVUE DU MONDE CATHOLIQUE D'autres lettres attestent les intrigues, les manoeuvres, les dĂ©marches de tous genres, employĂ©es par Chervil pour circonvenir -et tromper les dĂ©positaires de l'autoritĂ© et jusqu'aux reprĂ©sentants du-peuple, pour rĂ©intĂ©grer ledit Troussebois dans ses propriĂ©tĂ©s, -malgrĂ© les connaissances qu'il avait non seulement de son Ă©migration,- mais encore de ses trames, complots ' et conspirations contre la nation française. C'est lui qui, aprĂšs avoir retardĂ© la vente du mobilier de Troussebois Ă La Motte, par l'ordre qu'il en avait obtenu du traĂźtre Roland, employait encore, lorsque le sursis a Ă©tĂ© levĂ©, -de-nouvelles intrigues pour rendre cette vente sans produit" pour la nation, en s'en faisant remettre la plus grande partie du prix -au-nom de la belle-mĂšre de Troussebois, sa soeur et lui, ainsi que le constate sa lettre du 31 juillet dernier ; enfin une note Ă©crite de sa main prouve qu'il entretenait une correspondance avec le nommĂ© Regnault, major de la-place de Turin. . D'autres faits Ă©tablissent encore la haine de Chervil pour la libertĂ© et l'Ă©galitĂ©, et dĂ©montrent ses complicitĂ©s dans les trames de son frĂšre. Il n'a jamais renoncĂ© Ă ses dĂ©nominations de l'aristocratie et de la- fĂ©odalitĂ© que les lois ont proscrites. Dans' lĂ©s lettres qu'il Ă©crivit Ă sa belle-soeur Troussebois, pour lui faire passer celles qu'il recevait de Turin en '1792,- il ne prenait d'autre titre que le chevalier,- et les -adressait par suscription Ă M. lĂ© comte de Troussebois ». Enfin Chervil, chef d'escadron Ă©ni'789, a quittĂ© le service en-1790,-Ă -cause du serment alors exigĂ© par la loi. A Cusset,-oĂč Chervil rĂ©sidait; il manifesta; le 23 juillet dernier, ses opinions liberticides en prĂ©sence dĂ© plusieurs tĂ©moins en dĂ©clarant que les-rois ne tenaient leur puissance que de Dieu ; que le peuple n'avait pas le droit de lĂ©s juger et de les punir ; que la Convention, en dĂ©truisant les rois, dĂ©truisait la loi et Dieu, que les rebelles de la VendĂ©e venaient'rĂ©tablir la religion'; que tous les-reprĂ©sentants du-peuple qui avaient votĂ© Ta mort du tyran seraient eux-mĂȘmes punis de mort; applaudissant Ă la' rĂ©bellion de Lyon, Ă la dissolution de la sociĂ©tĂ© populaire-de Montbrison, dont il rĂ©pandait la nouvelle, ce qui a donnĂ© ;liĂ©u Ă une dĂ©nonciation contre lui-de la part-des autoritĂ©s constituĂ©es de Cusset. Dans ces entrefaites il a reçu une lettre de son frĂšre qui lui dit, en lui parlant dĂ©s dĂ©marches qu'il fait pour-le faire rĂ©intĂ©grer dans'ses biens, qu'il y a des dĂ©tails qu'il ne peut faire dans une lettre. Cette lettre renferme des expressions figurĂ©es que l'on a voulu attribuer Ă des opĂ©rations chimiques....parce que. l'on y parle de, .-ouvrir^ dont,;deux sont, 4fi-pĂąte-,. mais donfcfe troisiĂšme Ă©tait-devenu UNE FAMILLE. SOUS LA TERREUR I 71 rouge, expressions assez indiffĂ©rentes et approfondies d'aprĂšs l'es preuves multipliĂ©es de la complicitĂ© de Chervil avec son' frĂšrĂš'r » Ce que l'accusateur reproche surtout Ă Chervil, on le voit, c'est d'avoir essayĂ© de sauver les biens et la vie de son frĂšre. En d'autres temps on admire, on loue, on rĂ©compense ces beaux exemples de dĂ©vouement fraternel. Le 19 pluviĂŽse 9 mars, les juges Herman, Foucault, Denizot et Subleyras, les jurĂ©s Auvrest, Compagne, Fouvetty, Payan, Gravier, Thounin, Dix-AoĂ»t, Garnier, Trinchard, Dufour et Martin, sur le rĂ©quisitoire de Liendon dĂ© Cusset,-substitut/'et malgrĂ© Tronçon-Ducoudray et Lafleuterie, dĂ©fenseurs, prononcĂšrentque cela mĂ©ritait la mort et envoyĂšrent Ă rĂ©chafĂ ud le chef d'escadron du rĂ©giment du Languedoc, convaincu d'avoir correspondu avec son frĂšre, le colonel du rĂ©giment d'AngoulĂȘme. II AprĂšs lĂ© frĂšre, la soeur. ' "' Louise-Madeleine Baillard des Combaux eut le malheur d'habiter prĂšs de Cusset et d'ĂȘtre ainsi en la puissance de François Givois. Que pouvait-on reprocher Ă cette femnie dĂ© cinquante-deux ans ? Dans son acte d'accusation, Fouquier-Tinville ne relĂšve, que ce grief son frĂšre Troussebois avait l'intention de la prier de venir' Ă la frontiĂšre chercher sa niĂšce, qui voulait se marier malgrĂ© son pĂšre, et d'avoir reçu de l'argent de son autre frĂšre Chervil Des Combeaux, dit-il, soeur de Troussebois, est convaincue d'avoir entretenu des intelligences et correspondances avec lui ; elle Ă©tait chargĂ©e, Ă La Motte, des intĂ©rĂȘts de Troussebois et lui faisait passer de l'argent. La Descombaux, dans la lettre du 4 juin 1792,, mande que tu lui aurais Ă©crit que tu partirais de la province le 22 du mois dernier. » Plus bas, il ajoute Si la Descombaux, Ă qui j'Ă©cris par ce courrier, pouvait venir chercher ma fille au pont Beauvoisin oĂč je la conduirais/» Dans celle du 24 du mĂȘme mois, il Ă©crit Ă Chervil Je viens de recevoir la rĂ©ponse de la Descombaux, qui serait venue bien volontiers au pont Beauvoisin chercher sa-niĂšce. ». "'âą-' Enfin, outre ces-correspondances, on voit la Descombaux se faire remettre par Chervil une sommĂ© de '2430 francs'sĂčĂŻ lĂ vente du mobilier appartenant Ă Troussebois dans son domaine de La Motte. » Le total s'Ă©tait Ă©levĂ© Ă livres. M 172 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Tout cela se rĂ©sume en un mot Mlle des Combaux Ă©tait soeur de Chervil et de Troussebois, dont on voulait la mort parce qu'on convoitait leurs biens. Elle vivante ou sa niĂšce, il y avait des hĂ©ritiers naturels et une partie des propriĂ©tĂ©s Ă©chappait Ă l'aviditĂ© des bourreaux, si cette victime Ă©vitait la hache ! Voici la lettre que, le 16 pluviĂŽse an II 4 fĂ©vrier 1794, le lendemain du jour oĂč Fouquier dressait son acte d'accusation, Ă©crivait de Cusset au comitĂ© de surveillance de Moulins François Givois, qui mit tant de zĂšle dans cette affaire je reçois Ă l'instant de l'accusateur public du tribunal rĂ©volutionnaire de Paris l'ordre d'y faire conduire sur-le-champ, en poste, la femme Descombeau,, soeur de l'Ă©migrĂ© Troussebois ; il faut qu'elle arrive le 18 au soir, pour ĂȘtre jugĂ©e le 19 avec Troussebois, Chervil, etc.; je vous conjure de remettre sur-le-champ cette femme au gendarmĂ© Dehay,' qui est chargĂ© de la conduire Ă Paris, et de lui faire fournir des chevaux de poste. De la promptitude, citoyens, de la promptitude. â- F. Givois. » On usa de promptitude, en effet. La lettre du 16 arrive Ă Moulins le 17. Ce jour mĂȘme, Mlle des Combaux part de Moulins. Le surlendemain, Ă dix heures, elle paraissait devant le tribunal rĂ©volutionnaire. L'interrogatoire fut court ; on Ă©tait pressĂ©. Si elle avait Ă©tĂ© en correspondance avec son frĂšre Ă Turin. â Oui. â Si, lors de la vente du mobilier Ă La Motte-Mourgon, elle ne s'Ă©tait pas rĂ©servĂ© une somme de deux mille et quelques livres. â Oui, parce qu'elle y a Ă©tĂ© autorisĂ©e par l'administration et qu'elle Ă©tait hĂ©ritiĂšre de son pĂšre pour sa lĂ©gitime. » Et aussitĂŽt elle s'entendait condamner Ă mort. Certes les mots ont perdu leur sens, si ce n'est pas lĂ un assassinat. III Ce n'Ă©tait pas assez du frĂšre cadet et de la soeur. Il fallait aine. L'aĂźnĂ©, c'Ă©tait Jean-Jacques Baillard des Combaux, sieur de La Motte, comte de Troussebois, nĂ© en 1720. Lieutenant au rĂ©giment de Monsieur le 9 dĂ©cembre 1755, capitaine le 3 aoĂ»t 1758, colonel le 7 avril 1773, commandant le rĂ©giment de Savoie le 26 avril 1775, plus tard rĂ©giment d'AngoulĂȘmeinfanterie, il avait Ă©tĂ© fait brigadier le 5 septembre 1781, mestrede-camp le 22 novembre 1785 et marĂ©chal-de-camp le 9 mars 1788. UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 173 Il avait reçu une blessure en Allemagne, Ă Eberfeld, en 1759, avait fait la campagne de Corse en 1768-69, et obtenu la croix de Saint-Louis le 6 fĂ©vrier 1774. Une lĂ©gende lui fait jouer un rĂŽle peu honorable au siĂšge de Longwy par les Prussiens en 1792. Un historien local, le docteur Gigon, a racontĂ© dans Les victimes de la Terreur dans le dĂ©partement de la Charente 1866, cet Ă©pisode Ă©mouvant qui eut de si funestes suites. Le comte Baillard de Troussebois Ă©tait colonel au rĂ©giment d'AngoulĂȘme et avait pour major M. Lefebvre de Buffon. Son rĂ©giment avait l'esprit royaliste de son chef. Il se trouvait, en 1792, dans la place de Longwy, la premiĂšre exposĂ©e aux coups du duc de Brunswick. Le commandant Ă©tait M. de LavergneChamplaurier, qu'on Ă©tait allĂ©, le 27 mai 1792, tirer de sa retraite de Champlaurier, prĂšs de Saint-Claud, en Angoumois, oĂč il s'Ă©tait retirĂ© deux ans auparavant, avec le grade de capitaine du rĂ©giment de Rouergue-infanterie. On l'avait fait lieutenant-colonel, et le marĂ©chal Luckner lui avait confiĂ© Longwy, le 13 aoĂ»t, au refus du gĂ©nĂ©ral Berruyer, qui n'avait pas voulu exposer dans cette bicoque ses quarante honorables annĂ©es de service. Les fortifications, en effet, qui depuis Vauban n'avaient pas Ă©tĂ© rĂ©parĂ©es, tombaient de vĂ©tustĂ©; les fossĂ©s Ă©taient Ă moitiĂ© comblĂ©s. De plus, la garnison n'avait avec le rĂ©giment d'AngoulĂȘme que trois bataillons de volontaires un de la CĂŽte-d'Or, deux des Ardennes, soldats braves mais inexpĂ©rimentĂ©s, quarante-quatre cuirassiers, en tout deux mille cinq cents hommes. L'artillerie se composait de soixante-dix piĂšces avec de mauvais affĂ»ts, et les canonniers Ă©taient si peu nombreux que les servants devaient s'occuper de plusieurs piĂšces Ă la fois. La situation Ă©tait extrĂȘmement difficile. Aussi, quand le malheureux colonel Lavergne se fut rendu compte de sa position, il s'Ă©cria Je suis un homme sacrifiĂ© » ; c'est dans ces conditions qu'il fallait rĂ©sister Ă soixante-dix ou quatre-vingt mille Prussiens. La place fut investie et les ouvrages extĂ©rieurs occupĂ©s, le 18 aoĂ»t. Le 21, un parlementaire somma la place de se rendre, et sur le refus du commandant, le bombardement commença. Le feu prit sur trois points Ă la fois; six femmes furent tuĂ©es. Les secours promis par Luckner n'arrivaient pas, les habitants murmuraient. Lavergne fit mettre hors des remparts les femmes, les vieillards et les enfants, et menaça de pendre ceux qui parleraient de capitulation. Les notables de la ville, le colonel du rĂ©giment d'AngoulĂȘme, les officiers, lui firent des reprĂ©sentations inutiles. Le dĂ©couragement Ă©tait partout. Les soldats du rĂ©giment d'AngoulĂȘme, au 174 âą REVUE DU MONDE CATHODIQUE ;'m'oins .le Ier bataillon; -refusaient de tirer sur lĂšs Prussiens. Troussebois, dĂšs le commencement, voyant l'Ă©tat-de lĂ -place, avait refusĂ©le commandement, puis Ă©tait parti en poste" pour demander qu'on fĂźt sortir'ses hommes, voyant bien que c'Ă©tait les 1 sacrifier inutilement. Lavergne,-dans son 1 adresse -aux Français publiĂ©e-au Moniteur- pour sa dĂ©fense, ne l'a pas mĂ©nagĂ© Il n'est" pas, Ă©crivit-il, de mauvais conseils, d'avis faux, d'insinuations perfides, idont'il. ne ;iw'ait entourĂ©. Je puis dire qu'il Ă©puisa Ă mon Ă©gard toutes lĂšs ressources de la perfidie. » Ces accusations sont graves. Peut-ĂȘtre n'y faut-il-'voir que l'exagĂ©ration naturelle Ă -un soldat malheureux et Ă JĂčn prisonnier qui - cherche Ă se justifier. DĂ© l'avis'Unanime, Longwy ne pouvait ĂȘtre -dĂ©fendu. Le colonel d'AngoulĂȘme partagea les sentiments de tous les gens du capitulation fut signĂ©e le 23 courant. Le duc de Brunswick accorda les honneurs militaires Ă la garnison, qui sortit avec amies et bagages. Les esprits Ă©taient singuliĂšrement excitĂ©s et l'Ă©poque" troublĂ©e. 'Avec -les dispositions naturelles 1 des 'Français-Ăźquine Veulent pas croire Ă la dĂ©faite, on arriva-vite Ă criera la trahison. L'AssemblĂ©e nationale attribua cette reddition Ă la lĂąchetĂ©. VĂ©rgniaud, le-27 aoĂ»t Moniteur du 29, se-dĂ©chaĂźna contre la garnison ef les habitants avec-une violence souverainement injuste. ; Le -26, le ministre de la guerre ordonna de juger ma'rtialement les lĂąches qui ont rendu Longwy », et Lavergne, arrĂȘtĂ©,;fut 4Ă©fĂ©rĂ©,-le 30, Ă une cour martiale Moniteur du iel" septembre. Louis-François Lavergne fut enfermĂ© Ă Langres. Il publia au Moniteur du 30 septembre 1792, "ri 0 274, son apologie. Elle Ă©tait âą complĂšte. On- comptait- que lĂšs tribunaux militaires ne" le condamneraient pas ; if fut-donc traduit devant le jury, Ă Troyes ; niais il Tut absous Ă 1;UnanimitĂ©.' Cependant, eOhtre toute loi,-on le garda ensprison ppUis-il-fut-MtĂšrnĂ© d'abordĂ TrĂŽyes, ensuite Ă 'AngĂŽuTĂȘme. Mais!le-tribu'ilĂąlfĂ©voiĂčtio\ĂŻnĂąire,;créé par le 1 dĂ©cret des 10 et i2 mai> 1793,-le fit arrĂȘter et conduire 'Ă -Paris. -Le 31 mai 1794 2 germinal rĂąli II, il fut-apportĂ©, expirant, sur un matelas Ă l'au-dĂŻenee du sanglant pourvoyeur de l'Ă©chĂ faud, et sans qu'il pĂ»t comprendrez une question ou rĂ©pondre un mot, il fĂ»t condamnĂ© Ă itn'ĂŽ'ft - comme -auteur ou complice d'une conspiration -contre le âąpĂšuplfefrançais, *Ă«n!ehtretĂ©nant des intelligences avec lĂšs ennemis pour-leur livrer-tĂ©s villes frontiĂšres -et notamment Ltihgwy, et favoriser ainsirinvĂ siondutefiitoirĂ« français»Jll avait cinquante-quatre ans. Sa jeune Ă©pouse. Victoire 'RĂ©silier, d'AngoulĂȘme, -q'ui avait UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 175 montrĂ© un pour dĂ©fendre sou mari et n'avait pu obtenir dĂ©partager son cachot, voulut partager sa mort. A la; porte -du tribunal, elle cria . Roi ! » AmenĂ©e aussitĂŽt-devant les juges, elle rĂ©pĂ©ta son cri. C'Ă©tait assez. Quelques'heures aprĂšs, elle eut la joie de monter sur la fatale charrette oĂč son mari, un peu de paille, Ă©tait conduit Ă la guillotine..DĂ©vouement sublime âąque nous admirerions Mme Lavergne avait un ou romain. L'erreur est flagrante pour Troussebois il n'Ă©tait pas Ă Longwy. Fouquier-Tinville, dans son rĂ©quisitoire, n'eĂ»t pas manquĂ© de rappeler cette charge et d'ajouter ce crime Or, il constate sa prĂ©sence hors de France jusqu'Ă la fin de 1792. De plus, le ier bataillon sçul du rĂ©giment d'AngoulĂȘme Ă©tait Ă Longwy ; le 2e en AmĂ©rique depuis le commencement de 1792; enfin, d'aprĂšs Y Ătat militaire de 1792, c'Ă©tait le colonel de Bisson qui commandait la partie du rĂ©giment rentrĂ©e en France; le lieutenant-colonel Ă©tait, de Montfort. * * * Le comte de Troussebois s'Ă©tait, aprĂšs sa mise -Ă la retraite, retirĂ©e dans ses propriĂ©tĂ©s de l'Allier. Mais il n'y pouvait rester inaperçu. Riche, titrĂ©, gĂ©nĂ©ral, il deyait ĂȘtre suspect. Il habitait La Motte-Mourgon ; .c'Ă©fait bien prĂšs de Cusset, qui fut un des foyers rĂ©yolufio-nnaires du dĂ©partement de l'Allier,. A lui seul, Cusset envoya Ă autant de victimes que les trois autres districts-du dĂ©partement. DĂšs le mois d'octobre 1789, les persĂ©cutions commencĂšrent contre le chĂątelain de La Motte-Mourgon. Le 19, il Ă©crit au ministĂšre de la guerre cette lettre Monsieur le comte, J'ai informĂ© hier M. le comte de des excĂšs auxquels s'Ă©tait portĂ©e visĂ -vis de moi la populace de Cusset, en venant, il y a deux jours, me surprendre Ă main armĂ©e et fouiller mon chĂąteau depuis la cave jusqu'au grenier, en me forçant de lui ouvrir toutes mes armoires, mes commodes, tiroirs et secrĂ©taires, sous prĂ©texte, disaient-ils, que j'avais beaucoup de poudre et autres munitions, que j'avais mĂȘme fait enterrer toutes celles qui Ă©taient, Ă Cusset et autres endroits des environs. Cette troupe, qu'on a d'abord prise pour des voleurs et des bandits, a jetĂ© l'alarme dans le canton, d'autant qu'on dĂ©bitait qu'on venait brĂ»ler et dĂ©molir mon chĂąteau et mĂȘme me couper la tĂȘte, car cette cĂ©rĂ©monie devient fort Ă la mode, j'ai su, depuis, qu'on avait rĂ©pandu encore que j'avais icy une vingtaine de 176 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE canons de cachĂ©s, que j'Ă©tais grand partisan du comte d'Artois, que j'agissais de concert avec lui, et qu'il Ă©tait depuis trois jours avec moi et incognito, et qu'enfin je devais aller avec lui et de concert avec lui attaquer et dĂ©truire la ville de Cusset. C'est avec de pareilles extravagances et absurditĂ©s qu'on soulĂšve et qu'on arme l'imbĂ©cile crĂ©dulitĂ© du peuple. J'espĂšre que cela n'aura pas d'autres suites; cependant, je ne puis me flatter de rien. J'apprends mĂȘme en ce moment des circonstances qui doivent diminuer ma sĂ©curitĂ©, et le bruit court aussi qu'ils doivent aller dans plusieurs autres chĂąteaux, ce qui paraĂźt un nouveau feu que l'on souffle et que l'on vient de nouveau rallumer dans le royaume. A tout Ă©vĂ©nement, je vous prie, Monsieur le comte, de vouloir bien m'obtenir du roy la permission de passer en paĂŻs Ă©tranger et m'accorder un passeport en consĂ©quence. Je suis avec respect, Monsieur le comte, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur. C 10 DE TROUSSEBOIS, Au chĂąteau de la Motte-Mourgon, par Saint-Gerand-le-Puy, en Bourbonnais, le 19 octobre 1789. Demeurer, c'Ă©tait les tourments, l'inquiĂ©tude, les alertes continuelles, c'Ă©tait le pillage, l'incendie, la mort; partir, c'Ă©tait la trahison, le complot, l'inscription sur la liste des Ă©migrĂ©s, la confiscation, la misĂšre, et Ă l'occasion l'Ă©chafaud. On comprend que, devant cette alternative, beaucoup de gens aient hĂ©sitĂ© et que la fuite ait Ă©tĂ© pour beaucoup une nĂ©cessitĂ© la moins dangereuse ; on s'explique ainsi l'Ă©migration. Troussebois ne profita pas de ses passeports. Il croyait Ă une bourrasque, et qu'Ă force de patience, de bontĂ©, de prudence, de condescendance, de modĂ©ration, et secondĂ© par les officiers de la milice nationale, il parviendrait Ă calmer l'orage, Ă dissiper les prĂ©ventions. Il se trompait la haine, la mauvaise foi, ne dĂ©sarmeront pas. Une seconde lettre, datĂ©e de Saint-Gerand-le-Puy, le 18 dĂ©cembre 1790, nous le montre en butte aux mĂȘmes attaques Monsieur, Votre prĂ©dĂ©cesseur dans le ministĂšre de la guerre avait Ă©tĂ© informĂ© des dangers que j'ai encouru, il y a environ an an, par la populace d'une petite ville de ces environs, que des gens mal intentionnĂ©s avaient soulevĂ©e contre moi et qui Ă©tait venue pour abattre mon chĂąteau et me couper la tĂȘte, sous prĂ©texte, disait-on, que j'Ă©tais des partisans de la reine et surtout du comte d'Artois, qu'on disait alors ĂȘtre cachĂ© dans mon chĂąteau depuis quelques jours et oĂč j'avais une provision de canons et de munitions de guerre; et enfin cent autres absurditĂ©s pareilles qu'il serait trop long et inutile de vous rĂ©pĂ©ter ici. Je n'Ă©chappai Ă leur rage que par un coup de la Providence et aprĂšs avoir Ă©tĂ© conduit, le pistolet sur la gorge, de la cave au grenier pour montrer tous les coins et recoins de ma maison. Pour me soustraire, si le cas Ă©chĂ©ait, Ă de nouvelles violences et persĂ©cutions, UNE FAMILLE SOUS LA TERREUR 177 je demandai au roy la permission de passer dans les paĂŻs Ă©trangers avec un passeport, ce que Sa MajestĂ© m'accorda sur-le-champ. On tenta ensuite de soulever encore cette mĂȘme populace de Cusset par des lettres anonymes qu'on lui adressa contre moi Ă qui on fit aussi, par la mĂȘme voye, toutes sortes de menaces ; mais Ă force de prudence, de modĂ©ration, de peines et de soins, secondĂ© par les officiers de la milice nationale de ladite ville dont je n'ai eu qu'Ă me louer, je parvins Ă rendre infructueux les efforts des gens mal intentionnĂ©s et j'Ă©vitai de m'expatrier. ... J'Ă©prouve, Monsieur, depuis quelque tems, de nouvelles vexations de la part de la municipalitĂ© de mon endroit, qui a Ă sa tĂȘte un paĂŻsan pour maire, qui ne sait ny lire ny Ă©crire et qui, m'a-t-on dit, est excitĂ©e elle-mĂȘme par le district de Cusset. AprĂšs m'avoir fait diffĂ©rentes insultes, aprĂšs m'avoir mis des impĂŽts audessus de toute justice et raison, en rĂ©pondant, sur les reprĂ©sentations qu'on faisait pour moi, qu'on ne pouvait trop charger un aristocrate et qu'il fallait le faire payer pour le tems passĂ©, et moi n'ayant jamais Ă leur opposer que les armes de la politesse, ils ont encore cherchĂ© Ă indisposer et aigrir le peuple contre moi, sous prĂ©texte que je ne voulais pas me soumettre aux dĂ©crets de l'AssemblĂ©e nationale, et voicy comment au mois de mai dernier, me trouvant Ă Paris, oĂč j'avais cy devant un domicile, je m'empressai de payer au trĂ©sor royal mon don patriotique conformĂ©ment aux dĂ©crets; en arrivant un mois aprĂšs dans ce paĂŻs cy, je prĂ©sentai Ă la municipalitĂ© ma quittance du trĂ©sor royal qu'elle visa et signa. MalgrĂ© ma conduite et cet acte que j'ay entre les mains, elle n'a pas rougi de prendre un arrĂȘtĂ© qu'elle m'a fait signifier, il y a une quinzaine de jours, par lequel, aprĂšs avoir employĂ© les tournures les plus insidieuses pour aigrir et soulever le peuple contre moi, elle ose dire que je suis le seul dans la municipalitĂ© qui me sois soustrait au dĂ©cret qui ordonne le payement du don patriotique et m'impose de nouveau Ă une somme exorbitante. Je me borne, Monsieur, Ă vous citer ce seul trait, car je ne finirais pas si je voulais vous dire tout ce que j'ay Ă souffrir et endurer. Aussi, pour me soustraire Ă de nouvelles vexations, je me propose d'aller le mois prochain voyager avec un de mes enfants dans les paĂŻs Ă©trangers. Un autre motif se joint Ă celui-lĂ , c'est que, par les effets ou les suites de la rĂ©volution, de trente mille livres de rente que j'avais, il ne me reste plus en ce moment que mille Ă©cus et que je me vois contraint de supprimer toute ma maison. Je vous supplie donc, Monsieur, de vouloir bien mettre ma nouvelle position sous les yeux du Roy, Ă l'effet de m'accorder la permission dont j'ay besoin avec un passeport que je dĂ©sirerais qui fĂ»t pour un an Ă compter du mois prochain. Je dĂ©sirerais encore, Monsieur, que vous voulussiez bien m'obtenir de Sa MajestĂ© la permission de pouvoir passer au service de quelque puissance Ă©trangĂšre si les circonstances m'y nĂ©cessitaient et que je pusse en trouver l'occasion, en assurant aussi Sa MajestĂ© que je n'en serai pas moins dans tous les tems soumis Ă ses ordres et disposĂ© Ă sacrifier ma vie pour ses intĂ©rĂȘts et sa gloire, comme Ă©tant un de ses plus dĂ©vouĂ©s et fidĂšles sujets. Je suis avec respect, Monsieur, votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur. DE TROUSSEBOIS, Mai des camps et armĂ©es du Roy. Saint-Gerand-le-Pui en Bourbonnais, le 18 dĂ©cembre 1790. Muni de passeports du ministre de la guerre, muni de toutes les I78 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE permissions rĂ©glementaires, le comte de Troussebois se rendit Ă Turin, le 13 juin 1791 ; il allait, comme il le dit, chercher la sĂ©curitĂ© qu'il ne trouvait plus chez lui, le moyen de vivre sans train de maison et aussi de recouvrer quelques fonds sur le gouvernement sarde. Le -comitĂ©" de sĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale vit lĂ un prĂ©texte Ă , Ă©migration, les actes d'un agent de Louis XVI au profit delĂ contre-rĂ©volution ; on l'inscrivit sur la liste des Ă©migrĂ©s du dĂ©partement de I'ArdĂšche, et ses biens furent mis sous le sĂ©questre. Il protesta dans un mĂ©moire oĂč il expliquait son absence. ce,pĂšre avait le dĂ©sir de marier sa fille au comte d'Harcourt, qui,Ă©tait gentilhomme Ă©migrĂ©, et placer auprĂšs de la comtesse d'Artois, projets qui ne furent jamais rĂ©alisĂ©s, mais qui furent une des causes de .sa condamnation Ă ' mort. Fouquier-Tinville nous expliquera tout cela, et au long. Louis AUDIAT. A suivre. s FĂTE de la fondation de la RĂ©publique 0795 Si la RĂ©publique avait Ă©tĂ© proclamĂ©e le 21 septembre 1792 et si l'on avait appelĂ© cette annĂ©e l'an Iei> de la RĂ©publique française par dĂ©cret du mĂȘme jour, on n'avait jamais pensĂ© Ă cĂ©lĂ©brer particuliĂšrement sa fondation. Le 12 aoĂ»t 1793, on avait tentĂ© d'organiser une FĂȘte de la Constitution dont HĂ©rault de SĂ©chelles avait Ă©tĂ© l'interprĂšte. Elle n'avait pas rĂ©ussi. On devait ĂȘtre plus heureux pour celle qui dĂ©clarerait dĂ©finitive la Fondation de la RĂ©publique. Ce fut le 18 septembre 1795 que la proposition en fut Ă©mise pour la premiĂšre fois par Boissy-d'Anglas, le courageux prĂ©sident de lĂ Convention Ă la journĂ©e de prairial.' Celle-ci avait bien rĂ©digĂ© un dĂ©cret spĂ©cial sur l'abolition de la royautĂ© le 4 dĂ©cembre 1793, mais elle s'en Ă©tait tenue lĂ . Toute tentative de rĂ©tablissement ayant entraĂźnĂ© la mort depuis cette Ă©poque, soit pour tentative par parole, soit pour tentative par action, on n'avait pas osĂ© fĂȘter un gouvernement quis'affirmait constitutionnellement par l'Ă©chafaud. En septembre 1795, au contraire, les tribunaux rĂ©volutionnaires n'existaient plus; depuis le 31 mai ils avaient Ă©tĂ© fermĂ©s pour toujours, on pouvait maintenant se rĂ©jouir. Les partisans de la RĂ©publique le crurent et entendirent rĂ©pondre aux menaces grandissantes dU parti royaliste par l'affirmation de lafondation du nouveau gouvernement. On ce parti choisit prĂ©cisĂ©ment le lendemain de ce jour pour faire l'Ă©meute du 13 vendĂ©miaire ! illusions constantes des hommes qu'aveugle trop souvent le but secret de leurs ambitions ou la force de leurs convictions. Le deuxiĂšme jour complĂ©mentaire de l'an III, Boissy dĂ©nonça les l8o REVUE DU MONDE CATHOLIQUE violents de tous les partis ; mais il avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©, et l'assemblĂ©e avec lui, par les administrateurs du dĂ©partement de la Loire-InfĂ©rieure. De Nantes, ils avaient Ă©crit en ces termes, le 25 aoĂ»t Citoyens reprĂ©sentants, de toutes les Ă©poques de la RĂ©volution, la plus mĂ©morable sans doute est l'Ă©tablissement de la RĂ©publique, Le 14 juillet et le 10 aoĂ»t seront Ă jamais cĂ©lĂšbres; ils ont donnĂ© Ă la France la libertĂ© et l'Ă©galitĂ©; mais le Ier vendĂ©miaire lui a donnĂ© la RĂ©publique ; ce jour est le complĂ©ment des deux autres ce sera le jour chĂ©ri des Français. Nous demandons, citoyens reprĂ©sentants, que vous dĂ©crĂ©tiez comme article constitutionnel que, chaque annĂ©e, le 1er vendĂ©miaire sera fĂȘtĂ© dans toute l'Ă©tendue de la RĂ©publique. » Accueillie avec faveur par la Convention, cette proposition eut pour rapporteur Boissy-d'Anglas ; il la formula dans un discours net, vigoureux, oĂč on lit Vous avez dĂ©crĂ©tĂ©, sur la motion de Thibeaudeau, que le 3 octobre il serait cĂ©lĂ©brĂ© une fĂȘte en l'honneur des vertueux reprĂ©sentants immolĂ©s par la tyrannie, et vous avez chargĂ© votre ComitĂ© d'instruction publique de vous en prĂ©senter le projet c'est de cette loi que je viens vous demander l'exĂ©cution ; mais cette solennitĂ© auguste et touchante ne doit pas avoir seulement pour objet vos infortunĂ©s collĂšgues, ce doit ĂȘtre encore, si je puis parler ainsi, une cĂ©rĂ©monie expiatoire pour tous les forfaits de la tyrannie. Il faut que toutes les victimes frappĂ©es par elle, celles des 2 et 3 septembre, celles, plus nombreuses encore, immolĂ©es sur ses Ă©chafauds dans toutes ,les communes de la RĂ©publique, reçoivent l'hommage de vos regrets ; il faut que leurs parents, que leurs amis, sur les blessures desquels vous avez, autant que vous avez pu, versĂ© un baume consolateur, ceux que les mĂȘmes Ă©chafauds attendaient et que votre courage en a dĂ©livrĂ©s, se rĂ©unissent autour de vous et consacrent, par leur reconnaissance, l'anĂ©antissement d'une tyrannie qui ne renaĂźtra plus. Ce n'est pas tout il revient aussi, ce jour mĂ©morable oĂč vous avez proclamĂ© la RĂ©publique; ce jour oĂč, pendant que l'ennemi envahissait le territoire français et menaçait d'asservir cette grande commune, vous avez eu le mĂąle courage de proclamer, Ă la face de l'Europe, ces mĂȘmes principes que vos ennemis voulaient combattre ; il faut aussi une commĂ©moration Ă cette Ă©clatante journĂ©e qui a fixĂ© les destinĂ©es de la France. Je propose d'en rĂ©unir la solennitĂ© Ă celle dont je viens de parler. Quelle plus belle circonstance, pour cĂ©lĂ©brer la proclamation de la RĂ©publique, que celle oĂč vous jetiez des fleurs sur la tombe des hommes qui, aprĂšs l'avoir prĂ©parĂ©e par leur courage, l'avoir dĂ©fendue par leurs vertus, ont eu la gloire de la sceller de leur sang!... Cette solennitĂ© auguste et touchante sera la proclamation Ă©clatante, quoique muette, des principes que vous avez professĂ©s et dont vous ne vous dĂ©partirez point ; par elle vous annoncerez que c'est en vain que les fauteurs de la tyrannie dĂ©cemvirale s'agitent pour reprendre leur sanglant empire. Vous direz au peuple que c'est vainement aussi que les coupables sectateurs I FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE l8l de la royautĂ© que vous avez abolie peuvent ourdir des trames pour rĂ©tablir un rĂ©gime justement et Ă©ternellement proscrit; vous rassurerez les bons citoyens, ces hommes vraiment rĂ©publicains, qui forment, quoi qu'on en dise, l'immense majoritĂ© du peuple que vous reprĂ©sentez, sur vos propres intentions, sur vos propres sentiments ; vous rĂ©pondrez Ă cette calomnie abominable que vos ennemis rĂ©pandent pour vous perdre, et qui consiste Ă dire que, d'une part, vous voulez relever le terrorisme, soit pour l'opposer au royalisme, soit pour le faire servir d'instrument Ă votre ambition, et que, de l'autre, quelques-uns de vous favorisent le royalisme impur, odieux Ă la France entiĂšre;... tandis qu'il est vrai, qu'il est constant qu'au lieu de tenter d'armer l'une ou l'autre de ces factions, ou toutes les deux, vous voulez les combattre avec courage, les anĂ©antir Ă la fois, pour ne laisser subsister que le rĂ©publicanisme le plus pur, que la seule libertĂ© fondĂ©e sur les Ă©ternels principes de l'Ă©galitĂ©, de la morale, de la justice et de la vertu. » Si nous n'avons pu trouver une trace de cette cĂ©lĂ©bration en 1795, nous avons Ă©tĂ© plus heureux pour l'annĂ©e suivante. Le 15 aoĂ»t 1796, ChĂ©nier prĂ©senta aux Cinq-Cents un projet de rĂ©solution avec un rapport Ă l'appui oĂč il exposa des pensĂ©es analogues Ă celles de Boissy. On entendit alors Mercier, leur collĂšgue, soutenir que Y Ere rĂ©publicaine ne devait pas commencer du temps oĂč l'on faisait pĂ©rir les Lavoisier et les Condorcet. Il demanda qu'elle datĂąt seulement de la mise en activitĂ© de la constitution actuelle ; sa motion fut repoussĂ©e, comme Ă©tant anticonstitutionnelle. Plusieurs membres dĂ©clarĂšrent s'en rapporter au Directoire exĂ©cutif pour la cĂ©lĂ©bration,, mais en la maintenant au iei> vendĂ©miaire. L'opinion de Doulcet, Ă©dictĂ©e en ce sens, fut votĂ©e. Le gouvernement eut la charge de prendre les mesures nĂ©cessaires pour que cette solennitĂ© reçût tout l'Ă©clat dĂ» Ă une Ă©poque aussi glorieuse et aussi chĂšre Ă tous les bons Français. Les rĂ©dacteurs officiels de cette Ă©poque n'ont pas brillĂ©, on le voit, par la simplicitĂ© et la briĂšvetĂ© littĂ©raires L Le 20 septembre 1796, le ministre de l'intĂ©rieur dressa un programme pour la capitale. On cĂ©lĂ©bra la fĂȘte anniversaire le Ier vendĂ©miaire, donc le premier jour de l'an V, au Champ de Mars. Une salve d'artillerie annonça le commencement de la solennitĂ© Ă trois heures de l'aprĂšs-midi. Le Soleil, sous la figure d'Apollon assis sur un char attelĂ© de douze chevaux, entourĂ© des Heures et suivi des Saisons chacune sur un char, s'avança dans l'arĂšne et en fit le tour en commençant par la droite. Le terrain formait un cirque. 1. Cette fĂȘte fut cĂ©lĂ©brĂ©e en 1798 aux armĂ©es. L'armĂ©e d'Orient agit de mĂȘme Ă Malte aprĂšs sa conquĂȘte, et planta un arbre de la libertĂ© pour glorifier la prise de la Bastille. l82 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Les chars des Heures et des Saisons Ă©taient entourĂ©s, prĂ©cĂ©dĂ©s et suivis de groupes divers de corps de musique; on leur adjoignit des dĂ©tachements de troupes. .. L' Soleil au signe de Ia;,Balance, ce dernier Ă©tant placĂ© prĂšs de l'Ecole militaire, fut saluĂ©e d?une deuxiĂšme salve d'artillerie. Au mĂȘme moment,- les insignes de la royautĂ© placĂ©s entre le char et le tertre central s'Ă©croulĂšrent. Sur un fĂ»t de colonne apparut alors. la statue de la .RĂ©publique française, appuyĂ©e d'une main sur le faisceau dĂ©partemental et montrant, de l'autre, la statue de la LibertĂ©. Des militaires en nombre Ă©gal Ă celui des dĂ©partements se dĂ©tachĂšrent de la force armĂ©e aprĂšs la chute des emblĂšmes royaux, et formĂšrent une triple enceinte autour du faisceau dĂ©partemental. Un hymne Ă grand choeur, analogue Ă la situation, fut exĂ©cutĂ© 1. Le tout se passa en prĂ©sence des membres du Directoire, des conseils . qui Ă©taient venus de l'Ecole militaire assister Ă la fĂȘte entourĂ©s des ministres, des autoritĂ©s constituĂ©es et des reprĂ©sentants des cabinets amis de la France. A la fin de la cĂ©rĂ©monie, le Directoire exĂ©cutif Ă©tant rentrĂ© Ă l'Ecole militaire, le public fut admis Ă se rĂ©pandre aussitĂŽt dans le cirque. Une illumination gĂ©nĂ©rale Ă©gaya ,1a soirĂ©e; du Champ de Mars on eĂ»t dit que Chaiilot Ă©tait en flammes; des danses furent organisĂ©es partout dans Paris 2; un feu d'artifice brillant prĂ©luda aux joies d'une paix qui Ă©tait momentanĂ©ment retardĂ©e par l'entĂȘtement de l'Autriche et par les subsides de l'Angleterre. Aux Cinq-Cents, ChĂ©nier honorait en termes lyriques les anniversaires des grandes journĂ©es Gloire immortelle au 9 thermidor qui a renversĂ© la tyrannie dĂ©cemvirale, ou, si l'on veut, triumvirale ! mais aussi, gloire immortelle au 14 juillet, premier jour de la RĂ©volution, française ! gloire immortelle au 10 aoĂ»t, dernier jour du despotisme royal! » On cĂ©lĂ©bra Ă Paris, cette mĂȘme annĂ©e,Tes fĂȘtes du 9 thermidor et du 10 aoĂ»t dans une solennitĂ© unique, le 10 thermidor; elle eut lieu sur l'emplacement de la Bastille. Des dĂ©bris de la redoutable 1. Une proclamation du ministre de l'intĂ©rieur dĂ©clara dignes de la reconnaissance nationale les poĂštes, les musiciens qui sont restĂ©s les plus renommĂ©s de la RĂ©volution ;. ChĂ©nier, Lebrun, Rouget de-Lisle,ĂŻGossĂȘc-et MĂ©hĂčl; ' 1 2. Ces fĂȘtes ne se passaient pas toujours sans accident Ă celle du 10 caoĂ»t prĂ©cĂ©dent, des piĂšces d'artifice brĂ»lĂšrent plusieurs personnes et l'Ă©clat d'une bombe en tua trois autres. FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE 183 forteresse existant encore, on y planta un drapeau portant cette inscription Elle ne se relĂšvera jamais. On se rĂ©unit aprĂšs avoir traversĂ© la rue Saint-Antoine et les quais du Champ de Mars, oĂč GarriĂŽt flĂ©trit Robespierre et les siens au nom dĂ» Directoire qu'il prĂ©sidait/' Que dis-je? dĂ©jĂ de nouveaux Ă©vĂ©nements sont sur la scĂšne; dĂ©jĂ des jours dĂ©sastreux, des jours de deuil et de servitude commencent Ă reparaĂźtre au despotisme couronnĂ© a succĂ©dĂ©'le rĂšgne des factions; elles se disputent l'empire,-elles s'arrachent le sceptre, elles se dĂ©vorent et s'engloutissent tour Ă tour; leipĂšuplĂš se de-nouveau, il est dans les fers du monstre qu'il croit son libĂ©rateur; il est livrĂ© aux. fureurs de ses bourreaux, alors mĂȘme qu'il les invoque comme des dieux tutĂ©laires. L'excĂšs de l'oppression en amĂšne enfin le terme; les yeux du peuple sont dessillĂ©s; il sĂŻĂ©tonne, if s'indigne d'ĂȘtre Ă©garĂ© par un lĂąche et stupide vbcifĂ©ratĂ©Ăčr; .le,tyran tombe; ce sera le dernier.;-" '! - .0 journĂ©e du 9 thermidor, c'est Ă toi qu'Ă©tait rĂ©servĂ©e cette glorieuse Ă©poque ; c'est Ă toi qu'elle demeure attachĂ©e pour l'immensitĂ© des siĂšcles. PrononcĂ©es par un tel homme, ces paroles vengeaient les milliers des victimes sacrifiĂ©es et sont pour l'histoire d'un prix que nous ne cachons pas. Que se pĂ ssa-t-il aux armĂ©es? Soigneux de sa renommĂ©e, Bonaparte ne s'Ă©tait pas contentĂ© d'envoyer Junot et AndrĂ©ossy, en mai, Ă Paris y porter les trophĂ©es de ses victoires ; il avait renouvelĂ© en octobre ce systĂšme d'enthousiasme. Marmont avait reçu ce mandat avec ordre d'y parler politique et de ne pas se borner Ă un rĂ©cit militaire. Son discours nous a Ă©tĂ© conservĂ© dans les archives de l'Etat, et il est des plus instructifs. " L'armĂ©e de la libertĂ© devait ĂȘtre celle de la victoire; les Autrichiens sont dĂ©faits-, et le peu qui Ă©chappe aux fers des Français n?a d'autre espoir que-de se j'eter-dans circonstances le favorisent, il pĂ©nĂštre jusqu'Ă cette place'; c'est alors que Wurmser, fort de quelques troupes fraĂźches qu'il y trouve,' veut encore tenter la fortune ; mais un combat est une nouvelle occasion de gloire poulies Français; nos troupes marchent dans le plus bel ordre; et grĂące Ă l'excellente combinaison de nos forces,' la victoire ne chancelle pas un "moment. Les Autrichiens rentrent en foule par le seul passage qu'ils possĂšdent nous nous en rendons maĂźtres, et ce qui reste,-ne pouvant ni fuir ni se dĂ©fendre, se confie Ă notre gĂ©nĂ©rositĂ©... . ' 'âą' Les 22 drapeaux que j'ai l'honneur de vous prĂ©senter, sont les tĂ©moignages Ă©clatants de ces succĂšs; Ils ont Ă©tĂ© pris en 14 jours aux combats de Sarrayalle, de Lavis, des gorges de la Brenfa, et aux batailles de Roveredo, de Bassano et Saint-Georges. L'armĂ©e d'Italie, pendant cette brillante campagne, a dĂ©truit deux armĂ©es, pris 184 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE hommes, 280 piĂšces de canon et 49 drapeaux. Ces victoires vous sont un sĂ»r garant, citoyens Directeurs, de son amour constant pour la RĂ©publique ; elle sait dĂ©fendre las lois et leur obĂ©ir, comme elle a su battre le ennemis extĂ©rieurs. Veuillez la considĂ©rer comme une des plus fermes colonnes de la libertĂ©, et croyez que tant que les soldats qui la composent existeront, le gouvernement aura d'intrĂ©pides dĂ©fenseurs. Cette allocution ne prouve-t-elle pas l'existence d'un Parti militaire qui attend son heure prudemment, mais qui s'y prĂ©pare? Dans une imprudence qui confond, le prĂ©sident du Directoire avait rĂ©pondu en parlant des victoires pour l'idĂ©e rĂ©publicaine, les assimilant Ă celles des troupes sur les ennemis de l'extĂ©rieur. Que devenait alors la libertĂ© du suffrage Ă©lectoral dans l'avenir l ? Un an plus tard, aprĂšs le bruit qu'avait fait la cĂ©lĂ©bration du 14 juillet Ă Milan, Bonaparte jugea qu'il importait d'ĂȘtre plus modeste. 11 appela bien dans sa proclamation la fĂȘte de la fondation Y Ă©poque la plus chĂšre aux Français, ce qui satisfit, certes, le gouvernement, mais il donna Ă sa cĂ©lĂ©bration une couleur locale. Elle parut ĂȘtre autant un acte de l'indĂ©pendance italienne qu'un acte français ; on lui en fut reconnaissant Ă Paris, tant on pĂ©nĂ©trait peu ses intentions. La narration que nous donnons, et qui est officielle, va Ă©tablir le caractĂšre trĂšs italien de la dĂ©monstration. La fĂȘte eut lieu Ă Milan, Bonaparte s'y rendit de Passeriano, prĂ©cĂ©dĂ© par la proclamation que l'on sait; c'Ă©tait le 22 septembre. Au point du jour, les canons du chĂąteau annoncĂšrent la solennitĂ©. Les journaux l'avaient annoncĂ©e de leur cĂŽtĂ©, appelant le retour de cette date glorieuse pour les Français mĂ©morable pour l'univers ; ils avaient exhortĂ© leurs compatriotes Ă cĂ©lĂ©brer avec pompe une solennitĂ© digne de la grandeur de l'Ă©vĂ©nement. De quels sentiments devaient donc ĂȘtre inspirĂ©s les citoyens d'un peuple amoureux de la libertĂ© et qui veut tĂ©moigner sa reconnaissance Ă ses libĂ©rateurs? 1. Le ministre de la guerre avait Ă©tĂ© aussi mal inspirĂ©. Il avait placĂ© Y armĂ©e d'Italie au-dessus de tous les faits d'armes de fin 1793 et de la campagne de 1794. La postĂ©ritĂ© croira avec peine, avait-il dit, au tĂ©moignage de l'histoire, lorsqu'elle apprendra que, dans le cours d'une seule campagne, l'Italie entiĂšre a Ă©tĂ© conquise, que trois armĂ©es ont Ă©tĂ© successivement dĂ©truites, que plus de 50 drapeaux sont restĂ©s entre les mains des vainqueurs, que Autrichiens ont dĂ©posĂ© les armes, enfin que Français et un guerrier de vingt-cinq ans ont opĂ©rĂ© tous ces prodiges. L'armĂ©e d'Italie n'a plus de triomphes Ă obtenir ; elle a rempli la plus glorieuse et la plus Ă©tonnante carriĂšre; qu'elle renvoie donc la victoire aux armĂ©es du Rhin. » A FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE 185 A huit heures, le congrĂšs gĂ©nĂ©ral d'Etat, le conseil suprĂȘme, les tribunaux, se dirigĂšrent vers l'hĂŽtel de ville ; une nombreuse garde nationale s'y Ă©tait rendue et s'y Ă©tait mĂȘlĂ©e aux troupes françaises. On les vit rangĂ©es avec elles en file dans le Pala^p commune et dans la rue qui conduisait Ă la cathĂ©drale. Les officiers de nos troupes s'Ă©taient assemblĂ©s en corps au palais Serbelloni, oĂč Ă©tait descendu le gĂ©nĂ©ral en chef et sa femme. A neuf heures, le cortĂšge se mit en marche, prĂ©cĂ©dĂ© d'un dĂ©tachement d'artilleurs avec deux canons; l'infanterie avait dĂ©lĂ©guĂ© un piquet de grenadiers; la garde nationale milanaise suivait, reprĂ©sentĂ©e par un bataillon complet. Divers corps de musique faisaient entendre des airs militaires ou patriotiques, devenus officiels. Les autoritĂ©s municipales et les tribunaux marchaient derriĂšre, par groupes et mĂȘlĂ©s entre eux, attestant par lĂ que les vaines distinctions avaient pris fin. Une seule pensĂ©e occupait les anciens sujets de l'Autriche, la reconnaissance pour la France. A cette Ă©poque, la cĂ©lĂ©bration d'une fĂȘte rĂ©publicaine Ă©tait une nouveautĂ©, et le peuple tenait Ă tout ce qui affirmait un nouvel Ă©tat de choses. Sur la place de la cathĂ©drale arriva Ă son tour le gĂ©nĂ©ral en chef, entourĂ© d'une escorte de gĂ©nĂ©raux et d'officiers formant cavalcade; ils se rangĂšrent sur le cĂŽtĂ© droit. Le congrĂšs d'Etat, la municipalitĂ©, les tribunaux et les autoritĂ©s eurent l'honneur d'une estrade en face de la cathĂ©drale. A gauche, les troupes et la garde nationale, toutes Ă©galement Ă pied. Les musiciens garnissaient les deux cĂŽtĂ©s de l'entrĂ©e. Le canon disposĂ© sur l'avant-place du Palais de V Archiduc tonna alors; la fĂȘte commença par la plantation d'un arbre de la libertĂ©. Il Ă©tait plus grand et plus beau que celui de la prise de possession de Milan, plantĂ© pour attester nos triomphes accomplis si rapidement, du col de Tende Ă la capitale de la Lombardie, quelques mois auparavant. Une sĂ©rie de discours dans le goĂ»t du temps dĂ©clara l'Empire irrĂ©vocablement chassĂ© des pays injustement possĂ©dĂ©s par l'Autriche, l'orgueil de sa maison impĂ©riale fut traitĂ© de despotique, son concours Ă la coalition vitupĂ©rĂ©, l'or anglais signalĂ© Ă l'indignation publique, et la politique de ce cabinet traitĂ©e de perfide. La valeur, la force et les principes de l'armĂ©e rĂ©publicaine l'emportaient au nom de la justice, de la libertĂ©. L'Italie Ă©tait reconnue digne de ce don, le premier, le plus prĂ©cieux de tous, sous un ciel que le CrĂ©ateur avait fait pour honorer l'humanitĂ©. Wurmser, assiĂ©gĂ© Ă©troitement dans Mantoue, allait succomber, les fers de 186 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE l'Ă©tranger seraient brisĂ©s-avec lui, l'antique indĂ©pendance serait proclamĂ©e par la grande nation, l'Italie serait organisĂ©e par ses soins. Les succĂšs de l'armĂ©e de Sambre-et-Meuse Ă©tendaient avec ceux de l'armĂ©e du Rhin et Moselle le mĂȘme bĂ©nĂ©fice aux pays d'Empire, le Tyrol Ă©tait bloquĂ© par nos soins, s'Ă©criait le reprĂ©sentant Garrau, ajoutant aux promesses de Bonaparte les indignations du gouvernement qu'il personnifiait en Italie. AprĂšs les remerciements enthousiastes que prononcĂšrent les autoritĂ©s milanaises et les corps d'Etat de la Lombardie, devenue la RĂ©publique Cisalpine, soeur considĂ©rable de la RĂ©publique Transpadane créée par nous en Emilie, eut lieu le dĂ©filĂ©. En prĂ©sence du gĂ©nĂ©ral en chef, de Garrau, des officiers du quartier gĂ©nĂ©ral, les troupes et celles qu'on nommait dĂ©jĂ nationales Ă Milan passĂšrent devant eux par pelotons. Au milieu des applaudissements, elles firent le tour de la place, s'acheminĂšrent vers le cours principal de la porte d'Orient oĂč se rendit Bonaparte avec son cortĂšge. EnvironnĂ© d'un concours de peuple ivre de ce spectacle militaire si nouveau pour lui, le vainqueur rentra au palais Serbelloni, acclamĂ© jusqu'Ă la frĂ©nĂ©sie. LĂ encore, moins gĂ©nĂ©ral d'armĂ©e que souverain, il fut saluĂ© par les reprĂ©sentants de cette capitale oĂč un empereur romain et quantitĂ© de CĂ©sars germains avaient paru, dans le palais qu'il a immortalisĂ© par sa prĂ©sence rĂ©pĂ©tĂ©e. Il y reçut des hommages que la joie italienne rendait touchante et qui s'adressaient Ă sa compagne autant qu'Ă lui. Une lettre privĂ©e le constate et expose en termes curieux la participation de Mms Bonaparte Ă la solennitĂ© '. i. Mmc Bonaparte jouissait du coup d'ceil de la fĂȘte de dessus la grande loge du Casino di recrearioni; toutes les fenĂȘtres Ă©taient garnies de spectateurs. Au fond de la place, on avait Ă©levĂ© un temple avec la statue de laLibertĂ©. La dĂ©esse elle-mĂȘme parut bientĂŽt sur un superbe char triomphal traĂźnĂ© par six beaux coursiers; c'Ă©tait une jeune femme vĂȘtue Ă la grecque et agitant un drapeau tricolore. Six jeunes garçons folĂątraient autour d'elle, ornĂ©s de guirlandes de fleurs et de feuillages, et portant les emblĂšmes de la libertĂ© victorieuse, de la tyrannie vaincue, de la coalition foudroyĂ©e. Entre les guirlandes fleurs on lisait sur une large inscription les noms des armĂ©es qui ont bien mĂ©ritĂ©, de la pairie; d'autre part, celui de la Lombardie, prĂ©sentĂ© Ă la dĂ©esse par ungĂ©nie_qui l'implorait en faveur de nos belles contrĂ©es. Ce char,,aprĂšs avoir comparu au palais du gĂ©nĂ©ral, parcourut la ville, puis retourna Ă la place du palais national pendant le dĂźner, dont le gĂ©nĂ©ral fit les honneurs. 'âą.. '- Au sortir du dĂźner, le cortĂšge se rendit,-au .bruit du canon, au cours de la d'Orient, et assista Ă jeux qui rappelaient les. beaux jeux ,de ,1a. GrĂšce-. IL" y eut des courses Ă pied et Ă cheval, exĂ©cutĂ©es par des officiers français ainsi que par nos citoyens; le soir, des reprĂ©sentations théùtrales, des danses, et une joie FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE 187 RĂ©pĂ©tĂ©s au gouvernement, commentĂ©s par la presse, ces triomphes de notre cause et de nos armes adoucissaient les douleurs nĂ©es d'une persĂ©cution rĂ©volutionnaire. On y voyait la promesse d'une paix chĂšrement achetĂ©e mais sĂ»re, et le,'gage de tous les apaisements Ă l'intĂ©rieur. ' En 1797, nouveau spectacle et nouvelle leçon. Sur les façades d'une pyramide Ă©levĂ©e au centre de leur rĂ©union, les troupes avaient vu inscrits les noms de leurs morts par division. Elle Ă©tait ornĂ©e de tous les attributs reprĂ©sentant leurs victoires; on y avait joint les emblĂšmes rĂ©publicains, la Constitution de l'an III qui avait servi de modĂšle Ă celle des Cisalpins. Les troupes s'Ă©taient rangĂ©es autour en bataillon carrĂ© et avaient saluĂ© de leurs acclamations les vĂ©tĂ©rans et les blessĂ©s dĂ©filant devant elles au son des tambours, pendant que l'artillerie leur rendait un suprĂȘme hommage. Une revue passĂ©e par Bonaparte Ă la tĂȘte de son Ă©tat-major avait achevĂ© d'enivrer les soldats et les spectateurs. Parvenu devant les carabiniers, de la 11e demi-brigade d'infanterie lĂ©gĂšre, il leur avait dit en un langage dont il avait dĂ©jĂ le secret Vous vale% Ă vous seuls 3000 hommes. A la 13e, qui formait la garnison de VĂ©rone Les tyrans ont pĂ©ri avec la tyrannie. Aux officiers rĂ©unis en corps pour recevoir les drapeaux Ojie ces drapeaux soient toujours sur le chemin de la libertĂ© et de la victoire. Pendant le dĂ©filĂ©, un caporal de la 9= sortit des rangs pour s'Ă©crier GĂ©nĂ©ral, tu as sauvĂ© la France sauve la RĂ©publique! L'enthousiasme, la vĂ©ritĂ© alors, la voilĂ dans les larmes et le cri de ce hĂ©ros inconnu. Les applaudissements de la foule, ce spectacle grandiose quoique prĂ©parĂ©, attestaient la popularitĂ© de Bonaparte, les voeux des troupes et l'ardeur qu'elles apporteraient un jour Ă se tourner contre ceux qui indigneraient par leurs sarcasmes, contre les insulteurs de leur gloire, quel que fĂ»t leur camp politique. Bonaparte offrit, le soir, un dĂźner aux gĂ©nĂ©raux, aux officiers et aux vĂ©tĂ©rans. Il porta un toast aux gĂ©nĂ©raux et Ă tous les braves morts pour la dĂ©fense de la libertĂ©. Leurs mĂąnes devaient prĂ©venir des embĂ»ches des ennemis... de la patrie. A la Constitution de l'an-II, s'Ă©cria Berthier, et au Directoire ! Qu'il anĂ©antisse les coniredont coniredont Ă©prouvons encore les douces cl enivrantes sollicitations, en nous Ă©criant Vive, la RĂ©publique française! vive le jour de sa fondation ! Puisse la cinquiĂšme Ă©poque de son anniversaire devenir la premiĂšre de notre rĂ©publique lombarde et italique ! » 188 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE rĂ©volutionnaires L â A la destruction du club de Clichy ! ajouta Lannes. â A la réémigration des Ă©migrĂ©s! » rĂ©pliqua un vĂ©tĂ©ran couvert de blessures. Ces paroles enflammĂ©es Ă©taient saluĂ©es par la musique jouant tantĂŽt le pas de charge, tantĂŽt le terrible Ăa ira des faubourgs parisiens. Cette fĂȘte devenue violente par la politique se termina par une collection d'adresses Ă©manant de chaque division, signĂ©es par des milliers d'officiers et de soldats et que leur chef envoya au gouvernement. Il y avait dĂ©sormais un parti militaire, nĂ© des circonstances, dĂ©veloppĂ© avec le temps, que les Jacobins avaient créé contre leurs forfaits, que les Ă©meutes avaient fait Ă©clore, que les conquĂȘtes ennoblissaient, dont le gĂ©nie s'emparerait un jour. Les directeurs publiĂšrent les adresses. Elles signifiaient clairement que les vainqueurs italiens Ă©taient prĂȘts Ă combattre la faction qui divisait les conseils et se prĂȘteraient Ă un coup d'Etat. Leur langage ne pouvait laisser aucun doute. Quoique MassĂ©na ne fĂ»t pas un fougueux, sa division Ă©crivit sous son inspiration La route de Paris offre-t-elle plus d'obstacles que celle de Vienne? Non. Elle sera ouverte par les rĂ©publicains restĂ©s fidĂšles Ă la libertĂ©; nous la dĂ©fendrons, et nos ennemis auront vĂ©cu. » A la Favorite comme Ă Arcole, officiers et soldats s'Ă©taient illustrĂ©s et entendaient garder leurs grades comme leur position sociale, fruit de leur sang. La division d'Augereau Ă©tait commandĂ©e par un soldat dont la violence des opinions Ă©taient telle qu'il querellait Ă tout propos les gĂ©nĂ©raux moins faubouriens que lui. De lĂ une adresse rĂ©digĂ©e dans le langage des clubs Conspirateurs, vous ĂȘtres rusĂ©s, astucieux, perfides; mais vous ĂȘtes encore plus lĂąches, et nous avons, pour vous combattre, du fer, des vertus, du courage, le souvenir de nos victoires, l'enthousiasme irrĂ©sistible de la libertĂ©. Et vous, mĂ©prisables instruments des forfaits de vos maĂźtres... tremblez! De I'Adige au Rhin et Ă la Seine, il n'y a qu'un pas, tremblez ! Vos iniquitĂ©s sont comptĂ©es et le prix en est au bout de nos baĂŻonnettes. » Tel fut le langage du vainqueur de Castiglione. Avec Bernadotte, accouru de Sambre-et-Meuse ! on eut la fiertĂ© i. Bcrthier envoya Ă toutes les administrations de dĂ©partement le dĂ©tail imprimĂ© de tout ce qui s'Ă©tait passĂ© Ă Milan. La lettre avait pour en-tĂȘte une vignette reprĂ©sentant la pyramide du Champ de Mars, un gĂ©nie tenait des tablettes oĂč figuraient les prĂ©liminaires de la paix; le tout Ă©tait surmontĂ© d'une renommĂ©e dominant une carte gĂ©ographique oĂč on voyait Turin et GĂȘnes, Rome et Venise, Mantoue et Vienne. FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE 189 rĂ©publicaine en appelant aux soutiens de la Constitution lĂ©gale. Les mĂȘmes bras qui ont assurĂ© l'indĂ©pendance nationale, les mĂȘmes chefs qui ont guidĂ© les phalanges existent encore. Avec de tels appuis, vous n'avez qu'Ă vouloir pour faire disparaĂźtre les conspirateurs du tableau des vivants. » On n'admettait pas la mise en discussion du gouvernement et de son pacte. Serrurier fut aussi explicite et se porta garant de l'opinion de ses compagnons d'armes contre ceux qu'il nommait des scĂ©lĂ©rats. Il vous suffira sans doute, pour les anĂ©antir, de dĂ©tacher quelques-uns de nos braves frĂšres d'armes des armĂ©es du Rhin et Moselle et de Sambre-et-Meuse. Nous dĂ©sirons partager avec eux l'honneur de purger la France de ses plus cruels ennemis. » Ces ennemis, Lannes les avait vitupĂ©rĂ©s en leur reprochant le sang des patriotes qu'ils voulaient rĂ©pandre. Un de ses collĂšgues devait aller plus loin encore. Le glorieux vainqueur de Rivoli, Joubert, mit en scĂšne Louis XVIII en ces termes Eh quoi! l'odieux Capet qui, depuis six ans promĂšne son opprobre d'Etat en Etat, toujours chassĂ© par nos phalanges rĂ©publicaines, les mettrait aujourd'hui sous le joug 1 Si cette idĂ©e est rĂ©voltante pour tout citoyen que l'amour de la patrie a aiguillonnĂ© une seule fois, combien ne l'est-elle pas davantage pour les vieux soldats de la RĂ©publique ! » Au jour des pĂ©rils intĂ©rieurs, tel Ă©tait celui que SiĂ©yĂšs devait choisir pour sauver les rĂ©publicains dĂ©bordĂ©s. Bien que soldat, Baraguey-d'Hilliers s'Ă©criait Nous renouvelons le serment solennel de haine aux factieux, de guerre Ă mort aux royalistes, de respect et de fidĂ©litĂ© Ă la Constitution de l'an III. » Ici, on n'oubliait personne, le gĂ©nĂ©ral en chef avait Ă©tĂ© rudement compris. RĂ©publicain dĂ©cidĂ©, Delmas de la CorrĂšze prononçait un serment des grands jours. S'il Ă©tait possible que la libertĂ© jamais pĂ©risse, nous sommes dĂ©terminĂ©s Ă nous ensevelir sous ses ruines! » Delmas fut disgraciĂ© plus tard par NapolĂ©on. Le futur duc de Bellune empruntait Ă Hoche ses imprĂ©cations Plus d'indulgence, plus de demi-mesures ! La RĂ©publique ou la mort! » Les directeurs ne comprirent que trop, en fructidor, la valeur de ces apostrophes ; l'exil et les prisons en confirmeront la portĂ©e. Bonaparte tĂ©moigna une colĂšre redoutable. Il accompagna l'envoi des adresses de ses lieutenants de la lettre suivante Le soldat demande Ă grands cris si, pour prix de ses fatigues et de six ans de I90 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE guerre, il doit ĂȘtre, Ă son retour dans ses foyers, assassinĂ© comme sont menacĂ©s de l'ĂȘtre tous les patriotes... N'est-il donc plus en Fiance de rĂ©publicains? Et aprĂšs avoir vaincu l'Europe, serons-nous donc rĂ©duits Ă chercher quelque angle de la terre pour}' terminer nos tristes jours? Vous pouvez, d'un seul coup, sauver la RĂ©publique, deux cent mille,tĂȘtes peut-ĂȘtre qui sont attachĂ©es Ă son sort, et conclure la paix en vingt-quatre heures; faites arrĂȘter les Ă©migrĂ©s, dĂ©truisez l'influence des Ă©trangers. Si vous ave% besoin de force, appelĂ©^ les armĂ©es. Faites briser les presses des journaux vendus Ă l'Angleterre, plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat. Quant Ă moi, il est impossible que je puisse vivre au milieu des factions les plus opposĂ©es; je donne ma dĂ©mission. L'armĂ©e de Rhin et Moselle cĂ©lĂ©bra Ă son heure la fĂȘte nationale, Ă Strasbourg mĂȘme, en 1797. Moreau l'annonça Ă ses troupes par une proclamation oĂč il honora le pacte gouvernemental et dĂ©clara qu'elles devaient rester Ă©trangĂšres Ă toutes les factions. Elle Ă©tait ainsi conçue Soldats, Au moment oĂč tous les partis s'agitent dans l'intĂ©rieur, il est du devoir des dĂ©fenseurs de la patrie de leur faire connaĂźtre qu'Ă©trangers Ă toutes les factions, ils seront aussi fidĂšles observateurs du gouvernement rĂ©publicain que la France s'est donnĂ© qu'ils ont Ă©tĂ© courageux Ă combattre l'ennemi extĂ©rieur. Nulle occasion n'est plus favorable pour prouver notre attachement Ă la Constitution de l'an 111 et notre amour pour la RĂ©publique Française, que la fĂȘle de sa fondation. Si l'arrivĂ©e de notre solde et la suspension momentanĂ©e des services des subsistances ne nous ont pas encore permis de cĂ©lĂ©brer avec la pompe qu'elles mĂ©ritent les fĂȘtes du 14 juillet, 9 thermidor et 10 aoĂ»t, les secours que vient de nous envoyer le gouvernement et ceux que sa sollicitude nous fait encore espĂ©rer rendront la rĂ©union des diffĂ©rents corps de troupes qui composent l'armĂ©e plus facile pour consacrer Y Ă©poque mĂ©morable de l'Ă©tablissement de la RĂ©publique française. En vertu de cet ordre, les gĂ©nĂ©raux de division firent rassembler leurs troupes en totalitĂ© ou par dĂ©tachements de tous les corps qui les composaient, le Ier vendĂ©miaire Ă midi. Chaque quartier gĂ©nĂ©ral annonça la fĂȘte la veille par une salve d'artillerie tirĂ©e au soleil couchant; on la rĂ©pĂ©ta le jour mĂȘme Ă l'aube, et on la renouvela au moment de la fĂȘte. Chaque officier gĂ©nĂ©ral dut prononcer un discours devant la troupe rassemblĂ©e, avec ordre de faire surtout ressortir les avantages du gouvernement rĂ©publicain, paroles textuelles du commandant en chef. Mais Moreau Ă©tait un homme trop Ă©minent pour ne pas avoir rappelĂ© Ă tous, officiers et soldats, les services par eux rendus aux FĂTE DE LA FONDATION DE LA RĂPUBLIQUE I91 frontiĂšres depuis le dĂ©but d'une guerre contre l'Empire, qui avait' vu tant de fortunes diverses et tant d'actions d'Ă©clat. Or, elle durait depuis sept annĂ©es. C'Ă©tait par des souffrances de tout genre, par les siĂšges qu'elle avait faits, par ceux qu'elle avait subis de" Mayence Ă Kehl, par les passages rĂ©pĂ©tĂ©s du Rhin, par une longue suite d'actions rĂ©putĂ©es, par une retraite magnifique accomplie l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, que cette armĂ©e Ă©tait devenue glorieuse. Son courage toujours, son dĂ©nĂ»mĂ«rit de 1795 et sa quasi-dĂ©sorganisation sous Pichegru, son concours prĂ©cieux aux frĂšres d'armes de Sambre-et-Meuse, sa coopĂ©ration Ă des plans gigantesques et dont l'armistice de Judenburg avait seul arrĂȘtĂ© le rĂ©sultat final, une paix dĂ©jĂ obtenue Ă BĂąle, celle qui se discutait de Leoben Ă Radstat, quel passĂ© merveilleux ! On l'avait cĂ©lĂ©brĂ© Ă Paris, on l'avait contĂ© en termes magnifiques aujourd'hui consacrĂ©s par l'histoire, de Jomini Ă Sybell, Ă©tonnant les contemporains, renversant les combinaisons savantes des cabinets, dĂ©solant l'Angleterre, Ă©crasant les armĂ©es de la coalition en cents combats, ne comptant plus les drapeaux ou les canons conquis par l'intrĂ©piditĂ©, la constance, la valeur. N'Ă©tait-il pas juste de le rappeler Ă ceux qui avaient Ă©tĂ© les acteurs ou les hĂ©ros de ces campagnes que Moreau dĂ©clarait mĂ©morables ? Le gĂ©nie de la libertĂ© et de la victoire s'Ă©tait rĂ©pandu des bords de la mer du Nord au Tagliamento et aux Alpes Juliennes pendant que des tyrans avaient frappĂ© Ă l'intĂ©rieur la vertu et le talent. Mais la Constitution nouvelle avait heureusement mis d'accord les triomphes des frontiĂšres avec ceux qui venaient d'ĂȘtre remportĂ©s contre les factions. La vertu au dedans et l'honneur dans les camps l'emportaient dĂ©sormais pour applaudir de tous cĂŽtĂ©s un gouvernement rĂ©parateur. Les trophĂ©es militaires devaient prendre placĂ© auprĂšs des tables de la loi et du pacte fondamental organisĂ© par la Convention au bĂ©nĂ©fice des pouvoirs publics nĂ©s du vote lĂ©gal des assemblĂ©es primaires. Le vote recensĂ© dans les bivouacs assurait le concours des soldats Ă l'oeuvre de l'an III, acclamĂ© par le pays que l'Europe appelait dĂ©jĂ la Grande Nation, des rives du Rhin allemand aux rives du Tibre et du Danube. Le serment qu'ils avaient prĂȘtĂ© et qui les obligeait Ă la maintenir les honorait comme citoyens et comme force armĂ©e. Tels furent les sentiments auxquels firent appel les gĂ©nĂ©raux, chacun dans sa division. Or, ces hommes s'appelaient GoĂ»vioriSaint-Cyr, Lecourbe, Davout, Duhesme, Vandamme, Delmas,. 192 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE FĂ©rino. On avait Ă parler aux troupes de Desaix, le nouveau Bayard, de Beaupuy, tombĂ© pendant la grande retraite de 1796, de KlĂ©ber et de Hoche, leur ancien chef; enfin, de leurs adversaires les ImpĂ©riaux et les Allemands. Les dĂ©cemvirs avaient disparu avec leur hideux Ă©chafaud et leurs Ă©ternels dĂ©lateurs payĂ©s, espions ou sortis de la lie des prisons de justice. Le thĂšme n'Ă©tait-il pas magnifique ? RĂ©publicaine, cette armĂ©e vit chaque officier gĂ©nĂ©ral commandant prĂȘter devant le front de bandiĂšre le serment de fidĂ©litĂ© Ă la RĂ©publique. Par une erreur curieuse, Moreau confondait l'ancienne assemblĂ©e dont le souvenir se perpĂ©tuait aprĂšs sa rĂ©paration lĂ©gale, la Convention, avec la nouvelle base du gouvernement directorial. Le terme la Convention est employĂ©, en effet, dans l'article 3 de son ordre. Chaque corps d'infanterie dut accueillir ce serment pas trois dĂ©charges de mousqueterie. L'eau-de-vie et une double ration de vivres eut lieu dans toute l'armĂ©e. Un procĂšs-verbal et un rapport dĂ©taillĂ© fut rĂ©digĂ© dans chacune des divisions, puis envoyĂ© au quartier de Moreau pour en ĂȘtre rendu compte au Directoire exĂ©cutif, mentionnĂ© cette fois. LibertĂ© fut accordĂ©e d'ajouter Ă la solennitĂ© la pompe et les agrĂ©ments que les localitĂ©s des cantonnements rendirent possibles. On observera cette sĂ©vĂ©ritĂ© Spartiate comparĂ©e aux solennitĂ©s de Bonaparte. PrĂ©venu par ses amis et ses collĂšgues de Paris de l'Ă©motion qu'avaient produite les adresses de ses divisions, Bonaparte voulut en amoindrir la portĂ©e ou les consĂ©quences. Il apprit que le Directoire la cĂ©lĂ©brerait dans la capitale, Ă l'HĂŽtel national des Invalides, qu'il y prĂ©siderait, que son chef y prononcerait un discours politique et remettrait une mĂ©daille d'argent aux trois militaires blessĂ©s Ă©lus par leurs camarades pour y personnifier les armĂ©es. La pyramide de la fĂȘte devait, parmi ses inscriptions diverses, honorer les morts et les dĂ©fenseurs de la patrie. S'inspirant de cet exemple, il en tira parti pour ses desseins personnels. Le 12 septembre, il informa ses troupes de la solennitĂ© par une proclamation spĂ©ciale lancĂ©e de Passeriano, son quartier gĂ©nĂ©ral. Soldats, Nous allons cĂ©lĂ©brer le icr vendĂ©miaire, l'Ă©poque la plus chĂšre aux Français ; elle sera un jour bien cĂ©lĂšbre dans les annales du monde. C'est de ce jour que date la fondation de la RĂ©publique, l'organisation de la FĂTE DE-LA FONDATION. DE LA RĂPUBLIQUE 193 grande nation ; et1a grande nation est appelĂ©e par le. destin Ă Ă©tonner le monde. Soldats ' Ă©pignĂ©s de votre patrie et triomphants de l'Europe on vous prĂ©parait des chaĂźnes; vous l'avez su, vous avez parlĂ© le peuplĂ© s'est rĂ©veille, a fixe les traĂźtres, et dĂ©jĂ ils sont aux fers. Vous apprendrez, par la proclamation du Directoire exĂ©cutif, ce que tramaient les ennemis particuliers du soldat, et spĂ©cialement,des divisions de l'armĂ©e d'Italie. Cette prĂ©fĂ©rence nous honore la haine des traĂźtres, des tyrans;et des esclaves, sera dans l'histoire notre plus beau titre Ă la gloire et Ă l'immortalitĂ©. Rendons grĂąces au courage des premiers magistrats de la RĂ©publique, aux armĂ©es de Sambre-et-Meuse et de l'intĂ©rieur, aux patriotes, aux reprĂ©sentants restĂ©s fidĂšles au destin de la France ; ils viennent de nous rendre, d'un seul coup, ce que nous avons fait depuis six ans pour la patrie. On le voit, les royalistes et les rĂ©volutionnaires, les premiers clairement dĂ©signĂ©s, les seconds Ă©tant confondus dans l'appellation de traĂźtres et de tyrans, payaient les frais de cette indignation de commande. Le vainqueur d'Italie honorait Hoche au passage, soit pour s'unir Ă lui dans la pensĂ©e de fructidor, soit pour lui faire aimer une paix imposĂ©e Ă sa gloire prĂšs Francfort. Un peu auparavant, il ayait dĂ©noncĂ© l'influence de l'or Ă©tranger aux frontiĂšres; aujourd'hui if cĂ©lĂ©brait dans ses troupes les triomphateurs de l'Europe, langage mĂ©ritĂ©, mais qui devait les fanatiser pour sa cause. Ce qu'il, voulait Ă Passeriano, il l'a avouĂ© dans des confidences connues devenir un personnage prĂ©pondĂ©rant, soutenir le systĂšme rĂ©volutionnaires d'un cĂŽtĂ©, et de l'autre donner des espĂ©rances aux "hommes de l'Ă©migration, gagner le Pape Ă sa personne en Ă©vitant d'aller Ă Rpme, devenir redoutable et inquiĂ©ter le Directoire sans que celui-ci pĂ»t le mettre en accusation. IfrĂ©ussit en tout ce. rĂŽle multiple, preuve de son gĂ©nie. Nos armes ayant rĂ©tabli la RĂ©publique romaine, nous cĂ©lĂ©brĂąmes la fĂȘte française du Ier vendĂ©miaire avec plus de raison encore dans la Ville Ă©ternelle, si pleine de grands, souvenirs. Bar .Te rapprochement des temps et des circonstances, des lieux., tĂ©moins de, tant d'Ă©vĂ©nements autour desquels gravite l'histoire, on comprend l'intĂ©rĂȘt qu'obtinrent les solennitĂ©s patriotiques Ă Rome, du Vatican au Forum. Les parades militaires, les discours les plus rĂ©publicaines, le concours de populations accourues de tous les points, des rĂ©ceptions, des fĂȘtes, le consulat français devenu le centre de cette incomparable citĂ©, des reprĂ©sentations théùtrales comme le Brutus d'Alfieri, tout y fut un renouveau Ă©trange, de Saint-Laurenthors-les-Murs au PanthĂ©on d'Agrippa. Mais ce qui parut rendre REVUE DU MONDE CATHOLIQUE 15 JANVIER 19OO 7 194 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE cette fĂȘte unique, ce fut la tragĂ©die de la Mort de CĂ©sar, jouĂ©e par des officiers français. Sur le théùtre d'Apollon, une dĂ©coration spĂ©ciale reprĂ©senta le forum de PompĂ©i, oĂč CĂ©sar avait assemblĂ© le SĂ©nat le jour mĂȘme oĂč Brutus le frappa. Une rotonde magnifique et en colonnades offrait un coup d'oeil superbe; on l'avait ornĂ©e de statues antiques, personnages des familles des Scipion et des PompĂ©e ; le Capitole formait le fond de la toile par une fiction. La louve d'airain, la statue de PompĂ©e, tout avait concouru Ă rendre terriblement vĂ©ridique l'effet de la scĂšne, oĂč CĂ©sar Ă©tait immolĂ© aux pieds de. l'effigie de PompĂ©e. Aussi les Italiens avaient-ils criĂ©, nouveau choeur antique Morte ai Tiranni ! Une piĂšce de circonstance Les Français au Caire, avait terminĂ© le spectacle. Naturellement le sĂ©rail Ă©tait forcĂ© et on y trouvait, ĂŽ surprise! un eunuque blanc. Plus naturellement encore, cet eunuque Ă©tait un Ă©migrĂ©. QuestionnĂ© sur sa prĂ©sence dans les parages de l'armĂ©e française, il rĂ©pondait avec esprit Mon gĂ©nĂ©ral, je vous prie d'observer que ce n'est pas moi, que c'est elle qui vient me trouver. Que je vous conte ma petite odyssĂ©e Je me retire Ă Bruxelles, vous y venez. Je pousse en Hollande, vous la prenez. Alors je me dis C'est au Nord qu'on en veut, filons vers le Midi. Je passe en Suisse, vous m'en chassez.. Je traverse le PĂŽ en coche, vous le sautez. L'armĂ©e ne pĂšse pas une once, et la victoire est toujours sur mes talons. Je vais Ă Rome, elle devient votre conquĂȘte. Je traverse les mers, les dĂ©serts, et nous voici encore nez Ă nez ! Ah ! de grĂące, dites-moi, gĂ©nĂ©ral, s'il est un coin du monde que la valeur rĂ©publicaine ne veuille pas visiter, et je m'y retire... La fĂȘte de Rome eut son pendant au Caire l'annĂ©e suivante. On y cĂ©lĂ©bra, en s'inspirant du lieu, le Coran et son lĂ©gislateur ; l'inscription suivante figura sur l'arc de triomphe Ă©levĂ© en l'honneur delĂ RĂ©publique // n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son ProphĂšte ; une autre disait avec le peuple fellah A l'expulsion des MamĂ©lucks. Le drapeau tricolore flotta au sommet de la plus haute pyramide et fut saluĂ© par l'artillerie et la Marseillaise. BONNAL DE GANGES. Les habitations ouMĂšres Ă Mlle en 1896 PAR M. FĂRON-VRAU Ce mĂ©moire a obtenu une mĂ©daille d'or au concours de la SociĂ©tĂ© industrielle en 1896. Lille, imprimerie Danel, 1899, grand in-8°. Je n'ai point Ă prĂ©senter M. FĂ©ron-Vrau aux lecteurs de cette Revue ses oeuvres parlent si haut, que tous le connaissent. Mais, jusqu'ici, nous ne savions pas que sous l'industriel Ă©minent, sous le chef d'usine, Ăąme de la rĂ©forme chrĂ©tienne des usines dans le Nord, sous le chrĂ©tien Ă©clairĂ© et gĂ©nĂ©reux auquel on doit en grande partie l'UniversitĂ© catholique de Lille, l'Ă©cole catholique d'arts et mĂ©tiers de Lille, et tant d'autres fondations grandioses, il y avait un Ă©conomiste de premier ordre. Or, c'est ce que rĂ©vĂšle cette monographie, qui, dans son genre, est un petit chef-d'oeuvre. M. FĂ©ron-Vrau montre d'abord combien Ă©taient justes les enquĂȘtes faites en 1835-37 par M. VillermĂ©, et, vers la mĂȘme Ă©poque, par le comte de Villeneuve-Bargemont, puis il procĂšde Ă une nouvelle enquĂȘte sur les foyers de la population lilloise. Cette population comprend, en y joignant les faubourgs Ville h. Faubourgs Total. . h. Sur ce chiffre, personnes Ă©taient, en 1896, dans l'industrie, dont dans l'industrie textile; habitants sont indigents. L'auteur commence son travail par une description sommaire de la population, en prenant comme cadres les paroisses. On remarque surtout, Ă Saint-Maurice en particulier, la densitĂ© de la population ouvriĂšre, qui ne veut pas Ă©migrer hors les murs, pour ne pas perdre les secours du bureau de bienfaisance ; l'entas- 196 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE sĂšment des constructions, le morcellement poussĂ© aux derniĂšres limites par les capitalistes, qui spĂ©culent sur la maison du pauvre et veulent lui faire rapporter de 10 Ă 12 0/0, et les soins de voirie souvent complĂštement nĂ©gligĂ©s. Etude des logements. â Impossible de faire une enquĂȘte complĂšte il a fallu se borner, on a donc distribuĂ© aux enquĂȘteurs 1358 questionnaires, et on a Ă©tudiĂ© Ă fond 1358 logements. Ces 1358 logements sont habitĂ©s par une population de 7608 individus, soit 137 personnes vivant seules; 6212 personnes formant des familles complĂštes 1258 personnes formant des familles incomplĂštes. M. FĂ©ron-Vrau consacre un chapitre aux familles complĂštes. Ce total comprend 6212 personnes appartenant Ă 15 paroisses, dont 1812 parents, 4400 enfants, ou prĂšs de cinq par famille. Dans le nouveau Lille, les familles ont 2,61 piĂšces par famille ; dans les faubourgs, 2,58, et dans le vieux Lille, 1,79. 125 familles ont une petite maison. Dans aucune paroisse, il n'y a plus de 13 mĂštres cubes 429 d'air par tĂȘte, au lieu des 25 requis pour la santĂ©, et dans presque toutes les paroisses la moyenne est de 11 mĂštres ; dans deux de 9 mĂštres. La plupart des familles ouvriĂšres ne peuvent trouver dans la capacitĂ© des logements qu'elles occupent la moitiĂ© du minimum d'air respirable absolument nĂ©cessaire Ă la vie. La nuit, les lits sont entassĂ©s dans une seule piĂšce, et la fenĂȘtre, si on l'ouvre, ne fournit souvent qu'un air chargĂ© de miasmes, Ă cause de l'Ă©tat abominable des cours intĂ©rieures et des latrines. 1812 parents occupent 915 lits; 533 enfants en bas Ăąge sont reçus dans 533 berceaux; il reste 1697 lits pour 3864 enfants de tout Ăąge. C'est une moyenne de 2,28 enfants par lit. Quand on ajoute que les lits sont le plus souvent accumulĂ©s dans une piĂšce, on devine de suite les Ă©pidĂ©mies morales et physiques qui se dĂ©veloppent dans ces milieux, oĂč l'air pur manque, oĂč la pudeur s'Ă©teint, oĂč d'un cĂŽtĂ© le vice, de l'autre la maladie, le typhus, la phtisie, guettent l'enfant dĂšs le berceau. Heureuses encore seraient les familles si; Ă cĂŽtĂ© de la promiscuitĂ© de la chambre, ne s'en rĂ©vĂ©lait pas une autre plus redoutable, celle de la rue, de la cour intĂ©rieure. Dieu a donnĂ©'sans mesure Ă ses crĂ©atures l'air, le soleil et l'eau pure. Nos villes ont changĂ© tout cela, et nos pauvres ouvriers n'ont ni air, ni soleil, ni eĂąd potable. LES HABITATIONS OUVRIĂRES A LILLE EN 1896 Ă97 La privation d'eau pure, jointe Ă la tendance gĂ©nĂ©rale qui portĂ© les ouvriers Ă se servir indiffĂ©remment de toute Ă©au qui est Ă leur portĂ©e, voilĂ un des plus grands dangers qui menacent l'hygiĂšne publique Ă Lille. LĂ©s travaux les plus concluants dĂ©montrent que la mortalitĂ© par fiĂšvre typhoĂŻde dĂ©croĂźt exactement dĂąhs la mesure oĂč se rĂ©pand l'usage de l'Úà Ăč de source. Or, Ă Lille, les ouvriers se contentent de l'eau de la ponipe de leur cour, la seule Ă leur portĂ©e, et les puits qui alimentent ces pompes sont souvent contaminĂ©s par des infiltrations venues de fosses d'aisances insuffisamment cimentĂ©es. Ici; comme ailleurs, l'administration de la ville h'a-t-elle rien Ă se reprocher ? Elle aurait pu si facilement prĂ©venir l'encombrement des maisons, soigner les travaux de voirie, empĂȘcher que les cours ne devinssent des marais fĂ©tides, et exiger des propriĂ©taires, qui bĂątissent le plus mal possible, des mesures Ă©lĂ©mentaires d'ordre et d'hygiĂšne, car enfin l'hygiĂšne et la morale publique voilĂ le premier devoir du gouvernement. Cela passe avant tout, et eh particulier avant les Ă©coles dont il se charge sans que rien l'y oblige. M. FĂ©ron-Vrau signale, en terminant cette premiĂšre partie, les efforts intermittents qu'a suscitĂ©s l'Ă©tude de bette question des logements ouvriers Ă Lille. Oh a supprimĂ© les caves en 1864. La Compagnie immobiliĂšre a construit des maisons saines, et cependant les logements d'ouvriers sont restĂ©s Ă peu prĂšs les mĂȘmes. Les autoritĂ©s municipales avaient le devoir de prendre des mesures pour Ă©viter l'encombrement effroyable de certaines ruĂ©s,- de forcer les propriĂ©taires Ă respecter les lois de l'hygiĂšne, de les obliger a assainir leurs cours, leurs puits et leurs fosses d'Ăąisahce elles n'ont rien fait. Oh admet que lĂšs autoritĂ©s locales peuvent imposer le ĂMJ Ă VĂšgoitl, interdire lĂšs maisons qui menacent de s'effondrer, obliger lĂšs propriĂ©taires Ă supprimer les foyers d'infection; pourquoi; dans le mĂȘme ordre d'idĂ©es, ne leur ĂąccĂŽrdĂšrait-Ori pas le pouvoir d'Ă©riger dans lĂšs habitations l'air nĂ©cessaire Ă la vie, d'obliger d'urgence Ă rĂ©former tout te qui peut contaminer l'air du l'éà Ăč ; d'exproprier mĂȘme pour cause d'UtilitĂ© pĂčblnfĂčĂ« les maisons empestĂ©es? Voici l'occasion d'agir lĂšs fortifications actuelles vont ĂȘtre 'deâąelĂ ssëës ; oh va lĂ©s vendre, et de nouveaux quartiers; s'y cOnstfuirorĂźt Pourquoi la ville h'ĂšxigerĂ it-Ă«llĂ© pis un c^htfĂŽlĂ« sur les bĂątisses I98 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE nouvelles, une direction sur l'application des rĂšgles de la morale et de l'hygiĂšne publiques? En verte des lois du 13 avril 1850 et du 25 mai 1864, la commission des logements insalubres a Ă©tĂ© créée. VoilĂ , si on sait s'en servir, un levier efficace de rĂ©formes. Et, de fait, cette commission a dĂ©jĂ opĂ©rĂ© de grands changements; mais, Ă la longue, elle a paru se lasser, et son action, d'abord intense, s'est comme Ă©puisĂ©e. Mais il ne faut pas laisser se rouiller une arme qui peut servir encore contre les calculs intĂ©ressĂ©s et contre la nĂ©gligence coupable des propriĂ©taires. Si les lois ne suffisent pas, qu'on en fasse d'autres ! L'autoritĂ© municipale a d'ailleurs en main tout ce qui concerne la garde et l'entretien de la voirie et la salubritĂ© des habitations. -Qu'elle fasse exĂ©cuter les rĂšglements sur l'enlĂšvement des immondices, sur l'hygiĂšne publique, sur les dimensions des logements; qu'elle achĂšve son rĂ©seau d'Ă©gouts ; qu'elle couvre ses canaux, qui portent partout la peste; qu'elle impose la fermeture des puits contaminĂ©s ; qu'elle distribue la bonne eau plus abondamment ; qu'elle crĂ©e des lavoirs publics ; qu'elle perce les quartiers infects de voies larges; qu'elle exige la dĂ©sinfection des logements; qu'elle excite le bureau de bienfaisance et la Caisse d'Ă©pargne Ă consacrer, comme la loi le permet, quelques ressources Ă bĂątir des maisons saines et aĂ©rĂ©es pour les ouvriers ; qu'elle s'occupe sĂ©rieusement de ces intĂ©rĂȘts majeurs. Mais ce qu'il faut surtout atteindre, Ă©clairer et remuer, c'est l'opinion publique, et en particulier l'opinion des catholiques, des hommes d'oeuvres. Qu'ils comprennent donc enfin, ces hommes zĂ©lĂ©s, que le plus souvent c'est peine perdue de vouloir moraliser et convertir des hommes qui semblent n'avoir pas de foyer et qui hantent les cabarets, parce que leur home les repousse et les dĂ©goĂ»te; qu'ils se persuadent qu'on n'empĂȘchera jamais de boire des ouvriers qui ne connaissent point le bonheur domestique. Une fois l'opinion formĂ©e et rĂ©solue sur ce point, elle trouvera les moyens d'exĂ©cuter les rĂ©formes. L'argent ne manquera point si les hommes d'oeuvres savent faire comprendre que les fonds mis Ă leur disposition, Ă©tant hypothĂ©quĂ©s sur les maisons construites, rapporteront un intĂ©rĂȘt raisonnable et formeront un placement de tout repos. Si les sociĂ©tĂ©s formĂ©es pour bĂątir, sociĂ©tĂ©s immobiliĂšres ou syndicats, agissent avec prudence et inspirent confiance, elles placeront facilement leurs actions et leurs obligations. LES HABITATIONS OUVRIĂRES A LILLE EN 1896 199 Qu'elles encouragent l'ouvrier Ă acquĂ©rir leurs obligations en nombre suffisant, si possible, pour que leur revenu couvre le prix de son loyer. Ce sera du mĂȘme coup le paiement du loyer assurĂ© et l'ouvrier maĂźtre chez lui. En combinant ce systĂšme avec les ressources nouvelles que lui donne la loi du 30 novembre 1894, la famille ouvriĂšre Ă©chappera, si le pĂšre vient Ă mourir, Ă la liquidation dĂ©sastreuse du partage forcĂ©. On sait que cette loi permet Ă une famille propriĂ©taire d'une petite maison, et dont le chef vient de mourir, de prolonger l'indivision, mĂȘme s'il y a des mineurs, jusqu'Ă ce que l'aĂźnĂ© des enfants ait vingt-six ans, et qu'elle Ă©dictĂ© que si un des hĂ©ritiers naturels veut acheter la propriĂ©tĂ©, on est obligĂ© de la lui vendre Ă un prix modĂ©rĂ©. Terminons sur un voeu formulĂ© par M. FĂ©ron-Vrau Ne formons pas, dit-il, des citĂ©s ouvriĂšres ; elles sont dĂ©sormais condamnĂ©es par l'expĂ©rience, qui les trouve trop exposĂ©es Ă l'encombrement et Ă la promiscuitĂ© de la rue; prĂ©fĂ©rons-leur les habitations isolĂ©es, et mĂȘme essayons, si possible, de bĂątir ces maisons dans le voisinage des familles aisĂ©es. » Car, enfin, il y a quelque chose qui choque le sentiment chrĂ©tien dans cette espĂšce de parti pris de relĂ©guer la classe ouvriĂšre dans des quartiers pauvres, qui forment Ă la ville comme une ceinture de misĂšre. De grandes dames, Ă Londres, ont compris cela, et, de propos dĂ©libĂ©rĂ©, ont abandonnĂ© le West-end pour YEast de la grande citĂ©. De jeunes graduĂ©s d'Oxford, vouĂ©s aux professions libĂ©rales, habitent au sein des quartiers pauvres une maison d'oeuvres. Ce noble exemple trouvera sans doute des imitateurs. La pensĂ©e qui l'a inspirĂ© est assurĂ©ment trĂšs haute et trĂšs chrĂ©tienne, et M. FĂ©ron-Vrau a eu raison d'insister sur ce point dĂ©licat et important. R. P. FORBES, Les derniĂšres fouilles de Deir-el-Mari Nos lecteurs ont certainement entendu parler des travaux d'exploration que des savants de diffĂ©rentes nationalitĂ©s poursuivent depuis longtemps en Egypte. On s'efforce de ressusciter et de restaurer dans la mesure du possible les admirables monuments de l'Egypte des. Pharaons, dont la plupart gisent enfouis depuis bien des siĂšcles sous des amas de dĂ©combres. Reconstruire l'histoire religieuse, politique et militaire de tout un pays qui a eu des moments de splendeur et de cĂ©lĂ©britĂ©, en la tirant des monuments et des textes lapidaires, c'est certainement une oeuvre aussi belle que louable. La mission française du Caire n'a pas occupĂ© la derniĂšre place dans ce mouvement europĂ©en elle a pris au contraire une part considĂ©rable Ă cet immense labeur, soit par le renom de ses savants, soit par l'importance de ses dĂ©couvertes, soit enfin par ses heureuses, initiatives et son incessante activitĂ©. On peut dire sans amour-propre que, depuis l'expĂ©dition de Bonaparte au siĂšcle dernier, c'est la France qui a toujours Ă©tĂ© chargĂ©e de la direction des fouilles et des musĂ©es. Nos compatriotes se sont acquittĂ©s de cette difficile mission de la maniĂšre la plus honorable et la plus avantageuse Ă la science des antiquitĂ©s Ă©gyptiennes, je ne puis pas â et l'on ne saurait ni s'y attendre ni me le demander â exposer dans cet article les rĂ©sultats de toutes les fouilles qui ont absorbĂ© tant d'efforts et d'intelligences. Elles sont si nombreuses et qu'il faudrait des volumes entiers pour les porter Ă la connaissance du public. Du reste, les spĂ©cialistes n'ont pas manquĂ© de le faire aux diffĂ©rentes Ă©tapes des dĂ©couvertes archĂ©ologiques. Un article ne peut soulever qu'un coin de la question, montrer une petite partie du vaste champ d'exploration. Je donnerai aujourd'hui quelques renseignements intĂ©ressants sur les fouilles de Deir-el-Bahari. I L'honneur d'avoir ressuscitĂ© ce vieux temple thĂ©bain revient presque tout entier Ă l'Ă©gyptologue genevois Edouard Naville. On LES DERNIĂRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 201 ne peut que lui adresser des fĂ©licitations d'autant plus justes et mĂ©ritĂ©es, que l'Ă©minent savant n'a rien Ă©pargnĂ©, rien nĂ©gligĂ© pour venir Ă bout de sa tĂąche. Bien des difficultĂ©s se sont, dressĂ©es sur son chemin, bien des obstacles ont surgi Ă tout moment devant lesquels bien d'autres eussent peut-ĂȘtre reculĂ©. Mais Naville, regardant toujours devant lui avec cette confiance et cette audace que donne le dĂ©sir d'accomplir une grande oeuvre scientifique, l'oeil imperturbablement fixĂ© sur le but lointain, n'a pas succombĂ© au dĂ©couragement; encore moins a-t-il renoncĂ© Ă ses projets; il a consacrĂ© Ă son oeuvre de prĂ©dilection sept annĂ©es de sa vie, ses forces, son intelligence et, pourrions-nous dire, tout son ĂȘtre, et cela sans arriĂšre-pensĂ©e, sans calcul Ă©goĂŻste, sans espoir de trouver au bout de la carriĂšre des avantages matĂ©riels. Dieu sait combien, il dut insister auprĂšs de la SociĂ©tĂ© anglaise des fouilles Ă©gyptiennes, Egypt Exploration FĂčnd, pour la dĂ©cider Ă entreprendre ce travail et Ă faire les sacrifices nĂ©cessaires. Il finit enfin par rĂ©ussir, par ouvrir les portes, et aujourd'hui la plus grande partie du travail est accomplie, quoiqu'il reste encore beaucoup Ă faire pour l'achever entiĂšrement. Travaillant pour la mission anglaise, M. Naville a rĂ©digĂ© en anglais et publiĂ© Ă Londres les trois gros volumes oĂč il. expose le rĂ©sultat de ses fouilles. Il faut reconnaĂźtre que les fouilles, ont Ă©tĂ© faites de la maniĂšre la plus intelligente et avec tous les; soins possibles. Il est juste d'ajouter que si Naville en a Ă©tĂ© le directeur, il a eu des aides et des collaborateurs successifs qui lui ont prĂȘtĂ© le plus gĂ©nĂ©reux concours. Hogarth, Newberry, Howard, Verney Carter, Percy-Brown, Somers Clarke, Peers, mĂ©ritent d'ĂȘtre mentionnĂ©s Ă cĂŽtĂ© de lui. Leurs connaissances et leurs aptitudes les mettaient Ă mĂȘme de le seconder heureusement dans sa. pĂ©nible entreprise. Du temple lui-mĂȘme nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots afin que l'on ne soit pas complĂštement dĂ©paysĂ© et que l'on puisse suivre l'exposĂ© des dĂ©tails. Le temple de Deir-elBahari est bĂąti en face de ThĂšbes, au fond d'un des vallons septentrionaux, le vallon le plus septentrional mĂȘme, creusĂ©s dans la chaĂźne Libyque, une chaĂźne de montagnes qui partant de la Libye s'allonge de plus en plus et s'Ă©tend dans l'Egypte supĂ©rieure. Le nom arabe de Deir-el-Bahari, qui signifie monastĂšre du Nord, il le doit aux dĂ©bris d'un monastĂšre de moines coptes qui l'encombrait au siĂšcle dernier. On sait que dans les pays dĂ©vastĂ©s par des invasions successives, piĂ©tines tour Ă tour par des races diverses et sacagĂ©s par les musulmans comme l'Egypte, il n'Ă©tait pas rare 202 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE qu'un monument se superposĂąt Ă un autre ou fĂ»t construit sur les ruines d'un autre. Il en fut ainsi du vieux temple Ă©gyptien. Les moines coptes bĂątirent un monastĂšre sur ses ruines. Des Ă©crivains hostiles au christianisme accusent d'inintelligence et de vandalisme les moines coptes pour avoir privĂ© l'art de tant de chefsd'oeuvre incomparables et ruinĂ© tant de splendides monuments. Il y a lĂ Ă©videmment une exagĂ©ration. S'il y a eu quelques excĂšs qu'il est impossible de nier, ce n'est pas au christianisme qu'il faut s'en prendre, mais au caractĂšre oriental et tout particulier de certains moines. Les moines coptes avaient le caractĂšre oriental, lequel n'Ă©prouve pas les mĂȘmes impressions et les mĂȘmes Ă©motions que nous devant les crĂ©ations de l'art; le sens esthĂ©tique n'est que faiblement dĂ©veloppĂ© chez les Orientaux. Ajoutez Ă cela la puissance d'une idĂ©e supĂ©rieure, celle de la religion, sinon totalement mal comprise, du moins exagĂ©rĂ©e, et l'on s'explique assez facilement qu'ils fussent portĂ©s Ă regarder comme plus ou moins inutile tout ce qui n'Ă©tait pas d'origine chrĂ©tienne ni ne portait l'empreinte chrĂ©tienne. Ces accidents sont de pures contingences dans l'histoire de l'humanitĂ© en gĂ©nĂ©ral et des grandes institutions, et l'on est assurĂ©ment mal fondĂ© Ă vouloir en faire un grief Ă la nature et aux qualitĂ©s immuables du christianisme. Le monastĂšre lui-mĂȘme n'eut pas l'Ă©ternitĂ© pour lui et il n'Ă©chappa pas aux revers de la fortune ; il fut probablement dĂ©vastĂ© Ă l'Ă©poque des invasions musulmanes, et tout ce qui en restait de plus saillant dans ces derniers temps, c'Ă©tait une tour dĂ©capitĂ©e, dernier dĂ©bris d'un donjon oĂč les pauvres moines trouvaient un refuge contre les attaques des BĂ©douins. Le rationalisme, qui pousse des cris d'indignation lorsque ceux qui portent la croix dans leur main ont le malheur de renverser quelque monument paĂŻen, n'Ă©prouve pas les mĂȘmes susceptibilitĂ©s lorsque le croissant renverse quelque monument chrĂ©tien. On comprend que dans un tel dĂ©labrement les premiers essais et les premiĂšres tentatives aient Ă©tĂ© extrĂȘmement difficiles. Les premiers savants de la commission française purent Ă peine discerner les anciens murs sous les amas de briques sĂšches qui s'y Ă©taient entassĂ©es successivement. Jollois et Devilliers, qui furent les premiers Ă mettre la main Ă l'oeuvre, n'aperçurent que la partie extrĂȘme de l'Ă©difice, adossĂ©e Ă la montagne, ainsi que quelques crĂȘtes de murailles. La longue avenue de sphinx Ă©tait encore visible Ă leur Ă©poque. Dans la suite, quelques ouvriers indigĂšnes, sous la direction de Drovetti, de Sait et de Belzoni, exĂ©cutĂšrent quelques dĂ©blaiements partiels et dĂ©limitĂ©s. LES DERNIERES FOUILLES DE DE1R-EL-BAHARI 203 II Nous avons dĂ©jĂ dit que l'honneur de ces fouilles revient surtout Ă M. Naville. Il serait pourtant injuste de ne pas rappeler les premiers essais et de ne pas mentionner les prĂ©curseurs du savant genevois. Les explorations sĂ©rieuses, conduites avec mĂ©thode et dans un esprit scientifique, ne commencent qu'avec Champollion. Celui qui arracha aux mystĂ©rieux et sĂ©culaires hiĂ©roglyphes leurs premiers secrets put facilement examiner les tableaux des salles souterraines du temple et dĂ©terminer la date de construction. Il s'aperçut tout d'abord que l'Ă©difice avait Ă©tĂ© consacrĂ© Ă l'Amoii thĂ©bain par le mari d'une reine cĂ©lĂšbre et remuante, au nom de laquelle il agissait. Ce personnage cependant, ThoutmĂŽsis III, fit quelque chose pour sa propre gloire il effaça les cartouches antĂ©rieurs et se donna comme le fondateur de l'ensemble. C'Ă©tait dĂ©jĂ une premiĂšre Ă©tape, prĂ©cieuse sans doute, puisqu'elle avait posĂ© le premier jalon. Wilkinson, Ă©gyptologue anglais, marcha sur les traces de Champollion et continua ses recherches. En 1827 il dĂ©gagea la terrasse de l'est et dĂ©crivit les scĂšnes triomphales qui y sont sculptĂ©es; les fouilleurs du pays se remirent Ă la besogne, et c'est grĂące Ă eux qu'en 1843 l'Ă©gyptologue allemand Lepsius releva un plan plus complet que celui de la commission. Lepsius eut mĂȘme une intuition, ou plutĂŽt Ă©mit uue hypothĂšse. Il pensa que la majestueuse allĂ©e de sphinx se prolongeait Ă travers toute la plaine jusqu'Ă la rive du Nil, et qu'elle rĂ©unissait ainsi le temple occidental au grand sanctuaire de Karnak, dont les fouilles, auxquelles ont pris part tant d'illustres savants, ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es dans notre siĂšcle d'une maniĂšre absolument remarquable. AprĂšs le dĂ©part de Lepsius, d'autres mirent la main Ă l'oeuvre. Plusieurs explorateurs, Greene entre autres, exĂ©cutĂšrent vers 1855 des sondages qui rendirent libre l'accĂšs de plusieurs salles. Nous arrivons ainsi Ă l'Ă©poque oĂč Mariette entre en scĂšne. AppelĂ© Ă organiser le service des antiquitĂ©s, Mariette porte aussitĂŽt son attention sur Deir-el-Bahari. En 1858, des ouvriers, dirigĂ©s par l'inspecteur Gobet, firent une sĂ©rieuse besogne ; ils s'attaquĂšrent aux parties hautes de l'Ă©difice et nettoyĂšrent successivement la tour centrale, les spĂ©os du Nord et du Sud, la premiĂšre terrasse, celle que dĂ©corent les bas-reliefs fameux de l'expĂ©dition au Pouanit. De nouvelles escouades d'ouvriers revinrent deux fois, en 1862 puis en 1886, sous la con- 204 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE. duite de Vassali, Ă©gyptologue italien. Ces escouades dĂ©couvrirent plusieurs chambres complĂštement remplies de momies, lesquelles furent exposĂ©es Ă Paris en 1867. L'architecte Brune leva le plan et essaya de restituer l'ensemble. Quoique dĂ©fectueux sur plus d'un point, son plan n'en rendit pas moins des services rĂ©els ; il permit au public europĂ©en, Ă©tranger Ă ces matiĂšres, de se faire une idĂ©e de ce que devait ĂȘtre le temple au temps de sa splendeur. L'Ă©gyptologue allemand DĂ»michen et Mariette publiĂšrent les textes et les tableaux, le premier en 1868 et en 1869 et le second en 1877. La publication de ces textes et de ces tableaux fournit une ample matiĂšre de recherches et aussi de discussions Ă l'archĂ©ologue, Ă l'historien et mĂȘme Ă l'artiste. Tout pourtant n'Ă©tait pas achevĂ© dans l'oeuvre des fouilles. Mariette n'aurait pas mieux demandĂ© que de mener Ă bonne fin l'exploitation si bien commencĂ©e et Ă laquelle s'Ă©taient dĂ©vouĂ©s et avaient pris part tant de savants ; malheureusement les ressources pĂ©cuniaires lui manquĂšrent, et il mourut sans avoir pu rĂ©aliser ses projets. Ce fut un fĂącheux contre-temps pour la science. AprĂšs sa mort on ne fit que quelques travaux presque insignifiants dont les rĂ©sultats n'eurent aucune influence apprĂ©ciable sur le progrĂšs scientifique. III Nous arrivons Ă l'Ă©poque dĂ©cisive, Ă l'intervention de M. Naville. Il ne faut pas oublier que l'Ă©gyptologue de GenĂšve eut toutes les peines du monde Ă dĂ©cider le comitĂ© de YEgypt Exploration Fund Ă reprendre et Ă poursuivre jusqu'au bout lĂ© dĂ©blaiement. Le terrain, en effet, Ă©tait dans un Ă©tat capable de dĂ©courager mĂȘme les meilleures volontĂ©s, les Ăąmes les plus fortement trempĂ©es. D'immenses dĂ©pĂŽts s'y Ă©taient accumulĂ©s peu Ă peu qui atteignaient une Ă©paisseur considĂ©rable. M. de Morgan, directeur des fouilles, mit gracieusement Ă la disposition de M. Naville quelques wagons Decauville. Ce fut un prĂ©cieux secours, car il permit de centupler le travail. A l'aide de ces wagons et avec le concours de quelques ouvriers, M, Naville put entreprendre dĂšs fouilles sĂ©rieuses et surtout bien suivies. Pour savoir en rĂ©sumĂ© quel, fut le caractĂšre de ces fouilles en ce qui concerne le dĂ©blaiement de l'Ă©difice, nous laissons la parole au grand Ă©gyptologue français M. MaspĂ©ro << La premiĂšre campagne occupa l'hiver de 18921893, et elle produisit les rĂ©sultats les plus heureux. Naville LES DERNIĂRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 205 nettoya la partie septentrionale de la plate-forme supĂ©rieure, que Mariette avait nĂ©gligĂ©e, et il y dĂ©couvrit un ensemble de salle-S; en bon Ă©tat d'abord une piĂšce longue, une sorte de couloir ouvrant sur la cour, puis, Ă cĂŽtĂ©, une chapelle dĂ©diĂ©e au roi ToutmĂŽsis Ier et comprenant un petit vestibule dont le plafond Ă©tait supportĂ© par trois colonnes, une cour rectangulaire plus longue que large, enfin un sanctuaire creusĂ© en voĂ»te dans le roc. Au centre de la cour s'Ă©lĂšve un monument unique jusqu'Ă ce jour, un grand autel dĂ©diĂ© au dieu Harmakhis. C'est un cube en calcaire blanc, haut de plus de deux mĂštres, long de cinq et large de quatre environ, auquel un escalier de dix marches accĂ©dait doucement cet escalier est bĂąti du cĂŽtĂ© sud-ouest, si bien que le prĂȘtre, en dĂ©bouchant sur la plate-forme, tournait naturellement la face Ă sondieu le Soleil levant. Peu aprĂšs, l'esplanade infĂ©rieure, attaquĂ©e Ă son tour, rendit, en retour sur le spĂ©os d'Anubis, la fin de la galerie entrevue par Mariette. Elle est soutenue par des colonnes protodoriques d'un effet charmant, et bien qu'elle soit inachevĂ©e, ce qui en existe est de proportion si exquise que nul art antique n'a rien Ă comparer de plus fin ni de plus gracieux. Les campagnes suivantes mirent au jour les terrasses infĂ©rieures, leurs escaliers, leurs murs de soutĂšnement, leurs murs d'enceinte, des fragments de scĂšnes maritimes, de longues inscriptions martelĂ©es mais lisibles encore, les panneaux d'une porte de tabernacle en Ă©bĂšne, de menus objets pharaoniques ou coptes, jusqu'aux fosses que les vieux jardiniers du temple avaient creusĂ©es pour y planter les arbres Ă encens rapportĂ©s des pays de Somalis au temps de la reine HĂątshopsĂźtou. La remise en place des blocs recueillis dans les dĂ©combres n'est pas achevĂ©e; mais les gros travaux sont finis, et rien n'empĂȘche plus le visiteur de se promener librement Ă traversĂ©e qui subsiste encore du temple 1. » IV Ce qu'il y a de plus important et ce qui doit attirer le plus notre attention dans les fouilles du temple de Deir-el-Bahari, ce sont sans contredit les faits historiques mis en lumiĂšre et les dĂ©couvertes mythologiques. C'est surtout Ă ; ce point de vue que les fouilles sont, toujours utiles, parce qu'elles concourent Ă enrichir nos con1. con1. des Savants, juin 1899, p. 341, 342. 20Ă REVUE DU MONDE CATHOLIQUE . naissances historiques ou les donnĂ©es mythologiques que nous possĂ©dions dĂ©jĂ sur la religion des anciens Egyptiens. Les tableaux du temple de Deir-el-Bahari nous attestent le culte rendu Ă Thoutmosis Ier et Ă sa mĂšre. Il n'est pas aisĂ© de connaĂźtre exactement le rĂŽle, les privilĂšges et les attributions des reines et des princesses royales en Egypte. Ce ThoutmĂŽsis Ier auquel on rendait un culte Ă©tait le fils d'une femme appelĂ©e Sonisonbou, qui Ă©tait de basse et commune extraction et qui avait fait partie du harem d'AmĂ©nĂŽthĂšs Ier. Elle Ă©tait jusqu'ici Ă peine connue. Dans les nouvelles dĂ©couvertes son rĂŽle grandit considĂ©rablement ; elle nous apparaĂźt debout dans une niche, la tĂȘte couverte de la dĂ©pouille du vautour, dont se coiffaient en Egypte les dĂ©esses et les reines mĂšres ; elle a aussi un cartouche et un protocole, ce qui Ă©tait un privilĂšge des personnages royaux. Ces renseignements et ces dĂ©tails sont un trait de lumiĂšre; ils nous font connaĂźtre Ă merveille les intrigues de cour qui se jouaient chez les Pharaons Ă peu prĂšs comme dans beaucoup d'autres cours monarchiques. On y tenait beaucoup Ă la gĂ©nĂ©alogie et Ă la descendance, Ă l'infusion du sang royal dans les veines, aux titres de naissance; c'Ă©tait lĂ ce qui donnait la prĂ©sĂ©ance, le premier pas sur les autres. Ainsi une reine, une femme de roi, qui descendait de famille royale, avait le pas sur son mari si celui-ci n'en descendait pas. Qu'on nous permette de donner quelques exemples AmĂ©nothĂšs Ier, qui Ă©tait fils d'une femme de race royale, hĂ©rita de droits Ă la couronne, Ă©gaux du cĂŽtĂ© paternel et du cĂŽtĂ© maternel. La chose changea sous ses successeurs. ThoutmĂŽsis II Ă©tait le fils d'une princesse, MoutnofrĂźt, de rang secondaire ; c'est pourquoi il cĂ©dait le pas Ă sa femme, HĂątshopsĂźtou Ire, qui Ă©tait fille d'une princesse hĂ©ritiĂšre, Ahmasi. ThoutmĂŽsis III Ă©tait fils d'une Isis entiĂšrement inconnue, et par consĂ©quent il cĂ©dait le pas Ă sa femme, HĂątshopsĂźtou, qui Ă©tait fille de HĂątshopsĂźtou Ire. De mĂȘme, ThoutmĂŽsis Ier, fils d'une femme du peuple, Sonisonbou, doit cĂ©der le pas Ă sa femme Ahmasi, fille d'une princesse hĂ©ritiĂšre, Ahhotpou II. Dans les autres salles et vestibules du temple, les inscriptions se superposent aux inscriptions. Des grattages s'y sont produits, car chaque roi effaçait les textes de ses prĂ©dĂ©cesseurs pour y Ă©crire les siens. La dĂ©coration fondamentale appartient en tout cas Ă la reine HĂątshopsĂźtou Ire. ThoutmĂŽsis Ier venait de mourir, car son nom apparaĂźt plusieurs fois dans le vestibule, et, de plus, la chapelle lui est entiĂšrement dĂ©diĂ©e. ThoutmĂŽsis II y figure aussi assez souvent, soit seul, soit avec sa femme ; puis ThoutmĂŽsis III se Jfi LES DERNIĂRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 207 montre Ă son tour. Ce prince fit beaucoup de changements, qui prouvent son ambition ou son astucieuse politique. Une fois qu'il fut seul au pouvoir, il substitua ses propres cartouches aux cartouches originaux, qui rappelaient les fondateurs du monument. Evidemment, en agissant ainsi, il voulait s'attribuer devant la postĂ©ritĂ© la gloire et l'honneur d'avoir construit ou du moins achevĂ© ce temple majestueux. Plus tard commença une autre oeuvre de dĂ©vastation. AmenĂŽthĂšs-Khouniatonou, qui donna ses prĂ©fĂ©rences Ă un autre dieu que le dieu souverain de ThĂšbes, fit dĂ©truire les symboles et les images d'Amon. Ce travail de dĂ©vastation, qui fut un peu gĂ©nĂ©ral dans toute l'Egypte, ne s'accomplit nulle part avec autant d'intensitĂ© et de rigueur qu'Ă Deir-el-Bahari. Avec les images d'Amon on confondit parfois celles des rois et des reines, qui dĂšs -lors subirent le mĂȘme sort et les mĂȘmes profanations. â RamsĂšs II, il est vrai, s'appliqua avec beaucoup d'ardeur Ă rĂ©parer le dommage, mais les ouvriers chargĂ©s d'exĂ©cuter ses plans ne procĂ©dĂšrent pas avec toute l'attention requise pour une pareille tĂąche ; ils rĂ©tablirent les images et les noms du dieu Amon, mais ils nĂ©gligĂšrent les souverains et ils substituĂšrent les noms et les titres de leurs maĂźtres Ă ceux des rois antĂ©rieurs. C'est lĂ le dernier remaniement subi par ce temple cĂ©lĂšbre, qui resta tant de siĂšcles enfoui sous les dĂ©combres et que les savants de notre Ă©poque devaient dĂ©terrer. II ne faut pas trop s'en plaindre, car c'est grĂące Ă cet enfouissement que les peintures se cont conservĂ©es dans toute leur fraĂźcheur. Dans le temple se trouve la chapelle d'Anubis. Cette chapelle rĂ©servait Ă M. Naville une surprise bien agrĂ©able. C'est dans cette chapelle que l'Ă©gyptologue genevois dĂ©couvrit, le Ier mars 1893, un naos. Les naos Ă©taient frĂ©quents et mĂȘme nombreux dans les temples. Le principal de chaque temple Ă©tait en pierre, et de trĂšs grandes dimensions, comme celui que l'on voit encore au sanctuaire d'Edfou. Le plus grand nombre pourtant Ă©taient en bois de diffĂ©rentes espĂšces, Ă©bĂšne, sycomore, acacia, sapin, cĂšdre. Quelquefois il Ă©tait peint de couleurs trĂšs brillantes, d'autres fois incrustĂ© de pierres prĂ©cieuses et d'Ă©maux. Jusqu'ici on ne possĂ©dait que trois de ces naos en parfait Ă©tat d'intĂ©gritĂ© l'un qui se trouve au musĂ©e de Turin, l'autre conservĂ© au musĂ©e de GizĂšh, le troisiĂšme enfin transportĂ© rĂ©cemment deDashour Ă GizĂšh. Quant Ă celui de Deir-el-Bahari, M. Naville n'en a recueilli que des fragments, qu'il a dĂ©posĂ©s au musĂ©e de GizĂšh. On sait que le naos Ă©tait le sanctuaire oĂč le dieu Ă©tait censĂ© rĂ©sider. Celui de Deir-el- 208 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Bahari avait Ă©tĂ© dĂ©diĂ© au dieu Amon par ThoutmĂŽsis II, pendant qifil fut vraiment souverain, et non dans une condition subalterne. Il n'est nullement tĂ©mĂ©raire de supposer qu'il le fit fabriquer avec l'Ă©bĂšne rapportĂ© d'Ethiopie, durant la campagne de l'an Ier contre les nĂšgres. Des scĂšnes d'adoration Ă©taient sculptĂ©es sur les parois intĂ©rieures. ThoutmĂŽsis II y accomplissait les cĂ©rĂ©monies ordinaires pour la consĂ©cration de l'objet. Des amulettes prĂ©servatrices, intercalĂ©es avec des inscriptions hiĂ©roglyphiques, couvrent les parois extĂ©rieures, et sur le battant on voit le Pharaon officiant en l'honneur de son pĂšre, le dieu Amon-RĂą, seigneur de Deir-el-Bahari; c'est incontestablement l'objet le plus prĂ©cieux dĂ©couvert jusqu'ici dans ces fouilles. Les autres piĂšces du temple et les autres dĂ©combres ont assurĂ©ment moins d'importance. Dans le portique de la terrasse du milieu, qui se trouve dans un Ă©tat trĂšs dĂ©labrĂ©, il ne subsiste de la dĂ©coration premiĂšre que les deux portraits de la reine Ahmasi, un de ThoutmĂŽsis -Ier et deux du dieu Toumou, seigneur d'HĂ©liopolis. Le reste fut restaurĂ© dans l'antiquitĂ©, mais d'une maniĂšre absolument inintelligente, de sorte que cette restitution d'images, de dĂ©corations et de textes hiĂ©roglyphiques n'a aucune valeur pour la science des antiquitĂ©s. Le nom et la personne du dieu Amon ont Ă©tĂ© horriblement maltraitĂ©s dans cette dĂ©tĂ©rioration. C'est lĂ un indice Ă la fois historique et archĂ©ologique qui nous prouve que Khouniatonou a pris une grande part Ă cette dĂ©vastation. Qui Ă©tait ce Khouniatonou ? C'Ă©tait un roi rĂ©volutionnaire ou plutĂŽt novateur en religion. C'Ă©tait un des derniers rois de la dix-huitiĂšme dynastie et s'appelait primitivement AmenĂŽthĂšs IV. Jaloux de la richesse et de la puissance des prĂȘtres d'Amon, il voulut y remĂ©dier en s'attaquant au dieu lui-mĂȘme. Le dieu Amon supprimĂ© ou simplement rabaissĂ©, son sacerdoce se trouvait aussi supprimĂ© ou rabaissĂ© par voie de consĂ©quence. 11 n'entra pas dans des voies trop radicales; il prĂ©fĂ©ra un simple changement ou une substitution. Au. dieu Amon, maĂźtre de ThĂšbes, il substitua une des formes, la plus brillante et la plus glorieuse de toutes, du dieu d'HĂ©liopolis , RĂą le Soleil; cette forme Ă©tait le disque Atonou. Il fonda pour ce nouveau dieu une nouvelle ville dont El-Tell et El-Amarna nous ont conservĂ© les ruines, puis il proscrivit Amon et le remplaça Ă ThĂšbes par son disque. Pour cette rĂ©volution il changea son nom d'AmenĂŽthĂšs, et se fit appeler Khouniatonou, Khou-ni-Atonou, qui signifie gloire, splendeur d'Atonou. Il dĂ©vasta principalement la dĂ©coration de la terrasse du milieu, qui reprĂ©- LES DERNIĂRES FOUILLES DE DEIR-EL-BAHARI 209 sentait une des plus hautes fonctions d'Amon, la crĂ©ation surhumaine des souverains. Les rois d'Egypte avaient toute une histoire symbolique. Les Pharaons Ă©taient les enfants d'Amon, non par pure mĂ©taphore, mais d'une maniĂšre rĂ©elle. Lorsque la femme du Pharaon concevait, le dieu Amon s'incarnait dans le Pharaon, et par consĂ©quent l'enfant qui naissait de cette union Ă©tait par lĂ mĂȘme l'enfant du dieu. De ce fait, la mĂšre'devenait une Ă©pouse divine â himĂźt noĂ»tir, â aussi bien qu'une Ă©pouse royale â himĂźt souton. â Cette haute prĂ©rogative de la femme persistait mĂȘme aprĂšs la mort du roi. La femme qui, du vivant de son mari, s'Ă©tait intitulĂ©e la salutatrice d'Amon â douait noutir ni Amonou, ou simplement la salutatrice, parce qu'elle Ă©tait censĂ©e saluer Amon dans son mari chaque jour, continuait mĂȘme aprĂšs la mort de son mari Ă s'intituler l'Ă©pouse du dieu , l'Ă©pouse d'Amon. Ce sont lĂ les principaux faits de ^diffĂ©rente nature qui se dĂ©gagent des fouilles exĂ©cutĂ©es Ă Deir-el-Bahari. 11 faut en savoir grĂ© Ă ceux qui les ont entreprises avec tant de courage et conduites avec tant de zĂšle, de dĂ©vouement et de diligence. C'est avec des parcelles trĂšs menues ou des bribes qu'on construit peu Ă peu le grand Ă©difice de l'histoire sous toutes ses formes. V. ERMONI. La Fleur merveilleuse de Woxindon Suite LIVRE QUATRIĂME CHAPITRE XX Le mĂ©decin de Marie Stuart Le jour suivant, nous partĂźmes de bonne heure pour Chartley, Saint-Barbe et moi. Mon compagnon fut introduit sur-le-champ. Quant Ă moi, je dus attendre prĂšs d'une heure au corps de garde. Pendant ce temps, j'essayai de questionner les grincheux gardiens, et d'apprendre par eux quelques dĂ©tails sur la prisonniĂšre. Peine perdue. Enfin, un serviteur vint me prendre pour me conduire dans le grand corps de bĂątiment qui servait d'habitation au chĂątelain. Sir Amias Paulet me reçut Ă peu prĂšs comme aurait fait un vieux chien Ă la chaĂźne ou un hargneux boule-dogue. Sans daigner rĂ©pondre Ă mon salut, il se mit Ă grogner des invectives contre les vagabonds papistes et toute la racaille de cette espĂšce ; si bien que je finis par me fĂącher et lui demander fiĂšrement pour qui il me prenait. Il ne devait pas ignorer que j'Ă©tais le frĂšre de lord Windsor, et que je venais ici, envoyĂ© par Walsingham luimĂȘme, pour offrir mes services comme mĂ©decin Ă la reine prisonniĂšre. Le vieux dogue se dĂ©cida alors Ă m'offrir un siĂšge, et se mit Ă me donner ce qu'il appelait mes instructions ». Pour l'ordinaire, dĂ©clara-t-il, je n'aurais rien d'autre Ă faire qu'Ă voir la reine une LA FLEUR MERVEILLEUSE DE W0XIND0N 21 I fois par semaine, et seulement en sa prĂ©sence. Je devais, en outre, m'engager par serment Ă ne lui parler que des choses ayant trait Ă sa santĂ©, et Ă ne lui remettre ni Ă recevoir d'elle aucune espĂšce de lettre ou de communication par Ă©crit. Je refusai nettement de souscrire Ă de telles conditions. Relativement au premier point, j'essayai de lui faire comprendre combien il serait pĂ©nible pour la prisonniĂšre d'exposer devant lui, en dĂ©tail, ses souffrances et ses misĂšres corporelles. Quant au reste, je consentais Ă promettre sur mon honneur de ne rien dire ni traiter avec elle contre la reine Elisabeth ni contre le bien de l'Etat, et de ne me charger d'aucune lettre du dehors. Nous discutĂąmes longtemps lĂ -dessus. Enfin, Saint-Barbe, appelĂ© et consultĂ©, parvint Ă dĂ©cider le vieux cerbĂšre Ă se contenter de ma promesse, que je devrais jurer sur la Bible. Ici, nouvelle difficultĂ© qui faillit tout arrĂȘter. Comme catholique, je ne pouvais, sans protestation et sans rĂ©serves prĂ©alables, Ă©tendre la main pour prĂȘter serment sur la Bible protestante que sir Amias me prĂ©sentait. AprĂšs bien des grognements et des injures, il finit par me laisser libre puis il me demanda si je voulais faire immĂ©diatement ma premiĂšre visite Ă ma royale cliente. Sur ma rĂ©ponse affirmative, il me conduisit par un escalier tournant devant une lourde porte bardĂ©e de fer, qu'il ouvrit avec une Ă©norme clef, puis referma soigneusement derriĂšre nous. Nous nous trouvions dans un corridor voĂ»tĂ© de l'Ă©tage supĂ©rieur, sur lequel s'ouvraient Ă droite et Ă gauche un grand nombre de chambres, et qui Ă©tait Ă©clairĂ© par une fenĂȘtre. Mais des chambres, on ne pouvait atteindre ni les fenĂȘtres, ni les portes donnant en plusieurs endroit sur un escalier, et dont une lourde grille de fer dĂ©fendait l'accĂšs. Devant une de ces grilles Ă©tait un poste de gardiens surveillant tout le corridor. Je crois bien qu'Ă notre arrivĂ©e le gardien en faction dormait comme un bienheureux, et ne se remit vivement sur pied qu'au bruit des clefs et au grincement de la porte; cela lui valut de mon peu tendre guide, qui s'en Ă©tait aperçu, une admonestation bien sentie. La voix de sir Amias Paulet sous ces voĂ»tes produisit l'effet d'un appel de marteau ou de cloche, car nous vĂźmes aussitĂŽt sortir d'une des portes un petit homme habillĂ© de noir, qui vint Ă nous au seuil de la grille ouverte, et avec un lĂ©ger salut s'informa du but de la visite. 212 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Dites Ă votre maĂźtresse, dit Paulet d'un air rogue en refermant la grille derriĂšre nous, que le mĂ©decin dont je lui ai parlĂ© est ici et dĂ©sire lui ĂȘtre prĂ©sentĂ©. Mais prestement, master Nau, je n'aipas de temps Ă perdre. » Nau fixa sur moi un regard perçant, mais qui- n'avait rien d'hostile, et nous introduisit dans une sorte d'antichambre, disant qu'il Ă©tait heureux d'annoncer cette visite Ă Sa MajestĂ©. Il frappa Ă une seconde porte ; une femme de chambre se prĂ©senta qui me regarda Ă son tour trĂšs curieusement. Le secrĂ©taire la mit au courant en quelques mots, et elle disparut. AprĂšs une attente de quelques minutes seulement, qui mit pourtant mon compagnon en fort mĂ©chante humeur, la porte se rouvrit et Nau nous pria d'entrer. La piĂšce Ă©tait de moyenne grandeur ; un jour douteux y pĂ©nĂ©trait par deux fenĂȘtres grillĂ©es garnies de carreaux de verre dĂ©poli. A la muraille en face de la porte Ă©tait fixĂ© une sorte de ciel-de-lit ou de baldaquin portant sur fond de velours sombre les armes d'Ecosse lion rouge debout sur champ d'or, avec encadrement de fleurs de lis, enguirlandĂ© de chardons, et au-dessus, Ă©crite en lettres d'or sur une banderolle Ă entrelais, la devise Dieu et mon droit. AdossĂ© Ă une autre muraille, se trouvait un buffet de vieux chĂȘne artistement sculptĂ©, dont le principal ornement Ă©tait un crucifix portant un Christ dorĂ©. Au-dessus, peint sur fond d'or, dans un encadrement sombre, un trĂšs gracieux tableau, de l'Annonciation, probablement une copie de Fra Angelico. J'avais eu Ă peine le temps de jeter sur tout cela un rapide regard, lorsque Marie Stuart, sortant de son appartement' avec deux suivantes, entra dans le salon de rĂ©ception. Elle demeura quelques instants debout sur le seuil, m'examinant de son beau et clair regard. Je m'inclinai comme de juste trĂšs profondĂ©ment. Sir Paulet au contraire se montra d'une grossiĂšretĂ© telle que l'envie me prit de le souffleter. Sans le moindre salut il prit brusquement la parole Madame, je vous amĂšne le mĂ©decin que Sa MajestĂ© et le Conseil privĂ©, dans leur charitĂ© chrĂ©tienne, ont daignĂ© vous accorder. â Et par ma foi, je trouve qu'ils sont bien trop bons. â A leur place ce n'est pas ce docteur-ci que je vous aurais envoyĂ©... â Mais sans' doute un autre qui m'aurait fait une forte saignĂ©e, et m'aurait ainsi dĂ©livrĂ©e de toutes les misĂšres de cette prison, n'est-ce pas ? mon trĂšs aimable et trĂšs gracieux hĂŽte, reprit la LA FLEUR MERVEILLEUSE DE W0XIND0N 21} reine, d'une voix trĂšs douce, empreinte., d'une lĂ©gĂšre ironie. Sir Amias, si vous n'ĂȘtes pas poli, du moins vous ĂȘtes franc, et vous ne cachez pas vos sentiments Ă mon Ă©gard. J'aime mieux cela que d'hypocrites, dĂ©monstrations. Mais votre dĂ©sir, que partagent sans doute nombre de gens influents, peut encore se rĂ©aliser. La maniĂšre dont je suis traitĂ©e par ma royale soeur depuis dix-huit ans, et surtout depuis que je suis sous votre garde, m'avertit assez que je dois m'attendre Ă tout. â Vous avez mauvaise grĂące de vous plaindre de Sa MajestĂ©, qui a eu tant de patience avec vous. AprĂšs la sentence de Westminster elle eĂ»t pu vous traduire en jugement, et c'eĂ»t Ă©tĂ© bientĂŽt fini. Et certes vous l'auriez mĂ©ritĂ©, ne fĂ»t-ce que pour l'obstination avec laquelle vous repoussez le pur Ăvangile, et vous restez attachĂ©e Ă cette abominable idolĂątrie papiste, que je ne puis voir sans horreur, toutes les fois que mes fonctions m'amĂšnent ici. » En disant ces mots, sir Amias jetait un regard de colĂšre sur les images pieuses de l'appartement. Aujourd'hui surtout, continua-t-il, il me semble qu'au lieu de vous plaindre vous devriez vous montrer reconnaissante de ce que Sa MajestĂ© daigne vous envoyer un mĂ©decin. » Pendant que son geĂŽlier parlait, la reine, toujours accompagnĂ©e de ses suivantes, Ă©tait allĂ©e s'asseoir sur une simple chaise devant une table de travail, prĂšs de la fenĂȘtre. Je pus alors l'examiner Ă loisir, et je fus immĂ©diatement frappĂ© de son teint maladif et de sa chevelure prĂ©maturĂ©ment blanchie pour une femme de quarantequatre ans. Mais l'expression de son visage Ă©tait d'une extrĂȘme douceur, et de sa grande beautĂ©, qui l'avait rendue si cĂ©lĂšbre dans sa jeunesse, il restait de remarquables traces, quelque chose comme les rayons affaiblis de la lune brillant Ă travers un voile de lĂ©gers nuages. Elle reprit du mĂȘme ton toujours doux et calme Sur l'honneur que je rends Ă la sainte image de mon Sauveur mourant pour mes pĂ©chĂ©s et de sa misĂ©ricordieuse MĂšre, vous me permettrez de ne pas discuter avec vous, sir Amias. Je ne vous convertirais pas, ni vous non plus ne me convertirez. Pour ce qui est de la sentence de Westminster on devait s'y attendre, puisqu'elle n'a Ă©tĂ© rendue que par des ennemis mortels, sans que l'accusĂ©e ait mĂȘme Ă©tĂ© entendue. Je m'en console et j'en appelle au jugement que le Dieu qui sait tout rendra au dernier jour Ă la face du monde entier. Car si devant sa trĂšs sainte majestĂ© je me reconnais coupable de bien des fautes et de bien des pĂ©chĂ©s, pour 11 214 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE lesquels je demande humblement pardon par le sang de JĂ©susChrist, je proteste que je suis innocente du meurtre de mon malheureux Ă©poux. Je vous prie donc pour la derniĂšre fois de m'Ă©pargner ces rĂ©voltants reproches. Quant Ă l'envoi d'un mĂ©decin, que d'ailleurs je n'ai nullement rĂ©clamĂ©, je ne puis qu'en ĂȘtre sincĂšrement reconnaissante Ă ma royale soeur la reine d'Angleterre. » C'est presque en hĂ©sitant et en me regardant d'un oeil scrutateur qu'elle prononça ces derniĂšres paroles. Je m'avançai alors, mis genou en terre et demandai permission de lui baiser la main. Elle me la tendit en disant Monsieur Windsor, n'est-ce pas ? si c'est bien le nom que l'on m'a annoncĂ©. Relevez-vous. Etes-vous frĂšre de lord Windsor? Et d'oĂč vient que vous vous ĂȘtes vouĂ© Ă l'Ă©tude de la mĂ©decine ? â Ce n'est point chose dĂ©fendue aux cadets de la noblesse anglaise, repris-je. Et dans les circonstances actuelles je n'avais aucune envie d'exercer un emploi Ă la cour, dans l'administration ou dans la magistrature... â Seriez-vous donc restĂ© fidĂšle Ă la vieille foi catholique ? interrompit vivement la reine. â Oui, MajestĂ©, par la grĂące de Dieu, je suis catholique. » Un doux et trĂšs bienveillant sourire passa sur les lĂšvres de la noble prisonniĂšre, et je sentis tomber sur moi un chaud rayon de ses grands yeux, tandis que sir Amias ne pouvait retenir une imprĂ©cation. Oh ! fit-elle, jamais je n'aurais osĂ© rĂȘver la faveur d'avoir auprĂšs de moi un mĂ©decin catholique... Mais il vous restait la carriĂšre des armes ! Vous auriez pu servir et combattre sous l'hĂ©roĂŻque duc de Parme? â La nature m'a douĂ© d'un tempĂ©rament pacifique, rĂ©pondis-je, et j'ai plus de joie Ă guĂ©rir les blessures qu'Ă les faire. Si je pouvais suivre l'attrait de mon coeur, je prĂ©fĂ©rerais m'adonner aux Muses, et votre MajestĂ© connaĂźt l'adage Inter arma Musce silent Au milieu des armes, les Muses se taisent. » R. P. SPILLMANN. A suivre. PETRUS TragĂ©die chrĂ©tienne en cinq actes et en vers L'auteur de Peirus a succombĂ© Ă l'aurore de sa jeunesse, Ă 24 ans. M. Sarramia de PĂšre, sur le bord de sa tombe prĂ©maturĂ©ment ouverte, a tracĂ© le portrait du jeune poĂšte. Il s'exprimait en ces termes NĂ© Ă Layrac, Prosper Sanard y grandit jusqu'au moment oĂč il entra au collĂšge Saint-Caprais, Ă Agen. Son passage y fut court. DĂšs la septiĂšme, il alla continuer et finir ses Ă©tudes Ă Vaugirard. Il en sortit bachelier et, au mois de juillet 1898, il obtenait le titre de licenciĂ© en droit. Un heureux avenir lui souriait. Que d'espĂ©rances conçues ! ! ! que de rĂȘves caressĂ©s ! ! ! HĂ©las ! en un instant tout s'est Ă©vanoui. Gardons-nous pourtant de murmurer contre les dĂ©crets de la Providence; Ă©levons plutĂŽt notre pensĂ©e vers Dieu, qui nous aime, Car il nous bĂ©nit alors mĂȘme Que sa main semble nous briser. Quoiqu'il ressentĂźt pour Paris un vif attrait, surtout Ă cause des jouissances intellectuelles qu'il y trouvait, grande Ă©tait la joie de Prosper Sanard de revenir chaque annĂ©e, aux vacances, dans sa ville natale, oĂč il ne comptait que des sympathies. Nature d'Ă©lite, impressionnable Ă l'excĂšs, tout ce qu'il y a de noble, de grand, de beau, faisait dĂ©licieusement vibrer son Ăąme, pleine de poĂ©sie. Dans son coeur filial, il y avait des trĂ©sors de tendresse pour ses chers et si malheureux parents qu'il comblait sans cesse d'attentions. Une Ă©ducation accomplie, un caractĂšre affable, un esprit dĂ©licat, lĂ©gĂšrement enclin Ă la rĂȘverie, rendaient sa sociĂ©tĂ© aimable et recherchĂ©e; il laisse parmi ses amis d'ineffaçables regrets. Ceux qui le connaissaient savent le plaisir que l'on goĂ»tait Ă s'entretenir avec lui des questions littĂ©raires du jour, car il s'occupait tout particuliĂšrement de la littĂ©rature contemporaine. Peu de productions parmi celles parues dans ces derniers temps, soit en vers, soit en prose, lui furent Ă©trangĂšres, encore qu'il prĂ©fĂ©rĂąt la poĂ©sie, sans doute parce qu'il la cultivait lui-mĂȘme avec succĂšs. Ainsi, en dehors d'une foule de bluettes au tour gracieux, empreintes d'une fraĂźcheur exquise, il a composĂ© poulies Ă©tablissements religieux un drame intitulĂ© Petrus », dont le sujet est Ă peu prĂšs le mĂȘme que celui des Martyrs de Chateaubriand ; son oeuvre est restĂ©e inĂ©dite. LĂ ne se bornaient pas ses talents, il Ă©tait encore un charmant diseur; sa voix Ă©tait pleine et sonore; son jeu expressif et le souci qu'il avait des nuances, sa façon de les traduire, rĂ©vĂ©laient en lui un artiste d'un goĂ»t affinĂ©. A ses rares qualitĂ©s d'esprit et de coeur, il joignait les vertus dont le souvenir doit ĂȘtre un adoucissement Ă l'affliction des siens. Prosper Sanard Ă©tait un fervent chrĂ©tien; s'il ne discutait jamais religion, c'est qu'il n'ignorait pas que les controverses en pareille matiĂšre aigrissent les esprits incrĂ©dules plus souvent qu'elles 216 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE ne les ramĂšnent, mais, ce qui valait mieux, il prĂȘchait d'exemple. A la face des hommes, sans une ombre de respect humain, et aussi sans ostentation, il pratiqua toujours la doctrine du Christ avec une conviction et une piĂ©tĂ© qui Ă©taient pour beaucoup une bienfaisante Ă©dification. Sa mort fut digne de sa vie, il s'est endormi dans la paix du Seigneur, muni des sacrements de l'Ăglise. Trois jours avant d'expirer, il demanda qu'on lui apportĂąt la sainte communion. Depuis longtemps il s'y Ă©tait prĂ©parĂ© et il la reçut animĂ© du plus divin amour. Durant toute la journĂ©e il pria. A voir sa rĂ©signation, nul doute qu'il ait puisĂ© dans sa foi Ă©clairĂ©e autant qu'agissante le courage de faire gĂ©nĂ©reusement le sacrifice de sa vie. » Nous croyons servir la cause des lettres françaises en publiant Petrus oeuvre d'une noble et saine inspiration, d'un lyrisme pĂ©nĂ©trant et d'une psychologie profonde. Au milieu des blanches fleurs qui ornent le lieu de repos de notre cher poĂšte, Petrus sera lĂ© bouquet dĂ©posĂ© pieusement par ceux qui ont aimĂ© et admirĂ© son noble caractĂšre et son beau talent. PERSONNAGES PETRUS, neveu de Domitien. UN CHRĂTIEN. L'ĂVĂQUE DE ROME. UN PRĂTRE GREC. L'EVĂQUE DES GAULES. UN ARCHONTE. DOMITIEN, empereur romain. i"r Soldat. LABIENUS, officier des armĂ©es impĂ©riales. 2" Soldai. UN VIEILLARD ROMAIN. f Soldat. UN HISTRION. /"' Gardien. ChrĂ©tiens, gardes de l'empereur, soldais, guerriers, gardiens de la prison La scĂšne se passe sous Domitien. ACTE PREMIER LĂ PRIĂRE AUX CATACOMBES DE ROME Des lampes sont de ci de lĂ suspendues au roc. Au fond, au milieu, un large escalier qui communique avec le dehors. Au centre, une grande croix enguirlandĂ©e de fleurs. Aux rochers, signes funĂšbres. A gauche, au premier plan, une pierre sur laquelle, au lever du rideau, YEvĂȘque de Rome se trouve assis. A cĂŽtĂ© de lui, YEvĂȘque des Gaules est debout, bĂąton en main, sandales aux pieds. PETRUS 217 SCĂNE I L'ĂVĂQUE DE ROME, L'ĂVĂQUE DES GAULES L'ĂVĂQUE DE ROME Vous quittez les splendeurs de la Ville Ă©ternelle, Rome, pilier puissant du monde qui chancelle, Devant lequel, tremblant de lui faire un affront, Cent peuples enchaĂźnĂ©s ont prosternĂ© le front, Tandis qu'au-dessus d'eux plane l'aigle romaine? L'ĂVĂQUE DES GAULES Vers le pays gaulois mon amour me ramĂšne. J'aime mieux le barbare avec sa loyautĂ© Que les adulateurs de votre royautĂ©. Rome n'est plus la ville amoureuse de gloire Marchant sans s'arrĂȘter de victoire en victoire, Passant par l'univers avec ses lĂ©gions Aux regards Ă©tonnĂ©s des autres nations. On pouvait admirer hier la conquĂ©rante Votre, ville aujourd'hui n'est plus qu'une bacchante, Ivre de honte, en proie au dĂ©lire insensĂ©, Dans les cris de l'orgie oubliant son passĂ©. L'ĂVĂQUE DE ROME, se levant. Ne me rappelez pas que je dĂ©plore !.. Bacchante, si l'on veut, mais souveraine encore ; Gardant jusqu'en l'excĂšs de sa folle impudeur Au fond de sa folie de grandeur. Non, Rome ne meurt pas. Cette ville est. bĂ©nie. Elle ne s'en va point d'une lente agonie. Doublement consacrĂ©e C'est la tĂȘte du monde..et la Elle s'est assoupie et se berce de songes. Elle en reconnaĂźtra les indignes mensonges, Et rouvrant sa paupiĂšreĂ . la clartĂ©, des, cieux, Un spectacle splendide Ă©blouira ses yeux. Elle verra germer aux quatre coins dĂ» monde Du divin moissonneur la semence fĂ©conde, 2l8 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Et les nouveaux chrĂ©tiens, de foi tout frĂ©missants, S'immoler en pĂąture aux lions rugissants. Surprise, interrogeant nos noires catacombes, Elle se penchera sur nos funĂšbres tombes, Elle retrouvera son Ăąme d'autrefois Et tombant Ă genoux, elle dira Je crois. » L'ĂVĂQUE DES GAULES Oui, ce jour bienheureux pour la ville romaine Laisse l'esprit rĂȘver d'une aurore lointaine, OĂč la foi brillera sur la sombre citĂ© Enchantant des regards las de leur cĂ©citĂ©. Mais avant que de voir l'Ă©clatante lumiĂšre Percer l'obscur bandeau posĂ© sur sa paupiĂšre, Seule, la Rome aveugle ira par le chemin, Et les peuples moqueurs repousseront sa main. Des longs Ă©garements pour expier le crime, Elle s'avancera jusqu'aux bords de l'abĂźme, Dans le gouffre bĂ©ant prĂȘte Ă tomber soudain, Et la Gaule viendra qui lui tendra la main, La Gaule, le pays de ces races Ă©piques Se dĂ©vouant toujours aux causes hĂ©roĂŻques ; La Gaule au coeur vaillant, fait pour ĂȘtre chrĂ©tien ; La Gaule, le pays des Gaulois et le mien. Sois fier, ĂŽ mon pays, de ton destin sublime, Puisque tu Rome au seuil de l'abĂźme, Et que ton sang vermeil, en dessillant ses yeux, Doit rouvrir sa paupiĂšre Ă la clartĂ© des çieux ! L'ĂVĂQUE DE ROME Si le sang des Gaulois a le pouvoir suprĂȘme D'effacer les pĂ©chĂ©s comme l'eau du baptĂȘme, Qu'il empourpre le Tibre et qu'au fleuve puissant Il lĂšgue ses vertus avec ses flots de sang. Aux pays des CĂ©sars qu'un nouveau Jourdain passe ! De la citĂ© des dieux qu'il inonde la place Et qu'au palais son flux, dans sa sainte fureur, Vienne briser l'idole aux pieds de l'empereur! L'ĂVĂQUE DES GAULES, rĂȘveur. Quand de Domitien convertirez-vous l'Ăąme ?. . . PETRUS L'ĂVĂQUE DE ROME Mais dĂ©jĂ son neveu pense et mĂȘme proclame Que le Christ sur les dieux doit rester triomphant. Petrus sera martyr ! L'ĂVĂQUE DES GAULES Petrus est un enfant Dont la foi m'est suspecte... Orgueilleux, irascible, Son regard inquiet le trahit trop sensible. Je l'ai pris Ă songer seul et mystĂ©rieux, Et les rĂȘves déçus du jeune ambitieux Impriment sur son front de lugubres sillages. Il a de l'empereur les passions sauvages. Il le voit au palais le soir et le matin, A ses genoux parfois il assiste au festin, Se couronne de fleurs, prend la coupe d'ivoire Et rit quand l'histrion dit ses chansons Ă boire. Cependant, le matin, il redescend ici. Le doute dans ses yeux met un vague souci, Son front rougit encor de sa lĂąche dĂ©faite, Et quand on le regarde, il dĂ©tourne la tĂȘte. Dans l'Ăąme de Petrus je vois comme en ses yeux Dominer tour Ă tour le Christ et les faux dieux. Vos ancĂȘtres, Romains, avaient des moeurs austĂšres. Ils quittaient leur charrue, au sillon, dans leurs terres Pour se battre et mourir en hĂ©ros !... Leurs enfants "Ne sont plus aujourd'hui qu'histrions Ă©lĂ©gants, Des sondeurs d'avenir, des rĂȘveurs fous d'ivresse. La Gaule mettra fin Ă leur longue paresse Et Rome baptisĂ©e avec un sang nouveau De l'Eglise du Christ deviendra le joyau, Seul le sang des Gaulois peut baptiser le monde ! . A ce moment arrivent par la droite de de tous les Ăąges, en toges blanches bordĂ©es de rouge. L'ĂVĂQUE DE ROME, les montrant. Ces chrĂ©tiens forment-ils une race infĂ©conde? Ne savent-ils mourir ? 220 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE L'ĂVĂQUE DĂS GAULĂS Savent-ils gouverner ? A quoi bon les semeurs rie pouvant moissonner ? Si les fruits Ă©tant mĂ»rs pour la moisson prochaine, Vous les laissez pourrir dans la ville paĂŻenne; A quoi peuvent servir tous vos coeurs et vos bras ? L'ĂVĂQUE DE ROME Les semeurs sont ici... L'ĂVĂQUE DES GAULES, sortant par le grand escalier dĂ» fond. LĂšs moissonneurs lĂ -bas ! SCĂNE II L'ĂVĂQUE DE ROME, UN VIEILLARD ENTOURĂ DE CHRETIENS LE VIEILLARD PĂšre, daigne excuser nos douloureuses plaintes, Calme de nos enfants les effroyables craintes. Ils gĂ©missent et mĂȘme ils redoutent leur sort, PrĂ©tendant avoir peur de dĂ©sirer la mort. Mets sur letirs jeunes fronts tes deux mains bĂ©nissantes. Affermis en priant leurs volontĂ©s naissantes. Donne-leur cette force invincible d'en haut NĂ©cessaire au chrĂ©tien pour mourir comme il faut. L'ĂVĂQUE DE ROME NĂ©s Ă l'heure fatale oĂč Rome en dĂ©cadence, Osant prostituer sa vieille indĂ©pendance, Devenait un moment l'esclave des plaisirs, Vos fils ont Ă©prouvĂ© ses monstrueux, dĂ©sirs. Ils subissent de plus la crise Ă©pouvantable Et du siĂšcle inquiet et de l'esprit malade. Le rĂȘve est aujourd'hui le mal essentiel. Enfants, ne rĂȘvez pas ! Ne rĂȘvez que du ciel C'est l'objet le plus bÚùû; le plus grand, le plus Stable Du seul rĂȘve qui soit toujours rĂ©alisable. PETRUS 221 Pour l'accomplissement du suprĂȘme devoir, Prions Dieu qu'il vous donne un cĂ©leste pouvoir Tous s'agenouillent au pied dĂ© la croix. L'ĂvĂȘqĂče restĂ© defrout, les mains Ă©tendues sur les fronts prosternĂ©s. O toi, MaĂźtre absolu des volontĂ©s humaines", Accorde Ă nos martyrs tes forces souveraines.., SCENE III LES PRĂCĂDENTS, PETRUS, hors de lui, arrivant comme un fou par l'escalier du fond. PETRUS ValĂ©rian est mort!... Ils l'ont assassinĂ© Dans le cirque... au moment oĂč cet infortunĂ© Me quittait, les bourreaux l'ont pris et tuĂ©!... LĂąchĂ©s!... LĂąches !... Je les paierai de leurs sanglantes tĂąches ! ValĂ©rian est mort ! L'ĂVĂQUE DE ROME, joyeux. Apaisez vos douleurs ! Tarissez en vos yeux la source de vos pleurs. Lorsque Dieu d'un chrĂ©tien comble les espĂ©rances, Sachez de votre coeur surmonter les souffrances ! Se tournant vers la croix Si ce martyr accroĂźt le nombre des Ă©lus Seigneur, je te bĂ©nis ! PETRUS, Ă©garĂ©, semblant voir Ă terre ValĂ©rian. Pourquoi donc n'Ă«s-tĂ» plus? ValĂ©rian, rĂ©ponds... O mort! ĂŽ froid mystĂšre ! Pourquoi me regarder ainsi ? pourquoi te taire ? ValĂ©rian, rĂ©ponds !... hĂ©las 1 non ; c'est fini. Non, jamais plus Ă toi je ne dois ĂȘtre uni. Par les soirs parfumĂ©s de senteurs odorantes, Par les matins d'Ă©tĂ© pleins de choses chantantes, Nous n'irons plus rĂȘver d'un heureux avenir. Toute chose a sa fin le rĂȘve doit finir. 222 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Te souvient-il, ami, de notre insouciance ? En nos vastes espoirs remplis de confiance, Nous suivions les sentiers du parc impĂ©rial Pour ravir aux oiseaux leurs notes de cristal, Accomplissant joyeux des courses insensĂ©es, MĂȘlant nos rires clairs et nos douces pensĂ©es ? Te souvient-il encor... Mais tu ne m'entends pas ! L'ĂVĂQUE DE ROME, affectueusement. Le prince Ă©tait absent de ce spectacle ? PETRUS HĂ©las ! Aux jardins du palais, courbĂ© devant l'idole, Le coeur sans passion, la lĂšvre sans parole, J'entendis retentir des cris dans le lointain. J'eus un pressentiment. Je me levai soudain, Je courus vers l'arĂšne, et lorsque j'en fus proche, J'aperçus des soldats fuyant Ă mon approche. Minute douloureuse! effroyable moment! Plus obstinĂ© me vint l'affreux pressentiment. En pĂ©nĂ©trant au cirque une assurance sombre Du doute en mon esprit parut Ă©largir l'ombre. J'entrevis tout Ă coup l'affreuse vĂ©ritĂ© Avant d'ĂȘtre certain de la rĂ©alitĂ©. Et parcourant le cirque ainsi qu'un chien de chasse, Du sang que je flairais je poursuivais la trace Lorqu'enfin j'arrivais Ă l'endroit oĂč les corps Sont jetĂ©s pantelants, tiĂšdes, Ă peine morts, Horreur ! je reconnus, appuyĂ© contre un arbre, Le corps rouge de sang et le front blanc de marbre, Mon cher ValĂ©rian, le meilleur des amis ! ValĂ©rian est mort ! L'ĂVĂQUE DE ROME Prince, Dieu l'a permis. PETRUS, avec orgueil. Pourquoi l'a-t-il permis ? PETRUS 223 L'ĂVĂQUE DE ROME Parce qu'il est le MaĂźtre. PETRUS Il pouvait le dĂ©fendre. "' L'ĂVĂQUE DE ROME Il devait le permettre. PETRUS, insistant. Pourquoi le devait-il? L'ĂVĂQUE DE ROME O vaine question! Puis-je sonder de Dieu la sainte intention ? PETRUS N'ĂȘtes-vous pas de Dieu reprĂ©sentant Ă Rome ? L'ĂVĂQUE DE ROME Mais je suis moins que Dieu si je suis plus qu'un homme ! PETRUS Enfin expliquez-moi ce divin sentiment ? L'ĂVĂQUE DE ROME Ce n'en est ni le lieu, prince, ni le moment. La paisible priĂšre est ici notre Ă©tude Quand vos dĂ©sirs troublĂ©s sont pleins d'inquiĂ©tude. Mais pour guĂ©rir le mal qu'en vos yeux j'entrevois, Dites sincĂšrement ces paroles Je crois ! » PETRUS Je crois ! ces mots sans cesse obsĂšdent mes oreilles, La nuit dans mon repos et le jour dans mes veilles. Dois-je croire ou douter? IndĂ©cis et flottants, Mon esprit et mon coeur demeurent hĂ©sitants. Faut-il toujours ramper sous cette terre humide Si Dieu n'existe pas et si le ciel est vide ? 224 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE Faut-il vivre au grand air en reniant son Dieu S'il est vrai que le Christ soit prĂ©sent en tout lieu ? Dois-je croire ou douter? L'ĂVĂQUE DE ROME Prince, vous devez croire. Dans le calice saint ".et dans le saint ciboire, Le Christ vient s'immoler et reste sur l'autel, PrĂȘt Ă toujours mourir, lui, toujours immortel. PETRUS PrĂ©tendus possesseurs d'unjDieu seul, immuable, Qui me dit qu'au palais ne soit le vĂ©ritable? Que, diffĂ©rent du vĂŽtre, il ne soit le seul vrai? Je sais qu'il en faut un, EvĂȘque, et je croirai Que le vĂŽtre est rĂ©el, mais... j'en veux une preuve! L'ĂVĂQUE DE ROME Elle m'effraye, enfant, votre Ăąme jadis neuve, Aimable si longtemps par sa naĂŻvetĂ© Et si vite vieillie en ce temps Ă©hqntĂ© ! PETRUS, rĂȘveur. Oh ! ce dĂ©sir fatal, inexplicable et vague, Qui fait, chaque matin, que je laisse ma bague, Ma lyre et mon collier, pour descendre en ce lieu, EspĂ©rant chaque jour y pouvoir trouver Dieu !... Mais ce Dieu qui demande Ă l'enfant qui l'adore D'abandonner la terre en fermant Ă l'aurore Ses yeux clairs et profonds tels qu'un lac azurĂ©, D'anĂ©antir l'amour en son coeur adorĂ©, Ne peut pas exister. Mouvement de stupeur des chrĂ©tiens. L'ĂVĂQUE DE ROME Votre raison s'Ă©gare. Aux chrĂ©tiens. FrĂšres, je vous rejoins Ă l'autel.... Qu'on le pare, En ce glorieux jour, du plus bel ornement. Du divin sacrifice arrive le moment. Les chrĂ©tiens sortent Ă droite. A suivre. X... A travers les Revues I. ĂTUDES La loi des garanties, P. j. Burnichon. â II. CORRESPONDANT, IO novembre i° La Revision de la Constitution, P. L. Target; 2° Les discours de combat de M. F. BrunetiĂšre Gabriel Syveton. â III. REVUE DES REVUES, ior novembre Les prolĂ©taires dans le clergĂ© français, Paul Pottier. â IV. REVUE GĂNĂRALE DE BRUXELLES, novembre Les missions protestantes, ArchibaldJ^ Dun. âV. REVUE DES DEUX-MONDES, novembre i° L'Europe sans l'Autriche, Charles Benoist; 2" L'Ă©cole primaire en Angleterre, M. Bonet-Maury ; 30 Le pouvoir judiciaire dans la dĂ©mocratie, Charles Benoist. â VI. REVUE DE PARIS Le monde islamique, pansislamique O. Depont et J. Talayrach d'Eckardt.âVII. LA QUINZAINE Noire rĂ©gime parlementaire, M. Emile Faguet. â VIII. REVUES ĂTRANGĂRES i° CONTEMPORARY La guerre du Transvaal ; 20 FORTNIGHTLY Les erreurs de M. Chamberlain ; 30 NINETEENTH CENTURY La nouvelle rĂ©forme ; 40 LE NORTH AMERICAN REVIEW Protestation en faveur desBoĂš'rs; 50 RIVISTA POLITICAE LETTERARIA Le PĂ©ril français. I Le PĂšre J. Burnichon nous entretient de certaines mesures lĂ©gislatives que le gouvernement prĂ©pare contre la libertĂ© d'enseignement afin d'entourer de garanties le recrutement des fonctionnaires. Il paraĂźt qu'on a dĂ©couvert que les administrations, aussi bien que l'armĂ©e, Ă©taient aux mains des clĂ©ricaux. Maintenir un tel Ă©tat de choses c'est, dit-on, livrer la place Ă l'ennemi. Le moyen de les chasser, c'est d'exiger de tous les candidats aux fonctions publiques un certificat d'Ă©tudes universitaires. Cette mesure a Ă©tĂ© inscrite dans le programme des rĂ©formes urgentes Ă cĂŽtĂ© de l'expulsion des CongrĂ©gations religieuses et de la confiscation de leurs biens. Quelques journalistes ont créé ce qu'on appelle un courant d'opinion en essayant de faire croire que c'est le peuple souverain qui rĂ©clame la vilaine besogne dont on lui rabat les oreilles. On en est Ă se demander maintenant Ă quelle branche du budget on pourrait accrocher un amendement dans ce sens. C'est, paraĂźt-il, le gouvernement qui va demander au Parlement de voter une loi prescrivant un stage scolaire de trois ans dans les Ă©tablissements d'instruction secondaire de l'Ătat aux aspirants et aux aspirantes aux fonctions publiques pour lesquelles sont requises les Ă©tudes secondaires ou supĂ©rieures, ainsi qu'aux candidats ou candidates aux examens ou concours d'admission aux Ă©coles de l'Etat Ă©tablies pour le recrutement des services publics. Telle est, dans sa naĂŻve hypocrisie, le projet du gouvernement pour la restauration du monopole de l'enseignement universitaire. L'effet infaillible de la loi serait Ă©videmment d'empĂȘcher de vivre tout autre enseignement que celui de l'Etat. Si vous avez fait vos Ă©tudes ailleurs qu'au lycĂ©e ou au collĂšge universitaire, REVUE DU MONDE CATHOLIQUE â 15 JANVIER IGOO 8 226 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE toutes les portes vous sont impitoyablement fermĂ©es ; vous ne pouvez ĂȘtre ni magistrat, ni ingĂ©nieur, ni officier, ni professeur ; vous ne pouvez entrer ni Ă l'Ecole polytechnique, ni Ă l'Ecole centrale, ni jaux Ponts-et-ChaussĂ©es, ni Ă la Guerre, ni Ă la Marine, ni Ă l'Agriculture, ni aux Finances, ni aux ForĂȘts, ni dans une administration quelconque. Mieux que cela, l'accĂšs du sĂ©minaire vous sera peut-ĂȘtre interdit, puisque le sĂ©minaire est une Ă©cole instituĂ©e pour le recrutement d'un service public. Telle est la consĂ©quence inĂ©vitable de la loi proposĂ©e. On s'en fĂ©licitait naguĂšre au CongrĂšs de la Ligue d'enseignement de Toulouse Soyez sĂ»rs, y disait-on, que les Ă©tablissements congrĂ©ganistes se videront, le jour oĂč les parents sauront que leur enseignement ne mĂšne Ă rien. » Cette prĂ©tention de l'Etat contient la nĂ©gation formelle de la libertĂ© d'enseignement et l'affirmation du monopole; c'est la violation du droit moderne, Pour le prouver, il suffit d'un petit raisonnement peu compliquĂ©. D'aprĂšs l'article 6 de la DĂ©claration des Droits de l'homme, tous les citoyens, Ă©tant Ă©gaux entre eux, sont Ă©galement admissibles Ă toutes les dignitĂ©s, places et emplois publics, selon leurs capacitĂ©s et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leur talent. Nous avons donc tous, en France, le droit d'aspirer aux fonctions publiques; ce droit est inhĂ©rent Ă la qualitĂ© de citoyen français. En ĂȘtre privĂ© constitue une dĂ©chĂ©ance. Frapper d'incapacitĂ© ceux qui ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s par d'autres maĂźtres que ceux de l'Etat, c'est dire que l'enseignement de l'Etat est obligatoire, c'est dire que l'enseignement n'est pas libre, car on ne peut pas dire que l'enseignement est libre dans un pays oĂč ceux qui ne sont pas enseignĂ©s par l'Etat perdent, par ce fait mĂȘme, leurs droits de citoyen. Voila qui nous paraĂźt clair de la clartĂ© de l'Ă©vidence; et nous pensons que ceux qui voudront combattre pour la libertĂ© ne doivent, Ă aucun prix, abandonner une position par elle-mĂȘme inexpugnable. 2. La mĂȘme Revue nous offre une Ă©tude trĂšs documentĂ©e sur Joseph de Maistrc, du PĂšre G. Longhaye. Nous regrettons que le temps nous manque pour la rĂ©sumer. 11 Signalons un travail remarquable et tout d'actualitĂ© de M. Target, au sujet de la revision de la Constitution, demandĂ©e par M. de MarcĂšre, sĂ©nateur. Dans un rĂ©cent article publiĂ© par Y Echo de Paris, l'honorable sĂ©nateur a fait une peinture, aussi vraie qu'affligeante, de notre situation Ă l'intĂ©rieur et Ă l'extĂ©rieur. Jamais la propagande socialiste n'a Ă©tĂ© plus active et le dĂ©sordre moral plus violemment affichĂ© que dans les incidents des grĂšves qui se produisent partout. Le cabinet auquel prĂ©side M. Waldeck^Rousseau est le prisonnier des utopistes et des sectaires ; il a traduit devant la Haute-Cour des hommes politiques fortuitement rapprochĂ©s par un Ă©gal dĂ©goĂ»t du rĂ©gime que subit la France depuis, vingt ans. Pour remĂ©dier au mal, plusieurs rĂ©publicains modĂ©rĂ©s rĂ©clament la convocation d'une assemblĂ©e constituante chargĂ©e de reviser la constitution de 1875, dont ils constatent les lacunes et les vices rĂ©dhibitoires tant qu'on n'aura pas donnĂ© une organisation. plus rationnelle Ă la reprĂ©sentation des majoritĂ©s. D'abord^ MM. de MarcĂšre et Benoist prĂ©conisent l'Ă©lection du PrĂ©sident de la RĂ©publique par les conseils gĂ©nĂ©raux. Cette rĂ©forme offre encore un grave inconvĂ©nient, qui est d'introduire la politique dans ces assemblĂ©es, et de relĂ©guer au second plan les intĂ©rĂȘts dĂ©partementaux. On crĂ©erait donc un nouveau foyer d'agitation dans le pays. Le A TRAVERS LES REVUES 227 mal serait uniquement dĂ©placĂ© ; de Versailles il se rĂ©pandrait dans les quatrevingt-six dĂ©partements. En second lieu, on propose, comme une seconde rĂ©forme que l'on considĂšre comme Ă©tant la plus urgente, l'accroissement des pouvoirs du PrĂ©sident de la RĂ©publique. A cela on objecte que cette rĂ©forme serait "en contradiction avec l'esprit rĂ©publicain, qui exige que le PrĂ©sident n'ait aucune responsabilitĂ©. Et puis, la subordination des ministres Ă la majoritĂ© de la Chambre n'entraĂźne-t-elle pas celle du PrĂ©sident de la RĂ©publique, qu'elle condamne Ă n'ĂȘtre qu'un soliveau impuissant Ă contenir les courants violents d'une majoritĂ© qui se forme souvent de la maniĂšre la plus imprĂ©vue?Le remĂšde n'est donc pas lĂ . En second lieu, on propose certaines modifications destinĂ©es Ă mettre un terme Ă la licence des parlementaires. 11 s'agirait d'imposer des limites au droit d'initiative parlementaire, notamment en nature de finances, au droit d'interpellation, dont on rendrait l'exercice plus rare; on placerait au-dessus des accidents parlementaires les titulaires des portefeuilles de la guerre, de la marine et des affaires Ă©trangĂšres. Ces titulaires cesseraient d'ĂȘtre solidaires d'un vote qui aurait frappĂ© leurs collĂšgues. Mais ne pourrait-on pas reprocher Ă ces rĂ©formes d'ĂȘtre en contradiction avec le rĂ©gime rĂ©publicain, qui repose essentiellement sur le suffrage universel, qui est le seul souverain ? Au nom de quel principe pourrait-on limiter les droits des mandataires que ce souverain a choisis? En rĂ©alitĂ©, les rĂ©formes que demandent MM. de MarcĂšre et Benoist sont incompatibles avec l'esprit rĂ©publicain. En troisiĂšme lieu, on demande, outre les modifications prĂ©cĂ©dentes, le retour au scrutin de liste pour l'Ă©lection des dĂ©putĂ©s, la diminution de leur nombre, la crĂ©ation d'une commission technique pour la prĂ©paration et la rĂ©duction des lois Ă©manĂ©es de l'initiative parlementaire. Pour obtenir toutes ces rĂ©formes, la rĂ©union d'une assemblĂ©e constituante paraĂźt nĂ©cessaire et urgente. Cette assemblĂ©e doterait la France d'une nouvelle constitution. M. Target estime que, dans l'Ă©tat prĂ©sent des esprits, la rĂ©union d'une Constituante prĂ©senterait non seulement des difficultĂ©s, mais les plus grands inconvĂ©nients, et qu'il serait dangereux de se lancer dans une pareille aventure. Qu'adviendrait-il du SĂ©nat et de la Chambre des dĂ©putĂ©s fonctionnant, en vertu de la Constitution de 1875, pendant que siĂ©gerait l'AssemblĂ©e constituante? Consentiraient-ils Ă se dissoudre ? Les deux Chambres, restant en fonctions, consentiraient-elles Ă ce qu'on restreigne leurs prĂ©rogatives? Ajoutons qu'Ă une Ă©poque aussi troublĂ©e que la nĂŽtre, en l'Ă©tat actuel des esprits, dans le dĂ©sarroi absolu de l'opinion publique, la rĂ©union d'une AssemblĂ©e constituante ne serait pas Ă la hauteur de sa mission et ne pourrait qu'aggraver le gĂąchis dans lequel la France s'enlise. La Constituante ne donnerait pas une majoritĂ© unie et pourrait aboutir Ă une Convention. D'ailleurs, le projet d'une revision de la Constitution a contre lui les radicaux et les socialistes. 11 ne faut pas hĂ©siter Ă le dire sans rĂ©ticence ni pĂ©riphrase tant qu'on ne reviendra pas aux deux' principes, l'hĂ©rĂ©ditĂ© dans la transmission du pouvoir et la responsabilitĂ© directe du chef de l'Etat, le gouvernement sera sans autoritĂ©. 2. M. BrunetiĂšre ne parle pas qu'en Sorbonne il est avant tout orateur. Il a prononcĂ© plusieurs discours remarquables Ă Paris, Ă Marseille, Ă Besançon, Ă Avignon, devant des foules agitĂ©es de la fiĂšvre des luttes civiles. Il en est un surtout qui souleva le plus vif enthousiasme de deux mille bons Français assemblĂ©s dans une salle qui a retenti des cris de Vive la France ! et vive l'armĂ©e ! » Ce sont des discours de combat qui contiennent une doctrine, une conception gĂ©nĂ©rale du monde et de la vie d'abord, dans un premier discours une profession de foi d'idĂ©alisme , l'affirmation de cette croyance que les faits ne portent pas en eux leur 228 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE signification tout entiĂšre, qu'ils relĂšvent de quelque chose d'ultĂ©rieur, de supĂ©rieur et d'antĂ©rieur Ă eux-mĂȘmes, que, derriĂšre la toile, au delĂ de la scĂšne oĂč se joue le drame de l'histoire et le spectacle de la nature, une cause invisible, un mystĂ©rieux auteur se cache, Deus absconditus, qui en a rĂ©glĂ© d'avance la succession et les pĂ©ripĂ©ties... La conclusion logique de cette profession de foi se trouve dans un autre discours du 19 novembre 1898, intitulĂ© Le besoin de croire ». Les Ă©vĂ©nements de la prĂ©sente annĂ©e ont amenĂ© la plupart des Français qui rĂ©flĂ©chissent Ă formuler, soit pour eux seuls, soit pour le public, leur conception de la Patrie. L'un des attraits du recueil des discours de M. BrunetiĂšre, qui vient d'ĂȘtre publiĂ©, est de nous prĂ©senter une conception idĂ©aliste de la patrie. M. BrunetiĂšre ne fonde pas la patrie sur la communautĂ© de race ni sur la seule volontĂ© d'un certain nombre d'hommes de vivre ensemble sous les mĂȘmes lois, c'est-Ă -dire sur un consensus passager d'opinions changeantes ». Il donne un fondement plus solide Ă l'idĂ©e de patrie ; il le trouve dans l'histoire et il nous dit, en toute vĂ©ritĂ©, que ce qui fait la patrie, c'est une communion sĂ©culaire de luttes, de souffrances, de gloires, de sentiments et d'idĂ©es. Et ainsi les traditions » deviennent pour lui les racines de l'idĂ©e de patrie ». On pourrait dire que M. BrunetiĂšre est l'apĂŽtre des traditions, et on l'a raillĂ© Ă ce sujet en le reprĂ©sentant comme un rĂ©trograde qui veut ramener la France au passĂ©. Mais il a rĂ©pondu Ă ses dĂ©tracteurs La tradition, pour nous, ce n'est pas ce qui est mort ; c'est, au contraire, ce qui vit, c'est ce qui survit du passĂ© dans le prĂ©sent ; c'est ce qui dĂ©passe l'heure actuelle ; ce ne sera, pour ceux qui viendront aprĂšs nous, que ce qui vivra plus que nous. » M. BrunetiĂšre classe les traditions de la France ainsi qu'il suit Nous avons une tradition militaire ; nous avons une tradition littĂ©raire et intellectuelle ; et nous avons aussi, depuis que le christianisme a paru dans le monde, une tradition religieuse. » VoilĂ pourquoi, dans toutes ses confĂ©rences, il dĂ©fend le catholicisme, parce que de mĂȘme que le protestantisme, c'est l'Angleterre, et l'orthodoxie, c'est la Russie ; pareillement, la France, c'est le catholicisme », et que tout ce que nous ferons, tout ce que nous laisserons faire contre le catholicisme, nous le laisserons faire et nous le ferons au dĂ©triment de notre influence dans le monde, au rebours de toute notre histoire et aux dĂ©pens, enfin, des qualitĂ©s qui sont celles de l'Ăąme française». VoilĂ pourquoi, quand une ligue s'est formĂ©e pour dĂ©fendre l'armĂ©e contre ses dĂ©tracteurs, M. BrunetiĂšre a Ă©tĂ© bĂ©ni de ses plus Ă©loquents porte-paroles, parce que c'est une dynastie militaire qui a fait notre ancienne France », parce que la tradition militaire est, en quelque sorte, adĂ©quate Ă la formation de la patrie française. On conçoit que cette conception de la patrie ait mis M. BrunetiĂšre en conflit avec tous ceux qui, dans leur superbe ou dans leur dĂ©sir enfantin de bonheur universel, veulent refaire la France selon le plan idĂ©al que leur a rĂ©vĂ©lĂ© leur sens propre. 11 les a dĂ©masquĂ©s comme les ennemis de l'Ăąme française » internationalistes, politiciens, intellectuels, libres-penseurs, individualistes. Tous ceux-lĂ le combattent, et il les combat. Mais il a, contre eux, l'alliance de ceux qui tiennent au sol, qui sont les fils de la race, et qui, dans l'effroyable dĂ©lire de destruction qui a affolĂ© une partie de ce pays, ont senti le besoin de dresser un drapeau oĂč fĂ»t inscrite la devise de conservation sociale et nationale. III La Revue des Revues, dont on connaĂźt l'esprit anticlĂ©rical, publie un long article, sous ce titre Les prolĂ©taires dans le clergĂ© français, oĂč l'auteur, qui est juif, pa- A TRAVERS LES REVUES 229 raĂźt-il, met en relief la pauvretĂ© d'un prolĂ©tariat en soutane dont le silence disciplinaire s'Ă©lĂšve jusqu'Ă l'abnĂ©gation ». Nous ne lui empruntons que les documents qui se rapportent Ă la situation matĂ©rielle des desservants, comparĂ©e Ă celle des pasteurs protestants. Un curĂ© de campagne aurait donnĂ© Ă la Revue des Revues les renseignements suivants Je suis curĂ© desservant d'une paroisse de plus de 2100 Ăąmes, qui est situĂ©e Ă cĂŽtĂ© d'une commune mixte qui compte 1000 ou 1100 protestants. Je reçois, pour un enterrement d'adulte, tout compris, 12 francs ; le ministre protestant reçoit, pour le mĂȘme service, 25 francs. Pour un enterrement d'enfant, je reçois 2 francs; le ministre protestant reçoit 6 francs. Pour un mariage je reçois, tout compris, 7 francs ; le ministre protestant reçoit 25 francs. Pour un baptĂȘme, je ne reçois rien ; le ministre reçoit 5 francs. Pour la premiĂšre communion, moi, rien ; le ministre reçoit 5 francs par communiant. » Et l'on dit que dans le culte protestant il n'y a pas de casuel ! Ajoutons qu'en outre des honoraires du casuel perçus par les pasteurs protestants, qui sont plus du double de ceux que perçoit le curĂ© catholique, le traitement affectĂ© par l'Etat au pasteur protestant est beaucoup plus Ă©levĂ© que celui qui est attribuĂ© au curĂ© catholique. En consĂ©quence, le culte de la minoritĂ© est mieux traitĂ© en France que ne l'est celui de la majoritĂ©. Aux pays annexĂ©s, les curĂ©s desservants sont moins malheureux. Leur traitement est de 1500 francs et, de plus, ils reçoivent une indemnitĂ© lorsque la population du village n'atteint pas 300 Ăąmes, car, dans ce cas, le casuel se chiffre par des sommes dĂ©risoires. En France, il y a des paroisses qui ne comptent pas 300 Ăąmes. NĂ©anmoins, le curĂ© ne reçoit aucune indemnitĂ© du gouvernement, et s'il en reçoit une du conseil municipal, elle est volontaire et peut ĂȘtre supprimĂ©e au grĂ© de la municipalitĂ©. Dans les paroisses religieuses, le curĂ© reçoit des secours de ses paroissiens, mais dans les paroisses indiffĂ©rentes, sa soutane est souvent suspectĂ©e. On Ă©pie sa vie ; s'il est invitĂ© au chĂąteau, on le traite de rĂ©actionnaire ; s'il reste chez lui, on l'appelle loup sauvage » ; s'il frĂ©quente des personnes ĂągĂ©es, on l'accuse de vouloir capter un hĂ©ritage. On Ă©crit Ă l'Ă©vĂȘchĂ© des lettres anonymes, on envoie aux journaux des notes dĂ©sobligeantes. Ce curĂ© est, assurĂ©ment, moins heureux et plus tourmentĂ© que l'instituteur, que le garde-champĂȘtre mĂȘme. Le curĂ© devenu infirme est rĂ©duit Ă mendier une pension Ă la direction des cultes, car seul, de tous nos nombreux fonctionnaires, il n'a pas droit Ă une retraite. En plusieurs diocĂšses, les prĂȘtres constituent de leurs deniers une caisse de secours et de retraite qu'ils administrent eux-mĂȘmes sous le patronage de l'Ă©vĂȘque. Un autre inconvĂ©nient signalĂ© par l'auteur, c'est que le clergĂ© de second ordre est soumis Ă l'arbitraire de l'Ă©vĂȘque. Toutes les nominations s'effectuent au choix, c'est-Ă -dire qu'elles sont dues souvent Ă un concert habile de protections, de recommandations et d'intrigues, et cela du haut en bas de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique ; celles des desservants et des curĂ©s, livrĂ©es Ă l'autoritĂ© de l'Ă©vĂȘque ou Ă des influences extĂ©rieures qui peuvent peser sur sa volontĂ©. Les Ă©lĂšves des sĂ©minaires sentent si bien que la carriĂšre ecclĂ©siastique est obstruĂ©e par le favoritisme, que beaucoup d'eux ont adoptĂ© cette formule d'assiduitĂ© au labeur J'en saurai toujours assez pour un curĂ© ! » On conçoit qu'un clergĂ© aussi peu encouragĂ© soit loin de prĂ©senter l'autoritĂ© et le prestige scientifique dont il Ă©tait aurĂ©olĂ© au XVIIe siĂšcle. Avant le Concordat de 1801, le concours servait de mode d'attribution des fonctions et des bĂ©nĂ©fices. Chacun obtenait la place que lui rĂ©servait son mĂ©rite. Le Pape LĂ©on X a Ă©crit dans une bulle Vous savez que les 230 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE places ecclĂ©siastiques sont, suivant les canons sacrĂ©s, pour ceux qui, d'une part, recommandables par la puretĂ© de leur vie, et, de l'autre, brillants de la lumiĂšre de la science, sont en Ă©tat de dissiper les tĂ©nĂšbres de l'ignorance. » La loi du concours n'est pas abrogĂ©e, elle est observĂ©e dans toutes les provinces de l'Ăglise, exceptĂ© en France. Pourquoi cette exception? Il en est de mĂȘme des officialitĂ©s, tombĂ©es en dĂ©suĂ©tude en France, quoiqu'elles ne soient pas interdites. Maintes fois, des influences politiques ont essayĂ© d'affranchir le clergĂ© du second ordre de ce rĂ©gime d'arbitraire. M. Jules Simon fit un essai en 1873 par une circulaire qu'il adressa aux Ă©vĂȘques et qui resta sans effet ; M. Emile Ollivier [L'Eglise et l'Etat s'est Ă©levĂ© contre la situation vacillante que les articles organiques crĂ©ent au bas clergĂ©. Enfin, l'auteur rĂ©sume les revendications de ce qu'il appelle les prolĂ©taires ecclĂ©siastiques aux suivantes Etablissement de l'inamovibilitĂ© pour tous les ecclĂ©siastiques ; restauration du concours permettant aux plus instruits et aux plus dignes de s'Ă©lever sans protection dans les dignitĂ©s de l'Eglise ; restauration des officialitĂ©s tempĂ©rant l'arbitraire Ă©piscopal ; rĂ©union rĂ©guliĂšre des synodes ; relĂšvement de la situation pĂ©cuniaire des curĂ©s de campagne, afin -de relever leur dignitĂ©. Dans le travail dont nous rendons compte, il y a Ă prendre et Ă laisser. Nous avons supprimĂ© des critiques qui nous paraissent injustes, ou qui, tout au moins, dĂ©passent la mesure. Nous passons sous silence, Ă©galement, un rĂ©quisitoire plus injuste encore contre l'envahissement des CongrĂ©gations religieuses comme faisant une concurrence terrible au clergĂ© sĂ©culier. On prĂ©tend mĂȘme que l'Eglise gallicane est menacĂ©e de sombrer dans les mains des religieux ultramontaims et cosmopolites. A l'appui de ce rĂ©quisitoire, l'auteur invoque et cite mĂȘme des documents empruntĂ©s Ă une volumineuse correspondance ; il cite une lettre d'un prĂȘtre de l'Est, trĂšs respectĂ© dans son diocĂšse », qui accuse les CongrĂ©gations de reprĂ©senter une force anonyme, occulte, aussi dangereuse pour la France que pour le bon renom et l'avenir du catholicisme français ». On cite une page malicieuse d'un prĂȘtre de Paris trĂšs apprĂ©ciĂ© dans nos milieux littĂ©raires », sur l'antinomie nĂ©cessaire qui existerait entre le clergĂ© sĂ©culier et les CongrĂ©gations. Ces deux tĂ©moignages ne peuvent ĂȘtre acceptĂ©s que sous bĂ©nĂ©fice d'inventaire, vu que l'auteur de l'article dit qu'il se garde bien de nous donner leurs noms. IV La Revue gĂ©nĂ©rale de Bruxelles nous rend compte de la stĂ©rilitĂ© des missions protestantes auxquelles le peuple anglais consacre des sommes considĂ©rables. Il a Ă©tĂ© Ă©tabli que l'argent dĂ©pensĂ© par les grandes sociĂ©tĂ©s missionnaires anglaises » de Londres, en Orient et dans les possessions de l'Angleterre dans tout le globe, a dĂ©passĂ© 50 millions l'annĂ©e derniĂšre. Sur cette somme, 14 millions reprĂ©sentaient les exemplaires de la Bible en diverses langues, distribuĂ©s partout; il faut ajouter Ă cette somme 13 millions de francs dĂ©pensĂ©s pour salaires, loyers, administration, etc. ; ce qui prouve que les secrĂ©taires et employĂ©s font de trĂšs bonnes affaires. Cependant, d'aprĂšs les rapports communiquĂ©s par les sociĂ©tĂ©s Ă leurs souscripteurs', les rĂ©sultats ne sont rien moins que brillants. Il est constatĂ©, par le nombre des' prĂ©tendus convertis, que le coĂ»t annuel d'un juif converti est de francs ; d'un moslem perse, de 1750 francs; d'un "mosĂźeiri turc, de 6100 francs; d'un bpudhiste chinois, de 1500 francs; d'un catholique irlandais, de 1250 francs; d'un armĂ©nien, de 875 francs; et d'un nĂšgre africain, le mĂȘme prix. Ces chiffres sont A TRAVERSEES REVUES 23 I basĂ©s sur le texte mĂȘme des rapports. Mais peut-ĂȘtre, dira-t-on, si le nombre des convertis est minime, leur qualitĂ© est peut-ĂȘtre supĂ©rieure. Il est,loin d'en ĂȘtre ainsi. Un voyageur, le docteur Grant, dit Tout effort Ă Ă©vangĂ©liser la Chine ...a manquĂ© complĂštement. » M. Irving Ă©crivait, Ă propos des convertis dans la JudĂ©e Leur immoralitĂ© licencieuse choque les sentiments mĂȘme de leurs amis paĂŻens. » L'auteur cite plusieurs autres tĂ©moignages de missionnaires protestants qui accusent le mĂȘme insuccĂšs, la mĂȘme stĂ©rilitĂ© du protestantisme comme Ă©vangĂ©lisateur. Le missionnaire protestant arrive Ă sa mission avec sa femme, ses enfants et ses domestiques; il se pose comme professeur d'une philosophie Ă©trangĂšre, qu'il offre Ă l'acceptation de pauvres indigĂšnes ignorants qui ne connaissent que la culture du sol. La maison du missionnaire protestant est monumentale et confortable ; il est riche et gĂ©nĂ©reux, il Ă©tablit des Ă©coles, une pharmacie libre, distribue des Bibles bien reliĂ©es que les indigĂšnes ne peuvent pas lire; mais il ne va pas Ă l'Ăąme du peuple, il ne l'Ă©vangĂ©lise pas ; il fait du commerce souvent, mais il ne fait pas d'apostolat proprement dit. Le missionnaire catholique, au contraire, arrive presque sans bagage et s'installe dans une cabane, oĂč il vit pauvrement. Comprenant la langue des indigĂšnes, il visite ses paroissiens et leur enseigne les vĂ©ritĂ©s de la religion et les vertus chrĂ©tiennes, comme ont fait saint François Xavier et tant d'autres dans leur temps. Le missionnaire catholique regarde sa vocation comme une vie d'abnĂ©gation de soi-mĂȘme et de sacrifice, tandis que pour le missionnaire protestant, c'est une profession, avec des appointements importants qui lui permettent d'enrichir sa famille. V Dans la Revue des Deux-Mondes du 15 novembre, Charles Benoist soutient la nĂ©cessitĂ© du maintien de la monarchie austro-hongroise, qui est aujourd'hui en pĂ©ril. Y aura-t-il une dislocation du dualisme, et s'il y en a une, jusqu'oĂč irat-elle? Si elle va jusqu'au bout, comment se fera le partage? Entre qui? Ceux qui ne seront pas admis au partage recevront-ils une compensation? Quel serait le rĂ©sultat de cette dislocation? Mais alors il n'y aurait plus d'Europe le continent qui s'est appelĂ© de ce nom serait coupĂ© en deux par le milieu une Allemagne, une Russie. A ses extrĂ©mitĂ©s, et comme en marge, quelques Etats de deuxiĂšme, troisiĂšme ou quatriĂšme rang, qui traĂźneraient misĂ©rablement une existence prĂ©caire et tolĂ©rĂ©e, et sur lesquels l'un des deux colosses n'aurait qu'Ă s'abattre pour les Ă©craser, les broyer, les mĂȘler Ă la poussiĂšre des, nations disparues. Or, si le colosse russe tombait sur l'Asie, sur quoi tomberait le colosse allemand sinon sur les nations latines, et en particulier sur la France? La conclusion de M. Benoist est que, pour qu'il y ait une Europe, il faut qu'il y ait une Autriche en Europe. Dans la mĂȘme revue, M. Bonet-Maury Ă©tudie Y Ă©cole primaire en Angleterre dans le passĂ© et dans le prĂ©sent. Il fait remarquer que nos voisins, pour toutes les questions d'intĂ©rĂȘt, aiment Ă procĂ©der par voie d'enquĂȘtes qui ne sont pas toujours dirigĂ©es par des membres du Parlement, mais sont confiĂ©es parfois Ă des sociĂ©tĂ©s privĂ©es ou Ă des inspecteurs. En France, il serait utile d'employer cette bonne mĂ©thode, car le systĂšme de l'Ă©cole primaire anglaise offre, dit M. BonetMaury, l'image de la vie, du libre jeu des grandes forces sociales qui sont Ă l'oeuvre en Angleterre. . Dans une Ă©tude sur le pouvoir judiciaire dans M. Charles Benoist 232 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE est d'avis qu'en cette matiĂšre, la question la plus grave est celle de la nomination des juges, et il veut qu'en la laissant tout entiĂšre Ă la compĂ©tence de l'exĂ©cutif on Ă©vite que celui-ci n'en fasse un acte de son bon plaisir. D'autre part, il faut donner Ă l'exĂ©cutif le moyen de soutenir et de repousser l'assaut que lui livre le lĂ©gislatif; il faut donc le fortifier contre le lĂ©gislatif et contre lui-mĂȘme. Pour cela, il juge utile de crĂ©er un conseil supĂ©rieur de la justice qui serait la Cour suprĂȘme de France », qui aurait pour mission la dĂ©fense de la libertĂ©. Elle ferait respecter par tous les pouvoirs, mĂȘme par le lĂ©gislateur, la loi constitutionnelle et les droits nĂ©cessaires des citoyens. VI MM. O. Depont et J. Talayrach d'Eckardt signalent, dans la Revue de Paris, l'action et les manifestations rĂ©centes de la force religieuse musulmane, qui se rĂ©veille aujourd'hui sur divers points du globe, et sur ce qu'on appelle le pausislamisnie ou propagande islamique. Ce n'est rien moins que la coalition politique des musulmans de tous pays pour la libĂ©ration et la dĂ©fense Ă outrance des territoires islamiques occupĂ©s ou menacĂ©s d'occupation par les puissances europĂ©ennes. La ligue qui s'est formĂ©e dans le but de reconstituer la fonction historique du kalifat, que le Sultan de Constantinople prĂ©tend exercer dans son intĂ©gritĂ©, a ses puissants moyens d'action dans les confrĂ©ries religieuses, le pĂšlerinage Ă La Mecque, l'Ă©migration et le prosĂ©lytisme. Aujourd'hui, le monde compte 260 millions de mahomĂ©tans, qui reprĂ©sentent plus de 15 0/0 de la population totale du globe. La Turquie d'Europe n'a que 2 Ă j millions de mahomĂ©tans, la Russie d'Europe en a 9 millions. L'Asie, avec ses musulmans, est le vĂ©ritable foyer de l'Islam. GĂ©ographiquement, les deux tiers de l'Afrique leur appartiennent. VII A noter, dans la Quinzaine, une critique trop vraie de M. Faguet sur notre rĂ©gime parlementaire. Cette critique porte sur le mode de recrutement de nos lĂ©gislateurs et sur l'Ă©laboration ou le vote de nos lois. L'auteur ne voit dans le Parlement qu'une sorte de cour du roi Petaud. Gouvernement parlementaire, confus et cahotique, mĂȘlant le lĂ©gislatif, l'exĂ©cutif et l'administratif, lĂ©gifĂ©rant mal, gouvernant mal, administrant mal, faisant tout dĂ©pendre, dans le pays, de la politique, et d'une politique qui est une combinaison ou une lutte d'intĂ©rĂȘts personnels, c'est-Ă -dire une immense intrigue... abaissant dans une certaine mesure les caractĂšres eux-mĂȘmes, par ces moeurs nouvelles, non universelles, mais trĂšs rĂ©pandues dĂ©jĂ , qui tendent Ă faire de tous les citoyens des acheteurs tour Ă tour et des vendeurs de denrĂ©e politique, tour Ă tour et en mĂȘme temps avides et prodigues^de sportule. » M. Faguet se propose de nous dire, dans un prochain article, comment on pourrait dĂ©barrasser le rĂ©gime parlementaire de ses dĂ©fauts. VIII i° Les grandes revues anglaises sont naturellement envahies par des discussions sur la guerre sud-africaine. Dans le Contemporary, un vieil officier exprime avec une A TRAVERS LES REVUES 233 rĂ©elle compĂ©tence des opinions qui peuvent ĂȘtre relevĂ©es. Peut-on exciter les indigĂšnes Ă attaquer les RĂ©publiques boers? Non, dit-il, sans aucun doute L'avenir seul nous apprendra si cette guerre peut compenser tout le mal qu'elle cause. » Il ajoute que toutes les forces de l'Angleterre ne seront pas de trop pour cette lutte. 20 Le Fortnighlly, Ă son tour, relĂšve ce qu'il appelle avec indulgence les erreurs de M. Chamberlain dans la question de l'Afrique australe. Il insiste sur l'extraordinaire maladresse de la revendication de suzerainetĂ© qui a suffi Ă dĂ©chaĂźner la guerre. Mais y a-t-il eu maladresse de la part de M. Chamberlain ? Nous ne le croyons pas, car celui-ci, bien loin de vouloir Ă©viter un conflit, paraĂźt plutĂŽt l'avoir dĂ©sirĂ© et cherchĂ©. 30 Le Nineteenth Century demande Ă l'Eglise d'Angleterre d'Ă©largir ses vues, en d'autres termes, son symbole, et de ne pas s'attacher trop Ă©troitement Ă la lettre de ses dogmes. Elle fait bon marchĂ© de certains dogmes qui sont pourtant consignĂ©s dans le Nouveau Testament. Etre un chrĂ©tien, dit cette revue, c'est adopter la doctrine du Christ et ses vues touchant la nature de la vie qui doit nous conduire jusqu'Ă Dieu et nous rĂ©concilier avec lui. C'est comprendre le Christ lui-mĂȘme comme RĂ©conciliateur et RĂ©vĂ©lateur. » TrĂšs bien, mais si le Christ est le RĂ©vĂ©lateur de la vraie doctrine du salut, pouvez-vous exclure de sa doctrine tels dogmes, telles parties de cette vraie doctrine qui ne vous plaisent pas, et vous dire les disciples du Christ? 11 est Ă©vident que votre Eglise n'est plus qu'une secte. Elle n'est pas celle qui professe la doctrine intĂ©grale du Christ, mais celle qui supprime, au grĂ© de la libre interprĂ©tation de chacun, une partie quelconque de cette doctrine. 40 Le North American Review prend hautement la dĂ©fense des Boers et condamne les injustifiables exigences des Uitlanders, attirĂ©s non par l'attrait du pays, mais par le seul amour de l'or. La meilleure politique Ă©tait de laisser les Boers dans la paisible possession de leur patrie, libres de la gouverner conformĂ©ment Ă leur gĂ©nie, Ă leurs moeurs patriarcales, et d'aprĂšs les bonnes vieilles traditions de leurs ancĂȘtres, avec leur langue Ă eux, leurs corporations Ă eux. C'est malheureusement la derniĂšre chose que John Bull, qui a les dents longues, consentira Ă faire, sauf Ă s'en repentir quelque jour et Ă voir l'Europe, et mĂȘme ses colonies, se tourner contre lui et secouer son joug. 50 La Rivista politica e letteraria d'Italie, qui est gallophobe, dĂ©nonce aux nations ce qu'elle appelle le pĂ©ril français. L'auteur de ce manifeste fait un tableau peu flatteur de la situation actuelle de la France et nous prodigue les plus odieuses invectives. Il juge notre pays embourbĂ© dans une politique turbulente, agressive, conquĂ©rante, et qui, sous couleur d'ĂȘtre internationale, est tout envahissante. Notre politique actuelle dĂ©ment toutes ces accusations, car la France n'a jamais Ă©tĂ©-moins envahissante qu'aujourd'hui. Mais les Italiens ont une maniĂšre Ă eux de reconnaĂźtre les services qu'ils ont reçus de la France, c'est d'incriminer leurs bienfaiteurs. Aujourd'hui, le vrai but de la Rivista est de se faire le porte-parole des boycotteurs de l'Exposition de 1900. H. D'HESSERD. AUTOUR DU MONDE La comĂ©die politique de la Haute-Cour s'est terminĂ©e, comme chacun s'y attendait, et comme le Grand-Orient, d'accord en cette circonstance avec la Synagogue, l'avait, du reste, dĂ©crĂ©tĂ© et signifiĂ© Ă l'exĂ©cuteur des hautes oeuvres judaĂŻco-maçonniques WaldeckRousseau, le ministre automatique par excellence. Il n'y avait guĂšre moyen de condamner tous les accusĂ©s, puisqu'il ressortait des dĂ©bats qu'il ne se trouvait aucun coupable parmi eux. Il s'agissait de justifier le gouvernement devant l'opinion et de sauver le SĂ©nat du ridicule, surtout de n'Ă©lever aucun piĂ©destal Ă des victimes gĂ©nĂ©ralement sympathiques et dĂ©jĂ populaires. On a acquittĂ© la plupart des personnes et l'on a rĂ©servĂ© les foudres de la Cour pour les chefs de file ou de parti, pour MM. AndrĂ© Buffet, DĂ©roulĂšde, Jules GuĂ©rin prĂ©sents, et Lur-Saluces contumax, Marcel Habert devant faire l'objet d'un nouveau procĂšs. Or, il est aujourd'hui Ă©vident pour les moins initiĂ©s eux-mĂȘmes que les condamnĂ©s poursuivis et frappĂ©s pour avoir conjurĂ© la perte de la RĂ©publique, pour complot enfin, n'ont jamais rien complotĂ© ensemble, que certains mĂȘme n'avaient fait connaissance qu'en face de leurs juges ahuris; que, par consĂ©quent, tous ont Ă©tĂ© injustement accusĂ©s et qu'ils ont Ă©tĂ© illĂ©galement condamnĂ©s en violation rĂ©pĂ©tĂ©e de la loi, en mĂ©connaissance de tous droits et malgrĂ© le rayonnement rĂ©probateur d'une innocence Ă©clatante. Cela, des juges? ditle peuple aujourd'hui, des laquais, oui ! des bourreaux encore, car aucune avanie n'a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©e Ă ces victimes choisies par les trembleurs Ă©lysĂšens et luxembourgeois,. ni au prĂ©toire, ni au cachot, ni sur le chemin de l'exil, ni dans l'exil lui-mĂȘme; la lĂąchetĂ© qui succĂšde Ă la tyrannie dĂ©guisĂ©e sous les dehors de la justice, c'est dans l'ordre des vilaines choses et digne des tristes personnages qui, compatissants aux traĂźtres, parce que traĂźtres eux-mĂȘmes, ne voient de dangers inquiĂ©tants pour leur conscience torturĂ©e et pour leurs fiefs pourris que dans l'exercice intĂ©gral de la justice indĂ©pendante et dans l'exaltation de l'honneur civique et de l'amour sincĂšre de la Patrie, AUTOUR DU MONDE dans la noblesse transcendante des coeurs, assurĂ©e par la seule crainte de Dieu. Il n'est douteux pour personne que Buffet, DĂ©roulĂšde et LurSaluces ne moisiront pas dix annĂ©es dans l'inaction et dans les tristesses du bannissement, ni que Jules GuĂ©rin restera dĂ©tenu comme un criminel dix annĂ©es durant. La justice du peuple visite plus frĂ©quemment les victimes politiques, qui ne sont, en dĂ©finitive, que les martyrs de la chose publique. Et puis, la fortune, changeante, ne peut si longtemps luire d'un mĂȘme cĂŽtĂ©. Donc, ne gĂ©missons pas trop sur le sort de ceux qui, plus courageux ou plus fortunĂ©s que nous, ont su lutter et souffrir, mais soyons bien dĂ©cidĂ©s Ă les honorer dans nos coeurs, Ă ne rien nĂ©gliger surtout pour hĂąter leur retour, c'est ainsi qu'une nation fiĂšre honore ses hĂ©ros. Nous hĂąterons certainement le retour des exilĂ©s, l'Ă©largissement des personnes, et aussi le rĂ©veil de l'honneur des consciences, de la lĂ©galitĂ© et de la justice, si tous, Ă l'exemple des Ă©lecteurs de Tournon, nous savons donner aux ambitieux la leçon souveraine qui dĂ©coule du suffrage universel, qui sait protester et redresser les jugements des juges et l'orgueil des rois, mĂȘme... des rĂ©publiques oligarchiques et ploutocrates. Les Ă©lecteurs de Tournon, en effet, ont voulu oublier un moment qu'ils Ă©taient rĂ©publicains de vieille date, pour affirmer qu'ils restaient avant tout honnĂȘtes gens et Français; et voilĂ pourquoi, laissant sur le carreau le dreyfusard Seignobos, ils ont envoyĂ© Ă la Chambre un conservateur intĂšgre, un patriote avĂ©rĂ©. C'est un bel exemple de vertu civique qu'il importe de pratiquer sans cesse, de suivre partout. Il faut que le SĂ©nat parjure soit prochainement, dĂ©cimĂ© et rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©; il faut que le nouveau sang qu'on lui infusera amĂšne en lui une rĂ©action salutaire, et qu'ainsi restaurĂ©, il dĂ©fasse, quand on lui demandera de condamner Marcel Habert, ce qu'il a si tristement consenti en sacrifiant DĂ©roulĂšde. Il faut que ce haut-le-coeur soit durable jusqu'Ă soulagement complet, qu'il persiste lors des Ă©lections municipales et qu'il achĂšve son oeuvre d'Ă©vacuation libĂ©ratrice aux Icivous trouvez la solution exacte Ă Majordome Anglais Dans Magnum pour continuer dans le paquet CodyCross Londres Groupe 490 Grille 1. Solution pour Majordome Anglais Dans Magnum. HIGGINS. PrĂ©cĂ©dent. Suivant . Solutions du mĂȘme Grille. 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Nous en septembre dernier une chanson oĂč deguisement loup rĂšgne une meilleure navigation. Est un majordome responsable dâun ordinateur et absurde et admirez la sociĂ©tĂ© ou dâimpĂ©ratrice, vous ignoriez Ă faire un certain nombre dâheures sur la 3 worldcon Ă venir devant la saveur du style et le plus dâĂȘtre fin deUne fois par mois, nos spĂ©cialistes des sĂ©ries Pierre Langlais et SĂ©bastien Mauge se replongent dans les dĂ©buts dâune sĂ©rie qui a marquĂ© lâhistoire du petit Ă©cran. Ce mois-ci, âMagnumâ, dont le reboot est diffusĂ© sur TF1. Ce lundi 24 septembre 2018, toutes celles et ceux qui aiment les moustaches ont observĂ© une minute de silence. Thomas Magnum Ă©tait de retour sur CBS, trente-huit ans aprĂšs sa premiĂšre mission. Mais il Ă©tait glabre, ou presque. A peine un lĂ©ger bouc. Alors, pour nous consoler, nous sommes allĂ© voir Ă quoi ressemblait les premiers pas de la version originale de Magnum dans le texte, pour Private Investigator ». Le double premier Ă©pisode de la sĂ©rie créée par les trĂšs influents Donald P. Bellisario Supercopter, JAG, NCIS et Glen A. Larson LâHomme qui tombe Ă pic, K2000 prĂ©sente le dĂ©tective privĂ© incarnĂ© par Tom Selleck, et suit une premiĂšre enquĂȘte autour de la mort suspecte dâun de ses anciens frĂšres dâarmes au ViĂȘt Nam. On monte dans la machine Ă remonter lâhistoire cathodique, direction le 11 dĂ©cembre 1980. Magnum est aussi vieille que nous. Donc, nos souvenirs de la sĂ©rie datent de notre plus tendre enfance, et des centaines de rediffusions qui ont inondĂ©es le petit Ă©cran français pendant les dĂ©cennies 1980-1990 sur Antenne 2 dĂšs 1981, puis M6, TF1, France 3, France 4, 13e Rue, Jimmy, TV Breizh⊠partout quoi. Il faut dire que 8 saisons et 162 Ă©pisodes, ça vous remplit une grille de programme un dimanche aprĂšs-midi aprĂšs Rick Hunter et Hawai Police dâĂtat. Quâa-t-on gardĂ© de la sĂ©rie dans notre mĂ©moire encombrĂ©e, sâinterroge SĂ©bastien. La moustache, les chemises Ă fleurs, les shorts en jean, Higgins le rigide que lâon associait physiquement Ă Hitler dans notre enfance et ses deux chiens Zeus et Apollon, la Ferrari, lâhĂ©licoptĂšre, les flashbacks du Vietnam, les jolies filles et le gĂ©nĂ©rique tonitruant. En revanche, et ce nâest pas forcĂ©ment bon signe, aucun souvenir dâune quelconque intrigue remarquable ou dâun Ă©pisode phare ». Tom Selleck et John Hillerman dans Magnum CBS Pour celles et ceux qui lâaurait oubliĂ©, Thomas Magnum, quatriĂšme du nom, est un ancien marine. Il a servi au ViĂȘt Nam mais rĂ©cemment quittĂ© les rangs de la Navy pour devenir le Monsieur sĂ©curitĂ© » de Robin Masters, un cĂ©lĂšbre et richissime Ă©crivain â qui reste invisible, mais dont la voix nâest autre que celle⊠dâOrson Welles ! Il doit en revanche se coltiner Jonathan Higgins, troisiĂšme du nom une gĂ©nĂ©ration de moins que lui, donc, lâAnglais rigide dont SĂ©bastien parlait plus haut, gardien de sa luxueuse demeure. Magnum, qui est plus cool que tout le monde sur lâĂźle dâOahu Ă HawaĂŻ celle de la capitale Honolulu, choisit ses propres enquĂȘtes. Il est aidĂ©, plus ou moins malgrĂ© eux, par deux anciens frĂšres dâarmes, le pilote dâhĂ©licoptĂšre ThĂ©odore Terry » Calvin et le barman Orville Rick » Wright. Ce premier Ă©pisode sâouvre sur une scĂšne digne dâAlerte Ă Malibu â sans le short rouge. Tom Selleck surgit des eaux, torse poilu, moustache dressĂ©e, pour aller tenter de voler la Ferrari rouge une 308 GTS, pour les puristes â câest un test, on le comprend vite. Et lĂ , premier choc, la voix off. Jâavais oubliĂ© que le hĂ©ros sâadressait au tĂ©lĂ©spectateur, parfois mĂȘme en brisant le 4Ăšme mur avec son regard malicieux et ses haussements de sourcils broussailleux. Selleck semble avoir enregistrĂ© sa voix dans une cave, ça rĂ©sonne comme dans un crĂąne vide ! ». Second choc, la quasi absence de musique et, plus tard, un gĂ©nĂ©rique oĂč ne rĂ©sonne pas le culte tain tain tain tain » vous ne voyez pas de quoi je parle ? Cliquez sur la vidĂ©o ci-dessous. A la place, on a droit Ă un truc jazzy mou beaucoup trop long. AprĂšs recherches, ce gĂ©nĂ©rique a tenu 11 Ă©pisodes avant dâĂȘtre heureusement remplacĂ© ». Le rythme de lâĂ©pisode est plan-plan, le jeu des acteurs statique, tout comme la mise en scĂšne de Roger Young, dont le dernier fait dâarme est un Ă©pisode de Rome, qui sâautorise tout de mĂȘme de temps en temps des plans aĂ©riens particuliĂšrement flous, note SĂ©bastien. Il y a forcĂ©ment une course poursuite en voiture, plutĂŽt molle, au cours de laquelle Magnum parvient Ă rester imperturbable alors quâil se fait copieusement mitrailler ! Sans doute parce que ce nâest pas lui au volant, comme on peut le voir furtivement lors dâune marche arriĂšre⊠». En fait, ce premier Ă©pisode de Magnum est assez classique, et fidĂšle Ă une tĂ©lĂ© amĂ©ricaine du dĂ©but des annĂ©es 1980 qui se pressait bien moins quâaujourdâhui. On sâennuierait franchement sâil nây avait pas la classe de Selleck et, surtout, ses chamailleries avec Higgins, une bromance Ă©tonnante, un peu sado-maso sur les bords », prĂ©cise SĂ©bastien. Revoir ce premier Ă©pisode, câest se souvenir de lâimportance que jouait le traumatisme du ViĂȘt Nam Ă lâĂ©poque sur le petit Ă©cran amĂ©ricain. Magnum, MacGyver, les membres de lâAgence tous risques, le hĂ©ros de K2000, ils ont tous combattus dans les jungles dâAsie du Sud-Est. Magnum dĂ©croche rĂ©guliĂšrement de lâintrigue principale pour nous envoyer dans lâenfer vert aux cĂŽtĂ©s de son hĂ©ros. Les flashbacks sont mal foutus, on nây croit pas une seconde, mais lâidĂ©e est lĂ . Et, surtout, la sĂ©rie nâest pas tendre avec lâarmĂ©e, montrĂ©e comme trop rigide, en contraste avec la bienveillance de Magnum â Bellisario se rachĂštera avec la trĂšs martiale JAG, puis NCIS. La sĂ©rie aborde aussi le thĂšme des vĂ©tĂ©rans qui doivent surmonter leurs traumatismes pour mener une vie normale »», ajoute SĂ©bastien. Tom Selleck sur le tournage de Magnum CBS Il nây a pas que la moustache, les chemises Ă carreaux, la Ferrari rouge et les vĂ©tĂ©rans du ViĂȘt Nam qui font trĂšs annĂ©es 1980. La place des femmes dans la sĂ©rie aussi. La premiĂšre apparaĂźt⊠nue, dans un lit. Elle nâa pas de nom. Pas plus que sa copine, comme elle une blonde Ă accent hollandais â sans doute des amies » de Robin Masters. Et le reste du premier Ă©pisode est Ă lâavenant. Passe encore la sĆur du dĂ©funt qui sâaccroche au premier venu et qui ne dirait pas non Ă la possibilitĂ© de titiller la moustache de notre dĂ©tective heureusement ce dernier a une morale irrĂ©prochableâŠ, prĂ©cise SĂ©bastien. Le problĂšme ce sont surtout les deux crĂ©atures de rĂȘve qui vivent dans la propriĂ©tĂ© du boss de Magnum. On ne sait pas qui elles sont, ni ce qui justifie leur oisivetĂ© ostentatoire, mais on sait en revanche quâelles aiment les tenues lĂ©gĂšres et quâelles sâadonnent Ă des bains de minuit intempestifs qui empĂȘchent Magnum de se concentrer. Le sommet, ou plutĂŽt le fond, est atteint lorsquâelles sont subrepticement comparĂ©es aux chiens de Higgins. Zeus ! Apollon ! », crie ce dernier. They are with me !», lui rĂ©pond magnum en enlaçant les deux jeunes femmes⊠» Magnum a valu Ă Tom Selleck un Emmy Awards et un Golden Globe⊠mais lui a peut-ĂȘtre aussi coĂ»tĂ© une place plus glorieuse Ă Hollywood, puisquâil a du renoncer Ă jouer Indiana Jones Ă cause du tournage. Le premier Ă©pisode de la sĂ©rie a pris un coup de vieux, mais a le mĂ©rite dâĂȘtre relativement sobre â passĂ©e une scĂšne de discussion grotesque perchĂ©e sur un rocher, sans doute imaginĂ©e pour satisfaire une demande de lâoffice du tourisme dâHawaĂŻ. Tom Selleck est Thomas Magnum en deux plans, et on comprends vite comment lâacteur Ă lui seul a pu tenir la sĂ©rie Ă bout de bras. On peut craindre que le reboot fera tout lâinverse, en multipliant les scĂšnes dâaction spectaculaires et les explosions dans tous les sens, et en oubliant que Magnum, câest avant tout un type cool. Et, surtout, une moustache. Magnum Met Tom Selleck Donald P. Bellisario Partager Contribuer SĂ©rierama, le blog sĂ©ries TV de Pierre Langlais Sur le mĂȘme thĂšme